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Haute-tension/Hors-tension : Non à la ligne de 735kV

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Avr 032016
 

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De Interruption

735 000 volts. C’est ce qui passera dans la nouvelle ligne de très haute tension qu’Hydro-Québec veut construire dès cette année. Le trajet de cette ligne fera 400 km et transportera l’électricité depuis la centrale de Chamouchouane au Saguenay-Lac-Saint-Jean, en passant par Lanaudière, vers un poste éventuel inexistant pour le moment, à Terrebonne, nommé Judith-Jasmin, qui serait relié à la région montréalaise par un deuxième tronçon de 19 km vers le poste du Bout-de-l’Île. C’est le plus important projet de ligne électrique depuis 20 ans, estimé à 1,3 milliard de dollars. En effet, c’est la 12e ligne d’une telle force au soi-disant « Québec ».

Mais avant tout, il leur faut déboiser partout où les pylônes seront plantés. La déforestation a déjà débuté au Nord et dans Lanaudière. Elle cause plusieurs expropriations et traverse partiellement le territoire de chasse des Attikamekws au nord, St-Michel-des-Saints, St-Zénon, Ste-Émélie-de-l’Énergie, St-Alphonse-de-Rodriguez, Rawdon, etc.

Le projet est contesté par plusieurs habitant.e.s, agriculteur.trice.s et écologistes depuis maintenant 6 ans : « Inutile, environnementalement dévastateur et économiquement injustifié » (Citoyens Sous Haute Tension). Plus qu’un doute, c’est un refus catégorique. Le BAPE (Bureau des audiences publiques sur l’environnement) a recommandé au gouvernement d’attendre d’avoir plus d’informations, d’approfondir les études d’impact et de prendre en considération l’opposition du milieu. Néanmoins, l’État a adopté un décret imposant la poursuite des travaux. Hydro-Québec a donné une compensation de 4 millions de dollars à la MRC de Lanaudière et une autre d’un million à Manawan comme dédommagement pour faire avaler leurs salades. Mais il y a encore des gens qui s’opposent; la plupart ont des préoccupations foncières, ils sont des propriétaires fâchés parce que la valeur de leurs maisons baissera ou parce qu’ils ont des fermes et que les animaux ne supportent pas les champs électromagnétiques puissants de ces lignes de haute tension. Ils refusent de signer les lettres envoyées par Hydro-Québec qui demande l’accord des résidents pour couper les arbres sur leurs terrains tant qu’Hydro ne les aura pas dédommagés personnellement en argent. En réponse, Hydro les harcèle et a obtenu une injonction. Même s’il est réjouissant que des gens se mobilisent contre Hydro-Québec, ce refus ne fait que ralentir le processus de destruction systémique et n’aspire pas à son arrêt. On peut même aller jusqu’à dire que les motifs de ces oppositions sont absolument contradictoires avec les désirs de liberté sauvage qui nous habite. Notre désir est d’élargir le champ des possibles alors nous souhaitons proposer d’autres avenues pour en freiner la réalisation. En ce moment, le projet va de l’avant et le déboisement a déjà commencé.

Un autre mythe national

La mafia Hydro-Québec n’a pas intérêt à reculer devant un tel projet, qui représente énormément de bénéfices. En effet, l’ère des combustibles fossiles est en déclin. Devant l’épuisement des ressources pétrolières, les coûts de l’extraction et du transport sont devenus trop élevés. Le virage vert est en marche depuis plusieurs décennies et dans ce contexte, l’hydroélectricité, perçue comme une énergie renouvelable et verte, devient une marchandise précieuse. Les grandes organisations mondiales du commerce et de la finance sont en train de restructurer et transformer l’industrie et le transport afin de s’adapter aux « énergies vertes ». Le nouveau ministre des Transports du Québec a d’ailleurs pour mission novatrice l’électrification des transports publics avec de nouveaux véhicules hybrides et électriques. Les voitures électriques deviennent de plus en plus accessibles, Hydro installe des bornes de recharge de batteries dans tous les coins du soi-disant « Québec », même les véhicules de chantier seront électriques dans un futur proche. Et cela dans l’objectif de maintenir la vitesse et la productivité de l’industrie. Les infrastructures de transport de l’énergie, tout comme les routes, les chemins de fers, les ports, les pipelines et les aéroports, sont indispensables à l’expansion de l’industrie, un projet tentaculaire en soi.

Un mythe est construit autour de l’hydro-électricité comme étant une source d’énergie verte et renouvelable. On la vante presque comme étant le joyau national du soi-disant « Québec » avec ses nombreuses rivières d’eau douce à gros débit. En réalité, nous devons percevoir l’hydro-électricité comme une ressource exploitable, vendable autant que peuvent l’être le fer, l’uranium ou le pétrole. Aujourd’hui, le territoire est complètement défiguré, il ne reste que quelques rivières à gros débit n’étant pas encore envahies par des barrages. L’électricité si propre dont ils parlent est en fait une gigantesque entreprise de destruction des écosystèmes, de pollution des rivières et de destruction des modes de vies des communautés dont la survie dépend de ces rivières. Quand un barrage est construit, le cours d’eau est bloqué et un réservoir d’eau venant inonder une grande surface de territoire se crée. La rivière en question déborde de son lit près du barrage et s’assèche sur toute sa longueur. Les arbres et les végétaux inondés meurent et libèrent du méthane et du dioxyde de carbone dans les eaux et dans l’air. Le méthane et le dioxyde de carbone sont des gaz à effet de serre; on ne répertorie que 12% des gaz à effet de serre émis sur le territoire colonisé par l’État Canadien viennent des barrages hydro-électriques. Une autre conséquence de ces inondations est la contamination des eaux par le méthyle-mercure, venant de la libération du mercure inorganique fossilisé dans les sols. Lorsque le sol est inondé par l’eau, le mercure libéré se transforme en méthyle-mercure, une neurotoxine se retrouvant dans la chaîne alimentaire par la suite. Les poissons, les animaux et les humains qui la consomment peuvent développer toutes sortes de maladies, dont des troubles cardio-vasculaires et des cancers. Il est d’ailleurs déconseillé aux gens de consommer les poissons de ces rivières pendant une période de 30 ans suivant l’inondation d’un bassin. En résumé, les nombreuses rivières d’eau douce du soi-disant « Québec », autrefois potable, ont toutes été intoxiquées. Les animaux et les humains qui en dépendent pour boire et se nourrir s’empoisonnent ou perdent leur source d’eau potable. Résultat : des écosystèmes vieux de milliers d’années et des formes de vies ancestrales perturbées et détruites.

L’intention première d’Hydro-Québec est de toute évidence la création de marchés de vente aux États-Unis, avec de beaux discours chantant que l’hydroélectricité est plus propre que l’électricité au charbon. Sur leur site internet, ils en font la comparaison. Ce qu’ils ne disent pas, c’est que c’est la salope d’industrie mise en place avec sa logique d’accaparement depuis la colonisation par les Européens il y a 500 ans qui cause la destruction de la vie. Hydro-Québec explore donc les marchés américains et parle même d’entreprendre d’autres projets de construction de barrages sur les quelques rivières d’eau douce encore intactes. Ils n’ont évidemment aucun scrupule quant aux dommages réels causés par leur soif de s’enrichir.

La saignée de l’électricité

Hydro-Québec possède environ 62 centrales hydro-électriques. Depuis le début des années 2000, les grandes rivières de la Baie-James et de la Côte-Nord ont soit été dérivées pour alimenter un complexe hydroélectrique (ex. la Caniapiscau, l’Opinaca, la Eastmain et la Rupert), soit gravement perturbées suite à l’installation de centrales hydroélectriques (ex. Sainte-Marguerite, La Romaine et Toulnustouc). Ces fameuses lignes de haute tension transportent l’électricité provenant du Nord et fournissent toute la province, ses centres urbains, ses banlieues, ses industries et ses mines. À titre d’exemple, fournir une seule mine en chauffage et en électricité, pour rendre son environnement sous terre soutenable pour les gens qui y travaillent, équivaut à la consommation énergétique d’une ville comme Trois-Rivières. Tel que le disent les opposant.e.s au projet, la province n’a nullement besoin de produire plus d’électricité. En fait, la plus grande partie de l’électricité produite est déjà en surplus. On ne consomme pour le moment que 15% de l’électricité produite, le reste est perdu à travers le transport, ou bien gaspillée puisqu’il n’est pas rentable de l’emmagasiner dans des batteries. En effet, si le courant produit n’est pas consommé tout de suite, il est perdu. Ainsi, cette ligne de 735 000 volts transportera l’énergie provenant des barrages du Nord : Baie-James, Manicouagan et des nouveaux barrages de La Romaine sur la Côte-Nord, des projets ayant rencontré de fortes résistances par les habitants de ces régions durant les dernières années. L’État justifie d’ailleurs le projet en disant que ces nouveaux barrages provoquent un engorgement sur les lignes existantes.

N’oublions pas qu’Hydro-Québec est une société d’État qui a le monopole en matière d’électricité, qui donne fréquemment des contrats à des compagnies à numéro nébuleuses, qui impose des hausses de tarifs, qui exproprie des terrains en échange de compensations dérisoires et qui travaille uniquement dans le but de favoriser l’industrie. Ici, ce qui nous importe va bien au-delà de la valeur des maisons. Il en est de l’anéantissement de l’environnement, réalité maquillée par toute la fausse publicité d’Hydro-Québec. Car en réalité, que l’énergie de l’industrie vienne d’une centrale thermique au charbon, de réacteurs nucléaires ou d’hydroélectricité, le paradigme reste le même : la productivité, le pillage des territoires et l’expansion des marchés. Aucune énergie vouée à l’industrie ne peut être propre.

Nous luttons pour nous réapproprier nos vies. Nous avons l’intention de détruire ce qui détruit la nature, car nous avons besoin d’elle pour être bien et vivre sainement. L’industrie, les barrages, les mines, les coupes forestières sont des parasites dévastateurs. Il suffit de s’imaginer être un oiseau survolant les airs qui contemple le paysage pour se rendre compte que la dévastation entamée est irréversible, pour voir les trous dans les forêts, pour voir les terres inondées par les bassins des barrages. On comprend vite que l’écologie est loin d’être la priorité d’Hydro-Québec et de ses actionnaires. Ceux-ci se paient des voyages de chasses et pêche dans des hôtels-resorts de riches et s’approprient le reste du territoire en s’achetant des chalets, ils posent des chaînes et des clôtures, affichent des pancartes « terrains privés, accès interdit ». Les responsables de ces entreprises n’ont pas droit au pardon.

Nous honorons tous actes de résistance, nous saluons le courage des communautés en luttes pour l’autodétermination et la liberté sauvage, nous sommes avec celles et ceux qui s’opposent à la déforestation ravageuse dans la forêt Ouareau, avec les Cris qui s’opposent aux coupes dans la forêt Broadback, avec Six Nations qui luttent également contre les coupes forestières dans la Red Hill Valley en lien avec une ligne de haute tension au sud de soi-disant « Ontario », avec les Mi’kmaq qui luttent contre les gaz de schistes, avec les Mohawks qui menacent de bloquer le projet de pipeline d’Énergie-Est, avec celles et ceux qui occupent Lax U’u’la (l’île Lelu) en bloquant la construction du terminal de Pacific Northwest LNG et avec tous les complices à l’esprit sauvage et combatif.

En ce moment même, le déboisement de l’emprise de la ligne dans la région a débuté, ainsi que l’établissement des chemins d’accès. Il est encore temps d’arrêter la construction et ce n’est ni l’État ni aucun député, même avec de la bonne volonté, qui va nous aider. On attend quoi?

Pour nous contacter: anti735[at]riseup.net

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Sonder le vide : retour sur les manifs de soir de décembre 2015

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Mar 312016
 

witchesLes trois manifs de soir de novembre et décembre dernier ont laissé une marque en nous, l’appel d’une réflexion. C’est ce que nous nous proposons de partager avec vous dans les pages suivantes.

Après et entre les trois manifs, nous avons pu suivre dans le fil des conversations – autant celles qu’on a eues avec des ami.es que celles qu’on a entendues au hasard dans les bars, les salons ou dans la rue – la course furtive ou bruyante d’une sensation qui semblait être partagée par beaucoup de gens : un sentiment de vide. Après le black bloc de 200 personnes, après les fenêtres brisées, on a entendu le «mais encore?» insister. Au point où, lorsqu’on a demandé aux ami.es s’illes allaient à la troisième manif, celle du 18 décembre, la majorité des gens nous ont répondu qu’illes avaient autre chose à faire, comme aller souper chez des ami.es.

Alors aujourd’hui, et depuis les derniers mois, on se demande ce qui pousse ceuzes qui sont proches de nous, ceuzes qui partagent les mêmes envies de foutre en l’air ce monde et de nourrir la rage, à chiller avec des ami.es comme on le fait tout le temps, plutôt que de saisir cette (rare) opportunité de déchaînement. Et ça nous mène à d’autres questionnements : comment penser ces manifs en dehors des moments de grève, qui poussent les gens à prioriser les manifs aux soupers ? Quelle peut être notre place dans ces manifs hors des mouvements sociaux ? Quelle place prennent ces manifs dans nos vies, au quotidien?

Ce qu’il y a au coeur de notre questionnement, ce sentiment de vide, nous l’avons ressenti dans toute sa force. Ces phrases répétées ad nauseam : «mais où on s’en va avec ça?», «ça s’inscrit dans quoi, ces manifs?», «c’est pas en cassant des vitrines qu’on égratigne le Capital», «l’État n’est pas ébranlé par nos vagabondages nocturnes destructeurs». Le vide, on le ressent dans l’absurdité des gestes posés pour d’autres que nous-mêmes, dans le silence ridicule de ceuzes qu’on déteste, dans la réponse infantilisante et abrutissante des médias qui ne verront jamais en nous que des imbéciles violent.es – pas vraiment dangereux.ses. Et pire encore, ils nous renvoient une image en miroir qui dérobe notre puissance. Ce qui nous amène à penser que ces manifs, ces moments de révolte qu’on ouvre, ils ne peuvent qu’être pour nous. S’ils sont dirigés comme message à d’autres, ils deviennent insensés.

On refuse de remplir le vide qu’on a ressenti avec plus de revendications adressées à ceuzes qu’on veut détruire. On ne veut pas attendre un prochain mouvement de masse pour attaquer ce monde qui nous fait violence. On n’est pas là à nous sacrifier pour «la cause», ni «parce qu’il le faut». Dans ces manifs, on tire une force du sentiment de décider de vivre le centre-ville autrement. Nous prenons le contrôle, avec le sentiment de chaos qui nous rend alertes, sentiment qu’on apprend à naviguer parce qu’il est l’ennemi de l’ordre et de l’univers normatif. Dans ces moment de chaos on n’entend plus les slogans fades répétés jusqu’à non-sens, mais les éclats de la destruction, des feux d’artifices et des hurlements qui leur font écho, des vitrines explosées par la colère et les marteaux. Nous ressentons la force de renverser cet ordre, pour le temps que ça dure.

Et s’il y a un sentiment de vide qui cohabite avec celui de jouissance furieuse, c’est qu’on sait qu’on cherche à détruire plus que des vitrines. On ne peut pas se contenter de l’image de la destruction. On ne veut pas se complaire dans le spectacle de notre propre radicalité. On ne peut pas, ça sonne trop faux. Ce vide, on le touche du bout des doigts, parce qu’à la fin, on s’ennuie. À la fin, on a brisé une vitrine, mais ça ne change rien. On ne sent qu’une sorte de catarsis, celle d’enfin faire mal à d’autres qu’à nous-mêmes. Alors comment faire pour aller plus loin que briser des vitrines, comment alimenter ces marques de puissances à l’intérieur de nous, contre le monde?

Déjà, on a envie de voir la manif comme un espace d’exploration. Essayer un peu d’imaginer plus loin que les gestes déjà appris – casser des vitrines, lancer des roches aux flics, faire des graffs, passer des tracts, faire des feux d’artifices, etc. Et pour nous, ça n’implique pas nécessairement de se lancer à la recherche de nouveaux gestes, mais peut-être de trouver dans ces gestes mille fois répétés par toutes sortes de personnes, un peu plus que leur habitude. Réfléchir aux intentions derrière ces gestes, chercher leur sens propre à chaque fois. Même si ce n’est que pour y trouver du plaisir, un sentiment euphorique dans l’action. Rendre actifs ces gestes, et pas uniquement les reproduire comme les images d’eux-mêmes. Et aussi, ce que ça implique pour nous, c’est de prendre au sérieux les manifs, de s’y préparer, avant même qu’elles soient callées. Savoir qu’il y en aura d’autres, et qu’on est déjà prêt.es, déjà survoltées, comme des ressorts tendus qui n’attendent que le moment d’être relâchés.

Ce que ça veut dire, pour nous, aussi, c’est d’éviter de tomber dans ce piège de vivre les manifs comme des soupapes. Des moments où on ressent qu’on agit contre les forces de ce monde, et qui nous permet ensuite d’oublier, de se sentir mieux et de retourner à l’école et au boulot sans plus. On voudrait que la manif déborde dans nos vies, qu’elle soit contagieuse et anime nos gestes de tous les jours. Qu’elle allume des feux dans le quotidien et qu’on puisse alors imaginer le réseau des actions destructrices et subversives, la toile des résistances qu’on nomme et relie entre elles. Et qu’on arrive à faire du sens de tous ces soubresauts de rébellion, sans attendre de les inscrire dans un mouvement social. Pour nous, la manif peut être une fête qui renverse et subvertit le temps vécu, qui nous extirpe de la banalité du quotidien. On brûle ensemble, à courir où l’on veut, dans la rue sur le trottoir, avec la rapidité et la détermination, et les flics qu’on repousse violemment dès qu’ils nous approchent. On est là parce qu’on ressent la vie autrement dans une manif, parce qu’on aime les fourmillements dans le ventre et le coeur qui bat la chamade, l’adrénaline qui monte.

On voudrait aussi éviter que la manif ne renvoie qu’à elle-même et ne se contienne que dans ses propres limites spatio-temporelles et ses automatismes. On a envie d’éviter d’oublier dès le lendemain, parce qu’on a autre chose à faire. On a envie de porter la manif à l’intérieur de nous, d’y penser, d’en parler avec les ami.es, de voir ce qu’on voudra faire la prochaine fois que l’occasion se présente, d’être toujours en alerte. De ne pas oublier le sentiment, et l’exaltation possible si on se donne la chance. Si on se laisse être à la hauteur de ce qu’on sait faire quand on se prépare bien. On ne veut plus retourner aux manifs comme si on n’y croyait pas. Parce qu’à force de ne pas y croire, on se bloque de la possibilité que la manif soit virulente et combative, pour n’être qu’une parade faisant partie de l’ordre normatif et dont le rôle contestataire en permet le maintien. On ne veut plus se laisser craintivement guider par des flics mieux préparés que nous, avec nos sacs trop lourds pour courrir, les mains et les oreilles gelées par le froid parce qu’on a oublié les mitaines et la tuque, les vêtements qu’on porte tous les jours – trop reconnaissables. On veut que chaque manif crée la soif irrémédiable de la prochaine, parce qu’on est prêt-es, parce qu’on attend seulement l’espace pour attaquer à nouveau avec les armes qu’on aiguise tous les jours.

On se demandait aussi : pourquoi est-ce qu’on se sent autant interpellé.es par les manifs. Et pourquoi pas concentrer notre énergie dans des actions-ninja. Pourquoi attendre la prochaine manif si on peut faire des actions dans la nuit avec des gens de confiance…? Parce que la manif a quelque chose en propre que ces actions n’ont pas : la manif est ouverte, la manif est publique. Dans la manif il y a les gens qu’on ne connait pas, qui ont envie d’être là. Comme nous un jour, qui étions seul.es, et qui sommes venu.es aux manifs. Et qui avons vu se rompre la distance entre ceuzes qui lancent les pierres, et nous-mêmes. Nous-mêmes qui étions là parce qu’on ne trouvait pas d’autre emprise dans notre vie pour nous insurger, pour ‘faire quelque chose’. Alors aller dans les manifs, et se voir devenir les protagonistes de cette rebellion. Ne plus avoir en tête qu’un imaginaire lointain où ce sont les autres qui frappent. Les manifs qui ont ouvert nos possibles, qui nous ont permis d’affronter notre peur des flics, lentement peut-être, au fil des ans. Mais toujours sûrement. À mieux comprendre lentement le terrain, comment les flics bougent, comment se soigner, quand courrir et comment rester calme. Où frapper, et commencer à voir dans chaque banque, voiture de bourge ou édifice gouvernemental une cible. À ne plus seulement voir les flics comme des bourreaux, mais comme des cibles, et des êtres qu’on peut combattre. Le moment où nous avons cessé d’être seulement ceuzes qui regardent. Et même, ce moment où nous regardions les autres. Mais où c’était un regard actif. Nous n’étions plus spectateur.ices. Si nous ne prenions pas la pierre, nous ressentions quand même l’euphorie du geste lorsque la vitre éclatait. Il n’y avait plus de distance entre les lanceur.euses et nous-mêmes. Réduire cette distance. Dans la manif. C’est nous aussi, nous sommes là, nous sommes eux.elles, nous sommes complices, nous désirons ceci, notre être-esprit est dans la pierre qui fracasse.

On voudrait finalement se permettre de questionner la stratégie souvent répétée de caller une manif la semaine suivant une manif réussie, et ce jusqu’à ce qu’une dernière manif ne susciste plus l’enthousiasme et se fasse réprimer férocement. Parce qu’on le sent d’avance, ça avait été dit, que la manif du 18 décembre serait moins forte, qu’elle n’aurait pas les mêmes possibilités que la précédente. Et certain.es d’entre nous ne sommes pas allé.es à cette manif, nous avons donné de la force à cette prophétie auto-réalisatrice, que la troisième manif n’aurait pas l’ampleur de la seconde, ni même qu’elle ne la dépasserait en intensité.

Et jusqu’à la prochaine manif, on compte bien s’agiter pour mieux tracer les intentions qui nous font aller marcher en sens inverse du trafic.

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Pas besoin d’une grève pour se révolter contre l’État : Réflexions sur la manif de soir du 18 décembre

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Déc 222015
 

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La nuit du vendredi 18 décembre, environ 150 personnes se sont rassemblées au centre-ville de Montréal pour une manifestation de soir. Cette manifestation était la troisième d’une série entamée le 30 novembre et continuée le 9 décembre, la deuxième constituant probablement la manif combative la plus réussie à Montréal depuis la grève étudiante de 2012. Le 18 décembre était vu comme la chance d’amener encore plus loin la combativité et le courage nous ayant permis de nous réapproprier autant de temps et d’espace la nuit du 9 décembre.

L’invitation disait : La nuit nous appartient. La jeunesse emmerde le gouvernement, les riches et les fascistes, sans oublier les flics. La lutte ne fait que commencer, pas besoin d’une grève pour se révolter contre l’État. Cette manif sera aussi en solidarité avec les camarades emprisonné-e-s en Grèce et pour le Décembre noir. Contre les violences étatiques nous serons la réplique. Love and Rage

Pour plusieurs d’entre nous, les attentes étaient hautes dû à l’excitation courrant discrètement à travers la ville et au raffinement des stratégies dans la semaine précédente. La foule réunie au carré Berri, moins nombreuse qu’espéré, n’avait cependant pas l’air mal préparée à la rencontre.

La nuit, en revanche, appartient en grande partie à la police. Malgré les roches et les fusées lumineuses lancées en leur direction pendant l’affrontement final sur Ste-Catherine, il leur a été permis de contrôler l’itinéraire de la manifestation à chacune des intersections clés et comme de raison, d’entraîner la manif vers un secteur géographique où il leur fût ensuite facile de disperser la foule à l’aide de gaz lacrymogènes et de charges d’anti-émeute. Alors que la foule était repoussée vers l’Est sur Ste-Catherine, les vitrines de la banque Laurentienne, de commerces gentrificateurs du quartier gay et d’au moins une voiture de police ont été fracassées, mais le caractère désespéré de ces attaques était bien loin du joyeux saccage sur le boulevard René-Lévesque de la semaine précédente.

 

Malheureusement, l’aspect le plus mémorable de cette nuit fût probablement la présence de policiers undercover dans la manif, certains accoutrés de leur risible interprétation du black bloc. Lorsque dénoncés par des participant.e.s de la manif, ceux-ci répliquèrent vicieusement à de nombreuses reprises en tabassant, arrêtant, poivrant ou même en pointant leur arme à feu vers les individus ou groupes qui tentaient de les démasquer ou de les confronter. Il y avait longtemps que les flics n’avaient tenté aussi effrontément d’infiltrer une manif à Montréal, et nous y voyons une réponse directe à la popularité et à l’efficacité des tactiques black bloc du 9 décembre dernier. En envoyant des infiltrateurs aussi aisément identifiables dans des manifestations combatives et en s’attaquant aux participant.e.s, le SPVM énonce clairement ses buts (mis à part blesser et terroriser ses ennemis) : générer la méfiance envers les individus qui choisissent de se masquer pour se défendre contre la répression.

La police espère que l’on associe ceux et celles qui dissimulent leur identité à des agents provocateurs, créant ainsi un climat dissuadant l’adoption de tactiques black bloc et facilitant par le fait même le contrôle policier de la situation. Dans les heures qui suivirent la dispersion de la manif, des images et descriptions d’infiltrateurs se sont mises à circuler de manière virale sur les médias sociaux. Des manifestant.e.s pacifiques jouaient déjà le jeu des forces policières en défendant publiquement la thèse que les attaques envers les flics effectuées par des anarchistes la nuit du 18 étaient en fait orchestrées par la police elle-même par le biais d’agents provocateurs qui (d’après cette logique) auraient mis en danger leurs coéquipièr.e.s afin de se mêler à la foule et de justifier la répression policière qui s’ensuivit.

Le spectre d’undercovers dans les manifs ne date pas d’hier, et nous pensons que les meilleures manières de le contrer demeurent. Parmi celles-ci, les black blocs fournis et bien exécutés où les gens sont impossibles à distinguer les uns des autres empêchent les infiltrateurs de bien suivre ce qui se déroule et de récolter des preuves contre un.e participant.e en particulier. Le bloc et la foule devraient demeurer relativement bien regroupés, pour rendre plus difficile les arrestations ciblées où les forces policières attaquent un individu et l’écartent de force de la foule. Lorsque des manifestant.e.s sont capable d.identifier avec certitude un infiltrateur, celui-ci devrait être éjecté de force de la manif, de manière à décourager l’utilisation de cette tactique. Souvenons-nous de la manif du 15 mars 2010 où le black block s’en est pris aux infiltrateurs déguisés et les a chassés hors de la foule à l’aide de roches, de bâtons et de feux d’artifice. À la suite de cette intervention, la police s’est abstenu de faire appel aux infiltrateurs pendant assez longtemps.

De nombreuses personnes sont légitimement ébranlées par cet incident, mais nous souhaitons également réfléchir à la manifestation dans son ensemble. Nous trouvons encourageante la manière dont nous avons réussi à matérialiser un esprit de révolte au cours des trois dernières semaines, mais nous pensons que vendredi dernier aurait pu être tellement plus, et, sans annoncer publiquement les virages stratégiques que nous souhaitons emprunter, nous désirons offrir quelques pistes de solution au pourquoi de notre si grande vulnérabilité aux interventions policières.

Pendant que des participant.e.s se masquaient au tout début du trajet, des caméras en direct filmaient encore une fois dans toutes les directions. Une analyse provenant d’un compte-rendu sur la manif du 9 mérite d’être soulignée : « Idéalement, nous aurions une culture spontanée d’éduquer les gens sur pourquoi c’est nuisible, et ensuite si nécessaire de prendre action contre ces personnes ou leurs appareils. Nous souhaitons par contre mentionner que plusieurs médias indépendants qui filment de manière régulière les manifs semblent avoir des pratiques solides reliées au fait de ne pas enregistrer ou publier des vidéos incriminantes. » Nous souhaitons néanmoins ajouter que la vidéo, peu importe ce qui est gardé lors de l’édition, devrait être évitée pendant les quinze premières minutes d’une manif (pendant que des personnes se masquent), car elle fournit des preuves précieuses à la police.

Notre position s’affaiblissait à chaque fois que nous laissions les flics nous dicter notre itinéraire en bloquant deux des quatre directions à une intersection, mais il n’y a eu aucun effort majeur de tenter de suspendre la progression de la marche et de forcer les lignes policières ou bien de faire marche arrière (comme le 9 décembre où un volte-face rapide et bien exécuté a permis d’échapper au contrôle policier). Par le passé, nous avons fait l’erreur d’attendre que de telles décisions stratégiques nous soient dictées par des organisateurs.trices présumé.e.s à l’avant de la manif, mais il y a également une forte culture dans les manifs de nuit de s’organiser par la coordination de groupes autonomes proposant et adoptant des tactiques si assez de personnes sont motivées à les mettre en branle. En l’absence de cette intelligence autonome et alors que l’avant de la manifestation dépassait en grande vitesse les intersections bien gardées par l’anti-émeute, chaque quadrilatère était ressenti comme un pas de plus vers le piège que nous tendait la police. Historiquement, grâce à des méthodes variées, nous avons mis fin aux arrestations de masse de même qu’aux cordons de flics nous entourant sur les trottoirs. En ce moment, la nécessité stratégique la plus urgente consiste probablement à empêcher le contrôle de notre itinéraire par des lignes de flics bloquant les intersections comme bon leur semble.

La cohésion du bloc et sa capacité d’organisation résultante laissait également à désirer. Des douzaines de personnes étaient en full bloc, et une cinquantaine de plus étaient au moins masquées, mais nous étions trop souvent dispersé.e.s dans la foule. Le 18, le manque de cohésion a rendu la coordination informelle en temps réel entre les groupes affinitaires plus difficile, et les actions du bloc ont majoritairement échoué à s’appuyer entre elles afin de créer un tout plus grand que la somme des parties. Par exemple, à plusieurs occasions, des lignes de police ont récolté un jet de deux ou trois projectiles – pas assez pour faire flancher un flic derrière son armure. Une pluie de trente roches, d’un autre côté, pourrait réalistement provoquer leur retrait, ouvrant potentiellement un espace pour que la manif se dirige vers un terrain plus favorable. Que le bloc soit capable de se concevoir en tant qu’unité cohésive et agisse comme une seule force serait à même de rendre possible un tel genre de coordination.

Il nous faut également trouver de meilleures façons de parer l’utilisation des gaz lacrymogènes, qui, pour la troisième manif nocturne de suite, ont réussi à disperser la foule.

Nous sommes ravi.e.s de voir apparaître des manifs anarchistes combatives indépendantes des mobilisations étudiantes et qui puissent exister en dehors des moments prévus pour le combat de rue, comme les manifs du 1er mai ou bien du 15 mars. Quand les manifestations combatives peuvent seulement se produire dans le cadre de vastes luttes réformistes, elles sont conçues comme utiles seulement parce que les émeutes renforcent le rapport de force avec l’État, augmentant les chances que celui-ci cède aux demandes du mouvement (contre l’austérité, la violence policière, etc). Les manifs combatives sans revendications mettent une analyse anarchiste du pouvoir en pratique : en refusant de concevoir nos luttes en termes de revendications et de demandes, nous refusons les miettes que nous offre l’État, nous refusons ses tentatives de réaffirmer son contrôle et sa légitimité et nous apprenons à créer notre propre puissance, qu’il leur est ensuite beaucoup plus difficile de nous enlever. Développer notre puissance, développer une lutte anarchiste autonome dans cette ville, engager le conflit avec l’autorité en dehors des horaires, lieux et narratifs préétablis – voilà des buts ayant une valeur intrinsèque.

Les nombreuses manifs-action pendant les grèves nous ont habitué.e.s à utiliser des groupes de quelques centaines de manifestant.e.s pour permettre des blocages et des occupations. L’utilisation de la manifestation combative ouvre une nouvelle possibilité d’action directe avec une capacité de frapper directement des cibles urbaines autrement difficilement attaquables (infrastructures de transport, postes de police, etc…) ou de défendre des territoires libérés (ZAD, squats, etc). Prendre l’habitude d’appeler à des manifestations comme celles des dernières semaines permet aux anarchistes de s’autonomiser des mouvements sociaux réformistes. Il est nécessaire d’appeler ces manifs pour ponctuer le fil des jours avec cette rage destructrice, que ça soit pour donner une force à des événements anarchistes ou en réponse directe à des attaques contre nos luttes.

Plus de ressources réfutant la thèse des agents provocateurs :
In defense of the Black Bloc: disproving the accusations against those who wear masks

Photos des undercover soupçoné.e.s :

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Le Black Bloc reprend les rues de Montréal

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Déc 152015
 

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Durant la soirée du mercredi 9 décembre 2015, une manifestation contre l’austérité s’est déroulée dans les rues de Montréal . Sous la bannière “Notre lutte n’est pas négociable”, le secteur public du Québec était en grève générale plus tôt dans la journée et certains leaders syndicaux ont appelé à des mobilisations comme jamais vues dans les dernières décennies, dans leurs efforts d’augmenter le rapport de force dans les négociations.

L’appel se lit comme suit: « Nous ne nous laisserons pas pacifier par une entente à rabais ou par une loi spéciale! Prenons les devants: notre lutte n’est pas négociable, nous, on ne reculera pas, pouvait-on lire sur la page. Le 9 décembre au soir, reprenons la rue! Réchauffons la ville de nos pas et de nos cris! »

La semaine précédente, pendant la manif de soir du 30 novembre, un black bloc petit-mais-déterminé a attaqué un char de flic immédiatement après avoir pris la rue, s’engageant dans un affrontement de 15 minutes avec l’anti-émeute qui frappait les gens avec leurs matraques et des balles de plastique à l’intersection des rues Ste-Catherine et Bleury. Les succès de cette nuit-là nourrit un momentum pour le 9 décembre. La tension et l’excitation étaient palpables, alors que les gens se rassemblaient au parc Émilie-Gamelin.

Barricades on Nov. 30

Les barricades, Nov. 30

Quelques douzaines de drapeaux noirs ont été distribués dans une foule florissante. Lorsqu’illes ont pris la rue en direction ouest sur l’avenue de Maisonneuve, ceuzes qui n’étaient pas masqué.es au départ ont commencé à se couvrir le visage. Dans les premières minutes, la plupart des participant.es de cette manifestation de 200 personnes ont dissimulé leur identité. Nos ennemis, les médias de masse, n’ont même pas essayé de relater la destruction qui a suivie comme étant le fait d’agitateurs.trices externes comme ils le font souvent; le bloc était indéniablement constitutif de la manifestation entière.

Rapidement, une demi-douzaine de gens ont entouré un nationaliste québécois insupportable qui se pointe à presque chaque manifs et lui ont arraché son drapeau et son signe du Québec, lui donnant un coup à la gorge lorsqu’il a essayé de s’accrocher à ses objets.

Dix minutes après le début de la manif, l’anti-émeute a formé une ligne devant les gens et sur la droite, à l’intersection de Maisonneuve et Ste-Dominique, pour essayer de nous diriger vers le sud où illes préparaient la même manœuvre, aux rues Ste-Dominique et Ste-Catherine. Leur stratégie était claire: nous contenir dans le Quartier latin et loin des cibles de choix près du quartier des affaires, incluant le QG de la police. La foule a eu l’intelligence collective de ne pas laisser la police dicter sa route, et s’est retournée sur elle-même, se dirigeant vers l’est sur l’avenue de Maisonneuve. Des groupes masqués ont été vus partageant des bouts de pavé. La foule a couru vers le sud à travers un stationnement et la cour d’un projet d’habitation pour pouvoir se rendre sur Ste-Catherine, là où la police n’avait pas eu le temps de former une nouvelle ligne pour contrôler notre mouvement.

Ce qui a suivi était une demi-heure d’un jeu séditieux de chat-et-souris pendant lequel la foule a su garder une longueur d’avance face au contrôle policier. Un groupe de six policièr.es à vélo sur la rue Ste-Catherine, s’étant naïvement déplacé.es sur le flanc de la manif, ont été attaqué.es par une pluie de pavés. Des vagues d’excitation étaient ressenties par la foule alors que les policièr.es étaient frappé.es par la peur et les projectiles, s’enfuyant rapidement hors de notre vue vers l’est. C’était parti.

La manif a couru vers le boulevard René-Lévesque, pendant que les personnes plus loin en arrière scandaient de rester groupé.es. La manif a bloqué les 6 voies sur René-Lévesque; et à regarder autour, notre capacité de destruction paraissait significative. Les unités semi-protégées portant des fusils à balles de plastique qui se déplacent habituellement sur les flancs de la manif n’étaient visibles nulle part, ayant été prises au dépourvu par des volées de roches lancées à l’arrière de leur tête pendant la manif de la semaine précédente.

Pendant une période de 20 minutes à couper le souffle, la manif a agi en tant que grande conspiration criminelle. Des marteaux, des bâtons de drapeaux, des bouts de pavé et les poubelles de métal amovibles qu’on trouve à chaque coin de rue ont été utilisées pour trasher les fenêtres de l’Immigration et Citoyenneté Canada, de SNC-Lavalin – un conglomérat de construction, plusieurs banques et autres établissements. Pour ajouter une touche festive, des personnes ont aussi détruit des décorations de Noël accumulées aux entrées des tours à bureaux et ont renversé le sapin de Noël de SNC-Lavelin. Quelques participant.es ont couru en avant et ont brisé la fenêtre arrière d’un camion de police avec des roches, pendant que d’autres ont lancé de gros feux d’artifice vers les camions qui restaient au devant de la manif. Des encouragements éclataient avec le son de chaque nouvelle fenêtre brisée. Des complices inconnu.es pouvaient être vu.es en train de chercher et partager des projectiles; quand la manif a dépassé un site de construction, des camarades ont couru à l’avant pour trouver du matériel à piller et ont réussi en démolissant des pierres décoratives sur René-Lévesque pour en faire des pièces à lancer.

La police a commencé à lancer des gaz lacrymogènes en poussant la manif vers l’est sur René-Lévesque, utilisant des pistolets qui peuvent tirer des cartouches à plus d’un bloc. Au début, ça n’a pas réussi à disperser la manif puisque la foule s’est déplacée vers l’ouest plus rapidement en restant groupée de manière relativement serrée. La manif a commencé à aller vers le nord sur la rue Univeristy, attaquant une autre vitre de la Banque de Montréal sur son chemin. La manif s’est divisée quand elle a fait face à une auto de police qui bloquait une plus petite rue, mais les deux groupes ont rapidement su se regrouper, s’accueillant dans des hurlements de joie. À ce point, la police a continué à tirer des gaz lacrymogènes et la foule s’était réduite à 50 personnes. Les gens se sont dispersé dans les rues avoisinantes pendant que des équipes de police et de camions continuaient d’intimider des petits groupes de manifestant.es qui marchaient sur les trottoirs pour retourner au Carré Berri. Les médias ont rapporté une seule arrestation, celle d’une personne mineure pour “entrave au travail des policièr.es”, mais aucune charge liée à la destruction.

Allons de l’avant

Contre une des brigades anti-émeutes les plus expérimentées en Amérique du Nord, ceuzes qui ont pris les rues ce mercredi ont définitivement renversé le rapport de force en notre faveur, du moins brièvement.

Nous sommes ému.es d’écrire un compte-rendu à ce sujet, car nous voyons beaucoup de potentiel dans la détermination et la préparation des gens; et nous avons quelques réflexions sur les façons dont nous pouvons élargir la portée de ces moments, autant au niveau quantitatif que qualitatif. Pour l’instant, nous vous offrons quelques remarques sur des tactiques qui peuvent accroître le temps et l’espace accessibles aux manifs combatives. Ultimement, par contre, nous souhaitons échapper à la tendance qui existe d’être chassé.es des rues après avoir éclaté quelques vitres, donc briser cette routine de contention.

Ça pourrait avoir l’air de :

  • Apporter des briques/roches/pavés, des feux d’artifice, des outils (si vous sentez que c’est sécuritaire), afin qu’on puisse avoir la capacité de se battre dès le départ et qu’on ne soit pas dépendant.es des projectiles trouvés dans les rues;
  • Les barricades sont nos amies; et nous ne leur donnons pas assez d’amour. Les participant.es peuvent attaquer derrière celles-ci pour prévenir la réussite des tentatives de dispersions; elles ont aussi pour fonction de perturber la ville sur notre passage et de rendre les manoeuvres policières plus difficiles à coordonner. Les créer au derrière de la manif (idéalement d’une manière à ce qu’elles n’entravent pas le mouvement de la manif elle-même) peut aussi bloquer efficacement les chars de police qui essaient de nous suivre;
  • Les gens peuvent aller à la recherche de matériel pouvant servir de projectile, pour les partager avec la foule dans les moments entre les confrontations afin que, lorsque la police frappe avec une force accrue, nous soyons déjà prêt.es à répondre de manière efficace;
  • Les voitures de police qui encadrent la manifestation à l’avant et à l’arrière devraient constamment recevoir des projectiles afin qu’elles se doivent de rester à une distance plus grande que notre capacité de lance;
  • Les policier.ères à vélo et les anti-émeutes devraient être forcé.es à ne pas pouvoir se tenir aux flancs de la manif. Si nécessaire, les participant.es peuvent combler les trottoirs en même temps que la rue;
  • Lors du 9 décembre, plusieurs personnes ont filmé les événements sur leurs téléphones cellulaires sans être dérangé.es. Idéalement, nous nourririons une culture où nous expliquons aux gens pourquoi c’est nuisible, et ensuite si nécessaire de prendre action contre euzes ou leurs systèmes d’enregistrement. Nous souhaitons par contre noter que plusieurs médias indépendants qui filment de manière régulière les manifs semblent avoir des pratiques solides reliées au fait de ne pas enregistrer ou publier des vidéos incriminants. Dans cette vidéo publiée sur YouTube sur la manif de mercredi, par exemple, la caméra change de direction afin d’éviter de filmer des personnes qui détruisent de la propriété, alors que le son d’une vitre éclatée se fait entendre;
  • Les gaz lacrymogènes ont éventuellement réussi à disperser les manifs du 30 novembre et 9 décembre, malgré les efforts mis à relancer les cartouches vers la police et la préparation de tissus imbibés de vinaigre. Le problème principal semblait être la panique qui s’emparait de la foule et non pas les effets physiques des gaz. Il est probable que des appels à rester groupé.es et à procéder tout.es ensemble dans une direction intelligente puissent continuer à diminuer les impacts des armes répressive;
  • Des questions de discours et de propagande: pourquoi, en tant qu’anarchistes, attaquons-nous la ville? Comment ces actions sont-elles connectées à l’austérité? Comment nos luttes dépassent-elles tout focus réformiste ou une orientation vers des demandes? Bien que ces moments d’action conflictuelle rassemblent plusieurs individus dont les perspectives et intentions divergent, il serait intéressant que les participant.es communiquent leurs analyses dans ces moments de destruction. Des petites équipes peuvent venir préparées et coller des affiches dans la ville, faire des graffitis ou lancer des tracts dans la manif ou à partir de points d’altitude.

Ces idées ont bien peu d’intérêt sur papier, alors nous attendons avec impatience la possibilité de les élaborer ensemble dans les rues. Les étincelles constituant notre historique de révoltes et les potentiel que ces étincelles allument un feu réchauffe nos coeurs, car nous ne désirons pas moins qu’une cité en ruines.

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SNC-Lavalin

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L’économie du pouvoir

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Déc 092015
 

06d84e3a2b04ce1195d79bb393058d87Ce texte a été écrit au départ en tant que réflexion après avoir visité des amies pendant qu’elles étaient emprisonnées dans la ville de Mexico. Elles ont maintenant été relâché.es, mais les discussions que nous avions concernant la dignité et les réponses à la répression sont toujours pertinentes. J’espère que cela peut contribuer à des discussions continues à Montréal et ailleurs à propos de comment et quand des anarchistes interagissent avec la répression et le maintien de leur dignité.

“Face à un monde aussi exécrable, que ce soit ici ou dehors, la seule chose que t’as, c’est ta dignité. Quand tu la vends, peu importe si t’as bien encaissé, tu l’as vendue, ta dignité. A l’intérieur de toi, t’es déjà mort.”

– de Nordin Benallal
publié dans le journal anarchiste bruxellois Hors Service.

Je passe du temps avec mes amies dans la cour arrière de Santa Martha, une des prisons de la ville de Mexico, DF (District Fédéral). Nous buvons des cafés sucrés au lait and travaillons sur nos bronzages/coups de soleil, entouré.es de mères câlinant leurs enfants, de pique-niques, et de couples qui baisent. Mes ami.es sont ici faisant face à des charges reliées à une attaque sur un concessionnaire Nissan dans le DF, qui a eue lieu au début de janvier 2014. Il est probable qu’elles puissent rester ici pour un moment, mais au lieu de ressasser ça, nous passions notre temps à parler de tout et de rien, de nos coups d’foudre, des potins à la maison, et évidemment, d’anarchie.

Une conversation qui fait surface le plus fréquemment a été à propos de la dignité, et de ce que ça veut dire de la préserver dans plusieurs différents contextes. Nous parlons de comment n’importe quelle insubordination en prison, même de résister une fouille à nu, peut parfois se traduire par des coups et une relocation en cellule d’isolement. La plus petite résistance qui soit peut résulter en la perte des «privilège» qu’un.e prisonnièr.e peut avoir, tels les visites d’ami.es et de famille. Une accumulation des «mauvais comportements» peut se traduire par un emprisonnement à vie. Tous les jours, nos ami.es qui sont enfermé.es ici font des choix reliés au fait de paraître obéissant.es, ou de refuser la collaboration – mettant ainsi en danger leur santé émotionnelle et physique. Autant qu’à l’extérieur, certaines décisions sont prises en priorisant la dignité, et d’autres, le confort.

C’est au travers de ces conversations que j’ai réalisé que, bien que la dignité soit un mot dont nous prétendons avoir une compréhension générale, tout le monde a une définition différente et spécifique de ce qu’elle représente. Pour moi, la dignité est le processus d’être redevable à un sentiment interne d’amour-propre. En tant qu’anarchiste, c’est reconnaître que je mérite autonomie et liberté; et ce sont les démarches que j’entreprends pour assurer cette vérité.

Avec cette définition, toutes les fois où une autre personne influence comment je me perçois; toutes les fois où je n’ai pas complète autorité sur la manière dont je passe mes jours, je perds une part de dignité. Mais ce n’est pas aussi simple que ça – la dignité n’est pas seulement perdue, elle est échangée. C’est la monnaie du pouvoir, et elle est échangée à gauche et à droite contre des degrés variables de confort et de liberté relative.

Je continue à réfléchir à propos de la dignité que j’ai échangée pour venir ici. À peu près trois tours de fouille de sacs et de corps pour entrer dans Santa Martha. Je pense à comment j’ai exploité mon privilège et échangé ma dignité pour facilement traverser les frontières. Même avant d’arriver, j’ai échangé mon autorité sur la manière dont je passe mes journées afin d’accumuler l’argent nécessaire pour acheter le billet d’avion qui m’amènerait ici. Je pense à comment, tous les osties de jours que je suis en vie, j’échange une parcelle de liberté, de souveraineté, de dignité pour du «confort». Chaque fois que je ne saute pas le métro, chaque fois que je paie pour de la nourriture, chaque fois que je participe au capitalisme et facilite la société, j’échange ma dignité pour de la facilité et du confort.

La dignité est échangée dans une économie du pouvoir. C’est très apparent en prison, où les structures sociales de l’extérieur sont amplifiées à l’intérieur des murs. Par exemple, dans les prisons canadiennes, les objets matériels qui aident à préserver un quelconque sens d’humanité (du café, de la pâte à dents, des timbres postaux, etc.) sont achetés au travers de la cantine. L’argent paie de meilleur.es avocat.es, et avec vient une meilleure chance que l’État examine les abus que subissent leurs client.es aux mains de la prison, et donc qu’il «accorde» la dignité de meilleurs traitements. Autant qu’un plaidoyer aux autorités étatiques est une participation dans l’économie de la dignité, et donc renforce leur monopole sur la dignité en prison. Cet échange d’argent contre la dignité s’opère dans la même sphère économique que le reste de la société canadienne.

Cette économie du pouvoir n’est devenue claire pour moi qu’après avoir visité mes ami.es dans une prison mexicaine, car le système carcéral mexicain est moins bureaucratisé. Même s’il y a une économie formelle à l’intérieur (avec la “tienda” de la prison, l’équivalent de la cantine), il y a aussi une économie plus informelle de dignité/pouvoir: la corruption. Si tu veux garder un peu de dignité en ne te faisant pas fouiller par des palpations intenses, fais juste glisser un billet de 200 pesos aux gardes. Tu veux faire passer à l’intérieur quelques lettres de la maison? Glisse un 20 sur la table… Dans cette économie du pouvoir, qu’est-ce que cela veut dire de maintenir sa dignité? Qu’est-ce que ça voudrait dire d’empêcher que cela devienne une monnaie en circulation? Et combien de fois par jour l’échangeons-nous pour du confort relatif?

Si l’on observe les tendances anarchistes, voici quelques manières par lesquelles la dignité peut être maintenue:

– Au travers des grèves de la faim à l’intérieur comme à l’extérieur des prisons.
– Au travers d’un refus de signer des conditions de sortie restrictives, et ainsi du refus de donner à l’État l’autorité de systématiquement et explicitement surveiller et contrôler leurs actions.
– Au travers du refus des fouilles de leur corps, de leurs maisons et de ce qui leur appartient.
– Au travers du refus de reconnaître les Cours comme ayant l’autorité et la juridiction sur leur vie et sur leur corps.
– Au travers du fait de se mettre «en fuite» ou «en clandestinité» au lieu de faire face à des peines de prison.
– Au travers du refus de collaborer aux enquêtes policières ou de balancer des ami.es et camarades.

Il est révélateur que les moments où nous pensons à et discutons de dignité se produisent lorsque celle-ci va nous être dérobée – dans les moments où l’État a répondu à nos actions avec une répression accrue. La dignité existe à l’extérieur de ces moments, et il est important de réfléchir à la manière dont nous pouvons la maintenir dans notre vie quotidienne. Il va sans dire que, dépendemment de la manière dont chaque individu définit sa propre liberté et souveraineté, ce processus de récupération de la dignité prendra différentes formes.

Je me demande de quoi ça aurait l’air s’il y avait une culture, ici, d’anarchistes qui défendent leur dignité, particulièrement dans le processus judiciaire. La seule fois où j’ai vu une résistance forte et cohérente au système judiciaire canadien, c’était de la part de personnes provenant de différentes communautés autochtones qui refusaient de reconnaître la légitimité de la Cour. D’autres fois, quand j’ai vu des anarchistes ou anti-autoritaristes allochtones essayer de maintenir leur dignité face à la Cour, les actes de résistance ont été écartés, car ils étaient vus comme «ne valant pas le coup». Un petit geste, comme refuser de se lever quand le ou la juge entre dans la salle d’audience, est considéré comme étant «trop coûteux». Il est généralement compris que l’inconfort du coût – que ce soit n’importe quoi, allant d’un regard assassin de la part d’un policier de la Cour au fait d’être accusé d’outrage au tribunal – ne vaut simplement pas le fait d’affirmer sa dignité. Au travers la consolidation de cette compréhension, nous avons fixé un prix à notre dignité – et il est plutôt bas. À quoi est-ce que ça ressemblerait si nous, qui avons vu nos coeurs reflétés dans ceuzes qui ont maintenu leur dignité dans le processus judiciaire, étions pour agir en solidarité avec euzes? À quoi est-ce que ça ressemblerait de créer une culture qui supporte ces actions, au lieu de les considérer comme étant insignifiantes, ou comme «ne valant pas le coût»?

Pendant que je souhaite voir et pratiquer plus d’exemples de dignité étant maintenue, je ne veux pas participer à la création de standards informels ou d’attentes non-dites quant à la manière dont un.e anarchiste devrait agir avec dignité, sans prendre en compte la manière dont l’individu la définit. Ces attentes sont à risque d’être appliquées par des porte-paroles, et sont étrangement présentes par la création d’idoles, de martyres, et de héros. Par le passé, j’ai été témoin de situations dans lesquelles un.e anarchiste est emprisonné.e ou fait face à un processus judiciaire, et ille devient le “visage de l’anarchisme” et, en tant que tel, est tenu de répondre à certaines responsabilités et codes de conduite. Ce genre de traitement prétend que les systèmes judiciaire et carcéral sont d’une certaine manière séparés de cette société. Les valeurs et le caractère fondamental d’un individu ne change pas simplement par le fait d’entrer dans la salle d’audience – ses actions à l’intérieur comme à l’extérieur du processus judiciaire seront reflétées. Si nous, en tant qu’anarchistes, essayons d’imposer à ceuzes qui sont enfermé.es un ensemble de comportements à cause de nos anticipations, nous nous retrouvons à reproduire la dictature de la moralité de notre société.

Personne n’a la responsabilité de me représenter ni de m’inspirer, bien que je ressente de l’affinité avec et trouve de l’inspiration dans les personnes qui font la grève de la faim, ou refusent de signer des conditions de libérations, ou se taisent face à une intense vague de répression. Je suis inspirée et excitée parce que je sais qu’illes agissent de ces manières afin de maintenir leur dignité; je ressens de la solidarité et de la complicité avec les personnes pour qui maintenir leur dignité est la seule câlisse d’option disponible. Il ne s’agit pas de «prouver» quoi que ce soit à l’État et aux dispositifs de sécurité. C’est à propos de trouver la dignité avec une authenticité propre.

Je ressens de l’affinité non pas avec ceuzes qui jouent un rôle spécifique pour la création ou le maintien d’une maudite «stratégie» – je ressens de l’affinité avec ceuzes qui, dans leur coeur, croient qu’il y a une part d’euzes-même qui ne peut être volée, qui ne peut être corrumpue par le capitalisme ou cette société. Je suis inspirée par ceuzes qui savent que, aussi longtemps qu’illes gardent cette partie de soi-même intacte, illes ne peuvent pas être brisé.es.

Nov 062015
 

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Le tract qui suit a été distribué lors de la Marche Trans de Pervers/cité (la «fierté queer radicale»), dont l’itinéraire a été approuvé par le SPVM :

Au cours des deux dernières fins de semaine à Montréal, la police a mis fin à deux des plus gros partys queers de l’été (Cousins le 18 juillet et un party de financement pour Pervers/cité le 25 juillet). Dans le premier cas, un grand nombre de flics ont mené une opération contre La Vitrola, forçant les organisateur.trices à mettre fin au party et dispersant violemment les personnes présentes – plusieurs personnes ont été tabassées et arrêté.es. Dans le deuxième cas (Pervers/cité), une patrouille a gâché la fête avec succès en menaçant individuellement les personnes de contraventions. La réaction des queer du party a été lamentable, a manqué de solidarité et, selon l’opinion des auteurs de cet article, a été « non-queer » (nous expliquerons plus loin ce qu’on veut dire par là). Bien que quelques agitateur.trices se soient efforcé.es de distribuer des masques, le party a rapidement pris fin et les gens se sont éparpillés dans la nuit. Ces attaques policières sont l’une des nombreuses formes de violence envers les queers, mais c’est à celles-ci qu’il est le plus facile de riposter puisqu’elles sont des attaques contre de grands groupes de personnes. Si nous prenons action collectivement, nous pouvons résister et nous pouvons gagner. Ci-dessous se retrouvent quelques raisons expliquant pourquoi nous ne pouvons pas rester les bras croisés et laisser ces choses arriver. Nous espérons qu’elles vous encourageront à prendre un masque la prochaine fois que quelqu’un.e vous en offrira un.

Prémisse 1 : Prends ce qu’il te faut par la force.

La répression n’est rien de nouveau pour la communauté queer, mais l’héritage de notre milieu n’a jamais été et ne devrait pas devenir celui de l’inaction face à la violence étatique. Que ce soit les batailles historiques telles que l’émeute du Compton’s Cafe et les Bash Back blocks aux conférences républicaines et démocrates, ou les luttes contemporaines des Check It «gang» et des Gully Queens de Washington, DC, les individus LGBTQ+ possèdent une riche histoire d’auto-défense, d’action collective et d’antagonisme militant contre l’État et contre quiconque commet des actes de violence envers nous. Nous devrions nous sentir honoré.es et obligé.es de devoir défendre cet héritage. Mais plus encore, dans ces luttes, émeutes et défense d’espaces nous voyons que les queers acquièrent une plus grande protection, de meilleures conditions matérielles de vie et des existences plus épanouies. Sans ces luttes, nous serions encore plus vulnérables aux transgressions violentes, aurions moins/pas accès aux hormones, et n’aurions vraisemblablement pas de milieu queer où exister. Si nous ne poursuivons pas la lutte contre l’intrusion policière dans notre espace, nous perdrons le peu que nous avons.

Prémisse 2 : Être »Anti-Oppression » signifie combattre la police.

En théorie, la communauté queer de Montréal s’engage dans des politiques «anti-oppressives» et de «safer space». À cette fin, des engagements vis-à-vis la modification de notre langage, de nos comportements et de nos interactions avec les autres constituent une part importante du combat contre des systèmes d’oppression de merde tels que le sexisme, le cis-sexisme, la transphobie, la suprémacie blanche et le classisme, mais des changements de comportement personnels ne peuvent être la limite de nos positions anti-oppressives. Le gang connu sous le nom de SPVM est la pierre angulaire de l’oppression raciste, classiste, transphobe et anti-travailleur.euses du sexe dans notre ville, et maintient la paix sociale à coup de répression violente, kidnapping, meurtre et vol. Pour plusieurs queers vivant ici, la police représente une plus grande menace qu’une mauvaise utilisation de nos pronoms ou que des propos transphobes. Si vous êtes blanc.hes, cis, issu.es de la classe moyenne et/ou n’êtes pas travailleur.euses du sexe, vous avez particulièrement le devoir de garder le milieu plus sécuritaire en empêchant la police d’y entrer, en refusant de les laisser interférer dans les événements, et en interrompant activement leurs activités quotidiennes. Garder le silence face aux attaques policières renforce les arguments en faveur du pseudo-consensus entourant le rôle de la police [1. «Policing by consent» sans l’article original.], donne aux flics un plus grand sentiment de sécurité et les encourage à commettre de plus grands actes de violence contre les personnes les plus vulnérables. Avoir des politiques anti-oppression signifie d’être contre la police; ça pourrait vouloir dire de se faire mal ou d’aller en prison, mais pour beaucoup de queers, c’est déjà une réalité qu’illes attaquent la police ou pas. Si vous quittez un espace aussitôt que la police arrive, vous rendez activement cet espace plus dangereux pour d’autres personnes. Même si vous pouvez décider que c’est nécessaire pour votre propre bien-être, il est souvent bien plus sécuritaire de se serrer les coudes. Arrêter 200 à 300 festoyeur.ses est une tâche plutôt ardue pour les porcs, tandis qu’il leur est aisé d’en arrêter 20 à 30.

Prémisse 3 : Queer en tant que position dans la guerre sociale[2. La guerre sociale réfère aux conflits livrés chaque jour contre nous par le capitalisme, l’État, et la police, de même que par nos ami.es, familles, amant.es, et nous-mêmes. C’est une façon de décrire la violence des paradigmes existants dans les relations réalité/social, incluant les luttes pour les changer ou les détruire. Les positions au sein de la guerre sociale sont en changement constant du moment où les individus incarnent de manière constante, simultanée et interchangeable les rôles d’oppresseur.ses et d’opprimé.es. Les lignes de conflit se tracent à travers la réalité physique et immatérielle, et se manifestent comme un tout, du docteur qui choisi le genre d’un nouveau-né, au lancer de briques à travers la vitre d’une banque, ou au projet-même de construire le sujet «humain».]

Le genre et la sexualité sont des forces coercitives et oppressives promulguées contre nous par la société : sans société, sans guerre sociale, nous n’aurions pas les conceptions de genre et de sexualité (ni les rôles qu’elles renforcent) que nous avons. Attaquer les notions de genre et de sexualité de la société et intenter leur transformation radicale (c’est-à-dire être queer), c’est choisir de s’engager dans un front très spécifique de la guerre sociale : c’est mettre les limites à respecter et ouvrir les hostilités envers le reste de la société. Si les queers cessaient d’établir cette limite, alors le Queer ne serait plus : le Queer ne peut exister qu’en tant que négation des genres et de la sexualité imposés. Si l’identité queer est assimilée par le projet social, alors la «queerness» deviendra simplement un autre mécanisme oppressif. Une partie du rôle de la police est de défendre et de protéger les articulations normatives du genre et de la sexualité en plus de défendre la «société» au sens large. Par la définition-même de la «queerness», nous nous devons d’entrer activement en conflit avec la police. En ne luttant pas contre elle, nous défendons les paradigmes existants du genre et de la sexualité et nous réprimons activement la «queerness».

Prémisse 4 : C’est l’fun!

Il y a mieux qu’être ivre et danser jusqu’à en avoir mal au pied : la joie intense que ressentent les personnes qui combattent la police dans la rue est une chose qu’un dealer rêverait de mettre sur le marché. Si être queer veut dire former de nouvelles sortes d’interactions et de relations sociales excitantes, étranges et significatives, alors qu’est-ce qui pourrait être plus intéressant, excitant et étrange que de démanteler activement l’État, main dans la main avec votre/vos nouvelle.s rencontre.s? Que de briser des vitres ensemble, de danser sur le toit d’une voiture de police démolie et de s’enfuir dans la nuit pour faire l’amour d’une joie criminelle. Nous ne voulons pas trop glamouriser les conflits où des ami.es se font blesser, mais lutter ensemble et gagner est l’une des expériences les plus excitantes, joyeuses et libératrices que ces auteur.es aient jamais eues. Ça serait pas l’fun, chasser les porcs hors de nos rues et transformer toute la fucking rue en party queer?

Ce communiqué a été écrit par « The Angry Trans Mob ». Nous sommes un groupe de personnes trans venant différents milieux, luttes et expériences qui considérons nécessaire l’expansion du conflit entre le milieu queer de Montréal et la police/l’État/les transphobes. Nous sommes solidaires avec toutes les personnes défendant leur communauté (qu’il s’agisse d’espaces physiques/districts/villes ou d’idées métaphysiques/identités/formations) contre la domination, les attaques, et la destruction, peu importe les armes qu’illes choisissent d’employer. Nous espérons que ce communiqué inspire des gens à prendre action.

Et rappelez-vous, les enfants!

Dead cops don’t kill!

 

Quelques éclaircissements, réflexions et réfutations

▼ Lorsqu’on parle de combattre, nous souhaitons clarifier que nous ne concevons pas la violence comme inhérente au combat (non pas que l’on s’oppose à la violence), ni nécessairement comme étant la prise d’action violente (que nous supportons). Nous concevons le combat comme étant toute non-conformité, que ce soit de rester près et solidaires pour prévenir des arrestations ciblées, ou qu’il s’agisse de jeter un cocktail molotov sur une voiture de flic. Nous ne pensons pas que tout le monde devrait être prêt à faire chacune de ces choses, mais nous croyons que chacun.e doit être prêt.e à les soutenir et les faciliter.

▼ Pour nous, l’espace ne se limite pas à un party ou un événement en particulier. L’espace s’étend de manière physique et immatérielle, suivant et gravitant autour de toute idée que les gens qualifient de queer, qu’il s’agisse d’identité personnelle ou de lieux physiques. Le milieu est un «espace», dans cette perspective nous pensons que plusieurs «espaces» peuvent occuper un même lieu. Par exemple, lorsqu’on empêche l’intrusion de la police dans un certain party, on défend à la fois le lieu et l’espace du party, mais aussi l’espace queer entant que concept, et l’espace du milieu entant que formation. Pour ces raisons, nous pensons que la défense de tout lieu queer quel qu’il soit (que ce soit cousins, le salon du livre queer, un sex party, etc.) est essentielle au maintien du concept de l’espace queer, qui agit comme filet de sécurité pour les personnes les plus ciblées par la répression. Une attaque envers un party queer est une attaque contre la «queerness». Si suffisamment de party sont réprimés, le nombre d’espaces occupés par la «queerness» s’en trouvera réduit.

▼ Nous sommes contre le discours selon lequel certaines Diasporas de gens ne peuvent s’engager dans le conflit à cause d’oppressions qu’elles vivent ou de dangers auxquels elles font face. Bien que nous supportions complètement toute personne sentant qu’elle ne peut s’engager dû à des questions de statut, de race, de classe, de genre, etc., nous croyons que les discours énonçant que «telles personnes ne peuvent faire x…» sont souvent infantilisants, faux et condescendants. Bien qu’on ne doive jamais attendre d’une personne une manière d’agir précise (à moins qu’elle le souhaite), on ne devrait pas non plus présupposer ses capacités à sa place. Partout dans le monde, des personnes dans des situation précaires luttent (souvent illégalement), et ce malgré le coût possiblement encouru. Cela équivaudrait à dire, par exemple, qu’une manifestation qui a été approuvée par la police a plus de chances de procurer un meilleur sentiment de sécurité aux gens qu’une manifestation illégale – si on ne connaît pas le vécu personnel des gens, on ne peut savoir si la collaboration entre les organisateur.trices et la police est perçue comme étant plus sécuritaire que la tenue d’une manifestation illégale. De plus, si la collaboration avec la police découle de l’improbabilité que des actes illégaux prennent place dans la manif, ou si elle prend place pour que certaines personnes s’y sentent plus en sécurité, on isole alors davantage ceux et celles dont l’illégalité est inhérente à leur vie et existence. Les hiérarchies du danger telles qu’établies par le milieu devrait constamment être sujet de débat et de contestation.

▼ Nous rejetons l’idée selon laquelle le fait d’être mâle et blanc soit inhérent à la résistance violente. Nous pensons que cette position est souvent utilisée pour délégitimer des tactiques ne correspondant pas à l’idée que certaines personnes ont de l’acceptabilité. C’est sexiste et trans-mysogine, en plus d’être historiquement erroné.

▼ Bien que nous supportions fermement l’auto-identification, nous rejetons le postmodernisme et l’idée que tout peut être appelé «queer». Nous croyons que le queer est un positionnement connecté à d’autres (à ce titre, une personne cis ne peut être trans, et une personne s’auto-identifiant trans ne peut être cis). Ainsi, la police ne peut être queer, car le rôle qu’elle incarne dans le renforcement des paradigmes existants de genre est de facto contre la queerness. [contra queerness dans le texte original].

Avr 212015
 

De Anti-dev

Notre traduction de « A Blast From The Recent Past », une entrevue avec un gréviste anarchiste sur son expérience et sa perception de la grève étudiante de 2012 au Québec, publiée dans le récent numéro de Fire to the Prisons (« Feu aux prisons »). On trouve que l’interview fait un bon retour critique d’ensemble en amenant une perspective historique plus large de la grève éudiante par ici (du moins depuis les derniers 10 ans… ’96 commence à être déjà une autre époque). À la lumière de la tournure plutôt dramatique des événements récents dans le milieu étudiant, on a cru bond de rafraîchir la mémoire de certain-es et éduquer d’autres sur le passé de cette lutte, surtout sur toutes les bonnes réalisations laissées derrière sur le chemin tortueux de la révolte, pouvant être reprises comme tous ces trucs cools et parfaitement réutilisables qu’on trouve souvent sur le bord des routes d’UNE SOCIÉTÉ DE MERDE QUI VEUT SIMPLEMENT PAS S’ARRÊTER… même avec des votes de grève. Surtout pas avec des votes de grève.

(D’autres textes de l’intérieur du Printemps 2015 seront retransmis ici prochainement. Vous êtes aussi invité-es à nous filer vos propres textes si vous avez des réflexions, sentiments, critiques, questionnements à communiquer.)

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En février 2012, lorsque le mouvement Occupy s’atténuait, une grève a éclaté contre les mesures d’austérité dans le système d’enseignement supérieur au Québec. Se voyant mpêché d’occuper des immeubles comme il a fait en 2005, le mouvement étudiant a développé une stratégie d’interruption économique: bloquer les entreprises, interrompre des conférences et des événements touristiques, et propager le chaos dans les rues. À son sommet, il a entraîné un désordre surpassant tout mouvement en Amérique du Nord depuis une génération. Ce qui suit est un interview avec Steve Duhamel, alias « Waldo », un ex-étudiant et Québecois frustré.

Feu aux prisons : Qu’est-ce que c’était le contexte pour les soulèvements, mobilisations et émeutes massives qui ont éclaté à Montréal en 2012 ? Qu’est-ce qui a eu lieu avant ces événements et les a propulsés?

Waldo : Le contexte initial a toujours été la tension croissante entre les étudiants et le gouvernement sur la question de la hausse des frais de scolarité et l’idée plus large de ce que devrait être une éducation publique. C’est assez ennuyeux, mais il s’améliore. Nous avons toutes et tous su, avec deux années d’avance, que cette hausse était prévue, et au fil des mois et années précédents il a eu diverses actions et manifestations pour avertir le gouvernement que ceci ne passerait pas. Ce gouvernement, au pouvoir déjà pendant 9 années, s’en fichait de ces manifs et a décidé avec arrogance de continuer d’avancer ses plans. Ils croyaient qu’aucune opposition  »politique » (au sens de la politique officielle et traditionnelle) pourrait les arrêter, quoi qu’ils faisaient, et que leur grande légitimité leur permettrait de réprimer toute  »politique de la rue » qui ne reconnaîtrait pas son autorité.

Pour offrir un bref survol du contexte, disons que ce qu’on appelle la société est devenue plus polarisé que jamais, parce que les deux partis politiques qui gouvernent le Québec ont un programme néolibéral de droite et qui se faisaient prendre à tour de rôle à faire des réformes de merde pendant 30 ans pour préserver leur maudite croissance économique. Le parti d’opposition du Parti Québecois (PQ) se présentait comme le défenseur des francophones contre l’hégémonie culturelle anglo-saxonne, mais ils avaient perdu quelconque légitimité qu’ils avaient à force de faire la même merde que les fédéralistes du Parti Libéral Québecois (PLQ). Donc les mouvements sociaux se sont peu à peu éloignés du PQ, qui lui-même est né de l’agitation des années 1960 (et sa récupération). Pendant longtemps, ceci a contribué à nuire à tout soulèvement et à justifier ce que certains traitent de collaboration de classe entre les patrons et les pauvres. Mais à présent, la PQ a du malheur à convaincre le public québécois que l’état pourrait bien les servir. Une hausse des frais a la dernière fois mené à une grève étudiante générale en 1996 pendant que la péquiste Pauline Marois (la même qui sera élue suite au mouvement de 2012) était ministre de l’éducation. Qui aurait pu croire en elle quand elle est revenue pour opposer Charest ?

Tandis que le PQ dissimule son agenda sous un mince verni social-démocrate, le très ‘libéral’ PLQ s’en fout des pauvres et ne s’occupe pas de fausses consultations publiques avant de vendre la province aux promoteurs, à les sociétés minières, pour la fracturation, et le reste. Le Parti Libéral du premier ministre Jean Charest est revenu au pouvoir en 2003 et aussi tôt qu’en 2005 une grève étudiante importante a lutté contre son plan de couper une grande partie des programmes de bourse (qui étaient censés être remplacés par des prêts, donc encore de la dette). La grève de 2005 était impressionnante dans ses formes d’action, et son esprit était toujours présent pour les participants à la grève de 2012 (par exemple, la grève de 2005 était beaucoup plus importante que ce qui c’est produit en Californie en 2009, mais les événements au Chili pendant ce temps ont inspiré certains). Dès le début du mouvement, beaucoup d’étudiants se méfiaient des fédérations réformistes et même des plus militantes, comme l’ASSÉ. Grand nombre de gens savaient également que la force de la grève venait de la multiplication incontrôlable de diverses perturbations économiques et institutionnelles. Et les actions et discours significatifs du mouvement ne provenaient pas de l’idéal ultra-démocratique de l’unité. Cela entraîne votre deuxième question.

FP: Quelle était la relation entre les anarchistes et groupes autonomes aux tendances insurrectionnelles et les associations étudiantes ?

Waldo: Il n’y avait pas une seule attitude parmi les anarchistes envers les fédérations. Ils-elles se sont tous-tes mises d’accord de critiquer même l’ASSÉ (la fédération la plus militante qui réclame l’éducation gratuite et une sorte d’autogestion) pour ses revendications réformistes, même les insurrectionnelles trouvaient ça cool que l’ASSÉ existait, ou moins la CLASSE (la coalition de l’ASSÉ et divers autres syndicats indépendants) parce que cela rendait plus facile la tâche d’organiser une mobilisation à grande échelle, de créer l’événement qu’on pourrait ensuite dépasser. D’un côté, certains anarchistes croient vraiment que le modèle de la démocratie directe dans les assemblés syndicales des fédérations est valide, qu’il ne faut qu’aller plus loin, et que le problème c’est le manque de conscience ou de perspective radicale de ses adhérents. Ils-elles croient qu’il est question de la radicalisation de ces milieux et de critiquer leurs discours sur la non-violence ; beaucoup d’entre eux souhaitent qu’il n’y eut pas de contradiction entre le black bloc et les fédérations. Il y en a aussi qui rêvent de la démocratie directe, mais qui sachent qu’on ne peut rien attendre aux fédérations à part la trahison, donc nous devrons établir nos propres espaces et assemblés, s’organiser hors les syndicats du genre  »formule Rand » dont on ne peut pas se débarrasser.

Les tentatives d’établir de telles assemblés parallèles ont largement fini en échec, en 2012, à l’exception d’une courte période à la fin de mai et en juin, quand des gens avaient de grandes assemblés de quartier, nés des manifs de casseroles énormes contre  »la loi spéciale ». De l’autre côté, des autres tendances anarchistes ne croient ni que les syndicats pourront être la base d’une société anarchiste à venir ni à toutes ces mythes de la démocratie radicale. Tandis que certains s’impliquent à une perspective nihiliste d’affrontement, contre toute formation et toute revendication possible, d’autres pensent qu’il n’a jamais été question de soutenir ou s’opposer aux syndicats, qu’il ne faut simplement jamais croire en eux et que nulle solution ne proviendra d’eux, ni de l’école en générale. Par contre, ils-elles posent la question de comment s’engager avec eux et voir le potentiel, au delà du moralisme et de la pureté radicale. Comment peut-on se composer avec les fédérations, s’ils existeront en tout cas ? Peut importe, les fédérations doivent être considérées comme des étrangères, avec qui on ne peut pas s’identifier mais où on peut intervenir, se retrouver, et les utiliser d’une manière ou d’une autre.

FP : Avant le début des grandes manifestations de rue, les étudiants-es ont occupé des immeubles. Comment est-ce que ces actions ont pavé le chemin pour la suite ? Est-ce que ces occupations initiales étaient influencées par les occupations étudiantes aux États-Unis et ailleurs ?

Waldo : En effet, je ne dirais pas que 2012 se distinguait par des occupations, à l’exception de la rue elle-même. Quelques actions impliquaient le barrage des écoles ou d’édifices publics, la perturbation des centres de finance et autres, mais aussi bien que je le sache, aucune des écoles en grève n’étaient vraiment occupées. Le premier jour de la grève, des gens se sont emparés du célèbre CEGEP du Vieux-Montréal (un collège pré-universitaire au centre-ville), dont les occupations étaient considérées le bastion du mouvement étudiant dans les grèves étudiantes précédentes. Mais cette fois-ci, des centaines de robo-flics entièrement équipés sont arrivés tout de suite pour rappeler aux jeunes que la révolution, ce n’est pas une partie de plaisir et ils les ont foutus dehors. Environ 45 personnes étaient incarcérés et bannis légalement des manifs pendant plusieurs mois. Les autres se dispersaient à force des grenades assourdissantes et de cayenne. Le collège fut ensuite verrouillé pendant les six mois de grève suivants. *

Ce qui n’est pas à dire que les gens ne voulaient pas occuper ou qu’il ne s’agit pas d’une partie de notre mythologie, mais en fait les gens n’utilisaient même pas les espaces universitaires pour réunir ou organiser le jour. En 2005, plein de gens organisaient des sleep-ins sur les divers campus et de préparer des tonnes de nourriture pour soutenir les occupations et permettre aux gens de faire front commun en première ligne. En 2012, la grève à surtout eu lieu dans les rues, les gens toujours en mouvement, défilant à l’infini ou jusqu’à ce que leurs feux finissent par se consumer – quand ces feux n’arrivaient pas à consumer d’autre chose. Oui, il s’agissait d’une occupation de la rue, mais j’ajouterais que c’était une occupation mobile en deux sens: 1) Il n’y avait que quelques tentatives de s’emparer d’un espace extérieur public et de la garder, et elles ne visaient jamais à durer plus long que quelques heures (j’ai entendu parler d’un camp ‘occupy’ en dehors de l’université de Montréal, mais ça n’a pas marché) et 2) à part cela, on pourrait dire que c’étaient les étudiants-es eux-mêmes qui se trouvaient occupés-es, par Twitter et Facebook et toutes ces conneries. Sans doute, la grève était vraiment ‘occupée’ par tous ces nouveaux outils de ‘communication’, livestream et tout cela.

FP : Les anarchistes et les autonomistes insurrectionnel-les ont avancé leurs idées au moyen de publications et ont vu plusieurs étudiants-es se joindre à eux pendant les manifs annuelles du 15 mars contre la brutalité policière. Peux-tu nous parler de comment les idées anti-autoritaires et insurrectionnelles ont répandu et ont acquéri une nouvelle importance pendant cette période de lutte ? Par exemple, les anarchistes et insurrectionistes ont beaucoup parlé de comment la pratique de porter des cagoules s’est répandue à force que les militants-es les portent au sein des manifs et émeutes et qui ont également expliqué à l’aide de tracts et de conversations pourquoi ils-elles faisaient cela.

Waldo : Moi je dirais, par contre aux mouvements précédents, que cette grève était énormément riche de littérature radicale, surtout pendant les mois avant son début, mais ensuite il n’y avait presque rien de constant produit durant le mouvement. Il semblait que chaque tendance politique ou cercle anarchiste ou quoi (souvent nés du mouvement de 2005) avaient leur propre publication toute prête avant la grève afin de clarifier certaines choses, de partager leurs leçons des autres luttes et d’avancer certaines propositions.

Une fois la grève lancée, peu de textes circulaient, à part certaines opinions sans valeur sur l’internet. Mais quand même, de ce que je me rappelle, à un certain moment (après une manif ou quelques connards sur-excités ont cassé la gueule à deux ou trois potes vêtus-es de noir) il circulait au moins une douzaine de tracts qui critiquaient l’idéologie pacifiste et autoritaire qui sapaient la solidarité parmi les manifestants-es. Portant sur les masques, je crois que c’est la pratique de se masquer plus que la littérature qui a entraîné l’usage répandu des cagoules, ainsi que l’habitude des flics de filmer les manifestants de manière systématique. Même chose pour la manif du 15 mars, je crois qu’elle a grandi à cause du contexte, où plein de gens subissaient la répression quotidienne aux mains de flics énervés et un type a perdu son œil quelques trois jours avant la manif. Même le maire a fait la publicité pour la manif au télé, en faisant l’appel aux gens de ne pas y aller!

FP : Comment est-ce que le mouvement étudiant c’est élargi pour occuper le terrain social plus large?

Waldo : Bref, il me semble que dès le début, les étudiants-es jouissaient d’un soutien populaire, rendu visible par les millions de gens qui portaient le carré rouge et par les manifs de 500 000 personnes, comme celle du 26 mars, en majorité non-étudiants-es, qui montraient l’impopularité croissante du gouvernement Charest. Les gens en avaient assez et les étudiants-es étaient les seuls-es capables de se mobiliser à une échelle massive, car les syndicats du travail et les lois qui les gouvernent sont tels qu’il est impossible d’organiser et de gérer une grève générale sur la base des syndicats.

Beaucoup de non-étudiants-es ne voulaient pas trop s’impliquer dans le mouvement, car ils-elles croyaient que ce n’était pas le leur, alors ils-elles sont restés-es dans une position de solidarité. Ce qui a transformé la situation c’était l’attitude arrogante et insolente du premier ministre Charest, ses provocations constants et surtout sa déclaration  »d’une loi spéciale », pendant la nuit du 17 au 18 Mai, qui a rendu illégale les manifs et a imposé de lourdes amendes contre les grèves, les occupations, les barricades et ainsi de suite. Cette loi a également fermé les écoles, ce qui permettait aux entreprises d’embaucher des travailleurs saisonnières pour l’été et de plus elle avait un effet démobilisateur, car il n’y avait plus de cours à bloquer. Le pire, c’était peut-être les élections annoncées pour la première semaine de Septembre. Les semaines qui suivaient l’annonce de la sale loi ont vu une réaction sociale sans précédente : de manifs quotidiennes dans diverses villes et quartiers, avec des milliers de personnes qui défiaient l’État ; on voyait nos voisins-es inconnus-es qui nous souriaient et répétaient le refrain commun :  »La loi spéciale, on s’en câlisse. »

Ensuite, je dirais que dès la semaine du Grand Prix (vers le 10 Juin), des gens commençaient peu à peu à prendre une pause, à partir en vacances jusqu’au commencement anticipé de la vraie guerre. Le gouvernement a exigé que les écoles s’ouvrissent le 13 Août, les CÉGEPs en premier, mais même la motivation des grévistes les plus déterminés-es n’a pas pu éviter que plusieurs assemblés votent, par une légère majorité et avec un sentiment de tristesse, pour ne pas poursuivre la grève. Beaucoup d’étudiants craignaient perdre leur semestre ou trouvaient ça inutile de rester en grève, car l’élection subite a fait qu’il n’y avait plus de gouvernement avec qui négocier. Cela nous a bien foutu. Les gauchistes commençaient à dire qu’il valait mieux se mobiliser pour les élections afin de chasser Charest du pouvoir. Ceci explique une grande partie de la diminution de soutien populaire ; beaucoup de gens pensaient qu’on devait laisser tomber nos briques et nos pierres pour passer aux urnes.

La suite n’a étonné personne. Le PQ a accédé au pouvoir, avec seulement une minorité de l’assemblé, la sotte Marois est devenue la première ministre et elle a proclamé l’abrogation de la loi spéciale et a annulé la hausse des frais de scolarité pour le moment. Mais cela n’était qu’un tas de merde: il lui a fallu quelques semaines avant de dire qu’il faudra bientôt négocier une hausse. Elle n’a pas non plus révoqué toutes les lois municipales mises en effet pendant le mouvement qui criminalisaient, par exemple, l’emploi des cagoules et les manifs sans permission policière. Le plus ridicule de cette histoire c’est que Marois, qui a survécu un attentat la nuit de son élection mené par un cinglé de plouc anglophone enragé, n’a pas pu survivre son geste réactionnaire et populiste l’année après: la tentative d’imposer une  »charte de valeurs » censé protéger la culture québecoise  »séculaire » contre les influences étrangères. Donc le PLQ multi-culturel est retourné au pouvoir moins d’un an et demi après la fin de la grève que nos drôles camarades syndicalistes traitaient de victoire.

FP : Pendant Occupy aux États-Unis, nous avons vu que lorsque l’État a attaqué, le mouvement a succombé rapidement. Cependant, à Montréal, nous avons vu des gens passer à l’offensive. Est-ce parce que les gens ont trouvé qu’ils-elles pouvaient gagner les combats dans les rues? Comme dans les moments célèbres où les porcs prenaient leurs jambes à leurs cous et fuyaient?

Waldo : Ni les Québécois-es ni les Montréalais-es sont plus courageux-euses, ou même plus anarchistes, que les gens ailleurs. La fin du mouvement a fait preuve de cela. L’explication de la situation est dans ses particularités: un gouvernement à la limite de l’arrogance face à un mouvement massif et résolu qui permettait à sa base une grande autonomie, le tout dans une société très soudée que les retentissements traversent rapidement. Ceci explique peut-être pourquoi les campus anglophones n’étaient pas tellement mobilisés, même s’ils l’étaient plus que jamais auparavant. Les gens étaient crinqués par Charest et les flics, qui avaient sous-estimé la détermination des étudiants et leur soutien populaire (la politique, c’est souvent un pari risqué). Ceci a entraîné facilement une escalade, car les gens se voyaient comme forts et ont décidé de casser la gueule à quelques flics.

FP: Peux-tu nous parler de comment la résistance au Plan Nord a réuni les luttes anarchiste, étudiante, et autochtone ? Peux-tu nous expliquer ce que c’est le Plan Nord et pourquoi les gens s’intéressaient à le détruire ?

Waldo: Le Plan Nord, ce n’est qu’un nom pour une nouvelle étape de la colonisation flagrante dans la partie nord-est du continent revendiquée par les États colonisateurs du Canada et du Québec. Il n’est pas clair à quel point les étudiants-es normales-aux qui manifestaient contre Charest prenaient le Plan Nord au sérieux, et combien parmi ceux et celles qui ont attaqué la conférence du Plan Nord le faisaient à cause de leurs convictions anti-colonialistes ou écologiques ou quoique ce soit. Bien sûr il y avait une sympathie officielle dans le mouvement pour ces luttes, mais la perturbation de la conférence et l’émeute qui s’ensuivit étaient possibles parce que tout le monde savait que ça ferait chier Charest, car il était tellement fier de son précieux Plan Nord, que toute personne décente reconnaissait comme du vol. Je pense toujours que ce genre de bouleversement social révèle combien les luttes qui apparaissent différentes sont liées et influencent les unes les autres. Les étudiants-es s’impliquaient dans la grève et c’est par cette voie qu’ils-elles se sont intéressés-es aux luttes des peuples autochtones et en particulier la bataille contre le Plan Nord.

FP : Quand le gouvernement a interdit les manifestations de plus de cinquante personnes, le mouvement s’accroissait et plus de gens s’impliquaient. Des assemblés populaires et communautaires s’établissaient. Peux-tu nous parler de ces réunions ? À quel point se sont-elles généralisées ?

Waldo : J’en ai déjà parlé, mais disons que ces assemblés se sont produites spontanément dans au moins une dizaine de quartiers à Montréal pendant un mois. Elles se réunissaient environ une fois par semaine, dans un parc ou centre communautaire et, selon le quartier, entre 30 et 300 personnes participaient. Ce nombre diminua au long de l’été et à force -il faut l’admettre- de formaliser et devenir semi-institutionnelles. Ce qui est intéressant c’est combien les questions d’organisations étaient différentes de quartier à quartier. Il y avait des groupes obsédés par la structure et des mécanismes complexes censés prévenir la domination et les habitudes oppressives; d’autres étaient plus détendus, mais pas pour cela plus efficaces; d’autres se concentraient sur des questions communautaires tandis que d’autres restaient en position de solidarité vers le mouvement étudiant.

Ben, c’était trop peu trop tard je suppose. J’imagine que ça aurait pu être différent si les assemblés auraient commencé plus tôt dans l’histoire du mouvement et surtout (avec réalisme) si la grève aurait continué en septembre. Elles auraient totalement changé le caractère du mouvement. Établir des espaces hors des assemblés des associations étudiantes pour discuter et organiser la lutte, ça aurait permis au mouvement de généraliser davantage aux questions et aux lieux non-étudiants. L’élection a vraiment nui à ce potentiel.

FP : Dans un interview avec Submedia, un-e anarchiste participant-e à la grève a discuté de l’emploi des projectiles pour créer et défendre l’espace contre la police et le rôle de l’attaque physique à étendre la grève. Peux-tu parler de ça ?

Waldo : Je ne sais pas trop quoi en dire. Est-ce le développement de la lutte qui permet l’attaque, ou bien est-ce l’inverse? Ou est-ce que l’influence va dans les deux directions? La capacité d’attaquer n’entraîne pas l’impunité. Beaucoup de gens ont été gravement blessés-es sans rien en tirer. Les anarchistes ont beaucoup parlé les quinze derniers années de  »la diversité de tactiques », mais peu de gens ont considéré une diversité de stratégies, ce qui laisse le problème aux chefs syndicaux, les Léninistes, et les social-démocrates. Et aux flics et aux capitalistes. Supposons qu’il y ait un affrontement. Nos actions, créent ou défendent-elles un espace ? Ce n’est pas évident. Je ne m’oppose pas à toute action directe, mais je note parfois une croyance dangereuse que l’action directe est bonne en-soi, mais souvent elle nous affaiblit. À un certain moment, le black bloc était une tactique, mais de nos jours il ressemble souvent à une idéologie, une identité. On ne doit jamais dénoncer les camarades qui s’impliquent dans ce genre d’action et il faut être prêt autant que possible de les protéger des flics et des pacifistes violents-es, mais l’attaque ne peut jamais remplacer la nécessité d’avoir une stratégie. Cela entendu, il ne s’agit pas d’une question d’attaquer ou non, mais de comment attaquer, de lieu et de tempsFIre. Comment peut-on attaquer d’une telle façon à nous renforcer au lieu de nous isoler? Ce sont des questions sérieuses.

Il ne faut pas négliger l’anxiété que provoquent les actions directes parmi les activistes et leurs amis-es, quand ça se fait de façon irréfléchie et est vu comme une vertu radicale. L’attaque toute seule ne rend pas les gens capables ou disposés à attaquer eux-mêmes, mais ce qui le fait c’est la puissance qu’on développe à travers nos divers liens, des expériences et des espaces communs, le partage de matériaux, d’outils, d’histoires, de langages, d’amour et de confiances. Beaucoup de choses entrent en jeu à l’heure du combat et c’est de ça qu’on tire notre force ; on ne peut pas risquer ceci pour une question de pureté ou d’une croyance romantique dans le pouvoir de l’action. Une action ne se révèle pas bonne parce qu’elle vise le bon ennemi ni parce que ces intentions sont bonnes: elle n’est bonne que lorsqu’elle nous rend plus forts-es. N’opposons pas une autre moralité à celle des pacifistes pathologiques.

FP : Qu’est-ce que l’avenir réserve pour ceux et celles à Montréal ? Verrons-nous des perturbations continues dans les universités et ailleurs ?

Waldo : Tout est possible. La hausse des frais de scolarité se fait montrer de nouveau et les assemblés se sont déjà mobilisées. L’expérience de 2012 est toujours proche et beaucoup de gens ne veulent pas perdre ce qu’ils-elles ont appris et créé. La machine de répression est mieux préparée et plus résolue qu’auparavant, et il est difficile de constater si les gens le sont aussi. Il y a des préparations qui se font hors des syndicats et la menace électoral ne devrait pas se présenter cette fois-ci. Il n’est pas clair s’il y aura autant de soutien populaire, mais il est possible que d’autres syndicats du secteur public feront la grève dans les mois qui viennent (même les flics protestent contre le gouvernement ces temps-ci). À mon avis, nous ne devons nous attendre à rien et faire ce qu’il faut faire. D’ailleurs, les choses arrivent toujours, il n’est que question de rester prêts-es.

FttP

* Note (pas des auteur-es): preuve que même quand ça échoue, une occupation peut avoir effet positif considérable du fait de la menace qu’elle peut faire peser sur les bureaucrates de l’établissement, les forçant dans une impasse stratégique. En étant sous verrou, il n’y avait plus besoin de levées de cours, ni d’absurdes votes de reconduction réguliers, et une suspension des activités lucratives pour les profiteurs de CÉGEPs

Mai 122014
 

Chèr.e.s camarades,

Pourquoi insistez-vous sur l’organisation à l’intérieure ou en parallèle de plus grandes manifestations, ou de dates symboliques établies ? Des moments où non seulement vous savez que les attaques de la police viendront, car tout l’appareil répressif sera organisé, coordonné, déployé et habilité par leurs lois et leurs technologies, mais où vous vous ferez également rappeler de surveiller vos arrières des masses hostiles dans la rue (n’avez-vous pas encore vu, les masses prêtes à vous piétiner sous leur peur?), toute l’amalgame de la gauche qui veut maintenir et gérer la domination alternativement, les stools et les paciflics comme nous les appelons à Montréal, déjà piégé.e.s à l’avance dans une souricière entre flics et citoyens, encore plus que lors d’une journée normale. Continue reading »

Mar 212013
 

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Par ces lignes, nous désirons ouvrir des voies de communication et une perspective critique sur les pratiques des anarchistes dans les rues de Montréal, au niveau tactique. Nous voyons continuellement les mêmes erreurs commises dans les manifs et nous pensons qu’elles sont imputables au fait que la réflexion sur ces sujets dépasse rarement les limites des groupes affinitaires. Nous pensons que la quantité limitée d’information nouvelle que la police pourrait apprendre de ces réflexions générales est largement dépassée par les possibilités qui s’offriront à nous dès que nous serons plus aptes à agir en tant que force collective dans la rue. Nous espérons que d’autres se sentiront interpellés par ces réflexions et participeront à les approfondir à l’intérieur de nos réseaux, que ce soit sous la forme de textes anonymes ou dans leurs discussions avec leurs camarades. Voici donc quelques réflexions qui proviennent de trois groupes affininitaires. Leur valeur ne se révèlera qu’à travers la discussion critique et l’application pratique.

La lutte dans les rues de Montréal semble à un point tournant. Durant la dernière année, plusieurs personnes ont appris à contrôler leur peur de la police, et ceci se traduit par une plus grande combativité dans les manifs. D’un autre côté, notre capacité à confronter les forces de l’ordre a progressé moins rapidement, de telle sorte que notre enthousiasme dépasse souvent nos capacités matérielles. Avec une meilleure organisation, les camarades qui partagent des affinités seraient mieux en mesure de clarifier leurs intentions et leurs buts, de fomenter des plans, de partager des connaissances et des outils nécessaires à la confrontation. La police réfléchit continuellement aux techniques de contrôle de foule et s’adapte aux conjonctures changeantes, et nous nous devons de leur répondre avec des développements tactiques de notre crû.

Dans une manif «typique» à Montréal, nous retrouvons des gens masqués éparpillés dans la foule – parfois en groupes, parfois seuls, parfois simplement marchant avec des ami.e.s qui ne sont pas masqué.e.s – qui ne tentent que rarement de communiquer entre eux ou de se tenir proche d’autres groupes. Ceux vêtus de noir sont peut-être désignés comme le «black bloc», mais ce n’est pas un bloc. Un bloc s’efforce consciemment de rester groupé et dense afin de se couvrir les uns les autres et travailler collectivement dans l’anonymat pour réaliser des buts communs.

Nous attribuons l’attitude de se masquer sans intention précise à une fétichisation de la tactique du black bloc, dont l’esthétique est célébré par et pour elle-même. La paranoïa ou le malaise social peuvent également être des barrières à la communication avec des camarades inconnu.e.s avec pour conséquence que les gens ou les petits groupes restent isolés. Nous devons briser ces barrières de communication si nous voulons aiguiser nos tactiques, pour profiter rapidement des opportunités qui s’offrent à nous et réagir avec force. Trop souvent, quelques roches sont lancées dans un geste symbolique avant une dispersion que la foule n’est pas préparée à repousser.

L’objectif poursuivi dans la confrontation avec les flics doit être réfléchie continuellement et est sujet à débat; pour nous, il s’agit de libérer l’espace du contrôle policier, ce que nous voyons comme une prémisse pour que quoi que ce soit d’intéressant puisse se produire par la suite. Fracasser une vitrine de banque rituellement et sans se doter de la capacité de repousser la police va souvent, et de façon prévisible, mener la manif à être attaquée puis dispersée. Une telle attaque isolée contribue peu à construire notre rapport de force dans la rue et notre capacité à soutenir la lutte, à prendre et à défendre l’espace. Nos attaques devraient être menées d’une façon qui collabore avec la manifestation plutôt que d’utiliser celle-ci comme couverture sans égards – ou sans possibilité de répondre – aux conséquences. Nous devons plutôt concentrer nos forces sur la police, cherchant à les faire fuir et à briser leur contrôle sur la foule. Une fois cet objectif atteint, nous pourrons détruire toute la propriété capitaliste que nous voulons et ce sans laisser le reste de la manif subir la répression policière amenée par nos trop brèves actions.

Conseils anonymes et spontané.
Reflexions sur la communication informelle en manif.

Des voies de communication devraient être ouvertes à l’intérieur de la section de la manif qui se veut confrontationnelle. Une forme que cela peut revêtre est une «consultation» informelle et spontanée. Une personne de chaque groupe pourrait se réunir pour parler de stratégies générales et de plans dont ils ressentent la nécessité de partager. Ces discussions pourraient reprendre à n’importe quel moment crucial durant la manif pour prendre plus de décisions collectives, influençant le comportement de tous ceux qui veulent se battre.

Un exemple de cette tactique réalisée avec beaucoup de succès s’est produit pendant le G20 à Toronto. Le bloc – qui fonctionnait comme un bloc bien organisé – a tenu ce genre de meeting à un moment crucial après avoir essayé de se diriger vers le sud, en direction du périmètre sécurisé du G20 et s’être fait repousser à coup de matraques. Les discussions ont contribué à ce que le bloc sprint vers l’est, s’éloignant du périmètre et vers le centre-ville, déjouant ainsi la police et menant à une heure d’émeute, de destruction de propriété et deux voitures de police brûlées.

Ceci n’est qu’un exemple de comment faire pour améliorer nos communications dans un bloc bien organisé. Ce n’est pas une panacée, car difficile à mettre en œuvre. Souvent, encourager les camarades en criant des slogans («vers le centre-ville!», «on reste groupé!», etc.) servira très bien. Mais si nous désirons mieux nous coordonner, il nous faudra réfléchir sur des moyens de communication plus efficaces.

Faire face à la Brigade Urbaine

Une des adaptations les plus notoires dans la stratégie de contrôle de foule du SPVM durant la dernière année est le positionnement de policiers sur le flanc de la portion de la foule qu’ils jugent la plus encline à «causer des troubles». Au moins seize policiers sans bouclier marchent sur les trottoirs avec au moins un «tireur» équipé d’un fusil à balle de caoutchouc, généralement au milieu de la ligne. Durant la manif du 1er Mai 2012, alors qu’ils ne bordaient que le flanc droit de la manif, nous avons vu le bloc ne pas avoir assez de confiance et d’organisation pour les attaquer. Le résultat a été qu’au moment de leur choix, les policiers ont coupé dans la manif et ont pu faire des arrestations avant de battre en retraite sur Ste-Catherine. La Brigade Urbaine va toujours agir à une intersection de telle façon qu’ils pourront se retirer dans une rue qui n’est pas occupée par la manifestation. Ils vont ensuite garder la foule à distance avec des balles de caoutchouc le temps qu’ils complètent leur arrestations. Un nouvel ajout à ce dispositif sont les chevaux, trois accompagnant chacune des deux brigades, qui jouent un double rôle: créer un climat de peur et être en hauteur pour identifier des cibles pour des arrestations éventuelles.

Durant la première manif contre le Sommet de l’éducation supérieure, le 25 février 2013, après des mois où la tactique de la Brigade Urbaine réussissait à contrôler les manifestants, la foule a eu l’intelligence collective de prendre les trottoirs derrière l’unité de la Brigade à gauche de la foule, essayant de la faire sortir de la manif. Si nous réussissons à occuper le trottoir derrière la Brigade Urbaine, cette tactique, qui a connu énormément de succès à nous contrôler, sera grandement compromise. Ceux qui, à cette occasion, ont pris le trottoir n’étaient pas équipés pour le combat rapproché qui suit cette prise de l’espace (mis à part quelques ampoules de peintures), et donc la police a pu résister à notre tentative de les faire fuire. Il leur aura quand même fallu faire appel à la brigade qui était de l’autre côté de la rue pour briser cet encerclement. Un coin de rue plus loin le Groupe d’Intervention (GI) avec bouclier attendaient la foule et ont balancé au moins deux bombes assourdissantes.

S’il y avait eu un bloc dense avec différents groupes en communications entre eux, protégé par des bannières renforcées à l’avant et sur les côtés et défendu par des longs pôles de drapeaux, cette confrontation aurait pu se terminer autrement. Bien sûr, dès que nous aurons libérer nos flancs, les GI avec bouclier vont entrer en action, mais nous nous serons fait moins vulnérables et plus en mesure de confronter les autres forces de police (incluant les undercovers). Cela dit, dès que l’émeute est en cours et que la police tente de nous disperser, il fait beaucoup de sens pour des groupes de 10-20 personnes à l’intérieur de portions de la manif de continuer à foutre le bordel, rendant la situation encore plus incontrôlable pour les flics.

Ceci nous ramène à la question du matériel amené et utilisé pendant les manifs. Nous avons vu dernièrement des camarades s’organiser et amener des bannières de côtés qui nuisent grandement à la capacité de la Brigade Urbaine à agir. Cette pratique devrait devenir systématique. La réponse des flics fût de mettre la cavalerie sur le trottoir. Nous devons réfléchir à des moyens de nous en débarrasser. Le mieux nous seront équipés pour faire face à la Brigade Urbaine, le moins de danger elle représentera. Un groupe de 10 personnes avec des drapeaux appuyé par des jets de pavés serait suffisant pour faire reculer la Brigade Urbaine, mais pas le Groupe d’Intervention avec les boucliers.

Derrière les barricades

La construction de barricades et la défense de lieux occupés comme des squares, des parcs, ou de larges intersections n’a presque jamais été tenté durant la dernière année, malgré toutes les opportunités que nous avons eu. Nous devrions expérimenter l’occupation de l’espace de d’autres façon que la longue procession des manifs traditionnelles, qui peut être relativement facile à couper par la police (couper la manif en deux est même la première étape du processus de dispersion opéré par le SPVM). Par exemple, si un square est rempli de manifestants qui ne sont pas prêt.e.s à abandonner leurs camarades et que les points d’entrée principaux sont barricadés, les flics peuvent être repoussés pendant des heures. Derrière les barricades se trouve la possibilité de renoncer à la fragilité et l’aspect «hit-and-run» usuels de nos attaques et nous ouvre le temps et l’espace pour la rébellion, que nous élaborerons avec joie. Nous pouvons constater que ces leçons ont été apprises et sont appliquées dans les émeutes à Athènes, Barcelone, etc.

Par barricades, nous entendons tout objets qui peuvent substantiellement nuirent aux mouvements de la police, comme des dumpsters renversés ou des voitures que nous pouvons pivoter en soulevant le derrière (qui est plus léger que l’avant). Les panneaux de signalisation et les cônes oranges qui sont fréquemment renversés nous nuisent plus qu’ils ne gênent les mouvements des flics. Ils peuvent même se révéler dangereux pour un camarade inattentif.

Si des barricades peuvent être faites rapidement quand le moment se présente et que nous occupons un espace opportun (par exemple, un lieu sans trop de points d’entrée, avec des sites de construction à proximité qui peuvent être pillés, avec un nombre important de roches ou de pavés que nous pouvons accumuler, un parking qui nous offre une bonne couverture comme au Plan Nord le 20 avril 2012), nous pouvons les tenir et nous battre de derrière elles, repoussant les charges qui ont ultimement dispersé toutes les manifs jusqu’à présent.

Retournons à l’exemple du 1er Mai dernier, au coin de University et Ste-Catherine après que la Brigade Urbaine eut été repoussée avec des projectiles, nous savions tous que le GI avec bouclier allait rappliquer d’une minute à l’autre en quantité trop importante pour être repoussé avec seulement des pavés. Plusieurs personnes ont à ce moment commencé à ramasser des roches pendant ces précieuses minutes, mais aucune barricade n’a été construite. Quand le GI a chargé de par le sud, la manif a été chassée et poursuivie au nord de Sherbrooke et forcée de se disperser.

Nous savons qu’il est difficile de se défaire de la crainte de la répression, que plusieurs d’entres nous hésitent encore à balancer le premier pavé, c’est pourquoi il nous faut collectivement dans nos groupes affinitaires expliciter ce que chaque personne est à l’aise de faire. Certaines personnes préfèreront ramasser des pavés et les distribuer à d’autres qui sont plus à l’aise à attaquer les flics. Certains seront prêts et prêtes à tenir les bannières de côtés, conscients et conscientes qu’ils et elles seront peut-être les premiers à subir le choc de la charge de la Brigade. D’autres encore voudront observer les agissements des flics et les analyser dans le but d’éviter un encerclement.

Il nous faut avoir une perspective critique à propos de nos tactiques de rue et les formes de notre organisation. Ce texte rassemble des réflexions de quelques uns d’entre nous qui en aucun cas ne se considèrent comme experts. Nous attendons d’autres contributions afin de mieux nous organiser dans la rue, autant par ceux qui préfèrent communiquer sous la forme de textes autant que par ceux qui partageront leurs réflexions à travers leurs actions dans la rue.