Montréal Contre-information
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Déc 172019
 

Du Collectif Emma Goldman

Voici le premier texte d’une série de trois traitants de la piraterie.

En général, lorsque l’on fait référence à la piraterie, certains clichés comme les drapeaux noirs à la tête de mort (Jolly Roger), les trésors et les mutilations physiques nous viennent rapidement en tête. Le pirate prend aussi les formes contemporaines du pêcheur somalien convertit à la piraterie, de l’informaticien ou des radios-pirates. Mais d’un néonazi, vraiment?

Boucanier, flibustier, pirate ou corsaire?

La piraterie, parfois aussi appelée la flibuste (1), est un phénomène ancien qui a longtemps servi les états avant qu’elle permette à des marins de se libérer pour un temps de l’oppression des empires et de la brutalité de leur monde. À leur âge d’or (1715-1725), ces entreprises ont provoqué une crise dans le lucratif système commercial de l’Atlantique et perturbé grandement le commerce des esclaves.

Loin de se considérer comme de vulgaires voleurs, ces parias de toutes les nations se voient comme des hommes sans patrie qui ont déclaré la guerre au monde. Comme le souligne Marcus Rediker, l’auteur du livre Pirates de tous les pays: « Les pirates s’opposent à l’élite et aux puissances de l’époque. Par leurs actions, ils deviennent des « scélérats » de toutes les nations […] plus les pirates construisent et profitent de leur existence autonome, plus les autorités sont déterminées à les détruire. » (p. 274)

Pour en savoir plus sur ce livre vous pouvez consulter le texte : [Livre] Pirates de tous les pays : l’âge d’or de la piraterie atlantique (1716-1726)

Jusqu’à présent, nous sommes bien loin des théories racistes promues par les skinheads néonazis.

Les corsaires ou la guerre de course

Durant la Deuxième Guerre mondiale en Allemagne, un réseau de jeunes antifascistes, qui a déclaré la guerre aux jeunesses hitlériennes, s’est revendiqué comme étant les pirates de l’Edelweiss. Alors aujourd’hui, comment les fascistes d’Atalante peuvent-ils se revendiquer d’un esprit corsaire? Tout simplement parce que le corsaire n’est pas un pirate mais un mercenaire accrédité au service d’un roi. Les corsaires, armés avec des capitaux privés, étaient munis d’une lettre de course délivrée par l’État qui les autorisait à faire la guerre. Comme Woods Roger, un corsaire britannique qui est devenu par la suite gouverneur général des Bahamas (1728-1732) ou encore le corsaire français Jean-François de La Rocque de Roberval dit le sieur de Roberval qui a été lieutenant-gouverneur au Canada.

La discipline de Jamaïque

Les boucaniers (1650-1680), qui adoptent entre eux l’expression des frères de la côte, tirent leur nom du boucan, une technique de fumage qu’ils tiennent des Arawak. À l’origine, les boucaniers provenaient principalement d’Angleterre, de France et des Pays-Bas. Mais ils ont rapidement été rejoints par des Amérindien.ne.s et des Africain.ne.s. Ils et elles squattaient des terres sur la grande île d’Hispaniola et leurs activités tournaient autour de la chasse aux cochons sauvages et de la collecte de l’or du roi d’Espagne.

Dans la mouvance libertaire, les boucaniers et les pirates des XVIe et XVIIe siècles sont souvent considérés comme des proto-anarchistes (2) en raison de leur organisation sociale horizontale. Le mode d’organisation de ces marins est appelé la discipline de Jamaïque et prévoit des contrôles démocratiques de l’autorité ainsi que des provisions pour les blessés: « En élaborant leur propre ordre social, les boucaniers (3) tentent de calquer l’utopie paysanne appelée pays de cocagne (4) où le travail est aboli, la propriété redistribuée, les différences sociales nivelées, la santé restaurée et la nourriture produite en abondance. » (p. 116)

On admettra bien volontiers, que nous sommes à mille lieues du Reich de mille ans.

De corsaire à pirate

L’explosion de la piraterie fait suite à la fin de la guerre de succession d’Espagne. Des capitaines comme Benjamin Hornigold, John Jenning et John Cockram continuent à attaquer leurs ennemis traditionnels: « on pillait pour les autres, on pille désormais pour soi-même ». (p. 88)

Ces pirates font le choix d’un mode de vie qui défient les traditions d’une société qu’ils et elles rejettent. Ils et elles s’appuient sur les traditions des boucaniers: « Chaque vaisseau fonctionne selon les termes d’un contrat court approuvé par l’équipage, établi au début d’un voyage ou à l’occasion de l’élection d’un nouveau capitaine. » (p. 120)

Encore aujourd’hui, les pirates continuent de fasciner et d’inspirer ceux et celles qui résistent aux puissants. Par exemple, les écologistes de l’organisation fondée par Paul Watson, Sea Shepherd. Watson est même surnommé le pirate écologiste. Il y a aussi les zadistes de Notre-Dame-des-Landes qui se réclament de l’esprit de révolte de la flibuste.

Le prochain texte de la série: Femmes et pirates

(1) Le terme est utilisé aux XVIe et XVIIe siècles pour désigner le métier et les activités des pirates des Caraïbes (flibustiers, boucaniers, corsaires)
(2) Hakim Bey, Zone d’autonomie temporaire
(3) L’une des références qui sous-tend la culture des boucaniers est la révolution anglaise.
(4) Larousse:Pays imaginaire où l’on a tout en abondance et sans peine.