Commentaires fermés sur Les luttes des peuples autochtones ne sont pas seulement des luttes pour la justice sociale
Juin212025
Soumission anonyme à MTL Contre-info
Berthierville, le 17 juin 2025 — Aujourd’hui, il est plus que jamais nécessaire de dénoncer l’ensemble des politiques mises en œuvre par l’État québécois, qui s’inscrivent dans la continuité d’un projet colonial visant à éliminer toute autonomie politique, culturelle, spirituelle et territoriale des peuples autochtones du soi-disant Québec. Une logique coloniale toujours active.
Derrière les discours officiels sur la « coexistence » ou la « reconnaissance », ce sont bien des actions concrètes qui traduisent une volonté constante de contrôle, d’assimilation et d’extraction : La Loi 96 (Charte de la langue française) impose une vision étatique du français tout en ignorant les langues autochtones, leurs droits à la transmission, et leur statut légitime sur leur propre territoire.
Le projet de loi 97, récemment présenté, menace encore davantage l’autonomie des communautés autochtones en cherchant à encadrer ou limiter leur capacité à exercer leur souveraineté locale, notamment en matière d’éducation, de gestion des terres et de gouvernance interne.
La répression abusive contre la culture autochtone se manifeste notamment par l’interdiction ou l’empêchement d’accéder à des sites sacrés, la stigmatisation des cérémonies spirituelles, ou encore l’obstruction des pratiques traditionnelles comme les chants, danses, rituels ou rassemblements communautaires liés à la terre.
Les projets extractivistes tels que GNL Québec, les projets miniers en Eeyou Istchee et ailleurs, se font sans respect du principe du consentement libre, préalable et informé (CLPI), reconnu par la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones.
La criminalisation des résistances pacifiques, comme lors du démantèlement des barricades à Maniwaki ou ailleurs, montre clairement que l’État québécois ne reconnaît pas la souveraineté des communautésalgonquines, innues, atikamekw, inuk-mikmaw, cris, inuites… Une nécessité décoloniale.
Nous affirmons ici que les peuples autochtones ont le droit inaliénable de s’identifier eux-mêmes, d’administrer leurs terres, de parler leurs langues, de pratiquer leurs cultures, de transmettre leurs savoirs, et de vivre selon leurs systèmes juridiques, spirituels et sociaux propres. Ce droit à l’autodétermination n’est pas négociable. Il est fondamental.
Appel à la solidarité. À l’heure où le Québec tente de se poser comme un État progressiste, c’est précisément ce masque qu’il faut briser. Les luttes des peuples autochtones ne sont pas seulement des luttes pour la justice sociale : elles sont aussi des luttes anticapitalistes, anticoloniales, écologiques et féministes. Nous appelons toutes les personnes alliées, organisations, groupes militants, syndicats et collectifs à amplifier ces voix, à soutenir les résistances, et à refuser la normalisation de cette violence coloniale.
Commentaires fermés sur Retour sur la riposte pro-choix du 31 mai 2025 à Québec
Juin132025
Soumission anonyme à MTL Contre-info
Pour la deuxième année de suite, Campagne Québec Vie organisait « La marche pour la vie », à Québec. Malheureusement, l’année dernière, il y avait eu quelques actions, mais rien qui ait vraiment perturbé la visite des anti-choix.
Cette année nous nous y sommes pris d’avance et nous avons décidément réussi à prendre le dessus sur les anti-choix et les flics.
Affichage et pression en ligne
En plus de leur manifestation, les cathos avaient prévu un banquet pour leurs militant-e-s à l’hôtel Delta. Après une campagne d’affichage dans les rues des quartiers centraux de Québec dénonçant l’accueil des anti-choix par l’hôtel (et des mauvaises critiques en ligne qui s’accumulaient), le Delta a fait le choix judicieux d’annuler toutes les chambres et les salles qui avaient été réservées par Campagne Québec Vie quelques jours avant leur marche.
Le jour de la marche
Du côté des pro-choix, il y avait une coordination minimale et très décentralisée des forces en présence dans les semaines précédant le jour de la marche et durant la journée.
Solidarité inter-urbaine des camarades montréalais-e-s
La journée a bien mal commencé pour les anti-choix, qui ont vu le départ d’un de leur bus en provenance de Montréal retardé d’une heure par des camarades antifascistes et des membres du SITT-IWW Montréal.
Nous les remercions grandement pour leur mobilisation, ça a fait une différence.
Les tannant-e-s en imperméable noir
Vers 10h40 un groupe d’une dizaine de personnes masquées est arrivé avec une bannière pour mettre un peu de pression sur les cathos. Iels ont tenu la ligne pendant une bonne heure, ont scandé des slogans et gardé les flics occupé-e-s.
L’action de perturbation des militantes féministes
Discrètement, un groupe de militantes féministes avaient “infiltré” le rassemblement des anti-choix, et au milieux des discours, elles ont soudainement craqué des fumigènes et se sont mises à scander des slogans, ce qui a complètement déstabilisé les cathos, qui ne pensaient pas que les contre-manifestant-e-s pourraient se rendre jusqu’à eux, et les flics aussi d’ailleurs, qui se sont retrouvés pris entre deux groupes de pro-choix, don’t un littéralement mêlé au travers des anti-choix.
Les tannant-e-s en imperméable noir en ont profité pour avancer leur ligne plus proche des anti-choix pendant que les flics étaient occupés ailleurs.
Après s’être fait sortir du rassemblement anti-choix par les flics, les militantes féministes sont allées rejoindre les tannant-e-s derrière la bannière.
Les syndicalistes et leurs gros jouets
Comme les féministes s’étaient coordonnées avec les syndicalistes pour que l’action de perturbation ait lieu avant l’arrivée des bus syndicaux, les syndicats sont arrivés à 12h15 exactement comme ils l’avaient annoncé.
Leur arrivée tombait à point, car malgré tous les slogans et chants possibles, les tannant-e-s et les féministes n’arrivaient pas à enterrer les discours des anti-choix. Les syndicats, eux, s’étaient munis de sirènes de bateau montées sur des perceuces électriques et de dizaines de fumigènes, afin de bien enterrer visuellement et auditivement les anti-choix. Ce qui a très bien fonctionné, car un bon nombre d’anti-choix ont quitté les lieux à ce moment, visiblement découragé-e-s, et nous n’avons plus rien entendu de leurs discours!
Ensuite, lorsque l’action syndicale devait prendre fin, les militant-e-s syndicaux étaient bien crinqué-e-s, et donc, au lieu de partir comme prévu, iels ont laissé les bus partir et sont resté-e-s jusqu’à la fin de la journée.
Marche des tannant-e-s et des féministes jusqu’à l’action verte
Alors que les syndicalistes se retiraient vers la haie de la honte, les anti-choix ont annoncé dans leurs micros que la police allait leur permettre de partir sur leur trajet tel que prévu initialement via René-Lévesque.
Ayant entendu tout ça, la bannière noire et la ligne s’est reculée afin de bloquer entièrement Honoré-Mercier, plutôt que simplement le côté ouest de la Fontaine.
Le SPVQ a alors mis la pression pour tenter de repousser les manifestant-e-s pro-choix, sans grand succès, avant de finalement dire aux anti-choix de partir dans l’autre direction vers Grande Allée. Quand les anti-choix ont tourné le coin de la rue, le mot s’est passé pour contourner l’Assemblée Nationale vers le parc de l’Amérique Française. Des policiers ont à plusieurs reprises tenté de dévier ou d’arrêter la manifestation en disant que celle-ci était illégale, sans succès. Une fois rendue au parc de l’Amérique Française, la manifestation y est restée un peu jusqu’à ce qu’une partie de la haie de la honte qui était à la poursuite des anti-choix nous rejoigne.
À un moment, le mot s’est passé que la manifestation anti-choix revenait sur ses pas via Grande Allée, pour éviter la confrontation. Un mélange des personnes de haie de la honte et de celleux qui suivaient la bannière noire s’est alors séparé en deux puisque deux appels à se déplacer circulaient. Un petit contingent s’est rendu vers l’Assemblée Nationale via René Lévesque sous haute surveillance policière. Pendant que l’autre contingent, plus grand, est parti vers Grande Allée via rue de l’Amérique Française, puis Jacques Parizeau.
Sur Jacques Parizeau, une unité d’anti-émeute a tenté de dépasser la manifestation par le trottoir pour la bloquer, la bannière noire a alors tenté de leur bloquer le passage, s’en est suivi une salve de coups de bouclier avant que l’anti-émeute se calme et réalise qu’ils étaient rendus entouré par la manif contre un mur, et relativement peu nombreux. La manifesatation a alors continué, coupé à la course par le parc de la Francophonie, puis bloqué Grande Allée pour empêcher les anti-choix de revenir à l’Assemblée Nationale.
La police a fait passer les anti-choix par une rue perpendiculaire et vers René-Lévesque jusqu’au point de départ. À ce moment, le contingent avec la bannière noire a tenté d’aller vers René Lévesque pour bloquer à nouveau les anti-choix, puis bloqué par la police, ils ont rejoint le reste de la manif à l’Assemblée Nationale.
La haie du déshonneur
Les groupes communautaires avaient organisé une action verte, “La haie de déshonneur”, qui avait pour but d’huer “La marche pour la vie”. Il y avait au moins 200-250 personnes à cette action. Les anti-choix ayant changé leur trajet, la haie est partie en manif pour monter de René-Lévesque à Grande Allée afin d’aller huer les cathos dans leur face.
Après avoir chahuter les anti-choix, on a senti la colère des gens grimper d’un cran. C’est à ce moment que les gens se sont mis à suivre la marche des anti-choix. Par la suite, il y a eu un jeu du chat et de la souris où les pro-choix bloquait la manif anti-avortement à tous les détours.
Finalement, la manif catho a réussi de peine et de misère à retourner à l’Assemblée Nationale.
Peu de temps après, les pro-choix qui avaient été bloqué-e-s ou ralenti-e-s par les flics sont tou-te-s arrivé-e-s en même temps de tous les côtés, ont contourné les lignes de flics et ont réussi à confronter de plus belle les anti-choix dans leur face. Jusqu’à ce qu’un cordon de policiers qui n’était pas habillé en anti-émeute sépare les deux groupes et fasse disperser les anti-choix.
Conclusion
Que ce soit durant les grèves étudiantes de 2012 et 2015, la manif contre la meute de 2017 ou la riposte pro-choix du 31 mai dernier, c’est dans un certain chaos que Québec shine le plus. Encore une fois, c’est une coordination plus ou moins formelle, des communications efficaces et décentralisées ainsi que du laisser-aller de la part de toutes les forces en présence qui ont fait de cette journée un succès.
Même si les anti-choix fricotent généralement avec l’extrême-droite, le droit à l’avortement et l’autonomie corporelle sont des aspects négligés des luttes contre l’extrême-droite. Les anti-choix se mobilisent généralement à la fin de l’été à Québec, restons donc vigilant-e-s et soyons présent-e-s en grand nombre à leur prochaine visite.
Commentaires fermés sur S’appropriant le salon : un compte-rendu de Constellation 2025
Juin132025
Soumission anonyme à MTL Contre-info
On a ouï-dire que vous aimez les comptes-rendus de festivals anarchistes ; nous espérons que d’autres suivront le pas. La deuxième édition de Constellation a eu lieu du 15 au 21 mai 2025 à Montréal. Pendant sept jours, il y a eu des lancements de livres, des fêtes, des spectacles-bénéfices, des randonnées à vélo, un arpentage de livres, un rave squattée dans un magasin de magie abandonné, un BBQ, un autre barbecue qui a bloqué des fachos, une journée de réseaux maillés, un atelier sur le consentement radical, et plus encore. Les participant.e.s venaient de partout dans le pays, du sud de la frontière et aussi d’outre-mer, et les événements se sont déroulés dans des salles combles, même lorsqu’il y en avait cinq en même temps.
Le 17 mai a vu le Salon du livre anarchiste, une tradition montréalaise qui remonte à l’an 2000. Plus de 90 éditeurs, distros de zines, artistes et groupes ont tenu des tables. Il a plu presque toute la journée, et il n’y avait d’espace à l’intérieur du CÉDA que pour les deux tiers des tables. Heureusement, une tente de mariage de la taille d’une grange a été installée sur le terrain de baseball à l’extérieur, ainsi qu’une autre plus petite, et elles ont vraiment fait leurs preuves. Pendant ce temps : des kilos de café volés à l’étalage gardait les participant.e.s caféinés, des enfants jouaient dans la salle du service de garde ou participaient à des ateliers (qui incluaient la lecture d’un livre anarchiste pour enfants par les auteurs) et une équipe de cuisiniers se préparait à nourrir gratuitement des centaines de personnes. Plus de 1000 personnes sont passées, et nous ne nous souvenons pas de la dernière fois où nous avons vu autant de nouveaux visages lors d’un événement anarchiste en ville.
D’autres ateliers ont abordé l’histoire de l’anarchisme révolutionnaire en Europe de l’Est et en Amérique latine, l’intelligence artificielle, un analyse anarchiste du cancer, les dangers de la militarisation des luttes sociales, l’histoire de la résistance à l’esclavage et au colonialisme dans le sud-est des États-Unis, l’organisation des locataires contre l’exposition au plomb, et la vie rurale en tant qu’anarchistes. Des gardiens du territoire Nehirowisiw (Atikamekw), situé à environ deux heures au nord de Montréal, ont également fait le déplacement pour partager dans une salle pleine à craquer, le contexte de leur lutte contre l’exploitation forestière. Cette discussion tombait bien, parce que les blocus contre l’exploitation forestière allaient reprendre trois jours plus tard, avec un appel aux sympathisant-es de la ville à se joindre à elleux. On espère que de nombreuses personnes qui ont assisté à cette discussion ont ensuite pris des zines de réflexions anarchistes sur la solidarité anticoloniale au salon et se sont préparées à faire une contribution matérielle à cette lutte.
Au lieu d’une deuxième journée de livres et de zines, le 18 mai, le CÉDA a accueilli ce qui a été annoncé comme un skill faire. C’était génial. Nos ami-es nous ont dit qu’iels avaient besoin de voir le format en vrai pour comprendre son potentiel, et sont enthousiastes quant à son avenir. Il y avait des tables où les gens pouvaient apprendre à crocheter des serrures, acheter des hormones en ligne avec Bitcoin, souder des composants électroniques, organiser un complot contre leur proprio, s’informer sur les réseaux maillés, créer un compte Riseup, faire des retouches sur leurs vêtements, améliorer la sécurité de leur appareils électroniques, ou faire de la chimie DIY. Des ateliers ont permis aux gens de s’initier à la réparation automobile de base, à la sérigraphie, au chant balkanique, aux techniques somatiques d’action collective, à la guerrilla grafting, et à bien d’autres choses encore. Moins de tables, des interactions en face-à-face plus longues et pratiquement aucun échange monétaire ont été parmis les facteurs ayant contribué à créer un contraste agréable avec la journée du salon du livre. On s’intéresse aussi à la manière dont le format des tables de skills permet d’établir des liens entre les projets et nos différentes connaissances pratiques.
Ce n’est pas un secret que le groupe qui organise Constellation a pris une approche différente à celle du Collectif du salon du livre anarchiste de Montréal (MABC), dont différentes permutations ont organisé le salon du livre jusqu’en 2023. Lorsque le MABC a accusé Constellation de « s’approprier » le Salon du livre, nous avons été heureux-ses de constater que les anarchistes de Montréal étaient assez unanimes à répondre que le salon du livre n’appartient à personne, ou, autrement dit, qu’il nous appartient à tout-es. Depuis la fin de semaine, nous avons réfléchi à la façon dont cette perspective offre un environnement plus libre, dynamique et invitant, tout en requérant un peu plus à chacun-e d’entre nous.
Ceci est vrai notamment en ce qui concerne les conflits. Tout événement rassemblant autant d’anarchistes au même endroit est voué à devenir site de tensions interpersonnelles et politiques. Nous sommes heureux-ses que le festival ait été organisé sans l’intention de balayer les conflits ou de les supprimer, ou selon le modèle d’un comité spécial habilité à décider qui est le bienvenu et ce qui est autorisé. Cette approche a pour conséquence que les personnes qui sont impliqué-es dans des conflits, ou qui ont été blessées ou même lésées par d’autres, peuvent prendre des mesures autonomes pour tenter d’affirmer leurs limites, de mettre un terme à des comportements heurtants ou de se venger. Mais à la liberté s’accompagne la responsabilité. Nous éprouvons le grand besoin d’une culture plus saine en ce qui concerne les conflits, plus à même de désamorcer les conflits qui ne sont pas avec l’ennemi ainsi que de modifier les causes qui en sont à l’origine. C’est en partie grâce à nos réponses à la manière dont les conflits sont introduits dans nos espaces partagés que cette culture se développe en tant que forme de responsabilité collective. Cela peut être inconfortable, qu’il s’agisse de remettre en question les tendances de nos ami.es les plus proches, d’identifier les peurs sous-jacentes à nos propres réponses apprises, de découvrir les hypothèses qui ne sont pas remises en question dans notre cercle social, ou simplement de dire des choses qu’il est difficile de dire. Dans d’autres cas, il suffit de prendre des initiatives.
Dans un cas, une affiche dénonçant une participante au kiosque du salon, écrivaine local et une éditrice de zines, a été collée devant le CÉDA la nuit précédant le salon. Nous n’aimons pas particulièrement cette écrivaine, qui a transformé sa « cancellation » en une sorte d’escroquerie (quiconque possède la grande plateforme de cette personne n’est pas cancellée). Mais l’auteur.e de l’affiche a fait une paire d’allégations sérieuses qui, à notre connaissance, ne sont supportées par quelconque source crédible, dans le contexte de l’annonce que cette personne serait indésirable lors d’événements anarchistes. Faire des allégations sérieuses contre quelqu’un sur la base de preuves fallacieuses ou inexistantes peut être incroyablement endommageant à bien des égards pour nos relations de confiance et nos luttes. Ça nous a pas gênés d’apprendre que la plupart de ces affiches ont été détruites avant même le début du salon du livre.
En général, si vous décidez d’apporter votre beef au salon du livre, en particulier d’une manière qui exige quelque chose de la part de d’autres anarchistes, vous devriez être prêt.es à entendre des questions, des remises en question, et peut-être des critiques. On se méfie de tout groupe qui cherche à s’engager dans un conflit de la manière la plus publique possible tout en exigeant que les autres n’y interviennent pas ; ça ressemble à l’extrême opposé de l’invisibilisation et de l’évitement du conflit, en le transformant en spectacle. Ces deux extrêmes nient la responsabilité collective des conflits, l’un les reléguant à la sphère privée, l’autre nous transformant en spectateurs passifs. Nous ne devrions pas non plus formuler faussement les choses avec des termes qui étouffent le débat ou menacer de diaboliser toute personne qui conteste nos affirmations.
Se donner les moyens de réparer les préjudices sans faire appel à l’autorité ou la reconstituer semble être le projet de toute une vie. Outre le fait de ne pas avoir délégué cette responsabilité, nous doutons que quelqu’un ait atteint la cible à ce niveau au cours de la fin de semaine.
Commentaires fermés sur Faut-il répéter les même mots ou en utiliser d’autres ? Brève d’exercice et de récupération.
Juin112025
Soumission anonyme à MTL Contre-info
On fait constamment l’objet d’une récupération. Par le passé, j’aurais utilisé la notion de Spectacle, mais plus le temps avance, et plus je me dis que c’est aussi le propre de chaque fois qu’on prend la parole d’être mécompris.e, c’est une fonction du langage.
Cette mécompréhension est constitutive de l’échange, du dialogue, du débat, sans quoi ce on pourrait clarifier nos positions une bonne fois pour toute et les suivre. On connaît l’histoire, des tendances s’imaginent pouvoir enfin parvenir à un accord sur des principes simples et puis soudainement, ça capote, on s’entend plus, chaque mot renferme une Boîte de Pandore. Souvent, on en cherche la cause dans le marécage de l’interpersonnel ou de la mauvaise communication, mais c’est aussi plus profond. On peut pas tout dire, s’entendre vraiment, sans quoi le momentum est passé.
Proposition: le modèle qu’on devrait prendre pour la prise de parole ou l’entente, ça devrait être davantage celui de deux processus concurrents. D’un côté, la récupération et le déplacement de sens incessant, de l’autre la précision et le retour à l’idée politique à répéter. On s’entend que la compulsion de répétition est pas toujours du bon côté ni le déplacement dans le flou.
Exemple concret et récent (pour une fois) : on pitch une idée sur l’antifascisme pendant la fête des Patriotes, les OUI Québec la récupèrent, on est content.e de voir que ça prend: peut-être que quelque chose pourrait se jouer, une ligne de démarcation dans le mouvement indépendantiste… Ensuite, on voit un vieux réac, apprenti bock-cotiste reprendre l’idée d’une indépendance antifasciste. Mais quelle est la valeur alors de l’antifascisme qui peut faire l’objet d’un tel glissement? Est-ce que ces affirmations profitent à l’antifascisme ou bien est-ce qu’elles créent une position vraiment cursed des souvrainistes-antifa pour l’indépendance mais qui ne dénoncent pas les Bock-Côté ou PSPP? Ce glissement est positif et négatif : l’enthousiasme a-critique comme le rejet en bloc sont des attitudes qui nous aident pas à penser dans ce genre de moment politique.
M’intéresse un antifascisme qui permet de faire advenir un clivage, de bouger l’ensemble de l’espace public et qui s’intéresse à toujours préciser et clarifier le contenu de son mot d’ordre contre la fascisation en cours.
Je parle ici aussi de façon large: les mots «antifascisme» comme «gauche» ou «anarchisme» font l’objet de déplacements et de récupérations constants. Publier un post ou un texte ou tenir une position politique dans le discours, c’est comme faire la vaisselle – c’est à refaire à chaque jour –, mais c’est aussi comme un muscle. Oui, il faut le travailler d’abord et avant tout. Mais un fois qu’on a recommencé à faire des exercices, il faut aussi faire attention aux patterns de faux mouvements qui peuvent nuire à la longue. Il faut changer les paramètres de l’exercice ou carrément d’exercice quand ça fait plus forcer.
Quand le travail de propagande antifa atteint un consensus relatif, on peut se réjouir. En Allemagne, récemment, les manifs contre la droite et contre le fascisme ont rassemblé des centaines de milliers de participants. Or, à la fin de la journée ces manifs avaient un discours politique qui était si peu clair, elles avait tellement de difficulté à préciser des lignes de démarcation, qu’elles ont principalement servi la dédiabolisation de tout ce qui n’est pas l’AFD mais qui s’en inspire et reprend ses politiques. Ceci est un bon exemple de la récupération toujours possible, on se fait dérober nos propres termes, puis on les revoit en face de soit à la fois étranges et familiers. En Allemagne, les groupes qui sont parvenus à intervenir de la façon la plus intéressante dans ces manifs contre la droite, qui ont prolongé la lutte antifasciste, ce sont les groupes pro-pal qui ont décloisonné l’image du fascisme de ses usual suspects. Ça n’a pas plus à certains antifas–antideustch, ceux qui, depuis les années 1990 font de la politique de rue contre les nazis, mais qui font également coexister le symbole des drapeaux antifa avec le drapeau d’Israël et sa politique; un exemple de glissement et de récupération avec un autre drapeau bleu et blanc.
Tout ça pour dire, il faut prendre la parole, entraîner le muscle souvent. Mais il faut le faire en ayant conscience que les mots nous échappent, que ça en prendra beaucoup de mots, des arguments – avec des gestes – pour faire gagner une ligne. On ne peut se contenter du flou et de son corollaire, l’évidence partagée, mais jamais argumentée.
Lorsque se présente à nous une situation de rapprochement inattendue celle-ci est indissociable de la récupération. Il faut avancer avec nos deux jambes et prévoir ce qui va nous revenir en pleine face si on le clarifie pas, si on précise pas.
Nous ne sommes PAS l’Association des gardiens du territoire Nehirowisiw Aski, notre position est différente : « On n’appelle PAS la police, dans cette situation ». Le supposé système de justice coloniale est l’un des éléments centraux du racisme systémique commis contre tous les autochtones de l’ile de la tortue. Nous sommes des autochtones qui résistent au génocide en cours.
Commentaires fermés sur L’autonomie habillée. Brève contre mes paroles magiques.
Juin112025
Soumission anonyme à MTL Contre-info
M’intéresse le rapport aux mots qu’on sème, ceux qu’on lance dans ces moments dits informels, car ils nous informent, justement.
Des mots qui ont un poids : il faudrait, on doit…
«Il faudrait faire l’inverse de qu’on faisait jusqu’alors, car ça ne fonctionne plus» ou bien « on doit continuer, car la prochaine fois avec un autre contexte et d’autres personnes…»
Il nous faudrait surtout un peu de vocabulaire.
Comment qualifier cette opposition de contraires symétriques qui apparaît souvent dans des «propositions» qui se disent du stratégique, mais qui sont en fait des Hot takes ou des opinions réchauffées?
Pitcher une idée ou la lancer avec intention, cela ne me pose pas problèmes: c’est deux façons de raffiner quelque chose de brute, d’informe. Pareillement, les dialogues organisés ou l’enthousiasme fonceur – quand on se dit «OK let’s go on le fait!» et qu’on passe pas trois réunions interminables à organiser une seule manif – ça me plaît. J’aime pousser la blague jusqu’à en faire un jeu sérieux, sinon je n’aurais pas investi. Mais c’est bien cet autre truc qui me prend, une sorte de parole magique qui pense faire loi, qui m’embête.
Elle surgit parfois dans l’informe d’une jasette politique sans attache. Qu’est-ce que fait ici cette curieuse tendance déclamatoire ? Elle est le réflexe de la pensée magique qui caractérise les AG. Avec assez de propositions et de considérant ou avec assez de mob et de volonté, on peut rester la Nuit Debout à réinventer le monde, ça je veux bien. Mais en même temps, il faut que j’aie l’impression d’y trouver une forte substance ou que j’en ai pris une pour m’y tenir. Sinon j’y vois le même spectacle et même qu’on dépasse pas souvent la répétition.
Peut-être que c’est davantage d’une «association imaginaire» qu’il me faudrait parler, tellement j’y reste pris, tellement je me fais un campus et des auditoriums dans ma tête. Avant on se sentait contraint.e parce que c’était écrit dans un document quelque part ou parce que ça avait été prononcé alors que personne n’écoutait vraiment. Avant, on voulait passer au vrai moment qui survient après: celui des discussions informelles-affinitaires-vouchés où ça planifie, ça stratégise, ça conspire vraiment. Quand je serai grand, quand j’aurai fini l’école…
Maintenant qu’on y est, on s’accroche à des actes de langage, on veut du performatif, quelque chose qui nous contraint ensemble pour qu’on passe à l’acte. Je suis pas contre de l’institué qui nous organise, mais m’énerve la recherche d’une loi qui ne se dit pas, d’une autorité qui serait enfin la bonne, du rituel qui nous permette d’arrêter de penser.
Et qu’est-ce que je veux ? Au moins un peu d’orientation. Faire diminuer l’aigu du conflit entre la confiance et le doute qui sourd à chaque fois où un geste individuel devient cause d’un échec. Puisque l’illimité est la mesure de ce qu’on peut faire en restant dans l’informe, il devient difficile de différencier cet illimité de celui qui caractérisait l’organisation complète, totale et formelle d’avant. Parfois, les «conflits interpersonnels» ressemblent à des séances d’auto-critiques maos.
Tout ça pour dire, je tends dernièrement à considérer les projets ou les fonctions, à être suspect des coquilles vides. Aussi, à assumer l’inverse: me pitcher en me disant – et pas aux autres – je me lance, je suis tanné de la répétition, d’être spectateur. Il y a une place plus large qu’on le croit entre le «qui m’aime me suive» et le «mettre la charrue avant les boeufs», un usage du conditionnel en acte qui pourrait s’appeler autonomie.
J’évite ainsi de me retrouver à attendre comme un sujet nu devant l’autre sujet nu de la bande ou de l’organisation. C’est gênant de se retrouver tout nu. «On naît nu, mais on a vite fait de s’habiller», me disait un camarade. Je suis donc pour une autonomie habillée.
Commentaires fermés sur Les voisins bienvenus, les fascistes DEHORS! – Compte-rendu d’une action antifasciste le 19 mai 2025
Juin112025
Soumission anonyme à MTL Contre-info
Au matin de la “Journée des Patriotes”, une journée où déroule la démonstration de force annuelle du groupe fasciste nationaliste québécois Nouvelle Alliance, nous avons su les vaincres et les humilier. Ce groupe avaient pour but de se rassembler devant la statue de Dollard Des Ormeaux, un personnage de la mythologie nationaliste québécoise qui est un cible de glorification et rehabiliation par Nouvelle Alliance. Ils tentent chaque année d’en faire un rassemblement esthétique et rassembleur pour se donner bonne apparence, malgré leurs propos ignobles et haine hideuse pour les autres.
Les quelques membres du noyau de Nouvelle Alliance, numérant à peine douze, se sont rencontrés tôt dans un coin du Parc Lafontaine pour marcher en rang pour occuper l’espace de leur martyr Dollard Des Ormeaux. Par contre, nous étions préparé.e.s davantage et prêtes à l’affrontement. Alors qu’un groupe assurait la présence sur les lieux convoités par la bande fascistes, un comité d’accueil est allé leur souhaiter une bienvenue en territoire anti-fasciste.
Ces néo-nazis, croyant toujours dans la loi du plus fort, n’ont pas hésiter à charger notre ligne et lancer des coups de pieds et coups de poings aidés par des gants renforcés. Le ti-chef (réellement très petit) François Gervais avait un plaisir à jouer au commandant en ordonnant ses petites troupes et à tenter de nous ordonner en face.
Nouvelle Alliance, loins de caméras de médias et des campus universitaires, ont démontrés leurs vraies couleurs: la haine pure et soif pour la violence. Leurs tentatives de nous dénigrer étaient d’un machisme caricatural, incluant des belles citations comme “Ils ont envoyé une gang de fifs” et “y’ont ben des filles avec eux, c’est pas leur place là”. Justement, la seule femme au sein de leur groupe a été à l’écart d’une trentaine de mètre pour filmer leur attaque, tandis que nous étions toustes là et solidaires.
Les contre-attaques de notre camp ont frustré leur avancée et ont fâchés ceux qui en face s’attendent à ce que l’on cèdent et plient devant leur supposée force virile. Nous n’avons pas manqué la peur dans les yeux des militants de l’autre bord et l’hésitation de plusieurs à se battre. Malgré la hargne de nos adversaires, nous étions courageux.e.s et nous n’avons pas manqué à répondre avec nos propres poings, pieds et bâtons. Personne n’avait eue même l’idée de fuir et la bagarre s’est terminé seulement lorsque la police est intervenu. Nos coups, ralliés par la solidarité pour nos camarades, ont permis de ralentir la bande durant un bon nombre de temps: assez pour que nos renforts arrivent pour offrir du soutien. Heureusement pour Nouvelle Alliance, la police est arrivée en même temps, et n’ont pas hésité à montrer leur préférence pour leurs compatriotes fascistes aggresseurs en arrêtant pour leur parler tandis que nous n’avions pas eues d’autres choix que celui de nous disperser.
La victoire massive de la gauche libertaire cette journée là est grâce à l’unité de notre diversité des tactiques qui a été mise en place. La combativité et les contre-attaques physiques contre les fascistes ont gardé les ont loin de la mise en place de la fête populaire. La fête populaire a donné un support de masse et une légitimité à la mise à l’écart des fascistes. Sans le premier, Nouvelle Alliance aurait piétiné les efforts de mise en place de la fête et s’auraient insérés dans l’espace public et le danger aurait été trop grand pour une fête accessible, familiale et sécure. Sans le dernier, nous aurons pas eux la légitimité que l’on possède actuellement, et la police aurait eu toutes les excuses pour diviser l’espace et faire une fausse équivalence entre les marges fascistes et la resisitance populaire anti-fasciste. C’est grâce à notre diversité des tactiques, unité dans la lutte et intransigence contre ces forces déstructrices que nous avons pu occuper l’espace par la joie et la solidarité. Continuons de massifier notre lutte et continuons de terroriser ces fascistes.
Commentaires fermés sur Pouvoir oublier : ce qu’un film sur la grève de 72 peut dire aux anarchistes
Juin062025
Soumission anonyme à MTL Contre-info
Je suis allé voir le docu Pouvoir oublier au cinéma en me méfiant un peu. Les documentaires sur le syndicalisme, la lutte ouvrière et sur le travail en général ont ce défaut d’être trop propagandistes, sans discernement, et sans évidemment aucune analyse des limites du syndicalisme comme forme de contestation. Je suis unE militantE assez usé par le temps pour avoir entendu tous les vieux mythes ouvriéristes et nationalistes répétés comme des mythes qu’on ne peut critiquer…La grève générale de 1972, les grands moments du « mouvement ouvrier », tout ça, j’en ai souvent vu les récits tournés en monuments, polis, illustrés, vidés de leurs contradictions. Mais ce film-là ne fait pas ça. Ce film m’a désarmé. Il n’avait rien d’un hommage tranquille ni d’une célébration. Il faisait autre chose : il creusait. Il doutait. Il écoutait.
Dans Pouvoir oublier, on ne nous vomit pas la même leçon d’histoire entendue mille fois : la mort du méchant Duplessis, la gentille Révolution tranquille qui met le Québec sur la map du Progrès, l’indépendance ratée comme une erreur historique…tout ce discours nationaleux qui vieillit mal. Enfin oui, le film en parle, mais il en parle autrement, pour une fois. On entre dans les plis d’un moment politique trouble qui devrait nécessairement intéresser les anarchistes du soit-disant Québec. Le Front commun de 1972 et surtout l’occupation de la ville de Sept-Îles posent des questions centrales pour quiconque s’est un jour identifié comme révolutionnaire. On tire quelque chose d’inconfortable mais vital à la suite de ce visionnement : une critique en acte, lucide, amère parfois, mais pas cynique pour autant (malgré les appréhensions). Ce que j’ai vu, c’est un film qui ose poser des questions que les institutions syndicales évacuent de manière complaisante : jusqu’où peut-on lutter quand on reste enfermé dans les revendications salariales ? Qu’est-ce que signifie vraiment le »pouvoir ouvrier » sinon le pouvoir syndical ? Et que reste-t-il quand ce pouvoir est devenu mémoire, ou pire, folklore ? Alors que la lutte des classes semble reprendre du poil de la bête, il serait idiot de répéter les mêmes erreurs qu’autrefois. Le film pose des questions fort pertinentes avec en toile de fond les possibilités d’auto-organisation, d’autonomie des travailleurs et travailleuses, sans éclipser la nature aliénante de l’exploitation capitaliste, tant dans le salariat que dans la colonisation du territoire.
Le titre m’a trotté dans la tête. Le pouvoir d’« oublier » ce qu’il faut pour survivre, pour continuer, mais aussi le « pouvoir ouvrier » qu’on a laissé se dissoudre dans les couloirs des négociations. Et puis le rappel : qu’il y a des choses qu’on ne pourra ni oublier, ni réparer. Comme la violence d’avoir été trahi par ses propres structures, par la grande industrie, par l’État. Comme le fait de lutter sur des territoires volés, dont on n’a jamais remis en question l’occupation. Et aussi le traumatisme présent dans nos luttes, qu’on cherche à éviter, la question du deuil qui est centrale aux mouvements de contestation. Parce que dans cette histoire portée à l’écran, il y a un attentat, un mort et beaucoup de blessés. CertainEs dans leurs corps, d’autres dans leurs esprits. Je trouve que les réflexions sur le care nous amènent à voir cette époque et ces événements d’une manière nouvelle pour mieux renforcer nos luttes, sans qu’elles tombent dans une auto-représentation folklorique. Il faut adresser les véritables enjeux, même ceux qui nous immobilisent pour un temps, et c’est ce que le film fait je trouve. Ce film est intéressant dans une perspective anti-autoritaire pas parce qu’il chante l’utopie (il ne le fait jamais) mais parce qu’il nomme ce que les syndicalistes n’ont pas su dépasser en raison de leur nature, de leur fonction: la médiation permanente, les rôles assignés, les luttes intégrées au système qu’elles prétendent contester. Et parce que le film donne la parole autrement. Pas de voix off paternaliste (enfin!), pas de récit figé. Quand les vieux chefs syndicaux parlent, c’est pour mieux déconstruire leur discours ou à tout le moins pas pour en glorifier les paroles mais toujours dans une tension critique bien rare dans ce type de film. On sent que la forme a été pensée comme une manière de refuser l’autorité du récit, même si ça peut être amélioré. Et ça, pour moi, c’est quelque chose de radical, parce que ça provoque la critique, la discussion, sur des bases non campées, non partisanes. On est loin de la docilité habituelle du film-propagande qui, à la longue, finit par lasser à force de se faire dire quoi penser.
Il y a dans ce film une force fragile, une attention au soin, à ce que les militant·e·s d’hier ont porté, perdu, transmis sans toujours le vouloir. Et il y a ce regard dur mais tendre sur une histoire de luttes qu’on ne veut pas idolâtrer, mais qu’on ne veut pas non plus jeter à la poubelle. C’est dommage que ça parle d’un événement qu’il y a eu lieu si longtemps car bien d’autres luttes récentes pourraient être concernées par cette approche sans compromis. Moi, en tout cas, ça m’a inspiré dans la manière de représenter nos récits au-delà de leur forme traditionnelle.
Ce film ne se revendique pas anarchiste. Mais who cares ? Il donne envie de reparler stratégie, mémoire, défaite. De sortir des cadres. D’imaginer autre chose. Et pour ça, il mérite d’être vu, discuté, transmis. Pour réactiver la parole critique, la discussion, l’affrontement.
Commentaires fermés sur Contre le Spectacle érotique
Juin052025
Soumission anonyme à MTL Contre-info
Pourquoi le sexe, même queer, n’est pas une pratique révolutionnaire
Intro : le Spectacle du sexe queer « Spectacle : non pas simplement représentation, mais organisation matérielle et sociale des apparences, où la vie devient une marchandise à consommer sous forme d’images et de récits. »
Nous décidons d’écrire ce texte à la suite de plusieurs discussions et débats autour de la place des pratiques sexuelles dans les perspectives révolutionnaires. Nous parlons depuis l’intérieur, avec tendresse, rage et une certaine ironie. Maintes fois, nous avons entendu des camarades soutenir que le sexe, et particulièrement le sexe queer, constituerait un acte militant politique, qu’il faudrait l’encourager et créer des espaces politiques dédiés à la tenue de pratiques sexuelles transgressives. Certaines de ces affirmations prennent parfois plus la forme de blagues que de vraies propositions politiques, mais elles demeurent tout de même ancrées dans le point de vue que la sexualité queer, surtout dans un contexte DIY, de squat, de cruising ou de discours politique radical, constitue une forme d’action politique pertinente à nos mouvements (par nos mouvements, nous entendons à la fois les mouvements révolutionnaires et les mouvements queers).
Par ce texte, nous souhaitons nous opposer à cette perspective. Premièrement, car nous avons constaté que celle-ci accorde souvent trop d’importance à des pratiques contre-culturelles qui ne relèvent pas de stratégies permettant la réelle modification de nos conditions sociales. Deuxièmement, car nous nous demandons si dépeindre la sexualité queer comme intrinsèquement radicale contribue à obscurcir et à reproduire certaines dynamiques de pouvoir au sein de nos communautés. Nous n’avons pas toujours les mêmes ressentis, les mêmes positions, les mêmes enjeux, mais quelque chose nous relie dans cette fatigue, ce trouble, ce désir d’autre chose. Certes, nous ne voulons pas laisser entendre que la sexualité queer soit mauvaise ou devrait être réprimée. Au contraire, nous souhaitons que celleux qui veulent avoir du sexe et des pratiques sexuelles queer ou alternatives leur permettant de s’épanouir puissent le faire sans encombre, mais nous ne considérons pas ces pratiques, ou la revendication de ces pratiques, comme une stratégie ou une tactique pertinente. Nous jouirons dans les ruines, mais nous ne ferons pas tomber les murs.
Dire que quelque chose est « politique » (car tout est politique), un cliché dont nous avons tous•tes un peu marre, n’est pas suffisant pour affirmer qu’elle soit pertinente politiquement. Dans nos cercles et nos affiches, la sexualité queer tend à être érigée en Spectacle, au sens que lui donne Guy Debord : non simplement comme une représentation, mais comme une forme d’organisation sociale dans laquelle la vie elle-même est médiée, séparée et transformée en image. La sexualité queer, dans ce contexte, devient une marchandise spectaculaire : encensée, esthétisée, consommée comme preuve de radicalité, mais détachée des conditions réelles de notre lutte. Nous ne voulons plus de ce Spectacle comme forme militante.
Aliénation sexuelle et la forme commodité
Force est de constater que, sous le capitalisme, la sexualité est le produit des mêmes logiques qui structurent le reste de notre vie sociale : commodification, privatisation et isolation. Les actes sexuels individuels (même s’ils sont faits en groupe), peu importe leur caractère transgressif face aux normes bourgeoises, demeurent régis par ces conditions d’aliénation. Tant qu’il n’y a pas de changements conséquents (certain•es pourraient dire, de révolution) des relations sociales entourant la sexualité, cela ne pourra pas changer.
Pour Mario Mieli et Guy Hocquenghem, l’homosexualité (et, par extension, la queerness) renferme un potentiel révolutionnaire non parce qu’elle est déviante, mais parce qu’elle met en lumière l’absurdité des normes sexuelles bourgeoises et leur fonction dans la discipline du travail reproductif.
Performer la déviance et la subversion sans s’attaquer au système de salariat, de propriété privée, de reproduction familiariste et des rôles de genre, c’est faire de ces actes une pure performance s’inscrivant dans le marché néolibéral de la différence. Comme toutes les commodités, sous le système capitaliste, le sexe transgressif est récupéré par l’appareil social et économique. Il devient un produit, pas une rupture.
Notre sexualité devient un Spectacle de transgression; nos corps, des objets déviants; nos expériences, des récits de radicalité esthétique.
Si nous souhaitons la libération sexuelle, nous ne pensons pas qu’elle adviendra à travers la transgression des normes, mais à travers l’abolition des conditions sociales qui requiert que la sexualité soit productive, normative et profitable. Aucun acte sexuel en lui-même ne peut venir à bout de la famille, des patrons ou de la police.
Du désir à la discipline : la récupération de la sexualité queer
Quand érotisme et identité sont éloignés des conflits de classe, ils deviennent des outils de récupération capitaliste, prenant la forme de capital social, de marchés spécialisés et de catégories rigides. La politique révolutionnaire ne peut pas émerger de l’auto-expression libidinale. Elle doit être reliée à un conflit collectif et organisé avec le Capital.
Les groupes autonomes du 20e siècle nous démontrent que la ligne de front des conflits de classes se situe dans les endroits de production et de reproduction : logement, care, éducation ou travail. La sexualité ne remet pas en cause ces secteurs si elle n’a pas de lien avec le projet communiste/anarchiste.
Comme l’affirmait le Front Homosexuel d’Action Révolutionnaire (FHAR) il y a de ça 50 ans, notre but n’est pas la visibilité ou la tolérance sexuelle, mais l’abolition des catégories permettant la gestion et la répression de la colère populaire.
Notre valorisation contemporaine du « sexe queer » comme un outil subversif, résonne avec les concepts de diversité libérale : des corps différents, mais des rapports propriétaires qui restent les mêmes.
Le système peut tolérer le sexe queer; il ne peut pas tolérer le communisme queer. Il peut monétiser les kinks, les expressions de genre diverses, le polyamour, et les orgies « politiques », mais il ne peut pas permettre l’abolition du travail salarié, du genre et de la famille. Seules la confrontation de classe et l’organisation révolutionnaire peuvent permettre une véritable libération de l’expression érotique.
Pas de révolution sans force : contre la politique de la transgression personnelle
Les transformations révolutionnaires requièrent une force collective capable de confronter et de détruire les institutions de domination : l’état colonial, l’économie capitaliste, le système carcéral. Les actes sexuels, peu importe s’ils nous semblent radicaux, ne peuvent pas générer cette force par eux-mêmes.
Les théories anarchistes et communistes, dont nous nous inspirons, ont toujours mis l’emphase sur la construction d’un pouvoir matériel horizontal, à partir de fédérations, d’actions directes et de ressources communes. Nous ne sommes pas intéressé•es par des actes symboliques de transgression réservés à une élite communautaire.
Le FHAR, que nous avons mentionné précédemment, et qui inspire aussi nos pratiques futures, comprenait que la libération devait être à la fois politique et sexuelle, mais rejetait l’idée que cette libération se trouvait dans la voie de l’autonomie personnelle. Leurs actions de rue et leurs interventions en usine visaient les sièges du pouvoir, pas juste les normes.
La transformation du désir est essentielle, mais elle requiert de nouvelles formes sociales, pas seulement des pratiques personnelles. Le désir révolutionnaire ne se trouve pas dans la permission ou la performance, mais dans l’effacement des conditions qui font de la sexualité un outil de discipline et de différenciation.
Une sexualité queer peut être joyeuse, déviante ou commune : mais, tant qu’elle ne fait pas partie d’une société communisée sans propriété, elle n’est pas révolutionnaire. Ce qui est révolutionnaire, c’est l’abolition des conditions sous lesquelles nos corps, et donc notre sexualité, sont catégorisés, contrôlés et possédés.
Le capital social de la transgression
Finalement, nous souhaitons adresser les dangers relevant de la valorisation d’une sexualité queer déviante comme méthode d’action politique. Par le fait même, nous risquons de reproduire des hiérarchies de désirabilité, de capital social et d’asymétries de pouvoir dans nos communautés. Nos camarades qui sont plus ouvertement transgressif•ves, à travers leur esthétique, leurs pratiques sexuelles, ou leur performance de la radicalité, accumulent un capital social qui leur permet de délimiter l’authenticité de la « queerness ».
Cela risque la reproduction des logiques d’exclusion oppressive sur la base de l’ethnicité, de la classe, du genre et des capacités. Ainsi, des personnes qui ont vraisemblablement plus en jeu lorsqu’il s’agit de libération politique risquent d’être perçues comme « moins radicales » en raison de leur distance, voire leur opposition, avec ces pratiques de sexualité dissidente.
Nous tenons à affirmer que la libération se trouve dans l’abolition de la domination et des hiérarchies, pas dans leur réinvention érotique. Une politique ancrée dans le sexe-comme-résistance s’expose à la fétichisation de la marginalité et risque de confondre solidarité et Spectacle.
Pourquoi maintenant? (En guise de conclusion)
Si cette ligne du « sexe queer comme acte politique » est répandue depuis quelques années déjà, il nous semble important d’expliquer pourquoi nous nous y opposons à ce moment-ci spécifiquement. Dans un contexte de glissement de la fenêtre d’Overton (lire : climat politique) vers la droite et l’extrême-droite, il nous apparaît, nous personnes transsexuelles et homosexuelles, plus important que jamais d’adopter des stratégies fortes pour assurer la lutte contre le fascisme, la transmisogynie et l’homophobie. Nous sommes tous-tes déjà précaires, marginalisé•es et violenté•es par ce système. Notre travail est exploité et aliéné, nous sommes à la merci des parasites terriens (lire : proprios) et les violences genrées tendent une épée de Damoclès au-dessus de nos têtes.
Dans ce contexte, il est important de lutter sur les enjeux qui affectent notre survie : nos conditions de vie matérielles. Si le sexe queer est une pratique qui peut nous permettre de s’épanouir et de développer un rapport positif avec nos corps, il ne constitue toutefois pas une piste d’action envisageable face à l’urgence actuelle. Nos espaces (queers) sont dépolitisés, érotisés et galvanisés par des perspectives qui se limitent à de la subversion, des pratiques de care vides de sens, et une tendance à vouloir toujours performer plus de radicalité. Nous invitons nos camarades, et nous-mêmes, à réfléchir à nos perspectives, à ce que l’avenir de nos luttes nous réserve, et à comment dépasser l’obstacle que représente ce Spectacle queer.
Car ce n’est pas en s’enculant entre nous qu’on empêchera les fachos de le faire.