Montréal Contre-information
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Fév 262015
 

De Non-Fides

En octobre et novembre 2014, Carlos, Amélie et Fallon ont été.e.s condamné.e.s à 7 ans et demi, puis à 2 ans, 7 mois et 15 jours supplémentaires, suite à une attaque qui a eu lieu le 5 janvier 2014 dans la ville de Mexico. Deux groupes de personnes avaient jeté des pierres et des Molotovs sur un bâtiment du Ministère des communications et des transports de la ville de Mexico et un concessionnaire Nissan situé à proximité, causant des dégâts au bâtiment et à plusieurs voitures.

 

Lettre de Carlo López, “Chivo” :

Si on l’on comprend l’État comme une entité de régulation de privilèges dans l’intérêt d’une classe politico-économique, comme un fidèle serviteur du capital techno-industriel et de toutes les formes de manipulation sociale qui en émanent, alors il n’est pas difficile de comprendre qu’il se serve et impose le châtiment à tout individu se rebellant face à ses lois et ses normes de contrôle – pour ce faire, son large éventail de possibilités inclut notamment une des nombreuses formes dégueulasses : celle du système juridico-pénitentiaire.

Une des principales caractéristiques de cette institution est de pouvoir disposer, comme dans un jeu de hasard, de l’avenir de l’accusé, en le livrant à la brutalité de la détention policière et administrative, en appliquant un traitement pervers et malsain d’usure physique, morale et spirituelle aussi bien aux personnes directement impliquées qu’à la famille, les amis et les compagnons qui les entourent.

Ainsi, le “délit” devient un fort instrument de perpétuation et de réalisation des plans de la domination du pouvoir, en plus d’un juteux marché économique fruit d’extorsions administratives, parmi lesquelles on peut souligner le paiement de cautions, d’amendes, de pots-de-vin et autres horreurs, venant s’ajouter, au moins dans les prisons latino-américaines, aux nécessités d’auto subsistance financière de la personne emprisonnée.

Sur ce dernier point, il est important de remarquer et de souligner le grand mensonge selon lequel l’État financerait la détention. Alors qu’“officiellement” il destinerait en moyenne 150 pesos par personne, la réalité est en effet toute autre.

Quant au “délit” à juger, il s’avère assez hypothétique de lui donner quelque crédibilité, car rappelons que ce sont les institutions elles-mêmes et leurs gens au gouvernement – vivant une réalité très différente des personnes privées des privilèges des élites du pouvoir – qui font et défont les lois au travers de leurs politiques démocratiques et réformistes. Cela nous amène à nous demander pourquoi nous devrions nous soumettre à leurs décisions, à ce qu’ils entendent par délit et à leur manière de le corriger, puisque c’est la société elle-même qui reproduit ce qu’elle entend à travers ce terme.
Nous ne pourrions pas parler de gens du peuple à l’intérieur du cadre de la loi, car cela reviendrait à répéter le modèle que nous cherchons à détruire, tout comme les juges, les magistrats et les tribunaux se chargent d’exécuter des condamnations sévères, et si la loi ne leur suffit pas, d’y contribuer avec des critères punitifs semblant reposer sur la satisfaction de faire tomber des années d’enfermement et de mettre dans leur poubelle à barreaux tout ce qui n’a pas sa place dans l’idée d’une société capitaliste.

Acrates, nous ne nous plaignons pas de juges injustes et ne cherchons pas à être jugés justement, car nous savons qu’il ne peut y avoir de justice là où il s’agit uniquement d’imposer un ordre démocratique aberrant, basé sur des structures de contrôle déguisées en réinsertion sociale.

C’est pour cela que nous n’implorons pas la justice dans les condamnations, pas plus que nous ne mendions la pitié pour nos prisonniers, nous exigeons seulement la liberté physique immédiate, c’est-à-dire la fin de la séquestration, sans accepter la légalité de leurs tas de lois et en rejetant ainsi les arguments d’innocence ou de culpabilité – ce qui est très différent du fait d’assumer la responsabilité des actes pour celles et ceux qui décident de le faire.

Nous luttons pour la destruction des prisons, mais le simple désir d’abattre les murs physiques ou le fait de sentir une haine viscérale contre les pratiques propres à l’enfermement ne suffisent pas. Il faut aussi commencer à se défaire complètement de la propagande d’État dont nous avons été abreuvés depuis tous petits par le biais des institutions civiles et éducatives où l’on inculque la normalisation de l’infraction et du châtiment. Il s’agit de poursuivre la rupture et la lente destruction dans nos têtes et dans nos formes de relations avec les personnes et l’entourage imposés.

Par exemple, nous devons abandonner le langage juridique, ainsi que sa pratique, comme lorsque nous condamnons les actes de compagnons qui décident de passer à l’action, et que – ne nous identifiant pas avec leurs méthodes ou revendications – nous nous transformons en nos propres juges et bourreaux, facilitant la récupération de la lutte. Une critique du pouvoir est quelque chose de bien différent qu’une critique constructive contre des compagnons, qui est encore autre chose qu’une critique de commère qui ne fera que diviser et freiner l’élan libertaire. Ainsi, lorsqu’on réclame la liberté pour nos prisonniers tout en réclamant par ailleurs la prison pour les “coupables” qui perturbent notre tranquillité et nos espaces de lutte, nous tombons dans une contradiction préoccupante. Il en va de même lorsqu’on demande que justice soit faite pour obtenir une libération, car cela revient à reconnaître, même si ce n’est peut être pas délibérément, que le système juridique peut être juste ou injuste, lui accordant ainsi une certaine légitimité.

Le fait de continuer à parler de compagnons détenus comme étant des “prisonniers politiques”, généralement pour les distinguer – à leur avantage – des prisonniers de droit commun, est une vieille pratique gauchiste, quand au contraire la lutte anarchiste n’est pas politique et ne cherche pas à obtenir des avantages à travers la négociation, le dialogue ou les pétitions. A l’inverse, elle est en rupture avec toute trace autoritaire, et le fait d’être mis en accusation judiciairement, ne revient pas forcément à accepter l’adjectif de “politique”. Nous voulons détruire cela, et c’est pourquoi nous préférons opter pour le fait de nous revendiquer comme prisonniers anarchistes, ceci comme une manière de continuer la lutte choisie, par affinités, au côté de n’importe quelle individualité en révolte.

La liberté ne se négocie pas, elle se construit.

Solidarité avec le compagnon Abraham Cortés Ávila et touts les compagnons et compagnonnes prisonnier-es en lutte aux quatre coins de la planète terre.

Carlos López “Chivo”
Reclusorio Oriente, DF
24 février 2015

[Traduit de l’espagnol de Contrainfo par Brèves du désordre]


Lettres d’Amélie et Fallon, en solidartié avec Abraham Cortés Ávila :

21 Février 2015

C’est avec beaucoup de rage que j’ai appris que le compagnon Abraham Cortés Ávila, incarcéré au Reclusorio Norte, a reçu le résultat de l’appel qui a confirmé sa peine de 13 ans de prison pour tentative d’homicide contre un policier, un de ceux qui ce 2 octobre 2013 étaient chargés de maintenir l’ordre et la paix sociale, de protéger les privilégié-es, les commerces et les banques des rues de Mexico. Ils accusent le compagnon d’avoir participé à la révolte sociale qui a lancé des pierres, des cocktails enflammés (molotovs) et autres objets contre les porcs.

Voilà, Abraham, je suis parvenue à la seule conclusion qu’à partir du moment où nous nous rebellons, ils nous répriment en conséquence. Ta peine correspond à leur société carcérale. Dans ce sens, je t’envoie beaucoup de force solidaire de tout cœur. Organisons la lutte aussi bien à l’intérieur de la prison que dehors dans le but de combattre toute autorité et d’en finir avec leur foutu monde d’esclavage et de peur.

Que la rage se propage ! Même si parfois le monde paraît hermétique, même si les gens ne comprennent rien, ne partagent pas notre haine de la domination et ne savent que la reproduire. Pour ma part, je crois qu’avec un peu de confiance, on peut construire des relations d’amitié et de compagnonnage et ainsi ouvrir des espaces de dialogues et d’échanges d’idées. Cela vaut autant dans la rue qu’en prison. Alors… avec tout ça moins de peur !

Alors, dans la solidarité avec Abraham Cortes Ávila, que le feu illumine tous les uniformes de ces saloperies de keufs et de matons de merde.

Vive la Révolte !

Amélie
Reclusorio Santa Marta

*******

Salut Abraham,

J’espère que tu vas bien dans la mesure du possible.

Je peux imaginer que les jours à venir seront des journées de stress et d’angoisse, pour toi comme pour ta famille et tes compagnon-nes. Malgré les murs qui nous enferment et le temps qui ne fait rien qu’à passer, j’espère que tu restes fort, non seulement dans le sens d’être en lutte contre l’institution, mais aussi dans le sens de ne pas laisser la prison te changer.

Le fait de ne pas croire dans la justice nous place dans une situation d’incertitude face à elle, une position très rationnelle où ne nous reste que notre force individuelle pour faire face à la réalité. Et où la force des compagnon-nes qui nous soutiennent nous donne plus d’énergie pour aller de l’avant.

J’espère que la décision judiciaire sera positive pour toi [cette lettre date d’avant le rendu de l’appel ; NdT] et que tu seras bientôt dehors. Ne cesses pas de lutter pour tes idées, dedans comme dehors, l’authenticité est la plus grande force.

Beaucoup de force, Compagnon !

Fallon
Reclusorio Santa Marta

[Traduit de l’espagnol de Contrainfo par Brèves du désordre]