Voici le deuxième texte d’une série de trois traitants de la piraterie.
Les scénaristes de la saga Pirate des Caraïbes ont abondamment pigé dans les vieilles légendes racontées dans les villes portuaires européennes du XVIIIe siècle. Toutefois, à l’exception de la fille fictive de barbe noire (Edward Teach), cette série de films laisse bien peu de place aux femmes pirates. Pourtant, dès le début du XVIIIe siècle, les femmes naviguant sous le drapeau noir sont célébrées dans des ballades, des opéras et des pièces de théâtre. Mais contrairement à la légende du Hollandais volant, les femmes pirates sont un fait historique bien que la navigation à l’époque soit perçue comme un univers exclusivement masculin. En effet, comme le souligne Marcus Rediker et Peter Linebaugh dans L’hydre aux mille têtes L’histoire cachée de l’Atlantique révolutionnaire: « Au XVIIIe siècle, les femmes étaient cependant rares sur les navires, quels qu’ils fussent; mais étaient suffisamment présentes pour avoir inspiré des ballades, devenues très populaires parmi les travailleurs de l’Atlantique, sur des guerrières habillées en hommes. » (p.250)
Les femmes sous le Jolly Roger (1)
En 1720, le capitaine Barnet, un traqueur de pirates des Caraïbes, capture Calico Jack Rackam et son équipage. Ces derniers, surpris en pleine beuverie, ne montrent que bien peu de combativité: « […] De tout l’équipage, seuls trois pirates opposèrent une ferme résistance aux chasseurs de primes, et deux de ces forbans étaient des femmes: Mary Read et Anne Bonny ». (Femmes et Pirates, p.9)
Si ces noms sont passés aujourd’hui à la postérité, c’est sans aucun doute grâce au livre L’Histoire générale des plus fameux pirates (2) publié à Londres de 1724 à 1728. Cet ouvrage est attribué au capitaine Charles Johnson, pseudonyme utilisé par nul autre que Daniel Defoe, l’auteur de Robinson Crusoé (1719). Pour écrire La vie de Mary Read et La vie d’Anne Bonny, Defoe s’est basé sur les minutes d’un procès qui s’est tenu en Jamaïque en 1720. Lors de ce procès, Anne Bonny déclare: « Je suis désolé de le voir ainsi, mais s’il s’était battu comme un homme [Calico Jack Rackam], il ne serait pas pendu comme un chien ». (p.181)
L’Histoire générale des plus fameux pirates n’est pas le seul document où les noms de ces deux femmes pirates sont cités. Ils sont également mentionnés dans une proclamation datée du 5 septembre 1720 écrite par Woods Roger, un ancien corsaire devenu gouverneur des Bahamas. À la même époque, le gouverneur Nicholas Lawe écrit au conseil du commerce et des plantations: « qu’il est prouvé que ces femmes, vieilles filles de l’île de Providence, ont pris part active dans la piraterie. » (p.182) De plus, de nombreux articles de journaux parus dans l’American Weekly Mercury et la Boston New-Letter évoquent sans les nommer les deux femmes de l’équipage de Rackam.
Il est difficile d’établir avec précision le nombre de femmes pirates. Toutefois, les archives judiciaires mentionnent au moins deux autres situations où des femmes ont fait face à des accusations de piraterie.
Les pirates et les femmes
Bien que les bateaux pirates offrent plus d’espace aux femmes que les navires marchands ou les vaisseaux de guerre, leur présence demeure relativement faible. Sur de nombreux vaisseaux pirates, les femmes sont interdites. Mais une chose est certaine, les principes qui guident les équipages pirates ne correspondent pas vraiment à l’image de monstres sans foi ni loi que cherche à dépeindre la presse du XVIIIe siècle : « Il y a une règle parmi les pirates, celle de ne pas permettre aux femmes de monter à bord des bateaux quand ils sont au port. S’ils font une prise en mer, et qu’une femme est capturée, personne ne doit la contraindre, sous peine de mort ». (p.186) La charte établie par Bartholemew Roberts précise elle aussi qu’aucune femme n’est autorisée à bord et il y est écrit que: « Si une passagère est retenue prisonnière. Ils mettent immédiatement une sentinelle pour la protéger et prévenir les mauvaises conséquences d’un si dangereux instrument de division et de querelle. » (p.186) Pour l’équipage de John Philipps « […] celui qui voudra se mêler de ses affaires sans son consentement sera puni de mort immédiate.» (p.186)
Texte précédent dans la série: Néo-fascisme et piraterie ou le confusionnisme à l’œuvre
Prochain texte de la série: [1919-1921] Il y a 100 ans: Fiume, la dernière utopie pirate
(1) Le drapeau à la tête de mort.
(2) Le livre Femmes et pirates a été réédité par les éditions Libertalia en 2015.