Un événement d’une tristesse sans nom est survenu vendredi dernier, 10 septembre, lorsqu’une personne s’est immolée devant des policiers dans un stationnement en face du palais de justice au centre-ville de Chicoutimi. Une tragédie qui, dans certaines villes, aurait engendré des émeutes bien méritées contre les pouvoirs en place. Comme un rappel que nous sommes tanné.e.s de crever dans ce système pourri. La personne en question, dont le but ici n’est pas de faire sa biographie et de coller des intentions sur son acte, connu pour avoir fréquenté dernièrement la Maison des sans-abri, est maintenant dans un état stable à l’hôpital de Chicoutimi malgré les graves brûlures qu’elle a subies.
Cet événement tragique reflète la réalité qui règne au centre-ville depuis plusieurs années. Dans le quartier le plus défavorisé de Chicoutimi, la situation se dégrade de plus en plus pour les moins nantis, engendrant une détresse devenue insupportable pour plusieurs. Des maisons de chambres qui passent au feu mettant à la rue des personnes déjà proche d’y vivre, le manque de ressources et la difficulté d’accéder aux services en santé mentale, une offre alimentaire bien limitée, une répression toujours plus présente avec l’augmentation des patrouilles policières et l’embourgeoisement du centre-ville qui amène des entreprises privées et des restaurants « chics, branchés » avec des menus très dispendieux, et en plus de cela, les initiatives mises en place pour aider les plus démunis manquent cruellement de ressources et ne parviennent pas à aider efficacement toutes les personnes [1] qui en ont besoin et qui vont chercher cette aide précieuse (ex : Travail de rue, Café-Jeunesse, etc.). Pour les politiciens locaux, c’est comme-ci personne ne vivait au centre-ville ou bien celles qui l’habitent sont perçues comme un problème à régler, une entrave au développement du quartier. Ce territoire vierge est un terrain de jeu qu’ils peuvent modeler comme bon leur semble. Commerces, restaurants et stationnements, voilà ce qui pousse comme des champignons au centre-ville. La seule fois où les élus ont eu l’air de comprendre que des gens vivent dans le quartier, c’est quand ils ont déplacé le poste de police au centre-ville afin de « sécuriser » la place dans le but d’attirer des entrepreneurs.
En 2015, peu de temps après l’implantation du nouveau poste de flics, Karine Potvin, propriétaire de l’École musicale du 94 rue Jacques-Cartier Est et qui était à l’époque administratrice de l’Association des centres-villes, résumait bien la situation (sans le vouloir) dans Horizon commerce, le Bulletin commercial de Promotion Saguenay : « Les gens d’affaires et les habitants du quartier commencent tout juste à s’approprier leur nouvel environnement après plusieurs années d’incertitude. Au début, ils se disaient que c’était trop beau pour être vrai! Ils sont d’autant plus satisfaits et confiants qu’ils constatent que le niveau de sécurité a connu une amélioration fulgurante avec l’implantation du poste de police. ». Le pauvre, on le traque, on le cache, car il faut nettoyer le quartier des indésirables. Mais les gens ne disparaissent pas et les problèmes sont transportés ailleurs, comme dans le quartier Saint-Paul (pas très loin du centre-ville) où de plus en plus de personnes pauvres se réfugient, étant chassé du centre-ville soit par la répression ou le manque de logements abordables engendré, entre autres, par les maisons de chambres qui ont passé au feu mais qui n’ont pas été reconstruites.
Toutefois, il ne faut pas se méprendre. Les politiciens et les politiciennes sont bien au courant des problématiques de pauvreté au centre-ville de Chicoutimi. Ils/elles voient passer les études comme tout le monde. S’ils/elles ne font rien, c’est par ce qu’ils/elles veulent, c’est défendre leurs intérêts et aider les gens de leur classe sociale, les entrepreneurs, les propriétaires et les investisseurs. Rappelons que bien des politiciens locaux, Simon-Olivier Côté en tête (conseiller municipal au centre-ville), sont eux-mêmes des entrepreneurs et des propriétaires de commerces et de logements. C’est la lutte des classes en action. Il n’y a donc rien à attendre des élus, jamais ils ne viendront réellement en aide aux pauvres. Ils feront quelques concessions quand la situation sera devenue intenable, 2-3 miettes lancées par terre qui les feront passer pour de bons samaritains. S’il faut encore s’en convaincre, simplement lire ce qui suit…
10 millions de dollars pour un quartier numérique au centre-ville de Chicoutimi
Sous l’administration de Jean Tremblay, les élus voulaient faire du centre-ville un quartier des affaires. Maintenant, avec Josée Néron, c’est au tour du quartier numérique! Un nouveau branding bien vendeur et propre. « Le ministère de l’Économie et de l’Innovation, qui avait déjà annoncé cette enveloppe de 10 M$, s’est dit heureux de ce pas important dans la revitalisation du centre-ville de Chicoutimi. », peut-on lire dans un article du journal Le Quotidien [2]. Pour les politiciens au pouvoir (autant au régional qu’au provincial), la revitalisation du quartier passe par l’injection de millions afin d’attirer des entreprises et non pas par des mesures sociales qui viendraient aider plusieurs centaines de personnes qui habitent le quartier (!!) à s’extirper de la pauvreté. Quand ils annoncent sourire aux lèvres la revitalisation du centre-ville, ils supposent que l’on habite un quartier qui a perdu sa force vitale et là-dessus, ils ne se trompent pas. Mais s’il faut revitaliser le quartier, c’est via des mesures sociales qu’il faut le faire. On crève au centre-ville. On ne crève pas du manque de stationnements ou du manque de jeunes professionnels friqués du domaine du numérique (de toute façon, nous les paumé.e.s, on ne peut pratiquement pas se payer de voiture ou d’ordinateur). On crève de faim, on crève de chaud, frappés par un char, de violence conjugale, on crève d’overdose, on crève de misère. Comme les études, les statistiques et les cris du cœur des organismes communautaires du quartier ne suffisaient pas à le faire comprendre, maintenait une personne s’immole sur la rue Racine, peut-on être plus clair?
À terme, ce nouveau quartier numérique pourrait même devenir une zone d’innovation : « Confirmées par le gouvernement Legault à la fin de l’automne 2020, les zones d’innovation seront en quelque sorte des parcs industriels nouveau genre, qui vise à stimuler les projets de recherche appliquée entre les grandes entreprises et celles qui sont en démarrage. » [3]. Un parc industriel « nouveau genre », en plein ce dont les personnes pauvres ont besoin!
Il est évident que les changements vont venir d’en bas, c’est-à-dire des personnes qui vivent ces injustices et les organisations de base qui militent jour après jour sur le terrain pour l’amélioration des conditions de vie des gens du quartier. Il faut s’organiser entre laissés-pour-compte, se rencontrer, discuter et créer nos propres alternatives qui vont nous permettre d’améliorer nos vies et de combler nos besoins. Mettons en place un rapport de forces avec lequel nous serons capables de lutter contre ceux et celles qui profitent de notre misère; les politiciens, les propriétaires et les entrepreneurs véreux!
Un travailleur précaire qui vit et travaille au centre-ville de Chicoutimi depuis une décennie
1. Certaines personnes ne peuvent pas recevoir de dépannage alimentaire par manque de ressources.
Le Québec est en train de mettre en place, pour les prochains jours, un système de passeport vaccinal et l’Ontario va probablement faire de même. Le pass est un document confirmant votre identité et votre statut vaccinal, qu’il faudra présenter pour accéder à de nombreux endroits. Pas un jour ne passe ici sans qu’il y ait une avalanche de lettres ouvertes et de messages sur les réseaux sociaux demandant l’obligation de montrer un pass pour se déplacer en la ville, avec chaque travailleur.euse qui se verrait donc attribuer une fonction de flic.
J’ai été entièrement vacciné.e dès que ça a été possible pour moi et tou.te.s mes proches ont fait pareil. Cependant, je pense que le pass vaccinal est quelque chose d’abject et que ceux/celles qui le recommandent commettent une grave erreur.
Le choix de ma bande de se faire vacciner n’était qu’un des résultats des discussions en cours sur la façon de se rapporter à la santé collective pendant la pandémie. Nous n’avons pas obéi aux mesures de confinement ou aux règles relatives aux rassemblements – nous avons établi nos propres lignes de conduite, sur la base de nos propres considérations éthiques, politiques et pratiques. Nous avons posé une question différente. Parfois, cela nous a conduit.e.s à être plus prudent.e.s que ce que la loi permettait, parfois cela a signifié enfreindre les règles. Nous étions loin d’être les seul.e.s dans ce cas et je sais que mon cercle de proches a bénéficié des discussions d’autres personnes.
La pandémie a été quelque chose d’unique dans notre vie, mais ses défis éthiques ne le sont pas : le contrôle du comportement des autres est un élément central dans la politique démocratique. Le gouvernement nous considère comme une masse de personnes à gérer, en vue de différents objectifs, en particulier le profit et la paix sociale. Ils regardent le monde d’en haut, à travers un prisme de domination et de contrôle – c’est autant le cas pour la pandémie que pour le changement climatique et la pauvreté. Des politiciens et des partis différents auront des priorités différentes et notre possibilité d’agir est réduite à préconiser la façon dont nous voulons être géré.e.s – ou la façon dont nous voulons être géré.e.s par ces autres personnes.
Nous en venons à intérioriser la logique de la domination et à mettre les besoins de l’ordre et de l’économie avant les nôtres. Nous commençons à regarder le monde d’en haut, nous aussi, loin de nos propres expériences, de nos désirs, nos idées, nos valeurs et relations. « C’est ça la guerre sociale : une lutte contre les structures de pouvoir qui nous colonisent et nous entraînent à regarder le monde du point de vue des besoins du pouvoir lui-même, à travers le prisme métaphysique de la domination. »
Dans le contexte de la pandémie, regarder le monde d’en haut signifie comprendre la situation à travers les médias institutionnels (qu’ils s’agisse des médias traditionnels ou des réseaux sociaux), à travers des cartes avec différents couleurs, à travers des zones désignées comme « rouges », à travers les débats politiques, à travers des règles énoncées par des experts (je veux leur connaissance, pas leur autorité). Cela signifie penser à nos propres décisions en termes de ce que tout le monde devrait faire, agir nous-mêmes de la manière dont nous pensons que tout le monde devrait agir. Nos propres priorités disparaissent et la possibilité d’action des autres est perçue comme une menace.
En tant que mesure étatique contre le Covid-19, le passeport vaccinal ressemble aux couvre-feux et aux confinements, aux amendes majorées et aux pouvoirs coercitifs accordés aux règlements administratifs. Il s’agit d’une mesure d’ordre public. Toutes ces restrictions sont censées empêcher le genre de conversations qui ont fait descendre les gens dans la rue, ces derniers mois, pour défendre des campements, pour démolir des statues et rendre hommage aux victimes des pensionnats.
Je veux m’opposer à la domination, mais aussi à ses faux.sses critiques. Certains anarchistes ont pensé développer une critique des réponses autoritaires à la pandémie, mais elles/ils n’ont réussi qu’à être réactionnaires. Encore une fois, ils/elles regardent le monde d’en haut, d’où la seule action collective concevable est celle de l’État. Elles/ils se rabattent sur le discours des droits individuels, mais il n’y a rien d’anarchiste dans une liberté soit découpée en petits morceaux qui nous sont données à la cuillère. Leur analyse devient complètement dépourvue de principes lorsqu’ils/elles commencent à défendre le droit des conservateurs religieux à continuer à tenir leurs cérémonies. Elles/ils sont impliqué.e.s dans le mouvement anti-masque, qui n’a rien à voir avec un choix éthique individuel, mais plutôt avec la négation de l’épidémie de Covid-19. Ils/elles finissent bras dessus, bras dessous avec ceux qui considèrent tout bien commun comme une attaque contre leurs privilèges.
Pour moi, la liberté signifie aussi la responsabilité. C’est un impératif individuel de faire ses propres choix, mais aussi de comprendre que l’on est engagé.e dans un réseau de relations. Il s’agit d’association volontaire, mais aussi de comprendre que nous sommes également engagé.e.s dans des réseaux de relations avec tout le monde (sans oublier tous les êtres vivants, la terre et l’eau). Nous avons des responsabilités envers ces réseaux. Quand nos choix face à la pandémie partent de nous-mêmes et se développent vers l’extérieur, vers les personnes que nous aimons et plus loin encore vers les sociétés dans lesquelles nous vivons, nous ne regardons plus le monde d’en haut, mais à l’échelle humaine.
Cela s’appelle l’autonomie et c’est en soi une menace pour les puissants. Cela signifie organiser nos vies sur des bases radicalement différentes, qui entrent en conflit avec les tentatives des puissants de maintenir l’ordre et l’obéissance.
Un système de passeport vaccinaux est un moyen de réprimer l’autonomie. Je m’en fiche d’aller au restaurant ou à un concert et mon groupe continue d’éviter les foules dans des lieux fermés, même si l’État dit que nous ne sommes plus obligé.e.s de les éviter. Organisons-nous pour éviter la répression et continuer à agir selon nos propres priorités. On se voit dans les rues.
Alors que l’État grec – comme de nombreux autres États européens – est en train d’augmenter la pression sur sa population pour qu’elle se fasse vacciner contre le Covid-19, des nombreuses personnes semblent avoir cédé à cette imposition de « faire le choix de la responsabilité ». Qu’il soit clair que nous pensons que des individus peuvent avoir des raisons légitimes de se faire vacciner. Nous ne portons pas de jugement moraliste sur le fait de se faire vacciner ou pas. Mais nous continuons à être réticent.e.s. Nous pensons que tout le discours sur le fait d’assumer ses responsabilités vise en fait à donner plus de pouvoirs à l’État, en créant une société à deux vitesses, avec des privilèges pour celles/ceux qui se conforment aux règles et des sanctions pour ceux/celles qui ne veulent ou ne peuvent pas s’y conformer. Cela signifie un renforcement du contrôle et des inégalités.
Crois aux dirigeants
Nous ne pensons pas devoir nous attarder longtemps sur ce point. Nous avons été obligé.e.s de porter des masques lorsque nous marchions seul.e.s dans un parc. Nous avons reçu des amendes parce qu’on était dans la rue la nuit, alors que pendant la journée les métros étaient bondés. Nous avons été insulté.e.s parce qu’on était assis.ses dans des squares, alors que des lieux de travail en intérieur fonctionnaient à plein régime. Et nous les avons vus calculer cyniquement les coûts des lits d’hôpitaux supplémentaires, par rapport à la fermeture de secteurs de l’économie. Nous les avons vus choisir d’enrôler plus de policiers, alors que la santé des gens était en jeu. Nous les avons vus essayer d’étouffer toute forme de protestation, alors qu’ils adoptaient de force des politiques encore plus marquées dans le sens de l’exploitation et de l’oppression. Ils ont perdu toute crédibilité et ils le savent, la seule chose qu’ils puissent encore faire c’est nous forcer et faire du chantage.
Crois aux données
On nous dit que les données sont claires, que se faire vacciner est un choix sûr (le plus sûr). Mais même si nous acceptons que les données existantes sur les vaccinations soient correctes, il y a tout un tas de données que nous n’avons pas (encore). La première chose qui saute aux yeux est que tous les vaccins disponibles ont été approuvés de manière temporaire, avec une procédure d’urgence. Aucun des vaccins contre le Covid-19 a été approuvé jusqu’au bout et ils ne peuvent pas l’être, puisque on ne dispose d’aucune donnée sur les effets à long terme. Nous pouvons formuler des hypothèses sur la base d’autres vaccinations similaires effectuées par le passé (même si les vaccins basés sur la nouvelle technologie ARNm n’ont pas une histoire de ce type), mais il n’y a aucune garantie pour le long terme. Chaque personne qui se fait vacciner devrait en être pleinement consciente. Et rien qu’à cause de ce seul fait, toute obligation ou pression pour se faire vacciner est éthiquement injuste.
Les données dont nous disposons sur les vaccins proviennent principalement d’essais en laboratoire et dans des environnements contrôlés. Ces tests doivent être menés dans des conditions strictement contrôlées (même s’ils sont faits sur des personnes qui vivent leur vie de tous les jours), afin de pouvoir tirer des conclusions significatives sur les causes et les effets. Bien sûr, la vie réelle comporte de nombreuses complications, des interférences, des événements imprévus, etc. Par conséquent, ces données peuvent prédire le comportement des vaccins seulement de manière très limitée. En effet, nous avons vu que les recommandations sur les personnes auxquelles certains vaccins ne doivent pas être administrées et les listes des possibles effets secondaires sont mises à jour pendant que les vaccins sont déjà inoculés dans le monde réel et que des problèmes imprévus commencent à se produire. À cette échelle, des effets secondaires qui n’affectent qu’un toute petite pourcentage de personnes vaccinées peuvent représenter en réalité un dommage collatéral qui s’élève à plusieurs milliers de personnes. Même dans les meilleures conditions, la médecine moderne est loin d’avoir un bilan impeccable lorsqu’il s’agit de respecter la vie dans toute sa diversité, ses nuances, ses complexités et sa totalité. Ne vous y trompez pas, ce qui se passe est une expérience à grande échelle.
Crois en la science
On nous dit de faire confiance à la science. Mais même si nous ne regardons que les recommandations scientifiques pendant cette année et demie de pandémie de Covid-19, cette affirmation est naïve ou malhonnête. Au début de la pandémie en Europe, le port du masque était fortement déconseillé. A l’époque la théorie était que le virus se propagerait par contact et que la désinfection était donc la bonne réponse (et il y avait une pénurie de masques, ils étaient donc réservés au personnel hospitalier). Quelques mois plus tard, cette opinion a changé et il y a désormais un consensus sur le fait que le virus se propage à travers l’air et non par contact. Soudain, les masques sont devenus la réponse à tout. Néanmoins, nous continuons aussi à tout désinfecter (au lieu d’aérer – c’est ce qu’on appelle le théâtre sanitaire, où ce qui compte le plus est l’impression de sécurité). Cet exemple montre que la science peut se tromper et que la société au sens large peut mettre encore plus de temps à s’en rendre compte.
Un autre exemple venant de cette pandémie qui montre que nous ne devons pas faire simplement confiance à la science est le flou autour de la théorie de la fuite du virus d’un laboratoire. Dès le début de la pandémie, un article cosigné par de nombreux spécialistes scientifiques de la question affirmait que l’hypothèse que le virus du Covid-19 pourrait provenir d’un laboratoire était complètement absurde. À l’époque, cet article est devenu le fondement sur lequel s’appuyaient les médias grand public, les réseaux sociaux, les politiciens et les spécialistes pour qualifier de théorie du complot toute mention de l’hypothèse d’une fuite d’un laboratoire. Il a fallu une année entière, une époque durant laquelle le virus faisait pourtant quotidiennement la Une des journaux, avant que certains scientifiques et journalistes portent un regard plus critique sur cet article et arrivent à la conclusion que le principal élément de preuve n’était pas pertinent et que certains des auteurs avaient un intérêt direct à préserver la bonne réputation (des méthodes) du laboratoire qui serait le premier suspect dans l’hypothèse d’une fuite du virus d’un laboratoire. Il est maintenant largement admis qu’une fuite d’une laboratoire est possible et que cette piste mérite d’être étudiée (pour être clairs, ni l’hypothèse de la fuite d’un laboratoire ni celle de la zoonose n’ont été prouvées ou réfutées, elles sont toutes deux plus ou moins probables). Ceci est un exemple qui montre que dans la réalité la méthode scientifique n’est pas aussi robuste et infaillible qu’elle le prétend. Un consensus qui change en raison d’arguments non scientifiques (l’opportunisme politique, des intérêts financiers, etc.), un petit cercle de scientifiques hautement spécialisé.e.s qui ne veulent pas ou n’ont pas le temps de se contrôler mutuellement, etc. Depuis la deuxième moitié du XXe siècle (voir par exemple Paul Feyerabend et Pierre Thuillier), la philosophie et la sociologie de la science ont démontré l’écart entre l’idéologie de la science et sa réalité. Pourtant, les gens semblent s’accrocher à une conception très naïve de ce que font les scientifiques.
Crois à l’immunité collective
On nous dit de nous mobiliser pour atteindre l’immunité collective et « être libres », à nouveau, du virus. Pour ce faire, ils proposent l’objectif de vacciner 70% de la population. Mais en réalité ce nombre date d’avant l’apparition de variants (comme le variant Delta) qui sont plus contagieux et contre lesquels les vaccins sont moins efficaces. Gardons en tête aussi le fait que les vaccins sont conçus pour limiter la gravité de la maladie et que la réduction des contagions n’est qu’un effet secondaire (et la plupart des vaccins qui n’utilisent pas l’ARNm ne semblent pas très efficaces sur ce point). Compte tenu de ces nouveaux variants, de nombreux experts croient aujourd’hui qu’en réalité il faudrait 80 % ou 90 % de la population vaccinée pour arriver à l’immunité collective. Ce nombre signifie que – si nous considérons toujours qu’il n’est pas éthique d’administrer massivement un vaccin nouveau et mal connu à des mineurs et que certaines personnes ne peuvent pas se faire vacciner pour des raisons médicales – tout le reste de la population devrait se faire vacciner. Toute politique publique qui a besoin d’une conformité à 100 % pour réussir est vouée à l’échec.
Un autre facteur est que l’immunité diminue avec le temps. On parle déjà de piqûres de rappel après une période de 6 ou 9 mois (ça sera une seule injection ou elle devra être répétée tous les six mois ou tous les ans ? Pour l’instant, nous ne le savons pas), ce qui augmente encore plus les risques d’échec.
De plus, puisque il s’agit d’une pandémie mondiale d’un virus facilement transmissible, il semble très irréaliste qu’un pays ou une région puisse atteindre l’immunité collective à lui seul. De grandes parties du monde disposent à peine des stocks de vaccins ou de l’infrastructure nécessaires pour vacciner une petite partie de la population, sans parler de sa grande majorité. En outre, ils comptent principalement sur des vaccins qui sont moins efficaces pour stopper les infections. Les chances d’éradiquer ce virus sont inexistantes. À ce point, il a atteint sa phase endémique, ce qui signifie que le Covid-19 va commencer à se comporter comme les autres variétés de coronavirus, avec leurs épidémies saisonnières. L’immunité collective n’est que la dernière carotte que l’on nous agite sous le nez, elle sera tôt ou tard remplacée par quelque chose d’autre, pour nous faire croire que nous pouvons atteindre la « liberté », si seulement nous obéissons.
Sois responsable
Le sujet de l’immunité collective (ou du moins de la vaccination du plus grand nombre de personnes possible) soulève la question de savoir qui reçoit les vaccins. Dans de nombreuses régions, les personnes qui courent le risque d’être gravement affectées par le Covid-19, qui veulent se faire vacciner mais qui n’ont pas accès à des services de santé, ne reçoivent aucun vaccin. Alors qu’en Europe, des personnes qui n’ont même pas un grand risque de développer des symptômes légers et qui ont un risque infiniment faible de développer des formes grave disposent de millions de doses de vaccins qui leur sont réservées. L’accumulation des vaccins va encore augmenter avec le besoin des piqûres de rappel. Le fait que, à ce jour, l’OMS ne veuille pas recommander des piqûres de rappel semble dicté principalement par ce genre de préoccupations. Le choix de la responsabilité ou la reproduction des inégalités mondiales ?
L’établissement d’une immunité collective et la rhétorique de la « guerre contre l’ennemi invisible » vont de pair, en pratique, avec un contrôle strict des accès au territoire et une gestion de la population intensifiée. Il semblerait que nous sommes arrivé.e.s à une situation où la soi-disante partie progressiste de la société est désormais en faveur du contrôle des déplacements et de la fermeture des frontières (bien sûr, elles/ils le remarqueront à peine sur leur peau, puisqu’ils/elles possèdent les documents nécessaires pour se déplacer « librement »). Le choix de la responsabilité ou une intensification de la surveillance et de l’exclusion ?
S’il y a quelque chose que nous avons appris des décennies passées – le 11 septembre et la menace du terrorisme, le crash financier et la menace de la banqueroute, l’austérité et la menace du cannibalisme social, les bateaux de réfugié.e.s et la menace de pogroms racistes, le changement climatique et la menace de catastrophes écologiques, etc. – c’est qu’une position qui ne s’oppose pas radicalement au pouvoir de l’État (peu importe qui le détient), finira simplement par le renforcer et ouvrira ainsi la voie au prochain cycle de crises provoquées par l’État et le capitalisme, ainsi qu’à la gestion de ces crises par l’État et le capitalisme.
Commentaires fermés sur Annonce du Counter-Surveillance Resource Center
Juil222021
Soumission anonyme à MTL Contre-info
On vous présente le Counter-Surveillance Resource Center, une plateforme pour diffuser une culture de résistance à la surveillance et mettre des bâtons dans les roues des polices politiques.
Partout dans le monde, anarchistes et autres rebelles sommes sous surveillance en raison de nos activités. Cette surveillance peut être exercée par des institutions étatiques ou d’autres acteurs – des détectives privés, des fascistes, des mercenaires et des citoyen.ne.s respectueux de la loi. Elle peut avoir pour but de perturber nos activités, de procéder à des arrestations, d’obtenir des condamnations ou pire encore.
À mesure que les technologies se développent, certaines techniques de surveillance restent les mêmes, tandis que d’autres changent pour intégrer ces technologies émergentes. Si les flics nous suivent toujours dans la rue et conservent des dossiers sur nous dans leurs archives, de nos jours, les caméras sont partout, les drones nous survolent et les analyses ADN envoient de nombreux camarades en prison.
On a ressenti un manque d’outils collectifs pour faire face à ces problèmes, et donc on a créé un site web, le Counter-Surveillance Resource Center (CSRC). Notre objectif est de rassembler diverses ressources en un seul endroit afin d’aider à lutter contre la surveillance dont on fait l’objet. On veut encourager la collaboration internationale, et on accepte les contributions dans toutes les langues.
Comment éviter de laisser des empreintes digitales et autres traces lors d’une action ? Comment utiliser les ordinateurs et les téléphones de manière plus sûre ? Que faire si l’on soupçonne qu’une personne est un.e infiltré.e ? Comment gérer les conséquences psychologiques de la clandestinité ? Comment détruire les caméras dans la rue ? Cette chose que vous avez trouvée sur votre voiture est-elle une balise GPS ? On veut répondre à ces questions et à bien d’autres encore.
N’hésitez pas à nous envoyer vos contributions, traductions ou commentaires. Visitez le site web à l’adresse suivante : https://csrc.link/fr
Commentaires fermés sur Solidarité avec les prisonniers anarchistes, libérez-les tous !
Juin192021
Soumission anonyme à MTL Contre-info
À l’été 2020, trois lycéens – Bogdan Andreev, Denis Mikhaylenko et Nikita Uvarov, tous âgés de 14 ans – ont été arrêtés dans la ville de Kansk, dans la région de Krasnoïarsk en Sibérie, à l’intérieur des frontières revendiquées de l’État russe. Les trois garçons sont accusés d’avoir formé une organisation terroriste et d’avoir comploté, entre autres, de construire une maquette du siège de la police secrète russe (FSB) dans le jeu MineCraft puis de la faire exploser. De manière plus crédible, ils sont accusés de manifester leur solidarité avec Azat Miftakhov, un étudiant diplômé en mathématiques à Moscou et anarchiste, actuellement âgé de 28 ans. Miftakhov était initialement accusé d’avoir fabriqué une bombe fumigène qui avait été lancée dans un bureau du parti politique au pouvoir plus d’un an auparavant. Il a plus récemment été condamné à six ans de détention dans une colonie pénitentiaire. Andreev, Mikhaylenko et Uvarov sont tous en attente de jugement.
Le 13 juin, nous avons brandi une bannière intitulée « Solidarité avec les prisonniers anarchistes, libérez-les tous » devant le consulat de Russie à Montréal, situé au 3655 avenue du Musée. Nous avons fait cela en partie pour marquer l’occasion de la journée de solidarité avec Marius Mason et tous les prisonniers anarchistes à long terme du 11 juin, mais aussi pour signaler notre désir de garder à l’esprit la situation en Russie, où même de très jeunes personnes risquent d’entrer dans le système carcéral et, peut-être en conséquence, de ne plus en sortir.
Nos pensées vont à tous nos camarades entre les murs des prisons, anarchistes ou non.
Commentaires fermés sur De MTL à Sask : Longue vie à Cory Cardinal !
Juin162021
Soumission anonyme à MTL Contre-info
Cette semaine, nous avons été bouleversé.es d’apprendre la mort de Cory Cardinal à la suite d’une potentielle surdose. Suite à cette nouvelle, dans la nuit du 12 juin, nous sommes allées nous promener dans le quartier pour peindre les murs en sa mémoire.
Cory était un poète, un écrivain, un artiste et un activiste pour les droits des prisonniers membre de la Première Nation de Sturgeon Lake. Nous avons pris connaissance de son existence ainsi que de son travail dans le contexte des grèves de la faim qu’il a aidé à organiser en prison en Saskatchewan au début de la pandémie pour lesquelles il faisait du travail médiatique.
Dans ce contexte, Cory articulait avec acuité les liens entre la prison et le colonialisme et il participait au combat, à l’intérieur de la prison tout comme à l’extérieur, pour les détruire.
« C’est vrai que nous avons été ciblés par un système raciste en tant qu’hommes autochtones. Mais malgré cette épidémie d’incarcération, notre communauté de guerriers autochtones modernes a fait preuve de résilience. Nous avons survécu grâce à notre volonté, à notre ambition et à notre créativité, pour vaincre de nombreux ennemis comme la pauvreté, l’addiction et le racisme, pour nous faire accepter, pour trouver une communauté et un sentiment appartenance dans le moule dominant. Nous n’avons pas pu le faire à partir de nos propres normes, puisque nous sommes un peuple opprimé. »
Nous envoyons nos pensées, notre solidarité et notre amour à sa famille, ses ami.es, et ses camarades.
Nous continuerons à diriger notre rage contre les prisons, le colonialisme et contre ce monde qui criminalise et tue les utilisateurs.trices de drogues.
Trainez des kits de naloxones avec vous !
#Libérezlestous #SafeSupply
Longue vie à Cory !
– quelques anarchistes blanc.he.s vivant à Montréal
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Pourquoi cette brochure ?
La preuve par l’ADN est aujourd’hui largement utilisée par le système judiciaire comme outil de répression. Dans ce contexte-là, la circulation d’informations pas vérifiées comme « l’acétone détruit les traces ADN » met en danger les personnes face à la répression. Le but de cette brochure est à la fois de comprendre comment les flics identifient une personne avec l’ADN, et de proposer des pistes pour s’en protéger.
On aimerait voir disparaître les taules, les tribunaux et les comicos et toutes celles et ceux qui participent à la machine à réprimer. L’idée ici est de participer à construire une culture de la sécurité autour des empreintes génétiques. On va surtout parler d’ADN, qui n’est qu’une question parmi plein d’autres autour de la sécurité face à la répression.
La preuve par l’ADN est un élément de croyance scientifique. Peu importe notre état de croyance par rapport à la science, les juges, elleux, enferment des personnes sur ces bases. On va utiliser un point de vue scientifique, qui est un point de vue partiel. On ne propose pas ici de réflexion critique sur l’usage des techniques scientifiques autour de l’identification par l’ADN, ni sur la science en général. Et pourtant y’a de quoi.
Qu’est-ce qu’il y a là-dedans ?
C’est une brochure à vocation pratique, mais on va faire des détours (pas trop longs) par des trucs théoriques. On va d’abord parler de comment les keufs travaillent avec l’ADN. Ensuite on va donner des pistes sur comment rendre leur taf le plus difficile possible, aussi bien en donnant des clefs pour se faire ses propres protocoles de sécurité qu’en proposant un protocole qui nous parait pertinent. À la fin, on a rajouté des annexes plus théoriques sur la biologie de l’ADN et sur certains aspects techniques de son utilisation par les keufs scientifiques.
En bonus, une petite annexe avec une liste de labos et fabricants de matériel servant à l’identification ADN [en France ; NdMtlCi], avec des adresses.
La police opère avec de nombreux biais, et la répression politique représente l’un d’entre eux. Il se manifeste par la manière disproportionnée dont la police s’attaque aux mouvement sociaux progressistes par le niveau de violence utilisé, l’effectif déployé, la surveillance, ou l’ampleur des charges, par exemple. Cette situation est rendue bien visible au Québec par le livre tiré de la commission populaire sur la répression politique, paru en 2016, et qui avait pour titre « Étouffer la dissidence ». Nous interrogeons dans cet épisode une personne qui a participé à son écriture.
Musique
Mille Piastres Please, « Bégonia », tirée de l’album « Bégonia », https://millepiastresplease.bandcamp.com/
Marilyn Rambo – « Algis vasculaires du cul », tirée de l’album « Qu’est ce que tu fais pour les balances? », https://marylin-rambo.bandcamp.com/
Utilisées avec la permission des groupes.
Références
Commission populaire sur la répression politique, « Étouffer la dissidence, Vingt-cinq ans de répression politique au Québec », Lux Éditeur, Montral, 2006.
Commentaires fermés sur Bruit, drapeaux et poings: Réflexions sur une fin de semaine au centre-ville de Montréal
Mai312021
Soumission anonyme à MTL Contre-info
Depuis le 6 mai de cette année, un conflit intercommunautaire fait rage entre voisins dans les régions urbaines multiethniques de la Palestine occupée, de Jérusalem à Jaffa et ailleurs, déclenché à ce qui parait par une dispute foncière à Sheikh Jarrah. Par conséquent, il y a eu un échange inégal de bombes et de roquettes entre l’État israélien et le Hamas, ce dernier étant l’autorité étatique du petit territoire de Gaza. Je ne sais pas ce qui va se produire en Palestine. Je n’ai qu’une compréhension de la situation de niveau Wikipédia. Je ne parle pas les langues en question et en tout cas je n’essaie même pas de suivre les actualités de près.
Mes réflexions portent sur la situation à Montréal, ville qui abrite des communautés musulmanes et juives importantes, dont respectivement de nombreux membres (au risque d’être réducteur) font partie de mouvements sociaux locaux en soutien du côté palestinien ou sioniste/israélien du conflit. La fin de semaine dernière, une partie des deux mouvements a envahi les rues du centre-ville de Montréal en réponse aux derniers événements outremer.
Le samedi 15 mai, des dizaines de milliers de personnes (au minimum) sont descendues dans la rue en soutien au côté palestinien; elles ont manifesté à Westmount Square, un complexe avec un tour de bureau où se trouve le consulat israélien, ainsi qu’au square Dorchester, au coeur du centre-ville. Pendant des heures, toute la zone entre ces deux endroits grouillait de gens qui brandissaient le drapeau palestinien, scandaient des slogans et faisaient retentir leurs klaxons. Sans doute, elle a été parmi les manifestations les plus larges qui ont eu lieu à Montréal cette dernière année. Il n’y a eu que très peu de violence ou de dégradation, bien qu’une vitre ait été cassée au Westmount Square et quelques personnes ont grimpé sur un échafaudage en proximité du Square Dorchester. Avant le début des manifs, il y a eu un cortège d’automobiles qui est parti de l’autre bout de la ville. Dans la foule, il y avait quelques anarchistes et partisans de « la gauche radicale » présent·e·s sans liens familiaux à une quelconque communauté musulmane, mais très peu par rapport à la taille de la foule.
Le dimanche 16 mai, le côté pro-israélien a eu son propre rassemblement — c’est à dire, une manifestation statique — au square Dorchester, opposé par une foule pro-palestinienne, de nombres plus ou moins égaux, qui s’est rassemblée au départ à la place du Canada, directement au sud du square. D’après mes observations, il convient de dire que certaines personnes du côté pro-palestinien se prêtaient à des provocations volontaires à l’égard de la foule pro-israélienne, en essayant par exemple de s’approcher d’eux pour agiter des drapeaux. La police a essayé d’éviter que les deux côtés n’entrent en conflit, mais la logistique de leur déploiement s’est dégradée au fil du temps et il y a eu de nombreux moments où des membres des deux camps ont pu s’approcher suffisamment pour échanger des coups de poing, essayer d’attraper les drapeaux de l’autre camp, etc. Bien que le nombre de personnes ait été beaucoup moins élevé que le jour précédent, les rues autour du square Dorchester étaient bloquées par le mouvement de manifestant·e·s pro-palestinien·ne·s essayant de se rendre au square ou à la place du Canada, puis par des membres de la foule pro-israélienne qui quittaient la zone, ainsi que par la police. La police a fait usage indiscriminé de gaz lacrymogène, ce qui a touché de nombreux passants qui n’avaient rien à faire des accrochages en cours. Des groupes de manifestant·e·s pro-palestinien·ne·s sont restés dans les environs plusieurs heures après la dispersion du côté pro-israélien à braver les charges policières et les tirs de munitions « non létales ».
Précédant cette fin de semaine, il y a eu nombreuses manifestations pro-palestiniennes de moindre envergure autour de l’ouest du centre-ville montréalais qui, si elles ne défiaient pas ouvertement la police, n’étaient pas moins bruyantes et visibles. Je m’attends à ce qu’il y ait encore plus de manifestations locales dans les jours qui viennent. (Mise à jour : Après que j’ai commencé la rédaction de ce texte, mais avant de l’envoyer à des sites anarchistes pour publication, il y a eu une autre manifestation au consulat israélien).
La solidarité internationale
Les images nous parlent. Les mots nous inspirent. Dans le stade, les joueurs adorent les hurlements de la foule. Je me dis que ça doit marcher un peu de la même manière pour ce qui est de luttes. Mais je n’en suis pas sûre.
Ce que je sais, c’est que ce qui s’est déroulé à Montréal samedi et dimanche – que se soit interpersonnel ou simplement la destruction d’une vitre, que se soit contre la police ou entre partisans de nationalismes contradictoires – n’a pas aidé de façon concrète qui que ce soit des deux camps nationaux en Palestine. Il ne m’est pas du tout clair combien de personnes en Palestine ont entendu parler de ce qui s’est passé à Montréal. Il y a eu des manifestations dans des villes aux quatre coins du monde, mais c’est à croire que l’actualité locale les préoccupe davantage.
Ça arrive que les anarchistes de Montréal manifestent au consulat montréalais d’un gouvernement étranger. Nous avons fait d’autres choses aussi. En particulier, le consulat russe a été attaqué à deux reprises les dix dernières années.
Cependant, au plus souvent, les manifestations de solidarité avec des luttes sociales en d’autres pays sont menées par les communautés qui ont des proches dans ces endroits. Il y en a constamment, bien que peu de montréalais·e·s s’en rendent compte. La plupart du temps, elles sont petites et elles ont peu de chances d’attirer l’attention de journalistes. Il faut que tu passes au bon moment pour voir la banderole ou entendre un discours sombre (peut-être dans une langue autre que le français ou l’anglais) et l’assistance dépasse rarement les soixante personnes. Même aux moments où les manifs de solidarité internationale sont plus larges, elles ne deviennent presque jamais des émeutes (ça vaut la peine de noter que malgré quelques moments isolés d’énergie bagarreuse, la manif de samedi était majoritairement non-violente).
Le problème avec les campagnes de solidarité internationale, c’est que très souvent ils détournent l’attention de projets avec plus de pertinence locale. J’ai pas envie de me faire des ennuis, donc soyons clairs : ils ont une certaine valeur. Mais je crois que c’est toujours désavantageux de mieux connaître les actualités d’un pays lointain que ce qui se passe dans leur ville. Ce qui veut dire, avoir un narratif bien précis des événements et de leurs causes dans des sociétés à l’autre bout du monde, sans comprendre ou au moins reconnaître les tensions et dynamiques qui existent dans son propre contexte.
Il se peut que la solidarité internationale soit pour des gens ailleurs, mais on ne peut pas pour autant oublier les gens qui le font. En tant qu’anarchistes, ça nous incombe de faire en sorte que ces campagnes contribuent à des stratégies qui créent de l’anarchie (ou d’autres projets en lien avec ce que veulent les anarchistes) à l’échelle locale, quoi que cela puisse signifier de façon concrète.
Montréal fait des émeutes
Montréal fait des émeutes, et ça assez régulièrement. Dans le contexte actuel, après un an de pandémie et plusieurs mois de couvre-feu imposé par un gouvernement élu par les banlieues avec son siège à Québec, cette tendance refait surface. Si ce n’était pas la Palestine, ça serait quelque chose d’autre.
J’ai quelques grosses généralisations démographiques à faire et je vais les mettre sur la table tout de suite. Premièrement, c’est surtout les jeunes hommes qui participent aux émeutes. Bien que cela ne soit pas inévitable, c’est ce que j’ai pu constater à partir de mes inférences de l’identité du genre des personnes que j’ai vues casser des vitres, piller des commerces, jeter des trucs sur la police ou essayer de s’approcher de manifestations pro-israéliennes dans la dernière année. Deuxièmement, il me semble que les personnes racisées sont aussi susceptibles de participer à des émeutes que des personnes blanches, sinon plus.
Or, si j’invoque la démographie, ce n’est que pour l’écarter. Si des gens manifestent violemment, comme ils ont fait le 11 avril en réponse au durcissement du couvre-feu, certains journalistes et commentateurs les traiteront de « blanc » sans avoir à réfléchir – et ils n’ont pas failli. Ceux qui considèrent le milieu anarchiste comme irrémédiablement problématique, y compris ceux qui veulent rester proches de ce milieu, trouveront sans doute faute avec tout engagement de ma part (ainsi qu’avec tout non-engagement de ma part) par rapport au fait que les participant·e·s à une émeute auraient une peau plus foncée et sont plus pauvres et marginalisé·e·s que les personnes qui fréquentent les milieux anarchistes.
Dans la mesure où cela nous empêche de contribuer à des ruptures sociales menées par les jeunes, je crois que c’est un vrai problème.
À Montréal, tout le monde participe aux émeutes. Pas tout à fait tout le monde, mais plein de gens de diverses origines. Et qu’il y ait des émeutes ici, ça ne date pas d’hier. L’histoire de cette ville est pleine de moments où on a tout niqué, remontant aux premières décennies du 19e. Ceci a continué durant des cycles politiques et sociaux de toute sorte, à des moments où la population urbaine montréalaise ne consistait quasiment que de personnes blanches de plusieurs variétés, beaucoup plus en tout cas que leur population relative aujourd’hui. Cette histoire rend fier chaque habitant de Montréal qui déteste la police et aime la culture de la rue. Ça ne veut pas dire que chaque émeute ait été pure ou parfaite, mais il y a beaucoup plus à célébrer que de condamner dans cette histoire. De toute façon, les émeutes, ça marche. Si on préfère le capitalisme-providence à, par exemple, ce qu’ils ont au Texas, les émeutes sont en partie à remercier pour cela et il me semble que quelques vagues d’émeutes pourraient nous gagner beaucoup plus dans les années à venir.
En tant qu’anarchistes, nous n’avons pas forcément besoin de former un « contingent » dans le cortège de quelqu’un d’autre. Pour ce qui est des parties rebelles du mouvement pro-palestinien dans la rue, celles qui cherchent le plus la confrontation, ce sont des bandes avec qui la plupart de nous n’ont aucune connexion, avec qui il n’existe en ce moment aucun rapport de confiance et qui sont de toute façon capables d’agir par eux-mêmes. Notre but devrait être d’étendre l’agitation aux commerces du centre-ville et à la logistique policière au même moment, mais pas forcément dans les mêmes endroits, que les autres événements. Nous devrons chercher à établir une position distincte capable d’attirer des gens autres que ceux qui participent déjà aux manifs pro-palestinienne et d’occuper l’attention de la police dont l’impératif stratégique est d’être partout en même temps. Le boulot de la police est impossible, mais notre présence peut faire en sorte que cette impossibilité devient manifeste le plus vite possible.
On a pu apercevoir dimanche les signes d’un effondrement de la logistique et de la stratégie policière, ce qui ne visaient qu’à empêcher deux groupes, plutôt petits, de se battre. Chaque geste qui contribue au chaos compte.
Une idée : À bas la France
À part les Juifs et le Musulmans, il y a également pas mal de Français à Montréal – c’est à dire, des gens nés ou élevés en France ou qui ont de liens familiaux proches en France. J’ai connu plein d’anarchistes français·e·s à Montréal. En plus, plein d’autres anarchistes à Montréal qui ne sont pas « français » ont quand même passé beaucoup de temps en France, y ont des amis ou des opinions sur les questions politiques particulières à la France, etc. Bien que la France soit loin, elle a une proximité émotionnelle pour nombreux d’entre nous (mais pas tout le monde assurément).
La France a interdit les manifestations en faveur de la cause palestinienne, justifiant cette décision par l’agitation en 2014 lors de la dernière grande crise.
Ce qui se passe en France était déjà inquiétant. Déjà en 2016, en réponse au massacre djihadiste l’an avant (Charlie Hebdo, l’Hypercasher, le Bataclan, la Stade de France), l’État français s’est engagé sur une voie qui a mené à l’interdiction de manifester, l’état d’urgence et l’expansion des pouvoirs policiers. Le mois dernier, l’État a rendu illégal le fait de filmer les policiers. Bien sûr que sur notre territoire, les modèles de gouvernance français sont très admirés et les politiques qui y sont expérimentées seront importées ici. Ce processus se voit dans l’orientation du gouvernement à Québec par rapport à la suppression de tout ce qui est radical et de tout ce qui est islamique – deux catégories dont on fait très souvent l’amalgame.
De mon avis, c’était plus respectable de défoncer de coups de pied les vitres de Westmount Square que de chercher à tabasser des bouffons nationalistes qui portaient le drapeau israélien comme cape; je sais que plusieurs de ces bouffons cherchaient eux aussi la bagarre, mais je n’aime pas trop quand l’emportement mène à la violence interpersonnelle. Le consulat français se trouve dans un bâtiment en face de l’université McGill, à quelques rues seulement du square Dorchester. Peut-être serait-il logique pour les anarchistes ainsi que pour d’autres ennemies du capitalisme et du colonialisme d’appeler notre propre manifestation là-bas lorsqu’il y a raison de croire que des foules pro-israéliennes et pro-palestiniennes vont de nouveau s’affronter au centre-ville? Ou bien ailleurs, pourquoi pas? Mais on aime tous avoir un thème.
Au final, tout ce qui nous amène au centre-ville contribuer à l’agitation et élargir la zone de destruction, de possibilité et de rencontre, une zone qui n’est possible que lorsque la machine logistique policière s’effondre.
L’esprit de la révolte
Les adolescents ont des analyses politiques, mais elles risquent de ne pas être super. La plupart ne savent pas ce que sont l’anarchisme et le nationalisme. Ils connaissent peut-être les mots, mais cela ne vaut pas grand-chose. La plupart n’ont pas les idées bien claires pour ce qui est des questions liées aux Juifs, aux Palestiniens, aux sionistes, aux terroristes, ou quoique ce soit. Il ne faut pas non plus croire que les actions des adolescents soient forcément motivées par leurs analyses politiques de toute façon.
Tout ceci n’est pas moins vrai pour les adultes, mais les adolescents bénéficient de meilleures raisons de ne rien savoir sur tout ça que les adultes, donc ça vaut souvent la peine d’essayer de les leur expliquer, car ils et elles ne sont pas encore des causes perdues. Mais ça ne marchera jamais d’aller vers eux pour les instruire.
On ne peut discuter avec quelqu’un d’idées qu’une fois que les deux parties ont envie de discuter. Mais c’est impossible de savoir si on a envie de se parler – se parler vraiment, avec tout le risque de malentendu ou d’insulte qu’importe n’importe quelle conversation avec de vrais enjeux – avant qu’avoir une bonne raison de le faire.
Si des gens se voient dans la rue de façon régulière, ils vont sans doute commencer à se parler à un moment donné. Surtout si les deux groupes ont l’air de faire le même genre de trucs inhabituels et que les actions se complètent. Il se peut que cela s’aboutisse à quelque chose de génial, ou non. Mais si un jeune dont la famille dit beaucoup de mal des Juifs croisent des Juifs et des Juives qui sont anarchistes, qui détestent la police, qui d’ailleurs n’aiment pas trop Israël, qui ont du style, qui ne craignent pas de la bagarre, ça pourrait être du bon.
Il ne s’agit pas de descendre dans la rue pour « faire des anarchistes », mais pour faire l’anarchie. Après tout, la majorité des anarchistes deviennent tôt ou tard des sociaux-démocrates. La plupart des jeunes dans une foule de jeunes gens en colère ne vont pas trouver que l’anarchisme, peu importe sa forme sous-culturelle, leur parle ou répond à leurs préoccupations. Tant pis. Ce n’est que lors d’un triomphe de l’anarchie quelconque, peut-être due en partie au fait qu’il y avait des partisans et partisanes de l’anarchie dans la rue, que les gens prêteront attention. Certains aimeront ce qu’ils voient et essaieront de nous trouver. Il ne faut pas trop s’en soucier pourtant. C’est en dehors de notre contrôle.
Ce dont on est capable, c’est de reconnaître où il y a de nouvelle énergie, s’interroger sur le comment et le pourquoi de son émergence et se demander comment on va s’orienter par rapport à elle. Que veut-on faire? De quelle manière peut-on aider? Qu’est-ce que ça nous fait que la logistique politique soit occupée au centre-ville?
L’anarchie, et non l’émeute
Si les événements prennent la forme d’affrontements avec la police au centre-ville, les anarchistes sont capables d’amener une contribution utile. Mais on peut faire d’autres choses aussi. Il faut éviter de fétichiser l’émeute ou les gens qui contribuent le plus à l’émeute en cours. Disons plutôt que notre chemin vers l’absence de la police passe par l’émeute. C’est pas les pacifistes qui vont changer l’histoire.
L’essentiel c’est qu’on continue d’agir, qu’on ne reste pas sur la touche lors de moments insurrectionnels et qu’on se concentre sur ce qui se passe dans notre propre région. Sur ce terrain mouvant, c’est souvent difficile de suivre les événements, mais il faut faire de notre mieux.
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