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Prison de Parc (UK) : Deux déclarations de l’anarchiste emprisonné Toby Shone

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Mai 062022
 

Du Anarchist Black Cross de Brighton, traduction de Attaque

1er mai 2022
Comme geste minimal pour marquer le 1er mai révolutionnaire et pour me joindre aux manifestations qui ont lieu dans le monde entier, je refuse de manger la nourriture de la prison, en utilisant ainsi mon corps comme un moyen pour exprimer ma solidarité et pour protester, car l’entreprise de sécurité G4S [qui gère la prison de Parc, où Toby est enferme ; NdAtt.] me refuse ma correspondance. Je ne resterai pas isolé de ma famille, de mes ami.e.s et de mes compas et mes convictions anti-politiques continuent à se préciser. Honneur et dignité à tou.te.s celles/ceux qui sont tombé.e.s.

Souvenons-nous de Haymarket square.

Toby Shone
prison de Parc, gérée par G4S, Royaume-Uni


Déclaration pour le 11 juin, Journée internationale de solidarité avec Marius Mason et tou.te.s les prisonnier.e.s anarchistes condamné.e.s à des longues peines

Nous allons devoir prendre la mer et nous embarquer pour un voyage vers l’inconnu. C’est à nous d’en choisir le cap. Nous sommes libres de faire des erreurs.
Gustavo Rodriguez, Bref rapport informatif sur le temps

Une accolade de vie, de feu et de complicité à tou.te.s les compas anarchistes emprisonné.e.s, à l’occasion de ce 11 juin. J’ai été invité à y participer par des compas d’Amérique du Nord, chose pour laquelle ils/elles ont tous mes remerciements et mon accord. Même si je ne suis pas condamné à une peine particulièrement longue, lors de mon procès pour l’opération Adream, en octobre dernier, j’ai risqué plus d’une décennie d’emprisonnement et la semaine prochaine je passerai à procès une nouvelle fois, à Bristol, le 6 mai. Cette fois, les procureurs de l’« antiterrorisme » demandent jusqu’à cinq ans d’assignation à résidence et une surveillance spéciale, chose qui pourrait me voir retourner fréquemment en prison. Si l’État gagne ce procès, cela constituera aussi un précédent contre le reste du milieu anarchiste au Royaume-Uni. Les mobilisations internationales sont essentielles pour en apprendre davantage et combiner nos luttes communes. L’ouverture d’un espace de discussion et de praxis nous permet d’échapper aux murs et aux barbelés qui nous divisent et nous isolent. Je suis enfermé 23 heures par jour, tout seul dans une cellule, soumis à une surveillance et à une censure renforcées, considéré comme « à haut risque » et placé sur la « liste des prisonniers susceptibles de s’évader ». J’en ai rien à foutre. Je quitterai cet endroit sans avoir reculé d’un millimètre.

Celui qui a un « pourquoi », dans sa vie, peut supporter presque n’importe quel « comment ».
F. Nietzsche

Il y a des tempêtes qui se rassemblent à l’horizon.

Toby Shone
écrit la veille du 1er mai révolutionnaire 2022
prison de Parc, gérée par G4S, Royaume-Uni

2012. P!NK BLOC : un « printemps érable » sexy et funky

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Mai 062022
 

De Archives révolutionnaires

Dans le cadre du dixième anniversaire de la grève étudiante de 2012, notre collectif revisite divers aspects de ce mouvement social. Après un article sur les grands moments de la grève puis sur les mobilisations en région, le présent texte offre la parole à trois militant·es du P!nk Bloc qui racontent leur participation au débrayage et partagent leurs réflexions politiques.

« Les P!nk Blocs des contre-sommets internationaux ont été de véritables laboratoires militants qui ont expérimenté des techniques d’actions directes non violentes, mais aussi de nouvelles pratiques d’organisation collective, de distribution de la parole, de prise de décision au consensus… en rupture avec un certain phallocentrisme latent dans les groupes militants – même les plus radicaux – plus classiques. »

Elsa Dorlin, Le queer est un matérialisme

Montréal, 2012. Entre les assemblées des associations étudiantes, les émeutes enflammées et le fracas des casseroles, une autre histoire se dessine. Le P!nk Bloc, inspiré par les Panthères roses et la Radical Queer Semaine, et façonné par les grandes mobilisations anticapitalistes des années 2000 (dont le contre-sommet du G20 de Toronto en 2010), prend d’assaut les actions étudiantes avec ses paillettes, ses pompons colorés et ses slogans percutants. Ces queers anti-autoritaires apportent une dimension festive à la grève, flirtant avec la procession activiste carnavalesque, dansant pour une éducation accessible et de qualité, occupant les rues avec joie et plaisir et articulant dans l’action anticapitalisme, queer et féminisme. Iels ont organisé des actions percutantes et avant-gardistes, se mobilisant notamment contre les slogans pro-viol qui fusaient dans les rues. Dix ans plus tard, retour sur cette zone méconnue de l’histoire de la grève étudiante de 2012 à l’occasion d’une conversation animée[1].

Qu’est-ce qu’il y avait comme mobilisation ou espace politique queer francophone au soi-disant Québec avant le P!nk Bloc?

Chacha Enriquez : Il y a eu PolitiQ et la Radical Queer Semaine. Moi je suis arrivé en août 2008 au Québec, et on a organisé la première Radical Queer Semaine en février-mars 2009. C’était assez désorganisé ! On était une batch de queers. C’était un espace bilingue avec une crew plus franco, une crew plus anglo. C’est drôle, il y avait une espèce de répartition des tâches où les anglos s’occupaient plus de l’art puis des partys, et les francos s’occupaient plus de faire des ateliers puis des manifestes puis des affaires du genre. Il y avait eu quelques événements queers avant ça, mais la crew queer était assez petite.

Pascale Brunet : Pour moi qui ai été impliquée vaguement dans les Panthères roses de Montréal, c’était une grosse différence entre les Panthères roses et la Radical Queer Semaine. Parce que même si c’était désorganisé, il y avait crissement beaucoup de monde soudainement. Les Panthères roses sont arrivé·e·s à un moment où est-ce que la majorité des gens des communautés LGBTQIA2S ne s’identifiait pas nécessairement comme queer. Rendu à la Radical Queer Semaine, soudainement il y avait une masse critique de personnes francophones qui avaient envie de s’organiser.

CE : Je pense que tu as un point, que les Panthères ont réussi à faire connaître le queer dans le monde francophone et à politiser toute une gang autour du queer. Et si la première Radical Queer Semaine était messy, après c’était beaucoup plus organisé.

PB : Il y avait Les Lucioles aussi, des soirées de vidéastes engagé·e·s, et c’était une gang des Lucioles qui étaient les Panthères roses à la base, donc ils documentaient leurs trucs. La première fois que j’ai entendu parler des Panthères roses, c’était pour un événement qu’on avait organisé, Anti-St-Valentine, avec Head & Hands, puis les Panthères avaient été invité·e·s pour projeter des films. C’est la première fois que je découvrais le mot queer. Et les Panthères, c’était des francos.

Le P!nk Bloc en manifestation. Toutes les photos de l’article proviennent du site web Artefacts d’un Printemps québécois, dédié à la préservation et la diffusion des archives de la grève étudiante de 2012.

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Airbnb détruit le centre-ville de Chicoutimi

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Avr 262022
 

Du Collectif Emma Goldman

Lors de la dernière action du Collectif Emma Goldman, celle en solidarité avec les évincé-e-s du squat de l’autogare de Chicoutimi, un mal-logé du centre-ville me témoignait de la situation de rénoviction qu’il vivait dans son logement. Pour lui, la situation de crise du logement abordable au Saguenay avait des sources multiples, dont l’embourgeoisement, les Airbnb et une forme de mépris des propriétaires envers les moins nanti-e-s. Je l’écoutais attentivement même si je me disais que c’est le genre d’analyse que le Collectif diffuse depuis plusieurs années, une analyse qui témoigne de la réalité crue vécue dans le centre-ville. Bien sûr, on est loin des discours d’élu-e-s comme Mireille Jean selon lesquels, s’il faut les croire, les pouvoirs publics multiplieraient constamment les initiatives pour venir en aide aux mal-logé-e-s… Sur le terrain, le mépris de la ville pour les moins nanti-e-s se vit pourtant à tous les niveaux et au quotidien. Lorsque leurs logements gênent, on les détruit malgré leur statut patrimonial pour les remplacer par quelques places de stationnement en plus. Lorsque leurs présences dans les commerces et sur les rues commerciales gênent, on envoie systématiquement la police pour les harceler et les taxer avec de nouveaux tickets – ça a d’ailleurs été l’une des raisons du déménagement du poste de police. Lorsque leur désespoir et leur détresse gênent, on installe de nouvelles caméras et on augmente les patrouilles policières plutôt que de renforcer le filet social. Les pauvres gênent une certaine classe de privilégié-e-s à Saguenay et l’embourgeoisement devient synonyme de chasse aux pauvres. Dans ce texte, j’aimerais explorer la problématique des Airbnb dans l’embourgeoisement du centre-ville de Chicoutimi.

En dépit d’un encadrement règlementaire plutôt récent, les lieux pouvant être loués sur Airbnb autour de la ville de Saguenay se comptent par centaines selon le site Web de la plateforme. Une recherche très rapide m’a permis d’en trouver plusieurs dizaines dans le seul quartier du centre-ville de Chicoutimi. C’est dire que dans le contexte d’une crise du logement abordable, des propriétaires et des promoteurs immobiliers empirent la situation en préférant louer pour de courtes durées à des touristes qui paieront plus cher plutôt qu’aux habitants et habitantes du quartier. La ville accorde certes des permis aux propriétaires effectuant de telles transactions via la plateforme de la multinationale dont le chiffre d’affaires atteint plusieurs milliards de $, mais elle ne fait rien pour empêcher le processus de détérioration de la situation du logement dans la ville qu’engendre les Airbnb. Avec ou sans permis octroyé par la ville, les problèmes causés par les Airbnb restent les mêmes.

En plus de retirer des logements du parc locatif (au profit du parc touristique), les Airbnb stimulent l’augmentation du coût des logements. Plus les logements disponibles se font rares, plus la tension se fait ressentir sur le marché locatif. Les proprios reçoivent de plus en plus de demandes pour leurs logements et ont de plus en plus de marge de manœuvre pour faire monter les prix des logements, faire accepter des logements dans des conditions exécrables et effectuer une sélection discriminatoire de leurs locataires (comme cela demeure répandu au Saguenay). De plus, les Airbnb stimulent une transformation à moyen et long terme des quartiers par des changements dans l’offre commerciale pour convenir aux touristes qui ont plus d’argent à dépenser. C’est aussi cela l’embourgeoisement. Des commerces « huppés » apparaissent dans des quartiers populaires où la majorité du monde qui y habite n’a même pas le moyen de se procurer les articles les moins dispendieux. Au final, c’est la satisfaction des besoins élémentaires des gens qui est attaquée avec la formation de déserts alimentaires, ainsi que le tissu et la vie sociale de la communauté résidant dans les quartiers.

Que veulent alors, me direz-vous, les mal-logé-e-s du quartier? En toute humilité, c’est bien dur à dire, mais dans les grandes lignes… Nous voulons un quartier pour nouer des liens de solidarité et d’entraide avec les gens qui nous entourent, un quartier pour voir s’épanouir en sécurité et dans la convivialité les enfants, les adultes et les personnes âgées, un quartier pour vivre et défendre la vie. Nous ne voulons pas d’un quartier où la circulation de transit des employé-e-s pressé-e-s domine les rues, d’un quartier muséifié par la touristification où la fausse image est plus importante que l’humain, d’un quartier où l’argent est maître et où, dans l’indifférence, on laisse croupir des personnes exploitées et opprimées dans la misère et l’isolement.

Fuck Airbnb!

N. Hervé

Le verger au complet : La police dans les communautés autochtones

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Avr 132022
 

De la Convergence des luttes anticapitalistes

Le Verger au complet lance son troisième épisode de la deuxième saison. Ce mois-ci, le podcast aborde les enjeux qui entourent la police dans les territoires autochtones, qu’elle soit dirigée par des autochtones ou des colons.

Dans cet épisode on discute avec l’une des fondatrices du camp d’apprentissage linguistique de Kanien’kéha à Akwesasne et de la relation de cette communauté avec les forces policières.

Musique
  • Jason camp & The Posers – « Indian Act (Kill the Indian, Save the Child) », from the album « First Contact », 2019 https://jasoncampandtheposers.bandcamp.com
  • Q052 – « High Horse », from the eponymous single album, 2020, https://q052.bandcamp.com
Références

Pour en savoir plus sur le camp: https://newsinteractives.cbc.ca/longform/reclaiming-land-language

Transcription

RBC : Désinvestissez de CGL

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Avr 122022
 

Soumission anonyme à MTL Contre-info

Lundi le 11 avril
Tiohtià:ke/Montréal

En début d’après-midi, un petit groupe d’anarchistes s’est faufilé à l’intèrieur des bureaux de la RBC a la Place Ville-Marie. Armé.es de tracts, de collants et de cannes de peinture, iels ont laissé un message à la banque: DÉSINVESTISSEZ DE CGL. Depuis l’automne 2021, les Wet’suwet’en mènent campagne pour que RBC cesse de financier la destruction de leur territoire, mais RBC continuer d’ignorer leurs demandes.

Tant et aussi longtemps que RBC financera des projets extractifs, elle nous trouvera sur sa route.

– des anarchistes en criss

Réflexions sur la solidarité anticoloniale actuelle

Menace imminente: Coastal Gaslink (CGL) est décidé à forer sous le Wedzin Kwa ce printemps 2022. Tout du peuple Wet’suwet’en: les personnes, la langue, la culture et la terre ainsi que les animaux vivant sur ce territoire sont confrontés à l’anéantissement de leur mode de vie. Si vous avez entendu l’appel à l’action, cette année à venir sera cruciale pour l’autodétermination et la souveraineté des Wet’Suwet’en.

Les actions de solidarité visibilisent le combat des Gidimt’en et protègent les personnes en première ligne de la repression policière et du harcelement de CGL. (https://twitter.com/Gidimten/status/1450808498833473549) Rien qu’au cours du dernier mois, la GRC a effectué 54 visites au point de contrôle de Gidimt’en, réveillant les aînés à toute heure de la nuit et les menaçant d’arrestation. Ces actes continus d’intimidation et de répression policière font partie d’une stratégie plus large de l’État canadien visant à utiliser les resources légales et les systèmes juridiques pour continuer à nier la souveraineté des Wet’suwet’en, malgré le fait que le système judiciaire canadien a reconnu la souveraineté des Wet’suwet’en dans la décision Delgamuukw c. Colombie-Britannique.

Lutte à long terme: L’engagement est un souffle long constamment menacé d’épuisement. Cette lutte contre la CGL comprend plusieurs dimensions : décoloniale, environnementale, anticapitaliste et féministe. Les nombreux « camps d’hommes » qui envahissent le Yintah intensifient et facilitent la capacité des hommes d’enlever, de violer et d’assassiner des femmes, des filles et des personnes bispirituelles autochtones (voir le rapport final de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, p. 593). Tant que CGL et la GRC demeurent sur le territoire, il en va de même pour les niveaux accrus de violence sexiste coloniale.

Nous continuons d’appuyer la position des Gidimt’en au point de controle face à Coastal GasLink et les entreprises extractives parce que la lutte pour l’autodétermination autochtone est une lutte longue et ardue. L’organisation solidaire est plus efficace lorsqu’elle est cohérente et stratégique. Nos efforts continus contribuent à la force et à la visibilité de leur lutte pour l’autodétermination, la souveraineté et la liberté.

Imaginez la force et la capacité du travail de solidarité si les personnes qui s’engagent dans ce type d’organisation avaient des enjeux personnels et collectifs dans le conflit? Par exemple, de nombreux Autochtones se battent à travers l’île de la Tortue pour se libérer de l’État colonisateur et pour être libres de se gouverner eux-mêmes comme ils le jugent selon leurs propres méthodes. Il y a aussi beaucoup de non-Autochtones qui se battent pour être aussi libres que possible de l’institutionnalisation et de la reglémentation de leur corps, de leurs relations et de leurs communautés. Ces expériences et histoires de lutte variées fournissent une base pour des points de connexion profonds.

L’imagination est un atout si elle permet de visiliser ce combat de différentes façons. Adaptez les tactiques et les stratégies d’organisation à vos capacités et à vos ressources. Plus important encore, agissez. Il est temps.

2012. La lutte des grévistes en région

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Avr 072022
 

De Archives révolutionnaires

Durant la grève étudiante de 2012, des groupes militants locaux ont émergé un peu partout sur le territoire du soi-disant Québec, développant peu à peu des pratiques combatives. Alors que le récit des actions d’éclat à Montréal, notamment les grandes manifestations et les affrontements de rue propres à un espace densément peuplé, a été largement diffusé, les luttes en région restent nettement moins connues. C’est d’elles dont nous voulons rendre compte ici.

En dehors de l’espace montréalais, la grève a pris différentes formes qui n’ont pas manqué de combativité. L’inscription dans un mouvement large ainsi que les traditions militantes locales ont permis l’élaboration d’un répertoire d’actions confrontationnelles sur les campus de nombreuses villes partout au Québec. Le présent article désire souligner la radicalité qui a émergé en région, afin de contrebalancer une certaine historiographie nationale ou montréalocentrée. Sans prétendre à l’exhaustivité, nous verrons comment diverses initiatives ont pris place en parallèle des structures associatives et comment, dans plusieurs cas, elles ont dépassé les desseins des exécutifs locaux et nationaux. Les militant.e.s des cégeps et des universités en dehors de Montréal et de Québec ont développé des pratiques corrélatives à leur degré d’excentricité géographique, en fonction des contraintes locales et de la force des réseaux politiques préexistants. Il faut donc tenir compte, d’une part, de l’histoire de la mobilisation en région, et d’autre part, des pratiques émergeant durant la lutte. Pour ce faire, nous adopterons une approche à la fois chronologique et géographique, rendant le récit fluide sans gommer les traits spécifiques à chaque espace.

Cet article n’aurait pas été possible sans les précieuses entrevues faites avec une vingtaine de militant.es : nous tenons à remercier chaleureusement les camarades d’Alma, de Chicoutimi, de Drummondville, de Gatineau, de Québec, de Rimouski, de Saint-Félicien, de Saint-Jérôme, de Sainte-Thérèse, de Sherbrooke et de Valleyfield qui nous ont offert leur temps et leur sollicitude pour que nous puissions réaliser ce texte.

Le mouvement étudiant (2005-2012)

Avant la grève étudiante de 2005, l’Association pour une solidarité syndicale étudiante (ASSÉ) est déjà implantée en dehors de Montréal via plusieurs associations cégépiennes, dont celles de Sherbrooke, de Drummondville, de Matane et de Lionel-Groulx, situé à Sainte-Thérèse. Ancrée à gauche, l’ASSÉ s’intéresse à des enjeux politiques comme scolaires. Elle incarne la tendance « radicale » lors de la grève étudiante de 2005, en créant la Coalition de l’ASSÉ élargie (CASSÉE). Trahie par la Fédération étudiante universitaire du Québec (FEUQ) et la Fédération étudiante collégiale du Québec (FECQ), l’ASSÉ sort tout de même du conflit avec une réputation combative, ce qui entraîne l’augmentation de son membrariat. Les cégeps de Saint-Jérôme, de Lanaudière à Joliette et François-Xavier-Garneau à Québec, ainsi que de petites associations modulaires de l’Université Laval, aussi à Québec, et de l’Université du Québec en Outaouais (UQO), se joignent à l’association nationale à partir de 2005. Après la tentative ratée de grève de 2007, largement perçue comme un échec, les associations de Joliette et de François-Xavier-Garneau se désaffilient ce qui a pour effet d’augmenter le poids des associations montréalaises dans l’ASSÉ. La tendance sociale-démocrate au sein de son exécutif s’affermit au même moment, profitant de l’échec des tendances plus offensives à mener la grève en 2007. En 2010, l’ASSÉ met sur pied une campagne d’opposition à la hausse des frais de scolarité annoncée et mobilise ses membres un peu partout au Québec, avant de créer en 2011 la Coalition large de l’ASSÉ, (CLASSE), en reprenant sensiblement le modèle de 2005.

Toutes les activités asséistes qui préparent la lutte de 2012 – la mobilisation, les congrès et les camps de formations – offrent un terreau à partir duquel la grève générale illimitée peut être envisagée. Ce cadre fournit aux associations en dehors de Montréal et de Québec les conditions de possibilité d’une lutte à venir et permet de former des militant.e.s, surtout des membres de conseils exécutifs locaux, qui participeront à la grève. Alors que les occupations se multiplient dans le monde – du mouvement « Occupy » au Printemps arabe – l’appropriation de l’espace public et la démocratie directe viennent aussi influencer les luttes ici. À l’occupation des bâtiments, une tactique ayant marquée la grève de 2005, succède l’occupation des rues et des places publiques en 2012. L’intolérance des administrations envers les occupations de cégeps et d’universités ne fait qu’encourager cette translation des bâtisses aux rues. Si une entente est trouvée entre l’administration et les grévistes au cégep de Saint-Laurent (Montréal), les étudiant.e.s qui essaient d’occuper le cégep du Vieux-Montréal en février en sont violemment expulsé.e.s. Résultat : il n’y aura pas d’autre occupation combative d’un cégep en 2012.

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À gauche, manifestation pendant la grève de 2005. Au centre, occupation au Cégep du Vieux-Montréal, le 17 février 2012. À droite, manifestation appelée par l’ASSÉ.

Trois tendances régionales

À ces dispositions nationales et internationales s’ajoutent des déterminations qui influencent plus directement, au niveau de la base, le dynamisme local : la tradition de lutte de l’association étudiante locale et les liens entretenus avec des réseaux militants plus ou moins formalisés. Entre 2007 et 2012, on remarque trois tendances principales en région : la continuité ou l’apparition d’une tradition militante dans un lieu d’enseignement, la démobilisation des militant.es ou, enfin, la coordination régionale des étudiant.es. Ces trois tendances sont réparties respectivement dans les régions du sud-ouest du Québec (notamment autour de Montréal), dans le centre du Québec (les environs de la capitale nationale) et dans les régions excentrées de l’est de la province.

Dans les Basses-Laurentides et à Sherbrooke, on voit une continuité de la tradition militante. Au Collège Lionel-Groulx, les actions fréquentes contre les entreprises privées du campus, notamment par la violation délibérée des clauses de non-concurrence par la distribution de nourriture et de breuvages gratuits, la destruction systématique du matériel publicitaire ainsi que les incursions dans les locaux loués, amènent certaines victoires locales et contribuent à développer un antagonisme entre militant.e.s étudiant.e.s et administration qui donnera le ton pour les années suivantes. En 2008, les étudiant.e.s veulent organiser l’occupation politique d’un espace disponible en soirée afin de commémorer les occupations spontanées qui avaient eu lieu à Sainte-Thérèse, quarante plus tôt en 1968 : l’administration ferme littéralement le Collège pour toute la journée, craignant les liens entre l’association étudiante et le Parti communiste révolutionnaire (PCR). À Saint-Jérôme, la tradition militante est aussi persistante : l’association entretient des liens avec d’autres cégeps affiliés à l’ASSÉ, dont Lionel-Groulx, géographiquement proche, tout en orchestrant une mobilisation en 2011 afin de protester contre le renvoi d’un membre du conseil exécutif. Au cégep de Sherbrooke, les activités militantes sont dynamiques entre 2007 et 2012 : une campagne contre les entreprises privées sur le campus est menée en 2009 menant à l’obtention d’un café coopératif. À l’UQO, la mobilisation se fait sentir depuis la grève de 2005, avec notamment la mobilisation contre la fermeture du café-bar étudiant coopératif en 2009 : le lieu est pris de force dans une perspective d’autogestion, alors que l’inventaire est distribué aux occupant.e.s lors d’une campagne qui dure plusieurs semaines. Toujours à l’UQO, une campagne est menée pour désaffilier l’association générale des étudiant.es de la FEUQ, alors que quelques modules de sciences sociales veulent s’affilier à l’ASSÉ. Finalement, au cégep de Valleyfield, qui était peu mobilisé avant 2011, des membres montréalais de l’ASSÉ développent des rapports directs avec le nouvel exécutif dans les mois précédant la grève, permettant un mentorat militant juste à temps pour 2012. L’imaginaire d’une tradition ouvrière combative dans la région, qui ne s’incarne pas dans une transmission réellement structurée, a tout de même amené plusieurs étudiant.e.s à vouloir s’impliquer à leur tour dans un mouvement social.

À l’inverse, dans la région de Québec, la mobilisation diminue au tournant de 2010, corrélativement à la montée de la droite radicale dans la capitale, un mouvement réactionnaire qui rejoint certains jeunes et séduit particulièrement les groupes de garçons[1]. Cette influence mène à la désaffiliation du cégep François-Xavier-Garneau de l’ASSÉ et rend difficiles les votes de grève dans les cégeps de Limoilou et de Sainte-Foy. À l’Université Laval, certaines associations modulaires se rallient à l’ASSÉ, mais elles restent minoritaires. Du côté de Drummondville, le changement de génération et le déménagement de militant.es à Montréal provoquent aussi un ressac des activités.

Dans les régions de l’est du Québec, les militant.e.s étudiant.e.s privilégient les coordinations régionales, plus indépendantes – l’affiliation nationale restant secondaire. Au Saguenay-Lac-Saint-Jean, différents groupes étudiants et militants s’organisent régionalement et préparent la grève en planifiant des manifestations communes dès 2010 ; ils invitent aussi des membres de l’ASSÉ à faire des camps de formation, sans nécessairement s’y affilier, privilégiant souvent la participation dans les coalitions larges. Cette dynamique saguenéenne se caractérise de plus par les liens entre étudiant.e.s, syndicats et militant.e.s écologistes, visibles lors du mouvement de solidarité avec les « lock-outés » de l’usine d’Alcan à Alma (2012) et dans les luttes contre le projet d’agrandissement du terminal maritime de Grande-Anse. On remarque aussi une implication directe du collectif anarchiste Emma Goldman qui participe à la création d’un comité autonome de grève à l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC). En Gaspésie et dans le Bas-Saint-Laurent, une « zone de mobilisation » se crée, marquée par diverses manifestations, dès 2010, de Trois-Pistoles à Gaspé. Cette tendance au regroupement régional ne fonctionne pas sur la Côte-Nord ni en Abitibi-Témiscamingue, où l’excentricité géographique semble favoriser une certaine déconnexion, autant entre les individus et les villes qu’avec les réseaux nationaux. Les Hautes-Laurentides, représentées par les centres collégiaux de Mont-Tremblant et de Mont-Laurier, de petite taille, connaissent une baisse relative de la mobilisation, ne parvenant pas à former une coordination régionale forte avec les militant.es plus mobilisé.es de Sainte-Thérèse et de Saint-Jérôme qui se lient plutôt avec les associations montréalaises, malgré certaines tentatives pour faire une coordination régionale.

Ces trois tendances sont déterminantes localement dans l’émergence et le déroulement de la grève de 2012 en dehors de Montréal. Comme nous le verrons, les pratiques radicales se concentrent dans la grande région entourant Montréal (Saint-Jérôme, Sainte-Thérèse, Gatineau, Valleyfield, Sherbrooke), au Saguenay-Lac-Saint-Jean (Saint-Félicien, Alma, Chicoutimi) et dans le Bas-Saint-Laurent et en Gaspésie (Rimouski, Matane, Gaspé). Les zones touchées par la démobilisation – le centre du Québec notamment – verront certes quelques actions, mais n’auront pas un dynamisme régional aussi grand que dans les autres régions.

À gauche, manifestation contre les radios poubelles à Québec. Au centre, occupation du café étudiant à l’UQO.À droite, participation du collectif Emma Goldman à la marche mondiale des femmes en 2010.

Constitution d’une base militante (13 février au 22 mars)

La grève commence le 13 février 2012 et trouve un premier sommet lors de la manifestation nationale de la CLASSE du 22 mars, qui devait selon l’organisation conclure la mobilisation. Sur certains campus, le débrayage débute avec des négociations tendues pour obtenir une entente de grève avec l’administration, mais les étudiant.e.s parviennent assez rapidement à faire respecter leur droit. Après les premiers jours, les associations s’organisent pour assurer le maintien et l’élargissement du mouvement en appelant à des activités très diverses. Dans l’ensemble des régions, des manifestations se déroulent régulièrement de façon plus ou moins spontanée. Elles sont souvent suggérées lors des votes de grève ou se déroulent simplement en après-midi, après le piquetage et la levée des cours. Les grévistes organisent également des ateliers-discussions, des débats, des expositions ou encore des prestations artistiques, qui mobilisent et occupent les grévistes tout en augmentant la visibilité du mouvement et la diffusion de son message. Le piquetage des cours, la préparation d’assemblées hebdomadaires pour reconduire la grève, l’effort de mobilisation sur place, dans la région et dans les autres établissements, restent les tâches principales des grévistes, qui participent également à des actions en dehors de leur campus, à Montréal et dans leur zone régionale. Cette première séquence, assez classique pour une grève étudiante, sera suivie d’une semaine de perturbation économique du 26 au 30 mars, importante dans le développement de la base militante pour plusieurs régions, ainsi que pour la radicalisation du mouvement.

La violence politique et policière touche très tôt les militant.es de la grande région de Montréal, notamment à Saint-Jérôme et à Sainte-Thérèse. En grève depuis le 3 mars, les étudiant.e.s de Saint-Jérôme se déplacent à Montréal pour diverses actions. Le 7 mars, ils et elles se joignent à un blocage des bureaux de Loto-Québec et de la CRÉPUQ. Alors qu’une foule se regroupe devant l’édifice, le Service de police de la ville de Montréal (SPVM) entame une opération violente de dispersion, à coups de matraque, de poivre de cayenne, de gaz lacrymogènes et de grenades assourdissantes. Les étudiant.e.s, majoritairement pacifistes, sont sous le choc. Le SPVM blesse et mutile deux militant.es de Saint-Jérôme : Julie Perreault-Paiement qui est brûlée à l’épaule et au visage par l’explosion d’une grenade et Francis Grenier qui perd la vue d’un oeil en raison de l’éclat d’une grenade[2].

Le soir, une vigile est organisée à la place Émilie-Gamelin et des étudiant.e.s, chandelle à la main, sont à nouveau poivré.e.s et matraqué.e.s par le SPVM. Le lendemain, une manifestation d’une centaine de personnes est organisée à Saint-Jérôme contre la brutalité policière. La violence de l’intervention du 7 mars pousse les grévistes des établissements de Saint-Jérôme, de Lionel-Groulx et de Valleyfield à participer massivement, en envoyant chacun plusieurs autobus bien remplis, à la manifestation montréalaise contre la brutalité policière du 15 mars[3], qui rassemble pour la première fois de son histoire plus de 5000 personnes. Les manifestations des 7 et 15 mars et la participation régulière aux actions montréalaises favorisent le dynamisme militant dans ces villes de la grande couronne montréalaise, quoiqu’on remarque l’émergence d’une distinction entre celles et ceux qui privilégient les actions locales et les militant.es cherchant principalement à appuyer les actions montréalaises, plus spectaculaires et offensives.

À gauche, intervention brutale du SPVM. Au centre, manifestation de soutien à Saint-Jérôme le 8 mars.À droite, manifestation spontanée à Sainte-Thérèse, le 6 avril 2012.

Tous les moyens sont bons pour perturber l’économie (26 mars au 6 avril)

Après la manifestation du 22 mars, qui n’a pas mené à une négociation avec le gouvernement, la CLASSE lance un appel à une semaine de perturbation économique du 26 au 30 mars. Les cibles sont nombreuses : on s’attaque aux bureaux gouvernementaux, aux compagnies d’État, aux groupes ayant des liens avec le Parti libéral du Québec (PLQ) ou bénéficiant de la marchandisation du savoir. C’est au cours de cette semaine et de la suivante que se cristallisent des regroupements militants autonomes à Gatineau, Sherbrooke et Rimouski. Ces groupes agissent localement, en parallèle des structures associatives ; ils possèdent une flexibilité offensive, hors des cadres légaux et réglementaires, et rendent possible l’implication de personnes non étudiantes. La semaine de perturbation contribue aussi à l’élargissement de la base militante à Valleyfield, Sainte-Thérèse et Saint-Jérôme.

À Sherbrooke, entre le 26 et le 30 mars, les actions déboulent : les étudiant.es peinturent des monuments publics et bloquent pour la première fois la route 410, une autoroute régionale essentielle. La Sûreté du Québec (SQ) remet à ce moment 60 contraventions de 494 $ chacune, pour entrave au Code de la route (Règlement 500.1). Il s’agit de la deuxième utilisation de ce règlement en 2012, qui sera appliqué une dizaine de fois au cours du conflit afin de démoraliser les manifestant.es. Dans les semaines qui suivent, les occupations à Sherbrooke ciblent les institutions gouvernementales et les groupes d’intérêt économique proches du Parti libéral, comme la chambre de commerce régionale. Au cégep, ces actions contribuent à former un noyau militant particulièrement offensif, qui ne rompt pourtant pas avec l’exécutif local ni avec les grévistes moins « radicaux ».

Cette même semaine, à Gatineau, les énergies se concentrent dans les assemblées générales de grève. Comme dans la quasi-totalité des universités au Québec (à l’exception de celle de Rimouski), ce n’est pas l’ensemble des étudiant.e.s de l’université qui sont en grève, mais bien des associations facultaires ou départementales. Certain.e.s militant.e.s de la base veulent changer cet état de fait. On appelle à un vote de grève auprès de l’Association générale étudiante de l’UQO (AGE-UQO). Réussite : le 28 mars, tout le campus tombe en grève. Fort.es de cette mobilisation victorieuse, les militant.es prévoient des actions la semaine suivante, et décident de s’attaquer prioritairement à des cibles liées à la consommation et aux loisirs. Le 3 avril, les activités du Casino du Lac-Leamy sont perturbées par une centaine de personnes qui occupent le lieu. Le lendemain, des blocages du Palais de justice et d’un bureau du ministère de l’Éducation, des Loisirs et des Sports sont organisés, puis les succursales de la SAQ de Gatineau et de Hull sont ciblées juste avant le congé pascal. Cette dynamique renforce la combativité des militant.e.s, et favorise la création d’un comité autonome de grève distinct de l’exécutif de l’AGE-UQO, adoptant une stratégie plus combative et plus démocratique.

La Bas-Saint-Laurent et la Gaspésie font courir la SQ (16 février au 23 mai)

À Rimouski et en Gaspésie, la dynamique régionale prime sur les affiliations nationales (fédératives ou asséiste), ce qui n’empêche pas certaines associations d’entrer très tôt en grève, comme le cégep de Matane qui débraie dès le 16 février. À Rimouski, l’ensemble des étudiant.e.s de l’université – une première au Québec en 2012 – tombe en grève le 27 février. Le lendemain, les grévistes érigent une barrière de neige et font une ligne de piquetage dure devant l’université, empêchant notamment le traitement des payes : en une journée, l’Université du Québec à Rimouski (UQAR) reconnaît la grève. Le mouvement est subséquemment ponctué de journées de mobilisation et de manifestations, dont celle du 15 mars qui rassemble plus de 500 personnes à Rimouski, dépassant les attentes des personnes organisatrices.

Dans le cadre de la semaine de perturbation économique, les militant.e.s réalisent de nombreuses actions locales et régionales. Le 26 mars, un édifice gouvernemental et le bureau du maire de Rimouski sont ciblés ; le 27 mars, un bâtiment d’Hydro-Québec est bloqué et 150 employé.es sont empêché.e.s de rentrer au travail ; le 28 mars a lieu un nouveau blocage, cette fois on cible le bureau du ministère du Revenu, etc. Au fil du temps, les blocages se poursuivent et essaiment à Trois-Pistoles et à Gaspé et les militant.es prévoient plusieurs occupations dans une même journée afin de confondre la SQ, qui réagit de plus en plus promptement et prépare des avis d’éviction avant même les actions.

Cette stratégie atteint un sommet le 30 mars 2012 alors qu’une manifestation est organisée contre la venue de Jean Charest à Gaspé. Sachant que la SQ y serait largement déployée et que la police serait en sous-effectif en Gaspésie et dans le Bas-Saint-Laurent, les militant.e.s des différents campus se coordonnent pour que les forces de l’ordre soient débordées. Un premier groupe de grévistes part le bal en bloquant un bureau du ministère de l’Éducation à Rimouski. Au moment où la SQ arrive sur les lieux, des militant.es de Matane bloquent la route 132, empêchant toute circulation terrestre entre la Gaspésie et le reste du Québec. Le convoi policier, arrivé à Rimouski, est redéployé d’urgence afin de déloger les étudiant.es de Matane. Arrivé à Matane, il fait face à un (troisième !) problème : des étudiant.es occupent le bureau du député libéral de Trois-Pistoles. C’est la panique dans les rangs de la SQ : le bureau du député se situe dans le même bâtiment que leur poste régional, actuellement sans effectif. Les militant.e.s laissent planer la menace d’une occupation du poste de police. Peu à peu, la SQ déloge les différentes occupations, mais il s’agit certainement là une des plus importantes perturbations de la grève qu’elle vient d’affronter.

Bien que les cégeps de Matane et de Rimouski cessent la grève au début du mois d’avril, les actions et les manifestations se poursuivent dans les semaines suivantes, avant de s’essouffler vers le mois de mai, notamment en raison de l’épuisement des militant.es. Le retour en classe des étudiant.e.s gaspésien.ne.s se fait le 30 avril, puis celui des étudiant.e.s de l’UQAR, le 23 mai, peu après l’entrée en vigueur de la Loi 12. C’est la fin du mouvement dans le Bas-Saint-Laurent et en Gaspésie, qui évitera les affrontements judiciaires découlant de la nouvelle législation.

À gauche, manifestation à Carleton-sur-Mer. Au centre, blocage du campus de Gaspé. À droite, barricade de neige à l’UQAR.

Feux croisés au Saguenay-Lac-Saint-Jean (13 mars au 5 avril)

Au Saguenay-Lac-Saint-Jean, on observe une déferlante d’actions en mars et au début d’avril. Depuis 2010, les militant.e.s étudiant.e.s de la région organisent, à l’image de celles et ceux de Rimouski, des manifestations régionales. Fort.e.s de cette expérience, les grévistes lancent assez tôt des actions dérangeantes en 2012. Dès le 20 février, le cégep de Saint-Félicien tombe en grève générale illimitée, suivi par plusieurs associations modulaires de l’UQAC puis du cégep d’Alma, le 19 mars. Le comité autonome d’action de l’UQAC, composé de membres de l’association générale de l’université (MAGE-UQAC) ainsi que de militant.e.s anarchistes proches du collectif Emma Goldman, organise une première action le 13 mars : une manifestation à Chicoutimi suivie de l’occupation d’une banque afin de dénoncer « les profiteurs de l’endettement généralisé ». Dans le même sens, le 15 mars, une manifestation à Saint-Félicien s’arrête à l’intérieur de plusieurs institutions financières. Le 18 mars, une manifestation de la CLASSE est organisée à Alma afin de mobiliser en vue du vote de grève prévu le lendemain. Le 19 mars, c’est le bureau du ministère de l’Éducation de Jonquière qui est occupé.

Durant la semaine du 26 au 30 mars, la répression se durcit. Le 29 mars, à l’UQAC, la direction de l’université appelle la police afin de déloger les étudiant.e.s qui bloquent l’accès aux cours : ces dernier.e.s réagissent en occupant les bureaux de l’administration. La police arrête alors plusieurs militant.e.s et les amène au poste, qui est rapidement entouré par une foule outrée. Les militant.e.s de l’UQAC sont rejoint.e.s par des grévistes de Saint-Félicien et d’Alma qui viennent de terminer une action de blocage au bureau du député libéral de Chicoutimi. La foule scande des slogans et demande la libération de leurs camarades. Soudainement, voyant une porte entrouverte, quelques militant.e.s se lancent, en vue d’occuper le poste. Un policier parvient in extremis à repousser les manifestant.e.s grâce à du poivre de Cayenne. Cet épisode et les nombreuses actions dérangeantes auront rendu visible la faiblesse du corps policier local, si bien qu’après 2012, le service de police de Saguenay se dotera d’une escouade antiémeute. Toute cette agitation du 29 mars n’empêche pas la tenue d’une manifestation de solidarité de près de 5000 personnes avec les travailleur.euse.s en lock-out de l’usine Alcan, située à Alma, le lendemain.

Au moment où les étudiant.e.s du cégep d’Alma s’apprêtent à débuter leur troisième semaine de grève, il.les affrontent une première injonction forçant le retour en classe, accordée par la Cour supérieure du Québec sous prétexte de non-respect des règlements de l’association étudiante entourant les votes de grève[4]. Les grévistes d’Alma sont largement mobilisé.e.s, car, depuis le début de la grève, un règlement suranné de leur association les oblige à être au moins 260 étudiant.e.s chaque jour sur les lignes de piquetage afin d’obtenir la levée des cours. En sus de cette obligation qui force la mobilisation, l’affrontement avec le grand nombre d’inscrit.e.s en techniques policières (25 % de l’effectif du cégep) encourage aussi l’esprit de corps des grévistes, en opposition à ce groupe naturellement marqué à droite. La menace de l’injonction provoque une hésitation chez les grévistes qui décident de ne pas appeler au blocage du cégep, tout en cherchant une solution pour poursuivre le mouvement. Afin de ne pas se mettre à risque juridiquement, l’association étudiante ne tient pas de nouveau vote de grève, mais une action est prévue pour le 2 avril : tôt le matin, les grévistes retirent les chaises et les bureaux de toutes les classes, qu’ils amoncellent sur le terrain, plus ou moins en forme de barricades. Les cours sont levés pour cette fois. Le lendemain, des militant.e.s vêtu.e.s de noir courent dans le cégep pour attirer l’attention des agents de sécurité pendant que d’autres grévistes, habillé.e.s normalement, mettent des bombes puantes dans les plafonds des classes : les cours sont à nouveau levés. La troisième journée, des étudiant.e.s du secondaire manifestent devant le palais de justice, perturbant la ville et offrant une dernière victoire aux grévistes du cégep d’Alma.

Cette première lutte contre les injonctions ne réussit malheureusement pas à empêcher le retour en classe voté en assemblée le 5 avril. Sans permission de l’administration pour tenir leur assemblée de reconduction de grève au cégep, l’association décide de l’organiser dans une église le 5 avril. Six voitures de police attendent les étudiant.es à la sortie pour  les intimider. Alors qu’Alma était entrée en grève contre vents et marées, avec quelques voix séparant les « pour » des « contre », l’assemblée se prononce pour le retour en classe.

Les semaines suivantes, les manifestations continuent à Chicoutimi et à Saint-Félicien, avec notamment une occupation du pont Dubuc, mais on observe une baisse de la mobilisation régionale suite à la défaite des grévistes d’Alma. Le cégep de Jonquière et celui de Chicoutimi n’étant pas en grève générale illimitée, la situation y reste précaire. Pourtant, le mouvement étudiant dans la région du Saguenay-Lac-Saint-Jean retrouvera sa vigueur au moment de la Loi 12 durant le mois de mai.

À gauche, grève au campus de Mont-Laurier. Au centre, action d’éclat à l’UQAC. À droite, manifestation régionale au Saguenay-Lac-St-Jean.

Luttes contre les injonctions dans le sud du Québec (13 avril au 15 mai)

Après le cas d’Alma, les injonctions deviendront une stratégie des réactionnaires allié.e.s aux administrations locales pour casser le mouvement et pour apeurer les étudiant.e.s afin de mousser le vote contre la grève. À partir du 16 avril, cette manœuvre sera un échec à chaque fois où elle sera tentée et elle aura finalement pour effet de relocaliser la lutte et parfois de remobiliser la base militante.

À Valleyfield, l’administration du cégep menace les étudiant.es d’un retour forcé en classe si la grève ne se termine pas à la mi-avril. Pour riposter à cette exigence, moins contraignant légalement qu’une injonction, l’exécutif de l’association locale, grâce à ses liens avec l’exécutif national de la CLASSE, parvient à faire converger un grand nombre de militant.e.s de Montréal et des Basses-Laurentides vers la ville du Suroît. Tôt le 13 avril, dix autobus pleins arrivent à Valleyfield et les militant.e.s tiennent tête à l’administration du cégep, alors que les policiers ne peuvent pas intervenir faute d’ordre de la cour. L’enseignement est suspendu, ainsi que le lendemain, jusqu’à ce qu’une entente soit arrachée à l’administration, qui promet de respecter la grève et de ne plus ordonner le retour en classe sans l’accord de l’association.

La semaine suivante, les grévistes de l’UQO font face à une première injonction imposant le retour en classe : l’administration entend la faire appliquer manu militari. Le comité autonome de grève de l’université, en coordination avec les étudiant.e,s du cégep, organise la résistance à partir du lundi 16 avril. L’université est occupée dès le matin et des barricades sont montées devant les portes, alors que les policiers bouclent rapidement le périmètre, empêchant toute circulation, y compris de nourriture, entre l’extérieur et l’intérieur. En fin d’après-midi, les occupant.e.s et l’administration trouvent une entente : les barricades comme les cours sont levés et personne n’est arrêté. Le lendemain, les grévistes libèrent des criquets dans l’université et glissent du poisson bien odorant dans les plafonds des classes, afin de perturber les activités académiques et de faire à nouveau lever les cours. Ces actions sont suivies d’une manifestation interne. La journée de mercredi voit une montée en tension, alors que nombre de grévistes débarquent d’autres villes pour supporter leurs camarades de Gatineau et que la police antiémeute est présente. Une manifestation de perturbation tourne au vinaigre : plus de cent personnes sont arrêtées et reçoivent des amendes d’environ 500 $ chacune en vertu du Règlement routier 500.1.

La pression policière s’amplifie durant cette semaine. Dès mardi, on voit plusieurs cas de profilage : les personnes portant un carré rouge, un symbole d’appui à la grève qui était apparu un peu avant la grève de 2005, sont escortées par les forces policières en dehors du campus, professeur.e.s compris.es. Le jeudi, une manifestation de perturbation est organisée au centre-ville de Gatineau avant de se diriger vers l’université, où un grand nombre de militant.e.s réussit à s’introduire par une porte qui semble sans surveillance… Malheureusement, il s’agit d’un stratagème policier : en quelques minutes, la police arrête plus de 150 manifestant.es coincé.es dans la cafétéria, en plus de brutaliser plusieurs personnes à l’extérieur et à l’intérieur, dont un homme âgé qui est détenu avec une grave blessure crânienne. Les arrêté.e.s sont amené.e.s au poste de police et détenu.e.s – sans soins, sans nourriture et sans accès à des toilettes – jusqu’à tard dans la nuit[5]. La brutalité de la répression et sa large médiatisation mettent finalement la direction du cégep sur la sellette : l’application de l’injonction n’est pas reconduite la semaine suivante et la grève peut se poursuivre, mais au prix d’une judiciarisation de nombreux.ses militant.es, dont plusieurs ne peuvent plus, par ordre de la cour, s’approcher de l’UQO ou du centre-ville de Gatineau.

Au cégep de Sherbrooke, une injonction oblige le retour en classe à partir du 30 avril. Craignant une répression semblable à celle vécue à l’UQO, les cégépien.ne.s cherchent une stratégie pour effrayer la direction afin que celle-ci refuse de faire appliquer l’injonction. Au matin, les grévistes masqué.e.s bloquent toutes les portes du cégep et affrontent quelques étudiant.e.s réactionnaires qui tentent de rentrer par tous les moyens. L’administration, qui craint elle aussi une violence comme celle vécue à l’UQO, lève tout de suite les cours et décide de ne plus appliquer l’injonction. Dans l’enthousiasme de cette victoire, les étudiant.e.s partent en manifestation. Quelques minutes plus tard, une camionnette blanche s’arrête à côté du convoi : un groupe d’hommes surgit du véhicule et enlève un manifestant, traumatisant les personnes présentes. Cette attaque, qui se révèle être une forme particulière d’opération policière, marque profondément les militant.es sherbrookois.es, avec comme conséquence une opposition plus farouche envers la police.

Au Collège Lionel-Groulx de Sainte-Thérèse, la tension est forte le vendredi 11 mai et le lundi 14 mai. Des militant.e.s, largement masqué.e.s et préparé.e.s, aidé.e.s par plusieurs enseignant.e.s forment une ligne de piquetage dure et des barricades sont érigées, alors que la présence policière se fait lourdement sentir bien qu’elle n’intervienne pas. La directrice du cégep, liée au Parti libéral, décide de porter plainte contre la police locale pour sa soi-disant inaction contre les grévistes et demande l’intervention de la police provinciale. Le 15 mai, une centaine de policiers antiémeutes de la SQ arrive au cégep, faisant face à des centaines d’étudiant.e.s, d’enseignant.e.s et de citoyen.ne.s solidaires, notamment des parents. La police ouvre les hostilités à coups de matraque et de gaz lacrymogène, sous les applaudissements des étudiant.e.s opposé.e.s à la grève. Les entrées sont finalement dégagées, mais aucun cours n’est donné : le syndicat des enseignant.e.s refuse le travail dans un tel contexte de violence étatique.

À gauche, confrontation avec des étudiants réactionnaires à Valleyfield. Au centre, mobilisation contre l’injonction à Sherbrooke. À droite, confrontations violentes et organisées à Ste-Thérèse.

La grève est populaire : manifestations nocturnes et loi spéciale (25 avril au 22 mai)

Le 25 avril, les négociations sont rompues entre les trois associations étudiantes nationales (FEUQ, FECQ et CLASSE) et le gouvernement libéral, en conséquence de quoi a lieu une « Ostie de grosse manif de soir » à Montréal visant à dénoncer la fourberie des dirigeant.es. Un grand nombre de militant.es des cégeps Lionel-Groulx, de Saint-Jérôme et de Valleyfield y participent, alors que des grévistes de Sherbrooke, de Gatineau et de Rimouski organisent des manifestations nocturnes spontanées dans leur ville. On constate, à partir de ce moment, une concentration de l’activité des militant.e.s venant des villes périphériques à Montréal dans la métropole, avec un relatif abandon des actions locales : seule exception, une tentative de former une assemblée citoyenne jérômienne. Des rencontres sont organisées à la Place de la Gare, mais sans arriver à se pérenniser. À Gatineau, une nouvelle manifestation nocturne a lieu le 27 avril, une pratique reprise régulièrement durant le mois de mai, caractérisée par une forte opposition à la répression policière qui a marqué les grévistes à la mi-avril. Alors que la grève avait été relativement paisible à Trois-Rivières, deux grandes manifestations nocturnes sont organisées, le 27 avril et le 3 mai, dans un climat d’« écœurantite » face au mépris gouvernemental. Dans ce contexte de colère, le 4 mai, le congrès du Parti libéral à Victoriaville est attaqué par des étudiant.es venu.es des quatre coins de la province : la violence policière déployée à ce moment-là marque d’ailleurs les esprits, principalement des gens de Victoriaville et de Montréal, qui connaissent plusieurs blessé.es graves.
Des manifestations nocturnes contre la « loi spéciale » (Loi 12) sont organisées régulièrement tout au long du mois de mai à Sherbrooke, mais aussi à Jonquière et à Chicoutimi.

À partir du 19 mai, des manifestations de casseroles, animées par des citoyen.nes appuyant le mouvement étudiant et dénonçant la répression antidémocratique de l’État, émergent un peu partout au Québec. Initialement prévues comme un mouvement où l’ensemble de la population cogne sur ses instruments de cuisine du haut de son balcon, le mouvement des casseroles en vient de plus en plus à adopter le modus operandi des manifestations nocturnes, à savoir un rassemblement chaque jour au même endroit, suivi d’une longue déambulation sans itinéraire préétabli. À l’orée de l’été, le mouvement, tant étudiant que populaire, montréalais comme régional, commence à s’essouffler. Si la CLASSE lance une campagne estivale afin d’élargir le mouvement de grève en mouvement populaire, l’annonce d’élections provinciales pour le 4 septembre sonne le glas du mouvement. La grande majorité des grévistes et des contestataires reportent leurs activités et leurs espoirs sur l’électoralisme bourgeois. Mal leur en pris, puisque le Parti québécois élu, bien qu’il ait suspendu la Loi 12 et l’augmentation des frais de scolarité pour quelques mois, a dirigé le Québec de manière néolibérale de 2012 à 2014… coupant dans les crédits d’impôt et imposant une nouvelle hausse des frais de scolarité dès février 2013, la cause même du mouvement de débrayage de 2012 !

À gauche, manifestation de soir à Montréal. Au centre, participation opportuniste de Pauline Marois, Gilles Duceppe et autres figures des mouvances indépendantistes. À droite, manifestation de soir à Chicoutimi.

À la suite de 2012

La réduction du mouvement aux enjeux électoraux puis le retour en classe provoque de grandes déceptions chez les militant.e.s en région. La grève n’a pas mené pas à la création d’organisations politiques comme plusieurs l’auraient souhaité. Beaucoup de militant.e.s déménagent à Montréal ou cessent leurs implications. Un éphémère collectif anarchiste, Le Pavé, voit le jour à Sherbrooke alors que le collectif Emma Goldman retrouve un nouveau souffle après cette grève, mais sans plus. Dans le mouvement étudiant, la grève de 2012 a permis la création d’une tradition militante à l’UQO, surtout dans les modules de travail social et de soins infirmiers, qui explique le dynamisme de la grève des stages (2016-2019) en Outaouais.

À Valleyfield, la grève a fait du cégep un haut lieu de l’organisation asséiste (jusqu’à la disparition de celle-ci en 2019), tandis qu’à Rimouski et au Saguenay-Lac-Saint-Jean, elle a mené l’UQAR à se désaffilier de la FEUQ et le cégep de Saint-Félicien à joindre l’ASSÉ, dans un mouvement de « gauchisation » des associations de cette région.

Pour les militant.e.s, la fin abrupte de la grève reste difficile à comprendre dix ans plus tard. La tournée de la CLASSE à l’été 2012 semble avoir eu un effet mitigé et, plutôt que de renforcer les bases locales, elle aurait créé un attentisme envers la direction nationale, qu’on ne voyait pas plus tôt, en mars, avril ou mai. Le récit de la grève proposé à l’été, mettant à l’avant-plan l’organisation nationale et « le peuple » négociant avec l’État et le forçant à déclencher des élections, ne semble pas avoir trouvé un écho auprès des militant.e.s de région, notamment chez les plus radicaux. Ce récit unitaire s’est fait au détriment de la mise en récit et de la prise de conscience de l’auto-organisation réelle, des soulèvements combatifs et des solidarités locales qui ont essaimés durant la grève. En 2012, les bases locales sont devenues sujets de la lutte. Elles se sont données leurs propres mandats. Elles n’étaient pas « à venir », mais déjà là.

Notes

[1] La forte répression policière caractérisée par des violences sexistes, l’idéologie masculiniste omniprésente dans les radios-poubelles et la montée de la droite structurée autour de « gangs de gars » sur les campus pourraient expliquer pourquoi la grève de 2012 dans la région de Québec est marquée par un nombre important d’actions féministes, ainsi que par le leadership des femmes : la lutte contre la droite conservatrice et patriarcale trouve alors un lieu d’expression.

[2] Ce premier mutilé de grève inspirera une chanson de Mise en demeure : https://www.youtube.com/watch?v=u5fayzWu0HU

[3] Durant cette manifestation, les policiers débutent leur opération de dispersion en lançant des grenades assourdissantes, encore une fois au niveau de la tête, au moment où les manifestant.es passent devant les bureaux de Loto-Québec…

[4] Cette première injonction à Alma est aussi la première accordée au Québec durant la grève étudiante de 2012.

[5] Un arbitraire et une violence policière qui rappelle, pour les militant.es plus âgé.es, les sévices subis lors du contre-somment de Toronto en 2010. Un procès en dommages-intérêts est d’ailleurs toujours en cours contre le Service de police de la ville de Gatineau pour ces faits d’avril 2012

White Lives Matter : un nouveau projet néonazi fait des petits au Québec

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Mar 192022
 

De Montréal Antifasciste

Avertissement : Cet article reproduit des bribes de conversation et des éléments visuels à caractère antisémite et raciste

« White Lives Matter » (WLM — la vie des Blancs compte) est un projet de mobilisation/actualisation néonazie qui s’est répandu au cours de la dernière année dans plusieurs régions des États-Unis et du Canada ainsi qu’en Nouvelle-Zélande, en Australie, aux Pays-Bas, en Angleterre et ailleurs dans le monde. La première action documentée du réseau a été une série de manifestations décentralisées organisée le 8 mai 2021. La faible participation à ces événements a mené certains observateurs à conclure que l’entreprise était un échec, mais ce constat optimiste fut prématuré, puisque le réseau a continué à grandir et a multiplié les actions au cours de la dernière année.

WLM signale une volonté de reconsolidation du milieu néonazi par la multiplication de chaînes et de salons de discussion décentralisés et réseautés sur l’application Telegram. Cette initiative relève en partie d’une volonté d’échapper à diverses formes d’opposition, dont la censure des grandes entreprises de médias sociaux, le doxxing et d’autres formes de résistance du camp antifasciste ainsi que d’éventuelles poursuites criminelles. Elle correspond également à une tendance de la nébuleuse néonazie internationale à progresser vers des formes d’activisme plus clandestines, décentralisées et « sans leaders », une tendance dont on peut retracer l’origine aux années 1970 et qui au fil des années a donné lieu à l’émergence du courant « accélérationniste » et à la multiplication de tueurs de masse de type « loup solitaire ».

Le projet WLM reflète par ailleurs une grande frustration avec le statut marginal de l’extrême droite et une volonté de dépasser la sous-culture néonazie et les querelles idéologiques entre différentes tendances pour former un réseau militant exerçant une réelle influence.

Si WLM est sans l’ombre d’un doute un phénomène néonazi, l’intention initiale des organisateurs américains était d’adoucir l’image du mouvement. Cela se traduit concrètement par une inhibition superficielle à revendiquer l’héritage historique du nazisme et à afficher le swastika ou d’autres symboles nazis dans les discussions publiques ou sur les autocollants que les militants posent dans le domaine public. Les participants ont aussi la consigne (très souvent ignorée), de ne pas parler de la « question juive » ou d’inciter à la violence sur les chaînes publiques. En revanche, les salons de clavardage (chat rooms) sont complètement saturés de mèmes d’Hitler, de références explicites au nazisme historique et d’expressions débridées du racisme le plus grossier – des blagues sur le lynchage des Noir·e·s, des vidéos « prouvant » que la Shoah n’a jamais eu lieu, des discussions sur le fait que les Juifs ne sont pas humains et doivent être exterminés, etc.

Le monde à l’envers que s’imaginent les participants au groupe White Lives Matter.

WLM n’est pas une organisation formelle; chaque groupe local ou régional anime sa propre chaîne Telegram, chacune modérée par son propre administrateur ou groupe d’administrateurs. Le projet est toutefois bien coordonné, car toutes les chaînes ont été créées en 2021 par un petit groupe original, qui est ensuite allé chercher des militants dans chaque région pour en assurer la gestion. Il y a une unité de but et d’action également sur le plan de la propagande; le choix des dates de certaines actions concertées et les décisions relatives au messaging semblent centralisés.

En générale, les chaînes Telegram peuvent être strictement unidirectionnelles (un peu comme une infolettre dont tout le contenu est publié par un admin) ou peuvent prendre la forme d’un salon de clavardage ouvert, un peu comme un groupe Facebook public. Dans bien des cas, les chaînes unidirectionnelles comportent un salon de clavardage parallèle. C’est de cette manière que sont structurés les maillons régionaux du réseau WLM. Depuis ces espaces virtuels, les participants sont encouragés à imprimer des affichettes et autocollants WLM (essentiellement, diverses variations sur le thème raciste central du « remplacement » et de l’oppression des Blancs par d’autres groupes), à coordonner des sorties de visibilité/propagande, à prendre des photos de leurs coups et à relayer ces photos sur Telegram pour motiver les autres à les imiter.

Certaines de ces sorties ont déjà fait l’objet de reportages dans les médias canadiens (par exemple : à Kitchener-Waterloo, Ontario, à New Battleford, Saskatchewan, à Toronto lors de manifestations contre les mesures sanitaires, et ailleurs au pays; voir aussi le reportage récent sur les activités WLM à Montréal par la revue Pivot), mais la plupart sont passées inaperçues. Dans certains cas, les groupes locaux décident par la suite de se rencontrer en personne et de coordonner des actions plus ambitieuses, comme l’accrochage de bannières WLM dans le domaine public.

Cette structure et cette approche n’ont rien d’unique au projet WLM, et il existe de nombreux parallèles au sein de l’extrême droite actuellement. Telegram offre une plateforme pratique où les individus peuvent s’impliquer selon leur niveau de confort personnel, sans être obligés de se rencontrer en personne ou de parler à qui que ce soit, sont intégrés à une sorte de communauté et sont encouragés à y développer leurs propres activités.

Au moment d’écrire ces lignes, si plusieurs chaînes WLM sont essentiellement inactives, avec moins d’une douzaine de membres, d’autres aux États-Unis ont vu leurs activités passer de l’Internet à la rue, sous la forme d’accrochages de bannières, de randonnées organisées, de distributions de tracts, etc. Dans ces régions où l’activité est plus vive, WLM s’entremêle à d’autres projets néonazis, comme le Folkish Resistance Movement (dont la propagande a été distribuée en Saskatchewan et en Alberta)[1], le groupuscule Canada First, en Ontario, qui a reçu une certaine visibilité lors des actions du soi-disant « convoi de la liberté » à Ottawa et ailleurs au pays, et la tentative d’organisation « Nationalist 13 » (« 13 » pour anti-communiste) dans le sud de l’Ontario.

En étudiant les journaux internes des organisateurs de WLM que nous ont relayé des camarades de Cornwallis Antifa, on a pu apprendre qu’au Canada, l’utilisateur « McLeafin » a été recruté par les organisateurs américains en avril 2021 et a par la suite créé de nombreuses chaînes pour les différentes provinces et régions. Il a ensuite cherché des recrues locales pour les administrer.

Poursuivre la lecture sur le site de Montréal Antifasciste

Le verger au complet : Le féminisme anticarcéral

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Mar 142022
 

De la Convergence des luttes anticapitalistes

Ce deuxième épisode de la seconde saison du Verger au complet porte sur le féminisme anticarcéral et prend la forme d’une entrevue avec Lux, qui est juriste et féministe antiraciste.

MUSIQUE

*Samuele – « La Sortie », tiré de l’album « Les filles sages vont au paradis, les autres vont où elles veulent », 2017, https://samuele.bandcamp.com/, utilisé avec la permission du groupe.

*Tribade – « Las Desheredadas », tiré de l’album « Las Desheredadas », 2019, https://www.tribaderap.com, utilisé avec la permission du groupe.

Ressources complémentaires

Pour elles toutes – Gwenola Ricordeau

Beyond Survival – Ejeris Dixon et Leah Lakshmi Piepzna-Samarasinha (à l’édition)

Becoming Abolitionists – Derecka Purnell (voir le chapitre Sex, love & violence et la conclusion)

Alternatives au 911


Transcription

La covid, les conspis et nous

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Mar 062022
 

Soumission anonyme à MTL Contre-info

Ce texte se veut une réaction à une tendance visible dans certains milieux d’extrême gauche ces derniers temps, c’est-à-dire un soutien aux mouvements contre les mesures sanitaire, fortement ancrées dans les discours conspirationnistes. Cette tendance est notamment visible dans quelques textes récemment publiés sur la plateforme Contrepoints.média, qui a entre autres publié un texte du Cercle de lecture camarade reprenant un chapitre complet du « Manifeste conspirationniste », publié anonymement en France, et partagé sur des plateformes d’extrême droite, dont une plateforme proche d’Alain Soral. On pense également au récent texte « Le pass n’était qu’un exercice », qui soulève des enjeux très importants, mais qui joue le jeu de la droite en invisibilisant complètement la composition du soi-disant Convoi de la liberté. Ce qui surprend encore plus de la part de Contrepoints média, une plateforme se présentant comme « une invitation à investir l’hétérogénéité et la diversité des inclinaisons actuelles dans la lutte », c’est que l’article soit précédé d’une prise de position dans un commentaire éditorial, qualifiant le soi-disant convoi de la liberté de « mouvement qui se bat contre le contrôle numérique des identités, et plus largement contre le contrôle des comportements », une interprétation qui est très loin de faire l’unanimité au sein de nos milieux. Qu’une plateforme qui se veut rassembleuse et diversifiée prenne position de manière aussi claire sur un enjeu aussi polarisant que le « convoi de la liberté » nous dérange énormément. En publiant ce texte ici, on espère ainsi arriver à contre-balancer une tendance à l’homogénéisation des positions diffusées sur Contrepoints depuis un certain moment.

Ce texte s’inscrit finalement dans une réflexion née des nombreux débats et discussions qu’a suscité le « convoi de la liberté » dans nos milieux, et de la difficulté à se forger une compréhension commune de ce que représente ce mouvement pour nous, en tant que gauche radicale. Si des tensions émergeaient déjà de nos différentes attitudes face à la pandémie, le convoi semble les avoir cristallisées. Nous espérons que ce texte contribuera à pallier à ces difficultés, et nous aidera à dépasser la polarisation qui entoure actuellement ces enjeux dans nos milieux. On aurait aimé ouvrir un espace de discussion sur ces questions là plus tôt dans la pandémie, mais bref, nous voilà.

Tout d’abord, mettons certaines choses au clair: la formulation d’une critique de l’État par rapport à ses agissements sécuritaires et ses dérives de plus en plus autoritaires depuis le début de la pandémie est un point qui doit être mis de l’avant. La surveillance de plus en plus sévère et insidieuse de plus en plus de personnes par des moyens nouveaux est dangereuse et problématique en soi. La création du pass sanitaire et de son régime de droit différent, créant une nouvelle catégorie de personnes auxquelles des droits sont retirés est aussi une aberration qui mérite d’être dénoncée. Rajoutons à ça l’amplification du discours sur les non-vaccinés comme étant le problème numéro 1 en contexte de covid et on a une recette d’hypocrisie assez monumentale considérant la gestion purement capitaliste de cette pandémie par notre gouvernement. Nous encourageons la critique de cette gestion économique dans un objectif de rendement, peu importent les coûts humains, les coûts sur la santé physique et mentale, la priorisation des milieux de travail et la volonté de développement d’une société encore plus néolibérale et surveillée.

Ces textes et discours nous semblent aussi chercher à créer des ponts avec des groupes sociaux qui ne seraient pas habituellement des groupes avec lesquels on s’organise, et on a envie de nommer qu’on trouve ça important de diversifier la base militante et de chercher de nouvelles alliances. C’est malheureusement trop vrai que la gauche (et l’extrême gauche) battent de l’aile et qu’on a un besoin flagrant d’aller recruter dans de nouvelles sphères de la société, considérant l’intensification des discours de droite et d’extrême droite ici et ailleurs. Élargir la gauche n’est pas un luxe dans le climat politique actuel, il s’agit d’une nécessité. Il faut que nous devenions une force sociale d’envergure pour faire barrage à la droite et proposer un monde dont nous pourrons être fier.es.

Sur « Le pass sanitaire n’était qu’un exercice »

Nous avons cru comprendre, à la lecture du pamphlet distribué à Québec, que son objectif était d’éveiller les manifestant.es du convoi à la menace que représentent les projets de zones d’innovations un peu partout sur le territoire soi-disant québécois. Bien que nous partageons ces critiques concernant l’avancement d’un capitalisme de surveillance, nous considérons que c’est un choix stratégique au mieux naïf, au pire dangereux. En effet, n’importe qui s’intéresse au convoi peut constater que les revendications visaient principalement à un retour à la vie normale, la vie d’avant la covid. Ce constat à lui seul témoigne du fossé qui nous sépare de ce mouvement. Est-ce qu’on n’a pas passé toute la pandémie à crier « pas de retour à la normale » ? Le monde allait déjà très mal avant la Covid pour beaucoup de monde. En outre, les personnes itinérantes, racisées, les travailleuses du sexe, les personnes migrantes et les militant·es autochtones étaient déjà soumises à une surveillance et à un contrôle inhumain, et ce, bien avant l’apparition du passeport sanitaire.

Bien que nous soyons conscient·es que les personnes ayant participé à la manifestation de Québec sont toutes différentes, et qu’elles n’appartiennent certainement pas toutes à l’extrême droite, il demeure intéressant de noter que le pamphlet joue sur les mêmes codes que la droite, probablement dans l’espoir de mieux résonner dans une crowd qui ne se reconnait pas dans nos habituels discours. C’est ainsi qu’on voit apparaître dans un texte publié sur une plateforme d’extrême gauche des phrases telles que « Ni de gauche ni de droite » ou encore « rejoignant les réfugiés, les non-vaccinés deviennent des ennemis publics », une phrase qui résonne très bien avec les discours victimisant de la droite comparant les mesures sanitaires aux politiques de l’Allemagne nazie. On s’entend, être obligé de se faire vacciner, bien que ce soit critiquable, ne peut en aucun cas être comparé aux chambres à gaz, ou encore aux prisons pour migrant·es qui enferment chaque année des personnes pas assez blanches, ou avec pas assez de documents officiels pour satisfaire notre État colonial. Nous croyons qu’une opposition aux mesures sanitaires autoritaires est nécessaire, mais celle-ci ne peut faire l’économie d’une analyse antiraciste, anticapitaliste et féministe.

Nous savons que nos milieux sont très homogènes, très blancs, très scolarisés, et souvent encore très empreints de nombreuses dynamiques de pouvoir, et nous croyons sincèrement que ce n’est pas en allant faire des alliances avec des personnes en très grande majorité blanches et nationalistes (en témoigne le nombre de drapeaux canadiens qui étaient visibles dans les rassemblements) que nous arriverons à rendre nos milieux plus accessibles pour les personnes les plus marginalisées de notre société. Nous pensons au contraire que nous aurions intérêt à redoubler d’efforts pour nous solidariser avec les luttes pour l’abolition de la police, les luttes pour l’autodétermination des peuples autochtones, les luttes des communautés LGBTQ et spécifiquement des femmes trans, avant d’aller chercher dans les bastions de la droite pour recruter. Malheureusement, en tant que personnes issues de groupes privilégiés, c’est beaucoup plus difficile de se solidariser avec des communautés marginalisées que de profiter de l’opportunité d’un soulèvement financé par l’extrême droite pour faire avancer nos propres agendas. Il nous semble que certaines personnes plus proches de nos idéaux fondamentaux auraient davantage de potentiel de solidarisation avec nos luttes, comme les travailleur·euses du communautaire, les travailleur·euses de la santé, les étudiant·es cassé·es, les écolos désabusé·es.

Ce qui nous inquiète de cette stratégie, c’est qu’elle tend à dépolitiser les enjeux. Nous craignons que de prôner la révolte en soi sans se demander ce que les gens vont en faire et quel sera leur état d’esprit, leurs désirs et leurs idéaux, ça manque de vision long-terme. Participer à intensifier un mouvement dirigé par l’extrême droite, c’est potentiellement contribuer à un monde bien pire que le nôtre. Au contraire du Rojava pendant le Printemps arabe, où il y avait des bases militantes de gauche larges et fortes et où un nouveau système a pu voir le jour, nous risquons de nous retrouver avec une extrême droite boostée aux stéroïdes. Chercher une révolte sans organisation en arrière pour la soutenir vers une société révolutionnaire, c’est encourager un vide de pouvoir qui sera comblé par les gens avec les plus gros guns et/ou le plus de soutien populaire. Nous ne sommes pas ces gens-là en ce moment.

Il nous semble aussi important de rappeler comment la droite grossit ses rangs en maniant particulièrement l’outil de la peur. Ils nous rabâchent constamment que les immigrants viennent voler des jobs, que les musulmans sont tous des terroristes, que les femmes trans cherchent à violer d’autres femmes dans les toilettes, etc. C’est une stratégie de mobilisation efficace pour des mouvements qui veulent promouvoir la haine contre certains groupes sociaux, mais il est bon de se demander s’il s’agit vraiment d’une voie que nous souhaitons prendre. Est-ce bien utile d’aller jouer dans cette émotion-là pour mobiliser, de dire qu’on devrait avoir peur de la ZILE, du contrôle, de la surveillance ? Alors que la droite peut brandir la peur de choses qui sont soit irréelles, soit déformées au point de n’être plus reconnaissables, les choses que nous dénonçons sont, elles, déjà effrayantes et ont des impacts réels sur nos vies. Dans un contexte où les grands médias capitalistes nous donnent déjà suffisamment de raisons d’avoir peur — et c’est encore pire lorsque l’on appartient à un groupe social qui fait l’objet de violences systémiques — il nous semble important d’essayer d’invoquer d’autres sentiments pour nous aider à nous mobiliser, et d’essayer plutôt de bâtir un monde basé sur l’entraide, la compassion, la solidarité, la responsabilité et la rage légitime.

Sur le « Manifeste conspirationniste »

Aller jouer sur les plantes-bandes conspirationnistes est une stratégie particulièrement dangereuse. Et malgré ce que ce manifeste voudrait nous faire croire, le conspirationnisme est une nébuleuse résolument située à droite. On pourrait revenir sur les origines ouvertement antisémites des théories du complot, leur glorification de figures comme Donald Trump, le choix récurrent de « la gauche » comme bouc émissaire, ou leur rôle dans la création de fantasmes néfastes comme celui du Grand Remplacement, mais d’autres le font mieux que nous (Conspiracy Watch, Mtl Antifasciste). Ce qu’il faut retenir, c’est que les théories conspirationnistes sont traversées de patterns antisémites, xénophobes, sexistes et ouvertement anti-gauche. Ce n’est pas pour rien que la défense du complotisme est un enjeu cher à des personnalités comme Maxime Bernier (qui soutient le convoi) ou Éric Zemmour, qui écrit « complotisme : ce mot des “élites” pour disqualifier toute critique ». Voir de telles personnalités propager des théories du complot et défendre le complotisme devrait suffire à nous convaincre de refuser tout engagement avec cette sphère.

Pourtant, on voit certaines personnes de gauche radicale qui persistent à fricoter avec cette tendance, ou qui semblent suggérer que l’on pourrait se réapproprier une identité complotiste. On reste perplexes devant cette idée : pourquoi vouloir réhabiliter un concept si marqué à droite, si ancré dans des positions oppressives ? On partage avec les libertariens une haine du gouvernement, mais on a jamais pensé qu’il serait utile de reprendre leur terminologie, alors pourquoi le faire avec le mot complotiste ? Le seul effet est de brouiller les pistes et paver la voie pour l’expansion d’idéologies fascisantes. Car vouloir détourner un terme qui recouvre une réalité d’extrême-droite, c’est participer à la diffusion de discours confusionnistes. Le confusionnisme, « c’est le développement d’interférences, d’analogies et d’hybridations entre des discours d’extrême droite, de droite, de gauche modérée et de gauche radicale » (Philippe Corcuff). C’est ce qu’il se passe quand certaines personnalités reprennent des critiques sociales avec un vernis antisystème, pour ensuite guider les gens qui les écoutent vers des réponses toutes faites formulées par l’extrême droite. Car c’est l’extrême droite qui est en ce moment en mesure de récupérer des individus en criss contre la société en validant leur colère et en désignant des responsables individuels (une poignée d’élites), flous (le « lobby féministe ») ou carrément inventés (la « gauche » qui serait pour certain·es derrière le coronavirus1). En effet, l’avantage des théories du complot pour la droite, c’est qu’au lieu de cibler des structures sociales et d’offrir des possibilités d’émancipation collective, on propose une poignée de responsables qui tirent les ficelles derrières les rideaux : débarassons-nous de ces quelques individus, et le problème est réglé. Pas besoin de changer quoi que ce soit à nos vies ou de nous remettre en question, pas besoin de s’organiser collectivement sur du long terme, pas besoin de lutter.

Il est impensable, dans une perspective d’extrême gauche, de nier la réalité de la pandémie, et des vies qui ont été perdues à cause de la négligence criminelle de l’État. Rappellons le, les morts sont en grande majorité des personnes âgées, des personnes immunodéprimées, des personnes racisées, des personnes autochtones, des personnes pauvres, des personnes incarcéré.es qui n’ont eu d’autre choix que de s’exposer depuis deux ans au virus, alors que la classe moyenne et ses dirigeants étaient confortablement à l’abri et continuaient de travailler du confort de leurs maisons de banlieue. Nier la réalité de la pandémie, c’est défendre un monde eugéniste, où les plus forts (lire les mieux nantis) s’en sortent, alors que la plèbe en crève, passeport sanitaire ou pas, couvre-feu ou pas. À nos yeux, nos milieux devraient, plutôt que de chercher à mobiliser dans les rangs de la droite, chercher à consolider des initiatives d’aide mutuelle afin de contribuer à la mise en place de stratégies de prise en charge collectives de notre santé, et de manières d’assurer notre sécurité qui ne dépendent pas de l’intervention de l’État et de ses mesures autoritaires.

Pour une autodéfense sanitaire collective

On ne peut s’empêcher de déceler dans l’intérêt que suscite le convoi chez certain·es camarades de gauche des relents mascu de glorification de la révolte et d’invisibilisation de formes de luttes traditionnellement prises en charge par les femmes. Aller aider des vieux à faire leur épicerie ou des mères monoparentales à se tenir face à leur proprio, c’est moins sexy et badass que de soutenir des gens qui bloquent des routes. On entend l’argument « au moins des gens se lèvent et font quelque chose, même si c’est pas parfait il faut se saisir de cette opportunité ! », comme si le convoi était la seule réaction indépendante de l’État qui avait eu lieu depuis le début de la pandémie. Pourtant, de l’organisation collective autonome en réaction à la covid-19 il y en a eu dans les deux dernières années, mais elle s’est plutôt située sur le terrain du care. Et bien que plusieurs anarchistes se soient mobilisé·es dans des mouvements d’entraide, on n’a pas vu fuser les articles qui nous invitaient à investir ces espaces-là dans une lutte combinée pour s’entraider, mobiliser les communautés et se protéger de la covid. On se demande si ce n’est pas aussi parce que beaucoup de gens dans nos communautés ont eu le luxe de ne pas se soucier de la covid-19 dans les deux dernières années. On a été tellement outré·es par la gestion autoritaire du gouvernement qu’on en est venu·es à oublier que derrière ces mesures en grande partie inutiles et répressives, il y a un vrai virus qui tue des vraies personnes. Et dans une réaction tristement binaire, certain·es ont préféré chercher des alliances avec des gens en criss contre le gouvernement quitte à minimiser ou ignorer leurs politiques réactionnaires, plutôt que de développer des positions capables de critiquer l’état d’une part, et de créer des stratégies d’autodéfense sanitaires de l’autre.

On trouve pourtant à travers l’histoire et le monde des exemples d’organisation solidaire indépendante de l’État en contexte de crise sanitaire. C’était le cas des cliniques médicales gratuites des Black Panthers, de la mobilisation des lesbiennes pendant la crise du VIH/sida, ou plus récemment des multiples initiatives d’entraide qui ont vu le jour dans les deux dernières années. Privilégiant une posture de prévention, on a vu des groupes tels que le Common Humanity Collective en Californie se mettre à fabriquer leurs propres masques et purificateurs d’air (aussi utilisés pour faire face aux feux de forêt) et profiter de la distribution pour créer des liens avec les habitant·es et les mobiliser autour d’enjeux sociaux à travers de l’éducation populaire. Des membres du collectif décrivent dans un podcast comment des rencontres sur zoom ont pu mettre en contact des gens d’horizons politiques différents, et créer un sentiment de communauté. À Paris, un bar lesbien a mis en place des mesures sanitaires de prévention début 2020 avant le gouvernement, et est devenu un lieu de ressource pour les personnes isolées et précarisées par la pandémie.

Jouer le jeu des conspirationnistes et de celleux qui manifestent pour un retour à la normale est une erreur politique, éthique et stratégique. ​​​​​La libération collective doit primer sur les libertés individuelles à la sauce libertarienne. Nous croyons qu’il est possible d’élargir nos réseaux et de développer de nouvelles alliances politiques en maintenant des pratiques plus sécuritaires et en restant solidaires avec les personnes à risque. Faire de l’éducation populaire, des ateliers d’autodéfense sanitaire (fabrication de masques et de purificateurs d’air), maintenir les gestes barrière, réclamer la levée des brevets sur les vaccins, lutter pour le droit au logement aux côtés de celles et ceux qui ont été précarisé·es par la pandémie, sont autant de pistes d’organisation politique pour reprendre en main une situation négligée et aggravée par un État criminel, en continuant à faire communauté.

– des gouines anar blanches un peu en criss


1 : c’est la théorie de Eric Trump​​​​​​​, mais aussi celle du « Great Reset », à l’origine un énième sommet économique de merde, devenu rapidement une théorie conspirationniste qui voudrait entre autres que des socialistes aient inventé le coronavirus pour imposer des restrictions économiques, et en profiter pour prendre le pouvoir et instaurer un ordre socialiste mondial.

Pour aller plus loin

Sur le covidonégationnisme et l’autodéfense sanitaire : https://www.jefklak.org/face-a-la-pandemie-le-camp-des-luttes-doit-sortir-du-deni/

Sur la nécessité de dénoncer les mesures autoritaires, sans pour autant nier la réalité de la pandémie et ses impacts (voir la publication épinglée) : https://www.facebook.com/feministesraciseEs.

Sur l’autodéfense sanitaire : https://acta.zone/seul-le-peuple-sauve-le-peuple/

Sur le validisme et la solidarité avec les personnes handicapées : https://leavingevidence.wordpress.com/2022/01/16/you-are-not-entitled-to-our-deaths-covid-abled-supremacy-interdependence/

Sur le confusionnisme et le rôle de la gauche radicale (on peut se créer un compte gratuitement pour lire l’article) : https://aoc.media/opinion/2021/10/06/prendre-au-serieux-le-confusionnisme-politique/

Le printemps arrive : prenons la rue contre la guerre

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Mar 052022
 

De CrimethInc.

L’appel à action suivant a été initialement publié en russe sur avtonom.org, la plateforme issue du réseau anarchiste Action Autonome, qui s’étend de la Russie à l’Ukraine en passant par la Biélorussie.

Nos collaborateur·ices russes rapportent qu’en vertu d’une nouvelle loi adoptée cette semaine, les personnes reconnues coupables d’avoir diffusé de fausses informations peuvent dorénavant être condamnées à plusieurs années de prison. Cela concerne notamment les personnes qui qualifient l’invasion de « guerre » plutôt que d’« opération spéciale », comme l’exige le gouvernement de Poutine. Dans ce contexte, les manifestant·es font preuve d’un immense courage en continuant à descendre dans les rues.

La prochaine journée de rassemblement est prévue pour ce dimanche 6 mars. Nous espérons que leurs actions rencontreront un écho chez les manifestant·es du monde entier, afin de faire pression de toutes parts sur le gouvernement russe, la classe capitaliste mondiale, les profiteurs de guerre et toutes les forces qui encouragent l’invasion.

Pour soutenir les manifestant·es de Russie, vous pouvez faire un don à l’Anarchist Black Cross de Moscou ici. Pour soutenir les anarchistes en Ukraine, faites un don ici ou . Il existe également une structure d’organisation de la solidarité pour soutenir les réfugié·es qui fuient l’Ukraine.


Le printemps arrive : prenons la rue contre la guerre

L’armée russe a envahi l’Ukraine. Poutine a perdu la raison et ses troupes bombardent des villes, tirent sur des civils et tuent des enfants. Plus d’un million de personnes ont fui le pays pour échapper à ses « libérateurs ».

Nous refusons de nous soumettre à la censure de l’armée russe. Nous le disons clairement et ouvertement : c’est une guerre, une guerre de conquête menée par l’armée russe. Les armes à la main, les Ukrainien·nes se défendent avec succès contre les envahisseurs, mais nous, qui sommes à l’intérieur de la Russie, ne devons pas rester à l’écart de ces événements. Nous devons affirmer, à nous-mêmes et au monde, que nous nous opposons à cette guerre, dont seuls Poutine et sa bande ont besoin. S’opposer à la guerre en ce moment est une pratique véritablement antifasciste.

Le 6 mars, dimanche prochain, sera une journée d’actions anti-guerre en Russie. Prenez la place principale de votre ville ! À Moscou, rendez-vous à la place des gares à 15 heures. Des rassemblements auront également lieu à 19 heures et à d’autres moments. Décidez et organisez-vous par vous-mêmes, faites équipes avec vos ami·es. L’essentiel est de descendre dans la rue.

Les autorités russes paniquent. Elles réalisent qu’elles sont en train de perdre la guerre. C’est pour cette raison qu’elles menacent frénétiquement les manifestant·es anti-guerre d’expulsion, de licenciement, de conscription immédiate dans l’armée ou d’enfermement. N’ayez pas peur d’eux. Les Ukrainien·nes, dans leurs villes, sortent désarmé·es dans les rues pour protester contre les envahisseurs. Il se dressent contre des soldats armés de fusils, contre des chars. Comment pourrait-on avoir peur de la police russe et de ses équipements rouillés ?

Nous exigeons la fin immédiate de la guerre. Nous exigeons le retrait immédiat et inconditionnel des troupes russes d’Ukraine. C’est le préalable indispensable à tout le reste : l’agression de la Fédération de Russie doit cesser. Le massacre de la population doit cesser. Certes, Poutine ne nous a pas demandé notre avis quand il a planifié l’invasion – mais nous ne l’avons quand même pas arrêté à temps. Il est important de le faire au moins maintenant.

Bien sûr, notre objectif principal est maintenant d’arrêter la guerre en Ukraine. Mais nous devons aussi nous battre pour l’avenir de la Russie. Il ne reste plus beaucoup de temps à ce dictateur déséquilibré. Sa petite victoire facile n’a pas lieu comme prévu et sa destitution n’est maintenant plus qu’une question de temps et de moyens concrets. Mais qu’arrivera-t-il après Poutine ?

Les territoires qui constituent la « Fédération de Russie » se trouvent aujourd’hui à un carrefour historique. L’effondrement du régime de Poutine pourrait déclencher un processus de libération. Bien sûr, les idéaux anarchistes ne se réaliseront pas immédiatement, mais la Russie ne sera plus en guerre avec le reste du monde et avec sa propre population. En ces temps de changements, des opportunités existeront pour des modifications radicales du système politique, vers une plus grande décentralisation – comme par exemple l’abolition complète de la présidence, et la transition vers une république parlementaire dont nous parlons depuis longtemps.

Cependant, il existe une autre possibilité de « ce qui viendra » après Poutine : la mutation du régime sous sa forme chrysalide, fermé sur lui-même et encore plus autoritaire – avec fermeture de toutes les frontières et cessation des contacts internationaux. Le blocage ce soir de la moitié de l’internet en Russie n’en est que le premier signe. Il ne restera plus suffisamment de forces à l’État pour mener des guerres agressives, mais la vie ne sera pas meilleure pour les habitant·es : iels se retrouveront à vivre dans un État similaire à la Corée du Nord. Et il n’y a absolument aucun mouvement anarchiste en Corée du Nord. Aucun.

Aujourd’hui et dans les semaines et mois à venir, nous disposons toutes et tous d’une fenêtre d’opportunités unique. Le régime autoritaire de Poutine a commis une erreur fatale et est en train de vaciller. Si le psychopathe du Kremlin n’appuie pas sur le bouton nucléaire, il ne vivra plus longtemps. Et tout dépend maintenant de nous, les habitant·es de la Russie. Si nous restons silencieux·ses, ce sont les isolationnistes et les conservateur·ices, majoritaires dans les hautes sphères du pouvoir, qui pourront dicter leur agenda. Mais si nous sommes actif·ves, nous gagnerons. Un léviathan rouillé n’a besoin que d’être poussé pour tomber en poussière.

Le 6 mars, prenez les rues. Si vous ne pouvez pas sortir le 6 mars, sortez à d’autres moments. Si vous ne pouvez pas sortir du tout, manifestez contre la guerre d’autres façons : distribuez des tracts et des affiches, collez des stickers, écrivez « non à la guerre » sur vos masques, accrochez des banderoles à vos balcons. Et surtout parlez aux gens. C’est maintenant plus important que les études, que le travail, plus important que tout autre chose dans le monde. C’est non seulement le sort de l’Ukraine, mais aussi de la Russie qui est en train de se décider. Notre avenir est en train d’être déterminé – et nous serons les seul·es responsables de ce qu’il sera.

L’hiver se termine. Le printemps arrive.

Autonomous Action

Un sticker « Non à la guerre » en Russie.
Un sticker « Non à la guerre » sur un plan de ville, en Russie.
Une pancarte accrochée à un sac par de charmants pins, appartenant à un·e manifestant·e russe.