Commentaires fermés sur Entendre l’écho de ma chambre. Brève pour le camarade HN.
Avr222025
Soumission anonyme à MTL Contre-info
Cher camarade-scribe HN,
J’ai bien reçu ton écho. Je suis heureux de voir la multiplication des contributions des derniers temps sur Montréal Contre-info. J’aimerais réagir au Post-scriptum sur le corps révolutionnaire qui me semble «habité» par des contradictions.
Ayant moi-même flirté avec l’ivresse de ma disparition subjective en une forme-de-vie, je ne peux m’empêcher d’opposer le principe de réalité aux idées de «sortie de l’identité» ou aux théories qui essaient de «dépasser» le sujet par des constructions langagières ou théoriques. Le concept de «corps révolutionnaire» me semble être une contradiction dans les termes et en ce sens une impasse. Je vais indiquer mes références aux paragraphes cités en commençant à partir du titre de la section pour faciliter la lecture de la critique.
Premier problème. Tu dis que le corps révolutionnaire est un déplacement d’une politique fondée sur l’identité à une politique de l’articulation du geste à la situation :
Nous dirons simplement ici que se dire révolutionnaire ou anarchiste n’a que très peu de sens en tant que tel, que c’est le geste et l’articulation du geste à la situation qui donne le sens et la force à ces termes (§5)
Soit. Il peut être préférable de laisser parler les gestes au lieu de toujours répéter «un discours stéréotypé». Jusque là, entre ton billet et la mise en garde de Mao contre le «style stéréotypé dans le parti», il n’y a pas une grande différence.
Tu indiques, toujours dans le même paragraphe, que la «position révolutionnaire» consiste en une «élaboration d’une ouverture et d’une faille», une élaboration qui repose sur le geste (§5). Cette position doit pouvoir «être rejoignable, mais être rejoignable ne doit pas être son sacrifice.» (§5)
Rejoindre une position c’est voir une position qui n’est pas la nôtre et s’y rallier. Il faut donc être en mesure d’identifier un autre et soi pour y parvenir. Le vocabulaire de la «position révolutionnaire» n’est pas en dehors du «terme d’identité politique» que tu dis pourtant rejeter. Une approche en positionnalité — un terme qui pourrait être appliqué à ton post-scriptum — c’est une approche à la mode pour dire la politique de l’identité. Je partage ton opposition à ceux qui pensent que «le mot de l’identité dirait la chose et la performerait du même coup» (§5). Mais dans ce cas, c’est une opposition à la fétichisation, à la pensée magique ou aux stéréotypes. Ce n’est pas une opposition à l’identité. Au niveau formel — et uniquement à ce niveau —, ta prise de position ressemble à celle des boomers qui «refusent les pronoms», c’est une métonymie qui confond les choses.
Deuxième problème. Tu soutiens que «le corps révolutionnaire n’est pas la somme d’identités qui le composent, contrairement à la bande ou au groupe» (§9) et qu’« il doit se constituer comme l’interface de ceux et celles pour qui la révolution se fait dans le monde, à bras le corps, jusque dans le temps mort des séquences politiques.» (§9). Tu dis que ce corps « dépasse » les milieux en les articulant stratégiquement et en ouvrant sur l’extérieur. En ce sens, il serait quelque chose de «supra» ou de «méta» qui, j’imagine, ne se localise pas facilement, car il ne fait pas milieu, bande, groupe ou organisation. Or, il y a une contradiction flagrante dans le paragraphe suivant. Tu appelles de tes voeux la création d’
un espace relativement formalisé où les différentes forces organisantes du corps révolutionnaire à construire peuvent s’entendre sur un certain nombre de priorités réelles, se distribuer des tâches en vue de la construction et de la consolidation d’une situation conflictuelle à venir, identifier les manques infrastructurels et réfléchir à comment les combler. (§10)
Personnellement, je vois dans cette proposition une variation «sensible», une variation qui fait usage de la métaphore du corps, pour proposer une enième «structure de coordination» ou une autre «table de concertation». Je ne vois pas comment ce que tu proposes est autre chose qu’une «formalisation» de l’existant, donc une relative fixation dans une forme qui est par définition identifiable. Elle peut être identifiable principalement par sa pratique, chercher à éviter les slogans commerciaux du nec plus ultra de la radicalité, il n’en demeure pas moins que cette prise de position pour la formalisation est en contradiction avec l’idée que le «corps révolutionnaire» serait d’une nature distincte de la «somme d’identité».
***
Ton problème ne semble pas être celui de l’identité. Je comprends la crainte d’être identifiable en tout situation et la volonté de ne pas toujours s’identifier, les risques de la récupération.
On peut refuser d’avoir une identité figée, chercher à ne pas être réduit à celle-ci. Je ne vois pas en quoi l’appareil conceptuel que tu déploies dépasse l’identité ou offre une alternative au langage plus simple des abus ou des problèmes de l’identité.
Personnellement, je pars du postulat que «le moi est une synthèse imparfaite», qu’il n’est pas le tout du sujet. L’identité, c’est quand le moi est égal à soi-même, quand il semble correspondre. On peut tenir des discours mythifiant sur soi, se raconter des histoires, mais est-ce qu’on se donne des outils pour éviter cela en utilisant un terme qui prétend être en dehors des problèmes de l’identité, les dépasser ?
Tes oppositions entre l’authentique et l’inauthentique, elles me rappellent les problèmes de la notion de spectacle. Le problème avec le spectacle c’est l’idée selon laquelle on pourrait être «en dehors» de l’idéologie. Personnellement, j’ai l’impression qu’en faisant ça, on ne fait que déplacer le problème et le rendre plus difficile à nommer : la chute est alors plus douloureuse.
Alors, oui, il faut valoriser la critiquer, en finir avec l’«entre-nous», développer des positions, faire attention à la sensibilité, dénoncer les stéréotypes, les identités figées, mais, à moins de tout confondre, ceci n’est pas «dépasser l’identité».
Nos identités nous viennent de toute sorte de choses qu’on décide pas, elles sont des assignations, des contraintes, mais elles sont également des contraintes capacitantes (Enabling constraint). Personnellement j’utilise beaucoup la théorie de l’interpellation de Jean-Jacques Lecercle pour penser les identités et je demeure convaincu qu’il nous faut «inventer l’inconnu» souvent en critiquant les traditions, en commençant par les nôtres. On peut et on doit se battre contre des identités qu’on nous assigne, mais elles nous donnent aussi la possibilité de parler. On peut énoncer des critiques, des propositions à partir d’une identité, s’attaquer aux fixations identitaires risibles, mais il serait plutôt difficile d’espérer, dans un monde qui nous demande sans cesse de nous identifier, de dépasser (surmonter) cette injonction.
Ton concept de corps révolutionnaire me semble une façon de faire comme si on était pas toujours pris avec nous-même, comme si, de façon déclamatoire, on pouvait dire aux autres qu’on n’est pas ce qu’ils pensent qu’on est. Le problème c’est qu’on n’a jamais le dernier mot. On va continuer de nous identifier, on va nous reconnaître, surtout si on milite dans la durée et qu’on demeure là « dans les temps morts des séquences politiques » (§9).
On te collera un identité, ça va arriver, que tu le veuilles ou non. Alors au lieu de faire comme si, assumes-là et assumons-là. Assumons notre identité individuelle contre les assignations grégaires, contre le cynisme et aussi contre l’individualisme. Assumons notre volonté de ne pas être réduit à un produit, à un fétiche ou à un stéréotype. Et surtout assumons notre vie, nos échecs, nos répétitions d’échecs ridicules qu’on veut surmonter, et les idées folles qu’on a, mais qu’on a peur d’énoncer parce qu’on l’a jamais fait. C’est seulement en écrivant et en pensant par nous-même, en cherchant à devenir ce qu’on est pas encore, qu’on réussira à mettre à mal la fixation identitaire.
C’est en ce sens, parce que je te vois prendre la plume à ton tour et risquer l’écriture, que je me réjoui de répondre à ton écho, camarade. J’ai hâte de lire tes prochaines contributions et j’espère qu’elles nous permettront de sortir de la chambre d’écho, de s’écouter et, qui sait, peut-être de s’entendre. C’est seulement ainsi qu’on peut espérer devenir autre que ce que nous sommes.
Lecture partisane des événements du printemps jusqu’à l’automne 2024 à Tiohtià:ke-Montréal
Ce texte cherche à faire le point sur la séquence politique qui va du campement McGill du 27 avril 2024 jusqu’à la grève étudiante des 21 et 22 novembre dernier contre le sommet de l’OTAN. Nous souhaitons faire apparaître ici un certain nombre de remarques et de leçons que les événements des derniers mois peuvent nous révéler.
Le souci des conditions de possibilité d’une situation conflictuelle et de son passage à une situation insurrectionnelle est au coeur des questionnements de ce texte. Tout au long de la dernière année, on a cherché à comprendre ce qui s’était joué dans le mouvement de solidarité avec la Palestine à Montréal s’étendant du printemps à l’été et jusqu’au mois de novembre 2024. Il s’agit pour nous voir les ouvertures et les limites d’un tel débordement.
Ce texte s’adresse à celles et ceux qui se sentent interpellés par les expérimentations politiques qui prirent place. Ce texte s’adresse à ceux et celles qui souhaitent prendre la situation politique conflictuelle – insurrectionnelle et révolutionnaire – à bras le corps. Que les choses aient été difficiles, décevantes, fâchantes et blessantes n’est pour nous qu’une évidence de tout moment politique insolite. Ces difficultés ne sont pas une fin, mais un point de départ.
La dernière année en a été une surprenante. Beaucoup de personnes ont vécu les moments politiques et existentiels les plus prenants et chavirants de leur vie.
C’est aussi à ces personnes que s’adresse ce texte.
« We’re trapped in the belly of this horrible machine And the machine is bleeding to death »
« Pour la première fois, les ouvriers se sont sentis chez eux dans ces usines où jusque-là tout leur rappelait tout le temps qu’ils étaient chez autrui. Oui, à chaque instant de la journée de travail quelque petit détail douloureux vient rappeler à l’ouvrier sur sa machine qu’il n’est pas chez lui. Ces hommes, ces femmes, qui tous les jours de leur vie ont appartenu à l’usine, pendant quelques jours l’usine leur a appartenu. Et c’est là la tragédie d’une telle existence : pour qu’ils se sentent chez eux à l’usine, il faut que l’usine s’arrête. Maintenant que de nouveau les machines tournent, ils se retrouvent sous la même contrainte. Mais du moins, cette tragédie, ils peuvent en prendre conscience. Ils ont senti une fois ce qu’une usine devrait être. Pour la première fois de leur vie, la vue de l’usine, des ateliers, des machines a été une joie. » – Grèves et joie pure, Simone Weil
Les mots de Weil nous semblent loin. Entre les quatre murs de l’Université, les machines sont imperceptibles. Pourtant, l’usine éclaire l’amphithéâtre. L’évidence d’être autrui – partout. La catastrophe intime de ça.
Que tout nous apparaisse impossible, inadéquat, futile, épuisant, titanesque, c’est bien ça qui montre l’évidente gravité du travail à faire. Dans le creux de la vague politique, le spectre de la défaite nous hante encore.
Nous sommes quelques un-es qui partageons l’affect sensible du désastre, quelques un-es à vouloir s’organiser. Le monde d’il y a quelques années déjà semble bien loin. Tout s’accélère et l’empire vient et se ressert sur la carcasse de l’histoire. Nous sommes une poignée et nous ne nous satisfaisons pas des petites victoires que certains proclament. Certains semblent fatigués de la dernière séquence politique et prennent ces victoires comme un baume. Alors si lesdites victoires se vivent – réifiées peut-être, mais qu’elles se vivent tout de même – alors soit ; prenons-les au sérieux, chérissons-les. Attardons-nous aux angles qu’elles suggèrent.
Depuis la fin de la séquence 2005-2008-2012-2015 au Québec, on voit la mort à grande fête puis à petit feu de quelque chose comme une force étudiante. Puis, en soubresaut – la grève des stages, Non à la COP15, le sommet de l’OTAN – quelque chose comme une combativité qui resurgit par brefs instants. Mais l’aura n’est plus vraiment. C’est-à-dire que chaque tentative apparait comme moment politique éphémère. C’est que son caractère éphémère est sa maladie et non sa direction, c’est sa limite interne. La ponctualité des dernières grèves n’est pas une décision, mais une fatalité. Et on dirait qu’il y a quelque chose d’inauthentique dans ces moments, véritablement, au sens où le geste de faire-grève n’apparaît pas comme moment de rage et de déroute. Le temps de la grève devrait être celui où le temps vide et homogène du quotidien se suspend, se fissure puis se rompt et ouvre sur de nouvelles rencontres, de nouveaux usages, des imprévus. Mais les dernières grèves ponctuelles apparaissent plutôt comme la préparation d’un exercice fade et bien connu. Certain-es ont évalué la grève étudiante contre l’OTAN comme un succès, et ce, dû au degré de combativité de sa manifestation nocturne du 22 novembre 2024. Il s’agit selon nous d’une erreur de lecture. La grève aura servi de prétexte, certes, mais son sous-texte est ailleurs.
Ce soir là, on se rappelle, quelques centaines d’étudiant-es et de militant-es propalestiniens ont défilé brièvement dans le centre-ville jusqu’au palais des congrès. Lors d’une escarmouche,des groupes autonomes ont repoussé une ligne de flics jusque dans une ruelle, les ont aspergés de peinture et ont balancé des feux d’artifice. Quelques moments plus tard, des poubelles et des voitures brûlaient, les vitres du palais explosaient soudainement sous les pavés et les marteaux. La foule fut rapidement dispersée. Le reste du traitement policier et médiatique de l’événement a pris des dimensions énormes, la farce était consacrée. Il aura fallu le chef de la police du SPVM pour rappeler aux politiciens qu’il ne s’agissait pas d’actes antisémites, mais bien de gestes politiques par des groupuscules connus des services. Aucune arrestation à ce jour ; pas si connus que ça finalement. Cela dit, cette manif n’est pas à l’image de ce qui aura été une grève de deux jours somme toute décevante. Se réjouir du bref surgissement émeutier, certes et avec grande joie, mais aussi soumettre à la critique l’exercice réel de cette grève.
Ce qui aura été frappant de cette grève, c’est le peu de personnes qu’elle aura mobilisé au sein de l’UQÀM, où une zone de grève avait été improvisée dans l’agora. Quelques activités, des tracts, des bannières, des lectures, du café. C’était pas mal ça. Une petite manif interne d’une demi-heure. À Concordia, on a vu une manif plus pimentée ; la foule a envahi les couloirs – sous l’initiative d’une constellation de groupes autonomes – et a défilé sur plusieurs étages, laissant derrière elle une trainée de tags et des caméras brisées devant les yeux ahuris des gardiens de sécurité. À l’entrée du bureau de l’administration, moment d’hésitation et de confusion. À ce moment-là, il y avait quelque chose comme l’harmonie entre la rage et la joie. Des initiatives semblaient prêtes à surgir, hors de toutes attentes, assez imprévisibles. Nous disons que c’est ce que doit produire la grève. Le jeu entre ce qui est attendu et ce qui ne l’est pas, un rebrassage des cartes en bonne et due forme. Mais tout ça fut rapidement avorté. Trente minutes plus tard, tout était terminé.
Le deuxième jour de la grève, on a vu un peu plus de monde à la zone de grève, principalement parce que les étudiant-es des Cégeps en grève ont convergé vers l’agora de l’UQAM. À quelques instants du début de la manif’ de soir : ateliers sécurité en manif’, distribution de matériel défensif et autres trucs, formation d’équipes – l’agora était pleine et elle n’avait pas été aussi belle depuis longtemps. Sûrement certain-es ont trouvé du réconfort ou une réelle satisfaction dans l’exercice de débrayage des 21 et 22 novembre derniers. On avoue que nous aussi, un peu quand même. Pourtant, ce qui s’est passé nous semble surtout éclairer ce qui aurait pu arriver.
« […] Tandis que la première forme d’arrêt du travail (la grève politique revendicatrice) est une violence, car elle ne provoque qu’une modification extérieure des conditions de travail, la seconde en tant que moyen pur est sans violence. Car elle ne se déclenche pas avec l’arrière-pensée de reprendre l’activité après des concessions superficielles et une modification quelconque des conditions de travail, mais avec la résolution de ne reprendre qu’un travail entièrement changé, non imposé par l’État ; bouleversement que cette sorte de grève provoque moins qu’elle ne le réalise. » – Critique de la violence, Walter Benjamin
Dans Critique de la violence, Benjamin s’intéresse à deux formes-grèves distinctes. D’un côté, la grève politique apparaît comme un exercice de revendication où les prolétaires posent le débrayage comme geste de médiation en vue de l’atteinte d’un objectif salarial ou autre. De l’autre côté, il y a ce que Benjamin appelle « grève générale prolétarienne ». Nous l’entendrons comme grève humaine, grève sociale. La grève sociale, c’est la grève qui suspend la temporalité réelle des activités productives du travail et des activités quotidiennes normales sous le mode de production capitaliste. Le temps du travail est délivré de sa charge dépossédante et aliénante ; la temporalité changée, l’espace devient habitable et les relations aussi. La grève sociale réalise plus qu’elle ne provoque, voilà ce que disait Benjamin. Mais les grèves ponctuelles étudiantes ne réussissent pas – ou plus – à suspendre le cours normal des choses du quotidien. Rien de gênant ou de dérangeant à la vue de quelques divans, de quelques slogans et de bannières.
Revoir alors la liste courte des objectifs possibles d’une grève : faire pression et se lier/changer la vie réelle/le rapport à l’infrastructure/réappropriation des usages des espaces, libérer du temps, etc. Dans l’optique où l’on admet que la grève des 21-22 novembre n’a pas réussi à faire pression (puisqu’évidemment il s’agissait d’un contre-sommet, personne n’a réussi à destituer ou à désarmer l’OTAN), on se serait attendu à ce que la zone de grève soit bien plus populeuse, que les gens profitent de la ponctualité comme d’une force (il est bien plus facile d’exploser le quotidien une seule journée que 6 mois durant) et de ce qu’elle pourrait ouvrir (beaucoup plus de légèreté qu’une interminable Grève Générale Illimitée) pour s’approprier massivement les couloirs et les salles de l’université. On aurait voulu qu’il y ait des mots d’ordre associatifs et autonomes, que les gens prennent des initiatives, aient un peu de créativité, repeignent des sections complètes, qu’il y ait des cantines, des partys, qu’il y ai des espaces pour se rejoindre réellement. Visiblement, la force organisatrice nous manque pour réussir quelque chose comme ça.
Pourtant, une réappropriation d’espaces et de temps, c’est bien ce que les campements propalestiniens ont exercé, à leur manière, quelques mois plutôt. Les campements constituaient un melting pot entre les étudiant-es tendance radlib’, des personnes de la communauté musulmane de tous horizons, des insurrectionnalistes, la gauche radicale étudiante, des visages connus du communautaire et une poignée d’autonomes. Mais le débordement par le nombre aura été la plus grande absente. Les manifestations organisées sur des bases autonomes n’auront que rarement atteint le millier de personnes. Ceci dit, les campements propalestiniens devraient tout de même nous éclairer sur une série de choses. Notre lecture ici, c’est que c’est bien les campements pro-palestiniens du printemps et de l’été 2024 – et non la mobilisation pour la grève du 21-22 novembre – qui ont permis de voir surgir une scène comme la manif à saveur offensive du 22 novembre au soir. Notre constat, c’est qu’aucun groupe, composition de groupes ou organisation n’était à même de faire résonner les événements du 22 novembre au soir au-delà du fantasme et du bavardage.
L’éternité d’un jour de grève
Ici il nous faut faire un rappel qui nous apparaît nécessaire : ce que nous voulons, c’est bel et bien la chute effective de l’État en tant qu’il est l’outil de reproduction national du mode de production capitaliste. Nous voulons abattre le quotidien du mode de production dans ce qu’il a d’aliénant et de réellement dépossédant. Construire des communautés autonomes et désarmer les institutions, les bras armés, les industries destructrices, ses chemins logistiques,etc. Participer à l’élaboration de nouveaux communs, de zones libérées de l’impératif marchand. Ce que nous voulons en ce sens, c’est bien gagner. Mais gagner n’a jamais été notre fort. Nous sommes héritier-es d’une histoire de défaites, de désastres, de déceptions. Certain-es semblent même avoir oublié que c’est bel et bien ce qu’on veut, que c’est bel et bien une guerre qui est en cours et que cette guerre, chaque jour, se perd. Pour gagner dans l’asymétrie évidente il nous faudra comprendre. Comprendre et toucher nos contemporains. Rester dans notre coin et nous satisfaire d’une radicalité morale ne nous intéresse pas. Résonner, contaminer ; par grands cris quand il faut pour se faire entendre et par complots à voix basse pour s’installer et temporiser. Mais se répandre, oui, aussi loin que possible. Dans l’éventail des réalités politiques et organisationnelles que pose une telle problématique surgit la question dite de la composition.
Parenthèse sur la composition: Le terme de composition a été bien en vogue depuis Les Soulèvements de la Terre et la très impressionnante et macabre émeute de Sainte-Soline. Dans les derniers mois au Québec, on l’a vu utilisé pour proposer une manière stratégique de se saisir du politique, de ses binarités et de ses tendances, et éventuellement de chercher à les dépasser. Nous proposons plutôt ici la lecture du concept de composition non comme la proposition stratégique d’un problème, mais comme forme de surgissement réel, comme réalité actuelle de tout mouvement social/politique contemporain. Comprendre le politique comme situation réelle et non comme situation idéale, chercher à prendre la réalité politique à bras le corps c’est, dans le constat de la composition, organiser les contrepoints des forces en présence. La séquence des campements propalestiniens du printemps et de l’été 2024 a quelque peu réussi à poser cette grammaire du politique d’une autre manière que celle dont on avait l’habitude au sens où elle a forcé un certain nombre de groupes et de tendances à travailler ensemble.
Parenthèse sur la barricade: Les campements ont mis au goût du jour ce qu’on évoquera ici comme la théorie de la barricade. Nous disons que ce que la barricade fait réellement ne se résume pas à la prise d’un territoire ni à sa défense. Évidemment, la barricade est libération d’un lieu, redéfinition de ses usages, démantèlement effectif du paysage. Mais la barricade fait aussi surgir la position. Elle force non seulement les gens à concevoir son existence comme réelle – chose que les discours ou les appels à la lutte peinent évidemment souvent à faire – tout en polarisant et en forçant le positionnement. En ce sens, la barricade, lorsqu’elle émerge à la vue, fait aussi surgir le sentiment de devoir choisir un bord. On est derrière ou devant la barricade et cela veut dire beaucoup. Ça ne veut pas dire que tout le monde d’un côté s’entend sur tout, mais qu’ils ont une certaine compréhension commune d’un certain sensible. Être d’un côté de la barricade c’est aussi donc refuser ce que l’autre côté pose comme réalité. Dans un monde où toucher et affecter constitue une difficulté réelle, ce n’est pas rien.
Parenthèse sur la densification: On note aussi que les campements ont réussi à créer un mode d’entrée en relation inouï dans le paysage de la militance classique de Montréal. Dans l’élan d’un mouvement international, des étudiant-es de McGill, des militants de Palestinian Youth Movement, Montreal 4 Palestine, pas mal de monde de la communauté musulmane, des étudiant-es juif-ves et un certain nombre de folks in black se sont saisis du McGill Lower Field et l’on fait leur. On pourra se demander si la durée (74 jours?!) n’aura pas montré l’inefficacité de la tactique en lien avec les revendications. La grève ou l’action ponctuelle et éphémère n’ont effectivement que très peu d’impact sur la transformation d’une situation politique institutionnelle donnée. Mais ce n’est pas celle qui nous intéresse ici. Ce qu’on a vu par contre c’est que l’exercice a permis une densification particulière des liens politiques et sensibles entre des gens de tous horizons. La densification était spatiale et temporelle ; en quelques jours des inconnu-es devenaient des camarades, puis des ami-es ; des gens se radicalisaient expressément ; dans le quotidien, on prenait en charge les tâches pénibles, on se préparait ensemble à répondre intelligemment aux éventuels raids policiers ; tout ça créait de nouvelles confiances, mais aussi de nouvelles craintes, de nouveaux doutes, de nouvelles réalités de luttes. La densification opérée par les campements aura été sa force et sa limite. Le constat général partagé à leur suite est l’épuisement des forces en puissance, notamment dans la reproduction matérielle quotidienne de la vie du camp.
L’heure dense
Ceci dit, la densification aura aussi permis de voir surgir de nouvelles alliances, de nouvelles formes conflictuelles qui s’accordaient sur l’envie d’en découdre avec la police et les infrastructures urbaines et universitaires. On a vu une contamination surprenante des tactiques de rues, offensives et défensives. Successivement, quatre moments clefs (qui ne représentent pas exhaustivement les moments conflictuels) : i) le cas de l’escarmouche policière nocturne à l’Université Populaire Al-Aqsa et de la baston concomitante ii) l’occupation de l’administration et la manif’ orageuse du 6 juin à McGill iii) la colère du démantèlement d’Al-Soumoud et la vengeance sur le bâtiment de l’administration de McGill, et iv) la manif’ du 7 octobre 2024 à Concordia devant la confusion policière. Chacun de ces moments ont montré comment, dans un instant de colère pouvait se réaligner des forces qui semblaient impossibles à conjuguer. C’est un travail de récurrence – à la fois concerté et organique – qui a permis la normalisation et la multiplication d’une tactique comme le Grey Bloc dans les manifestations d’été et d’automne. Dans la contingence du printemps et de l’été où, d’un côté, les relations de confiance et les savoirs tactiques s’échangeaient dans les camps et, de l’autre, où se multipliait les manifestations à potentiel de débordement, on a vu une gradation confrontationnelle qui faisait rupture avec les manifestations pacifiantes de l’automne 2023 et de l’hiver 2024. Cette séquence-là est intéressante dans ce qu’elle ouvre comme questions: c’est à se demander comment on aurait pu faire mieux et plus tôt dans le mouvement, à se demander si par exemple on aurait pas dû jouer un rôle dès le départ dans les grandes manifestations pour offrir une présence rejoignable pour ceux et celles qui se reconnaissaient dans la rage, la colère et l’envie de bricoler une réelle force de débordement. C’est aussi à se demander de quelle manière on aurait pu canaliser les forces en présence au-delà de ce qui s’est passé. Dans l’optique de l’éventualité où on aurait pu réussir à rencontrer et à se lier avec plus de personnes, la question persiste à savoir où et comment on aurait pu emmener le débordement sans qu’il ne soit qu’une redite vouée à s’essouffler.
La séquence des camps et des manifs semble s’être épuisée vers la fin de l’été. Nous comprenons cet épuisement en tant qu’incapacité à se lier de manière suffisamment vaste aux étudiant-es, incapacité à déborder des campus, incapacité à créer des moments de rencontre qui ne soient pas des redites du milieu soi-disant révolutionnaire, incapacité à intervenir de façon satisfaisante dans les espaces politiques déjà déployés, incapacité à contaminer et à résonner en dehors d’un groupe assez restreint de personnes déjà convaincues. Cet épuisement nous apparaît aussi comme une réelle fatigue. On l’a dit, le quotidien des camps nécessitait un effort logistique et matériel constant, effort qui minait de l’intérieur les énergies à réfléchir et faire autre chose. Dans le cadre du mouvement propalestinien, cet épuisement avait quelque chose de tragique, mêlé à une impuissance insupportable. Devant ces conclusions, il nous faut inévitablement nous poser les questions suivantes : comment dépasser la stagnation dans les séquences politiques conflictuelles? Comment éviter de s’isoler dans la radicalité tout en la conservant? Comment être rejoignable?
Si débordement il y a eu l’année dernière – et c’est bien ce que nous pensons – ce débordément a fini par s’écouler dans les tranchées d’un manque certain. Ce manque, nous pensons que c’est précisément celui de l’organisation. Une situation conflictuelle ou insurrectionnelle se concrétise dans une articulation entre plusieurs choses. Nous n’en nommerons que deux. D’une part une telle situation peut surgir comme d’elle-même au sens où le débordement donne l’impression qu’il n’est ni anticipé ni proprement organisé. C’est ce qui semble s’être produit avec le mouvement pro-palestinien à Montréal en tant que c’est une accumulation de petits événements (et sa résonance à l’international) qui poussera à l’émergence des camps et des manifs combatives. C’est aussi sous cette forme que surgissent des moments émeutiers comme celui du 31 mai 2020 à Montréal suite à la mort de George Floyd. C’est aussi, dans une certaine mesure, ce qu’il s’est passé avec Gilets Jaunes. Nous dirons de cette forme qu’elle est spontanée. De l’autre, il y a les mouvements qui sont organisés et stratégisés d’avance. Ici on peut penser évidemment à la grève étudiante de 2012 et à celle de 2015. Ces mouvements s’organisent à partir de structures organisationelles locales, régionales et nationales. L’ASSÉ (Association pour une solidarité syndicale étudiante) était l’élément structuré du mouvement étudiant combatif qui permettait l’élaboration de camps de formation, de campagnes de mobilisation, de couverture médiatique et d’organisation de manifestations relativement populeuses partout au Québec (surtout à Montréal). C’était à la fois un véhicule pour la mobilisation étudiante et quelque chose comme un front démocratique qui était rejoignable sur une base quasi permanente. Le succès relatif (dans le nombre et le caractère généralisé du conflit social) des mouvements de 2012 et 2015 ne sont évidemment pas dû au simple travail de l’ASSÉ et de ses différents comités. Plutôt,c’est le débordement de ces structures de manière autonome et massive qui permit de voir se dessiner des situations conflictuelles intéressantes. Il ne s’agit pas ici de regretter la mort de l’ASSÉ ou encore de souhaiter la construction de structures qui lui seraient absolument homologues, mais de voir ce que l’organisation sur une base formelle permet d’accomplir comme travail. Ce type de structure est évidemment insuffisant et bourré de limites, mais il permet tout de même d’élargir de manière sensible les potentialités de mobilisation. C’est aussi à partir de et à côté de ce type de structures que l’efficacité des groupes autonomes et des groupes affinitaires sont au sommet de leur efficacité. Ceci dit, ne soyons pas fantasques quant au caractère révolutionnaire de telles structures. Il n’y a de réellement révolutionnaire que ce qui abat le cour réel du quotidien sous le mode de production capitaliste.
Les mois qui viennent sont incertains : l’ombre d’un appauvrissement général, la montée du fascisme, la déchéance de l’économie des marchés globaux, de l’état d’exception continuel face à une gestion vampirique et sale de la question du logement, des mises à pied de masse, de l’inflation qui explose et les projets extractivistes qui se redoublent de partout. Les questions posées plus haut sont à prendre au sérieux pour espérer pouvoir être à la hauteur de la situation.
Si, coincé-es dans le ventre de la machine qui saigne à mort, il y a une politique révolutionnaire possible, elle doit nécessairement se poser sur le temps long. Il nous faut élaborer davantage d’infrastructures et des pratiques d’organisation qui nous permettent collectivement d’être rejoignables par d’autres.
Post-scriptum sur le corps révolutionnaire
Il y a ce qui surgit. Mais ce qui surgit happe. On l’a vu, l’insurrection a porté et portera le signe du signifiant le plus fort. Ne pas vouloir jouer le jeu de l’hégémonie – jeu qui est trahison de soi et des autres, inévitablement – c’est effectivement refuser de la revendiquer par et pour un programme. Il nous faut cependant y accrocher des usages, des éthiques, des formes. Y accrocher ces gestes, les incarner et ainsi changer son cours. Lorsque l’État ou le capital trébuche, il faut quelqu’un ou quelque chose pour le faire tomber. Nous ne pouvons pas compter sur un corps qui surgirait, spontané, et porterait un coup fatal. L’occasion est trop grosse et le risque est trop grand. Ce qu’il nous faut, c’est un corps qui serait à même d’élucider et de stratégiser cette chute. De la même manière, nous voulons un corps qui soit capable de construire rapidement, de lier, d’écrire, de partager, de diffuser et d’organiser. Nous ne faisons pas l’erreur de croire que c’est ce corps qui a créé ou qui créera expressément l’insurrection : la recette exacte pour celle-ci nous reste inconnue. Nous reconnaissons le rôle du corps révolutionnaire à créer du mouvement, mais pas à créer le mouvement. Le Groupe révolutionnaire Charlatan l’a dit et nous partageons le constat : le rôle de la minorité c’est bien de forcer la prise de position.
Nous posons aussi qu’un corps révolutionnaire ne doit pas avoir pour objet une tendance politique historique. Nous avons vu dans les dernières années comment celles-ci ne nous permettent que très peu de nous comprendre, encore moins de nous donner les moyens de nos ambitions ou de tracer nos lignes de convergences et nos réelles lignes de fractures. Il n’y a rien de révolutionnaire dans le fait de revendiquer un anarchisme ou un communisme quelconque. Tout de révolutionnaire à travailler à le faire advenir.
D’un autre côté, à aucun moment il ne s’agit de nier ou de camoufler une radicalité. Seulement, la question révolutionnaire doit cesser d’être reléguée constamment en termes de binarités historiques. Ces binarités doivent être ramenées les deux pieds sur terre comme disait l’autre. Le réformiste ou le citoyen, à un moment donné, penche dans l’action insurrectionnelle : il est traversé par la situation. Nous sommes de ceux qui préfèrent réfléchir en termes de situations, de stratégies, d’éthiques et d’usages plutôt qu’en termes d’identité politique ou de principes moraux.
Aussi, le corps révolutionnaire ne doit pas avoir pour objet le sujet. La bande, le groupe, l’organisation : aucun n’est à l’image de ce que devrait être un corps révolutionnaire. Il ne doit pas y avoir la revendication ou quelconque processus de reconnaissance à faire partie du corps révolutionnaire, seulement la réalité matérielle/existentielle de participer à sa construction. Nous comprenons la nécessité historique de certains groupes et leur rôle clef dans l’échafaudage infrastructurel réel ; d’un autre côté nous comprenons aussi leur insuffisance dans la construction de positions révolutionnaires communes fortes.
Une position révolutionnaire consiste non en une force de proposition charismatique et publicisable, mais en l’élaboration d’une ouverture, d’une faille dans le quotidien qui soit réactualisable par d’autres et pour d’autres, donc autrement. Une position révolutionnaire doit pouvoir être rejoignable, mais être rejoignable ne doit pas être son sacrifice. On nous a dit que ce qui permet de résonner, d’entrer en résonance avec d’autres avait comme condition de possibilité d’être authentique dans le geste. Nous abondons en ce sens. On nous a dit que créer des relations en s’éloignant de l’affirmation identitaire de tendances politiques était inauthentique et malhonnête. Le mot de l’identité dirait donc la chose et la performerait du même coup. Se dire insurrectionnaliste c’est du même coup faire l’insurrection… Tout ça n’a aucun sens. Les pasteurs nous sermonnent parce qu’il faudrait qu’être « anarchiste » ou « révolutionnaire » soit le préfixe de notre existence politique. Nous dirons simplement ici que se dire révolutionnaire ou anarchiste n’a que très peu de sens en tant que tel, que c’est le geste et l’articulation du geste à la situation qui donne le sens et la force à ces termes. Nous rétorquons aussi qu’il y a de l’authenticité à vouloir être entendu et compris, et qu’il faut stratégiser les manières de l’être. Nous disons que tout le monde n’est pas à même de comprendre ce que tentent de signifier 50 personnes vêtues de noir isolées face à une armée de flics. Nous disons que ça, ça ne résonne pas, ou en tout cas ça ne se résonne pas souvent. Ou peut-être que ça résonne, comme crier dans une boîte vide, comme l’écho de sa propre voix. Et nous ne tenons pas spécialement à nous casser mutuellement les oreilles. Nous voulons cependant parler assez fort pour être entendus et compris. Nous ne voulons ni crier dans le vide ni chuchoter entre nous. Nous allons dans le sens de cette phrase qui dit nous ne pouvons pas forcer tout le monde à parler notre langue ; nous voulons devenir polyglottes.
On dira finalement qu’être rejoignable c’est toucher au coeur de ce qui est partageable dans la catastrophe sensible et intime du monde. Si la position révolutionnaire peut apparaître comme une sécession avec le quotidien de l’économie et de la politique (en tant qu’elle est sortie de la torpeur, de l’incapacité, de la confusion, de l’angoisse, en tant qu’elle cherche à élaborer des modes de vie néfaste au mode de production capitaliste), elle ne doit pas tenir à tout prix à se poser comme sécession face aux « individus » du corps social.
Être à même de formuler des positions révolutionnaires ou insurrectionnelles communes qui soient rejoignables nécessite un certain niveau de formalisation . Ainsi, notre conclusion à dépasser l’opposition entre mouvement et organisation nous apparaît davantage comme une nécessité que comme un souhait. Elle nous apparaît comme seule façon de dépasser l’entre-nous du « milieu militant » et de tenter notre chance.
On l’a dit, donc : un des rôles du corps révolutionnaire, c’est d’élaborer des positions révolutionnaires. Mais le corps révolutionnaire doit également se méfier de sa propre corporéité.
Le corps révolutionnaire n’est pas la somme des identités qui le composent, contrairement à la bande ou au « groupe ». Sa fonction historique ne doit pas être récupérable parce qu’elle doit consister à abattre le quotidien dans le mode de production capitaliste. Elle doit avoir la joie destructrice de la bande, mais sans sa grégarité, sans ses caractères, ses chefs et ses égos. Le corps révolutionnaire ne doit trouver son sens que dans ce qu’il réalise effectivement. Par peur de se nécroser ou de se cristalliser en groupuscules ou en groupes, il doit s’obséder à ces questions : analyses des lignes de forces et de faiblesses, suivre l’évolution de séquences conflictuelles, distribuer des tâches en vue d’une situation à venir, élaborer théoriquement et de manière critique ce qui est fait, faire des suivis stratégiques et tactiques des séquences passées, cartographier et élaborer les infrastructures dont nous avons besoin et l’entretien desdites infrastructures, intervenir politiquement en temps juste pour stopper le spectacle,etc. Le corps révolutionnaire doit fluctuer en intensité selon la densité du conflit social, mais il doit tout à la fois se prémunir contre l’urgence activiste et être une force tranquille dans le creux de la vague. Il doit se constituer comme l’interface de ceux et celles pour qui la révolution se fait dans le monde, à bras le corps, jusque dans le temps mort des séquences politiques. Le corps révolutionnaire ne doit pas revendiquer le corps social – en partie ou en totalité -, mais ses positions doivent chercher à l’ouvrir, l’expliciter, le polariser et à transformer les processus réels de production et de reproduction du quotidien et de son esthétique.Et donc le corps révolutionnaire ne nie pas les forces déjà présentes dans les milieux révolutionnaires, mais les dépasse. Il le dépasse parce qu’il se saisit de puissances qui existent en son sein, mais plutôt que de les revendiquer ou de les reproduire, il les articule stratégiquement et les ouvre sur l’extérieur.
Ce qui devrait apparaître essentiel dans les mois qui viennent, c’est de réussir à créer un espace relativement formalisé où les différentes forces organisantes du corps révolutionnaire à construire peuvent s’entendre sur un certain nombre de priorités réelles, se distribuer des tâches en vue de la construction et de la consolidation d’une situation conflictuelle à venir, identifier les manques infrastructurels et réfléchir à comment les combler. Apprendre de la dernière année, finalement, des bons coups et des échecs, et parce que l’époque l’exige, faire mieux.
Commentaires fermés sur Trois meurtres en 24h. Attaque nocturne contre les Techniques policières. Justice pour Abisay Cruz !
Avr182025
Soumission anonyme à MTL Contre-info
Le lundi soir 14 avril, des anarchistes sont entrés dans le Collège de Maisonneuve où l’on trouve le programme de formation policière, Techniques policières. L’entrée a été peinte avec « MINI FLICS = FUTURS TUEURS » et « JUSTICE POUR ABISAY CRUZ » ainsi que d’autres slogans comme « 3 STATE MURDERS IN 24H » et « MAKE FASCISTS AFRAID ». Un extincteur rempli de peinture a beaucoup aidé et une fenêtre a été pété. Nous n’oublions pas les meurtres et les abus qui ont été commis par la police de Montréal au cours des dernières semaines et lecteurs, svp, répandez la vengeance populaire. Aux étudiants du programme Techniques policières : quitte et change ton parcours, ce n’est pas un avenir sécuritaire, ni pour nous, ni pour vous. Ce programme forme des personnes qui seront l’avenir de la violence d’État. La police est une force qui punit les pauvres, les immigrant.e.s et les personnes racisées, qui mattraque et tire sur les manifestant.e.s, arrête et tue les gens comme des mouches. Cette société est malade et la maladie est le capitalisme, l’État et la hiérarchie et les gardiens de cet ordre social terrible sont la police. Nous n’oublierons jamais les injustices commises à notre égard. Vive la mémoire d’Abisay Cruz et celle des autres personnes tuées par la police.
Le lendemain matin, dans ce vidéo, on peut voir les regards curieux des passant.e.s.
Commentaires fermés sur Commentaire sur « Quand on est nombreux.se.s, on fait ce qu’on veut »
Avr172025
Soumission anonyme à MTL Contre-info
Ce texte fait office de commentaire au billet « Quand on est nombreux.se.s, on fait ce qu’on veut » Analyses et propositions à partir de la séquence de manifs actuelles. Si le diagnostic initial – notre impuissance et notre petitesse enorgueillie face à la répression policière en manifestation – semble a minima fidèle avec la réalité, la prescription qui suit semble insuffisante, voire rate sa cible.
Commentaire sur le diagnostic
Le billet commence par proposer une analyse partiellement juste de la situation actuelle en manifestation. Depuis la séquence 2020-2024, le SPVM a utilisé une tactique plutôt douce de contrôle des foules : arrestations ciblées, encadrement, relatif laissez-faire. Il s’agissait d’une tactique fonctionnelle dans un contexte où les manifestations restaient essentiellement pacifiques et inoffensives et où le niveau de conflictualité demeurait faible, voire inexistant.
La séquence de lutte en solidarité avec la Palestine semble en effet avoir changé la donne. Le niveau de conflictualité s’est intensifié, le ton s’est progressivement durci. Le tapage médiatique faisant suite à la manifestation du 22 novembre contre l’OTAN a construit un narratif selon lequel le SPVM se serait ridiculisé devant un petit millier de manifestants. Il semble pourtant qu’une analyse fine montre que cette interprétation serait à nuancer : quelques gestes de recul du corps policier, un bloc qui se tient mieux qu’à son habitude et une contingence d’événements nous offrant des opportunités ont permis à quelques gestes d’être posés. S’il s’agit d’une victoire, elle reste minimale. En effet, quelque chose s’est produit, quelque chose de suffisamment important pour forcer l’espace public à se positionner face à ces gestes. Mais l’événement n’a pas eu d’effets d’entrainement conséquents. Si, pendant un instant, les gestes se sont débordés eux-mêmes et ont pu être – une fois n’est pas coutume – porteurs de sens, les échos de cette résonance se sont perdus dans le vide. Vide dont il ne restera qu’un énième souvenir nostalgique : « tu te souviens le 22 novembre? C’était l’fun… ». L’illusion de la puissance n’est que la marque de notre addiction à celle-ci.
Ladite « victoire » contre le SPVM reste donc minimale et banale. Un peu de nombre et de cohésion n’ont pas empêché les anti-émeutes de disperser la foule quelques centaines de mètres plus loin. Force est de constater que ce faux pas de la police a tout de même été une humiliation suffisante pour que le SPVM décide effectivement de changer de tactique, comme le montre justement le billet « Quand on est nombreux.se.s, on fait ce qu’on veut ». À l’image d’une tendance à l’hagiographie assez répandue, le texte parle abusivement d’un changement de paradigme pour qualifier un simple réajustement des tactiques policières de gestion de foule. Réajustement régressif s’il en est, car il revient à la banalité des tactiques utilisées entre 2012 et 2018/2019 : plus forte répression, plus d’arbitraire, manifestations déclarées illégales dès que possible. Il ne s’agit pas d’un changement de paradigme, mais d’une réponse adéquate de l’appareil policier. Ceux qui s’en étonnent restent pris dans l’ambiguïté de leur analyse de la police comme appareil d’État : il semble incohérent de s’insurger de la répression d’un système que l’on tente d’abattre. Une lecture cohérente de l’appareil policier doit être la suivante : il garantira le droit tant et aussi longtemps qu’il ne se sentira pas menacé et, s’il trébuche, ne serait-ce qu’un instant, il ajustera son logiciel tactique. Nous l’avons vu ailleurs, en France, au Chili, en Grèce, en Serbie et même en Israël : l’ampleur des mouvements de contestations du pouvoir rencontre une réponse à leur hauteur. Et la logique du droit s’adapte simplement à ce mouvement de maintien de la reproduction du capital devant ses cycles de luttes. Rien de nouveau sous le soleil (« Y a-t-il une seule chose dont on dise : Voilà enfin du nouveau ! – Non, cela existait déjà dans les siècles passés »).
Dernier point : sans être cyniques ou désabusés, nous devons observer que le renouveau tactique de la police reste somme toute d’une violence assez modeste. Oui, il s’agit d’un renouveau, mais il s’agit tout de même d’un niveau de répression qui n’égale en rien ce que nous pouvons voir ailleurs ou ce qui avait lieu en 2012/2015.
Qualifier les changements tactiques policiers de « changement de paradigme » semble trompeur, mais le diagnostic du billet reste juste dans l’ensemble : la police est donc maintenant organisée de façon à nous écraser plus simplement et sans minauderie. S’il semble vain de s’en étonner, il reste tout de même pertinent d’analyser les changements de procédures de la police, ne serait-ce que pour l’utiliser comme baromètre de l’état du mouvement social réel. Le baromètre indique ainsi que nous sommes passés d’endormis à assoupis.
Commentaire sur la prescription
La prescription du billet se fonde sur un constat qui devrait être évident à tous : la force vient dans le nombre. Or, nous n’avons pas le nombre. Donc il s’agit du nœud du problème. Difficile de nous imaginer ne pas être intimement convaincus de la nécessité du nombre, peut-être à l’exception d’une poignée de guérilleros anarcho-ninjas, trop agoraphobes pour tolérer l’idée d’une grande foule hétérogène et qui pensent qu’en formant des groupuscules affinitaires aux actions tellement secrètes que personne n’en entend parler, il sera possible d’entrer en résonance miraculeuse avec les moldus, lesquels se retrouveront à être touché par la Sainte Grâce de l’Anarchisme, les poussant alors à trouver eux aussi des amis (i.e. former un groupe affinitaire).
C’est parce qu’avoir raison seul, c’est avoir tort, que la nécessité du nombre s’impose comme une évidence. L’analyse du billet est juste en la matière, ce qui retient le nombre c’est le réflexe presque irréfléchi d’agir : « lorsque nous parlons de sentiment de panique menant à la prise d’action immédiate, nous parlons d’une forme « d’énergie du désespoir », de ce « Il faut faire quelque chose! » que plusieurs d’entre nous ressentent en regardant les nouvelles ou en discutant du contexte politique actuel ». Ce réflexe que décrit le billet est en fait la marque d’une tendance à croire que, devant toute situation, il suffirait de courir en criant avec les bras en l’air, de sauter d’une cause à l’autre, tout opportunistes que nous sommes. Pourtant, ce réflexe nous détache de la certitude sensible, des affects initiaux qui devraient pourtant nous motiver. Ce qu’un nouvel événement finit par avoir d’exceptionnel pour nous, ce n’est plus la situation en elle-même, mais bien qu’elle continue d’entretenir les illusions du volontarisme : avec suffisamment de volonté, nous parviendrons un jour à renverser l’état des choses (« cette fois, c’est la bonne »). Illusions pernicieuses, car le jour où effectivement la bascule pourrait avoir lieu, nous nous gargariserons du faux constat que c’est grâce à notre volontarisme et à notre persévérance que la situation a pu se réaliser, indépendamment des réalités concrètes qui l’ont déterminée.
Si le constat du manque de nombre est évident, car il est la marque de nos échecs, il est aussi la marque d’un problème de perspective, comme regarder le doigt lorsque l’on pointe la lune. La question que se pose le billet est : comment pouvons-nous faire pour mieux rejoindre les gens, afin qu’ils renforcent les effectifs de nos manifestations? Or, peut-être qu’il s’agit d’une mauvaise question. En bref, leur thèse énonce qu’il faudrait se lier aux gens, faire infuser des idées révolutionnaires auprès du petit peuple (cette page vierge qu’il suffirait de remplir), intervenir auprès de larges franges de populations prolétarisées afin de les inviter à grossir les rangs des manifestations et d’ainsi rendre leur combativité plus effective.
Cette thèse laisse transparaitre le caractère aporétique du billet : la primauté de la manifestation et sa fétichisation. Le constat de départ, les manifestations vides et moribondes, ne sont pas prises comme départ d’analyse d’une situation plus grande, mais plutôt comme un problème à résoudre en lui-même, par la force de nos petits bras : les manifestations sont trop petites, comment faire pour élargir les rangs? Mais il s’agit d’un problème d’analyse quant à ce qu’est une manifestation. Lorsque le billet parle des manifestations comme généralité, nous devons nous demander « mais de quelle manifestation parlent-ils? La manifestation de quoi? » Une manifestation est bien la manifestation de quelque chose. Quelque chose se manifeste dans la rue, il ne s’agit pas d’un événement dont nous pourrions simplement remplacer l’étiquette – un jour le logement, le lendemain la Palestine, puis la précarité étudiante. Le consumérisme militant nous éloigne du mouvement réel et dévoile notre insensibilisation aux faits et affects concrets qui meuvent les gens. C’est parce que nous avons tendance à les prendre comme des causes remplaçables et jetables que nous entretenons l’illusion que nous pourrions produire la situation qui servira de brèche finale. Cette position nous condamne à meubler le temps en attendant que se présentent des situations qui, de toute façon, nous dépasseront. Quand le billet cite les manifestations BLM/George Floyd, les Gilets jaunes ou encore les mouvements au Chili (auquel nous pourrions ajouter les mouvements récents de Turquie, de Serbie ou de Grèce), les auteurs oublient que ces mouvements ne sont pas le fait d’organisations de masse, mais bien de mouvements non médiés et somme toute spontanés (au sens d’Henri Simon, c’est-à-dire en contraste avec l’organisation volontaire). Ce sont les contradictions sociales elles-mêmes qui sont productrices de luttes et non une bande d’évangélistes de la révolution qui convaincraient un à un des prolétaires trop abêtis par le capitalisme. En dernière instance, les révolutionnaires, ce sont ceux qui font la révolution. En prétendre autrement, ne pas en prendre acte, c’est déjà se poser comme ceux qui feront le racket de la révolution (l’avant-garde autoproclamée).
Le fétiche de la manifestation, c’est penser qu’il s’agit du centre de nos activités, car la manifestation est la face visible de nos activités (ou un cache-misère), ainsi que la sortie de famille de notre petit milieu autrement occupé à entretenir ses intrigues internes. Ce mode de pensée dévoile son caractère incantatoire que révèle le titre même du billet. Pourtant non, quand on est nombreux.ses, on ne fait pas ce qu’on veut. Car la stratégie de conversion des masses à la révolution en usant de structures autonomes – comme des comités mobs, des syndicats de locataires (mais autonomes du syndicalisme? Il faudra nous expliquer) et autres abstractions organisationnelles – suppose que les gens, le prolétariat, les masses ne sont pas capables d’organisation par eux-mêmes, que nous devrions nous concevoir comme une force extérieure à ces sujets qu’il s’agit d’éduquer pour les mener dans la bonne voie (nos manifestations, semblent penser les auteurs). Pourtant, c’est une erreur de croire qu’il peut s’agir de notre rôle. C’est une enflure que de croire que nous sommes les héros de l’histoire, soit son tout, plutôt qu’une partie dans les forces hétérogènes et contradictoires du corps social en lutte. En prendre acte nous force à nous poser la question simple : qui est ce « on » dont on parle lorsque l’on déclame « quand on est nombreux.se.s, on fait ce qu’on veut »? Qui en fait partie, qui en est exclu? Si l’on marche au côté des syndicats, est-ce qu’ils font partie du « on »? Ou s’agit-il encore de brebis égarées qu’il s’agira de convaincre à coup de tracts, d’organisations autonomes de masse, de réunions ennuyantes, de formations au service d’ordre? Être force de proposition ne veut pas dire devenir majoritaire ; prendre parti pour la révolution ne veut pas dire devenir l’hégémonie.
Conjurer le sort
Au lieu de prendre le problème à l’envers : « comment faire pour ramener du monde dans nos affaires? », renversons-le et prenons-le à l’endroit : « pourquoi personne ne se pointe? ». Lorsque l’on voit que des événements publics comme le camp de formation anarchiste Rafales ou la conférence du 4 avril sur l’action directe de masse sont plus populeux que les manifestations ritualisées comme le 15 mars, c’est peut-être parce que les gens trouvent bien plus de sens dans l’urgence d’un savoir quoi faire que de s’épuiser dans un activisme mécanique qui cherche à faire sans savoir.
La stratégie ne saurait ni être une recette incantatoire qui remet à demain le mouvement réel (une fois que les masses auront été converties dans nos églises autonomes), ni une réduction de l’objet de la stratégie à sa dimension tactique en formant des services d’ordre virils qui, eux au moins, ne fuiraient pas devant la répression. Cette condescendance tactique ne fait que réactualiser nos débats abscons qui reproduisent l’état de stase du milieu révolutionnaire autoproclamé. Ce n’est pas que ces questions n’ont pas d’intérêt, mais plutôt que leur intérêt devrait être adossé à une question plus grande, celle de savoir saisir la situation historique actuelle, sans entretenir l’illusion que nous pouvons, seuls, la produire.
Commentaires fermés sur Qu’est-ce que je fais ici ? Brève d’intention.
Avr162025
Soumission anonyme à MTL Contre-info
Là, sur ce blog. Ailleurs dans les lieux-structures-milieux-campus-groupchats. Un peu partout, éparpillé à essayer de me ramasser entre l’agir et les mots.
Le déclencheur est la question des infrastructures, celles qui parfois achoppent, celles qu’on s’évertue à mettre sur pied pour accueillir, pour recevoir les masses, les ami-es, les complices en crime, le quartier, le prolétariat-en-tant-que-classe, name it
Mais, sans en sentir le besoin pour soi ou en faire une pratique qui nous anime, en les traînant sur nos dos ces grandes coquilles-vides, ne finit-on pas nous-même un peu vides, mort en dedans, à l’image de nos demeures?
Lorsque, dans la maison qu’on s’est fait, ça s’active enfin, qu’on s’occupe de nos affaires, on est souvent surpris-es, parfois choqué-es qu’on les utilise, ces infrastructures. Pourtant, elles étaient faites pour discuter, débattre, vivre dedans. Les proprios s’étonnent que les locataires vivent dans leur logis et que ça ne reste pas propre comme au premier jour.
Ceci pour dire, trop souvent on en reste à l’infra de la structure, aux charpentes et au préfabriqué, laissant le soin à celleux qui viendront, de les investir. Le mot est à propos.
Au soi-disant Québec, friqué-es qu’on est, heureux et heureuses de nos combines, l’argent prend de la place au logis. Les ami-es de France sont par ailleurs souvent surpris-es des moyens dont on dispose.
On nomme ce qu’on fait investissements de temps, d’énergie et d’argent. Des mots disant bien notre conception de nous même comme « ressource humaine », abstraction indéfinie, sans rapports. Ne devrions nous pas plutôt nous poser la question à partir de ce qu’on veut investir, nous, partir de soi au lieu de partir dans les abstractions ?
Alors je tranche.
J’investis ici et je verrai plus tard pour ailleurs. La spéculation, que ce soit l’attente du prochain truc hip, de la prochaine revue ou du prochain mouvement, ça ne me plaît pas. Je ne veux pas en faire une valeur.
Commentaires fermés sur Stablex : Militant-es blessé-es par de la machinerie lourde et des policiers
Avr152025
Soumission anonyme à MTL Contre-info
Tiohtià:ke/Montréal, 13 avril 2025 – C’est avec horreur et indignation que, samedi le 12 avril, un groupe de citoyen-nes préoccupé-es par la destruction des écosystèmes fragiles ont vécu les attaques sauvages de la part d’employés de l’entreprise Stablex et du service de police de la ville de Blainville (SPVB). Alors que Stablex doit amorcer la destruction du boisé convoité pour l’enfouissement de matières dangereuses avant le 15 avril, période après laquelle les activités devront cesser pour préserver la saison de nidification d’espèces menacées, des citoyen-nes se sont rassemblés pour ralentir le travail de l’entreprise. C’est alors que ces militant-es ont été attaqués avec de la machinerie lourde et blessés par des policiers, événements qui sont documentés dans ce vidéo.
Déroulement des faits
Bien que les activistes arrivés vers 9 h du matin se soient assurés d’être visibles par les travailleurs, l’opérateur de la broyeuse forestière a poursuivi son travail. Il a ainsi fait fonctionner les rouleaux de sa tête de broyeuse en dirigeant la machine de façon à propulser les éclats de bois (de 1 à 3 pieds) vers les personnes qui s’avançaient vers lui. Ce comportement de l’opérateur est en violation de toute pratique de sécurité en chantier de construction.
Après avoir été encerclé, l’opérateur a continué à faire tourner les rouleaux au-dessus des gens tout en faisant pivoter la machine sur elle-même à toute vitesse, heurtant par le fait même un des activiste et le projetant au sol. La tête d’une broyeuse forestière est constituée d’un immense rouleau de métal avec des dents entouré de chaînes capables de broyer un arbre en quelques secondes.
La police stationnée en face des machines a assisté à toute la scène sans intervenir. Un autre travailleur a également quitté son chantier pour foncer sur une personne avec son chargeur, malgré la proximité dangereuse des chenilles de la machine et des risques évidents de blessure. Malgré plusieurs demande claires d’arrêter la machinerie de la part des activistes, les travailleurs n’ont pas respecté les codes de chantier en continuant à faire fonctionner leur machinerie.
Pendant ce temps, une jeune étudiante était attachée à une clôture bloquant la route municipale menant vers le chantier. Elle a posé un geste pacifique en ne démontrant aucune agressivité. La police s’est tout de même montré violente physiquement et verbalement.
Les policiers ont mis en danger son intégrité physique en poussant sur la grille, ce qui l’étranglait car elle était retenue par un cadenas de vélo »en U » qui ne lui donnait pas de jeu pour respirer et dont elle n’avait pas la clé. La jeune activiste a donc tenté d’arrêter son étranglement en retenant le cadenas. Les policiers ont alors saisi ses poignets l’empêchant de protéger son cou. Les agents du SPVB ont ensuite utilisé un outil inefficace, des pinces monseigneurs, pour couper le métal épais du cadenas en infligeant des blessures et en causant l’étranglement évident à la personne attachée. Ils ont ensuite ouvert une fente pour se faufiler de l’autre côté, alors qu’il y avait un trou dans la grille à 5 mètres de là, connu de tous.te, en continuant à mettre en danger la personne enchainée.
Ils/elles ont ouvert et fermé la grille à plusieurs reprises étranglant à chaque fois la personne. Cela, malgré les hurlements et les demandes répétées de la personne enchainée à la clôture.
Quel texte malhonnête et intéressé. C’est surprenant et décevant, et il y a plein de choses qui méritent une réponse, mais je vais me concentrer que sur quelques aspects.
1) Vous utilisez un langage incroyablement flou, mais chargé pour décrire le conflit au sein du collectif du Salon du livre et il s’agit d’une mystification délibérée. Vous cherchez à nous faire croire que quelque chose de vraiment nuisible ait eu lieu et non quelque chose qui vous fait paraître bête comme, par exemple, des membres de votre collectif se révélant incapables de gérer un désaccord autour de votre décision d’interdire les cartes de tarot au Salon du livre en 2023.
Pour dissimuler ce fait essentiel – que certaines personnes ont piqué une crise quand d’autres ne se sont pas contentés d’accepter leur affirmation que le tarot représente une appropriation culturelle –, vous parlez de « comportements fondés sur la logique de la suprématie blanche ». Oui, les questions identitaires sont souvent difficiles et les désaccords en lien avec les idées peuvent être stressants, mais faire passer pour l’antiracisme votre tentative de faire taire les critiques est un commentaire déprimant sur l’état de l’espace anarchiste.
2) Vous n’êtes pas propriétaire du Salon du livre. Il a été organisé par plein de gens différents au fil du temps et il a besoin de plein de contributions différentes pour réussir. Vous avez choisi d’utiliser l’argent nécessaire pour le Salon du livre sur la médiation pour chercher à « tenir pour responsables » les personnes qui étaient en désaccord avec vous au sujet du tarot au lieu d’organiser un salon du livre, et d’autres personnes ont pris le relai pour le réaliser. Et elles ont fait du bon boulot. Qu’elles ont voulu organiser de nouveau Constellation cette année est tout à fait normal, surtout lorsqu’on tient compte du fait qu’il vous a fallu 18 mois pour nous dire la véritable raison pour laquelle vous avez essayé d’annuler le Salon du livre en 2024. Et que faites-vous? Est-ce que vous appuyez leur initiative? Est-ce que vous vous rendez compte qu’on n’a pas besoin de votre collectif pour l’instant et passez à autre chose? Non – vous choisissez d’organiser votre propre événement et d’annoncer que vous allez faire concurrence à Constellation pour leur tranche de temps l’année prochaine. Tout à fait bizarre.
3) Votre discours sur la communauté et le besoin d’en prendre soin a l’air plutôt creux dans un texte qui n’est qu’un règlement de comptes – et ce sont des mots irrémédiablement flous dans le meilleur des cas. Vous n’offrez rien sur le plan des idées pour différencier un événement organisé par votre collectif et en place vous ne faites qu’énumérer la race, la religion et l’ethnie des membres de votre collectif. Il s’agit de la pire forme des politiques identitaires, où l’identité a entièrement pris la place des idées. Si de vagues banalités et de faibles politiques identitaires sont ce que représente votre collectif – après avoir pris un an et demi pour décider ce qui vous distingue –, c’est difficile de voir la valeur de l’événement que vous proposez. Ceci est autant plus vrai que vous dites plus ou moins que vous allez vous battre avec un autre collectif pour prendre leur projet. J’ai du mal à voir votre tentative de reprendre le salon du livre autrement que comme égoïste.
Vous devez supprimer votre texte puis prendre le temps de réfléchir à comment il vous est arrivé de publier un truc pareil.
Commentaires fermés sur « Quand on est nombreux.se.s, on fait ce qu’on veut » Analyses et propositions à partir de la séquence de manifs actuelles
Avr102025
Soumission anonyme à MTL Contre-info
Manif contre la brutalité policière du 15 mars, Manif contre la loi sur le flânage dans le métro du 28 mars, Manif de la Vengeance Trans le 31 mars : Pourquoi est-ce que les nombreuses manifestations combatives annoncées récemment se sont soldées par un écrasement policier brutal ?
Nous décidons d’écrire ce texte en ce moment, car nous constatons qu’un sentiment de frustration est partagé chez plusieurs personnes et nous souhaitons profiter de ces multiples expériences d’échec pour mieux comprendre la situation politique dans laquelle nous nous trouvons collectivement en tant que mouvement révolutionnaire. De cette réflexion, nous tentons d’identifier des tâches politiques à mener qui nous permettraient d’envisager une sortie de cet état d’impuissance. C’est le travail politique fondamentale de consolidation d’une force collective à travers l’intervention et la mobilisation autonome qui est notre tâche principale pour se rendre capable de mieux tenir tête aux chiens de garde de l’État et du capital en contexte de manifs. Nous ne souhaitons pas créer des conflits polémiques inutiles, la tradition gauchiste par excellence, ou viser des individus/groupes en particulier, mais plutôt mettre sur la table des réflexions concrètes sur nos lacunes en tant que militant-e-s et mouvement révolutionnaire par rapport au contexte de la politique de rue.
Situation actuelle
Force est de constater que le paradigme d’intervention du SPVM dans les manifestations plus « radicales » ou « combatives » s’est modifié significativement dans les dernières années. À travers des échanges avec d’autres camarades, nous arrivons à la conclusion que, entre le changement de leadership se voulant pacificateur au SPVM et les compensations monétaires liées aux arrestations illégales de 2012 et 2015, l’antiémeute avait fait le choix d’adopter une attitude de laissez-faire presque laxiste entre 2022 et 2024, priorisant les interventions ciblées plutôt que la dispersion de masse. Ainsi, les 15 mars 2023 et 2024 s’étaient dispersés par eux-mêmes, les quelques arrestations répertoriées visant souvent des personnes spécifiques et facilement identifiables. Ironiquement, cette tactique fonctionnait relativement bien pour la police : en l’absence d’escalade et de confrontation, la manifestation se limitait souvent à de légers dégâts matériels, au grand bonheur des vitriers, et finissait par se disperser dans un métro, sans que l’antiémeute ait besoin d’effectuer des interventions plus risquées ou d’utiliser leurs jouets qui, rappelons-le, sont tout de même dispendieux.
Cependant, nous croyons que nous assistons actuellement à un changement de paradigme. Il ne semble pas déraisonnable d’affirmer que cette escalade de répression a commencée pendant l’été des campements pro-Palestine. Face à la pression politique, l’attitude de la police s’est durcie, particulièrement lors des manifestations dans les alentours des campements à l’UQAM et à McGill. Lors des confrontations, parfois hors du contexte de manifestation, les forces policières se montrent particulièrement agressives, bousculant les militant-e-s, faisant bon usage de leur stock de poivre de cayenne et tentant d’arrêter, parfois de façon complètement aléatoire, des militant-e-s. Dans ce contexte, les camarades impliqué-e-s dans les campements ont réagi-e-s comme iels le pouvaient, avec des degrés variables de réussite.
Si la police n’a pas cessé d’employer des tactiques de plus en plus répressives, un moment en particulier marque, pour nous, un tournant dans l’approche qu’adoptera le SPVM dans les événements subséquents : la manifestation du 22 novembre contre l’OTAN. En guise de rappel, pendant le trajet, une escouade de policiers antiémeute s’était retrouvée aspergée de peinture rose, les mettant effectivement hors d’état de nuire pour le reste de la manifestation. Ce qui s’en est suivi est un échec lamentable des forces du SPVM, prises par surprise, à contrôler la foule, accordant ainsi un moment d’impunité aux camarades qui souhaitaient s’adonner à l’art urbain. Les réactions médiatiques des jours suivants ont aussi été considérables en comparaison avec le reste des manifestations que nous avons connues dans les dernières années : dénonciations publiques, appels aux arrestations et menaces de procédures judiciaires de la part de politicien-ne-s au municipal, provincial et fédéral.
Depuis, l’heure de la récréation est terminée : la police a cessé de nous faire croire que nous avions une capacité de contrôle dans la rue, et ses interventions dans les récentes manifestations témoignent de l’ampleur de la pression politique qui lui a été imposée suite aux événements du 22 novembre. Même 4 mois plus tard, lors des rassemblements précédant les manifestations, ils arpentent la foule en indiquant à leurs sous-fifres de repérer celleux dont l’équipement serait encore tâché de peinture rose, maintenant symbole de leur humiliation et marqueur des fauteurs de troubles. Nous en profitons d’ailleurs pour rappeler aux camarades que, si iels utilisent encore de l’équipement sali par leurs récentes promenades, il serait plus que temps de le remplacer.
Nous en arrivons donc à la situation actuelle : Lors des manifestations du 15 mars (Contre la brutalité policière), du 28 mars (Contre la nouvelle loi anti-flânage dans le métro) et du 31 mars (Journée de la Revanche Trans), la police a fait preuve d’une intransigeance et d’une agressivité que nous n’avions pas vu depuis un moment. Pourtant, ces manifs se voulaient combatives, circulant des images, des messages et des slogans appelant à la radicalité, l’action directe, voire la confrontation violente avec l’État. Nous considérons que nous n’avons pas été à la hauteur de cette publicité. Les effectifs policiers étaient plus nombreux que d’habitude, et incluaient souvent des polices montées ainsi que plusieurs escouades d’antiémeutes. Avant le début du trajet, ils circulent dans la foule, filment les camarades qui se changent, tentent de retirer tout objet obstruant leur vision, dont les bannières, s’adonnent à une provocation presque troll et nuisent à la composition d’un groupe compacte et anonyme de manifestant-e-s. Comme mentionné précédemment, ils en profitent aussi pour identifier les personnes qu’ils jugent susceptibles de commettre des méfaits, dont celles ayant des marques de peinture rose ou de l’équipement témoignant d’une préparation à la confrontation (cagoule, masque à gaz, casque, etc). Du moment que nous prenons la rue, c’est l’intimidation qui est de mise. La manifestation est immédiatement encerclée par des cordons d’antiémeutes. Les agents en profitent pour tenter de provoquer la confrontation en pointant des lumières dans la foule, en arrachant du matériel (bannières, parapluies, etc), en bousculant et en criant après les manifestant-e-s. Bien sûr, ces tactiques ne sont nullement nouvelles, mais force est de constater qu’elles sont appliquées avec plus d’intensité et de fréquence. Puis, à la moindre confrontation, ou, dans le cas du 31 mars, lors d’un léger débordement, all hell breaks loose : nos camarades se font asperger de poivre et de gaz, se font matraquer, bousculer et jeter par terre avec une agressivité qui, si elle n’est pas inattendue de la part de la police, contraste nettement avec l’attitude relativement calme des dernières années. Face à cette violence, il nous apparaît souvent impossible de résister, et nos manifestations se soldent par des échecs cuisants ainsi que par des situations choquantes et dangereuses pour nos camarades.
Le contrecoup de ces manifestations, même en dehors des blessures physiques, nous le constatons dans nos discussions avec nos camarades : frustration, colère, démotivation et peur. Nous-mêmes nous sentons angoissé.e.s face à la situation, qui ne fait qu’alimenter le sentiment d’impuissance ambiant. En effet, dans un contexte politique particulièrement déprimant de crise du capitalisme et de montée de l’extrême droite, l’escalade de la répression policière n’est qu’un autre élément qui peut contribuer à notre déprime généralisée.
Cependant, nous ne voulons pas nous résoudre à cette impuissance, et nous savons que ces sentiments de démotivation et de panique, bien qu’ils soient compréhensibles dans la situation actuelle, ne peuvent pas être vecteurs d’action politique stratégique. D’un côté, l’impuissance nous démobilise et, de l’autre, la panique nous pousse à prendre des décisions sur un coup de tête, sans s’attarder aux conséquences ou aux perspectives stratégiques. Nous ne voulons d’aucune de ces options. C’est pourquoi nous écrivons aujourd’hui : parce que nous pensons que de cette colère doit émerger des perspectives de lutte et d’action nouvelle pour les révolutionnaires.
Ce qui suit sont des pistes de réflexions et d’orientations futures que nous proposons aux mouvements d’extrême-gauche montréalais, dans l’espoir celles-ci alimenteront les discussions et, qui sait, modifierons les pratiques pour combattre les causes profondes de notre difficulté actuelle à résister à la nouvelle stratégie d’intimidation et de répression du SPVM.
La pauvreté des effectifs
Lorsque nous parlons de sentiment de panique menant à la prise d’action immédiate, nous parlons d’une forme « d’énergie du désespoir », de ce « Il faut faire quelque chose! » que plusieurs d’entre nous ressentent en regardant les nouvelles ou en discutant du contexte politique actuel. Cette fuite vers l’avant est, selon nous, en partie responsable de la débandade des dernières manifs : des organisations ou des individus, plongé.e.s dans l’angoisse et le désespoir face à la situation désastreuse actuelle, en appellent à des rassemblements et des actions immédiates, en assumant qu’une foule se formera par elle-même le jour venu. Et si ce n’est pas le cas, ce n’est pas grave, nous prendrons tout de même la rue. Bon, nous caricaturons légèrement, mais le résultat reste le même : des manifestations diffusées comme étant combatives se retrouvent avec des effectifs de maximum 300 personnes, une foule facilement contrôlée et réprimée par les tactiques du SPVM, où les actions sont pratiquement impossibles ou hautement risquées, et où la répression est violente.
Allons droit au but. Pour nous, le premier facteur permettant de tenir tête aux chiens de garde du capital en manifestation, c’est le nombre. Nous n’arrivons pas à rallier un nombre suffisamment important de personnes dans la rue avec nos appels combatifs à manifester. Il n’y a pas de substitut technique artificiel au nombre, c’est cela qui nous donne notre force dans la rue. C’est cette évidence qu’on constate aux premiers regards portés sur toutes les grandes vagues de manifestations combatives en général, par exemple le mouvement des gilets jaunes en France en 2019, la vague de manifs au Chili en 2019-2020 contre le coût de la vie, le mouvement Black Lives Matter aux États-Unis après l’assassinat de George Floyd en 2020 et la liste pourrait continuer bien plus longtemps. En analysant le nouveau paradigme d’intervention du SPVM, il nous apparait évident que leurs tactiques d’encerclement, de bousculade et de séparation du cortège ne fonctionneraient pas aussi bien avec une plus grande foule, minimalement à partir de 1000 personnes. Dans ce contexte, les forces policières n’auraient pas d’autre choix que de revoir leur stratégie, changeant la disposition des unités, et créant ainsi des zones d’anonymité facilitant la tenue d’actions collectives.
Si nous observons que le nombre actuel de manifestant-e-s dans des événements combatifs est encore trop bas, nous devons alors aussi réfléchir à comment combattre cette situation. Cette question nous plonge directement au coeur de la question de la stratégie révolutionnaire. Selon nous, la tâche fondamentale, première et urgente des révolutionnaires dans la situation présente, est de travailler à se lier avec une plus grande part de la population à travers des luttes et de la solidarité concrète en autonomie des appareils existants et infusé d’idées révolutionnaires, constituant ainsi avec nous une masse de personnes prêtes notamment à participer à ces manifestations ouvertement combatives. La massification des manifs implique donc un travail préalable et plus fondamental d’intervention, de mobilisation et de liaison. C’est ce travail qui devrait, dans la situation présente, être la priorité absolue de la majorité des militant.e.s révolutionnaires qui constatent avec nous la nécessité vitale d’élargir nos rangs pour constituer une puissance autonome massive réellement menaçante pour l’État. Les manifs combatives, en tant que tactique utilisée lorsque pertinentes et non en tant que finalité en soi, n’ont de sens et de pertinence que si elles sont capables de rassembler des masses importantes de personnes prêtes à soutenir un rapport de force avec le dispositif policier.
Précisons rapidement comment nous concevons ce travail de massification. Il s’agit de se concentrer principalement sur un travail concret d’intervention auprès de larges franges de la population dans des secteurs sociaux capitalistes à forte concentration prolétarienne tels que le logement, le travail et certains milieux étudiants à travers des luttes et pratiques de solidarités menées à partir de structures autonomes des appareils de pacifications existants (notamment les syndicats, partis parlementaires bourgeois, comité logement, etc.) dans lesquels peut être diffusé un horizon politique révolutionnaire. Nous devons cesser d’entretenir notre isolation du reste de la population qui aurait un intérêt et un potentiel à une perspective révolutionnaire, des autres prolétaires, pauvres et opprimés comme nous qui ont tout a gagné de la construction d’une puissance politique autonome pour le renversement du capitalisme.
La forme que doivent prendre les structures autonomes de masse que nous mentionnons, par et dans lesquelles il serait possible de rallier de large nombre de personnes, importe peu : ça peut être un comité de base dans un lieu de travail (en marge du syndicat), un conseil de lutte de locataires dans un quartier populaire (en marge des groupes communautaires et comité logement), un comité de mobilisation ou de lutte sur un campus étudiant (en marge des associations étudiantes). L’essentiel est que nous devons développer notre contact avec des gens, pour constituer autour de nous le plus grand réseau possible de personnes prêtes à supporter notre discours et répondre à des appels à l’action et à la manifestation. Ce travail n’est pas facile ou simple. Depuis plusieurs mois, des camarades révolutionnaires s’impliquant dans diverses organisations créent des liens, à travers les discussions et les actions de solidarité, avec ces personnes que nos milieux peinent souvent à rejoindre. Nous saluons ce travail, et souhaitons souligner que c’est là que nous pouvons trouver une force numérique future. Nous ne voulons pas faire de l’entrisme ou manipuler politiquement les gens : nous sommes clair-e-s sur nos positions politiques et sur notre perspective révolutionnaire. Mais nous n’avons pas besoin de faire preuve de sournoiserie pour convaincre du bien-fondé de notre colère et de notre lutte.
Si le travail de liaison est déjà entamé, il faut l’accélérer. Multiplions les actions de solidarité, pas parce que nous considérons que ces personnes sont de pauvres victimes, mais parce que ce sont des personnes de notre classe, et que de leur apporter support, c’est mener la guerre de classe. C’est de cette solidarité que peut émerger la politisation, et qui nous permettra, dans le futur, de rassembler un nombre plus conséquent de personnes lors de manifestations ouvertement radicales.
Préparation & tactiques en manifestation
Nous identifions une deuxième faiblesse de nos rassemblements dans le manque d’entraînement et de planification en ce qui a trait à la sécurité collective et les tactiques défensives et offensives en manifestation. Nous ne souhaitons pas viser ou blâmer des individus, mais simplement souligner que, souvent, nos contingents manquent de cohésion et de préparation face aux offensives policières. Si nous étions mieux préparé-e-s et entrainé-e-s, la police aurait plus de difficulté, par exemple, à séparer la manifestation afin de réprimer les éléments radicaux. Et même si elle y arrivait, une masse de gens doté.e.s de réflexes stratégiques pourrait utiliser ce moment pour répliquer en l’absence de cordons d’anti-émeutes. Se préparer à une manifestation, ce n’est pas seulement s’habiller en noir ou choisir son équipement, c’est aussi se pratiquer à former des lignes face à la police, apprendre à manier des bannières de manière stratégique, se préparer à exercer une solidarité physique avec ses camarades, connu-e-s ou non, lors de moments de répression violente, et coordonner stratégiquement des petits groupes qui seront prêts à (littéralement) se serrer les coudes le moment venu. En somme, nous pensons que nos mouvements, et cela nous inclut, manquent de savoir-faire pratique combatif. Il nous semble inefficace de continuer à planifier des actions individuelles offensives en l’absence quasi totale de capacité défensive collective. Nos tactiques de manifestations ne peuvent pas uniquement se résumer à briser des choses et humilier momentanément la police, surtout si nous sommes incapables de nous défendre par la suite.
Cette insistance sur la formation à la pratique de rue pose notamment la question du service d’ordre. Bien que ce ne soit pas une solution magique, nous croyons qu’il faut prendre au sérieux la question du service d’ordre, comme instrument d’autodéfense dans la rue, qui permet de coordonner à travers une direction centrale un large nombre de personnes acceptant le face-à-face violent avec la police. Il faut que ces structures de service d’ordre puissent être critiquées, il faut que celles-ci soient unies avec le reste de la manif et il faut que celles-ci soit au service de la lutte et son intensification avant tout, mais ces structures peuvent être intéressantes et doivent être réfléchies pour les essayer dans notre contexte. Celles-ci peuvent êtres appliquées dans le cadre de contingents larges d’une ou des organisations s’étant concertées d’avance pour établir un service d’ordre avec des responsables qui pourront êtres critiquées a posteriori si leur agissement ont été critiquables. La police est organisée pour produire de la violence, si nous voulons résister et contre-attaquer, nous devons l’être aussi.
Au contraire, face à la répression, la plupart des gens, incluants celleux qui arrivent lourdement équipés (casque, cagoule, lunettes de ski, full bloc), fuient. Il est normal de quitter si on n’est pas confortable, mais, dans ce cas, pourquoi arriver équipé-e comme si on se préparait à la guerre civile ? Nous ne pouvons nous empêcher d’éprouver une certaine frustration envers ces comportements, qui relèvent souvent d’une certaine performance de la radicalité qui se dégonflent du moment que la confrontation arrive. Nous ne demandons évidemment pas à toutes les personnes en manifestation d’être prêtes à en venir au corps-à-corps avec la police ; nous demandons seulement aux personnes qui se présentent en manifestation habillées comme si elles étaient prêtes à la confrontation de l’être réellement. Il en va de même pour certaines tactiques considérées plus confrontationnelles ou radicales, mais qui ne sont ajustées ni à notre contexte, ni à nos capacités, et qui ne semblent pas s’inscrire dans l’atteinte d’un objectif stratégique. À quoi sert une bannière renforcée d’un mètre et demi s’il n’y a rien à défendre et que nous sommes incapables de répliquer face à la police ? Malheureusement, elle ne sert qu’à créer une cible visible pour les policiers, qui se feront un plaisir de brutaliser ses porteur-se-s. Ces initiatives peuvent être utiles dans certains contextes, mais, comme toutes les tactiques, elles doivent s’inscrire dans une stratégie réfléchie, pas seulement dans une image de radicalité que nous ne pouvons pas maintenir.
En s’entraînant et en développant de réelles stratégies défensives et offensives face à la répression policière, nous renforçons notre force collective, et nous sommes plus susceptibles de pouvoir protéger les camarades les plus vulnérables d’entre nous. En sommes, nous nous montrons à la hauteur de nos principes de solidarité et de nos affiches qui promettent des chars de flics en feu.
La formation pour les manifestations devrait être comme tout le reste de notre militantisme : aussi pratique que théorique. Elle ne devrait pas se résumer à une liste d’items pour un black bloc, ni à un guide de défense légale (même si ces ressources sont parfois très utiles!). Plusieurs groupes organisent des formations pratiques avant et pendant la saison des manifestations, mais le nombre de participant-e-s y reste restreint. Personne n’est au-dessus de la formation pratique, peu importe leur expérience. Qu’attendons-nous pour nous entraîner à résister à la police ? Si leur attitude est déjà violente, elle n’est pas pour autant à son paroxysme. Ils sont en train de gagner, et ils le savent. N’attendons pas d’être complètement dépassé-e-s par la situation pour répliquer stratégiquement, et pas qu’avec de la peinture.
Des révolutionnaires en lutte dans le logement, les enjeux trans et les milieux étudiants Avril 2025
Commentaires fermés sur La police continue de tuer, abolissons-la maintenant !
Avr102025
Soumission anonyme à MTL Contre-info
Communiqué des organisatrices de la vigile en l’honneur des trois personnes tuées par la police entre le 29 et le 30 mars 2025 au soi-disant Québec
La police continue de tuer, abolition maintenant !
Lors de la fin de semaine du 29-30 mars 2025, trois personnes ont perdu la vie aux mains des forces policières au Québec, Abisay Cruz et deux autres personnes dont nous ignorons encore le nom. Cette vigile est d’abord un temps pour offrir nos condoléances et prêter nos forces à la famille et aux proches. Nous nous réunissons afin d’exiger une justice pour les personnes tuées par la police. Ces personnes ont droit à la reconnaissance de leur vie, de leur histoire et de leur humanité. Nous ne laisserons pas les médias, la classe dirigeante ou la police les dépeindre autrement que comme des personnes méritant la vie et notre soutien.
Selon les informations diffusées par la famille d’une des victimes et en lisant entre les lignes des communiqués — remplis d’euphémismes — du Bureau d’enquête indépendant (BEI), on comprend que le Service de police de Montréal (SPVM) a encore une fois usé de la force illégitime et du permis de tuer que lui accorde l’État. La police a reçu un appel concernant une personne en détresse et a réagi avec les outils dont elle dispose : elle a menotté l’homme en détresse, Abisay, et l’a plaqué au sol avec son genou alors qu’il luttait visiblement pour respirer.
Nous devons commencer par reconnaitre que la police s’ancre dans un héritage sanglant : elle repose sur des systèmes d’oppressions et d’exploitation colonialistes, capitalistes, racistes, sexistes et transphobes. Historiquement, elle a servi — et continue de servir — à contrôler autant le corps que les mouvements de résistances des populations autochtones, noires et racisées. La police ne répond pas aux besoins de la société : elle surveille nos quartiers et maintient les plus vulnérables d’entre nous dans des cycles de précarité en ciblant, judiciarisant et brutalisant des communautés historiquement opprimées. Elle préserve en même temps une forme de confort en déresponsabilisant le reste de la société de la nécessité de partager les ressources et de prendre soin collectivement. La police dira que cette surveillance, ce contrôle et cette violence sont aberrants – ils se produisent rarement et accidentellement – ou qu’ils sont nécessaires pour protéger la société. Mais la violence est l’outil de la police – c’est sa spécialité et sa raison d’être.
Et la police ne protège pas : la police produit et entretient des discours qui légitiment son usage de la violence — une violence présenté comme nécessaire pour “gérer des situations” et pour punir les personnes construites comme criminelles. La police n’intervient pas : elle arrive sur les lieux, et nie aux personnes la reconnaissance de leurs histoires et leur refuse toute forme d’agentivité. Pour elle, ces personnes sont perçues comme criminelles, dangereuse ou sans importance. Elles peuvent réagir à une personne en détresse en l’immobilisant, en contenant le « danger » ou en ne réagissant pas du tout.
La police ne réfléchit pas : elle ne cherche pas à comprendre ou à remettre en question ce qu’elle qualifie de criminel. Elle laisse la classe dominante, les capitalistes et les systèmes colonialistes le rôle de le définir au détriment du bien-être des communautés.
La police ne prévient pas : elle aggrave les épisodes de violence. Elle mobilise la force contre les communautés racisées, les personnes en situation d’itinérance, les personnes vivant avec des enjeux de santé mentale et les autres communautés précarisées. La police ne désescalade pas et ne pourra jamais le faire : elle détient le monopole de la violence — une violence, encore une fois, légitimisée par l’État, une violence amplifiée par un budget sans cesse croissant, par des technologies toujours plus violentes.
La police n’est jamais punie : elle se protège en blâmant les victimes, et en utilisant à leur avantage la dichotomie bonnes et des mauvaises personnes.
La police punit, contrôle, bât et déshumanise. La police tue.
La police ne pourra pas être réformée : on a bien vu que la « police communautaire », implantée dans les année 1980s, a été un échec sur toute la ligne et que tous les changements demandés dans les dernières années n’ont pas porté fruit. La police continue de se servir de contexte de précarité grandissant afin de s’accaparer nos ressources collectives pour grossir toujours plus son budget, ses effectifs et son pouvoir. Le problème, ce ne sont pas les cas isolés, c’est la police dans son semble. C’est le système qui légitimise et perpétue sa violence.
Nous refusons de voir la police comme un mal nécessaire. La police est une des formes de violences les plus profondes de notre société. Nous ne serons jamais capable de médier et de prévenir la violence si nous ne reconnaissons pas ce fait et que nous ne l’abolissons pas. Nous revendiquons des alternatives dès maintenant. Nous réclamons l’abolition de l’institution policière. Nous nous devons d’imaginer un monde sans police. Un monde où nous nous redonnerons les capacités d’offrir des soins, de prévenir la violence et d’intervenir en garantissant la sécurité de nos communautés. Un monde où les communautés sont fortes de leur solidarité, de leur partage des ressources et de leur remise en question continuelle de leurs interventions. Un monde qui redéfinira la justice comme permettant aux personnes de changer, qui s’inspirera de la justice transformatrice. Un monde qui traitera la suprématie blanche avec tout le sérieux nécessaire à sa destruction.
Nous appelons toutes personnes ayant à cœur la réelle protection des communautés de lutter activement pour ce monde. Ce ne sont pas des bodycams ou d’autres énièmes reformes qui nous y mèneront, mais la lutte, l’entraide que l’on s’offre et les liens que nous créons sans et contre les violences policières.
Repose en paix Abisay Cruz.
Reposez en paix tous ceux qui ont péri aux mains de la police.