Tout récemment, dans une émission de radio française, Mathieu Bock-Côté (oui, encore lui) affirmait lors d’une de ses chroniques intitulées « Carte blanche », sur la campagne présidentielle de son ami Zemmour et la difficile union de la droite et de l’extrême droite, que: « […] même politiquement vaincue, la gauche demeure idéologiquement dominante. C’est à travers les concepts qu’elle impose que le récit médiatique de la vie politique nous est raconté. Elle parvient encore à définir ce qui est répugnant de ce que le n’ait pas. Elle prétend même maîtriser notre odorat de ce qui est nauséabond et sulfureux ». Pas besoin de se taper son dernier brûlot, en quelques lignes, le faiseur d’opinion dévoile le fond de sa pensée. Monsieur, aimerait simplement que la droite nationalo-conservatrice demeure hégémonique et que les minorités restent inaudibles afin que ses repères et ses privilèges demeurent inchangés.
Depuis plus d’une décennie, ce sociologue plus polémiste qu’universitaire, s’est fait une belle place dans les médias de masse, ici comme de l’autre côté de l’Atlantique. Inutile, de citer l’ensemble des tribunes où l’on peut lire ou entendre Bock-Côté. Rappelons tout simplement que ses livres se retrouvent sur la table de chevet du Premier ministre Legault. Ce qui peut expliquer l’arrivée du terme « woke » à l’Assemblée nationale, que le gouvernement refuse de reconnaître le racisme systémique au Québec et qu’une Commission scientifique et technique indépendante sur la reconnaissance de la liberté académique dans le milieu universitaire a déposé un rapport en décembre 2021.
Il y a quelques jours, dans un énième billet sur les « Wokes » et l’université, le polémiste écrivait ceci:
Encore une fois, dans sa défense de la civilisation occidentale, Bock-Côté oublie de mentionner que cette dernière a érigé sa puissance et sa domination actuelle en spoliant les ressources et les terres des Premières Nations tout en exploitant les corps africains. « Cette forme de colonialisme a bien sûr permis aux monarchies européennes, puis aux États qui leur ont succédé, d’amasser d’immenses richesses, en plus de jeter les fondements des structures d’un commerce mondial inéquitable qui sont encore en place aujourd’hui ». (Dupuis-Déri, F. et B. Pillet ,p.76) (voir le texte : Suggestion de lecture pour les fans de Bock-Côté… L’anarcho-indigénisme)
Et comme le soulignait le philosophe Charles W. Mills : « […] à la fois au niveau mondial et à celui des états-nations individuels, les Blancs, les Européens et leurs descendants continuent de bénéficier du contrat racial qui crée un monde à leur image culturelle, des états politiques favorisant leurs intérêts particuliers, une économie structurée autour de l’exploitation raciale des autres et une psychologie morale biaisée consciemment ou inconsciemment pour les avantager, ce qui donne au différentiel de droits en fonction de la race le statut de norme légitime ne nécessitant pas d’examen plus approfondi » (Mills, p.40). (voir le texte :[Livre] Fragilité Blanche : Ce racisme que les Blancs ne voient pas.)
« Des tas d’histoires existent sans qu’on en parle » (Lussier)
Le rapport de la Commission scientifique et technique indépendante sur la reconnaissance de la liberté académique dans le milieu universitaire démontre qu’il y existe bel et bien des professeur.es qui s’autocensurent en évitant d’aborder certains mots ou sujets pouvant faire controverse. En revanche, outre les quelques témoignages concernant le mot en « N », on ne retrouve rien sur les dérives conservatrices qui sévissent également dans le milieu universitaire. Dans son livre « Annulé (E) Réflexions sur la cancel culture », la journaliste et autrice féministe Judith Lussier rapporte les propos de Francis Dupuis-Déri sur la question : « les médias ne s’intéressent pas davantage aux étudiants conservateurs ou réactionnaires qui accusent les enseignantes féministes de discrimination contre les hommes et de misandrie ». ( Lussier, p.49)
Rien de nouveau sous le soleil
Bien avant l’avènement des Wokes en 2020, les féministes ont analysé le caractère hétéropatriarcal des contes de Disney nous rappelle Judith Lussier. Les films ont fait scandale à leur sortie et des œuvres ont fait l’objet de critiques. L’autrice nous rappelle notamment que dès la sortie du film « Autant en emporte le vent » (1939), celui-ci est critiqué pour sa vision idyllique de l’Amérique esclavagiste (Lussier p. 112). Pour ce qui est de la bande dessinée Tintin au Congo, elle n’a pas commencé à être critiquée en 2020. En 1946, l’éditeur Casterman demande à Hergé de retravailler certains passages de l’œuvre: « tout ce que vous faites là, c’est pour complaire non pas aux Noirs d’Afrique, qui ne demandent rien, mais pour complaire à la gauche occidentale bien-pensante », écrivait le bédéiste à son éditeur (Lussier, p.112) pour ne nommer que ceux-ci.
« Ce qui est nouveau, ce ne sont pas les critiques ou les revendications. Ce qui est nouveau, affirme Judith Lussier, c’est que l’on reconnaisse aujourd’hui les personnes qui émettent ces critiques ou ces revendications comme étant des interlocuteurs et interlocutrices assez valides pour être entendu-e-s » (Lussier, p.113). Et ce, c’est grâce aux luttes féministes, et plus récemment au mouvement « #Me too », au mouvement « Black lives matter », aux luttes 2SLGBTQ+, ainsi qu’aux luttes des Premiers Peuples.
Maintenant, pour contrer le ressac alimenté par cette élite nationalo-conservatrice et ces autres idiots utiles, nous devons lutter contre toutes les formes d’oppression, entendre les voix jusqu’alors ignorées et maintenues dans la marginalité, être à l’écoute de leurs demandes et surtout, être de meilleurs allié.e.s.
Bibliographie :
DiAngelo Robin, Fragilité Blanche : Ce racisme que les blancs ne voient pas. Les Arènes, Paris, 2020.
Dupuis-Déri, F. et B. Pillet (s.l.d.). L’anarcho-indigénisme. Montréal, Lux Éditeur, 2019, 208 p.
Lussier Judith, Annulé(e) réflexion sur la cancel culture, Les éditions Cardinal, Montréal, 2021, 254 p.
Mills, The racial contract, Cornell University Press, 1997, 171 p.