Montréal Contre-information
Montréal Contre-information
Montréal Contre-information

mtlcounter-info

Pour continuer sur la question des manifestations montréalaises

 Commentaires fermés sur Pour continuer sur la question des manifestations montréalaises
Avr 252025
 

Soumission anonyme à MTL Contre-info

Dans les dernières semaines, Montréal Contre-info a permi de relayer des textes de réflexion stratégique qui ont suscité plusieurs discussions animées autour de nous. Signe de la vitalité montréalaise, nous ne pouvons que nous réjouir de cet élan. Les passions font vivre, la stratégie les fait seulement durer. Parmis ces textes, deux en particulier proposent une analyse de la situation des manifestations des derniers mois à Montréal et témoignent d’un sérieux désir de se pencher sur les pratiques actuelles du milieu révolutionnaire (à défaut de pouvoir lui donner une appelation plus consistante comme mouvement ou camp). Quand on est nombreux.se.s, on fait ce qu’on veut et le Commentaire qui lui répond marquent tous deux plusieurs points intéressants, mais semblent tout de même manquer le pas sur un certain nombre d’éléments. Nous aimerions, en quelques mots, présenter notre analyse qui donne à la fois raison et tort aux deux textes de différentes manières. 

Pour commencer, la référence aux événements insurrectionnels des dernières années à l’échelle internationale (Gilets Jaunes, George Floyd, l’Estallido Social chilien) nous semble être, dans les deux textes, le point sur lequel notre analyse diffère le plus. Cet élément intervient ici en premier lieu, non pas parce qu’une analyse de la conjoncture mondiale devrait être première, mais parce que les problèmes qui s’y manifestent sont exemplaires. Dans le premier texte, on peut lire que ces mouvements sont l’illustration du principe que le travail révolutionnaire doit consister dans la massification car, dans la confrontation avec l’État, c’est le nombre qui est l’élément le plus déterminant : « C’est ce travail qui devrait, dans la situation présente, être la priorité absolue de la majorité des militant.e.s révolutionnaires qui constatent avec nous la nécessité vitale d’élargir nos rangs pour constituer une puissance autonome massive réellement menaçante pour l’État. » Si on arrive encore à se tenir calmes quand les vétérans de la sociale-démocratie de rue nous répètent que 2012 a seulement été possible grâce à plusieurs années de « mob dans les cégeps », on devrait par contre  s’épargner le mensonge voulant que les situations similaires à celles mentionnées plus haut pourraient être le résultat d’un travail de massification tel que celui décrit dans le texte.

C’est d’ailleurs ce que le deuxième texte reproche au premier: « les auteurs oublient que ces mouvements ne sont pas le fait d’organisations de masse, mais bien de mouvements non médiés et somme toute spontanés (au sens d’Henri Simon, c’est-à-dire en contraste avec l’organisation volontaire). » On peut, non sans quelques grincements de dents, passer sur l’affirmation que « ce sont les contradictions sociales elles-mêmes qui sont productrices de luttes et non une bande d’évangélistes de la révolution qui convaincraient un à un des prolétaires trop abêtis par le capitalisme », il faut en revanche se méfier de la conclusion voulant qu’« en dernière instance, les révolutionnaires, ce sont ceux qui font la révolution ». Soyons clairs par rapport aux soulèvements mentionnés plus haut, plusieurs semaines, voire plusieurs mois d’insurrection à l’échelle d’un pays ne sont pas des révolutions. On peut le vouloir et se battre de toutes nos forces pour que de telles situations adviennent ici, mais il ne faut pas s’empêcher de les voir pour ce qu’elles sont : des insurrections qui ne se sont pas transformées en révolutions. Les groupes qui ont pris au sérieux ces échecs, au moins aux États-Unis et en France, ont entrepris de se poser à nouveau la question du Parti révolutionnaire: comment transformer une insurrection en révolution? Si les révolutionnaires sont ceux qui font la révolution, c’est qu’ils ne sont pas simplement là, à suivre la liesse insurgée, ils cherchent les moyens de faire monter d’un cran le bouleversement, le rendre irréversible.

Le problème que cet exemple vise à illustrer est le suivant : comment penser l’articulation entre l’organisation révolutionnaire (ceux qui pensent en général la question de la possibilité révolutionnaire), une situation politique qui manifeste des contradictions de toutes sortes (qui est extérieure à l’organisation révolutionnaire, mais sur laquelle celle-ci peut avoir une influence) et l’horizon révolutionnaire? Si la question à poser au sein de ce problème est bien celle des priorités, comme le proposent les auteurs de Quand…, la réponse ne se trouve assurément pas dans le fait de vouloir faire grossir les rangs des manifestations d’extrême-gauche, ni dans le fait de trouver ce qui convient le mieux « aux gens » qui seraient lassés de ces dernières : des revendications sociale-démocrates dans un langage populaire, des camps de formation qui font le commerce des identités politiques, des conférences sur les sujets de l’heure. D’un côté comme de l’autre on baigne dans le quantitatif le plus vide. C’est une chose que de se féliciter de proposer l’option la plus achetée, une autre de poser qu’il y a donc de la vérité dans le marketing.

Pour ce qui est du premier texte, donc, nous sommes sceptiques quant à la centralité accordée à « nos manifs », dont l’importance est déjà surdimensionnée dans la dynamique du milieu révolutionnaire. Cette fixation sur les manifestations venant de milieux radicaux est peut-être le reflet des dynamiques propres à la séquence dont nous sortons tout juste :  le mouvement pro-palestinien a été le théâtre d’une radicalisation très large, qui n’a cependant pas trouvé ses formes d’expression dans la plus longue partie de la séquence et dans ses espaces de lutte. Heureusement, la pulsion cherchant à monter le niveau a surgi avec force le 22 novembre et nous aurions tous voulu voir cette force à nouveau dans les dates subséquentes. L’intervention en manifestation et la pratique de l’émeute doivent rester des données centrales de notre orientation. Par contre, en l’absence d’une situation dans laquelle venir cliver (avec les tendances réformistes d’un mouvement par exemple), ou qui puisse se traduire en réel débordement (pas en un affrontement de quelques dizaines de personnes avec la police), cette pratique ne doit pas être fétichisée. L’opposition de chapelles entre les tenants des actions clandestines et des manifestations larges, de laquelle toute lecture du contexte est généralement évacuée, est complètement stérile. Une action ciblée peut trancher dans une situation politique en faisant apparaître des contradictions politiques profondes : le soutien pour les attentats dirigés vers le pouvoir qui ont précédé la révolution de 1917 en Russie (ou aux États-Unis dans nos années 20) révèlent un refus du monde à la fois radical et largement partagé, les sabotages contre les JO en France l’été dernier ont été menées dans un contexte de surveillance policière énorme, et ont réussi à faire signe alors qu’un silence de plomb régnait et que les manifestations étaient impossibles à envisager. La participation à l’antagonisme peut aussi être plus soudain, et l’organisation contre les évictions, celle en réponse aux meurtres policiers, ou celle contre l’aménagement intégral sont aussi des points de contact avec l’ennemi, et expriment un refus de lui laisser le champ libre. Dans tous ces contextes, on peut poser des gestes qui résonnent, auxquels on pourra se référer à l’avenir pour imaginer ce qui est possible, tout en cherchant le prochain dépassement.

Cependant, et sur ce point nous sommes plutôt du côté du premier texte que du second, la question de l’organisation politique des révolutionnaires doit être remise au centre des préoccupations. C’est à travers des formes d’organisation internes que l’élaboration stratégique et théorique peut avoir lieu. Elle doit donner lieu à des énoncés qui mettent de l’avant la possibilité révolutionnaire ainsi que ce à quoi elle s’affronte, une pensée de l’ennemi. L’auteur de Commentaire… dit que les révolutionnaires sont ceux qui font la révolution, nous disons que les révolutionnaires sont ceux qui prennent parti pour la révolution, avant, pendant, après elle. Les moments révolutionnaires et pré-révolutionnaires se caractérisent par une dilatation du « nous révolutionnaire », son élargissement fulgurant, l’apparition de nouveaux problèmes et des prises de positions hétérogènes à celles que les révolutionnaires tenaient jusque là, mais ce « nous » préexiste néanmoins à chaque nouvelle révolution. L’argument inverse est une lubie anhistorique.

Quelle devrait donc être la priorité d’un noyau révolutionnaire dans notre contexte?
 
Premièrement, il devrait chercher à combattre, dans le champ théorique, les perspectives réformistes qui s’énoncent actuellement, soit comme des sorties de crise, soit comme des manières d’habiter le monde en le laissant tranquille. Elles sont pléthores, y compris dans le « milieu révolutionnaire ». Un camp révolutionnaire ne peut pas se construire dans l’ambiguïté qui règne actuellement entre radicalisme, alternativisme, réforme et révolution. Il doit reprendre le terrain de la propagande, et ce faisant trouver des manières de parler de la situation dans des termes révolutionnaires. La polémique dans le champ intellectuel, dans les assemblées, les journaux muraux, la rédaction de textes publics ou clandestins, à l’intention des révolutionnaires, le débat sur les propositions de différents groupes, l’organisation d’espaces de discussion et de clarification des perspectives révolutionnaires sur des thèmes que nous jugeons être fondamentaux sont autant de manières de penser l’activité politique hors situation. À ceux qui accusent le milieu révolutionnaire de surinflation intellectuelle, regardez mieux.

Dans le champ stratégique, il devrait tenir de manière clandestine une échelle d’élaboration avec d’autres forces afin de favoriser la coordination dans des moments précis, sur des enjeux qui peuvent cristalliser notre opposition à la politique du pouvoir. La question des infrastructures, bien mal posée en terme de «projets», peut avoir sa place ici dans la capacité des groupes à planifier le processus de construction d’une force révolutionnaire. Dans un mouvement, tenir un QG, occuper un bâtiment, penser les cibles, les moments, les liens avec d’autres forces. Hors mouvement, s’entraîner, planifier la confrontation, inventer des outils, avoir des caches (des vraies), avoir ses entrées, initier des réflexions avec des camarades dans d’autres villes, d’autres régions, d’autres pays.

Sur le plan tactique, Montréal bouillonne actuellement d’expérimentations et d’initiatives et ce malgré le ton qui monte du côté de l’État. Par contre, les seuls espaces d’élaboration entre les groupes sont présentement de nature extrêmement pragmatique, ils ne s’intéressent qu’au plan tactique et délaissent trop souvent les discussions plus larges. Alors qu’on se butte à une force beaucoup plus grande que la nôtre dans les manifestations radicales, il est fondamental de pouvoir prendre du recul par rapport à cette pratique, et de la mettre en perspective avec d’autres possibilités d’intervention. On doit pouvoir mettre en question la place que l’on accorde aux manifestations ritualisées – qui, dernièrement, semblent pour plusieurs constituer le terrain le plus important de la politique –, pour se positionner quant à la pertinence de ces moments. Même si nous pensons que les événements publics qui attirent de nombreuses personnes peuvent eux aussi relever d’un «activisme mécanique qui cherche à faire sans savoir» nous nous accordons toutefois avec l’auteur du Commentaire… pour dire qu’il importe de « savoir quoi faire », c’est-à-dire de remettre au coeur de nos réflexions la question du sens des tactiques mobilisées en fonction de la situation politique actuelle. 

Au travers des critiques formulées dans ce texte, demeurent trois points qui sont le résumé de son développement et pourraient constituer des priorités de l’organisation révolutionnaire:

– Recharger la question révolutionnaire.
– Faire exister l’option révolutionnaire sur d’autres terrains d’intervention que les manifestations d’extrême-gauche.
– Bâtir le camp révolutionnaire.

Dans cet horizon, la question du nombre n’est pas à rejeter, sous prétexte qu’elle signifierait immédiatement la dilution d’une position. L’accroissement quantitatif est évidemment une dimension fondamentale de la construction révolutionnaire, mais celle-ci doit se faire sur la base d’affirmations en faveur de la révolution. Car non, « avoir raison seuls » (en politique, on n’est jamais seul au singulier, on est toujours dans un nous), ce n’est pas « avoir tort ». Une fois la dimension du futur réintégrée dans la politique, tenir une position prime par rapport à toute tentative de s’accorder avec ce que le plus grand nombre peut bien vouloir entendre à un moment donné. C’est que si une vérité peut être faible quant au nombre de gens qui la portent, elle troue tout de même le tissu de mensonge qui l’entoure. Elle résiste, gêne, dérange, mais cela ne l’empêche pas d’être rejointe. Le phénomène lumineux, écrivait Hegel, illustre bien le rapport entre intensivité et extensivité : c’est de son intensité, qui peut être concentrée en un point, qu’une lumière tire sa capacité à éclairer un espace plus ou moins étendu. Ce sont ces lumières qui manquent. Il en faudra bien pour voir la brèche en tout chose, ce qui n’est évidemment que le commencement.

Commentaire sur le Commentaire sur « Quand on est nombreux.se.s, on fait ce qu’on veut »

 Commentaires fermés sur Commentaire sur le Commentaire sur « Quand on est nombreux.se.s, on fait ce qu’on veut »
Avr 252025
 

Soumission anonyme à MTL Contre-info

À la suite des échecs répétés des manifestations dites « combatives » à Montréal entre 2023 et 2025, deux textes militants ont tenté de proposer, d’un côté, une analyse stratégique visant la massification via des structures autonomes, et de l’autre, une critique sceptique de cette orientation, dénonçant la fétichisation des manifestations et le volontarisme militant. Tous deux partent d’un diagnostic partagé : notre faiblesse collective face à l’État, notre isolement et le caractère routinier de nos mobilisations. Le présent texte se veut une critique au second texte rédigé par N.

Le fétichisme de la spontanéité : critique de l’anti-stratégie

Le désaccord de fond entre les deux textes me semble renvoyer à une question stratégique centrale : comment comprendre que la majorité de la classe travailleuse, y compris dans ses fractions les plus exploitées, n’adhère pas spontanément aux appels à la mobilisation radicale, et continue, dans les pays capitalistes avancés, de se montrer largement passive ou attachée à des formes de réformisme ?

N. soulève à juste titre le caractère routinier et parfois performatif de certaines pratiques militantes, mais, pour expliquer la passivité actuelle, son commentaire de réponse glisse dans un déterminisme mécanique permettant d’adopter un scepticisme cynique, qui rejette toute forme de médiation politique comme étant un projet d’avant-garde inutile : « Ce sont les contradictions sociales elles-mêmes qui sont productrices de luttes et non une bande d’évangélistes de la révolution qui convaincraient un à un des prolétaires trop abêtis par le capitalisme. »

S’il est nécessaire de rompre avec le « fétichisme de la manifestation » — cette idée selon laquelle elle constituerait le cœur de notre pratique politique —, il l’est tout autant de se méfier du fétichisme de la spontanéité, qui consiste à rejeter la nécessité de l’organisation au profit d’une attente passive, fondée sur l’illusion que les contradictions du capitalisme produiront mécaniquement l’irruption des masses. Cette posture relève d’un retrait stratégique, qui masque l’impuissance politique derrière une mystique de la spontanéité.

La passivité des classes exploitées

La passivité ou l’adhésion au réformisme de la classe travailleuse s’expliquent en grande partie par le caractère fondamentalement épisodique de la lutte des classes. Les contradictions du capitalisme ne suffisent pas, à elles seules, à rendre les travailleur·euses révolutionnaires. La conscience de classe ne naît pas mécaniquement de l’exploitation, mais se forme, comme l’explique Charles Post, avant tout à travers l’expérience vécue de l’auto-organisation et de la lutte collective, qui ouvre un espace de réceptivité aux idées radicales.

Cependant, cette condition fondamentale de la conscience de classe — l’engagement actif dans des luttes de masse — ne peut être que partielle, rare et temporaire. Structurellement, la grande majorité des travailleur·euses ne peut se maintenir en lutte de manière permanente, car leur position dans les rapports sociaux les oblige à vendre leur force de travail pour assurer leur propre reproduction. La contrainte de la survie individuelle limite donc, en temps ordinaire, la possibilité d’un engagement collectif soutenu.

En l’absence de luttes collectives, les logiques capitalistes, le réformisme et les formes institutionnelles de la politique libérale tendent à redevenir hégémoniques. Les travailleur·euses cherchent alors moins à transformer le système qu’à y obtenir une part jugée équitable, sans remettre en question les structures de pouvoir. Pire, lorsque le réformisme échoue, et qu’aucune alternative radicale crédible n’est disponible, le capitalisme parvient même à produire les conditions matérielles (individualisation, segmentation sociale, compétition entre exploité·e·s) de sa propre défense idéologique : dans ce vide, prolifèrent des mouvements réactionnaires, racistes et patriarcaux, y compris au sein même de segments de la classe travailleuse.

Il paraît ainsi tout à fait irresponsable de renoncer à l’auto-organisation d’action directe et à la construction d’alternatives — au nom du réformisme ou par fétichisme de la spontanéité —, car les contradictions du capitalisme, à elles seules, ne produisent ni conscience de classe ni émancipation humaine.

L’avant-garde

Le caractère intrinsèquement épisodique de la lutte de classe fait en sorte que seule une fraction minoritaire de la classe travailleuse demeure engagée de manière durable dans l’action militante. Ce que nous pourrions appeler une « avant-garde » — sans intention dogmatique — désigne ici celleux qui s’efforcent, dans les creux du cycle des luttes, de maintenir vivantes les pratiques de solidarité et de conflictualité, que ce soit sur les lieux de travail ou dans les milieux de vie.

Pour éviter tout malentendu, il ne s’agit pas d’une conception « léniniste » ou « trotskiste » classique de l’avant-garde comme minorité éclairée et détentrice d’une vérité politique à imposer à la masse. Il s’agit plutôt de nommer un rôle concret : celui des personnes qui, malgré l’isolement, l’usure et la défaite, persévèrent à faire vivre des institutions, des pratiques et des imaginaires de lutte, souvent invisibles, mais essentielles à la reproduction d’une mémoire collective militante. Ce rôle peut bien sûr être débattu, renommé, critiqué. Mais y renoncer totalement reviendrait à céder au désarmement stratégique.

Il est vrai que certaines de ces figures militantes deviennent, dans certains contextes, la base sociale d’une bureaucratie de la classe travailleuse, détachée des réalités concrètes du travail salarié et sujette à la logique du réformisme : éloignement des lieux de production, libération des contraintes du salariat, adoption d’un langage et de pratiques d’appareil. Mais il en existe d’autres — nombreuses — qui continuent à militer tout en vivant les contradictions du travail capitaliste : précarité, aliénation, subordination. Ce sont des militant·es inséré·es dans la vie ordinaire de la classe, qui organisent patiemment leurs collègues, leurs voisin·es, leur communauté.

Toute organisation, aussi bien intentionnée soit-elle, peut générer ses propres inerties, ses rigidités, ses rapports hiérarchiques. Mais cela ne saurait justifier un rejet total des médiations politiques. Le fétichisme de la spontanéité, qui consiste à opposer de manière absolue militantisme conscient et authenticité populaire, risque de dévaloriser l’activité militante organique — c’est-à-dire celle qui émerge de l’expérience vécue des dominé·es — en la réduisant à une forme d’avant-gardisme suspect, voire à un « racket de la révolution ».

L’article de N. illustre cette tendance lorsqu’il cite des mouvements contemporains perçus comme spontanés — les soulèvements BLM/George Floyd, les Gilets jaunes, les révoltes sociales au Chili —, en soulignant l’absence d’organisations de masse les encadrant a priori. Or, il est hautement improbable que ces mouvements aient émergé sans qu’un noyau de personnes expérimentées, formées dans des traditions militantes diverses, n’y joue un rôle actif, qu’elles se revendiquent ou non d’une conscience révolutionnaire.

En outre, ces mouvements — malgré leur puissance — n’ont pas porté de projet révolutionnaire clair, ce qui pourrait précisément constituer un argument en faveur du texte initial. Car en l’absence de structures autonomes de masse dotées de pratiques et de discours radicalement anticapitalistes, la conflictualité tend à se traduire par des formes réformistes, confuses ou contradictoires. Si un contre-pouvoir révolutionnaire structuré — reposant sur une mémoire, une culture, des formes d’organisation autonomes — avait existé dans les deux dernières décennies, il est fort probable que la conscience politique qui aurait émergé de ces mouvements populaires aurait été plus clairement orientée vers la rupture systémique.

La société post-industrielle et la conscience de classe

Les classes sociales sont des relations historiques mouvantes et leur expression politique suppose à la fois une expérience partagée de l’exploitation et un travail d’organisation qui permette de construire une force consciente de ses intérêts.

Or, plusieurs militant·e·s s’opposeront à la construction de la conscience de classe les postulats des thèses de la société post-industrielle. Pour ces analyses, le développement du secteur des services, la complexification des structures professionnelles, l’essor du savoir théorique, la hausse du niveau de vie et l’émergence des régulations étatiques ont restructuré les conflits sociaux autour du contrôle de l’information et permis l’émergence d’une classe moyenne composée de cadres et d’employé-e-s qualifié-e-s. Pour ces approches, la société n’est plus marquée par un conflit de classes, mais par des identités et des discours capables de se définir eux-mêmes. Ainsi, nos sociétés contemporaines ne seraient plus autant contraintes par des facteurs socioéconomiques comme la classe et offriraient davantage de place à l’agentivité, contrairement aux anciennes sociétés industrielles.

Néanmoins, ces analyses surévaluent les impacts de ces changements dans la division du travail sur les rapports d’exploitation. En effet, comme l’affirme Peter Meiksins, « le capitalisme n’a jamais, ni par le passé, ni aujourd’hui, généré une classe des travailleurs homogène. Au contraire, il a créé une classe variée et très stratifiée, et les capitalistes ont toujours eu un intérêt inhérent à faire en sorte qu’elle soit aussi divisée que possible ». De même, la complexification de la division du travail contemporaine ne produit pas une disparition des règles de reproduction pour la classe travailleuse, soit l’obligation de fournir du surtravail à travers la vente de la force de travail sur le marché.

Bien que des rapports d’exploitation spécifiques caractérisent les conditions sociohistoriques et orientent la formation de classe, la conscience de classe a toujours été un processus contingent, relationnel et collectif constamment en mouvement de formation et de désintégration. En ce sens, la conscience de classe n’est pas le produit mécanique de facteurs socioéconomiques, mais le résultat d’agents conscients au sein de conditions sociales, politiques et économiques. La construction d’une conscience collective de classe à d’autres époques, comme aujourd’hui, a été un processus très exigeant issu d’un effort intense et soutenu d’organisation militante.

En somme, le capitalisme produit encore des « champs d’attraction », qui polarisent la société en classe dans des situations de classe vécues. Des processus sociohistoriques peuvent mener, et ont historiquement mené, à l’émergence de groupes conscients de former une classe opposée à une autre. Le défi aujourd’hui est de produire un tel processus par des efforts organisationnels considérables, tout comme cela a été le cas par le passé.

L’auto-organisation en guise de conclusion

Le manque de personne dans nos manifs est un symptôme de la passivité actuelle des classes travailleuses, en ce sens que la rue est un prolongement, et non le centre, des conflits sociaux. La passivité s’explique par l’absence des luttes collectives alternatives à celles individuelles ou réactionnaires. Dire qu’il ne faut pas faire les efforts organisationnels sous peine d’être des « évangélistes de la révolution » est irresponsable et nous condamne à être ce que nous sommes depuis les trois dernières décennies au Québec : une frange radicale au sein de mouvements sociaux réformistes ; une médiation politique faible qui n’a aucune capacité à fonder une force sociale menaçant l’ordre des choses.

Il ne faut non pas un retour dogmatique à une forme d’organisation figée, ni une morale militante, mais une stratégie matérialiste de reconstruction du pouvoir social autonome de la classe travailleuse. La proposition n’est pas ici de plaquer un modèle universel, mais d’affirmer que sans formes durables de médiation entre expériences d’exploitation et horizon politique, il ne peut y avoir de contre-pouvoir. Une politique révolutionnaire cohérente aujourd’hui devrait :

Dire qu’il ne faut pas faire les efforts organisationnels sous peine d’être des « évangélistes de la révolution » est irresponsable et nous condamne à être ce que nous sommes depuis les trois dernières décennies au Québec : une frange radicale au sein de mouvements sociaux réformistes ; une médiation politique faible qui n’a aucune capacité à fonder une force sociale menaçant l’ordre des choses.

Il ne faut non pas un retour dogmatique à une forme d’organisation figée, ni une morale militante, mais une stratégie matérialiste de reconstruction du pouvoir social autonome de la classe travailleuse. La proposition n’est pas ici de plaquer un modèle universel, mais d’affirmer que sans formes durables de médiation entre expériences d’exploitation et horizon politique, il ne peut y avoir de contre-pouvoir. Une politique révolutionnaire cohérente aujourd’hui devrait :

  • Identifier les lieux où l’exploitation est la plus forte, visible, et vécue collectivement ;
  • S’insérer dans ces espaces (santé, éducation, services sociaux, syndicats de base, luttes de locataires) pour y développer des pratiques d’auto-organisation anticapitalistes ;
  • Faire de la rue un prolongement, et non le centre, des conflits sociaux ;
  • Se concentrer sur la construction patiente de la conscience de classe comme processus historique ;
  • Construire des organisations populaires capables de revendiquer un pouvoir démocratique sur les sphères économiques, dans une logique d’unification des luttes, non de leur juxtaposition.

É.

Cette barricade-là : lettre pour Maulwurf

 Commentaires fermés sur Cette barricade-là : lettre pour Maulwurf
Avr 232025
 

Soumission anonyme à MTL Contre-info

Cher Maulwurf,

Je suis heureux que les échos se rendent chez vous. J’espère que de ta chambre tu vois le printemps qui arrive, que tu sais prendre ses beautés sans croire à ses promesses. J’ai bien reçu ta réponse et je t’en remercie. Elle me permettra peut-être de dire deux trois mots sur des passages rapides d’un texte qui était déjà inutilement long.

Dans ton texte, tu dis « Rejoindre une position c’est voir une position qui n’est pas la nôtre et s’y rallier. Il faut donc être en mesure d’identifier un autre et soi pour y parvenir. Le vocabulaire de la position révolutionnaire n’est pas en dehors du terme d’identité politique que tu dis pourtant rejeter. ». Je crois qu’il y a confusion quant au soi-disant caractère identique de la position et de l’identité.

L’identité représente, je crois, un double problème que tu as quelque peu énoncé. D’un côté l’identité fixe ce qu’il est (ce qu’il croit être) et ce n’est jamais réellement ce qu’il est. De l’autre le sujet identifié doit communiquer son identité pour être vu comme il est (j’évite ici le terme de « reconnaissance » pour ne pas que l’on dérape sur un autre terrain). Tu l’as dit, l’identité politique (ou l’identité tout court) c’est la correspondance relative du moi et du sujet. À la fois donc le sujet n’est jamais exactement ce qu’il à l’impression d’être ou ce qu’il veut être, mais en plus doit-il le communiquer pour se faire comprendre ce qui ne se réalise non plus jamais exactement comme tel. Pourtant on dit correspondance relative du moi et du sujet. J’avoue regarder autour de moi et ne voir que rarement cette correspondance relative. C’est peut-être ça je crois qui est à la fois dangereux et contagieux quant l’identité devient la pierre angulaire du politique dans une situation comme la nôtre. Là où il pourrait y avoir la discussion interminable sur les constitutions et les arrangements intérieurs propres de chacun et chacune pour voir de quelles manières nous voulons que fonctionnent nos machines politiques, là où il y a les égos comme je disais et les mécanismes consacrés de nos chefferies (comme accès et contrôle des infrastructures mais aussi comme simple force charismatique) il me semble y avoir une concomitance de la disparition de la position. Le terme de position ne cherche pas à contourner le problème de l’identité, mais plutôt se refuse à le régler (puisqu’il n’est pas réellement réglable). La position je crois admet les différentes réalités ou problèmes que pose l’identité, mais en redéfinissant des horizons de considérations stratégiques qu’on voudrait voir. C’est là où peut-être le terme d’identité politique pose problème au sens où si réellement il y avait correspondance entre identité de la politique (insère ici une tendance de ton choix) et le sujet qui s’y réclame, le geste politique s’accomplirait réellement et on sortirait des discours de curé. L’identité si elle existait comme identité ferait réellement le geste. Pourtant cette concordance n’existe pas, pas d’elle-même en tout cas. Il ne s’agit pas de « rejeter les termes d’identité politique » comme tu as cru que je disais, mais à ne pas jouer selon les règles que posent ces identités politiques. Je ne veux plus jouer au roi de la montagne avec le milieu.

Peut-être aurais-je dû commencé par ça : le corps révolutionnaire ne décrit pas un mode qui existe en ce moment, mais est plutôt une tentative exploratoire à répondre à un certain nombre de redites des formes d’organisation classique. Une redite qui tourne à vide, je crois, c’est bien celle de l’identité comme geste. À la question : « qui es-tu? », tombé sur la tête est celui qui répond « anarchiste ». Lorsque je dis que « Nous sommes de ceux qui préfèrent réfléchir en termes de situations, de stratégies, d’éthiques et d’usages plutôt qu’en termes d’identité politique ou de principes moraux. » (§3), je dis que ce n’est pas l’identité politique que j’invoquerai de prime à bord comme médiation entre une situation donnée et une fin voulue. Là où la position ne se résume pas à la question de l’identité, c’est que la position se définit par l’usage et le geste (défendre une barricade, partager un jardin ou s’écrire des lettres par exemple) tandis que l’identité peut se jouer dans un discours ou un métadiscours sur soi. Ma volonté de mettre en lumière et en préférence la première à la seconde ne la nie pas du même coup, elle ne fait que l’écarter stratégiquement. L’identité persiste, mais elle ne devient plus outil de stratégisation de choix. Persiste ceci étant dit un élément proprement délirant de l’idée de s’imaginer « dépasser l’identité » et peut-être charmant, mais ce n’a jamais été mon propos.

Le deuxième problème que tu soulèves c’est celui du corps comme somme ou non-somme du corps révolutionnaire. Tu dis « Personnellement, je vois dans cette proposition (en référant à la §10 de l’écho) une variation sensible, une variation qui fait usage de la métaphore du corps, pour proposer une énième structure de coordination ou une autre table de concertation. ». Il y a dans la §10 la formule « forces organisantes du corps révolutionnaire à construire ». L’énumération que je fais par la suite concerne un ad minima qui irait dans le sens de quelque chose comme la construction éventuelle de ce que j’ai nommé un corps révolutionnaire, soit une forme d’organisation tournée vers l’extérieur qui varie l’agencement de ses forces selon les besoins de la situation. Là où je dis qu’il n’est pas la somme de ses parties, c’est que la somme de ses parties ne lui suffit pas. C’est ce que je veux dire quand je dis qu’il est tourné vers l’extérieur. : il se nourrit par accroissement en saisissant les êtres qu’il traverse. Évidemment, on comprend bien comment la question de choisir la position au lieu de l’identité constitue une condition de possibilité d’une telle forme d’organisation. Ce n’est pas le même en tant qu’identique à soi que les êtres du soi-disant corps révolutionnaire recherche, mais la force de la position comme moment d’organisation et de surgissement politique trans-identitaire (au sens qui est transversal aux identités). Rapidement, je dirais que tu as raison quand tu dis que mon problème ce n’est pas l’identité, que c’est la fétichisation de l’identité, sa sublimation dans les stéréotypes ou la norme, mais qu’il fallait l’écrire : là où je pensais qu’on avait balancé par la fenêtre les injonctions abrutissantes et la fausse performativité de l’identité comme geste par la fenêtre, elle revient par la grande porte d’entrée. J’aurais toujours méfiance envers celles et ceux qui tiennent à tout prix à ce que tout le monde fasse pareil.

J’aurais voulu conclure sur une phrase qui ouvre comme un pied par terre, comme une déclaration, une position, mais elle ne vient pas. Pour finir, je veux te dire que tes mots déjà me suffisent quand tu dis « et surtout assumons notre vie, nos échecs, nos répétitions d’échecs ridicules qu’on veut surmonter, et les idées folles qu’on a, mais qu’on a peur d’énoncer parce qu’on l’a jamais fait. C’est seulement en écrivant et en pensant par nous-même, en cherchant à devenir ce qu’on est pas encore, qu’on réussira à mettre à mal la fixation identitaire. ». Je dirai que ça résonne. Je te rejoindrai sur cette barricade-là.

-HN

Réponse à « L’insu qui vient. Brève pour une tendance à l’action précoce. »

 Commentaires fermés sur Réponse à « L’insu qui vient. Brève pour une tendance à l’action précoce. »
Avr 222025
 

Soumission anonyme à MTL Contre-info

Quelques mots sur l’activisme et l’ère du temps

Nous avons connu, nous connaissons encore, la tentation de l’activisme. Les contre-sommets, les campagnes contre les expulsions, contre les lois sécuritaires, contre la construction de nouvelles prisons, les occupations, les camps No Border ; la succession de tout cela. La dispersion progressive des collectifs répondant à la dispersion même de l’activité.

Courir après les mouvements.

N’éprouver au coup par coup sa puissance qu’au prix de retourner chaque fois à une impuissance de fond. Payer chaque campagne au prix fort. La laisser consommer toute l’énergie dont nous disposons. Puis aborder la suivante, chaque fois plus essoufflés, plus épuisés, plus désolés. Et peu à peu, à force de revendiquer, à force de dénoncer, devenir incapables de simplement percevoir ce qui est pourtant supposé être à l’origine de notre engagement, la nature de l’urgence qui nous traverse.

L’activisme est le premier réflexe. La réponse conforme à l’urgence de la situation présente. La mobillisation perpétuelle au nom de l’urgence, avant de sembler un moyen de les combattre, est ce à quoi nous ont habitués nos gouvernements, nos patrons.

Ajout sur l’anarcho-populisme et la guerre en cours

Le problème, avec les revendications, c’est que, formulant des besoins dans des termes qui les rendent audibles par les pouvoirs, elles ne disent d’abord rien de ces besoins, de ce qu’ils appellent de transformations réelles du monde. Ainsi, revendiquer la gratuité des transports ne dit rien de notre besoin de voyager et non de se déplacer, de notre besoin de lenteur.

Mais aussi, les revendications ne font le plus souvent que masquer les conflits réels dont elles énoncent les enjeux. Réclamer les transports gratuits ne fait qu’ajourner dans un certain milieu la diffusion des techniques de fraude. En appeler à la libre circulation des personnes ne fait qu’éluder la question d’échapper, pratiquement, au resserrement du contrôle.

Se battre pour le revenu garanti, c’est, au mieux, se condamner à l’illusion qu’une amélioration du capitalisme est nécessaire pour pouvoir en sortir. Quoi qu’il en soit, l’impasse est toujours la même : les ressources subjectives mobilisées sont peut-être révolutionnaires, elles demeurent insérées dans ce qui se présente comme un programme de réforme radicale. Sous prétexte de dépasser l’alternative entre réforme et révolution, c’est dans une ambiguïté opportune que l’on s’installe.

– Charles Irving

Entendre l’écho de ma chambre. Brève pour le camarade HN.

 Commentaires fermés sur Entendre l’écho de ma chambre. Brève pour le camarade HN.
Avr 222025
 

Soumission anonyme à MTL Contre-info

Cher camarade-scribe HN,

J’ai bien reçu ton écho. Je suis heureux de voir la multiplication des contributions des derniers temps sur Montréal Contre-info. J’aimerais réagir au Post-scriptum sur le corps révolutionnaire qui me semble «habité» par des contradictions.

Ayant moi-même flirté avec l’ivresse de ma disparition subjective en une forme-de-vie, je ne peux m’empêcher d’opposer le principe de réalité aux idées de «sortie de l’identité» ou aux théories qui essaient de «dépasser» le sujet par des constructions langagières ou théoriques. Le concept de «corps révolutionnaire» me semble être une contradiction dans les termes et en ce sens une impasse. Je vais indiquer mes références aux paragraphes cités en commençant à partir du titre de la section pour faciliter la lecture de la critique.

Premier problème. Tu dis que le corps révolutionnaire est un déplacement d’une politique fondée sur l’identité à une politique de l’articulation du geste à la situation :

Nous dirons simplement ici que se dire révolutionnaire ou anarchiste n’a que très peu de sens en tant que tel, que c’est le geste et l’articulation du geste à la situation qui donne le sens et la force à ces termes (§5)

Soit. Il peut être préférable de laisser parler les gestes au lieu de toujours répéter «un discours stéréotypé». Jusque là, entre ton billet et la mise en garde de Mao contre le «style stéréotypé dans le parti», il n’y a pas une grande différence.

Tu indiques, toujours dans le même paragraphe, que la «position révolutionnaire» consiste en une «élaboration d’une ouverture et d’une faille», une élaboration qui repose sur le geste (§5). Cette position doit pouvoir «être rejoignable, mais être rejoignable ne doit pas être son sacrifice.» (§5)

Rejoindre une position c’est voir une position qui n’est pas la nôtre et s’y rallier. Il faut donc être en mesure d’identifier un autre et soi pour y parvenir. Le vocabulaire de la «position révolutionnaire» n’est pas en dehors du «terme d’identité politique» que tu dis pourtant rejeter. Une approche en positionnalité — un terme qui pourrait être appliqué à ton post-scriptum — c’est une approche à la mode pour dire la politique de l’identité. Je partage ton opposition à ceux qui pensent que «le mot de l’identité dirait la chose et la performerait du même coup» (§5). Mais dans ce cas, c’est une opposition à la fétichisation, à la pensée magique ou aux stéréotypes. Ce n’est pas une opposition à l’identité. Au niveau formel — et uniquement à ce niveau —, ta prise de position ressemble à celle des boomers qui «refusent les pronoms», c’est une métonymie qui confond les choses.

Deuxième problème. Tu soutiens que «le corps révolutionnaire n’est pas la somme d’identités qui le composent, contrairement à la bande ou au groupe» (§9) et qu’« il doit se constituer comme l’interface de ceux et celles pour qui la révolution se fait dans le monde, à bras le corps, jusque dans le temps mort des séquences politiques.» (§9). Tu dis que ce corps « dépasse » les milieux en les articulant stratégiquement et en ouvrant sur l’extérieur. En ce sens, il serait quelque chose de «supra» ou de «méta» qui, j’imagine, ne se localise pas facilement, car il ne fait pas milieu, bande, groupe ou organisation. Or, il y a une contradiction flagrante dans le paragraphe suivant. Tu appelles de tes voeux la création d’

un espace relativement formalisé où les différentes forces organisantes du corps révolutionnaire à construire peuvent s’entendre sur un certain nombre de priorités réelles, se distribuer des tâches en vue de la construction et de la consolidation d’une situation conflictuelle à venir, identifier les manques infrastructurels et réfléchir à comment les combler. (§10)

Personnellement, je vois dans cette proposition une variation «sensible», une variation qui fait usage de la métaphore du corps, pour proposer une enième «structure de coordination» ou une autre «table de concertation». Je ne vois pas comment ce que tu proposes est autre chose qu’une «formalisation» de l’existant, donc une relative fixation dans une forme qui est par définition identifiable. Elle peut être identifiable principalement par sa pratique, chercher à éviter les slogans commerciaux du nec plus ultra de la radicalité, il n’en demeure pas moins que cette prise de position pour la formalisation est en contradiction avec l’idée que le «corps révolutionnaire» serait d’une nature distincte de la «somme d’identité».

***

Ton problème ne semble pas être celui de l’identité. Je comprends la crainte d’être identifiable en tout situation et la volonté de ne pas toujours s’identifier, les risques de la récupération.

On peut refuser d’avoir une identité figée, chercher à ne pas être réduit à celle-ci. Je ne vois pas en quoi l’appareil conceptuel que tu déploies dépasse l’identité ou offre une alternative au langage plus simple des abus ou des problèmes de l’identité.

Personnellement, je pars du postulat que «le moi est une synthèse imparfaite», qu’il n’est pas le tout du sujet. L’identité, c’est quand le moi est égal à soi-même, quand il semble correspondre. On peut tenir des discours mythifiant sur soi, se raconter des histoires, mais est-ce qu’on se donne des outils pour éviter cela en utilisant un terme qui prétend être en dehors des problèmes de l’identité, les dépasser ?

Tes oppositions entre l’authentique et l’inauthentique, elles me rappellent les problèmes de la notion de spectacle. Le problème avec le spectacle c’est l’idée selon laquelle on pourrait être «en dehors» de l’idéologie. Personnellement, j’ai l’impression qu’en faisant ça, on ne fait que déplacer le problème et le rendre plus difficile à nommer : la chute est alors plus douloureuse.

Alors, oui, il faut valoriser la critiquer, en finir avec l’«entre-nous», développer des positions, faire attention à la sensibilité, dénoncer les stéréotypes, les identités figées, mais, à moins de tout confondre, ceci n’est pas «dépasser l’identité».

Nos identités nous viennent de toute sorte de choses qu’on décide pas, elles sont des assignations, des contraintes, mais elles sont également des contraintes capacitantes (Enabling constraint). Personnellement j’utilise beaucoup la théorie de l’interpellation de Jean-Jacques Lecercle pour penser les identités et je demeure convaincu qu’il nous faut «inventer l’inconnu» souvent en critiquant les traditions, en commençant par les nôtres. On peut et on doit se battre contre des identités qu’on nous assigne, mais elles nous donnent aussi la possibilité de parler. On peut énoncer des critiques, des propositions à partir d’une identité, s’attaquer aux fixations identitaires risibles, mais il serait plutôt difficile d’espérer, dans un monde qui nous demande sans cesse de nous identifier, de dépasser (surmonter) cette injonction.

Ton concept de corps révolutionnaire me semble une façon de faire comme si on était pas toujours pris avec nous-même, comme si, de façon déclamatoire, on pouvait dire aux autres qu’on n’est pas ce qu’ils pensent qu’on est. Le problème c’est qu’on n’a jamais le dernier mot. On va continuer de nous identifier, on va nous reconnaître, surtout si on milite dans la durée et qu’on demeure là « dans les temps morts des séquences politiques » (§9).

On te collera un identité, ça va arriver, que tu le veuilles ou non. Alors au lieu de faire comme si, assumes-là et assumons-là. Assumons notre identité individuelle contre les assignations grégaires, contre le cynisme et aussi contre l’individualisme. Assumons notre volonté de ne pas être réduit à un produit, à un fétiche ou à un stéréotype. Et surtout assumons notre vie, nos échecs, nos répétitions d’échecs ridicules qu’on veut surmonter, et les idées folles qu’on a, mais qu’on a peur d’énoncer parce qu’on l’a jamais fait. C’est seulement en écrivant et en pensant par nous-même, en cherchant à devenir ce qu’on est pas encore, qu’on réussira à mettre à mal la fixation identitaire.

C’est en ce sens, parce que je te vois prendre la plume à ton tour et risquer l’écriture, que je me réjoui de répondre à ton écho, camarade. J’ai hâte de lire tes prochaines contributions et j’espère qu’elles nous permettront de sortir de la chambre d’écho, de s’écouter et, qui sait, peut-être de s’entendre. C’est seulement ainsi qu’on peut espérer devenir autre que ce que nous sommes.

Maulwurf

Écho d’un débordement

 Commentaires fermés sur Écho d’un débordement
Avr 202025
 

Soumission anonyme à MTL Contre-info

Lecture partisane des événements du printemps jusqu’à l’automne 2024 à Tiohtià:ke-Montréal

Ce texte cherche à faire le point sur la séquence politique qui va du campement McGill du 27 avril 2024 jusqu’à la grève étudiante des 21 et 22 novembre dernier contre le sommet de l’OTAN. Nous souhaitons faire apparaître ici un certain nombre de remarques et de leçons que les événements des derniers mois peuvent nous révéler. 

Le souci des conditions de possibilité d’une situation conflictuelle et de son passage à une situation insurrectionnelle est au coeur des questionnements de ce texte. Tout au long de la dernière année, on a cherché à comprendre ce qui s’était joué dans le mouvement de solidarité avec la Palestine à Montréal s’étendant du printemps à l’été et jusqu’au mois de novembre 2024. Il s’agit pour nous voir les ouvertures et les limites d’un tel débordement. 

Ce texte s’adresse à celles et ceux qui se sentent interpellés par les expérimentations politiques qui prirent place. Ce texte s’adresse  à ceux et celles qui souhaitent prendre la situation politique conflictuelle – insurrectionnelle et révolutionnaire – à bras le corps. Que les choses aient été difficiles, décevantes, fâchantes et blessantes n’est pour nous qu’une évidence de tout moment politique insolite. Ces difficultés ne sont pas une fin, mais un point de départ.

La dernière année en a été une surprenante. Beaucoup de personnes ont vécu les moments politiques et existentiels les plus prenants et chavirants de leur vie. 

C’est aussi à ces personnes que s’adresse ce texte.

« We’re trapped in the belly of this horrible machine
And the machine is bleeding to death »

« Pour la première fois, les ouvriers se sont sentis chez eux dans ces usines où jusque-là tout leur rappelait tout le temps qu’ils étaient chez autrui. Oui, à chaque instant de la journée de travail quelque petit détail douloureux vient rappeler à l’ouvrier sur sa machine qu’il n’est pas chez lui. Ces hommes, ces femmes, qui tous les jours de leur vie ont appartenu à l’usine, pendant quelques jours l’usine leur a appartenu. Et c’est là la ­tragédie d’une telle ­existence : pour qu’ils se sentent chez eux à l’usine, il faut que l’usine s’arrête. Maintenant que de nouveau les machines tournent, ils se retrouvent sous la même contrainte. Mais du moins, cette tragédie, ils peuvent en prendre conscience. Ils ont senti une fois ce qu’une usine devrait être. Pour la première fois de leur vie, la vue de l’usine, des ateliers, des machines a été une joie. »
– Grèves et joie pure, Simone Weil

Les mots de Weil nous semblent loin. Entre les quatre murs de l’Université, les machines sont imperceptibles. Pourtant, l’usine éclaire l’amphithéâtre. L’évidence d’être autrui – partout. La catastrophe intime de ça. 

Que tout nous apparaisse impossible, inadéquat, futile, épuisant, titanesque, c’est bien ça qui montre l’évidente gravité du travail à faire. Dans le creux de la vague politique, le spectre de la défaite nous hante encore. 

Nous sommes quelques un-es qui partageons l’affect sensible du désastre, quelques un-es à vouloir s’organiser. Le monde d’il y a quelques années déjà semble bien loin. Tout s’accélère et l’empire vient et se ressert sur la carcasse de l’histoire. Nous sommes une poignée et nous ne nous satisfaisons pas des petites victoires que certains proclament. Certains semblent fatigués de la dernière séquence politique et prennent ces victoires comme un baume. Alors si lesdites victoires se vivent – réifiées peut-être, mais qu’elles se vivent tout de même – alors soit ; prenons-les au sérieux, chérissons-les. Attardons-nous aux angles qu’elles suggèrent. 

Depuis la fin de la séquence 2005-2008-2012-2015 au Québec, on voit la mort à grande fête puis à petit feu de quelque chose comme une force étudiante. Puis, en soubresaut – la grève des stages, Non à la COP15, le sommet de l’OTAN – quelque chose comme une combativité qui resurgit par brefs instants. Mais l’aura n’est plus vraiment. C’est-à-dire que chaque tentative apparait comme moment politique éphémère. C’est que son caractère éphémère est sa maladie et non sa direction, c’est sa limite interne. La ponctualité des dernières grèves n’est pas une décision, mais une fatalité. Et on dirait qu’il y a quelque chose d’inauthentique dans ces moments, véritablement, au sens où le geste de faire-grève n’apparaît pas comme moment de rage et de déroute. Le temps de la grève devrait être celui où le temps vide et homogène du quotidien se suspend, se fissure puis se rompt et ouvre sur de nouvelles rencontres, de nouveaux usages, des imprévus. Mais les dernières grèves ponctuelles apparaissent plutôt comme la préparation d’un exercice fade et bien connu. Certain-es ont évalué la grève étudiante contre l’OTAN comme un succès, et ce, dû au degré de combativité de sa manifestation nocturne du 22 novembre 2024. Il s’agit selon nous d’une erreur de lecture. La grève aura servi de prétexte, certes, mais son sous-texte est ailleurs.

Ce soir là, on se rappelle, quelques centaines d’étudiant-es et de militant-es propalestiniens ont défilé brièvement dans le centre-ville jusqu’au palais des congrès. Lors d’une escarmouche,des groupes autonomes ont repoussé une ligne de flics jusque dans une ruelle, les ont aspergés de peinture et ont balancé des feux d’artifice. Quelques moments plus tard, des poubelles et des voitures brûlaient, les vitres du palais explosaient soudainement sous les pavés et les marteaux. La foule fut rapidement dispersée. Le reste du traitement policier et médiatique de l’événement a pris des dimensions énormes, la farce était consacrée. Il aura fallu le chef de la police du SPVM pour rappeler aux politiciens qu’il ne s’agissait pas d’actes antisémites, mais bien de gestes politiques par des groupuscules connus des services. Aucune arrestation à ce jour ; pas si connus que ça finalement. Cela dit, cette manif n’est pas à l’image de ce qui aura été une grève de deux jours somme toute décevante. Se réjouir du bref surgissement émeutier, certes et avec grande joie, mais aussi soumettre à la critique l’exercice réel de cette grève. 

Ce qui aura été frappant de cette grève, c’est le peu de personnes qu’elle aura mobilisé au sein de l’UQÀM, où une zone de grève avait été improvisée dans l’agora. Quelques activités, des tracts, des bannières, des lectures, du café. C’était pas mal ça. Une petite manif interne d’une demi-heure. À Concordia, on a vu une manif plus pimentée ; la foule a envahi les couloirs – sous l’initiative d’une constellation de groupes autonomes – et a défilé sur plusieurs étages, laissant derrière elle une trainée de tags et des caméras brisées devant les yeux ahuris des gardiens de sécurité. À l’entrée du bureau de l’administration, moment d’hésitation et de confusion. À ce moment-là, il y avait quelque chose comme l’harmonie entre la rage et la joie. Des initiatives semblaient prêtes à surgir, hors de toutes attentes, assez imprévisibles. Nous disons que c’est ce que doit produire la grève. Le jeu entre ce qui est attendu et ce qui ne l’est pas, un rebrassage des cartes en bonne et due forme. Mais tout ça fut rapidement avorté. Trente minutes plus tard, tout était terminé. 

Le deuxième jour de la grève, on a vu un peu plus de monde à la zone de grève, principalement parce que les étudiant-es des Cégeps en grève ont convergé vers l’agora de l’UQAM. À quelques instants du début de la manif’ de soir : ateliers sécurité en manif’, distribution de matériel défensif et autres trucs, formation d’équipes –  l’agora était pleine et elle n’avait pas été aussi belle depuis longtemps. Sûrement certain-es ont trouvé du réconfort ou une réelle satisfaction dans l’exercice de débrayage des 21 et 22 novembre derniers. On avoue que nous aussi, un peu quand même. Pourtant, ce qui s’est passé nous semble surtout éclairer ce qui aurait pu arriver. 

« […] Tandis que la première forme d’arrêt du travail (la grève politique revendicatrice) est une violence, car elle ne provoque qu’une modification extérieure des conditions de travail, la seconde en tant que moyen pur est sans violence. Car elle ne se déclenche pas avec l’arrière-pensée de reprendre l’activité après des concessions superficielles et une modification quelconque des conditions de travail, mais avec la résolution de ne reprendre qu’un travail entièrement changé, non imposé par l’État ; bouleversement que cette sorte de grève provoque moins qu’elle ne le réalise. »
– Critique de la violence, Walter Benjamin

Dans Critique de la violence, Benjamin s’intéresse à deux formes-grèves distinctes. D’un côté, la grève politique apparaît comme un exercice de revendication où les prolétaires posent le débrayage comme geste de médiation en vue de l’atteinte d’un objectif salarial ou autre. De l’autre côté, il y a ce que Benjamin appelle « grève générale prolétarienne ». Nous l’entendrons comme grève humaine, grève sociale. La grève sociale, c’est la grève qui suspend la temporalité réelle des activités productives du travail et des activités quotidiennes normales sous le mode de production capitaliste. Le temps du travail est délivré de sa charge dépossédante et aliénante ; la temporalité changée, l’espace devient habitable et les relations aussi. La grève sociale réalise plus qu’elle ne provoque, voilà ce que disait Benjamin. Mais les grèves ponctuelles étudiantes ne réussissent pas – ou plus – à suspendre le cours normal des choses du quotidien. Rien de gênant ou de dérangeant à la vue de quelques divans, de quelques slogans et de bannières. 

Revoir alors la liste courte des objectifs possibles d’une grève : faire pression et se lier/changer la vie réelle/le rapport à l’infrastructure/réappropriation des usages des espaces, libérer du temps, etc. Dans l’optique où l’on admet que la grève des 21-22 novembre n’a pas réussi à faire pression (puisqu’évidemment il s’agissait d’un contre-sommet, personne n’a réussi à destituer ou à désarmer l’OTAN), on se serait attendu à ce que la zone de grève soit bien plus populeuse, que les gens profitent de la ponctualité comme d’une force (il est bien plus facile d’exploser le quotidien une seule journée que 6 mois durant) et de ce qu’elle pourrait ouvrir (beaucoup plus de légèreté qu’une interminable Grève Générale Illimitée) pour s’approprier massivement les couloirs et les salles de l’université. On aurait voulu qu’il y ait des mots d’ordre associatifs et autonomes, que les gens prennent des initiatives, aient un peu de créativité, repeignent des sections complètes, qu’il y ait des cantines, des partys, qu’il y ai des espaces pour se rejoindre réellement. Visiblement, la force organisatrice nous manque pour réussir quelque chose comme ça. 

Pourtant, une réappropriation d’espaces et de temps, c’est bien ce que les campements propalestiniens ont exercé, à leur manière, quelques mois plutôt. Les campements constituaient un melting pot entre les étudiant-es tendance radlib’, des personnes de la communauté musulmane de tous horizons, des  insurrectionnalistes, la gauche radicale étudiante, des visages connus du communautaire et une poignée d’autonomes. Mais le débordement par le nombre aura été la plus grande absente. Les manifestations organisées sur des bases autonomes n’auront que rarement atteint le millier de personnes. Ceci dit, les campements propalestiniens devraient tout de même nous éclairer sur une série de choses. Notre lecture ici, c’est que c’est bien les campements pro-palestiniens du printemps et de l’été 2024 – et non la mobilisation pour la grève du 21-22 novembre – qui ont permis de voir surgir une scène comme la manif à saveur offensive du 22 novembre au soir. Notre constat, c’est qu’aucun groupe, composition de groupes ou organisation n’était à même de faire résonner les événements du 22 novembre au soir au-delà du fantasme et du bavardage. 

L’éternité d’un jour de grève

Ici il nous faut faire un rappel qui nous apparaît nécessaire : ce que nous voulons, c’est bel et bien la chute effective de l’État en tant qu’il est l’outil de reproduction national du mode de production capitaliste. Nous voulons abattre le quotidien du mode de production dans ce qu’il a d’aliénant et de réellement dépossédant. Construire des communautés autonomes et désarmer les institutions, les bras armés, les industries destructrices, ses chemins logistiques,etc. Participer à l’élaboration de nouveaux communs, de zones libérées de l’impératif marchand. Ce que nous voulons en ce sens, c’est bien gagner. Mais gagner n’a jamais été notre fort. Nous sommes héritier-es d’une histoire de défaites, de désastres, de déceptions. Certain-es semblent même avoir oublié que c’est bel et bien ce qu’on veut, que c’est bel et bien une guerre qui est en cours et que cette guerre, chaque jour, se perd. Pour gagner dans l’asymétrie évidente il nous faudra comprendre. Comprendre et toucher nos contemporains. Rester dans notre coin et nous satisfaire d’une radicalité morale ne nous intéresse pas. Résonner, contaminer ; par grands cris quand il faut pour se faire entendre et par complots à voix basse pour s’installer et temporiser. Mais se répandre, oui, aussi loin que possible. Dans l’éventail des réalités politiques et organisationnelles que pose une telle problématique surgit la question dite de la composition.

Parenthèse sur la composition:
Le terme de composition a été bien en vogue depuis Les Soulèvements de la Terre et la très impressionnante et macabre émeute de Sainte-Soline. Dans les derniers mois au Québec, on l’a vu utilisé pour proposer une manière stratégique de se saisir du politique, de ses binarités et de ses tendances, et éventuellement de chercher à les dépasser. Nous proposons plutôt ici la lecture du concept de composition non comme la proposition stratégique d’un problème, mais comme forme de surgissement réel, comme réalité actuelle de tout mouvement social/politique contemporain. Comprendre le politique comme situation réelle et non comme situation idéale, chercher à prendre la réalité politique à bras le corps c’est, dans le constat de la composition, organiser les contrepoints des forces en présence. La séquence des campements propalestiniens du printemps et de l’été 2024 a quelque peu réussi à poser cette grammaire du politique d’une autre manière que celle dont on avait l’habitude au sens où elle a forcé un certain nombre de groupes et de tendances à travailler ensemble.

Parenthèse sur la barricade:
Les campements ont mis au goût du jour ce qu’on évoquera ici  comme la théorie de la barricade. Nous disons que ce que la barricade fait réellement ne se résume pas à la prise d’un territoire ni à sa défense. Évidemment, la barricade est libération d’un lieu, redéfinition de ses usages, démantèlement effectif du paysage. Mais la barricade fait aussi surgir la position. Elle force non seulement les gens à concevoir son existence comme réelle – chose que les discours ou les appels à la lutte peinent évidemment souvent à faire – tout en polarisant et en forçant le positionnement. En ce sens, la barricade, lorsqu’elle émerge à la vue, fait aussi surgir le sentiment de devoir choisir un bord. On est derrière ou devant la barricade et cela veut dire beaucoup. Ça ne veut pas dire que tout le monde d’un côté s’entend sur tout, mais qu’ils ont une certaine compréhension commune d’un certain sensible. Être d’un côté de la barricade c’est aussi donc refuser ce que l’autre côté pose comme réalité. Dans un monde où toucher et affecter constitue une difficulté réelle, ce n’est pas rien.

Parenthèse sur la densification:
On note aussi que les campements ont réussi à créer un mode d’entrée en relation  inouï dans le paysage de la militance classique de Montréal. Dans l’élan d’un mouvement international, des étudiant-es de McGill, des militants de Palestinian Youth Movement, Montreal 4 Palestine, pas mal de monde de la communauté musulmane, des étudiant-es juif-ves et un certain nombre de folks in black se sont saisis du McGill Lower Field et l’on fait leur. On pourra se demander si la durée (74 jours?!) n’aura pas montré l’inefficacité de la tactique en lien avec les revendications. La grève ou l’action ponctuelle et éphémère n’ont effectivement que très peu d’impact sur la transformation d’une situation politique institutionnelle donnée. Mais ce n’est pas celle qui nous intéresse ici. Ce qu’on a vu par contre c’est que l’exercice a permis une densification particulière des liens politiques et sensibles entre des gens de tous horizons. La densification était spatiale et temporelle ; en quelques jours des inconnu-es devenaient des camarades, puis des ami-es ; des gens se radicalisaient expressément ; dans le quotidien, on prenait en charge les tâches pénibles, on se préparait ensemble à répondre intelligemment aux éventuels raids policiers  ; tout ça créait de nouvelles confiances, mais aussi de nouvelles craintes, de nouveaux doutes, de nouvelles réalités de luttes. La densification opérée par les campements aura été sa force et sa limite. Le constat général partagé à leur suite est l’épuisement des forces en puissance, notamment dans la reproduction matérielle quotidienne de la vie du camp. 

L’heure dense

Ceci dit, la densification aura aussi permis de voir surgir de nouvelles alliances, de nouvelles formes conflictuelles qui s’accordaient sur l’envie d’en découdre avec la police et les infrastructures urbaines et universitaires. On a vu une contamination surprenante des tactiques de rues, offensives et défensives. Successivement, quatre moments clefs (qui ne représentent pas exhaustivement les moments conflictuels) : i) le cas de l’escarmouche  policière nocturne à l’Université Populaire Al-Aqsa et de la baston concomitante ii) l’occupation de l’administration et la manif’ orageuse du 6 juin à McGill iii) la colère du démantèlement d’Al-Soumoud et la vengeance sur le bâtiment de l’administration de McGill, et iv) la manif’ du 7 octobre 2024 à Concordia devant la confusion policière. Chacun de ces moments ont montré comment, dans un instant de colère pouvait se réaligner des forces qui semblaient impossibles à conjuguer. C’est un travail de récurrence – à la fois concerté et organique – qui a permis la normalisation et la multiplication d’une tactique comme le Grey Bloc dans les manifestations d’été et d’automne. Dans la contingence du printemps et de l’été où, d’un côté, les relations de confiance et les savoirs tactiques s’échangeaient dans les camps et, de l’autre, où se multipliait les manifestations à potentiel de débordement, on a vu une gradation confrontationnelle qui faisait rupture avec les manifestations pacifiantes de l’automne 2023 et de l’hiver 2024. Cette séquence-là est intéressante dans ce qu’elle ouvre comme questions: c’est à se demander comment on aurait pu faire mieux et plus tôt dans le mouvement, à se demander si par exemple on aurait pas dû jouer un rôle dès le départ dans les grandes manifestations pour offrir une présence rejoignable pour ceux et celles qui se reconnaissaient dans la rage, la colère et l’envie de bricoler une réelle force de débordement. C’est aussi à se demander de quelle manière on aurait pu canaliser les forces en présence au-delà de ce qui s’est passé. Dans l’optique de l’éventualité où on aurait pu réussir à rencontrer et à se lier avec plus de personnes, la question persiste à savoir où et comment on aurait pu emmener le débordement sans qu’il ne soit qu’une redite vouée à s’essouffler. 
 
La séquence des camps et des manifs semble s’être épuisée vers la fin de l’été. Nous comprenons cet épuisement en tant qu’incapacité à se lier de manière suffisamment vaste aux étudiant-es, incapacité à déborder des campus, incapacité à créer des moments de rencontre qui ne soient pas des redites du milieu soi-disant révolutionnaire, incapacité à intervenir de façon satisfaisante dans les espaces politiques déjà déployés, incapacité à contaminer et à résonner en dehors d’un groupe assez restreint de personnes déjà convaincues. Cet épuisement nous apparaît aussi comme une réelle fatigue. On l’a dit, le quotidien des camps nécessitait un effort logistique et matériel constant, effort qui minait de l’intérieur les énergies à réfléchir et faire autre chose. Dans le cadre du mouvement propalestinien, cet épuisement avait quelque chose de tragique, mêlé à une impuissance insupportable. Devant ces conclusions, il nous faut inévitablement nous poser les questions suivantes : comment dépasser la stagnation dans les séquences politiques conflictuelles? Comment éviter de s’isoler dans la radicalité tout en la conservant? Comment être rejoignable? 

Si débordement il y a eu l’année dernière – et c’est bien ce que nous pensons – ce débordément a fini par s’écouler dans les tranchées d’un manque certain. Ce manque, nous pensons que c’est précisément celui de l’organisation. Une situation conflictuelle ou insurrectionnelle se concrétise dans une articulation entre plusieurs choses. Nous n’en nommerons que deux. D’une part une telle situation peut surgir comme d’elle-même au sens où le débordement donne l’impression qu’il n’est ni anticipé ni proprement organisé. C’est ce qui semble s’être produit avec le mouvement pro-palestinien à Montréal en tant que c’est une accumulation de petits événements (et sa résonance à l’international) qui poussera à l’émergence des camps et des manifs combatives. C’est aussi sous cette forme que surgissent des moments émeutiers comme celui du 31 mai 2020 à Montréal suite à la mort de George Floyd. C’est aussi, dans une certaine mesure, ce qu’il s’est passé avec Gilets Jaunes. Nous dirons de cette forme qu’elle est spontanée. De l’autre, il y a les mouvements qui sont organisés et stratégisés d’avance. Ici on peut penser évidemment à la grève étudiante de 2012 et à celle de 2015. Ces mouvements s’organisent à partir de structures organisationelles locales, régionales et nationales. L’ASSÉ (Association pour une solidarité syndicale étudiante) était l’élément structuré du mouvement étudiant combatif qui permettait l’élaboration de camps de formation, de campagnes de mobilisation, de couverture médiatique et d’organisation de manifestations relativement populeuses partout au Québec (surtout à Montréal). C’était à la fois un véhicule pour la mobilisation étudiante et quelque chose comme un front démocratique qui était rejoignable sur une base quasi permanente. Le succès relatif (dans le nombre et le caractère généralisé du conflit social) des mouvements de 2012 et 2015 ne sont évidemment pas dû au simple travail de l’ASSÉ et de ses différents comités. Plutôt,c’est le débordement de ces structures de manière autonome et massive qui permit de voir se dessiner des situations conflictuelles intéressantes. Il ne s’agit pas ici de regretter la mort de l’ASSÉ ou encore de souhaiter la construction de structures qui lui seraient absolument homologues, mais de voir ce que l’organisation sur une base formelle permet d’accomplir comme travail. Ce type de structure est évidemment insuffisant et bourré de limites, mais il permet tout de même d’élargir de manière sensible les potentialités de mobilisation. C’est aussi à partir de et à côté de ce type de structures que l’efficacité des groupes autonomes et des groupes affinitaires sont au sommet de leur efficacité. Ceci dit, ne soyons pas fantasques quant au caractère révolutionnaire de telles structures. Il n’y a de réellement révolutionnaire que ce qui abat le cour réel du quotidien sous le mode de production capitaliste. 

Les mois qui viennent sont incertains : l’ombre d’un appauvrissement général, la montée du fascisme, la déchéance de l’économie des marchés globaux, de l’état d’exception continuel face à une gestion vampirique et sale de la question du logement, des mises à pied de masse, de l’inflation qui explose et les projets extractivistes qui se redoublent de partout. Les questions posées plus haut sont à prendre au sérieux pour espérer pouvoir être à la hauteur de la situation. 

Si, coincé-es dans le ventre de la machine qui saigne à mort, il y a une politique révolutionnaire possible, elle doit nécessairement se poser sur le temps long. Il nous faut élaborer davantage d’infrastructures et des pratiques d’organisation qui nous permettent collectivement d’être rejoignables par d’autres. 

Post-scriptum sur le corps révolutionnaire

Il y a ce qui surgit. Mais ce qui surgit happe. On l’a vu, l’insurrection a porté et portera le signe du signifiant le plus fort. Ne pas vouloir jouer le jeu de l’hégémonie – jeu qui est trahison de soi et des autres, inévitablement – c’est effectivement refuser de la revendiquer par et pour un programme. Il nous faut cependant y accrocher des usages, des éthiques, des formes. Y accrocher ces gestes, les incarner et ainsi changer son cours. Lorsque l’État ou le capital trébuche, il faut quelqu’un ou quelque chose pour le faire tomber. Nous ne pouvons pas compter sur un corps qui surgirait, spontané, et porterait un coup fatal. L’occasion est trop grosse et le risque est trop grand. Ce qu’il nous faut, c’est un corps qui serait à même d’élucider et de stratégiser cette chute. De la même manière, nous voulons un corps qui soit capable de construire rapidement, de lier, d’écrire, de partager, de diffuser et d’organiser. Nous ne faisons pas l’erreur de croire que c’est ce corps qui a créé ou qui créera expressément l’insurrection : la recette exacte pour celle-ci nous reste inconnue. Nous reconnaissons le rôle du corps révolutionnaire à créer du mouvement, mais pas à créer le mouvement. Le Groupe révolutionnaire Charlatan l’a dit et nous partageons le constat : le rôle de la minorité c’est bien de forcer la prise de position. 

Nous posons aussi qu’un corps révolutionnaire ne doit pas avoir pour objet une tendance politique historique. Nous avons vu dans les dernières années comment celles-ci ne nous permettent que très peu de nous comprendre, encore moins de nous donner les moyens de nos ambitions ou de tracer nos lignes de convergences et nos réelles lignes de fractures. Il n’y a rien de révolutionnaire dans le fait de revendiquer un anarchisme ou un communisme quelconque. Tout de révolutionnaire à travailler à le faire advenir. 

D’un autre côté, à aucun moment il ne s’agit de nier ou de camoufler une radicalité. Seulement, la question révolutionnaire doit cesser d’être reléguée constamment en termes de binarités historiques. Ces binarités doivent être ramenées les deux pieds sur terre comme disait l’autre. Le réformiste ou le citoyen, à un moment donné, penche dans l’action insurrectionnelle : il est traversé par la situation. Nous sommes de ceux qui préfèrent réfléchir en termes de situations, de stratégies, d’éthiques et d’usages plutôt qu’en termes d’identité politique ou de principes moraux. 

Aussi, le corps révolutionnaire ne doit pas avoir pour objet le sujet. La bande, le groupe, l’organisation : aucun n’est à l’image de ce que devrait être un corps révolutionnaire. Il ne doit pas y avoir la revendication ou quelconque processus de reconnaissance à faire partie du corps révolutionnaire, seulement la réalité matérielle/existentielle de participer à sa construction. Nous comprenons la nécessité historique de certains groupes et leur rôle clef dans l’échafaudage infrastructurel réel ; d’un autre côté nous comprenons aussi leur insuffisance dans la construction de positions révolutionnaires communes fortes. 

Une position révolutionnaire consiste non en une force de proposition charismatique et publicisable, mais en l’élaboration d’une ouverture, d’une faille dans le quotidien qui soit réactualisable par d’autres et pour d’autres, donc autrement. Une position révolutionnaire doit pouvoir être rejoignable, mais être rejoignable ne doit pas être son sacrifice. On nous a dit que ce qui permet de résonner, d’entrer en résonance avec d’autres avait comme condition de possibilité d’être authentique dans le geste. Nous abondons en ce sens. On nous a dit que créer des relations en s’éloignant de l’affirmation identitaire de tendances politiques était inauthentique et malhonnête. Le mot de l’identité dirait donc la chose et la performerait du même coup. Se dire insurrectionnaliste c’est du même coup faire l’insurrection… Tout ça n’a aucun sens. Les pasteurs nous sermonnent parce qu’il faudrait qu’être « anarchiste » ou « révolutionnaire » soit le préfixe de notre existence politique. Nous dirons simplement ici que se dire révolutionnaire ou anarchiste n’a que très peu de sens en tant que tel, que c’est le geste et l’articulation du geste à la situation qui donne le sens et la force à ces termes. Nous rétorquons aussi qu’il y a de l’authenticité à vouloir être entendu et compris, et qu’il faut stratégiser les manières de l’être. Nous disons que tout le monde n’est pas à même de comprendre ce que tentent de signifier 50 personnes vêtues de noir isolées face à une armée de flics. Nous disons que ça, ça ne résonne pas, ou en tout cas ça ne se résonne pas souvent. Ou peut-être que ça résonne, comme crier dans une boîte vide, comme l’écho de sa propre voix. Et nous ne tenons pas spécialement à nous casser mutuellement les oreilles. Nous voulons cependant parler assez fort pour être entendus et compris. Nous ne voulons ni crier dans le vide ni chuchoter entre nous. Nous allons dans le sens de cette phrase qui dit nous ne pouvons pas forcer tout le monde à parler notre langue ; nous voulons devenir polyglottes. 

On dira finalement qu’être rejoignable c’est toucher au coeur de ce qui est partageable dans la catastrophe sensible et intime du monde. Si la position révolutionnaire peut apparaître comme une sécession avec le quotidien de l’économie et de la politique (en tant qu’elle est sortie de la torpeur, de l’incapacité, de la confusion, de l’angoisse,  en tant qu’elle cherche à élaborer des modes de vie néfaste au mode de production capitaliste), elle ne doit pas tenir à tout prix à se poser comme sécession face aux « individus » du corps social. 

Être à même de formuler des positions révolutionnaires ou insurrectionnelles communes qui soient rejoignables nécessite un certain niveau de formalisation . Ainsi, notre conclusion à dépasser l’opposition entre mouvement et organisation nous apparaît  davantage comme une nécessité que comme un souhait. Elle nous apparaît comme seule façon de dépasser l’entre-nous du « milieu militant » et de tenter notre chance.

On l’a dit, donc : un des rôles du corps révolutionnaire, c’est d’élaborer des positions révolutionnaires. Mais le corps révolutionnaire doit également se méfier de sa propre corporéité.

Le corps révolutionnaire n’est pas la somme des identités qui le composent, contrairement à la bande ou au « groupe ». Sa fonction historique ne doit pas être récupérable parce qu’elle doit consister à abattre le quotidien dans le mode de production capitaliste. Elle doit avoir la joie destructrice de la bande, mais sans sa grégarité, sans ses caractères, ses chefs et ses égos. Le corps révolutionnaire ne doit trouver son sens que dans ce qu’il réalise effectivement. Par peur de se nécroser ou de se cristalliser en groupuscules ou en groupes, il doit s’obséder à ces questions : analyses des lignes de forces et de faiblesses, suivre l’évolution de séquences conflictuelles, distribuer des tâches en vue d’une situation à venir, élaborer théoriquement et de manière critique ce qui est fait, faire des suivis stratégiques et tactiques des séquences passées, cartographier et élaborer les infrastructures dont nous avons besoin et l’entretien desdites infrastructures, intervenir politiquement en temps juste pour stopper le spectacle,etc. Le corps révolutionnaire doit fluctuer en intensité selon la densité du conflit social, mais il doit tout à la fois se prémunir contre l’urgence activiste et être une force tranquille dans le creux de la vague. Il doit se constituer comme l’interface de ceux et celles pour qui la révolution se fait dans le monde, à bras le corps, jusque dans le temps mort des séquences politiques. Le corps révolutionnaire ne doit pas revendiquer le corps social – en partie ou en totalité -, mais ses positions doivent chercher à l’ouvrir, l’expliciter, le polariser et à transformer les processus réels de production et de reproduction du quotidien et de son esthétique.Et donc le corps révolutionnaire ne nie pas les forces déjà présentes dans les milieux révolutionnaires, mais les dépasse. Il le dépasse parce qu’il se saisit de puissances qui existent en son sein, mais plutôt que de les revendiquer ou de les reproduire, il les articule stratégiquement et les ouvre sur l’extérieur. 

Ce qui devrait apparaître essentiel dans les mois qui viennent, c’est de réussir à créer un espace relativement formalisé où les différentes forces organisantes du corps révolutionnaire à construire peuvent s’entendre sur un certain nombre de priorités réelles, se distribuer des tâches en vue de la construction et de la consolidation d’une situation conflictuelle à venir, identifier les manques infrastructurels et réfléchir à comment les combler. Apprendre de la dernière année, finalement, des bons coups et des échecs, et parce que l’époque l’exige, faire mieux.

-HN

Trois meurtres en 24h. Attaque nocturne contre les Techniques policières. Justice pour Abisay Cruz !

 Commentaires fermés sur Trois meurtres en 24h. Attaque nocturne contre les Techniques policières. Justice pour Abisay Cruz !
Avr 182025
 

Soumission anonyme à MTL Contre-info

Le lundi soir 14 avril, des anarchistes sont entrés dans le Collège de Maisonneuve où l’on trouve le programme de formation policière, Techniques policières. L’entrée a été peinte avec « MINI FLICS = FUTURS TUEURS » et « JUSTICE POUR ABISAY CRUZ » ainsi que d’autres slogans comme « 3 STATE MURDERS IN 24H » et « MAKE FASCISTS AFRAID ». Un extincteur rempli de peinture a beaucoup aidé et une fenêtre a été pété. Nous n’oublions pas les meurtres et les abus qui ont été commis par la police de Montréal au cours des dernières semaines et lecteurs, svp, répandez la vengeance populaire. Aux étudiants du programme Techniques policières : quitte et change ton parcours, ce n’est pas un avenir sécuritaire, ni pour nous, ni pour vous. Ce programme forme des personnes qui seront l’avenir de la violence d’État. La police est une force qui punit les pauvres, les immigrant.e.s et les personnes racisées, qui mattraque et tire sur les manifestant.e.s, arrête et tue les gens comme des mouches. Cette société est malade et la maladie est le capitalisme, l’État et la hiérarchie et les gardiens de cet ordre social terrible sont la police. Nous n’oublierons jamais les injustices commises à notre égard. Vive la mémoire d’Abisay Cruz et celle des autres personnes tuées par la police.

Le lendemain matin, dans ce vidéo, on peut voir les regards curieux des passant.e.s.

Commentaire sur « Quand on est nombreux.se.s, on fait ce qu’on veut »

 Commentaires fermés sur Commentaire sur « Quand on est nombreux.se.s, on fait ce qu’on veut »
Avr 172025
 

Soumission anonyme à MTL Contre-info

Ce texte fait office de commentaire au billet « Quand on est nombreux.se.s, on fait ce qu’on veut » Analyses et propositions à partir de la séquence de manifs actuelles. Si le diagnostic initial – notre impuissance et notre petitesse enorgueillie face à la répression policière en manifestation – semble a minima fidèle avec la réalité, la prescription qui suit semble insuffisante, voire rate sa cible.

Commentaire sur le diagnostic

Le billet commence par proposer une analyse partiellement juste de la situation actuelle en manifestation. Depuis la séquence 2020-2024, le SPVM a utilisé une tactique plutôt douce de contrôle des foules : arrestations ciblées, encadrement, relatif laissez-faire. Il s’agissait d’une tactique fonctionnelle dans un contexte où les manifestations restaient essentiellement pacifiques et inoffensives et où le niveau de conflictualité demeurait faible, voire inexistant.

La séquence de lutte en solidarité avec la Palestine semble en effet avoir changé la donne. Le niveau de conflictualité s’est intensifié, le ton s’est progressivement durci. Le tapage médiatique faisant suite à la manifestation du 22 novembre contre l’OTAN a construit un narratif selon lequel le SPVM se serait ridiculisé devant un petit millier de manifestants. Il semble pourtant qu’une analyse fine montre que cette interprétation serait à nuancer : quelques gestes de recul du corps policier, un bloc qui se tient mieux qu’à son habitude et une contingence d’événements nous offrant des opportunités ont permis à quelques gestes d’être posés. S’il s’agit d’une victoire, elle reste minimale. En effet, quelque chose s’est produit, quelque chose de suffisamment important pour forcer l’espace public à se positionner face à ces gestes. Mais l’événement n’a pas eu d’effets d’entrainement conséquents. Si, pendant un instant, les gestes se sont débordés eux-mêmes et ont pu être – une fois n’est pas coutume – porteurs de sens, les échos de cette résonance se sont perdus dans le vide. Vide dont il ne restera qu’un énième souvenir nostalgique : « tu te souviens le 22 novembre? C’était l’fun… ». L’illusion de la puissance n’est que la marque de notre addiction à celle-ci.

Ladite « victoire » contre le SPVM reste donc minimale et banale. Un peu de nombre et de cohésion n’ont pas empêché les anti-émeutes de disperser la foule quelques centaines de mètres plus loin. Force est de constater que ce faux pas de la police a tout de même été une humiliation suffisante pour que le SPVM décide effectivement de changer de tactique, comme le montre justement le billet « Quand on est nombreux.se.s, on fait ce qu’on veut ». À l’image d’une tendance à l’hagiographie assez répandue, le texte parle abusivement d’un changement de paradigme pour qualifier un simple réajustement des tactiques policières de gestion de foule. Réajustement régressif s’il en est, car il revient à la banalité des tactiques utilisées entre 2012 et 2018/2019 : plus forte répression, plus d’arbitraire, manifestations déclarées illégales dès que possible. Il ne s’agit pas d’un changement de paradigme, mais d’une réponse adéquate de l’appareil policier. Ceux qui s’en étonnent restent pris dans l’ambiguïté de leur analyse de la police comme appareil d’État : il semble incohérent de s’insurger de la répression d’un système que l’on tente d’abattre. Une lecture cohérente de l’appareil policier doit être la suivante : il garantira le droit tant et aussi longtemps qu’il ne se sentira pas menacé et, s’il trébuche, ne serait-ce qu’un instant, il ajustera son logiciel tactique. Nous l’avons vu ailleurs, en France, au Chili, en Grèce, en Serbie et même en Israël : l’ampleur des mouvements de contestations du pouvoir rencontre une réponse à leur hauteur. Et la logique du droit s’adapte simplement à ce mouvement de maintien de la reproduction du capital devant ses cycles de luttes. Rien de nouveau sous le soleil (« Y a-t-il une seule chose dont on dise : Voilà enfin du nouveau ! – Non, cela existait déjà dans les siècles passés »).

Dernier point : sans être cyniques ou désabusés, nous devons observer que le renouveau tactique de la police reste somme toute d’une violence assez modeste. Oui, il s’agit d’un renouveau, mais il s’agit tout de même d’un niveau de répression qui n’égale en rien ce que nous pouvons voir ailleurs ou ce qui avait lieu en 2012/2015.

Qualifier les changements tactiques policiers de « changement de paradigme » semble trompeur, mais le diagnostic du billet reste juste dans l’ensemble : la police est donc maintenant organisée de façon à nous écraser plus simplement et sans minauderie. S’il semble vain de s’en étonner, il reste tout de même pertinent d’analyser les changements de procédures de la police, ne serait-ce que pour l’utiliser comme baromètre de l’état du mouvement social réel. Le baromètre indique ainsi que nous sommes passés d’endormis à assoupis.

Commentaire sur la prescription

La prescription du billet se fonde sur un constat qui devrait être évident à tous : la force vient dans le nombre. Or, nous n’avons pas le nombre. Donc il s’agit du nœud du problème. Difficile de nous imaginer ne pas être intimement convaincus de la nécessité du nombre, peut-être à l’exception d’une poignée de guérilleros anarcho-ninjas, trop agoraphobes pour tolérer l’idée d’une grande foule hétérogène et qui pensent qu’en formant des groupuscules affinitaires aux actions tellement secrètes que personne n’en entend parler, il sera possible d’entrer en résonance miraculeuse avec les moldus, lesquels se retrouveront à être touché par la Sainte Grâce de l’Anarchisme, les poussant alors à trouver eux aussi des amis (i.e. former un groupe affinitaire).

C’est parce qu’avoir raison seul, c’est avoir tort, que la nécessité du nombre s’impose comme une évidence. L’analyse du billet est juste en la matière, ce qui retient le nombre c’est le réflexe presque irréfléchi d’agir : « lorsque nous parlons de sentiment de panique menant à la prise d’action immédiate, nous parlons d’une forme « d’énergie du désespoir », de ce « Il faut faire quelque chose! » que plusieurs d’entre nous ressentent en regardant les nouvelles ou en discutant du contexte politique actuel ». Ce réflexe que décrit le billet est en fait la marque d’une tendance à croire que, devant toute situation, il suffirait de courir en criant avec les bras en l’air, de sauter d’une cause à l’autre, tout opportunistes que nous sommes. Pourtant, ce réflexe nous détache de la certitude sensible, des affects initiaux qui devraient pourtant nous motiver. Ce qu’un nouvel événement finit par avoir d’exceptionnel pour nous, ce n’est plus la situation en elle-même, mais bien qu’elle continue d’entretenir les illusions du volontarisme : avec suffisamment de volonté, nous parviendrons un jour à renverser l’état des choses (« cette fois, c’est la bonne »). Illusions pernicieuses, car le jour où effectivement la bascule pourrait avoir lieu, nous nous gargariserons du faux constat que c’est grâce à notre volontarisme et à notre persévérance que la situation a pu se réaliser, indépendamment des réalités concrètes qui l’ont déterminée.

Si le constat du manque de nombre est évident, car il est la marque de nos échecs, il est aussi la marque d’un problème de perspective, comme regarder le doigt lorsque l’on pointe la lune. La question que se pose le billet est : comment pouvons-nous faire pour mieux rejoindre les gens, afin qu’ils renforcent les effectifs de nos manifestations? Or, peut-être qu’il s’agit d’une mauvaise question. En bref, leur thèse énonce qu’il faudrait se lier aux gens, faire infuser des idées révolutionnaires auprès du petit peuple (cette page vierge qu’il suffirait de remplir), intervenir auprès de larges franges de populations prolétarisées afin de les inviter à grossir les rangs des manifestations et d’ainsi rendre leur combativité plus effective.

Cette thèse laisse transparaitre le caractère aporétique du billet : la primauté de la manifestation et sa fétichisation. Le constat de départ, les manifestations vides et moribondes, ne sont pas prises comme départ d’analyse d’une situation plus grande, mais plutôt comme un problème à résoudre en lui-même, par la force de nos petits bras : les manifestations sont trop petites, comment faire pour élargir les rangs? Mais il s’agit d’un problème d’analyse quant à ce qu’est une manifestation. Lorsque le billet parle des manifestations comme généralité, nous devons nous demander « mais de quelle manifestation parlent-ils? La manifestation de quoi? » Une manifestation est bien la manifestation de quelque chose. Quelque chose se manifeste dans la rue, il ne s’agit pas d’un événement dont nous pourrions simplement remplacer l’étiquette – un jour le logement, le lendemain la Palestine, puis la précarité étudiante. Le consumérisme militant nous éloigne du mouvement réel et dévoile notre insensibilisation aux faits et affects concrets qui meuvent les gens. C’est parce que nous avons tendance à les prendre comme des causes remplaçables et jetables que nous entretenons l’illusion que nous pourrions produire la situation qui servira de brèche finale. Cette position nous condamne à meubler le temps en attendant que se présentent des situations qui, de toute façon, nous dépasseront. Quand le billet cite les manifestations BLM/George Floyd, les Gilets jaunes ou encore les mouvements au Chili (auquel nous pourrions ajouter les mouvements récents de Turquie, de Serbie ou de Grèce), les auteurs oublient que ces mouvements ne sont pas le fait d’organisations de masse, mais bien de mouvements non médiés et somme toute spontanés (au sens d’Henri Simon, c’est-à-dire en contraste avec l’organisation volontaire). Ce sont les contradictions sociales elles-mêmes qui sont productrices de luttes et non une bande d’évangélistes de la révolution qui convaincraient un à un des prolétaires trop abêtis par le capitalisme. En dernière instance, les révolutionnaires, ce sont ceux qui font la révolution. En prétendre autrement, ne pas en prendre acte, c’est déjà se poser comme ceux qui feront le racket de la révolution (l’avant-garde autoproclamée).

Le fétiche de la manifestation, c’est penser qu’il s’agit du centre de nos activités, car la manifestation est la face visible de nos activités (ou un cache-misère), ainsi que la sortie de famille de notre petit milieu autrement occupé à entretenir ses intrigues internes. Ce mode de pensée dévoile son caractère incantatoire que révèle le titre même du billet. Pourtant non, quand on est nombreux.ses, on ne fait pas ce qu’on veut. Car la stratégie de conversion des masses à la révolution en usant de structures autonomes – comme des comités mobs, des syndicats de locataires (mais autonomes du syndicalisme? Il faudra nous expliquer) et autres abstractions organisationnelles – suppose que les gens, le prolétariat, les masses ne sont pas capables d’organisation par eux-mêmes, que nous devrions nous concevoir comme une force extérieure à ces sujets qu’il s’agit d’éduquer pour les mener dans la bonne voie (nos manifestations, semblent penser les auteurs). Pourtant, c’est une erreur de croire qu’il peut s’agir de notre rôle. C’est une enflure que de croire que nous sommes les héros de l’histoire, soit son tout, plutôt qu’une partie dans les forces hétérogènes et contradictoires du corps social en lutte. En prendre acte nous force à nous poser la question simple : qui est ce « on » dont on parle lorsque l’on déclame « quand on est nombreux.se.s, on fait ce qu’on veut »? Qui en fait partie, qui en est exclu? Si l’on marche au côté des syndicats, est-ce qu’ils font partie du « on »? Ou s’agit-il encore de brebis égarées qu’il s’agira de convaincre à coup de tracts, d’organisations autonomes de masse, de réunions ennuyantes, de formations au service d’ordre? Être force de proposition ne veut pas dire devenir majoritaire ; prendre parti pour la révolution ne veut pas dire devenir l’hégémonie.

Conjurer le sort

Au lieu de prendre le problème à l’envers : « comment faire pour ramener du monde dans nos affaires? », renversons-le et prenons-le à l’endroit : « pourquoi personne ne se pointe? ». Lorsque l’on voit que des événements publics comme le camp de formation anarchiste Rafales ou la conférence du 4 avril sur l’action directe de masse sont plus populeux que les manifestations ritualisées comme le 15 mars, c’est peut-être parce que les gens trouvent bien plus de sens dans l’urgence d’un savoir quoi faire que de s’épuiser dans un activisme mécanique qui cherche à faire sans savoir.

La stratégie ne saurait ni être une recette incantatoire qui remet à demain le mouvement réel (une fois que les masses auront été converties dans nos églises autonomes), ni une réduction de l’objet de la stratégie à sa dimension tactique en formant des services d’ordre virils qui, eux au moins, ne fuiraient pas devant la répression. Cette condescendance tactique ne fait que réactualiser nos débats abscons qui reproduisent l’état de stase du milieu révolutionnaire autoproclamé. Ce n’est pas que ces questions n’ont pas d’intérêt, mais plutôt que leur intérêt devrait être adossé à une question plus grande, celle de savoir saisir la situation historique actuelle, sans entretenir l’illusion que nous pouvons, seuls, la produire.

N.

Qu’est-ce que je fais ici ? Brève d’intention.

 Commentaires fermés sur Qu’est-ce que je fais ici ? Brève d’intention.
Avr 162025
 

Soumission anonyme à MTL Contre-info

Là, sur ce blog. Ailleurs dans les lieux-structures-milieux-campus-groupchats. Un peu partout, éparpillé à essayer de me ramasser entre l’agir et les mots.

Le déclencheur est la question des infrastructures, celles qui parfois achoppent, celles qu’on s’évertue à mettre sur pied pour accueillir, pour recevoir les masses, les ami-es, les complices en crime, le quartier, le prolétariat-en-tant-que-classe, name it

Mais, sans en sentir le besoin pour soi ou en faire une pratique qui nous anime, en les traînant sur nos dos ces grandes coquilles-vides, ne finit-on pas nous-même un peu vides, mort en dedans, à l’image de nos demeures?

Lorsque, dans la maison qu’on s’est fait, ça s’active enfin, qu’on s’occupe de nos affaires, on est souvent surpris-es, parfois choqué-es qu’on les utilise, ces infrastructures. Pourtant, elles étaient faites pour discuter, débattre, vivre dedans. Les proprios s’étonnent que les locataires vivent dans leur logis et que ça ne reste pas propre comme au premier jour.

Ceci pour dire, trop souvent on en reste à l’infra de la structure, aux charpentes et au préfabriqué, laissant le soin à celleux qui viendront, de les investir. Le mot est à propos.

Au soi-disant Québec, friqué-es qu’on est, heureux et heureuses de nos combines, l’argent prend de la place au logis. Les ami-es de France sont par ailleurs souvent surpris-es des moyens dont on dispose.

On nomme ce qu’on fait investissements de temps, d’énergie et d’argent. Des mots disant bien notre conception de nous même comme « ressource humaine », abstraction indéfinie, sans rapports. Ne devrions nous pas plutôt nous poser la question à partir de ce qu’on veut investir, nous, partir de soi au lieu de partir dans les abstractions ?

Alors je tranche.

J’investis ici et je verrai plus tard pour ailleurs. La spéculation, que ce soit l’attente du prochain truc hip, de la prochaine revue ou du prochain mouvement, ça ne me plaît pas. Je ne veux pas en faire une valeur.

Maulwurf

Stablex : Militant-es blessé-es par de la machinerie lourde et des policiers

 Commentaires fermés sur Stablex : Militant-es blessé-es par de la machinerie lourde et des policiers
Avr 152025
 

Soumission anonyme à MTL Contre-info

Tiohtià:ke/Montréal, 13 avril 2025 – C’est avec horreur et indignation que, samedi le 12 avril, un groupe de citoyen-nes préoccupé-es par la destruction des écosystèmes fragiles ont vécu les attaques sauvages de la part d’employés de l’entreprise Stablex et du service de police de la ville de Blainville (SPVB). Alors que Stablex doit amorcer la destruction du boisé convoité pour l’enfouissement de matières dangereuses avant le 15 avril, période après laquelle les activités devront cesser pour préserver la saison de nidification d’espèces menacées, des citoyen-nes se sont rassemblés pour ralentir le travail de l’entreprise. C’est alors que ces militant-es ont été attaqués avec de la machinerie lourde et blessés par des policiers, événements qui sont documentés dans ce vidéo. 

Déroulement des faits 

Bien que les activistes arrivés vers 9 h du matin se soient assurés d’être visibles par les travailleurs, l’opérateur de la broyeuse forestière a poursuivi son travail. Il a ainsi fait fonctionner les rouleaux de sa tête de broyeuse en dirigeant la machine de façon à propulser les éclats de bois (de 1 à 3 pieds) vers les personnes qui s’avançaient vers lui. Ce comportement de l’opérateur est en violation de toute pratique de sécurité en chantier de construction. 

Après avoir été encerclé, l’opérateur a continué à faire tourner les rouleaux au-dessus des gens tout en faisant pivoter la machine sur elle-même à toute vitesse, heurtant par le fait même un des activiste et le projetant au sol. La tête d’une broyeuse forestière est constituée d’un immense rouleau de métal avec des dents entouré de chaînes capables de broyer un arbre en quelques secondes.

La police stationnée en face des machines a assisté à toute la scène sans intervenir. Un autre travailleur a également quitté son chantier pour foncer sur une personne avec son chargeur, malgré la proximité dangereuse des chenilles de la machine et des risques évidents de blessure. Malgré plusieurs demande claires d’arrêter la machinerie de la part des activistes, les travailleurs n’ont pas respecté les codes de chantier en continuant à faire fonctionner leur machinerie.

Pendant ce temps, une jeune étudiante était attachée à une clôture bloquant la route municipale menant vers le chantier. 
Elle a posé un geste pacifique en ne démontrant aucune agressivité. La police s’est tout de même montré violente physiquement et verbalement.

Les policiers ont mis en danger son intégrité physique en poussant sur la grille, ce qui l’étranglait car elle était retenue par un cadenas de vélo  »en U » qui ne lui donnait pas de jeu pour respirer et dont elle n’avait pas la clé. La jeune activiste a donc tenté d’arrêter son étranglement en retenant le cadenas. Les policiers ont alors saisi ses poignets l’empêchant de protéger son cou. Les agents du SPVB ont ensuite utilisé un outil inefficace, des pinces monseigneurs, pour couper le métal épais du cadenas en infligeant  des blessures et en causant l’étranglement évident à la personne attachée. Ils ont ensuite ouvert une fente pour se faufiler de l’autre côté, alors qu’il y avait un trou dans la grille à 5 mètres de là, connu de tous.te, en continuant à mettre en danger la personne enchainée. 

Ils/elles ont ouvert et fermé la grille à plusieurs reprises étranglant à chaque fois la personne. Cela, malgré les hurlements et les demandes répétées de la personne enchainée à la clôture.