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Vers une politique de la destitution: Noyau et camp révolutionnaire

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Oct 122025
 

Soumission anonyme à MTL Contre-info

Chaque génération doit, dans une relative
opacité, affronter sa mission: la remplir ou la trahir
– Frantz Fanon

Notre génération fait face à un mur. Et par génération, nous n’entendons pas le découpage en tranches d’âge bien convenu, mais plutôt l’ensemble de ceux qui, à une période donnée, se posent les mêmes questions, font face aux mêmes problèmes. Le mur contre lequel nous butons est celui du sens. C’est lui qui fait de nous des orphelins. Orphelins politiques; orphelins de formes, d’explications, de mots pour donner sens à la conflictualité historique à laquelle nous prenons part. Comme le disait Jacques Camatte en 1973: 

« Tous butent contre ce mur et sont renvoyés plus ou moins loin dans le temps. Il est la limite d’un ensemble praticothéorique au sein duquel une combinatoire est possible. Certains accomplissent de très amples trajectoires. Ils vont du léninisme au situationnisme pour revenir à un néo-bolchevisme en passant par le conseillisme. »

Cet effet de rebond est toujours présent: certains deviennent marxistes en rebondissant sur l’échec d’une lutte territoriale, d’autres deviennent formalistes en rebondissant sur l’échec de la communauté, et d’autres encore deviennent mouvementistes en rebondissant sur l’échec de leur groupe. Tous cherchent dans ces différentes formes la réponse qui éclairera la situation et les armera.

C’est que notre période d’expérimentation se distingue de ce qui caractérisait le cycle de lutte précédent. Les mêmes questions n’ont plus les mêmes réponses. Ce qu’avaient en commun les différentes perspectives révolutionnaires du 20e siècle, c’était le programmatisme. En résumé: la révolution sera le fait de la montée en puissance du prolétariat, en tant que classe, de sa réappropriation du mode de production capitaliste. Anarcho-syndicaliste, socialiste, trotskiste ou maoïste, de là partaient l’ensemble des manières de penser le renversement de la société capitaliste, chacun la pointant du doigt comme l’ennemi à abattre. À présent, nous nous retrouvons avec une capacité de lisibilité stratégique beaucoup plus faible que ceux qui nous ont précédés. Comment briser le mur du sens sur lequel nombreux rebondissent depuis quelques décennies?

De notre côté, le sens a longtemps été lié à notre expérience de la politique: le refus du monde et l’expérimentation dans ce refus, la tentative d’en faire une communauté. Un rapport commun à la politique est ce que nous pourrions nommer une compréhension subjectiviste du sens de l’engagement, un rapport existentiel à la politique. Cette manière de penser les choses, celle qui dit « je choisis de lutter parce que c’est une manière de vivre intense, pleine », se dément au moment où la politique apparaît comme redondante plutôt que nouvelle, quand l’intensité quitte le terrain de la politique, quand la communauté se déchire. On poursuit ailleurs la folie du mouvement, dans le couple, le travail, l’art, ou alors on s’abandonne à sa folie propre. À cette manière de penser répond une conception objectiviste du sens, celle qui dit que « la révolution sera le résultat d’une montée en pouvoir progressive des masses », que l’histoire pointe indéfectiblement dans cette direction. Celle-ci se décompose à mesure que le mouvement ouvrier se fait avaler par le monde du capital et que le langage de la contestation vient renforcer la construction politique du pouvoir. L’emphase sur la détermination historique de la révolution, dictée par les conditions matérielles objectives se défait au fil des mouvements qui meurent sans tentative d’insurrection et sans construction d’un contre-pouvoir, à mesure que les tentatives de révolution font naître de nouveaux gouvernements tout aussi lamentables que ceux qu’elles laissent derrière.

Sans tomber dans l’une ou l’autre de ces impasses ni nier la force que porte chacune, nous pouvons dire: la révolution n’est pas nécessaire – comme nécessité inéluctable de l’Histoire – mais elle est réellement possible. Nous pensons que faire grandir cette possibilité, et la possibilité d’être, en son sein, une force éthique aussi bien que politique, implique de poser la question de l’organisation. Le problème de l’organisation concerne le temps qui sépare notre présent d’une révolution possible. Ce temps est celui des questionnements et des tentatives politiques, mais aussi de l’expérience éthique qui nous lie à ce pari. Car si la révolution est seulement possible, il est aussi possible qu’elle n’advienne pas, que se poursuive le cours catastrophique des choses. C’est pourquoi il faut se rendre capable de la choisir à chaque fois que cette décision s’impose.

C’est dans cette optique que ce texte vise à contribuer, localement et à l’échelle internationale, au débat sur les formes organisationnelles révolutionnaires. Dans le cycle de lutte qui se termine, la destitution a été un moteur fort. Plutôt que de clore cette séquence en niant ce qu’elle a porté, il est crucial d’en tirer les conséquences et d’ouvrir une nouvelle phase d’expérimentation politique. Il est possible de renforcer les intuitions qui se sont avérées justes et de décortiquer celles qui nous ont égarés par le partage de fictions communes: la destitution, le camp et le noyau révolutionnaire. Elles sont autant d’outils qui peuvent changer notre rapport à ce qui se joue sur les scènes de la politique que nous rencontrons. Nous ne sommes pas seuls à chercher des réponses. C’est ce qui pousse chacun à chercher, malgré les différences de langage, malgré l’écart entre les expériences, ce qui nous rapproche et si ce que nous avons en commun nous semble suffisant. Nous commençons à peine.

Mouvements destituants

La destitution s’est affirmée de manière éclatante par le slogan « ¡Que se vayan todos! »[1] qui fut le mot d’ordre du mouvement argentin du début des années 2000. Dans les années qui ont suivi, la même agitation s’est propagée, traversée d’un refus non seulement du monde tel qu’il est, mais plus encore d’un refus de chercher une fin qui viendrait clore telle ou telle séquence politique. Il s’agissait d’en finir avec toutes les conceptions du « changement social », et avec l’horizon de la prise de pouvoir. « Fuck toute », disaient au Québec les grévistes étudiants de 2015. De la même manière, il y a aujourd’hui quelque chose qui se passe à l’échelle mondiale, dans l’exacerbation d’une violence politique de la rue qui ne se prévaut d’aucune légitimité, qui ne repose sur aucun sujet clairement identifiable et ne se justifie d’aucun projet de société.

En 2008, Mario Tronti disait, contre sa propre grammaire politique léniniste, qu’une autre histoire était en train de s’ouvrir, une histoire dans laquelle la logique de la révolte ne se rapporte plus à un projet de construction de quelque chose, mais consiste entièrement dans la mise en crise de ce qui est; elle n’est plus tant politique, qu’éthique. La révolte éthique, pour Tronti, traduit l’état de crise dans lequel se trouve la subjectivité ouvrière comme porteuse d’un projet positif. C’est la débâcle du programmatisme. Ce qui se révèle dans ce type de révoltes, c’est bien cette dimension de refus de la totalité du modèle social qui ne laisse place à aucune extériorité, s’immiscant jusqu’aux aspects les plus intimes de nos vies. L’éthique fait ainsi surface dans les révoltes contemporaines puisqu’elle rend compte de l’emprise totalisante de la domination, ce que les réponses politiques classiques n’arrivaient pas à faire. Plus encore, ce qui est mis en jeu et combattu dans ces révoltes n’est pas un ennemi qui pourrait se concevoir comme totalement extérieur à nous, mais également quelque chose qui nous traverse. C’est non seulement l’institution ou la marchandise, mais le besoin que nous en avons, leur emprise sur nous. C’est un certain rapport au monde, des manières de penser, de faire, d’aimer qui sont bouleversées. L’hypothèse destituante suppose donc que d’autres formes-de-vie peuvent s’inventer à partir de ce refus du monde. Certains éléments centraux de la tradition révolutionnaire classique sont alors évacués: la prise du pouvoir d’État, la déclaration d’une nouvelle constitution ou le décret, par le haut, de nouvelles institutions révolutionnaires.

L’hypothèse historiciste, selon laquelle la destitution est « la dynamique de l’époque après la défaite du mouvement ouvrier » constitue un des usages possibles du concept de destitution, un usage descriptif. Bien que fort intéressante, cette analyse demeure insuffisante, car elle propose une vision unilatérale de ce qui a lieu dans les situations politiques. Celles-ci sont en réalité ambivalentes. Comme Kiersten Solt l’affirmait dans sa critique d’Endnotes: « les soulèvements contemporains sont le site d’une rencontre conflictuelle entre des gestes destituants et des forces constituantes. » Bien que plus précise, cette affirmation ne nous convainc pas complètement non plus. La pensée politique qui en découle demeure limitée. Il faut penser plus loin que l’opposition entre gestes destituants et force constituante, parce qu’elle ne permet pas d’imaginer ce que pourrait être une force destituante. Notre rôle en tant que révolutionnaires ne peut se réduire à la diffusion ou à l’explicitation de certains gestes posés au sein des mouvements. C’est la limite qu’ont rencontré aussi les hypothèses comme celle de Memes with force, Memes without end, ou encore la généralisation des gestes comme ceux du cortège de tête et du black bloc. En donnant la centralité aux formes inventées dans les brèches qu’ouvrent les révoltes, il n’est même plus assuré qu’une telle pensée de la destitution soit une pensée de la révolution.

Dans les récents débats, beaucoup de choses ont été écrites sur ce qu’est la destitution en tant que geste négatif dans l’époque, et pas assez sur ce que devrait être une position révolutionnaire destituante. Il s’agit de savoir faire la différence entre une description historique et un geste de prescription politique. Partir du constat que des dynamiques destituantes sont à l’œuvre, sans se limiter à en faire la description, représente un premier pas vers la formulation d’une position destituante. À partir de celle-ci, nous voyons cependant deux chemins se tracer: la destitution de la politique et la politique de la destitution. Notre objectif dans ce texte est de nommer quelques-unes des impasses que nous voyons dans ce que nous appelons destitution de la politique pour ensuite proposer les contours d’une politique de la destitution.

La destitution de la politique

Ce que montrent les mouvements des places, les ZAD, les insurrections des dernières années et les « non-mouvements » dans lesquels la vie se réinvente en luttant, c’est avant tout une distance insurmontable entre les aspirations des vies qui entrent en lutte et leurs traductions politiques, y compris par les organisations les plus radicales. La destitution désigne ce constat qu’il n’y aura plus d’organisation fédératrice de toutes les revendications, aucune en tous cas qui ne serait pas une arnaque s’inscrivant dans un rapport de négociation, aucune qui ne serait pas pour l’État. Si même les organisations « révolutionnaires » sont bien en deçà de ce qui se passe partout sur la planète lors du moindre sursaut insurgé, à quoi bon y tenir?

Dans les dernières années, une des réponses ayant émergé soutient qu’il faut plutôt tenir au partage de ces moments, à certaines expériences du monde, ainsi qu’au décalage éthique qui se révèle dans des situations polarisées. Comme l’avance le titre de la revue Entêtement, il s’agit de « tenir une sensibilité ».

Partout, dans cette époque, les « nous » représentatifs [les nous identitaires] se trouvent débordés par les « nous » expérientiels, si plastiques, si instables, mais si puissants. Les « nous » représentatifs sur lesquels cette société s’est édifiée ne comprennent pas cette irruption historique des « nous » expérientiels. Ils en sont littéralement terrifiés, traumatisés, révoltés. [2]

Une des formes de ce que nous qualifions de destitution de la politique postule que ce qu’il s’agit de faire grandir c’est cette distance entre l’éthique (les « nous » expérientiels) et la politique (les « nous » représentatifs). La désillusion généralisée à l’égard de la politique représentative et l’ouverture des questions au-delà de la logique de l’intérêt désignent certainement une ouverture dans laquelle il faut savoir plonger. La prise de parti pour l’éthique tend cependant à évacuer la possibilité d’un « nous » qui ne serait pas représentatif ni purement expérientiel, mais partisan. Une nouvelle idée de la politique peut naître de la faillite de son concept représentatif.

Si elles ne sont pas soutenues par une forme politique, les révoltes éthiques sont en proie à deux sortes de trahisons. La plus évidente est la trahison réformiste: une révolte contre la totalité du monde (y compris de notre manière d’en être) passe à l’histoire comme un mouvement contre un de ses aspects particuliers ou encore comme une victoire donnant lieu à un sentiment de progrès et de justice[3]. L’autre trahison est celle qui, prenant acte du caractère total de la remise en question du monde, oublie la centralité de la révolte dans l’émergence de cette vérité et, de là, se replie sur l’éthique. On se représente facilement les premiers: leaders de mouvements devenus politiciens, présidents d’ONG, gauchistes professionnels de toutes sortes. Les deuxièmes sont plutôt ceux qui, ayant fait l’expérience de la révolte, voient leur vie bouleversée et, tentant de faire sécession avec tout, rompent finalement avec la révolte elle-même. Entrés dans des mouvements par la porte politique, ils en ressortent par la porte éthique et tâchent de mettre en place un monde dans lequel cette manière d’être peut se déployer. Après l’ivresse des mouvements, nombreux sont ceux qui pensent les poursuivre ainsi.

La tentative d’une formulation politique à partir du repli éthique tend trop facilement à prendre le chemin vers ce que nous qualifions d’alternativisme. L’alternativisme est une des figures que nous associons à la destitution de la politique. Par une fixation sur les projets en tant que projets, elle offre la possibilité de plaire à tout le monde. Pour les radicaux, l’horizon alternativiste est celui de la contre-société, alors que pour les réformistes, le changement surviendra par la diffusion progressive de ces pratiques au sein de l’économie. En somme, aucune lutte frontale avec l’hégémonie économiste, aucune pensée pour aller plus loin que « ce qui est possible, ici et maintenant » seulement l’abdication face au combat à mener. Qu’en lieu et place de foyers de luttes, radicaux et réformistes défendent plutôt la multiplication des circuits courts, de bio-régions ou de dispensaires de services communautaires, indique davantage la défaite historique des révolutionnaires que leur victoire idéologique.

Rapidement, l’infrastructure qui devait servir de support devient sa propre fin. En mettant en place des infrastructures qui ne sont pas d’emblée politiques, on voudrait pouvoir contribuer à une possible situation politique, voire à une crise future. Ainsi, dans sa version autonome, l’alternativisme traduit autrement une distance avec le tissu insurrectionnel et inscrit l’antagonisme dans un temps futur. Un jour viendra où ces terres nourriront les communards. Qui peut être contre la vertu? Dans tous les cas, la préfiguration d’un monde post-révolution, couplée d’une volonté de le construire dès maintenant, a pris le pas sur la construction d’une force politique.

Quelles formes après l’informalité

Jusqu’à récemment, l’emphase sur la révolte éthique se mariait facilement avec le refus de toute forme d’organisation. L’alternativisme a pu, pendant un moment, apparaître comme une voie sérieuse qui ne trahissait pas ce qui l’avait fait naître. Pourtant, alors qu’informalité et destitution ont semblé aller de pair, nous en avons vite ressenti la limite. Par toutes sortes de chemins, ces dernières années ont donc vu revenir en force la question de l’organisation.

L’organisation informelle, qui est l’option implicitement majoritaire dans le cycle de lutte actuel, est à bout de souffle et critiquée de toute part. La dynamique, qui s’est appuyée sur la récurrence des mouvements sociaux classiques dans lesquels des organisations réformistes ou pseudo-révolutionnaires pouvaient être débordées, critiquées, combattues, a connu son chant du cygne avec la pandémie. Passées les dernières irruptions insurrectionnelles, toute possibilité politique a été écrasée par la gestion autoritaire de la covid. La plupart des groupes informels pré-existants ont été réduit à leur implication dans divers projets (communautaires, d’aide mutuelle, de quartier, de centre social, de commerce, de revue), sinon à entretenir un rapport pessimiste, voire cynique à toute tentative politique. Bien sûr, il existe toujours des groupes informels qui maintiennent des rapports politiques, en participant à telle ou telle lutte, mais en tant qu’hypothèse, elle ne tient plus la route.

L’échec de la première phase d’expérimentations destituantes – qu’on pourrait délimiter par les deux premières décennies du 21e siècle –, a ainsi produit une réaction formaliste qui se manifeste par la création de groupes ouverts. Cette réaction croit ainsi pouvoir remédier à la faiblesse du mouvement révolutionnaire par l’entremise de solutions techniques: des structures formelles d’engagement qui permettent l’élargissement de la base d’organisation. Certains ont ainsi réagi à la faillite manifeste de l’informalité[4] en revêtant les vieux habits de la politique: à la structure de la bande, clandestine par sa nature même, ils opposent des groupes formels et publics, ouverts, visant à rompre l’isolement d’une politique condamnée comme groupusculaire. Mais étrangement, les vieux habits sentent les vieux habits. Le formalisme fait retour à des cadres d’analyse centrés sur des catégories sociales, comme la classe et d’autres marqueurs objectifs, ou encore (c’est souvent les deux) à des théories avant-gardistes de l’organisation.

Le mouvement du balancier a amené d’anciens tenants de l’informalité à répondre au problème du nombre, de l’engagement et de l’isolement par des structures publiques, et à l’indicibilité de leur contenu éthico-politique par de larges pétitions de principes (anticapitaliste, féministe, écologiste, etc.) Rapidement, leur publicité, présumée gage d’expansion et de propagation, entraîne davantage le sentiment d’être un peu trop exposé pour porter l’intensité désirée, ou pour en tirer de la force après coup. De plus, dans les moments critiques, les espaces ouverts n’assurent pas la confiance nécessaire pour se mettre réellement en jeu et le partage vague d’identité ou de principes ne génère pas d’engagement réel.

Chercher la solution au problème de la force dans un mode d’apparition, c’est poser la question à l’envers. L’organisation publique peut bien donner un sentiment de puissance momentané, mais celui-ci s’avère trompeur dans les moments où la police tente d’écraser systématiquement ce qui jaillit. À mesure que ces organisations publiques réussissent dans leur construction politique, elles sont défaites par la répression. Elles ne contiennent pas le germe de leur dépassement, mais de leur écrasement. À l’heure du resserrement sécuritaire propre au vacillement de l’ordre capitaliste mondial, il ne peut exister, dans l’espace public, de groupe ouvertement – et réellement – révolutionnaire.

Outre le problème de l’apparition, le retour à l’utilisation de fictions historiques désuètes ou des catégories sociologiques issues de la nouvelle critique ne peut redonner sens à la conflictualité contemporaine. Ces termes trouvaient leur force dans leur capacité à donner sens à ce qui était vécu. C’était des appareils de simplification, comme le sont toujours les concepts politiques. À présent, les pirouettes rhétoriques tout comme l’arsenal académique, nécessaires pour leur donner sens, témoignent de leur fragilité, non pas de leur force. Le programmatisme ne s’est pas épuisé car le mouvement ouvrier a été défait en tant qu’ennemi, mais plutôt parce qu’il a été avalé par le monde du capital. Tout ce qui faisait la force du mouvement ouvrier a été intégré dans le règne de l’économie. S’est perdu ce qu’il était possible de voir comme l’expression du prolétariat, ou comme le disait Marx, d’un « ordre qui est la dissolution de tous les ordres ». Le mouvement ouvrier est né dans l’économie, rien de surprenant qu’il y meurt.

Pour beaucoup, la tentation est grande de se ressaisir de la lutte des classes comme explication générale. Elle sert de béquille analytique dans leur recherche de la puissance que ces hypothèses historiques ont réellement fait exister. Au lieu de prendre cette voie, nous nous demandons: quelle force fut rendue possible par l’hypothèse de la lutte des classes?

Même si les terminologies du passé ne peuvent nous permettre de saisir la complexité des évènements qui surgissent, il n’en reste pas moins que les fictions sont des choses sérieuses. Nous avons besoin de fictions pour croire à la réalité de ce que nous vivons. La tâche politique la plus urgente est celle de trouver et mettre en partage les termes qui donnent sens à nos expériences, à ce qui s’oppose à la domination, à l’exploitation, à la destruction, à toutes les formes que prend le pouvoir. L’argent est une fiction, tout comme l’État et la loi. Il faut opposer nos fictions à celles qui nous sont imposées. Combinés au concept de destitution, le noyau et le camp révolutionnaire permettent à présent de récapituler la conflictualité historique.

L’organisation d’une force destituante

La destitution implique une « mise en crise de ce qui est », un refus total du monde. La posture que nous qualifions de destitution de la politique s’inscrit dans cette négativité. Cependant, en raison de son rapport ambigu à la conflictualité, elle ne parvient pas à prendre part à l’élaboration d’une force révolutionnaire – une puissance à même de faire face aux forces constituantes autrement qu’en appelant à la désertion. Par ailleurs, la réponse formaliste publique, le renouvellement de l’anticapitalisme, échoue nécessairement à répondre aux exigences de clandestinité qu’impose le pouvoir.

Comme nous l’affirmons plus haut, bien que des dynamiques destituantes soient à l’œuvre dans les mouvements contemporains, elles sont trop souvent recouvertes par la pacification, l’ordre et le règne de la normalité. Pour Idris Robinson, la tâche des révolutionnaires serait de dévoiler les dynamiques destituantes de manière à interrompre l’ordre des choses. Plutôt que de dire que la destitution est immanente aux révoltes contemporaines, il affirme que la situation conflictuelle ingérable est en réalité le fruit de l’organisation d’une force destituante. Il faut alors « organiser une puissance capable de produire un ennemi diamétralement opposé, et de provoquer ainsi un affrontement si sauvage qu’il débouche sur une situation totalement ingérable, incontrôlable et ingouvernable. »

On conviendra qu’il n’y a aucun interrupteur apte à déclencher magiquement un affrontement si sauvage qu’il débouche sur une situation totalement incontrôlable. Ce qui est possible, c’est de rechercher, pousser, révéler les antagonismes contenus dans chaque situation. Il faut, a minima, reconstruire un imaginaire de la conflictualité politique, et chercher ceux et celles qui peuvent s’accorder sur la même démarche. Si la destitution de la politique s’est posée pour l’instant dans ses refus, le contenu de ce que pourrait être une politique de la destitution reste à élaborer. La question est donc de savoir comment développer une force politique capable de renforcer la polarité révolutionnaire au sein des situations, de rendre l’option destituante plus forte. Comment s’assurer « qu’il n’en reste aucun »?

Munir la destitution d’une politique permet d’imaginer un contenu positif aux différents refus qu’elle pose. La politique qu’on tente ici de décrire touche à la manière dont nous demeurons fidèles aux situations de rupture du cours ordinaire des choses, afin que ce qui s’ouvre dans ces situations ne se referme pas dès que la normalité reprend son cours. Badiou avait donné cette formule juste en écrivant que le parti est ce qui organise la fidélité à l’événement émancipateur, en portant le plus loin possible ses conséquences. Ce qui se révèle alors, et ce à quoi il s’agit de rester fidèles, est la vérité suivante: la normalité de l’économie n’est pas la seule voie imaginable, il est possible de faire des choix basés sur d’autres logiques. Il faut politiser les refus qui émergent dans la révolte et qui peuvent bouleverser irréversiblement nos vies en s’inscrivant en nous. Si les révoltes éthiques ont une force d’irruption, le défi est de trouver les formes politiques qui les font durer dans le temps, les énoncés qui les rendent partageables au-delà de l’expérience. Rester fidèles à cette vérité implique de continuer à nourrir ce bouleversement. Cette densité partagée existe contre l’économie et impose nécessairement quelque chose qui dépasse notre vie propre. De là, la politique convoque la pensée d’un « nous » auquel on se sent appartenir, qu’on doit toujours tenter d’inscrire dans un horizon, comme participant d’un camp.

Une inclinaison contemporaine, profondément libérale, nous incite à l’inverse à conclure qu’il faut se soustraire à l’implication dans un groupe, que « ma vie, c’est mes choix ». Finalement, il serait plus intéressant de naviguer dans la misère affective du libéralisme existentiel que de s’engouffrer dans ce qui risquerait de devenir une dérive groupusculaire. La critique du militantisme que nous avons nous-mêmes répandue était en fait trop soluble dans l’époque[5]. Pour sortir de cette impasse, nous croyons qu’il est nécessaire de formaliser des espaces politiques. Formaliser, au sens de donner forme et mettre en mots. Clarifier les contours d’une position, voir qui la partage, quelle est sa porosité, quelles sont les manières de s’y rapporter et de la rendre plus forte.

Nous faisons l’hypothèse qu’il est possible de formaliser nos positions sans trahir notre appartenance à un « nous » plus grand, celui des insurgés, notre parti historique. En d’autres mots, il faut se donner des formes et des appartenances politiques tout en sachant que les situations montreront leurs limites, qu’elles devront être dépassées. Nos organes partisans de coordination, nos noyaux révolutionnaires, ne doivent jamais perdre de vue leur rapport à une conspiration plus grande. Le plan visé demeure celui de la révolution dans le moment insurrectionnel. Tout le reste n’est que prolégomènes.

D’un côté, le « milieu révolutionnaire », largement caractérisé par l’informalisme et le refus de l’engagement n’est clairement pas à la hauteur. Par peur d’affronter le mur du sens ou par mauvaise conscience gauchiste, nous avons développé le réflexe de produire des espaces pour les autres – quitte à énoncer des demi-vérités auxquelles nous ne croyons pas dans l’espoir de gagner en nombre. En l’absence d’un espace permettant de mettre en jeu les orientations stratégiques – non pas en ce qui a trait à des luttes sectorielles, mais à l’horizon révolutionnaire –, les différentes tentatives organisationnelles sont vouées à produire de l’agitation radicale sans lendemain. De l’autre côté, les réponses formalisatrices actuelles sont insuffisantes pour rebâtir une force qui serait à même de faire exister et croître la possibilité révolutionnaire. Nous proposons ici de tracer les contours de cette force, le camp révolutionnaire, et de l’espace plus restreint à partir duquel nous le pensons, le noyau.

Construire le camp révolutionnaire

À la forme Parti, qui tenait il n’y a pas si longtemps dans son giron la grande majorité des organisations révolutionnaires, s’est substituée dans les dernières décennies la forme milieu. Ce qui lie aujourd’hui les révolutionnaires est essentiellement un ensemble de relations interpersonnelles implicitement politiques. Le milieu est un fantasme d’organisation, un agrégat sans horizon et presqu’accidentel qui se reproduit dans des dates ritualisées (salon du livre, manifestations annuelles, etc.), dans une esthétique radicale ou dans la création à tout vent de nouveaux projets qui mourront aussi vite qu’ils sont nés. Bien qu’il puisse concentrer de la force dans tel ou tel événement, il faut s’avouer que cette forme n’a pas produit la moindre clarification politique qui dépasse son microcosme dans la dernière décennie. Rien de très menaçant pour l’instant.

Cependant, il existe sans doute toujours quelque chose comme un « parti historique », une manière de nommer l’ensemble des gens et des gestes qui œuvrent activement à renverser le monde de l’économie et ses gouvernements. Si cette manière de se figurer les choses nous anime, nous croyons par contre qu’il n’est possible de former quelque chose comme un camp que dans la mesure où nous sommes réellement organisés. Il nous faut des fictions – des idées qui nous permettent de nous penser et de nous reconnaître – qui nous poussent à produire des formes. Un plan de consistance. Le camp révolutionnaire représente pour nous le lieu non seulement d’un partage d’idées, mais de la prise de parti active pour la révolution. Il doit servir d’espace de discussion, d’élaboration stratégique et d’organisation entre différents groupes. Si le camp est un espace, il n’est pas une institution qu’on pourrait répliquer avec ses codes et ses procédures. C’est plutôt une manière de penser la conspiration, une forme qui commence à se répandre. Le camp révolutionnaire est donc à la fois une hypothèse et un lieu concret d’organisation politique.

L’intérêt d’un espace tel que le camp est d’abord de remédier au caractère diffus et isolé des forces révolutionnaires. Dans une situation donnée, la coordination au sein du camp nous amène à penser des interventions plus puissantes, autant sur le plan tactique qu’au niveau du discours. Éviter de multiplier les appels et la confusion. Si nécessaire, penser les désaccords sur des bases politiques et stratégiques, et non pas sur des malentendus ou des embrouilles interpersonnelles. Hors mouvement, alors que les forces tendent à se replier sur elles-mêmes, le camp établit un espace où l’échange permet de tenir dans le temps. De la même manière, le camp offre une distance stratégique entre les forces qui le composent. Au lieu de la fusion, il permet leur mise en jeu.

Le camp ne forme pas un point d’énonciation, un nouveau sujet politique qui puisse agir et s’exprimer. Nous cherchons à organiser la conspiration: trouver les manières d’agencer les différentes forces en présence et sortir de nos impasses. Pour autant, le camp ne peut se réduire à un espace de représentation des éléments qui le composent. Chaque groupe ne devrait pas venir sous le mode du congrès – où tous cherchent à faire valoir les positions de son unité politique sur celles des autres –, ni sous celui de l’assemblée, de laquelle doit sortir une décision par décompte individuel. Les décisions qui y sont prises reposent sur la possibilité d’accords et d’initiatives transversales aux forces qui le composent: une situation nouvelle peut entraîner une prise d’initiative originale qui ne recoupe ni la division préalable, ni l’ensemble des groupes en présence, mais un nouvel ensemble. L’appartenance repose sur la rencontre de différentes positions, elle se doit d’être toujours réactualisée et d’autant plus sincère.

En plus de l’appartenance par le sens politique et le choix d’une fiction commune, nous croyons aussi au caractère génératif de l’engagement. Le camp doit se doter d’espaces formels et concrets qui ont une intériorité, qui sont liés à une présence et une participation actives: des espaces de discussion, de débat, de planification, de debrief, etc. Le degré de formalisation, ainsi que les caractéristiques des groupes qui le composent, la question de savoir s’il peut accueillir des individus ou seulement des groupes, restent toutefois à déterminer à partir des orientations de base que se donnent ceux et celles qui font usage de cet espace.

Bien que le camp ne nécessite pas que tous ceux qui y appartiennent aient les mêmes priorités, il présuppose néanmoins un critère et une orientation de base, qui sont de poser et de faire exister la question de la révolution. La capacité à dire nous, même si cela recouvre nécessairement des différences. Mais l’étiquette « révolutionnaire », appliquée à tout vent, ne saurait en être un gage d’appartenance. Le camp n’est pas le milieu ou le réseau qui ramasse toutes sortes de tendances avec leur prétention à la radicalité. Pour les forces qui appartiennent au camp, l’activité politique doit s’inscrire dans une stratégie qui peut s’expliciter. Sans cela se profile le problème d’une boîte noire capable de transformer par magie toute forme d’implication réformiste en activité révolutionnaire.

Évidemment, il est impossible de trancher hors de toute situation, ce qui définit exactement une position révolutionnaire. Cependant, cet exercice de discernement demeure fondamental, c’est par cette porte qu’il faut bien sortir, un jour, du tunnel de la déconstruction. On ne nous refera pas le coup du réformisme ni celui de la prise du pouvoir d’État. La révolution implique un bouleversement de l’ordre établi et des manières de vivre par les foules insurgées. Participeront au camp révolutionnaire tous ceux et celles qui œuvrent d’arrache-pied à l’avènement de ce bouleversement et décident de s’organiser sur cette base.

Former des noyaux denses

Quelles formes politiques se retrouveraient dans les espaces du camp révolutionnaire? Sans doute un peu de tout ce que nous avons connu: des groupes affinitaires, des petites cellules communistes, des bandes d’amis, des membres d’organisations politiques, des piliers de milieu, des gens qui tentent des paris dans des luttes territoriales, sur des enjeux sociaux ou économiques, etc. La composition serait sûrement variable en fonction des endroits, des niveaux d’intensité et des formes d’organisation politique qui leur sont propres. Nous croyons cependant que la formation d’unités politiques denses et déterminées changerait drastiquement la force d’un espace comme celui du camp révolutionnaire, et plus largement l’ambiance politique générale. C’est ce que nous nommons les noyaux révolutionnaires.

Une des limites actuelles que nous voyons est l’absence de position claire émanant des groupes organisés. Le groupe affinitaire de même que l’organisation formelle large font face à ce manque. Un noyau révolutionnaire devrait, pour formuler une position, se poser certaines questions: Quel est notre cadre d’analyse? Notre perspective stratégique sur les prochains mois, les prochaines années? Qu’est-ce que nous voulons prioriser? Pourquoi? Quelles lectures partageons-nous de nos expériences communes? De nos échecs et nos réussites? Il ne s’agit pas d’émettre de grands méta-récits, des explications universelles voulant englober toutes les expériences et les situations. La lecture que nous avons doit pouvoir s’ajuster à la situation et en émerger directement; du moment où elle demeure fixée, elle nous enferme. Il faut savoir mettre en commun un ensemble de considérations articulables et ainsi audibles et partageables par d’autres.

Les noyaux révolutionnaires sont le genre de formes politiques capables de réaliser ce travail en ce sens qu’ils constituent l’unité d’organisation politique la plus dense. Ce n’est pas la question du nombre au sein d’un noyau qui crée sa densité, mais bien la position politique qui est décidée par ceux qui le composent. Sa position ne saurait se résumer en des principes larges ou des identités partagées. Elle constitue plutôt une entente politique forte qui porte à conséquence.

L’absence de positionnement des groupes organisés participe à la confusion qui règne actuellement. Sans proposition sur la table, impossible de se comprendre ou de se situer les uns par rapport aux autres autrement que par des effets de distinction; l’interpersonnel prend le dessus sur le politique. Par définition, une position est à la fois l’une des coordonnées qui permettent de situer un objet par rapport à un autre et l’orientation que cet objet prend selon son horizon. Le noyau doit être un point d’énonciation. Prendre position signifie poser, énoncer et formuler, comme un parti à prendre, une lecture du monde à laquelle se rallier. Cependant une position, c’est aussi la manière dont une chose est disposée, organisée. La forme est indissociable du fond. Dans le noyau, l’engagement repose sur la confiance et l’entente qui renforcent les liens, qui font tenir la forme dans le temps. Cette entente se développe par un accord commun: la priorisation de quelque chose qui touche à un horizon bien plus large que la vie collective du groupe.

Chaque noyau repose nécessairement sur un plan éthique, qu’il soit explicité ou non. Pour nous, l’engagement politique implique une transformation profonde de la vie; profaner notre rapport à l’argent, au travail, expérimenter la vie collective, mettre en partage non pas seulement le plan matériel – ce que nous avons –, mais ce que nous sommes, les désirs qui nous traversent, les décisions que nous prenons. Ouvrir l’espace du commun défie les logiques d’appropriation et de valorisation dans le groupe. Sans vouloir réduire du même geste la politique à la vie, nous pensons qu’il y a de l’importance à ce que l’on partage: un horizon commun, la prise de risques, différents refus. Nous croyons la vie changée lorsqu’elle est éprouvée ensemble. Elle est ce qui donne de la force et ce qui soutient l’engagement.

Selon ce que nous avons connu, l’absence de clarification des formes est l’un des problèmes des bandes et des groupes affinitaires. Elle rend difficile leur porosité, et arbitraires leurs critères d’appartenance. Si nous retenons donc l’intensité de l’expérimentation collective et l’opacité conspirative qui les animent, la forme noyau porte la possibilité de formaliser des modalités, de clarifier des rythmes, de problématiser des modes d’entrée et de sortie. C’est en ce sens qu’elle se rapproche de l’organisation formelle large. Pour ne pas se figer, le noyau cherche nécessairement à rencontrer d’autres noyaux, gagner en puissance et en sagesse. C’est à travers l’appartenance au noyau que peut se maintenir et se clarifier l’engagement de ses membres. De même, le partage de propositions et d’un engagement envers elles rend possible son expansion.

Les noyaux n’ont réellement de sens que dans la mesure où ils restent dans un dialogue avec d’autres noyaux et l’espace plus large du camp révolutionnaire. Si pour l’instant nous n’arrivons à expérimenter des noyaux de ce genre qu’à quelques dizaines de personnes, nous parions qu’il est possible de le faire à beaucoup plus. L’histoire regorge de toutes sortes d’expérimentations qui, sans trahir la densité de leur lien, surent grandir en nombre.

Des espaces d’expérimentation: politique, usage, communisme

Si un gouffre immense semble parfois séparer les révolutionnaires – celui du vocabulaire théorique et politique – nos inclinaisons pointent dans une direction commune. Orphelins politiques, épuisés à force de rebondir sur le mur du sens, au moins deux choses nous rassemblent. La première, plus immédiate, se révèle dans ce que nous cherchons à rencontrer ou à provoquer dans les différents mouvements sociaux ou situations qui se présentent à nous: des gestes de rupture, des discours qui se dérobent à la logique du droit et de la légitimité, des impulsions ingouvernables. C’est par un supplément d’organisation, et non par une simple participation, que ce qui manque en situation peut y être ajouté. La deuxième se loge dans cette volonté d’affronter la question révolutionnaire à partir des échecs du siècle dernier et des obstacles de notre présent immédiat. Nos parcours pointent vers une soustraction à la politique du pouvoir, mais ils se trouvent jusqu’à aujourd’hui en tension avec la formulation de leur propre politique et avec le principe de l’organisation. C’est au sein de cette tension que nous nous orientons.

Nous parlons d’espaces stratégiques comme d’un usage de la politique. Mais qu’est-ce qui rend cet usage possible ou, plus généralement, qu’est-ce qui rend la politique possible? Nous sommes attachés à la dimension négative de la politique destituante, car nous savons que c’est dans la destruction du pouvoir d’État que se situe la possibilité de la communisation. L’insurrection, l’événement politique par excellence, est précisément le moment privilégié, car il permet une ouverture de la question la plus générale possible au plus grand nombre possible. Dans celui-ci toute tentative préfigurative ou planificatrice serait soit humiliée, soit imposée. Cependant, ce redéploiement négatif de la politique, sa méfiance envers des fins, nécessite de repenser le sens du communisme, qui a occupé la fonction d’horizon dans la politique du dernier siècle. Il a été compris, de manière désastreuse, comme fabrication par l’État d’un monde nouveau. Nous pensons aujourd’hui le communisme comme la condition d’une politique destituante, et ce d’au moins deux manières.

Premièrement, communisme est le nom de la politique ennemie à celle du capital. Comme le souligne Bernard Aspe, c’est le nom d’une pensée générale de l’antagonisme, de l’irréconciliabilité avec le monde, et de la possibilité d’une extériorité ici et maintenant. Communisme est donc le nom d’une possibilité de la politique, car une politique ne peut se révéler que depuis une autre politique qui lui serait ennemie au niveau de la totalité. Non pas momentanément, dans un processus de modification interne, mais intégralement. C’est spécifiquement en révélant comment d’autres décisions que celles liées à l’intérêt sont possibles, que le communisme se pose comme le nom d’une politique contre l’économie.

Deuxièmement, communisme désigne aussi la condition de la politique d’une autre manière: nous ne pouvons pas nous imaginer porter quelque chose politiquement sans une élaboration collective. Celle-ci nécessite l’ouverture d’un espace dans lequel la question de la survie n’est pas la question centrale. Plus qu’un arrangement matériel, le communisme dépasse notre simple capacité à joindre les deux bouts, et naît lorsque des êtres cessent de compter et mettent en partage ce qu’ils sont autant que ce qu’ils ont. Le repli éthique n’est tout compte fait qu’une voie parmi les possibilités de la destitution. Sa charge communiste se neutralise si on laisse gonfler à l’infini la dimension existentielle du mouvement destituant. Nous ne disons pas qu’il faut nier cette dimension. Nous disons qu’il faut l’arrimer à la construction d’une force politique.

Le communisme est donc une idée qui nous guide, quelque chose que l’on cherche à répandre autant qu’à trouver dans le monde. C’est un rapport qui nous fait voir dans un geste ou un évènement le potentiel, soit de clivage, soit d’intensification, soit d’alliance. Le communisme c’est peut-être une ambiance vécue à plusieurs lorsque les logiques de l’appropriation échouent et depuis laquelle nous prenons des décisions, choisissons des directions ou éteignons certaines pratiques. Lorsqu’est abolie la distance entre ceux qui décident et ceux qui font, entre ceux qui possèdent et les autres. En cela, le communisme ne peut s’expérimenter qu’à distance de l’État. Le terreau d’une telle expérimentation, n’est pas le plaisir du combat ni un savoir scientifique quant à la possibilité que finisse le cauchemar, même si cela peut nous nourrir. Son terreau est cette vérité mise en partage que peut finir le cauchemar.

Bien entendu, si rien ne conditionne la participation d’un sujet dans une situation donnée, on peut toujours être happé dans l’événement indépendamment d’un espace qui lui soit préalable et qui lui survive. Cependant, quiconque y rencontre des camarades et décide d’y rester fidèle rencontrera la question: comment continuer? Malgré l’utile distinction entre éthique et politique; on touche peut-être ici leur point d’indissociabilité.

Notes

1. « Qu’ils s’en aillent tous » et dont la deuxième partie du slogan, trop souvent oubliée, « et qu’il n’en reste aucun » (y no quede ni uno solo), annonce peut-être la tâche de la nouvelle phase destituante qui s’ouvre.

2. Manifeste conspirationniste, page 301.

3. On pourrait prendre l’exemple de la séquence politique de 2012 et la manière dont celle-ci fut refermée. Les nombreux mois d’ébullition contestaires furent réduits à l’enjeu des frais de scolarité et à un changement de gouvernement par voie électorale.

4. La politique informelle n’a pas pu fournir une théorie qui dépasserait sa propre expérience. Son échec confine au silence, à la mélancolie, ou à la recherche.

5. Le refus du militantisme classique, qui sépare artificiellement les choix de vie et les perspectives politiques, nous a menés à une confusion sur ce qui constitue le geste politique. L’indistinction totale entre éthique et politique qui a caractérisé ce refus rend ambiguë la différence entre l’organisation de l’existence et l’élaboration de formes politiques.

Fuck Microsoft, fuck AI, fuck le techno-capitalisme

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Oct 072025
 

Soumission anonyme à MTL Contre-info

Alors que les crises se multiplient, les compagnies de technologies continuent d’en profiter pour engranger des profits records – elles participent non seulement à leur multiplication, mais en tirent profit.

La nuit dernière un groupe autonome a saboté les installations montréalaises de Microsoft situées dans le cluster de l’intelligence artificielle, dans le secteur Marconi-Alexandra.

Ne nous leurrons pas. Microsoft est complice de nombreux crimes contre l’humanité. De sa collaboration avec le gouvernement israélien dans le génocide du peuple palestinien à son impact sur la gentrification et le déplacement des locataires du quartier Parc-Extension, en passant par leur contribution importantes aux changements climatiques dans la course effrénée à l’intelligence artificielle, leur participation active dans la surenchère technologique de la surveillance et leurs nombreux partenariats avec des services de police, la multinationale américaine représente ce nouvel ennemi à abattre.

L’action répond par ailleurs à l’appel de la résistance palestinienne demandant d’activer tous les leviers de pression et d’escalade en marche dans les sphères politiques, médiatiques et économiques internationales. Malgré la décision récente de l’entreprise de limiter en partie l’accès à certains de ses services à l’armée israélienne, Microsoft – qui doit par ailleurs payer pour ses crimes passées – continue d’entretenir des liens avec l’état sioniste.

Le techno-capitalisme nous fait la guerre, guerre au techno-capitalisme.

Message au mouvement pour le climat

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Sep 162025
 

Soumission anonyme à La grappe

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À travers la dernière décennie, à la fois en Europe et au-delà, une nouvelle génération d’activistes a mis le mouvement pour le climat au premier plan. Des groupes tels que Extinction Rébellion, Fridays for Future, et Ende Gelände ont réussi à sortir des marges, convainquant des millions à s’engager pour la défense de la planète. C’était il n’y a pas si longtemps que peu étaient même conscient·e·s de la possibilité d’une catastrophe climatique – de nos jours c’est tout le contraire. Je n’ai aucune intention de minimiser ces réussites. Ce sur quoi j’aimerais attirer l’attention, toutefois, est que l’activisme pour le climat a fait peu ou pas de différence à quelque chose de très important, la seule chose importante qui compte réellement : de réellement abaisser la quantité de carbone émise par les humain·e·s à travers la planète. De telles émissions continuent à augmenter chaque année, tout comme les températures mondiales moyennes, les catastrophes météorologiques, et le taux d’extinction des espèces. Gagner la reconnaissance de toute la société n’a pas été suffisant. Dans tous ses principaux objectifs, le mouvement pour le climat reste une défaite décisive.

J’ai une suggestion sur pourquoi c’est le cas. Parce que le mouvement pour le climat est resté coincé dans la supposition que ceux au pouvoir doivent être convaincus d’apporter les changements nécessaires pour nous. Malgré le recours à une esthétique de l’action directe, la plupart de l’activisme pour le climat s’est concentrée à obtenir l’attention médiatique (incluant les médias sociaux grand public, ce qui est autant une extension du pouvoir capitaliste que la télévision ou les journaux) dans le but d’atteindre une reconnaissance sociale, finalement pour faire pression sur des politiciens. Toutefois, l’élite politique ne sera jamais capable de résoudre cette crise, parce que le système qui leur accorde le pouvoir est aussi le système qui littéralement prospère en dévastant la planète. Ce qu’on appelle « l’économie » est une mégamachine hors de contrôle qui juge tout ce qui n’est pas une expansion illimitée (un processus qui implique la dévastation écologique) comme une sorte de désastre. Peu importe leur affiliation ou les promesses qu’ils accordent, tous les politiciens et corporations plaident allégeance à la logistique à l’arrière de ce monstre dévoreur du monde.

Certain·e·s rétorqueraient que quelques éléments du mouvement pour le climat échappent à ce malaise. Contrairement à Extinction Rébellion ou Fridays for Future, des groupes anti-capitalistes comme Ende Gelände ne font pas de demandes explicites aux politiciens, se concentrant à la place à perturber directement les infrastructures critiques. Toutefois, on ne peut pas supposer qu’occuper pacifiquement une mine de charbon (ou ses artères) pour quelques heures est une manière réaliste de la mettre à l’arrêt pour de bon ; c’est juste une autre manière d’attirer l’intérêt des médias. De telles actions n’ont aucun sens à moins qu’on espère, consciemment ou non, qu’elles puissent servir à convaincre des politiciens d’intervenir et de réformer l’économie pour nous. D’autres organisations de masse (par exemple, Les Soulèvement de la terre) pourraient apparaître comme un progrès, étant donné qu’elles favorisent le sabotage d’infrastructures écocidaires, et en ce sens encouragent quelque chose qui ressemble à l’action directe (bien que dirigée par une avant-garde secrète). Là encore, toutefois, cela ne serait qu’une manière plus séduisante de recevoir l’attention des médias ; car de telles attaques seraient bien plus effectives si menées par des petits groupes autonomes qui frappent dans l’obscurité, surtout là où les autorités ne s’y attendent pas.

Pour faire court, la plupart de l’activisme pour le climat a pour fixation de demander de l’aide de la part d’un système qui est intrinsèquement incapable de répondre. Elle répand ainsi un ethos de déresponsabilisation et d’infantilisation, insinuant que les gens ordinaires sont incapables de faire face à la crise climatique par elleux-mêmes. Mais vraiment c’est tout l’inverse. On sera tou·te·s réduit·e·s en cendres avant que les gouvernements fassent ce qui a besoin d’être fait. Il revient ainsi au·x rebel·le·s non spécialisé·e·s, dévoué·e·s, de commencer à résoudre la crise directement. À quoi cela pourrait ressembler ? Adopter sans délai les changements nécessaires que ceux au pouvoir ne considéreront jamais sérieusement. Par là je veux dire mettre à l’arrêt les centrales électriques, les aéroports, les autoroutes, et les usines, tout en arrangeant des moyens décentralisés (et ainsi avec dans une esprit écologique) de nos subsistances sans eux. Cette proposition implique sans aucun doute une escalade massive dans la stratégie. Quoiqu’il en soit, étant donné la gravité de la situation, combinée au fait que les méthodes actuelles ont prouvé leur insuffisance, je pense qu’il est temps qu’on considère la révision radicale de notre approche.

L’inspiration est déjà là. Par exemple, la campagne Switch Off ! (initié en Allemagne en 2023, et qui se répand au-delà de l’Europe depuis) a laissé tomber la réforme du capitalisme, se concentrant à la place à paralyser directement l’infrastructure responsable de la dévastation de la planète. De tels exemples de sabotages se répandent, qu’ils soient associés à cette bannière, une autre, ou pas revendiqués du tout. Pour ne mentionner que quelques unes des actions pertinentes : en septembre 2023, le réseau ferroviaire de la périphérie d’Hambourg a été saboté en plusieurs points, provoquant une perturbation majeure dans l’un des plus grands ports d’Europe ; en mars 2024, une attaque incendiaire du réseau électrique proche de Berlin a fermé l’immense Gigafactory Tesla pendant plusieurs jours ; en mai 2025, une double attaque sur une centrale électrique et un pylône à haute-tension a causé un blackout dans une partie importante de la France, privant d’électricité un aéroport, plusieurs usines, et le Festival du Film de Cannes. On pourra aussi se rappeler que l’aéroport de Londres-Gatwick a été fermé pendant plusieurs jours en 2018, selon certaines sources (et pour des motivations inconnues) parce que un drone portatif a survolé les pistes. Malgré les massifs efforts policiers, celleux qui ont réalisé cette action facilement reproductible n’ont jamais été retrouvé·e·s ; les autres actions mentionnées ici n’ont pas mené à de quelconques arrestations non plus. En contraste, les tactiques activistes conventionnelles pour le climat (par exemple, le recours aux lock-ons, aux trépieds, à la superglu) tiennent le fait d’être arrêté·e comme acquis, sacrifiant en cela nos camarades aux tribunaux, aux prison, et à la surveillance continue. C’est un prix cher pour des actions qui, à côté du fait qu’elles favorisent une attitude de soumission envers les autorités, ont peu ou pas d’impact sur les capacités de fonctionnement des industries qui trash le climat.

Dans le but de commencer à faire face au problème à l’échelle du changement climatique, toutefois, les attaques contre les infrastructure écocidaires doivent devenir encore plus ambitieuses. Cela pourrait être formulé en termes de dépassement de la focalisation sur les industries spécifiques en ciblant la civilisation industrielle dans son ensemble. Les centres de production, d’extraction, et de recherche pertinents doivent être pris pour cibles ; ainsi que le réseau électrique qui les lie ensemble, à savoir, le réseau même qui donne sa puissance (dans les deux sens du terme) au système de la destruction au départ. Une vision aussi audacieuse paraît déplacée pour beaucoup de gens. Mais il est trop souvent oublié que le changement climatique et la civilisation industrielle sont en fait exactement le même problème. La dégradation humaine du climat n’est pas quelque chose d’ancien ; elle est autant datée que l’industrialisation elle-même. Depuis à peu près 150 ans, la vie humaine s’est centrée de façon croissante sur l’usage des machines qui convertissent les combustibles fossiles en énergie, émettant en cela du dioxyde de carbone. La culture humaine, en d’autres termes, a été mise de force dans une relation de dépendance envers une infrastructure en perpétuelle expansion qui ne peut pas fonctionner sans empoisonner le climat. La Révolution industrielle a été initiée il y a seulement quelques générations, et ses conséquences ont déjà mené beaucoup à questionner la viabilité de la vie elle-même au-delà du siècle. Il ne pourrait y avoir de plus accablant de ce tournant technologique relativement récent.

Certain·e·s répondront, bien sûr, que la civilisation industrielle n’est pas intrinsèquement dévastatrice de la terre, et est déjà dans le processus d’être réformée. On parle là de la dite « Transition verte » annoncée à travers le spectre politique comme la solution à la crise climatique. Toutefois, c’est une erreur courante de penser que les énergies éolienne, solaire, ou hydroélectrique représentent d’authentique alternatives aux méthodes conventionnelles ; car en réalité elles sont harnachées aux combustibles fossiles, qui sont en train de brûler en quantités plus élevées que jamais. Penser que l’économie capitaliste consentirait jamais à laisser des réserves inexploitées de charbon, de gaz, ou de pétrole dans le sol c’est méconnaître la principale logique d’un système basé sur la croissance illimitée. La conséquence de l’investissent record dans la green tech, ainsi, n’a été que pour catapulter la consommation mondiale d’énergie à des niveaux sans précédent.

Par ailleurs, à côté du fait qu’elle échoue à engager une transition, la restructuration économique en cours est tout sauf verte. Premièrement, les combustibles fossiles sont des sources d’énergie hautement denses, que ni l’énergie solaire, éolienne, ou hydraulique ne sont prêtes d’égaler ; il s’ensuit que les « énergies renouvelables », si attendues qu’elles maintiennent les niveaux actuels d’absorption, doivent consommer des étendues de terre bien plus grandes que celles qui sont déjà dédiées à la production d’énergie. Deuxièmement, les technologies clés d’une telle restructuration dépend lourdement de l’extraction de minéraux, en particulier par l’exploitation minière. Par exemple, le nickel et les minéraux de terres rares sont nécessaires à la construction de panneaux solaires et d’éoliennes ; le lithium et le cobalt sont des composants clés de leurs batteries, ainsi que celles des voitures électriques, des vélos électriques et des smartphones. En tant que tel, et au nom du devenir « vert », l’économie capitaliste est en train de piller chaque recoin du globe à la recherche de ressources lucratives, conduisant donc à la dévastation écologique, au travail forcé, et aux conflits géopolitiques. Même les profondeurs inexplorés des océans sont sur le point d’être saccagées ; ensuite ce seront les astéroïdes et d’autres planètes. En somme, donc, ce qui a été promu comme la solution technologique à la catastrophe climatique n’est qu’un vaste mensonge camouflant la poursuite de l’expansion de la mégamachine.

Est présente dans le discours de presque tou·te·s celleux que l’on rencontre de nos jours une compréhension que les humains sont en train de dévaster la biosphère – et simultanément de se suicider. Pourtant, beaucoup moins sont prêt·e·s à envisager la crise pour ce qu’elle est réellement, à savoir, la résultante d’une fuite en avant dans le développement technologique. Ceci n’est pas un problème auquel on peut faire face par le vote, la pétition, la manifestation, le boycott, ou l’investissement. La seule réponse réaliste à la crise climatique est l’attaque de la civilisation industrielle. Je ne m’attends pas à ce que cette proposition s’apprête à recevoir une popularité large ; après tout, elle garantit de déstabiliser le seule monde que presque n’importe qui n’a jamais connu. Toutefois, on pourrait devoir tenir compte du fait que beaucoup ou la plupart des humains insisteront toujours pour maintenir leurs voitures, frigos, et smartphones en marche – même au prix d’abandonner l’air même que l’on respire. Il incombe donc à celleux dont les priorités sont ailleurs de procéder à l’action courageuse et intransigeante.

Publication anonyme sur Act for Freedoom Now !

15 août 2025

LECTURES COMPLÉMENTAIRES

Desert, Stac an Armin Press, 2011

« Désarticuler l’autorité », Avalanche n°8, 2016

Hourriya, cahiers anarchistes internationalistes n°3 L’Imprévu – Du centre à la préiphérie, 2016

Total Liberation, Active Distribution, 2019

Breaking Ranks : Subverting the Hierarchy & Manipulation Behind Earth Uprisings, 2023

Contre le phagocytage des luttes par les Soulèvements de la terre, 2023

Lutter et/ou se faire manipuler au nom d’une lutte ? Soulèvements de la terre versus État, même combat, 2023

Quand NDDL se prend pour le petit père des luttes – Entre récupération et autoritarisme, 2021

« Mégaprojet, « Transition énergétique » : Localiser les points faibles », Antisistema n°2, 2024

« Mapping the Megamachine : Microship Production », Tinderbox n°5, 2024
(disponible en papier)

« Nonhuman Comrades », No Path n°2, 2024
(disponible en papier)

« Constellations souterraines : Mettre en lumière les rouages de la guerre et de l’écocide », Tinderbox n°7, 2025

An Anarchist Solution to Global Warming, Peter Gelderloos, 2010

« Nothing is True, Anything is Possible », No Path n°2, 2024
(disponible en papier)

Conversation with a human ecologist on the promises of renewable energy technologie, No Mine in Glálok : Ecocide and Colonialisme in Swedish-occupied Sápmi, 2023

Convergence des technologies anarchistes 2025

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Août 232025
 

Soumission anonyme à MTL Contre-info

La technologie est un tas fumant de n’importe quoi. La salade de transistors, de condensateurs et de fils dans laquelle nous nous marinons pendant 17,2 minutes avant de boire notre café est la première chose que nous voyons chaque matin, tandis que nos subversions des excréments du capitalisme de surveillance sont les dernières choses à brûler leurs images dans nos rétines avant que nous fermions les yeux chaque nuit. La totalité augmentée par l’IA qui engourdit nos sens et optimise notre travail continue son chemin, vulnérable mais sans entrave. Ne disons pas qu’on n’a jamais essayé.

La convergence des technologies anarchistes de Montréal est un rassemblement annuel à l’intersection de l’anarchisme et des technologies.

Un événement sur deux jours: 11 & 12 octobre 2025 au Batiment 7 à Tiohtia:ke Montreal

  • ateliers
  • présentations
  • partage de compétences
  • discussions
  • et bien plus!

Bienvenue aux informaticien-ne-s anarcho-curieux-ses, aux anarchistes techno-curieux-ses et tout le monde entre les deux.

Notre but est de tisser des liens, de pratiquer ensemble, de jeter ce rectangle avide de notre attention dans le blender, puis façonner ses éclats en une paire de fesses à déposer sur le perron de ton propriétaire.

Envoyez vos propositions avant le 15 septembre.
https://mtl-atc.org/fr

Réponse à l’invitation à réinvestir le Centre Social Anarchiste l’Achoppe, à Hochelaga

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Juil 132025
 

Soumission anonyme à MTL Contre-info

J’ai répondu à l’un de ces appels à réinvestir le CSA il y a environ 2 ans. Les anarchistes n’ont rien à faire là tant que le bâtiment est habité. On sait, L’Achoppe est le lieu d’habitation, de fréquentation, de “squat” d’un groupe plus ou moins homogène, en tout cas assez soudé, on le verra, qu’on tend à appeler “les punks”, du fait qu’iels se rejoignent entre autres par amour de la vie d’une certaine scène. Ces gens, en tant que locataires, en transit ou visiteur-euses, n’ont pas l’obligation d’entretenir le Centre Social Anarchiste (rez-de-chaussée et sous-sol) en participant aux instances décisionnelles ou en prenant des tâches. Ça va de soi: on n’a pas le réflexe, en tant qu’anarchistes, de forcer les gens à faire ce qui ne les passionne pas; on pense généralement que chacun-e a quelque chose qui lui tient à cœur et que la place de chacun-e dans la chaîne de (re)production devrait être désignée en fonction de cela. En d’autres mots, on pense que l’on a intérêt, toustes, à ce que les tâches soient menées par passion plus que par obligation. C’est cela, selon les anarchistes, qui pousse à avoir du cœur à l’ouvrage. Or il est pour le moins curieux, en dépit de cette raison, de voir des anarchistes dans une telle situation, qui en est une d’inégalités.

En effet, les gens qui investissent bénévolement le CSA se mettent en position de subir la volonté de gens qui ne conçoivent à peu près pas de responsabilités envers elleux et qui pourtant fréquentent le lieu qu’iels entretiennent. Les “punks”… Je les appelle “les torché-es”… Appelons-les “les torché-es”… Les torché-es ont tout loisir, lors des périodes d’inactivité du CSA, quand on a le dos tourné, de dégueulasser la place et de laisser les anarchistes torcher par la suite. Il n’était pas rare, quand je m’y impliquais, de voir s’attrouper dès la conclusion d’une activité menée par des bénévoles ou d’une journée de travail, toujours plus de dandys dans la cour ou au rez-de-chaussée et de retrouver le CSA dégueulassé le lendemain ou surlendemain. – Quoi!? C’est pas ce qui les passionne, les anarchistes, torcher? Iels ont bien volontairement pris la tâche! – C’pas d’même ça marche, ti gars. Évidemment que les bénévoles torchent volontairement, or c’est pour que le lieu puisse accueillir des projets, principalement menés par elleux-mêmes. Or ces projets, ça prend du temps; et je n’ai vu personne du CSA qui était enchanté-e de se taper deux heures de ménage, initialement prévues pour autre chose, parce que la veille, 2-3 torché-es ont décidé que la bibliothèque devenait un lieu de ramassage de scrap.

Je n’ai vu personne enchanté-e par ce genre de situation, en effet, puisque le temps est limité, d’autant plus que l’on doit déjà se faire exploiter ailleurs, sur le marché du travail. Et c’est ça qui est grave à l’Achoppe: on s’y fait voler son temps, une chose des plus précieuses qu’on a. Si on veut se faire exploiter de la sorte, il n’y a qu’à travailler au communautaire avec une direction qui se paie deux fois le taux horaire du plancher (sans justification aucune que celle d’entretenir la fidélité, le contentement, des hiérarques, versus des employé-es dépendant-es de leurs misérables paies). L’Achoppe a tout d’un centre de bénéficiaires, moins la paie.

Certaines personnes ont eu longtemps espoir de voir les torché-es devenir des personnes responsables.

Ce fut tout à leur honneur: dans le lot de nos déterminations, certaines se contrarient et ainsi, nous ne sommes pas, a priori, condamné-es à faire toujours les mêmes choix. N’empêche, la répétition est signe que certaines déterminations empiètent grandement. Et c’est là que prend tout son sens l’expression “choisir ses combats”. Il faut bien choisir ses combats, en effet, puisque notre temps est limité et que certains sont peut-être, du moins de notre vivant, voués à l’échec, une mise avec trop peu de chances de succès, comme quand on veut “se refaire aux machines” après une énième perte d’argent.

De ce que j’ai entendu, la structure d’organisation du CSA est demeurée sensiblement la même depuis mon départ. Probablement que le système de membrariat s’est ramoli, voire n’est plus existant. C’était quelque chose qui me semblait être respecté avec réticence quand j’y étais. Les signes que L’Achoppe est un mauvais choix, les voici…

• Les torché-es ne s’intéressent généralement pas à la théorie. Beaucoup d’anarchistes se sont proclamé- es tel-les suite à un contact avec des théories sur le travail et l’autorité. Quand est venu le temps de discuter théorie à L’Achoppe, j’ai vu des yeux rouler d’exaspération. Et pour m’exhorter à la patience, on me disait quelque chose de condescendant comme: “À leurs yeux, on est une gang d’intellectuel-les diplômé-es, donc privilégié-es. Faut donc user de tact”… Comme si j’en avais pas lavé des assiettes depuis mes 13 ans… Comme si j’en avais pas ramassé de la scrap depuis que je suis tout p’tit… Comme si mon diplôme m’avait pas valu une dette de 30 000$… Comme si ma mère m’avait pas appris à torcher, parce qu’y était pas question qu’à 2-3 jobs salaire minimum, elle torche toute seule… Privilégié, je veux bien, mais pas à quel point? Comme si ma réalité de pauvre n’avait pas informé mon parcours d’étudiant… Et comme si la théorie n’avait jamais été un outil d’émancipation des masses… Bref, apparemment, les torché-es pensent que la théorie c’est bourgeois, ou quelque chose du genre. Donc, on ne les verra pas aisément se poser des questions à propos d’une organisation équitable du travail, du travail domestique comme d’un travail à part entière (on repassera, d’ailleurs, pour le féminisme à L’Achoppe… n’est-ce pas?), etc.

• Il est un drôle de fait que j’ai encore grand mal à concevoir: certaines personnes, pourtant assez autonomes en maints domaines et assez peu privilégiées, se sentent le luxe de n’avoir à peu près jamais à ne serait-ce que songer aux tâches ménagères; et on les voit préférer, à l’idée d’adresser l’encombrement fréquent que cela implique, d’être interpellées à maintes reprises par les gens avec qui elles cohabitent, détériorant ainsi leurs relations. Je soupçonne que cela nous vient de la famille, de cet amour supposé inconditionnel qui lui est propre, qui cautionne toutes sortes d’abus. La précarité grandissante n’arrange sûrement rien, réduisant davantage les possibilités de sortir de son milieu d’origine. Sans parler du familialisme qui, au Québec, nous colle à la peau… Bref, cela est un autre sujet. De ce drôle de type de gens, il s’en trouvait au CSA entre les périodes d’activités préparées par les bénévoles. Et souvent, quand nous étions ravis-es de l’état de l’endroit à notre arrivée, et que nous félicitions la bonne volonté des torché-es, un-e comembre nous reprenait en nous disant qu’en fait, c’était tel-le organisateur-ice d’événement qui avait fait torcher sa gang avant leur départ… La période que j’ai connue où le CSA était le plus propre, c’était un été où la majorité des habitant-es étaient parti- es, probablement travailler au BC ou quelque chose du genre que les torché-es font l’été. Très souvent, on ne demandait pas de comptes, on se contentait de torcher, par dégoût du conflit puéril, du sermon et du temps potentiellement perdu à chercher qui avait laissé dans la buanderie ses sacs de plastique déchirés ayant contenu des vêtements don’t on savait qu’ils abritaient possiblement des parasites, après une alerte punaises… Il fut question de barrer les portes du CSA et de ne laisser l’accès qu’aux membres, or on s’est mal vu-es priver les locataires de salle de lavage, ce à quoi iels n’ont pas accès autrement dans le bâtiment, me disait-on. Bref, le point est que la cohabitation d’anarchistes et de torché-es ne fonctionne pas dans la mesure où les premier-ères ont très souvent intérêt à rapidement nettoyer plutôt qu’à tenter de trouver l’enfant-adulte responsible de leur désarroi, car le-la bénévole du CSA est présent-e généralement pour préparer quelque activité imminente. Ainsi, les torchées continuent de se faire torcher et ne sont pas poussé-es à changer leur conduite.

• On a envisagé de priver de moyens d’empiéter sur le CSA par la légitimité que conféraient les processus démocratiques en cours… Or cela n’a semblé qu’un rêve aussi. Quand venait le temps de remettre en question des activités associées à beaucoup de soucis et au caractère punk (jam space, dortoir), les torché-es avaient soudainement la forte envie de participer aux processus démocratiques.

On comprend. Le dortoir, plus particulièrement, est un moyen de garder une force du nombre pour les torché-es: pas mal moins intimidant de se pointer en bas, chez les supposé-es intellectuel-les bourgeois- es, quand une partie de ta gang de torché-es vit en bas. De plus, la communauté des torché-es en est une qui voit ses membres en être longtemps et elle pose sa légitimité là-dessus. En effet, quand est venu le temps de refuser un don de légumes à sécher à L’Achoppe, par manque de place et d’effectif, et de répondre à cet individu qui s’indignait que l’on refusât une telle charité, on rétorqua chez les torché-es: “Ah! Mais un tel, c’est un ami de longue date de L’Achoppe!” – Ouin pis? Qui va inventer la place et coordonner tout ça?… Personne? Bah ta yeule. Je ne compte pas les fois où j’ai entendu dire avec fierté qu’un-e tel-le torché-e avait connu L’Achoppe du temps de telle affaire ou de telle autre, quand c’était pas carrément : “L’Achoppe a toujours été punk et elle restera punk”. Ressort un ton héroïque (le terme est peut-être un peu fort) des paroles de torché-es que je rapporte. Cette durabilité du « projet punk » n’a pas manqué, clairement, de paraître un signe de vitalité… sauf qu’elle est fondée sur l’abus en vérité.

• C’est quoi le “projet punk”? Après un an et demi d’implication à L’Achoppe, je crois comprendre que c’est un paradoxe. C’est l’inconfort, être toujours entre deux chaises, énerver à la manière d’une mouche qui attend sa claque. Ça fait du bruit pour pas grand-chose, ça recherche sa misère… Jusque-là, en dépit de mon ton, on peut y trouver quelque honorabilité: pas évident d’être parvenu-e avec une telle attitude, d’être un traître à sa classe (versus, disons, des représentants syndicaux, avec le respect qu’on croit généralement leur devoir). Or c’est ici que ça se corse: ça a en horreur toute clarification de rapports.

C’est que ça pense bêtement, parce que, on se souvient, ça n’aime pas la théorie, que structure consciemment travaillée = autorité, plutôt que moyen de coordonner les intérêts. Attendez-la, si vous avez la bêtise de vous investir à L’Achoppe à cause du récent appel, la qualification de votre personne d’autoritaire. Ça se pense vertueux en cultivant l’informel. Certes, il leur arrive, aux torché-es, de fréquenter la structure… On a vu pourquoi. En fait ça en veut bien une structure. Il s’agit de celle que j’achève de dessiner ici, informelle, inconsciente. Notez, ce n’est pas pour dire que les anarchistes, versus les torché-es, ont pour fin une seule structure donnée. Seulement, l’anarchisme, du moins celui don’t je suis, refuse le regroupement bête, de ne pas tenter de prendre conscience, en vue d’atteindre ses buts, des rapports qui unissent et désunissent. Puisque la vie est faite de pressions, d’impacts, de glissements, de frottements, de temps, qu’elle conduit. La bonne foi ne suffit pas toujours à la paix. Il faut parfois d’abord chercher à modifier le contexte. Ainsi les torché-es sont bien plus à risque de stagner que les anarchistes.

En conclusion, les torché-es ont tout pour sentir que leur “projet” leur réussit. Chez les torché-es, on méprise la théorie et ce qui dure, pourtant n’a pas manqué la formation de quelque instinct, ou réflexe, par une Achoppe “still punk” et l’ancienneté de certain-es membres de cette communauté… C’est que l’instinct cautionne à la fois le changement et le durable. Il y a stabilité et stagnation, deux termes signifiant des réalités similaires, mais aux connotations différentes. Et il y a changement et mauvaise surprise… C’est bien là le lot des gens qui refusent de réfléchir et choisissent de n’être qu’un paquet de réflexes: ne pas réaliser les contradictions bêtes par lesquelles on trahit les camarades. Il s’agit bien de trahison, puisqu’il s’agit d’exploitation. En effet, il s’agit, quand on travaille au CSA, d’à peine pouvoir profiter de son travail, alors que d’autres, qui ne s’impliquent pas du tout ou seulement quand l’intégrité de leur “projet”, le “projet punk”, est mise à mal, en profitent tout simplement. En tant qu’anarchiste, paraît d’abord un rare lieu d’expérimentation le CSA. On en ressort généralement déçu-e et épuisé-e. Et on part. Ai-je besoin d’expliciter en quoi cela est terriblement néfaste pour le projet anarchiste? Non seulement cela, mais considérez à un niveau plus personnel. Les choix qu’on fait sont vitaux puisqu’ils nous font plus ou moins gagner du temps. Il est, en ce sens, absolument outrageant de voir les torché-es à répétition flouer des travailleur-euses bénévoles, qui ont bien d’autres choses à faire que de s’impliquer dans un centre social tout pourri des murs aux gens. C’est rien moins qu’un vampirisme. Je disais: on peut penser que l’entretien de ce cycle par les torché-es est instinctif; il s’agit de reproduire une situation qui paraît bénéfique, simplement, de faire comme d’habitude. Et l’anarchisme est toujours là… Depuis quand? Plus de dix ans?… pour renforcer sans cesse cet instinct, en se mettant dans des situations où il est difficile de ne pas simplement torcher ou de ne pas finir par partir et être remplacé-e par quelque personne non avertie. On entend souvent en frais d’introduction à l’anticapitalisme: “L’histoire démontre que le capitalisme ne sert pas l’humanité”. Il faudra combien d’anarchistes passé- es et déçu-es par L’Achoppe pour user de la répétition comme argument? Notez que si le CSA avait un homologue dans les environs, on n’en serait sûrement pas là.

Naturellement, si je me fais chier là, je vais voir ailleurs. Or il n’est pas de tiers lieu comme le CSA dans les environs de celui-ci pour lui “faire compétition”. Et si la tendance se maintient dans l’immobilier, il semble que l’acquisition pour un projet de ce genre d’un autre bâtiment par des moyens légaux s’avérera de plus en plus ardue… C’est la raison pour laquelle plusieurs me disaient ne pas vouloir abandonner le projet: “C’est le seul endroit du genre dans le quartier; un lieu désigné pour l’anarchisme, c’est précieux, surtout de nos jours.” Est-il si précieux s’il y a à peine le temps de s’y investir déjà sans les torché-es? Il n’est pas dit, dans ce contexte, que le temps nécessaire à une sensibilisation efficace, s’il en est, auprès des torché-es en est un raisonnable. Et la tendance n’est pas qu’à la difficulté d’acquérir un bâtiment, évidemment; le temps lui-même se fait de plus en plus rare. Il semble qu’on essaie de gagner du temps avec du temps qu’on n’a pas en maintenant une Achoppe à la fois anarchiste et “punk”. En effet, ne désire-t-on pas entre autres du CSA qu’il soit le lieu de réunions par défaut, le lieu de confection de réserves alimentaires, le lieu de recrutement pour diverses organisations? Tout cela a trait au temps, est censé libérer du temps aux anarchistes.

C’est en raison de tout ce qui précède qu’on doit, je pense, miser sur les propositions suivantes:

• Réaffecter les habitations, afin que ces espaces ne puissent plus être occupés par de simples habitant- es qui n’ont aucun scrupule à saper les projets d’anarchistes.

• Ou enfin renoncer au lieu, le laisser aux torché-es (”L’Achoppe a toujours été punk et elle restera punk”), et faire campagne plus ou moins formellement, selon les besoins, pour que les anarchistes ne s’y fassent plus avoir. On verra combien de temps ça tough un centre social mené par rien que des torché-es… L’Achoppe telle qu’on la connaît n’est sûrement pas la seule avenue de l’anarchisme dans Hochelaga. J’ai tenté de rendre évident le fait qu’elle est plutôt une épine dans son pied. D’autres types de projets existent, et qui peut-être ont plus de chance de nous faire gagner du temps.

Nus

Pouvoir oublier : ce qu’un film sur la grève de 72 peut dire aux anarchistes

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Juin 062025
 

Soumission anonyme à MTL Contre-info

Je suis allé voir le docu Pouvoir oublier au cinéma en me méfiant un peu. Les documentaires sur le syndicalisme, la lutte ouvrière et sur le travail en général ont ce défaut d’être trop propagandistes, sans discernement, et sans évidemment aucune analyse des limites du syndicalisme comme forme de contestation. Je suis unE militantE assez usé par le temps pour avoir entendu tous les vieux mythes ouvriéristes et nationalistes répétés comme des mythes qu’on ne peut critiquer…La grève générale de 1972, les grands moments du « mouvement ouvrier », tout ça, j’en ai souvent vu les récits tournés en monuments, polis, illustrés, vidés de leurs contradictions. Mais ce film-là ne fait pas ça. Ce film m’a désarmé. Il n’avait rien d’un hommage tranquille ni d’une célébration. Il faisait autre chose : il creusait. Il doutait. Il écoutait.

Dans Pouvoir oublier, on ne nous vomit pas la même leçon d’histoire entendue mille fois : la mort du méchant Duplessis, la gentille Révolution tranquille qui met le Québec sur la map du Progrès, l’indépendance ratée comme une erreur historique…tout ce discours nationaleux qui vieillit mal. Enfin oui, le film en parle, mais il en parle autrement, pour une fois. On entre dans les plis d’un moment politique trouble qui devrait nécessairement intéresser les anarchistes du soit-disant Québec. Le Front commun de 1972 et surtout l’occupation de la ville de Sept-Îles posent des questions centrales pour quiconque s’est un jour identifié comme révolutionnaire. On tire quelque chose d’inconfortable mais vital à la suite de ce visionnement : une critique en acte, lucide, amère parfois, mais pas cynique pour autant (malgré les appréhensions). Ce que j’ai vu, c’est un film qui ose poser des questions que les institutions syndicales évacuent de manière complaisante : jusqu’où peut-on lutter quand on reste enfermé dans les revendications salariales ? Qu’est-ce que signifie vraiment le  »pouvoir ouvrier » sinon le pouvoir syndical ? Et que reste-t-il quand ce pouvoir est devenu mémoire, ou pire, folklore ? Alors que la lutte des classes semble reprendre du poil de la bête, il serait idiot de répéter les mêmes erreurs qu’autrefois. Le film pose des questions fort pertinentes avec en toile de fond les possibilités d’auto-organisation, d’autonomie des travailleurs et travailleuses, sans éclipser la nature aliénante de l’exploitation capitaliste, tant dans le salariat que dans la colonisation du territoire.

Le titre m’a trotté dans la tête. Le pouvoir d’« oublier » ce qu’il faut pour survivre, pour continuer, mais aussi le « pouvoir ouvrier » qu’on a laissé se dissoudre dans les couloirs des négociations. Et puis le rappel : qu’il y a des choses qu’on ne pourra ni oublier, ni réparer. Comme la violence d’avoir été trahi par ses propres structures, par la grande industrie, par l’État. Comme le fait de lutter sur des territoires volés, dont on n’a jamais remis en question l’occupation. Et aussi le traumatisme présent dans nos luttes, qu’on cherche à éviter, la question du deuil qui est centrale aux mouvements de contestation. Parce que dans cette histoire portée à l’écran, il y a un attentat, un mort et beaucoup de blessés. CertainEs dans leurs corps, d’autres dans leurs esprits. Je trouve que les réflexions sur le care nous amènent à voir cette époque et ces événements d’une manière nouvelle pour mieux renforcer nos luttes, sans qu’elles tombent dans une auto-représentation folklorique. Il faut adresser les véritables enjeux, même ceux qui nous immobilisent pour un temps, et c’est ce que le film fait je trouve. Ce film est intéressant dans une perspective anti-autoritaire pas parce qu’il chante l’utopie (il ne le fait jamais) mais parce qu’il nomme ce que les syndicalistes n’ont pas su dépasser en raison de leur nature, de leur fonction: la médiation permanente, les rôles assignés, les luttes intégrées au système qu’elles prétendent contester. Et parce que le film donne la parole autrement. Pas de voix off paternaliste (enfin!), pas de récit figé. Quand les vieux chefs syndicaux parlent, c’est pour mieux déconstruire leur discours ou à tout le moins pas pour en glorifier les paroles mais toujours dans une tension critique bien rare dans ce type de film. On sent que la forme a été pensée comme une manière de refuser l’autorité du récit, même si ça peut être amélioré. Et ça, pour moi, c’est quelque chose de radical, parce que ça provoque la critique, la discussion, sur des bases non campées, non partisanes. On est loin de la docilité habituelle du film-propagande qui, à la longue, finit par lasser à force de se faire dire quoi penser.

Il y a dans ce film une force fragile, une attention au soin, à ce que les militant·e·s d’hier ont porté, perdu, transmis sans toujours le vouloir. Et il y a ce regard dur mais tendre sur une histoire de luttes qu’on ne veut pas idolâtrer, mais qu’on ne veut pas non plus jeter à la poubelle. C’est dommage que ça parle d’un événement qu’il y a eu lieu si longtemps car bien d’autres luttes récentes pourraient être concernées par cette approche sans compromis. Moi, en tout cas, ça m’a inspiré dans la manière de représenter nos récits au-delà de leur forme traditionnelle.

Ce film ne se revendique pas anarchiste. Mais who cares ? Il donne envie de reparler stratégie, mémoire, défaite. De sortir des cadres. D’imaginer autre chose. Et pour ça, il mérite d’être vu, discuté, transmis. Pour réactiver la parole critique, la discussion, l’affrontement.

Ça joue encore au cinéma, il me semble.

Contre le Spectacle érotique

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Juin 052025
 

Soumission anonyme à MTL Contre-info

Pourquoi le sexe, même queer, n’est pas une pratique révolutionnaire

Intro : le Spectacle du sexe queer
« Spectacle : non pas simplement représentation, mais organisation matérielle et sociale des apparences, où la vie devient une marchandise à consommer sous forme d’images et de récits. »

Nous décidons d’écrire ce texte à la suite de plusieurs discussions et débats autour de la place des pratiques sexuelles dans les perspectives révolutionnaires. Nous parlons depuis l’intérieur, avec tendresse, rage et une certaine ironie. Maintes fois, nous avons entendu des camarades soutenir que le sexe, et particulièrement le sexe queer, constituerait un acte militant politique, qu’il faudrait l’encourager et créer des espaces politiques dédiés à la tenue de pratiques sexuelles transgressives. Certaines de ces affirmations prennent parfois plus la forme de blagues que de vraies propositions politiques, mais elles demeurent tout de même ancrées dans le point de vue que la sexualité queer, surtout dans un contexte DIY, de squat, de cruising ou de discours politique radical, constitue une forme d’action politique pertinente à nos mouvements (par nos mouvements, nous entendons à la fois les mouvements révolutionnaires et les mouvements queers).

Par ce texte, nous souhaitons nous opposer à cette perspective. Premièrement, car nous avons constaté que celle-ci accorde souvent trop d’importance à des pratiques contre-culturelles qui ne relèvent pas de stratégies permettant la réelle modification de nos conditions sociales. Deuxièmement, car nous nous demandons si dépeindre la sexualité queer comme intrinsèquement radicale contribue à obscurcir et à reproduire certaines dynamiques de pouvoir au sein de nos communautés. Nous n’avons pas toujours les mêmes ressentis, les mêmes positions, les mêmes enjeux, mais quelque chose nous relie dans cette fatigue, ce trouble, ce désir d’autre chose. Certes, nous ne voulons pas laisser entendre que la sexualité queer soit mauvaise ou devrait être réprimée. Au contraire, nous souhaitons que celleux qui veulent avoir du sexe et des pratiques sexuelles queer ou alternatives leur permettant de s’épanouir puissent le faire sans encombre, mais nous ne considérons pas ces pratiques, ou la revendication de ces pratiques, comme une stratégie ou une tactique pertinente. Nous jouirons dans les ruines, mais nous ne ferons pas tomber les murs.

Dire que quelque chose est « politique » (car tout est politique), un cliché dont nous avons tous•tes un peu marre, n’est pas suffisant pour affirmer qu’elle soit pertinente politiquement. Dans nos cercles et nos affiches, la sexualité queer tend à être érigée en Spectacle, au sens que lui donne Guy Debord : non simplement comme une représentation, mais comme une forme d’organisation sociale dans laquelle la vie elle-même est médiée, séparée et transformée en image. La sexualité queer, dans ce contexte, devient une marchandise spectaculaire : encensée, esthétisée, consommée comme preuve de radicalité, mais détachée des conditions réelles de notre lutte. Nous ne voulons plus de ce Spectacle comme forme militante.

Aliénation sexuelle et la forme commodité

Force est de constater que, sous le capitalisme, la sexualité est le produit des mêmes logiques qui structurent le reste de notre vie sociale : commodification, privatisation et isolation. Les actes sexuels individuels (même s’ils sont faits en groupe), peu importe leur caractère transgressif face aux normes bourgeoises, demeurent régis par ces conditions d’aliénation. Tant qu’il n’y a pas de changements conséquents (certain•es pourraient dire, de révolution) des relations sociales entourant la sexualité, cela ne pourra pas changer.

Pour Mario Mieli et Guy Hocquenghem, l’homosexualité (et, par extension, la queerness) renferme un potentiel révolutionnaire non parce qu’elle est déviante, mais parce qu’elle met en lumière l’absurdité des normes sexuelles bourgeoises et leur fonction dans la discipline du travail reproductif.

Performer la déviance et la subversion sans s’attaquer au système de salariat, de propriété privée, de reproduction familiariste et des rôles de genre, c’est faire de ces actes une pure performance s’inscrivant dans le marché néolibéral de la différence. Comme toutes les commodités, sous le système capitaliste, le sexe transgressif est récupéré par l’appareil social et économique. Il devient un produit, pas une rupture.

Notre sexualité devient un Spectacle de transgression; nos corps, des objets déviants; nos expériences, des récits de radicalité esthétique.

Si nous souhaitons la libération sexuelle, nous ne pensons pas qu’elle adviendra à travers la transgression des normes, mais à travers l’abolition des conditions sociales qui requiert que la sexualité soit productive, normative et profitable. Aucun acte sexuel en lui-même ne peut venir à bout de la famille, des patrons ou de la police.

Du désir à la discipline : la récupération de la sexualité queer

Quand érotisme et identité sont éloignés des conflits de classe, ils deviennent des outils de récupération capitaliste, prenant la forme de capital social, de marchés spécialisés et de catégories rigides. La politique révolutionnaire ne peut pas émerger de l’auto-expression libidinale. Elle doit être reliée à un conflit collectif et organisé avec le Capital.

Les groupes autonomes du 20e siècle nous démontrent que la ligne de front des conflits de classes se situe dans les endroits de production et de reproduction : logement, care, éducation ou travail. La sexualité ne remet pas en cause ces secteurs si elle n’a pas de lien avec le projet communiste/anarchiste.

Comme l’affirmait le Front Homosexuel d’Action Révolutionnaire (FHAR) il y a de ça 50 ans, notre but n’est pas la visibilité ou la tolérance sexuelle, mais l’abolition des catégories permettant la gestion et la répression de la colère populaire.

Notre valorisation contemporaine du « sexe queer » comme un outil subversif, résonne avec les concepts de diversité libérale : des corps différents, mais des rapports propriétaires qui restent les mêmes.

Le système peut tolérer le sexe queer; il ne peut pas tolérer le communisme queer. Il peut monétiser les kinks, les expressions de genre diverses, le polyamour, et les orgies « politiques », mais il ne peut pas permettre l’abolition du travail salarié, du genre et de la famille. Seules la confrontation de classe et l’organisation révolutionnaire peuvent permettre une véritable libération de l’expression érotique.

Pas de révolution sans force : contre la politique de la transgression personnelle

Les transformations révolutionnaires requièrent une force collective capable de confronter et de détruire les institutions de domination : l’état colonial, l’économie capitaliste, le système carcéral. Les actes sexuels, peu importe s’ils nous semblent radicaux, ne peuvent pas générer cette force par eux-mêmes.

Les théories anarchistes et communistes, dont nous nous inspirons, ont toujours mis l’emphase sur la construction d’un pouvoir matériel horizontal, à partir de fédérations, d’actions directes et de ressources communes. Nous ne sommes pas intéressé•es par des actes symboliques de transgression réservés à une élite communautaire.

Le FHAR, que nous avons mentionné précédemment, et qui inspire aussi nos pratiques futures, comprenait que la libération devait être à la fois politique et sexuelle, mais rejetait l’idée que cette libération se trouvait dans la voie de l’autonomie personnelle. Leurs actions de rue et leurs interventions en usine visaient les sièges du pouvoir, pas juste les normes.

La transformation du désir est essentielle, mais elle requiert de nouvelles formes sociales, pas seulement des pratiques personnelles. Le désir révolutionnaire ne se trouve pas dans la permission ou la performance, mais dans l’effacement des conditions qui font de la sexualité un outil de discipline et de différenciation.

Une sexualité queer peut être joyeuse, déviante ou commune : mais, tant qu’elle ne fait pas partie d’une société communisée sans propriété, elle n’est pas révolutionnaire. Ce qui est révolutionnaire, c’est l’abolition des conditions sous lesquelles nos corps, et donc notre sexualité, sont catégorisés, contrôlés et possédés.

Le capital social de la transgression

Finalement, nous souhaitons adresser les dangers relevant de la valorisation d’une sexualité queer déviante comme méthode d’action politique. Par le fait même, nous risquons de reproduire des hiérarchies de désirabilité, de capital social et d’asymétries de pouvoir dans nos communautés. Nos camarades qui sont plus ouvertement transgressif•ves, à travers leur esthétique, leurs pratiques sexuelles, ou leur performance de la radicalité, accumulent un capital social qui leur permet de délimiter l’authenticité de la « queerness ».

Cela risque la reproduction des logiques d’exclusion oppressive sur la base de l’ethnicité, de la classe, du genre et des capacités. Ainsi, des personnes qui ont vraisemblablement plus en jeu lorsqu’il s’agit de libération politique risquent d’être perçues comme « moins radicales » en raison de leur distance, voire leur opposition, avec ces pratiques de sexualité dissidente.

Nous tenons à affirmer que la libération se trouve dans l’abolition de la domination et des hiérarchies, pas dans leur réinvention érotique. Une politique ancrée dans le sexe-comme-résistance s’expose à la fétichisation de la marginalité et risque de confondre solidarité et Spectacle.

Pourquoi maintenant? (En guise de conclusion)

Si cette ligne du « sexe queer comme acte politique » est répandue depuis quelques années déjà, il nous semble important d’expliquer pourquoi nous nous y opposons à ce moment-ci spécifiquement. Dans un contexte de glissement de la fenêtre d’Overton (lire : climat politique) vers la droite et l’extrême-droite, il nous apparaît, nous personnes transsexuelles et homosexuelles, plus important que jamais d’adopter des stratégies fortes pour assurer la lutte contre le fascisme, la transmisogynie et l’homophobie. Nous sommes tous-tes déjà précaires, marginalisé•es et violenté•es par ce système. Notre travail est exploité et aliéné, nous sommes à la merci des parasites terriens (lire : proprios) et les violences genrées tendent une épée de Damoclès au-dessus de nos têtes.

Dans ce contexte, il est important de lutter sur les enjeux qui affectent notre survie : nos conditions de vie matérielles. Si le sexe queer est une pratique qui peut nous permettre de s’épanouir et de développer un rapport positif avec nos corps, il ne constitue toutefois pas une piste d’action envisageable face à l’urgence actuelle. Nos espaces (queers) sont dépolitisés, érotisés et galvanisés par des perspectives qui se limitent à de la subversion, des pratiques de care vides de sens, et une tendance à vouloir toujours performer plus de radicalité. Nous invitons nos camarades, et nous-mêmes, à réfléchir à nos perspectives, à ce que l’avenir de nos luttes nous réserve, et à comment dépasser l’obstacle que représente ce Spectacle queer.

Car ce n’est pas en s’enculant entre nous qu’on empêchera les fachos de le faire.

Libérons la bouffe

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Mai 022025
 

Soumission anonyme à MTL Contre-info

Hochelaga, 30 avril, 21h

Ce soir, des gens ont fait de l’entraide combative. La bouffe devrait être gratuite, comme tous les biens essentiels. Le fléau du capitalisme a fait en sorte que les essentiels comme la nourriture et le logement soient des choses à gagner plutôt que des besoins de base inaliénables.

Aujourd’hui, nous rendons la nourriture gratuite à notre façon en libérant la subsistance pour la redistribuer dans la communauté. Et nous le ferons à nouveau. L’appareil d’État pourrait essayer de nous en empêcher et en le faisant, montrer ses vraies couleurs. Le gouvernement et les intérêts corporatifs qu’il sert ne sont pas vos amis. Ils vous laisseront mourir de faim plutôt que sacrifier leurs intérêts. Mangez librement!

RADIO 2049, série de podcast francophone pour la rupture révolutionnaire

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Mai 022025
 

Soumission anonyme à MTL Contre-info

Radio 2049. Des podcasts pour la révolution, sans transition, dans un esprit de rupture. Des émissions pour comprendre la période a travers ses crises, ses guerres, ses luttes et indéniablement sa perspective révolutionnaire.

Enregistré au Loukanikos, un local politique ouvert à tous les prols révoltés qui veulent s’organiser au sein des luttes, contre ce qui fait ce monde et ceux qui le défendent, les gestionnaires de la misère et les publicitaire de cette vaste escroquerie qu’est le capitalisme.

Construire le communisme ne sera possible que par une révolution sans frontières qui abolira toutes les classes !

radio2049@riseup.net

https://www.youtube.com/@radio2k49
https://open.spotify.com/show/7x6u9iZJ20ORGIfMqdENg2

La série d’émissions la guerre et son refus :

L’invasion de l’Ukraine en février 2022 ouvre une nouvelle ère, la guerre de haute intensité revient sur les devants de la scène. Les relations inter-capitalistes de plus en plus tendues ont accouché d’un conflit impliquant les grandes puissances de la planète. Depuis, les tensions ne font que s’accroître, pour l’accès aux ressources, aux marchés et à la main d’œuvre. Les massacres et les destructions s’étendent dans des proportions apocalyptiques à la Palestine mais aussi au Congo, au Soudan… Partout on prépare les cœurs et les esprits au carnage. La guerre qui s’étend est hybride : sociale, commerciale, technologique et militaire.

Dans cette série nous nous intéressons aux mécaniques de la guerre moderne et surtout aux formes de refus et de résistance qui apparaissent dans les populations.

Episode 1 : La désertion envahie l’Ukraine

Première diffusion le 20 octobre 2024

Pour ce tout premier Podcast nous vous proposons une lecture du texte :
« Catastrophe pour certains, salut pour d’autres : la désertion inonde l’Ukraine », publié le 22 septembre 2024 par le collectif anarchiste « Assembly » de Kharkiv (Ukraine).

Ces derniers effectuent un travail d’enquête et d’analyse de la situation sur place et des perspectives de lutte. Ils disposent de contacts en Ukraine comme en Russie.

Leurs publications sont disponible sur les sites suivants :
En Russe sur : https://assembly.org.ua/
En Anglais sur : https://libcom.org/tags/assemblyorgua

Episode 2 : La société Israélienne et la guerre

Première diffusion le 9 novembre 2024

Pour ce deuxième épisode de l’émission la guerre et son refus, on reçoit Martin BARZILAI auteur du livre « Refuzniks » récemment réédité en version augmentée aux éditions Libertalia, pour parler de la la société Israelienne, de son état de guerre permanant et des formes d’oppositions à celle-ci. Ainsi que de l’évolution de la situation depuis le 07 octobre. Dans un second temps on poursuit sur les perspectives d’évolution du conflit Israelo-palestinien d’un point de vue de classe.

https://editionslibertalia.com/catalogue/orient-xxi/martin-barzilai-nous-refusons

Episode 3 : Defaitisme en Ukraine.

Partie 1 : Des nouvelles du front ; Partie 2 : et après ?

Première diffusion le 22 novembre 2024

Depuis des mois des soldats de plus en plus nombreux refusent de combattre ou désertent le front et les casernes. Le pouvoir aux abois rafle les hommes en âge de combattre dans les rues au point d’empêcher le fonctionnement d’une économie déjà agonisante. La population s’en prend aux recruteurs et aux institutions militaires. Tout ces faits sont en constante augmentation. Que se passe t’il en Ukraine ? Il y a t’il d’autres perspectives que la guerre et l’écrasement ? C’est ce que nous allons essayer de décortiquer au court de ce nouvel épisode, séparé en deux parties. Pour son élaboration en plus de diverses recherches, nous nous sommes appuyés sur les matériaux suivant :

Les derniers textes du groupe anarchiste de Kharkov (Ukraine) Assembly, écrits sous les bombes à partir de nombreux témoignages et analyses.
Disponible dans leurs versions originales ici : https://assembly.org.ua
Sous forme de compilation en anglais ici : https://libcom.org/tags/assemblyorgua
Le texte «Précisions sur le défaitisme révolutionnaire» du groupe espagnol Proletarios Internationnalistas, qui malgré une prose assez lourde nous offre une grille de lecture pertinente pour comprendre l’action du prolétariat en temps de guerre.
Disponible ici : https://www.autistici.org/tridnivalka/pi-precisions-sur-le-defaitisme-revolutionnaire/

Episode 4 : HARASS THE BRASS

Première diffusion le 28 janvier 2025

Retour vers le mouvement des GI contre la guerre (1969-1972) avec la mise en son de deux textes :

1. « Harass the brass: some notes toward the subversion of the US armed forces » (extrait traduit) https://libcom.org/article/harass-brass-some-notes-toward-subversion-us-armed-forces
2. « On ne marche plus : la révolte des GIs au Vietnam », un récit de Dave Blalock. » https://files.libcom.org/files/1967-1973GIresistanceinVietnam-apersonalaccount.pdf

La série de mémoire des luttes, Irak 1991 une insurrection oubliée :
(émission en cours de montage sortie tout les dimanche à partir de 27 avril 2025, dernier épisode disponible le 08 juin 2025)

Lors de la première guerre du golfe, les soldats Irakiens épuisés par la guerre refusent de combattre face à la coalition internationale et désertent en masse. A l’arrière les civils excédés par les pénuries et les destructions commencent à manifester contre le régime de Saddam Hussein. En quelques jours la rencontre des soldats déserteurs et des manifestants donnera lieu à une immense insurrection populaire à travers tout le pays.

Émission chapitrée en 7 épisodes d’une quinzaine de minutes

Chapitre 1 : La guerre

L’invasion du Koweït par Saddam Hussein déclenche une méga opération internationale contre l’Irak conduite par la toute-puissance américaine, en pleine dislocation du bloc de l’Est cet évènement ouvre une nouvelle ère du capitalisme, dont nous vivons actuellement le délitement.
L’Irak va subir le déluge de feu de la coalition qui fera l’étalage outrancier de sa puissance militaire. Les soldats comme les civils irakiens se retrouvent en première ligne d’un conflit asymétrique et démesuré où ils n’ont plus rien à gagner.

Chapitre 2 : La désertion envahie le sud

Après 1 mois de bombardement intensif la coalition lance l’assaut terrestre. Des milliers de soldats irakiens désertent, ils abandonnent en masse leurs positions, pour rejoigne la ville portuaire de Bassora ou une révolte viens d’éclater…

Chapitre 3 : Souleimaniyé : les prémices du soulèvement

Zoom sur la ville de Souleymaniyé, dans la région kurde de l’Irak où la révolte gronde : de tous les cotés on se prépare aux combats…
Les témoignages sont issus des brochures « Notes additionnelles à propos de l’insurrection de mars 1991 », GCI 1996, et « Kurdish Upperising 1991 » parue à Londres en septembre 1991, ils ne reflètent pas nécessairement le point de vue des publications ou des auteurs du présent épisode.Mais apportent des éléments essentiels pour comprendre le déroulée des événements.

Chapitre 4 : L’insurrection et la chute des baasistes

Le 07 avril 1991 aux alentours de 8h de matin, les premiers affrontements éclatent, la ville de Souleymanié se soulève…

Les témoignages sont issus de la brochures « Kurdish Upperising 1991 » parue à Londres en septembre 1991, ils ne reflètent pas nécessairement le point de vue de cette publications ou des auteurs du présent épisode.Mais apportent des éléments essentiels pour comprendre le déroulée des événements.

Chapitre 5 : Les Shoras, l’organisation de la lutte

Dans tout moment de lutte intense, le prolétariat crée de nouvelles formes d’organisation pour répondre aux problèmes immédiats auxquels il fait face, de la lutte armée au ravitaillement en passant par les soins. Mais c’est aussi au sein de ces organisations que se confrontes les différentes tendances du mouvement. En 1991, dans le Kurdistan irakien insurgé, on appelle ces organisations les Shoras, c’est-à-dire les « conseils ».

Les témoignages sont issus de la brochure « Kurdish Upperising 1991 » parue à Londres en septembre 1991, ils ne reflètent pas nécessairement le point de vue de cette publications ou des auteurs du présent épisode.Mais apportent des éléments essentiels pour comprendre le déroulée des événements.

Chapite 6 : Les bourgeoisies collaborent contre le prolétariat

La répression s’abat de toutes parts sur le mouvement insurrectionnel. Les classes dirigeantes kurdes, baasistes et occidentales, ennemies d’hier, s’unissent dans leur effort pour écraser l’insurrection. Dès lors que le prolétariat se soulève les capitalistes mettent leurs différends de côté pour faire front commun contre leur ennemi principal : le prolétariat insurgé.

Les témoignages sont issus de la brochure « Kurdish Upperising 1991 » parue à Londres en septembre 1991, ils ne reflètent pas nécessairement le point de vue de cette publications ou des auteurs du présent épisode.Mais apportent des éléments essentiels pour comprendre le déroulée des événements.

Chapitre 7 : Le fil rouge de l’histoire

La répression a eu raison de l’insurrection irakienne de 1991, mais elle n’a pas mis fin à la lutte des classes et à la résistance du prolétariat contre l’exploitation en Irak. Comme partout ailleurs dans le monde, celles-ci se poursuivent jusqu’à aujourd’hui.

Pour continuer sur la question des manifestations montréalaises

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Avr 252025
 

Soumission anonyme à MTL Contre-info

Dans les dernières semaines, Montréal Contre-info a permi de relayer des textes de réflexion stratégique qui ont suscité plusieurs discussions animées autour de nous. Signe de la vitalité montréalaise, nous ne pouvons que nous réjouir de cet élan. Les passions font vivre, la stratégie les fait seulement durer. Parmis ces textes, deux en particulier proposent une analyse de la situation des manifestations des derniers mois à Montréal et témoignent d’un sérieux désir de se pencher sur les pratiques actuelles du milieu révolutionnaire (à défaut de pouvoir lui donner une appelation plus consistante comme mouvement ou camp). Quand on est nombreux.se.s, on fait ce qu’on veut et le Commentaire qui lui répond marquent tous deux plusieurs points intéressants, mais semblent tout de même manquer le pas sur un certain nombre d’éléments. Nous aimerions, en quelques mots, présenter notre analyse qui donne à la fois raison et tort aux deux textes de différentes manières. 

Pour commencer, la référence aux événements insurrectionnels des dernières années à l’échelle internationale (Gilets Jaunes, George Floyd, l’Estallido Social chilien) nous semble être, dans les deux textes, le point sur lequel notre analyse diffère le plus. Cet élément intervient ici en premier lieu, non pas parce qu’une analyse de la conjoncture mondiale devrait être première, mais parce que les problèmes qui s’y manifestent sont exemplaires. Dans le premier texte, on peut lire que ces mouvements sont l’illustration du principe que le travail révolutionnaire doit consister dans la massification car, dans la confrontation avec l’État, c’est le nombre qui est l’élément le plus déterminant : « C’est ce travail qui devrait, dans la situation présente, être la priorité absolue de la majorité des militant.e.s révolutionnaires qui constatent avec nous la nécessité vitale d’élargir nos rangs pour constituer une puissance autonome massive réellement menaçante pour l’État. » Si on arrive encore à se tenir calmes quand les vétérans de la sociale-démocratie de rue nous répètent que 2012 a seulement été possible grâce à plusieurs années de « mob dans les cégeps », on devrait par contre  s’épargner le mensonge voulant que les situations similaires à celles mentionnées plus haut pourraient être le résultat d’un travail de massification tel que celui décrit dans le texte.

C’est d’ailleurs ce que le deuxième texte reproche au premier: « les auteurs oublient que ces mouvements ne sont pas le fait d’organisations de masse, mais bien de mouvements non médiés et somme toute spontanés (au sens d’Henri Simon, c’est-à-dire en contraste avec l’organisation volontaire). » On peut, non sans quelques grincements de dents, passer sur l’affirmation que « ce sont les contradictions sociales elles-mêmes qui sont productrices de luttes et non une bande d’évangélistes de la révolution qui convaincraient un à un des prolétaires trop abêtis par le capitalisme », il faut en revanche se méfier de la conclusion voulant qu’« en dernière instance, les révolutionnaires, ce sont ceux qui font la révolution ». Soyons clairs par rapport aux soulèvements mentionnés plus haut, plusieurs semaines, voire plusieurs mois d’insurrection à l’échelle d’un pays ne sont pas des révolutions. On peut le vouloir et se battre de toutes nos forces pour que de telles situations adviennent ici, mais il ne faut pas s’empêcher de les voir pour ce qu’elles sont : des insurrections qui ne se sont pas transformées en révolutions. Les groupes qui ont pris au sérieux ces échecs, au moins aux États-Unis et en France, ont entrepris de se poser à nouveau la question du Parti révolutionnaire: comment transformer une insurrection en révolution? Si les révolutionnaires sont ceux qui font la révolution, c’est qu’ils ne sont pas simplement là, à suivre la liesse insurgée, ils cherchent les moyens de faire monter d’un cran le bouleversement, le rendre irréversible.

Le problème que cet exemple vise à illustrer est le suivant : comment penser l’articulation entre l’organisation révolutionnaire (ceux qui pensent en général la question de la possibilité révolutionnaire), une situation politique qui manifeste des contradictions de toutes sortes (qui est extérieure à l’organisation révolutionnaire, mais sur laquelle celle-ci peut avoir une influence) et l’horizon révolutionnaire? Si la question à poser au sein de ce problème est bien celle des priorités, comme le proposent les auteurs de Quand…, la réponse ne se trouve assurément pas dans le fait de vouloir faire grossir les rangs des manifestations d’extrême-gauche, ni dans le fait de trouver ce qui convient le mieux « aux gens » qui seraient lassés de ces dernières : des revendications sociale-démocrates dans un langage populaire, des camps de formation qui font le commerce des identités politiques, des conférences sur les sujets de l’heure. D’un côté comme de l’autre on baigne dans le quantitatif le plus vide. C’est une chose que de se féliciter de proposer l’option la plus achetée, une autre de poser qu’il y a donc de la vérité dans le marketing.

Pour ce qui est du premier texte, donc, nous sommes sceptiques quant à la centralité accordée à « nos manifs », dont l’importance est déjà surdimensionnée dans la dynamique du milieu révolutionnaire. Cette fixation sur les manifestations venant de milieux radicaux est peut-être le reflet des dynamiques propres à la séquence dont nous sortons tout juste :  le mouvement pro-palestinien a été le théâtre d’une radicalisation très large, qui n’a cependant pas trouvé ses formes d’expression dans la plus longue partie de la séquence et dans ses espaces de lutte. Heureusement, la pulsion cherchant à monter le niveau a surgi avec force le 22 novembre et nous aurions tous voulu voir cette force à nouveau dans les dates subséquentes. L’intervention en manifestation et la pratique de l’émeute doivent rester des données centrales de notre orientation. Par contre, en l’absence d’une situation dans laquelle venir cliver (avec les tendances réformistes d’un mouvement par exemple), ou qui puisse se traduire en réel débordement (pas en un affrontement de quelques dizaines de personnes avec la police), cette pratique ne doit pas être fétichisée. L’opposition de chapelles entre les tenants des actions clandestines et des manifestations larges, de laquelle toute lecture du contexte est généralement évacuée, est complètement stérile. Une action ciblée peut trancher dans une situation politique en faisant apparaître des contradictions politiques profondes : le soutien pour les attentats dirigés vers le pouvoir qui ont précédé la révolution de 1917 en Russie (ou aux États-Unis dans nos années 20) révèlent un refus du monde à la fois radical et largement partagé, les sabotages contre les JO en France l’été dernier ont été menées dans un contexte de surveillance policière énorme, et ont réussi à faire signe alors qu’un silence de plomb régnait et que les manifestations étaient impossibles à envisager. La participation à l’antagonisme peut aussi être plus soudain, et l’organisation contre les évictions, celle en réponse aux meurtres policiers, ou celle contre l’aménagement intégral sont aussi des points de contact avec l’ennemi, et expriment un refus de lui laisser le champ libre. Dans tous ces contextes, on peut poser des gestes qui résonnent, auxquels on pourra se référer à l’avenir pour imaginer ce qui est possible, tout en cherchant le prochain dépassement.

Cependant, et sur ce point nous sommes plutôt du côté du premier texte que du second, la question de l’organisation politique des révolutionnaires doit être remise au centre des préoccupations. C’est à travers des formes d’organisation internes que l’élaboration stratégique et théorique peut avoir lieu. Elle doit donner lieu à des énoncés qui mettent de l’avant la possibilité révolutionnaire ainsi que ce à quoi elle s’affronte, une pensée de l’ennemi. L’auteur de Commentaire… dit que les révolutionnaires sont ceux qui font la révolution, nous disons que les révolutionnaires sont ceux qui prennent parti pour la révolution, avant, pendant, après elle. Les moments révolutionnaires et pré-révolutionnaires se caractérisent par une dilatation du « nous révolutionnaire », son élargissement fulgurant, l’apparition de nouveaux problèmes et des prises de positions hétérogènes à celles que les révolutionnaires tenaient jusque là, mais ce « nous » préexiste néanmoins à chaque nouvelle révolution. L’argument inverse est une lubie anhistorique.

Quelle devrait donc être la priorité d’un noyau révolutionnaire dans notre contexte?
 
Premièrement, il devrait chercher à combattre, dans le champ théorique, les perspectives réformistes qui s’énoncent actuellement, soit comme des sorties de crise, soit comme des manières d’habiter le monde en le laissant tranquille. Elles sont pléthores, y compris dans le « milieu révolutionnaire ». Un camp révolutionnaire ne peut pas se construire dans l’ambiguïté qui règne actuellement entre radicalisme, alternativisme, réforme et révolution. Il doit reprendre le terrain de la propagande, et ce faisant trouver des manières de parler de la situation dans des termes révolutionnaires. La polémique dans le champ intellectuel, dans les assemblées, les journaux muraux, la rédaction de textes publics ou clandestins, à l’intention des révolutionnaires, le débat sur les propositions de différents groupes, l’organisation d’espaces de discussion et de clarification des perspectives révolutionnaires sur des thèmes que nous jugeons être fondamentaux sont autant de manières de penser l’activité politique hors situation. À ceux qui accusent le milieu révolutionnaire de surinflation intellectuelle, regardez mieux.

Dans le champ stratégique, il devrait tenir de manière clandestine une échelle d’élaboration avec d’autres forces afin de favoriser la coordination dans des moments précis, sur des enjeux qui peuvent cristalliser notre opposition à la politique du pouvoir. La question des infrastructures, bien mal posée en terme de «projets», peut avoir sa place ici dans la capacité des groupes à planifier le processus de construction d’une force révolutionnaire. Dans un mouvement, tenir un QG, occuper un bâtiment, penser les cibles, les moments, les liens avec d’autres forces. Hors mouvement, s’entraîner, planifier la confrontation, inventer des outils, avoir des caches (des vraies), avoir ses entrées, initier des réflexions avec des camarades dans d’autres villes, d’autres régions, d’autres pays.

Sur le plan tactique, Montréal bouillonne actuellement d’expérimentations et d’initiatives et ce malgré le ton qui monte du côté de l’État. Par contre, les seuls espaces d’élaboration entre les groupes sont présentement de nature extrêmement pragmatique, ils ne s’intéressent qu’au plan tactique et délaissent trop souvent les discussions plus larges. Alors qu’on se butte à une force beaucoup plus grande que la nôtre dans les manifestations radicales, il est fondamental de pouvoir prendre du recul par rapport à cette pratique, et de la mettre en perspective avec d’autres possibilités d’intervention. On doit pouvoir mettre en question la place que l’on accorde aux manifestations ritualisées – qui, dernièrement, semblent pour plusieurs constituer le terrain le plus important de la politique –, pour se positionner quant à la pertinence de ces moments. Même si nous pensons que les événements publics qui attirent de nombreuses personnes peuvent eux aussi relever d’un «activisme mécanique qui cherche à faire sans savoir» nous nous accordons toutefois avec l’auteur du Commentaire… pour dire qu’il importe de « savoir quoi faire », c’est-à-dire de remettre au coeur de nos réflexions la question du sens des tactiques mobilisées en fonction de la situation politique actuelle. 

Au travers des critiques formulées dans ce texte, demeurent trois points qui sont le résumé de son développement et pourraient constituer des priorités de l’organisation révolutionnaire:

– Recharger la question révolutionnaire.
– Faire exister l’option révolutionnaire sur d’autres terrains d’intervention que les manifestations d’extrême-gauche.
– Bâtir le camp révolutionnaire.

Dans cet horizon, la question du nombre n’est pas à rejeter, sous prétexte qu’elle signifierait immédiatement la dilution d’une position. L’accroissement quantitatif est évidemment une dimension fondamentale de la construction révolutionnaire, mais celle-ci doit se faire sur la base d’affirmations en faveur de la révolution. Car non, « avoir raison seuls » (en politique, on n’est jamais seul au singulier, on est toujours dans un nous), ce n’est pas « avoir tort ». Une fois la dimension du futur réintégrée dans la politique, tenir une position prime par rapport à toute tentative de s’accorder avec ce que le plus grand nombre peut bien vouloir entendre à un moment donné. C’est que si une vérité peut être faible quant au nombre de gens qui la portent, elle troue tout de même le tissu de mensonge qui l’entoure. Elle résiste, gêne, dérange, mais cela ne l’empêche pas d’être rejointe. Le phénomène lumineux, écrivait Hegel, illustre bien le rapport entre intensivité et extensivité : c’est de son intensité, qui peut être concentrée en un point, qu’une lumière tire sa capacité à éclairer un espace plus ou moins étendu. Ce sont ces lumières qui manquent. Il en faudra bien pour voir la brèche en tout chose, ce qui n’est évidemment que le commencement.