Ce soir, des gens ont fait de l’entraide combative. La bouffe devrait être gratuite, comme tous les biens essentiels. Le fléau du capitalisme a fait en sorte que les essentiels comme la nourriture et le logement soient des choses à gagner plutôt que des besoins de base inaliénables.
Aujourd’hui, nous rendons la nourriture gratuite à notre façon en libérant la subsistance pour la redistribuer dans la communauté. Et nous le ferons à nouveau. L’appareil d’État pourrait essayer de nous en empêcher et en le faisant, montrer ses vraies couleurs. Le gouvernement et les intérêts corporatifs qu’il sert ne sont pas vos amis. Ils vous laisseront mourir de faim plutôt que sacrifier leurs intérêts. Mangez librement!
Commentaires fermés sur RADIO 2049, série de podcast francophone pour la rupture révolutionnaire
Mai022025
Soumission anonyme à MTL Contre-info
Radio 2049. Des podcasts pour la révolution, sans transition, dans un esprit de rupture. Des émissions pour comprendre la période a travers ses crises, ses guerres, ses luttes et indéniablement sa perspective révolutionnaire.
Enregistré au Loukanikos, un local politique ouvert à tous les prols révoltés qui veulent s’organiser au sein des luttes, contre ce qui fait ce monde et ceux qui le défendent, les gestionnaires de la misère et les publicitaire de cette vaste escroquerie qu’est le capitalisme.
Construire le communisme ne sera possible que par une révolution sans frontières qui abolira toutes les classes !
L’invasion de l’Ukraine en février 2022 ouvre une nouvelle ère, la guerre de haute intensité revient sur les devants de la scène. Les relations inter-capitalistes de plus en plus tendues ont accouché d’un conflit impliquant les grandes puissances de la planète. Depuis, les tensions ne font que s’accroître, pour l’accès aux ressources, aux marchés et à la main d’œuvre. Les massacres et les destructions s’étendent dans des proportions apocalyptiques à la Palestine mais aussi au Congo, au Soudan… Partout on prépare les cœurs et les esprits au carnage. La guerre qui s’étend est hybride : sociale, commerciale, technologique et militaire.
Dans cette série nous nous intéressons aux mécaniques de la guerre moderne et surtout aux formes de refus et de résistance qui apparaissent dans les populations.
Episode 1 : La désertion envahie l’Ukraine
Première diffusion le 20 octobre 2024
Pour ce tout premier Podcast nous vous proposons une lecture du texte : « Catastrophe pour certains, salut pour d’autres : la désertion inonde l’Ukraine », publié le 22 septembre 2024 par le collectif anarchiste « Assembly » de Kharkiv (Ukraine).
Ces derniers effectuent un travail d’enquête et d’analyse de la situation sur place et des perspectives de lutte. Ils disposent de contacts en Ukraine comme en Russie.
Pour ce deuxième épisode de l’émission la guerre et son refus, on reçoit Martin BARZILAI auteur du livre « Refuzniks » récemment réédité en version augmentée aux éditions Libertalia, pour parler de la la société Israelienne, de son état de guerre permanant et des formes d’oppositions à celle-ci. Ainsi que de l’évolution de la situation depuis le 07 octobre. Dans un second temps on poursuit sur les perspectives d’évolution du conflit Israelo-palestinien d’un point de vue de classe.
Partie 1 : Des nouvelles du front ; Partie 2 : et après ?
Première diffusion le 22 novembre 2024
Depuis des mois des soldats de plus en plus nombreux refusent de combattre ou désertent le front et les casernes. Le pouvoir aux abois rafle les hommes en âge de combattre dans les rues au point d’empêcher le fonctionnement d’une économie déjà agonisante. La population s’en prend aux recruteurs et aux institutions militaires. Tout ces faits sont en constante augmentation. Que se passe t’il en Ukraine ? Il y a t’il d’autres perspectives que la guerre et l’écrasement ? C’est ce que nous allons essayer de décortiquer au court de ce nouvel épisode, séparé en deux parties. Pour son élaboration en plus de diverses recherches, nous nous sommes appuyés sur les matériaux suivant :
Les derniers textes du groupe anarchiste de Kharkov (Ukraine) Assembly, écrits sous les bombes à partir de nombreux témoignages et analyses. Disponible dans leurs versions originales ici : https://assembly.org.ua Sous forme de compilation en anglais ici : https://libcom.org/tags/assemblyorgua Le texte «Précisions sur le défaitisme révolutionnaire» du groupe espagnol Proletarios Internationnalistas, qui malgré une prose assez lourde nous offre une grille de lecture pertinente pour comprendre l’action du prolétariat en temps de guerre. Disponible ici : https://www.autistici.org/tridnivalka/pi-precisions-sur-le-defaitisme-revolutionnaire/
Episode 4 : HARASS THE BRASS
Première diffusion le 28 janvier 2025
Retour vers le mouvement des GI contre la guerre (1969-1972) avec la mise en son de deux textes :
La série de mémoire des luttes, Irak 1991 une insurrection oubliée : (émission en cours de montage sortie tout les dimanche à partir de 27 avril 2025, dernier épisode disponible le 08 juin 2025)
Lors de la première guerre du golfe, les soldats Irakiens épuisés par la guerre refusent de combattre face à la coalition internationale et désertent en masse. A l’arrière les civils excédés par les pénuries et les destructions commencent à manifester contre le régime de Saddam Hussein. En quelques jours la rencontre des soldats déserteurs et des manifestants donnera lieu à une immense insurrection populaire à travers tout le pays.
Émission chapitrée en 7 épisodes d’une quinzaine de minutes
Chapitre 1 : La guerre
L’invasion du Koweït par Saddam Hussein déclenche une méga opération internationale contre l’Irak conduite par la toute-puissance américaine, en pleine dislocation du bloc de l’Est cet évènement ouvre une nouvelle ère du capitalisme, dont nous vivons actuellement le délitement. L’Irak va subir le déluge de feu de la coalition qui fera l’étalage outrancier de sa puissance militaire. Les soldats comme les civils irakiens se retrouvent en première ligne d’un conflit asymétrique et démesuré où ils n’ont plus rien à gagner.
Chapitre 2 : La désertion envahie le sud
Après 1 mois de bombardement intensif la coalition lance l’assaut terrestre. Des milliers de soldats irakiens désertent, ils abandonnent en masse leurs positions, pour rejoigne la ville portuaire de Bassora ou une révolte viens d’éclater…
Chapitre 3 : Souleimaniyé : les prémices du soulèvement
Zoom sur la ville de Souleymaniyé, dans la région kurde de l’Irak où la révolte gronde : de tous les cotés on se prépare aux combats… Les témoignages sont issus des brochures « Notes additionnelles à propos de l’insurrection de mars 1991 », GCI 1996, et « Kurdish Upperising 1991 » parue à Londres en septembre 1991, ils ne reflètent pas nécessairement le point de vue des publications ou des auteurs du présent épisode.Mais apportent des éléments essentiels pour comprendre le déroulée des événements.
Chapitre 4 : L’insurrection et la chute des baasistes
Le 07 avril 1991 aux alentours de 8h de matin, les premiers affrontements éclatent, la ville de Souleymanié se soulève…
Les témoignages sont issus de la brochures « Kurdish Upperising 1991 » parue à Londres en septembre 1991, ils ne reflètent pas nécessairement le point de vue de cette publications ou des auteurs du présent épisode.Mais apportent des éléments essentiels pour comprendre le déroulée des événements.
Chapitre 5 : Les Shoras, l’organisation de la lutte
Dans tout moment de lutte intense, le prolétariat crée de nouvelles formes d’organisation pour répondre aux problèmes immédiats auxquels il fait face, de la lutte armée au ravitaillement en passant par les soins. Mais c’est aussi au sein de ces organisations que se confrontes les différentes tendances du mouvement. En 1991, dans le Kurdistan irakien insurgé, on appelle ces organisations les Shoras, c’est-à-dire les « conseils ».
Les témoignages sont issus de la brochure « Kurdish Upperising 1991 » parue à Londres en septembre 1991, ils ne reflètent pas nécessairement le point de vue de cette publications ou des auteurs du présent épisode.Mais apportent des éléments essentiels pour comprendre le déroulée des événements.
Chapite 6 : Les bourgeoisies collaborent contre le prolétariat
La répression s’abat de toutes parts sur le mouvement insurrectionnel. Les classes dirigeantes kurdes, baasistes et occidentales, ennemies d’hier, s’unissent dans leur effort pour écraser l’insurrection. Dès lors que le prolétariat se soulève les capitalistes mettent leurs différends de côté pour faire front commun contre leur ennemi principal : le prolétariat insurgé.
Les témoignages sont issus de la brochure « Kurdish Upperising 1991 » parue à Londres en septembre 1991, ils ne reflètent pas nécessairement le point de vue de cette publications ou des auteurs du présent épisode.Mais apportent des éléments essentiels pour comprendre le déroulée des événements.
Chapitre 7 : Le fil rouge de l’histoire
La répression a eu raison de l’insurrection irakienne de 1991, mais elle n’a pas mis fin à la lutte des classes et à la résistance du prolétariat contre l’exploitation en Irak. Comme partout ailleurs dans le monde, celles-ci se poursuivent jusqu’à aujourd’hui.
Commentaires fermés sur Pour continuer sur la question des manifestations montréalaises
Avr252025
Soumission anonyme à MTL Contre-info
Dans les dernières semaines, Montréal Contre-info a permi de relayer des textes de réflexion stratégique qui ont suscité plusieurs discussions animées autour de nous. Signe de la vitalité montréalaise, nous ne pouvons que nous réjouir de cet élan. Les passions font vivre, la stratégie les fait seulement durer. Parmis ces textes, deux en particulier proposent une analyse de la situation des manifestations des derniers mois à Montréal et témoignent d’un sérieux désir de se pencher sur les pratiques actuelles du milieu révolutionnaire (à défaut de pouvoir lui donner une appelation plus consistante comme mouvement ou camp). Quand on est nombreux.se.s, on fait ce qu’on veut et le Commentaire qui lui répond marquent tous deux plusieurs points intéressants, mais semblent tout de même manquer le pas sur un certain nombre d’éléments. Nous aimerions, en quelques mots, présenter notre analyse qui donne à la fois raison et tort aux deux textes de différentes manières.
Pour commencer, la référence aux événements insurrectionnels des dernières années à l’échelle internationale (Gilets Jaunes, George Floyd, l’Estallido Social chilien) nous semble être, dans les deux textes, le point sur lequel notre analyse diffère le plus. Cet élément intervient ici en premier lieu, non pas parce qu’une analyse de la conjoncture mondiale devrait être première, mais parce que les problèmes qui s’y manifestent sont exemplaires. Dans le premier texte, on peut lire que ces mouvements sont l’illustration du principe que le travail révolutionnaire doit consister dans la massification car, dans la confrontation avec l’État, c’est le nombre qui est l’élément le plus déterminant : « C’est ce travail qui devrait, dans la situation présente, être la priorité absolue de la majorité des militant.e.s révolutionnaires qui constatent avec nous la nécessité vitale d’élargir nos rangs pour constituer une puissance autonome massive réellement menaçante pour l’État. » Si on arrive encore à se tenir calmes quand les vétérans de la sociale-démocratie de rue nous répètent que 2012 a seulement été possible grâce à plusieurs années de « mob dans les cégeps », on devrait par contre s’épargner le mensonge voulant que les situations similaires à celles mentionnées plus haut pourraient être le résultat d’un travail de massification tel que celui décrit dans le texte.
C’est d’ailleurs ce que le deuxième texte reproche au premier: « les auteurs oublient que ces mouvements ne sont pas le fait d’organisations de masse, mais bien de mouvements non médiés et somme toute spontanés (au sens d’Henri Simon, c’est-à-dire en contraste avec l’organisation volontaire). » On peut, non sans quelques grincements de dents, passer sur l’affirmation que « ce sont les contradictions sociales elles-mêmes qui sont productrices de luttes et non une bande d’évangélistes de la révolution qui convaincraient un à un des prolétaires trop abêtis par le capitalisme », il faut en revanche se méfier de la conclusion voulant qu’« en dernière instance, les révolutionnaires, ce sont ceux qui font la révolution ». Soyons clairs par rapport aux soulèvements mentionnés plus haut, plusieurs semaines, voire plusieurs mois d’insurrection à l’échelle d’un pays ne sont pas des révolutions. On peut le vouloir et se battre de toutes nos forces pour que de telles situations adviennent ici, mais il ne faut pas s’empêcher de les voir pour ce qu’elles sont : des insurrections qui ne se sont pas transformées en révolutions. Les groupes qui ont pris au sérieux ces échecs, au moins aux États-Unis et en France, ont entrepris de se poser à nouveau la question du Parti révolutionnaire: comment transformer une insurrection en révolution? Si les révolutionnaires sont ceux qui font la révolution, c’est qu’ils ne sont pas simplement là, à suivre la liesse insurgée, ils cherchent les moyens de faire monter d’un cran le bouleversement, le rendre irréversible.
Le problème que cet exemple vise à illustrer est le suivant : comment penser l’articulation entre l’organisation révolutionnaire (ceux qui pensent en général la question de la possibilité révolutionnaire), une situation politique qui manifeste des contradictions de toutes sortes (qui est extérieure à l’organisation révolutionnaire, mais sur laquelle celle-ci peut avoir une influence) et l’horizon révolutionnaire? Si la question à poser au sein de ce problème est bien celle des priorités, comme le proposent les auteurs de Quand…, la réponse ne se trouve assurément pas dans le fait de vouloir faire grossir les rangs des manifestations d’extrême-gauche, ni dans le fait de trouver ce qui convient le mieux « aux gens » qui seraient lassés de ces dernières : des revendications sociale-démocrates dans un langage populaire, des camps de formation qui font le commerce des identités politiques, des conférences sur les sujets de l’heure. D’un côté comme de l’autre on baigne dans le quantitatif le plus vide. C’est une chose que de se féliciter de proposer l’option la plus achetée, une autre de poser qu’il y a donc de la vérité dans le marketing.
Pour ce qui est du premier texte, donc, nous sommes sceptiques quant à la centralité accordée à « nos manifs », dont l’importance est déjà surdimensionnée dans la dynamique du milieu révolutionnaire. Cette fixation sur les manifestations venant de milieux radicaux est peut-être le reflet des dynamiques propres à la séquence dont nous sortons tout juste : le mouvement pro-palestinien a été le théâtre d’une radicalisation très large, qui n’a cependant pas trouvé ses formes d’expression dans la plus longue partie de la séquence et dans ses espaces de lutte. Heureusement, la pulsion cherchant à monter le niveau a surgi avec force le 22 novembre et nous aurions tous voulu voir cette force à nouveau dans les dates subséquentes. L’intervention en manifestation et la pratique de l’émeute doivent rester des données centrales de notre orientation. Par contre, en l’absence d’une situation dans laquelle venir cliver (avec les tendances réformistes d’un mouvement par exemple), ou qui puisse se traduire en réel débordement (pas en un affrontement de quelques dizaines de personnes avec la police), cette pratique ne doit pas être fétichisée. L’opposition de chapelles entre les tenants des actions clandestines et des manifestations larges, de laquelle toute lecture du contexte est généralement évacuée, est complètement stérile. Une action ciblée peut trancher dans une situation politique en faisant apparaître des contradictions politiques profondes : le soutien pour les attentats dirigés vers le pouvoir qui ont précédé la révolution de 1917 en Russie (ou aux États-Unis dans nos années 20) révèlent un refus du monde à la fois radical et largement partagé, les sabotages contre les JO en France l’été dernier ont été menées dans un contexte de surveillance policière énorme, et ont réussi à faire signe alors qu’un silence de plomb régnait et que les manifestations étaient impossibles à envisager. La participation à l’antagonisme peut aussi être plus soudain, et l’organisation contre les évictions, celle en réponse aux meurtres policiers, ou celle contre l’aménagement intégral sont aussi des points de contact avec l’ennemi, et expriment un refus de lui laisser le champ libre. Dans tous ces contextes, on peut poser des gestes qui résonnent, auxquels on pourra se référer à l’avenir pour imaginer ce qui est possible, tout en cherchant le prochain dépassement.
Cependant, et sur ce point nous sommes plutôt du côté du premier texte que du second, la question de l’organisation politique des révolutionnaires doit être remise au centre des préoccupations. C’est à travers des formes d’organisation internes que l’élaboration stratégique et théorique peut avoir lieu. Elle doit donner lieu à des énoncés qui mettent de l’avant la possibilité révolutionnaire ainsi que ce à quoi elle s’affronte, une pensée de l’ennemi. L’auteur de Commentaire… dit que les révolutionnaires sont ceux qui font la révolution, nous disons que les révolutionnaires sont ceux qui prennent parti pour la révolution, avant, pendant, après elle. Les moments révolutionnaires et pré-révolutionnaires se caractérisent par une dilatation du « nous révolutionnaire », son élargissement fulgurant, l’apparition de nouveaux problèmes et des prises de positions hétérogènes à celles que les révolutionnaires tenaient jusque là, mais ce « nous » préexiste néanmoins à chaque nouvelle révolution. L’argument inverse est une lubie anhistorique.
Quelle devrait donc être la priorité d’un noyau révolutionnaire dans notre contexte?
Premièrement, il devrait chercher à combattre, dans le champ théorique, les perspectives réformistes qui s’énoncent actuellement, soit comme des sorties de crise, soit comme des manières d’habiter le monde en le laissant tranquille. Elles sont pléthores, y compris dans le « milieu révolutionnaire ». Un camp révolutionnaire ne peut pas se construire dans l’ambiguïté qui règne actuellement entre radicalisme, alternativisme, réforme et révolution. Il doit reprendre le terrain de la propagande, et ce faisant trouver des manières de parler de la situation dans des termes révolutionnaires. La polémique dans le champ intellectuel, dans les assemblées, les journaux muraux, la rédaction de textes publics ou clandestins, à l’intention des révolutionnaires, le débat sur les propositions de différents groupes, l’organisation d’espaces de discussion et de clarification des perspectives révolutionnaires sur des thèmes que nous jugeons être fondamentaux sont autant de manières de penser l’activité politique hors situation. À ceux qui accusent le milieu révolutionnaire de surinflation intellectuelle, regardez mieux.
Dans le champ stratégique, il devrait tenir de manière clandestine une échelle d’élaboration avec d’autres forces afin de favoriser la coordination dans des moments précis, sur des enjeux qui peuvent cristalliser notre opposition à la politique du pouvoir. La question des infrastructures, bien mal posée en terme de «projets», peut avoir sa place ici dans la capacité des groupes à planifier le processus de construction d’une force révolutionnaire. Dans un mouvement, tenir un QG, occuper un bâtiment, penser les cibles, les moments, les liens avec d’autres forces. Hors mouvement, s’entraîner, planifier la confrontation, inventer des outils, avoir des caches (des vraies), avoir ses entrées, initier des réflexions avec des camarades dans d’autres villes, d’autres régions, d’autres pays.
Sur le plan tactique, Montréal bouillonne actuellement d’expérimentations et d’initiatives et ce malgré le ton qui monte du côté de l’État. Par contre, les seuls espaces d’élaboration entre les groupes sont présentement de nature extrêmement pragmatique, ils ne s’intéressent qu’au plan tactique et délaissent trop souvent les discussions plus larges. Alors qu’on se butte à une force beaucoup plus grande que la nôtre dans les manifestations radicales, il est fondamental de pouvoir prendre du recul par rapport à cette pratique, et de la mettre en perspective avec d’autres possibilités d’intervention. On doit pouvoir mettre en question la place que l’on accorde aux manifestations ritualisées – qui, dernièrement, semblent pour plusieurs constituer le terrain le plus important de la politique –, pour se positionner quant à la pertinence de ces moments. Même si nous pensons que les événements publics qui attirent de nombreuses personnes peuvent eux aussi relever d’un «activisme mécanique qui cherche à faire sans savoir» nous nous accordons toutefois avec l’auteur du Commentaire… pour dire qu’il importe de « savoir quoi faire », c’est-à-dire de remettre au coeur de nos réflexions la question du sens des tactiques mobilisées en fonction de la situation politique actuelle.
Au travers des critiques formulées dans ce texte, demeurent trois points qui sont le résumé de son développement et pourraient constituer des priorités de l’organisation révolutionnaire:
– Recharger la question révolutionnaire. – Faire exister l’option révolutionnaire sur d’autres terrains d’intervention que les manifestations d’extrême-gauche. – Bâtir le camp révolutionnaire.
Dans cet horizon, la question du nombre n’est pas à rejeter, sous prétexte qu’elle signifierait immédiatement la dilution d’une position. L’accroissement quantitatif est évidemment une dimension fondamentale de la construction révolutionnaire, mais celle-ci doit se faire sur la base d’affirmations en faveur de la révolution. Car non, « avoir raison seuls » (en politique, on n’est jamais seul au singulier, on est toujours dans un nous), ce n’est pas « avoir tort ». Une fois la dimension du futur réintégrée dans la politique, tenir une position prime par rapport à toute tentative de s’accorder avec ce que le plus grand nombre peut bien vouloir entendre à un moment donné. C’est que si une vérité peut être faible quant au nombre de gens qui la portent, elle troue tout de même le tissu de mensonge qui l’entoure. Elle résiste, gêne, dérange, mais cela ne l’empêche pas d’être rejointe. Le phénomène lumineux, écrivait Hegel, illustre bien le rapport entre intensivité et extensivité : c’est de son intensité, qui peut être concentrée en un point, qu’une lumière tire sa capacité à éclairer un espace plus ou moins étendu. Ce sont ces lumières qui manquent. Il en faudra bien pour voir la brèche en tout chose, ce qui n’est évidemment que le commencement.
Commentaires fermés sur Commentaire sur le Commentaire sur « Quand on est nombreux.se.s, on fait ce qu’on veut »
Avr252025
Soumission anonyme à MTL Contre-info
À la suite des échecs répétés des manifestations dites « combatives » à Montréal entre 2023 et 2025, deux textes militants ont tenté de proposer, d’un côté, une analyse stratégique visant la massification via des structures autonomes, et de l’autre, une critique sceptique de cette orientation, dénonçant la fétichisation des manifestations et le volontarisme militant. Tous deux partent d’un diagnostic partagé : notre faiblesse collective face à l’État, notre isolement et le caractère routinier de nos mobilisations. Le présent texte se veut une critique au second texte rédigé par N.
Le fétichisme de la spontanéité : critique de l’anti-stratégie
Le désaccord de fond entre les deux textes me semble renvoyer à une question stratégique centrale : comment comprendre que la majorité de la classe travailleuse, y compris dans ses fractions les plus exploitées, n’adhère pas spontanément aux appels à la mobilisation radicale, et continue, dans les pays capitalistes avancés, de se montrer largement passive ou attachée à des formes de réformisme ?
N. soulève à juste titre le caractère routinier et parfois performatif de certaines pratiques militantes, mais, pour expliquer la passivité actuelle, son commentaire de réponse glisse dans un déterminisme mécanique permettant d’adopter un scepticisme cynique, qui rejette toute forme de médiation politique comme étant un projet d’avant-garde inutile : « Ce sont les contradictions sociales elles-mêmes qui sont productrices de luttes et non une bande d’évangélistes de la révolution qui convaincraient un à un des prolétaires trop abêtis par le capitalisme. »
S’il est nécessaire de rompre avec le « fétichisme de la manifestation » — cette idée selon laquelle elle constituerait le cœur de notre pratique politique —, il l’est tout autant de se méfier du fétichisme de la spontanéité, qui consiste à rejeter la nécessité de l’organisation au profit d’une attente passive, fondée sur l’illusion que les contradictions du capitalisme produiront mécaniquement l’irruption des masses. Cette posture relève d’un retrait stratégique, qui masque l’impuissance politique derrière une mystique de la spontanéité.
La passivité des classes exploitées
La passivité ou l’adhésion au réformisme de la classe travailleuse s’expliquent en grande partie par le caractère fondamentalement épisodique de la lutte des classes. Les contradictions du capitalisme ne suffisent pas, à elles seules, à rendre les travailleur·euses révolutionnaires. La conscience de classe ne naît pas mécaniquement de l’exploitation, mais se forme, comme l’explique Charles Post, avant tout à travers l’expérience vécue de l’auto-organisation et de la lutte collective, qui ouvre un espace de réceptivité aux idées radicales.
Cependant, cette condition fondamentale de la conscience de classe — l’engagement actif dans des luttes de masse — ne peut être que partielle, rare et temporaire. Structurellement, la grande majorité des travailleur·euses ne peut se maintenir en lutte de manière permanente, car leur position dans les rapports sociaux les oblige à vendre leur force de travail pour assurer leur propre reproduction. La contrainte de la survie individuelle limite donc, en temps ordinaire, la possibilité d’un engagement collectif soutenu.
En l’absence de luttes collectives, les logiques capitalistes, le réformisme et les formes institutionnelles de la politique libérale tendent à redevenir hégémoniques. Les travailleur·euses cherchent alors moins à transformer le système qu’à y obtenir une part jugée équitable, sans remettre en question les structures de pouvoir. Pire, lorsque le réformisme échoue, et qu’aucune alternative radicale crédible n’est disponible, le capitalisme parvient même à produire les conditions matérielles (individualisation, segmentation sociale, compétition entre exploité·e·s) de sa propre défense idéologique : dans ce vide, prolifèrent des mouvements réactionnaires, racistes et patriarcaux, y compris au sein même de segments de la classe travailleuse.
Il paraît ainsi tout à fait irresponsable de renoncer à l’auto-organisation d’action directe et à la construction d’alternatives — au nom du réformisme ou par fétichisme de la spontanéité —, car les contradictions du capitalisme, à elles seules, ne produisent ni conscience de classe ni émancipation humaine.
L’avant-garde
Le caractère intrinsèquement épisodique de la lutte de classe fait en sorte que seule une fraction minoritaire de la classe travailleuse demeure engagée de manière durable dans l’action militante. Ce que nous pourrions appeler une « avant-garde » — sans intention dogmatique — désigne ici celleux qui s’efforcent, dans les creux du cycle des luttes, de maintenir vivantes les pratiques de solidarité et de conflictualité, que ce soit sur les lieux de travail ou dans les milieux de vie.
Pour éviter tout malentendu, il ne s’agit pas d’une conception « léniniste » ou « trotskiste » classique de l’avant-garde comme minorité éclairée et détentrice d’une vérité politique à imposer à la masse. Il s’agit plutôt de nommer un rôle concret : celui des personnes qui, malgré l’isolement, l’usure et la défaite, persévèrent à faire vivre des institutions, des pratiques et des imaginaires de lutte, souvent invisibles, mais essentielles à la reproduction d’une mémoire collective militante. Ce rôle peut bien sûr être débattu, renommé, critiqué. Mais y renoncer totalement reviendrait à céder au désarmement stratégique.
Il est vrai que certaines de ces figures militantes deviennent, dans certains contextes, la base sociale d’une bureaucratie de la classe travailleuse, détachée des réalités concrètes du travail salarié et sujette à la logique du réformisme : éloignement des lieux de production, libération des contraintes du salariat, adoption d’un langage et de pratiques d’appareil. Mais il en existe d’autres — nombreuses — qui continuent à militer tout en vivant les contradictions du travail capitaliste : précarité, aliénation, subordination. Ce sont des militant·es inséré·es dans la vie ordinaire de la classe, qui organisent patiemment leurs collègues, leurs voisin·es, leur communauté.
Toute organisation, aussi bien intentionnée soit-elle, peut générer ses propres inerties, ses rigidités, ses rapports hiérarchiques. Mais cela ne saurait justifier un rejet total des médiations politiques. Le fétichisme de la spontanéité, qui consiste à opposer de manière absolue militantisme conscient et authenticité populaire, risque de dévaloriser l’activité militante organique — c’est-à-dire celle qui émerge de l’expérience vécue des dominé·es — en la réduisant à une forme d’avant-gardisme suspect, voire à un « racket de la révolution ».
L’article de N. illustre cette tendance lorsqu’il cite des mouvements contemporains perçus comme spontanés — les soulèvements BLM/George Floyd, les Gilets jaunes, les révoltes sociales au Chili —, en soulignant l’absence d’organisations de masse les encadrant a priori. Or, il est hautement improbable que ces mouvements aient émergé sans qu’un noyau de personnes expérimentées, formées dans des traditions militantes diverses, n’y joue un rôle actif, qu’elles se revendiquent ou non d’une conscience révolutionnaire.
En outre, ces mouvements — malgré leur puissance — n’ont pas porté de projet révolutionnaire clair, ce qui pourrait précisément constituer un argument en faveur du texte initial. Car en l’absence de structures autonomes de masse dotées de pratiques et de discours radicalement anticapitalistes, la conflictualité tend à se traduire par des formes réformistes, confuses ou contradictoires. Si un contre-pouvoir révolutionnaire structuré — reposant sur une mémoire, une culture, des formes d’organisation autonomes — avait existé dans les deux dernières décennies, il est fort probable que la conscience politique qui aurait émergé de ces mouvements populaires aurait été plus clairement orientée vers la rupture systémique.
La société post-industrielle et la conscience de classe
Les classes sociales sont des relations historiques mouvantes et leur expression politique suppose à la fois une expérience partagée de l’exploitation et un travail d’organisation qui permette de construire une force consciente de ses intérêts.
Or, plusieurs militant·e·s s’opposeront à la construction de la conscience de classe les postulats des thèses de la société post-industrielle. Pour ces analyses, le développement du secteur des services, la complexification des structures professionnelles, l’essor du savoir théorique, la hausse du niveau de vie et l’émergence des régulations étatiques ont restructuré les conflits sociaux autour du contrôle de l’information et permis l’émergence d’une classe moyenne composée de cadres et d’employé-e-s qualifié-e-s. Pour ces approches, la société n’est plus marquée par un conflit de classes, mais par des identités et des discours capables de se définir eux-mêmes. Ainsi, nos sociétés contemporaines ne seraient plus autant contraintes par des facteurs socioéconomiques comme la classe et offriraient davantage de place à l’agentivité, contrairement aux anciennes sociétés industrielles.
Néanmoins, ces analyses surévaluent les impacts de ces changements dans la division du travail sur les rapports d’exploitation. En effet, comme l’affirme Peter Meiksins, « le capitalisme n’a jamais, ni par le passé, ni aujourd’hui, généré une classe des travailleurs homogène. Au contraire, il a créé une classe variée et très stratifiée, et les capitalistes ont toujours eu un intérêt inhérent à faire en sorte qu’elle soit aussi divisée que possible ». De même, la complexification de la division du travail contemporaine ne produit pas une disparition des règles de reproduction pour la classe travailleuse, soit l’obligation de fournir du surtravail à travers la vente de la force de travail sur le marché.
Bien que des rapports d’exploitation spécifiques caractérisent les conditions sociohistoriques et orientent la formation de classe, la conscience de classe a toujours été un processus contingent, relationnel et collectif constamment en mouvement de formation et de désintégration. En ce sens, la conscience de classe n’est pas le produit mécanique de facteurs socioéconomiques, mais le résultat d’agents conscients au sein de conditions sociales, politiques et économiques. La construction d’une conscience collective de classe à d’autres époques, comme aujourd’hui, a été un processus très exigeant issu d’un effort intense et soutenu d’organisation militante.
En somme, le capitalisme produit encore des « champs d’attraction », qui polarisent la société en classe dans des situations de classe vécues. Des processus sociohistoriques peuvent mener, et ont historiquement mené, à l’émergence de groupes conscients de former une classe opposée à une autre. Le défi aujourd’hui est de produire un tel processus par des efforts organisationnels considérables, tout comme cela a été le cas par le passé.
L’auto-organisation en guise de conclusion
Le manque de personne dans nos manifs est un symptôme de la passivité actuelle des classes travailleuses, en ce sens que la rue est un prolongement, et non le centre, des conflits sociaux. La passivité s’explique par l’absence des luttes collectives alternatives à celles individuelles ou réactionnaires. Dire qu’il ne faut pas faire les efforts organisationnels sous peine d’être des « évangélistes de la révolution » est irresponsable et nous condamne à être ce que nous sommes depuis les trois dernières décennies au Québec : une frange radicale au sein de mouvements sociaux réformistes ; une médiation politique faible qui n’a aucune capacité à fonder une force sociale menaçant l’ordre des choses.
Il ne faut non pas un retour dogmatique à une forme d’organisation figée, ni une morale militante, mais une stratégie matérialiste de reconstruction du pouvoir social autonome de la classe travailleuse. La proposition n’est pas ici de plaquer un modèle universel, mais d’affirmer que sans formes durables de médiation entre expériences d’exploitation et horizon politique, il ne peut y avoir de contre-pouvoir. Une politique révolutionnaire cohérente aujourd’hui devrait :
Dire qu’il ne faut pas faire les efforts organisationnels sous peine d’être des « évangélistes de la révolution » est irresponsable et nous condamne à être ce que nous sommes depuis les trois dernières décennies au Québec : une frange radicale au sein de mouvements sociaux réformistes ; une médiation politique faible qui n’a aucune capacité à fonder une force sociale menaçant l’ordre des choses.
Il ne faut non pas un retour dogmatique à une forme d’organisation figée, ni une morale militante, mais une stratégie matérialiste de reconstruction du pouvoir social autonome de la classe travailleuse. La proposition n’est pas ici de plaquer un modèle universel, mais d’affirmer que sans formes durables de médiation entre expériences d’exploitation et horizon politique, il ne peut y avoir de contre-pouvoir. Une politique révolutionnaire cohérente aujourd’hui devrait :
Identifier les lieux où l’exploitation est la plus forte, visible, et vécue collectivement ;
S’insérer dans ces espaces (santé, éducation, services sociaux, syndicats de base, luttes de locataires) pour y développer des pratiques d’auto-organisation anticapitalistes ;
Faire de la rue un prolongement, et non le centre, des conflits sociaux ;
Se concentrer sur la construction patiente de la conscience de classe comme processus historique ;
Construire des organisations populaires capables de revendiquer un pouvoir démocratique sur les sphères économiques, dans une logique d’unification des luttes, non de leur juxtaposition.
Lecture partisane des événements du printemps jusqu’à l’automne 2024 à Tiohtià:ke-Montréal
Ce texte cherche à faire le point sur la séquence politique qui va du campement McGill du 27 avril 2024 jusqu’à la grève étudiante des 21 et 22 novembre dernier contre le sommet de l’OTAN. Nous souhaitons faire apparaître ici un certain nombre de remarques et de leçons que les événements des derniers mois peuvent nous révéler.
Le souci des conditions de possibilité d’une situation conflictuelle et de son passage à une situation insurrectionnelle est au coeur des questionnements de ce texte. Tout au long de la dernière année, on a cherché à comprendre ce qui s’était joué dans le mouvement de solidarité avec la Palestine à Montréal s’étendant du printemps à l’été et jusqu’au mois de novembre 2024. Il s’agit pour nous voir les ouvertures et les limites d’un tel débordement.
Ce texte s’adresse à celles et ceux qui se sentent interpellés par les expérimentations politiques qui prirent place. Ce texte s’adresse à ceux et celles qui souhaitent prendre la situation politique conflictuelle – insurrectionnelle et révolutionnaire – à bras le corps. Que les choses aient été difficiles, décevantes, fâchantes et blessantes n’est pour nous qu’une évidence de tout moment politique insolite. Ces difficultés ne sont pas une fin, mais un point de départ.
La dernière année en a été une surprenante. Beaucoup de personnes ont vécu les moments politiques et existentiels les plus prenants et chavirants de leur vie.
C’est aussi à ces personnes que s’adresse ce texte.
« We’re trapped in the belly of this horrible machine And the machine is bleeding to death »
« Pour la première fois, les ouvriers se sont sentis chez eux dans ces usines où jusque-là tout leur rappelait tout le temps qu’ils étaient chez autrui. Oui, à chaque instant de la journée de travail quelque petit détail douloureux vient rappeler à l’ouvrier sur sa machine qu’il n’est pas chez lui. Ces hommes, ces femmes, qui tous les jours de leur vie ont appartenu à l’usine, pendant quelques jours l’usine leur a appartenu. Et c’est là la tragédie d’une telle existence : pour qu’ils se sentent chez eux à l’usine, il faut que l’usine s’arrête. Maintenant que de nouveau les machines tournent, ils se retrouvent sous la même contrainte. Mais du moins, cette tragédie, ils peuvent en prendre conscience. Ils ont senti une fois ce qu’une usine devrait être. Pour la première fois de leur vie, la vue de l’usine, des ateliers, des machines a été une joie. » – Grèves et joie pure, Simone Weil
Les mots de Weil nous semblent loin. Entre les quatre murs de l’Université, les machines sont imperceptibles. Pourtant, l’usine éclaire l’amphithéâtre. L’évidence d’être autrui – partout. La catastrophe intime de ça.
Que tout nous apparaisse impossible, inadéquat, futile, épuisant, titanesque, c’est bien ça qui montre l’évidente gravité du travail à faire. Dans le creux de la vague politique, le spectre de la défaite nous hante encore.
Nous sommes quelques un-es qui partageons l’affect sensible du désastre, quelques un-es à vouloir s’organiser. Le monde d’il y a quelques années déjà semble bien loin. Tout s’accélère et l’empire vient et se ressert sur la carcasse de l’histoire. Nous sommes une poignée et nous ne nous satisfaisons pas des petites victoires que certains proclament. Certains semblent fatigués de la dernière séquence politique et prennent ces victoires comme un baume. Alors si lesdites victoires se vivent – réifiées peut-être, mais qu’elles se vivent tout de même – alors soit ; prenons-les au sérieux, chérissons-les. Attardons-nous aux angles qu’elles suggèrent.
Depuis la fin de la séquence 2005-2008-2012-2015 au Québec, on voit la mort à grande fête puis à petit feu de quelque chose comme une force étudiante. Puis, en soubresaut – la grève des stages, Non à la COP15, le sommet de l’OTAN – quelque chose comme une combativité qui resurgit par brefs instants. Mais l’aura n’est plus vraiment. C’est-à-dire que chaque tentative apparait comme moment politique éphémère. C’est que son caractère éphémère est sa maladie et non sa direction, c’est sa limite interne. La ponctualité des dernières grèves n’est pas une décision, mais une fatalité. Et on dirait qu’il y a quelque chose d’inauthentique dans ces moments, véritablement, au sens où le geste de faire-grève n’apparaît pas comme moment de rage et de déroute. Le temps de la grève devrait être celui où le temps vide et homogène du quotidien se suspend, se fissure puis se rompt et ouvre sur de nouvelles rencontres, de nouveaux usages, des imprévus. Mais les dernières grèves ponctuelles apparaissent plutôt comme la préparation d’un exercice fade et bien connu. Certain-es ont évalué la grève étudiante contre l’OTAN comme un succès, et ce, dû au degré de combativité de sa manifestation nocturne du 22 novembre 2024. Il s’agit selon nous d’une erreur de lecture. La grève aura servi de prétexte, certes, mais son sous-texte est ailleurs.
Ce soir là, on se rappelle, quelques centaines d’étudiant-es et de militant-es propalestiniens ont défilé brièvement dans le centre-ville jusqu’au palais des congrès. Lors d’une escarmouche,des groupes autonomes ont repoussé une ligne de flics jusque dans une ruelle, les ont aspergés de peinture et ont balancé des feux d’artifice. Quelques moments plus tard, des poubelles et des voitures brûlaient, les vitres du palais explosaient soudainement sous les pavés et les marteaux. La foule fut rapidement dispersée. Le reste du traitement policier et médiatique de l’événement a pris des dimensions énormes, la farce était consacrée. Il aura fallu le chef de la police du SPVM pour rappeler aux politiciens qu’il ne s’agissait pas d’actes antisémites, mais bien de gestes politiques par des groupuscules connus des services. Aucune arrestation à ce jour ; pas si connus que ça finalement. Cela dit, cette manif n’est pas à l’image de ce qui aura été une grève de deux jours somme toute décevante. Se réjouir du bref surgissement émeutier, certes et avec grande joie, mais aussi soumettre à la critique l’exercice réel de cette grève.
Ce qui aura été frappant de cette grève, c’est le peu de personnes qu’elle aura mobilisé au sein de l’UQÀM, où une zone de grève avait été improvisée dans l’agora. Quelques activités, des tracts, des bannières, des lectures, du café. C’était pas mal ça. Une petite manif interne d’une demi-heure. À Concordia, on a vu une manif plus pimentée ; la foule a envahi les couloirs – sous l’initiative d’une constellation de groupes autonomes – et a défilé sur plusieurs étages, laissant derrière elle une trainée de tags et des caméras brisées devant les yeux ahuris des gardiens de sécurité. À l’entrée du bureau de l’administration, moment d’hésitation et de confusion. À ce moment-là, il y avait quelque chose comme l’harmonie entre la rage et la joie. Des initiatives semblaient prêtes à surgir, hors de toutes attentes, assez imprévisibles. Nous disons que c’est ce que doit produire la grève. Le jeu entre ce qui est attendu et ce qui ne l’est pas, un rebrassage des cartes en bonne et due forme. Mais tout ça fut rapidement avorté. Trente minutes plus tard, tout était terminé.
Le deuxième jour de la grève, on a vu un peu plus de monde à la zone de grève, principalement parce que les étudiant-es des Cégeps en grève ont convergé vers l’agora de l’UQAM. À quelques instants du début de la manif’ de soir : ateliers sécurité en manif’, distribution de matériel défensif et autres trucs, formation d’équipes – l’agora était pleine et elle n’avait pas été aussi belle depuis longtemps. Sûrement certain-es ont trouvé du réconfort ou une réelle satisfaction dans l’exercice de débrayage des 21 et 22 novembre derniers. On avoue que nous aussi, un peu quand même. Pourtant, ce qui s’est passé nous semble surtout éclairer ce qui aurait pu arriver.
« […] Tandis que la première forme d’arrêt du travail (la grève politique revendicatrice) est une violence, car elle ne provoque qu’une modification extérieure des conditions de travail, la seconde en tant que moyen pur est sans violence. Car elle ne se déclenche pas avec l’arrière-pensée de reprendre l’activité après des concessions superficielles et une modification quelconque des conditions de travail, mais avec la résolution de ne reprendre qu’un travail entièrement changé, non imposé par l’État ; bouleversement que cette sorte de grève provoque moins qu’elle ne le réalise. » – Critique de la violence, Walter Benjamin
Dans Critique de la violence, Benjamin s’intéresse à deux formes-grèves distinctes. D’un côté, la grève politique apparaît comme un exercice de revendication où les prolétaires posent le débrayage comme geste de médiation en vue de l’atteinte d’un objectif salarial ou autre. De l’autre côté, il y a ce que Benjamin appelle « grève générale prolétarienne ». Nous l’entendrons comme grève humaine, grève sociale. La grève sociale, c’est la grève qui suspend la temporalité réelle des activités productives du travail et des activités quotidiennes normales sous le mode de production capitaliste. Le temps du travail est délivré de sa charge dépossédante et aliénante ; la temporalité changée, l’espace devient habitable et les relations aussi. La grève sociale réalise plus qu’elle ne provoque, voilà ce que disait Benjamin. Mais les grèves ponctuelles étudiantes ne réussissent pas – ou plus – à suspendre le cours normal des choses du quotidien. Rien de gênant ou de dérangeant à la vue de quelques divans, de quelques slogans et de bannières.
Revoir alors la liste courte des objectifs possibles d’une grève : faire pression et se lier/changer la vie réelle/le rapport à l’infrastructure/réappropriation des usages des espaces, libérer du temps, etc. Dans l’optique où l’on admet que la grève des 21-22 novembre n’a pas réussi à faire pression (puisqu’évidemment il s’agissait d’un contre-sommet, personne n’a réussi à destituer ou à désarmer l’OTAN), on se serait attendu à ce que la zone de grève soit bien plus populeuse, que les gens profitent de la ponctualité comme d’une force (il est bien plus facile d’exploser le quotidien une seule journée que 6 mois durant) et de ce qu’elle pourrait ouvrir (beaucoup plus de légèreté qu’une interminable Grève Générale Illimitée) pour s’approprier massivement les couloirs et les salles de l’université. On aurait voulu qu’il y ait des mots d’ordre associatifs et autonomes, que les gens prennent des initiatives, aient un peu de créativité, repeignent des sections complètes, qu’il y ait des cantines, des partys, qu’il y ai des espaces pour se rejoindre réellement. Visiblement, la force organisatrice nous manque pour réussir quelque chose comme ça.
Pourtant, une réappropriation d’espaces et de temps, c’est bien ce que les campements propalestiniens ont exercé, à leur manière, quelques mois plutôt. Les campements constituaient un melting pot entre les étudiant-es tendance radlib’, des personnes de la communauté musulmane de tous horizons, des insurrectionnalistes, la gauche radicale étudiante, des visages connus du communautaire et une poignée d’autonomes. Mais le débordement par le nombre aura été la plus grande absente. Les manifestations organisées sur des bases autonomes n’auront que rarement atteint le millier de personnes. Ceci dit, les campements propalestiniens devraient tout de même nous éclairer sur une série de choses. Notre lecture ici, c’est que c’est bien les campements pro-palestiniens du printemps et de l’été 2024 – et non la mobilisation pour la grève du 21-22 novembre – qui ont permis de voir surgir une scène comme la manif à saveur offensive du 22 novembre au soir. Notre constat, c’est qu’aucun groupe, composition de groupes ou organisation n’était à même de faire résonner les événements du 22 novembre au soir au-delà du fantasme et du bavardage.
L’éternité d’un jour de grève
Ici il nous faut faire un rappel qui nous apparaît nécessaire : ce que nous voulons, c’est bel et bien la chute effective de l’État en tant qu’il est l’outil de reproduction national du mode de production capitaliste. Nous voulons abattre le quotidien du mode de production dans ce qu’il a d’aliénant et de réellement dépossédant. Construire des communautés autonomes et désarmer les institutions, les bras armés, les industries destructrices, ses chemins logistiques,etc. Participer à l’élaboration de nouveaux communs, de zones libérées de l’impératif marchand. Ce que nous voulons en ce sens, c’est bien gagner. Mais gagner n’a jamais été notre fort. Nous sommes héritier-es d’une histoire de défaites, de désastres, de déceptions. Certain-es semblent même avoir oublié que c’est bel et bien ce qu’on veut, que c’est bel et bien une guerre qui est en cours et que cette guerre, chaque jour, se perd. Pour gagner dans l’asymétrie évidente il nous faudra comprendre. Comprendre et toucher nos contemporains. Rester dans notre coin et nous satisfaire d’une radicalité morale ne nous intéresse pas. Résonner, contaminer ; par grands cris quand il faut pour se faire entendre et par complots à voix basse pour s’installer et temporiser. Mais se répandre, oui, aussi loin que possible. Dans l’éventail des réalités politiques et organisationnelles que pose une telle problématique surgit la question dite de la composition.
Parenthèse sur la composition: Le terme de composition a été bien en vogue depuis Les Soulèvements de la Terre et la très impressionnante et macabre émeute de Sainte-Soline. Dans les derniers mois au Québec, on l’a vu utilisé pour proposer une manière stratégique de se saisir du politique, de ses binarités et de ses tendances, et éventuellement de chercher à les dépasser. Nous proposons plutôt ici la lecture du concept de composition non comme la proposition stratégique d’un problème, mais comme forme de surgissement réel, comme réalité actuelle de tout mouvement social/politique contemporain. Comprendre le politique comme situation réelle et non comme situation idéale, chercher à prendre la réalité politique à bras le corps c’est, dans le constat de la composition, organiser les contrepoints des forces en présence. La séquence des campements propalestiniens du printemps et de l’été 2024 a quelque peu réussi à poser cette grammaire du politique d’une autre manière que celle dont on avait l’habitude au sens où elle a forcé un certain nombre de groupes et de tendances à travailler ensemble.
Parenthèse sur la barricade: Les campements ont mis au goût du jour ce qu’on évoquera ici comme la théorie de la barricade. Nous disons que ce que la barricade fait réellement ne se résume pas à la prise d’un territoire ni à sa défense. Évidemment, la barricade est libération d’un lieu, redéfinition de ses usages, démantèlement effectif du paysage. Mais la barricade fait aussi surgir la position. Elle force non seulement les gens à concevoir son existence comme réelle – chose que les discours ou les appels à la lutte peinent évidemment souvent à faire – tout en polarisant et en forçant le positionnement. En ce sens, la barricade, lorsqu’elle émerge à la vue, fait aussi surgir le sentiment de devoir choisir un bord. On est derrière ou devant la barricade et cela veut dire beaucoup. Ça ne veut pas dire que tout le monde d’un côté s’entend sur tout, mais qu’ils ont une certaine compréhension commune d’un certain sensible. Être d’un côté de la barricade c’est aussi donc refuser ce que l’autre côté pose comme réalité. Dans un monde où toucher et affecter constitue une difficulté réelle, ce n’est pas rien.
Parenthèse sur la densification: On note aussi que les campements ont réussi à créer un mode d’entrée en relation inouï dans le paysage de la militance classique de Montréal. Dans l’élan d’un mouvement international, des étudiant-es de McGill, des militants de Palestinian Youth Movement, Montreal 4 Palestine, pas mal de monde de la communauté musulmane, des étudiant-es juif-ves et un certain nombre de folks in black se sont saisis du McGill Lower Field et l’on fait leur. On pourra se demander si la durée (74 jours?!) n’aura pas montré l’inefficacité de la tactique en lien avec les revendications. La grève ou l’action ponctuelle et éphémère n’ont effectivement que très peu d’impact sur la transformation d’une situation politique institutionnelle donnée. Mais ce n’est pas celle qui nous intéresse ici. Ce qu’on a vu par contre c’est que l’exercice a permis une densification particulière des liens politiques et sensibles entre des gens de tous horizons. La densification était spatiale et temporelle ; en quelques jours des inconnu-es devenaient des camarades, puis des ami-es ; des gens se radicalisaient expressément ; dans le quotidien, on prenait en charge les tâches pénibles, on se préparait ensemble à répondre intelligemment aux éventuels raids policiers ; tout ça créait de nouvelles confiances, mais aussi de nouvelles craintes, de nouveaux doutes, de nouvelles réalités de luttes. La densification opérée par les campements aura été sa force et sa limite. Le constat général partagé à leur suite est l’épuisement des forces en puissance, notamment dans la reproduction matérielle quotidienne de la vie du camp.
L’heure dense
Ceci dit, la densification aura aussi permis de voir surgir de nouvelles alliances, de nouvelles formes conflictuelles qui s’accordaient sur l’envie d’en découdre avec la police et les infrastructures urbaines et universitaires. On a vu une contamination surprenante des tactiques de rues, offensives et défensives. Successivement, quatre moments clefs (qui ne représentent pas exhaustivement les moments conflictuels) : i) le cas de l’escarmouche policière nocturne à l’Université Populaire Al-Aqsa et de la baston concomitante ii) l’occupation de l’administration et la manif’ orageuse du 6 juin à McGill iii) la colère du démantèlement d’Al-Soumoud et la vengeance sur le bâtiment de l’administration de McGill, et iv) la manif’ du 7 octobre 2024 à Concordia devant la confusion policière. Chacun de ces moments ont montré comment, dans un instant de colère pouvait se réaligner des forces qui semblaient impossibles à conjuguer. C’est un travail de récurrence – à la fois concerté et organique – qui a permis la normalisation et la multiplication d’une tactique comme le Grey Bloc dans les manifestations d’été et d’automne. Dans la contingence du printemps et de l’été où, d’un côté, les relations de confiance et les savoirs tactiques s’échangeaient dans les camps et, de l’autre, où se multipliait les manifestations à potentiel de débordement, on a vu une gradation confrontationnelle qui faisait rupture avec les manifestations pacifiantes de l’automne 2023 et de l’hiver 2024. Cette séquence-là est intéressante dans ce qu’elle ouvre comme questions: c’est à se demander comment on aurait pu faire mieux et plus tôt dans le mouvement, à se demander si par exemple on aurait pas dû jouer un rôle dès le départ dans les grandes manifestations pour offrir une présence rejoignable pour ceux et celles qui se reconnaissaient dans la rage, la colère et l’envie de bricoler une réelle force de débordement. C’est aussi à se demander de quelle manière on aurait pu canaliser les forces en présence au-delà de ce qui s’est passé. Dans l’optique de l’éventualité où on aurait pu réussir à rencontrer et à se lier avec plus de personnes, la question persiste à savoir où et comment on aurait pu emmener le débordement sans qu’il ne soit qu’une redite vouée à s’essouffler.
La séquence des camps et des manifs semble s’être épuisée vers la fin de l’été. Nous comprenons cet épuisement en tant qu’incapacité à se lier de manière suffisamment vaste aux étudiant-es, incapacité à déborder des campus, incapacité à créer des moments de rencontre qui ne soient pas des redites du milieu soi-disant révolutionnaire, incapacité à intervenir de façon satisfaisante dans les espaces politiques déjà déployés, incapacité à contaminer et à résonner en dehors d’un groupe assez restreint de personnes déjà convaincues. Cet épuisement nous apparaît aussi comme une réelle fatigue. On l’a dit, le quotidien des camps nécessitait un effort logistique et matériel constant, effort qui minait de l’intérieur les énergies à réfléchir et faire autre chose. Dans le cadre du mouvement propalestinien, cet épuisement avait quelque chose de tragique, mêlé à une impuissance insupportable. Devant ces conclusions, il nous faut inévitablement nous poser les questions suivantes : comment dépasser la stagnation dans les séquences politiques conflictuelles? Comment éviter de s’isoler dans la radicalité tout en la conservant? Comment être rejoignable?
Si débordement il y a eu l’année dernière – et c’est bien ce que nous pensons – ce débordément a fini par s’écouler dans les tranchées d’un manque certain. Ce manque, nous pensons que c’est précisément celui de l’organisation. Une situation conflictuelle ou insurrectionnelle se concrétise dans une articulation entre plusieurs choses. Nous n’en nommerons que deux. D’une part une telle situation peut surgir comme d’elle-même au sens où le débordement donne l’impression qu’il n’est ni anticipé ni proprement organisé. C’est ce qui semble s’être produit avec le mouvement pro-palestinien à Montréal en tant que c’est une accumulation de petits événements (et sa résonance à l’international) qui poussera à l’émergence des camps et des manifs combatives. C’est aussi sous cette forme que surgissent des moments émeutiers comme celui du 31 mai 2020 à Montréal suite à la mort de George Floyd. C’est aussi, dans une certaine mesure, ce qu’il s’est passé avec Gilets Jaunes. Nous dirons de cette forme qu’elle est spontanée. De l’autre, il y a les mouvements qui sont organisés et stratégisés d’avance. Ici on peut penser évidemment à la grève étudiante de 2012 et à celle de 2015. Ces mouvements s’organisent à partir de structures organisationelles locales, régionales et nationales. L’ASSÉ (Association pour une solidarité syndicale étudiante) était l’élément structuré du mouvement étudiant combatif qui permettait l’élaboration de camps de formation, de campagnes de mobilisation, de couverture médiatique et d’organisation de manifestations relativement populeuses partout au Québec (surtout à Montréal). C’était à la fois un véhicule pour la mobilisation étudiante et quelque chose comme un front démocratique qui était rejoignable sur une base quasi permanente. Le succès relatif (dans le nombre et le caractère généralisé du conflit social) des mouvements de 2012 et 2015 ne sont évidemment pas dû au simple travail de l’ASSÉ et de ses différents comités. Plutôt,c’est le débordement de ces structures de manière autonome et massive qui permit de voir se dessiner des situations conflictuelles intéressantes. Il ne s’agit pas ici de regretter la mort de l’ASSÉ ou encore de souhaiter la construction de structures qui lui seraient absolument homologues, mais de voir ce que l’organisation sur une base formelle permet d’accomplir comme travail. Ce type de structure est évidemment insuffisant et bourré de limites, mais il permet tout de même d’élargir de manière sensible les potentialités de mobilisation. C’est aussi à partir de et à côté de ce type de structures que l’efficacité des groupes autonomes et des groupes affinitaires sont au sommet de leur efficacité. Ceci dit, ne soyons pas fantasques quant au caractère révolutionnaire de telles structures. Il n’y a de réellement révolutionnaire que ce qui abat le cour réel du quotidien sous le mode de production capitaliste.
Les mois qui viennent sont incertains : l’ombre d’un appauvrissement général, la montée du fascisme, la déchéance de l’économie des marchés globaux, de l’état d’exception continuel face à une gestion vampirique et sale de la question du logement, des mises à pied de masse, de l’inflation qui explose et les projets extractivistes qui se redoublent de partout. Les questions posées plus haut sont à prendre au sérieux pour espérer pouvoir être à la hauteur de la situation.
Si, coincé-es dans le ventre de la machine qui saigne à mort, il y a une politique révolutionnaire possible, elle doit nécessairement se poser sur le temps long. Il nous faut élaborer davantage d’infrastructures et des pratiques d’organisation qui nous permettent collectivement d’être rejoignables par d’autres.
Post-scriptum sur le corps révolutionnaire
Il y a ce qui surgit. Mais ce qui surgit happe. On l’a vu, l’insurrection a porté et portera le signe du signifiant le plus fort. Ne pas vouloir jouer le jeu de l’hégémonie – jeu qui est trahison de soi et des autres, inévitablement – c’est effectivement refuser de la revendiquer par et pour un programme. Il nous faut cependant y accrocher des usages, des éthiques, des formes. Y accrocher ces gestes, les incarner et ainsi changer son cours. Lorsque l’État ou le capital trébuche, il faut quelqu’un ou quelque chose pour le faire tomber. Nous ne pouvons pas compter sur un corps qui surgirait, spontané, et porterait un coup fatal. L’occasion est trop grosse et le risque est trop grand. Ce qu’il nous faut, c’est un corps qui serait à même d’élucider et de stratégiser cette chute. De la même manière, nous voulons un corps qui soit capable de construire rapidement, de lier, d’écrire, de partager, de diffuser et d’organiser. Nous ne faisons pas l’erreur de croire que c’est ce corps qui a créé ou qui créera expressément l’insurrection : la recette exacte pour celle-ci nous reste inconnue. Nous reconnaissons le rôle du corps révolutionnaire à créer du mouvement, mais pas à créer le mouvement. Le Groupe révolutionnaire Charlatan l’a dit et nous partageons le constat : le rôle de la minorité c’est bien de forcer la prise de position.
Nous posons aussi qu’un corps révolutionnaire ne doit pas avoir pour objet une tendance politique historique. Nous avons vu dans les dernières années comment celles-ci ne nous permettent que très peu de nous comprendre, encore moins de nous donner les moyens de nos ambitions ou de tracer nos lignes de convergences et nos réelles lignes de fractures. Il n’y a rien de révolutionnaire dans le fait de revendiquer un anarchisme ou un communisme quelconque. Tout de révolutionnaire à travailler à le faire advenir.
D’un autre côté, à aucun moment il ne s’agit de nier ou de camoufler une radicalité. Seulement, la question révolutionnaire doit cesser d’être reléguée constamment en termes de binarités historiques. Ces binarités doivent être ramenées les deux pieds sur terre comme disait l’autre. Le réformiste ou le citoyen, à un moment donné, penche dans l’action insurrectionnelle : il est traversé par la situation. Nous sommes de ceux qui préfèrent réfléchir en termes de situations, de stratégies, d’éthiques et d’usages plutôt qu’en termes d’identité politique ou de principes moraux.
Aussi, le corps révolutionnaire ne doit pas avoir pour objet le sujet. La bande, le groupe, l’organisation : aucun n’est à l’image de ce que devrait être un corps révolutionnaire. Il ne doit pas y avoir la revendication ou quelconque processus de reconnaissance à faire partie du corps révolutionnaire, seulement la réalité matérielle/existentielle de participer à sa construction. Nous comprenons la nécessité historique de certains groupes et leur rôle clef dans l’échafaudage infrastructurel réel ; d’un autre côté nous comprenons aussi leur insuffisance dans la construction de positions révolutionnaires communes fortes.
Une position révolutionnaire consiste non en une force de proposition charismatique et publicisable, mais en l’élaboration d’une ouverture, d’une faille dans le quotidien qui soit réactualisable par d’autres et pour d’autres, donc autrement. Une position révolutionnaire doit pouvoir être rejoignable, mais être rejoignable ne doit pas être son sacrifice. On nous a dit que ce qui permet de résonner, d’entrer en résonance avec d’autres avait comme condition de possibilité d’être authentique dans le geste. Nous abondons en ce sens. On nous a dit que créer des relations en s’éloignant de l’affirmation identitaire de tendances politiques était inauthentique et malhonnête. Le mot de l’identité dirait donc la chose et la performerait du même coup. Se dire insurrectionnaliste c’est du même coup faire l’insurrection… Tout ça n’a aucun sens. Les pasteurs nous sermonnent parce qu’il faudrait qu’être « anarchiste » ou « révolutionnaire » soit le préfixe de notre existence politique. Nous dirons simplement ici que se dire révolutionnaire ou anarchiste n’a que très peu de sens en tant que tel, que c’est le geste et l’articulation du geste à la situation qui donne le sens et la force à ces termes. Nous rétorquons aussi qu’il y a de l’authenticité à vouloir être entendu et compris, et qu’il faut stratégiser les manières de l’être. Nous disons que tout le monde n’est pas à même de comprendre ce que tentent de signifier 50 personnes vêtues de noir isolées face à une armée de flics. Nous disons que ça, ça ne résonne pas, ou en tout cas ça ne se résonne pas souvent. Ou peut-être que ça résonne, comme crier dans une boîte vide, comme l’écho de sa propre voix. Et nous ne tenons pas spécialement à nous casser mutuellement les oreilles. Nous voulons cependant parler assez fort pour être entendus et compris. Nous ne voulons ni crier dans le vide ni chuchoter entre nous. Nous allons dans le sens de cette phrase qui dit nous ne pouvons pas forcer tout le monde à parler notre langue ; nous voulons devenir polyglottes.
On dira finalement qu’être rejoignable c’est toucher au coeur de ce qui est partageable dans la catastrophe sensible et intime du monde. Si la position révolutionnaire peut apparaître comme une sécession avec le quotidien de l’économie et de la politique (en tant qu’elle est sortie de la torpeur, de l’incapacité, de la confusion, de l’angoisse, en tant qu’elle cherche à élaborer des modes de vie néfaste au mode de production capitaliste), elle ne doit pas tenir à tout prix à se poser comme sécession face aux « individus » du corps social.
Être à même de formuler des positions révolutionnaires ou insurrectionnelles communes qui soient rejoignables nécessite un certain niveau de formalisation . Ainsi, notre conclusion à dépasser l’opposition entre mouvement et organisation nous apparaît davantage comme une nécessité que comme un souhait. Elle nous apparaît comme seule façon de dépasser l’entre-nous du « milieu militant » et de tenter notre chance.
On l’a dit, donc : un des rôles du corps révolutionnaire, c’est d’élaborer des positions révolutionnaires. Mais le corps révolutionnaire doit également se méfier de sa propre corporéité.
Le corps révolutionnaire n’est pas la somme des identités qui le composent, contrairement à la bande ou au « groupe ». Sa fonction historique ne doit pas être récupérable parce qu’elle doit consister à abattre le quotidien dans le mode de production capitaliste. Elle doit avoir la joie destructrice de la bande, mais sans sa grégarité, sans ses caractères, ses chefs et ses égos. Le corps révolutionnaire ne doit trouver son sens que dans ce qu’il réalise effectivement. Par peur de se nécroser ou de se cristalliser en groupuscules ou en groupes, il doit s’obséder à ces questions : analyses des lignes de forces et de faiblesses, suivre l’évolution de séquences conflictuelles, distribuer des tâches en vue d’une situation à venir, élaborer théoriquement et de manière critique ce qui est fait, faire des suivis stratégiques et tactiques des séquences passées, cartographier et élaborer les infrastructures dont nous avons besoin et l’entretien desdites infrastructures, intervenir politiquement en temps juste pour stopper le spectacle,etc. Le corps révolutionnaire doit fluctuer en intensité selon la densité du conflit social, mais il doit tout à la fois se prémunir contre l’urgence activiste et être une force tranquille dans le creux de la vague. Il doit se constituer comme l’interface de ceux et celles pour qui la révolution se fait dans le monde, à bras le corps, jusque dans le temps mort des séquences politiques. Le corps révolutionnaire ne doit pas revendiquer le corps social – en partie ou en totalité -, mais ses positions doivent chercher à l’ouvrir, l’expliciter, le polariser et à transformer les processus réels de production et de reproduction du quotidien et de son esthétique.Et donc le corps révolutionnaire ne nie pas les forces déjà présentes dans les milieux révolutionnaires, mais les dépasse. Il le dépasse parce qu’il se saisit de puissances qui existent en son sein, mais plutôt que de les revendiquer ou de les reproduire, il les articule stratégiquement et les ouvre sur l’extérieur.
Ce qui devrait apparaître essentiel dans les mois qui viennent, c’est de réussir à créer un espace relativement formalisé où les différentes forces organisantes du corps révolutionnaire à construire peuvent s’entendre sur un certain nombre de priorités réelles, se distribuer des tâches en vue de la construction et de la consolidation d’une situation conflictuelle à venir, identifier les manques infrastructurels et réfléchir à comment les combler. Apprendre de la dernière année, finalement, des bons coups et des échecs, et parce que l’époque l’exige, faire mieux.
Des caméras ont été bloquées, des tactiques ont été pratiquées et affinées, nos confiances et affinités se sont élaborées et clarifiées. Profitant de ces longues nuits sombres, une équipée festive a empilé des arbres de Noël, bloquant les rails du CN sur la propriété de Ray-Mont Logistique dans le Terrain Vague d’Hochelaga.
Un grand feu de joie et d’heureuses célébrations suivirent et nous nous somme échappé avant que les gardes de sécurité fassent leur ronde régulière – des flammes de plusieurs mètres de haut brûlaient encore a l’horizon bien après notre départ.
Dans la cours adjacente, un graff indique ‘LET’S BURN INDUSTRIALISM!’.
Happy new year! Nous marquerons le passage du temps comme il nous plaît, en espérant aussi lentement marquer le déclin de nos cibles.
« Un briseur de grève est un traître à lui-même, un traître à son Dieu, un traître à son pays, un traître à sa famille et un traître à sa classe. » – Jack London
Samedi 28 décembre 2024, le SITT-IWW Montréal a visité la boutique Renaud Bray de la Place Laurier à Québec, afin de soutenir les grévistes, qui rappelons-le, sont en grève générale illimitée depuis le 5 décembre 2024.
Notre action avait pour but d’informer et de solidariser les clients quant à la grève en cours. La boutique Renaud-Bray située au galerie de la Capitale est fermée et les gestionnaires ont été relocalisés à la Place Laurier. C’est la somme des gestionnaires et de leurs familles qui permet de laisser le magasin ouvert. Comme quoi, chez Renaud-Bray, être des briseurs de grèves et des anti-syndicalistes notoires, c’est une histoire de famille.
Depuis août 2024, Renaud-Bray a été condamné à deux reprises par le tribunal administratif du travail de négocier de mauvaise foi et de recourir à des briseurs de grève, qui est une pratique interdite au Québec.
Nous avons été tracter devant le magasin (voir annexe 1). D’autres camarades ont magasiné et ont déplacé des livres et des accessoires dans le magasin. Une fois nos camarades à la caisse, les gestionnaires ont rapidement été débordés. Des confettis ont été projetés en leurs directions. Un camarade, à l’aide d’un mégaphone, a invité les client à quitter le magasin, en hurlant ces mots :
“Renaud Bray emploi des travailleurs illégaux, alors que les travailleurs sont en grève. Nous devons fermer le magasin. Veuillez vous diriger vers la sortie.”
Pendant que notre camarade porte-voix se faisait sortir et bousculer par les gestionnaires, des camarades ont saisi l’opportunité pour lire à haute voix ledit pamphlet, dans le magasin.
Les patrons ont vite fait d’appeler la police en renfort. Les pauvres petits patrons ont rapporté notre « attitude violente » à leur endroit. Ce sont des policiers exaspérés, tannés d’être dépêchés sur place pour des niaiseries, qui sont venu à la rencontre des grévistes. Les gestionnaires perdent de plus en plus de crédibilité.
L’effet escompté sur l’appareil managérial a fonctionné. L’un d’eux semblait avoir des problèmes de pressions artérielle, à voir sa grosse face de scab bourgogne. De plus, même si nous avions affiché IWW, les policiers se sont empressés de dire aux grévistes de la CSN : « tu vas me dire qu’un groupe externe sont venu pour brasser de la marde en’dans à votre place? »
Eh bien oui mon petit traître de classe !
Parce que la solidarité ouvrière c’est aussi ça. Et on sera là tant qu’il le faudra !
Si vous êtes de Québec, allez voir les grévistes. Vous ne pouvez pas aller à Québec? Pas de problème, allez faire un review sur la page Facebook de Renaud-Bray Place-Laurier avec le message suivant :
» Renaud Bray emploi des travailleurs illégaux, alors que les travailleurs sont en grève. Évitez cet endroit. «
C’est un petit geste, mais ça maintient la pression sur les gestionnaires.
Commentaires fermés sur L’assassinat, une tactique anarchiste
Déc232024
Soumission anonyme à MTL Contre-info
Ce qui suit est une réflexion brute et sous-développée expliquant les raisons pour lesquelles les assassinats politiques de PDG, de politiciens, de proprios de taudis, etc, devraient se passer plus souvent. L’assassinat du PDG de UnitedHealthCare, Brian Thompson, m’a laissé dans une spirale à une myriade de niveaux inattendus, principalement autour de deux questions : Pourquoi ça ne se passe pas plus souvent ? Et peut-être : pourquoi les anarchistes ne semblent plus le faire ?
Les assassinats sont principalement politiques. Il s’agit d’une action radicale entraînée par une analyse politique du pouvoir, ou bien une menace envers son ordre établi. La police, l’État et les grandes entreprises commettent des assassinats mais ils utilisent leurs systèmes judiciaires pour les légitimer.
Je me sens tellement hésitant à en discuter avec certain.e.s de mes camarades bien-aimé.e.s et en qui j’ai la plus grande confiance. C’est tellement tabou. La propagande libéral déemocratique a fait quoi à l’anarchisme pour rendre le sujet de l’assassinat si inconfortable à discuter en tant qu’acte raisonnable ? La non-violence se glisse plus largement dans nos perspectives que nous voudrions l’admettre.
Dans certains cercles, j’entends parler de la nécessité de la violence, mais je ne sais pas s’il s’agit en fait d’une vision romancée de cette dernière. L’expérience de commettre de la violence envers ses adversaires amène plusieurs choses ; bien qu’elle vient avec une montée d’adrénaline, parfois un sentiment furtif d’euphorie, elle peut aussi venir avec de la nausée, un état de choc et l’intuition qu’avec chaque acte de violence, une partie de soi est changée pour toujours.
Et en même temps, what the fuck world ? On nous a déjà démontré que le système juridique est une mauvaise blague. Nous savons que les lois sont faites pour les plus puissant.e.s. Nous savons que les politiciens n’ont aucune envie d’améliorer nos condiditions de vie, et encore moins par des changements systémiques, ils sont au contraire plus investis dans le maintien du capital et de l’ordre étatique peu importe quelles sont les idées spécifiques du parti politique au pouvoir. Nous savons que les manifestations seules ne fonctionnent pas, que péter des vitres ou mettre le feu à la voiture d’un haut dirigeant n’est pas assez dissuasif, alors que reste-t-il à faire ? Conssidérant tout ça, il faut faire quoi pour que lorsque nous disons « Non, ça ne se passera plus ! » et agissons en conséquence, que ça ne passe effectivement plus ?
Celleux qui ont le pouvoir et qui façonnent le terrain sociopolitique de ce monde ne se retireront pas de manière pacifique. Nous sommes victimes d’une grave illusion si nous pensons qu’une autre pétition, manif, vigile, ligne de front va changer quoi que ce soit. Alors que des amix et camarades ont écopé d’accusations RICO dans la lutte Stop Cop City, Donald Trump lui avec les mêmes accusations est devenu président pour un deuxième mandat!
L’État utilise la police pour défendre des projets de plusieurs milliards de dollars. Nous ne pouvons gagner en essayant de les affronter à forces égales ; même les attaques assymétriques n’amènent guère de résultats réjouissants. Par contre, si les chefs d’entreprises, etc., étaient tués, un à la fois, imaginez comment la peur et la conscience qu’ils ne sont plus inatteignables feraient imploser leurs réseaux dans le chaos. Ils peuvent être trouvés. Je ne dis pas que les assassinats sont la seule chose qu’il reste à faire. Je ne fais que lancer la question à l’univers anarchiste; à savoir pourquoi la tactique est utilisée plus par l’État, la police, etc., et moins par les individus qui comprennent et/ou subissent le mal tout comme l’avidité de ces individus qui doivent tout simplement mourir.
Des millions de personnes ont applaudi l’assassinat récent du PDG Thompson, elles ont également applaudi la plus récente tentative contre Trump. Nous sommes au bord d’un précipice – Je demande à mes lecteurs et lectrices d’examiner sérieusement leur relation à la violence. Demandez-vous ainsi qu’à vos amix de confiance : « Jusqu’où es-tu prêt à aller ? ». Connais-tu les conditions pour changer ou intensifier cette relation ? Ou encore, fournis-tu des justifications sans fin selon lesquelles une tactique de violence accélérée ne fera pas une différence? Sois honnête, parfois, nous disons telle ou telle chose parce que nous avons simplement peur des conséquences, de se faire prendre ou parce que nous craignons l’échec. Lorsque nous sommes honnêtes au sujet de nos peurs, nous pouvons faire des plans pour les dépasser. Qu’est-ce qui devrait être en place pour te permettre de sentir que tu pourrais augmenter ta capacité à agir avec violence ? Et à cette fin, à commettre un assassinat ?
Les assassinats sont une tactique anarchiste. Ci-dessous, une liste d’assassins anarchistes connus, certainement incomplète, qui ont décidé que c’était une tactique viable à travers l’histoire. Wikipedia a une page sur chacun.e :
Michele Angiolillo Milan Arsov Joëlle Aubron Germaine Berton Georgi Bogdanov Dmitrii Bogrov Marko Boshnakov Gaetano Bresci Arthur Caron Sante Geronimo Caserio Georges Cipriani Alfredo Luís da Costa Leon Czolgosz Buenaventura Durruti Vladimir Gaćinović Herman Helcher Émile Henry Liu Shifu Gino Lucetti Luigi Lucheni Paulí Pallàs Manuel Pardiñas Giovanni Passannante Yordan Popyordanov Antonio Ramón Ravachol Gennaro Rubino Santiago Salvador Alexandros Schinas Sholem Schwarzbard Oleksandr Semenyuta Jean-Baptiste Sipido Sergey Stepnyak-Kravchinsky Moishe Tokar Kurt Gustav Wilckens Wong Sau Ying Vera Zasulich Bogdan Žerajić
Tout d’abord, contrairement à ce qu’en pense la Mauvaise herbe, mon texte ne les visait pas directement. Il est d’ailleurs faux que la Mauvaise herbe soit « le seul zine anticiv à Montréal », dans la mesure où, bien qu’elle constitue un des seuls, sinon le seul groupe à publier du contenu anticiv original à Montréal, les publications anticivs sont omniprésentes dans le large éventail de zines distribués à Montréal. En effet, il est même impensable d’imaginer une foire de zines à Montréal sans zine « critique du progrès et de la civilisation »–raccourci donné par la Mauvaise herbe pour définir les idées anticivs. Plutôt que de m’en prendre à la Mauvaise herbe, mon propos visait davantage à faire avancer ou au moins stimuler les réflexions anarchistes relatives aux enjeux liés à la technique, car ceux-ci traversent les dernières luttes menées par des anarchistes et suscitent un engouement qui ne cesse de se manifester au sein de la gauche radicale montréalaise.
Je vois dans les idées développées au sein de la famille des anarchismes verts bon nombre d’éléments pertinents pour comprendre le monde et suis surpris que la Mauvaise herbe ne l’ait pas souligné dans sa critique. À mon sens, la plus grande force des différentes branches de l’anarchisme vert est d’avoir souligné la pertinence de comprendre la technique non pas en tant qu’addition relativement aléatoire d’outils et d’innovations individuelles, mais comme un tout, un système qui amène avec lui des conséquences sociales sur l’organisation des sociétés humaines et qui porte de manière inévitable des conditions, des besoins qui orientent significativement le développement des sociétés et les innovations techniques. De ce fait, quiconque voudrait conserver le produit d’une société technicienne étatisée dans un processus révolutionnaire, voire accélérer le potentiel des forces productives, devra inévitablement se soumettre à une série de règles difficilement réconciliables avec les principes de l’anarchisme. Penser toute l’organisation et la coordination que permet l’État sans État est pour le moins épineux, mais cela constitue la mission historique de toutes les déclinaisons théoriques de l’anarchisme. Conformément à une lecture ellulienne de la technique, à mesure que s’installe le règne de la technique, soit l’intégration des outils individuels à un ensemble technique auto-référenciel et autonome, le processus révolutionnaire se complexifie d’au moins deux façons: d’une part puisqu’il rend le monde irrécupérable tel quel sans la reproduction de tous ses maux et, d’autre part, parce qu’il rend l’abandon de ce monde de plus en plus difficile sans l’émergence de catastrophes majeures. C’est sur cette dernière difficulté que j’ai tenté de travailler dans le cadre de mon premier article critiqué par la Mauvaise herbe.
Puisque la technique et les conditions sociales qu’elle apporte sont perçues comme absolument irréconciliables avec l’anarchie, les anarchistes verts soutiennent que, si nous sommes véritablement sincères envers un projet de société anarchiste, on ne peut se permettre de faire de compromis avec l’organisation sociétale ayant émergé de l’industrialisation. Contrairement à d’autres militant.es anarchistes, les anarchistes verts sont au moins honnêtes lorsqu’iels soutiennent que, si on veut conserver la médecine moderne ou un réseau ferroviaire développé, on peut difficilement se passer de mines et de certaines formes d’usines, même si leur choix en fin de compte est d’abandonner ces produits de l’industrialisation. Le coeur de mon propos est de dire que cette réflexion se tient et est cohérente théoriquement en soi, mais qu’elle sous-estime systématiquement toute la violence qu’elle implique et la force réactionnaire de la technique face à une telle posture, tout comme elle romantise une vie qui ne me semble pas souhaitable. En ce sens, ma principale critique à l’égard des formes plus radicales de l’anarchisme vert est leur incapacité la plus totale à réfléchir aux moyens que nous nous doterons collectivement pour assurer la survie des milliards d’humain.es dont l’existence repose directement sur la civilisation et ses déclinaisons techniques.
Il ne s’agit pas strictement de blâmer le messager, comme le soutient la Mauvaise herbe, puisqu’en l’occurrence le message, c’est le projet de société. Il y a une différence significative entre des ouvriers communistes qui sabotent les machines dans une usine et des anticivs qui font le même geste, même si les conséquences sont les mêmes, puisque cela s’inscrit dans une finalité totalement différente. Alors que les communistes ne souhaitent généralement pas vivre sans développement industriel, les anticivs oui. Les anarchistes verts qui ne sont pas prêt.es à assumer les conséquences de leurs projets et horizons politiques doivent être traité.es comme des politicien.nes.
À mon sens, une des conséquences les plus engageantes du développement technique et de l’industrialisation est la hausse démographique. En ayant permis une croissance démographique sans précédent dans l’histoire humaine (passant de 1 milliard d’individus en 1800 à plus de 8 milliards aujourd’hui), la technique nous a en quelque sorte lié.es à certaines formes d’organisation sociale. L’idée n’est pas de faire renaître un malthusianisme répugnant, mais plutôt de faire voir l’importance qu’a l’ampleur des civilisations humaines dans leurs orientations politiques et l’horizon de leurs possibles. Un anarchisme qui se borne à appeler constamment à un retour à l’arbre à palabre est voué à l’échec par son incapacité à penser une société aussi complexe et développée que les nôtres. Toute l’autorité qui découle de la technique s’expose dans son incompatibilité avec les formes les plus radicales de démocratie : comment espérer que l’ensemble des individus participant à la gigantesque chaîne de production puisse, à toutes les étapes de cette dernière, se prononcer en assemblée générale pour y lancer leurs avis sans que cela n’ait d’impact sur la productivité ? L’activité technique est peu soucieuse des autres facteurs que l’efficacité et, si l’on veut conserver une part de cette efficacité, nous devrons conserver une part de l’autorité imprégnée dans l’agencement social que nous tentons de nous réapproprier. Il faut évidemment se garder de faire équivaloir efficacité et autorité. Toutefois, j’ai la conviction qu’une volonté de maximisation de l’efficacité ne peut se passer d’autorité; voilà pourquoi j’ai préféré parler d’un parti a-technicien.
Il me faut aussi réitérer que les nuances qui différencient les branches de l’anarchisme vert sont constamment surévaluées. En fait, trop insister sur les différences entre les anti-tech, les anticivs et les primitivistes revient souvent à s’enfarger dans les fleurs du tapis. Cela a surtout comme principal avantage de permettre aux anarchistes verts de s’acheter un passe-droit en renvoyant la balle à d’autres branches théoriques lorsqu’iels sont critiqué.es, alors que toutes les branches de l’anarchisme vert partagent des fondements théoriques communs, peut-être à l’exception de l’écologie sociale, qui constitue un cas à part, ce que j’avais déjà souligné. En ce qui a trait à la pratique, les similitudes entre les différentes branches de l’anarchisme vert sont encore plus saillantes. On a pu rire de mes caricatures de la pratique anarchiste anticivilisationnelle, mais il n’en demeure pas moins que les exemples donnés par la Mauvaise herbe de la pratique anarchiste verte à Montréal ne constituent en rien une pratique proprement anticiv, mais bien une pratique anarchiste! Il est assez rigolo de se faire rappeler que l’imprimerie a permis l’impression de livres racistes et antiféministes tout en me soulignant que la pratique des anticivs à Montréal est de s’impliquer dans une bibliothèque, dans un projet de librairie et dans la publication de zines…
Première ligne n’a certainement pas réglé la question de la théorie et de la pratique anarchistes et nous n’avons jamais eu cette prétention. Nous continuons à puiser dans l’histoire des mouvements révolutionnaires communistes et anarchistes pour nous inspirer et stimuler notre praxis. Or, s’il est une chose certaine, c’est que nos réponses aux faiblesses théoriques et pratiques de l’anarchisme vert illustrées ci-dessus ne se posent jamais en termes léninistes. Lorsque j’abordais l’État [rayé] et sa qualité d’a-technicien, j’appelais à réfléchir non pas un État ouvrier, mais une forme d’organisation sociale qui n’est pas l’État, qui n’est pas le gouvernement, qui n’est pas la bureaucratie, qui n’est pas la police ni les prisons, mais qui permet tout de même d’assurer une vie meilleure aux individus, de favoriser l’émergence de formes de coordination nécessaires pour lutter contre les changements climatiques, éviter la famine et vaincre les puissances capitalistes étatisées qui voudront empêcher notre processus d’émancipation. Lorsque j’abordais le parti, je l’abordais dans sa définition de « camp » davantage que dans sa déclinaison léniniste. De toute manière, un parti ou un État fidèles aux principes léninistes ainsi qu’à leurs legs historiques ne peuvent être autre chose que des organes techniciens en ce qu’ils sont fondés et sont constamment légitimés par leur capacité à tout rationaliser, tout organiser, tout imposer et tout systématiser conformément à leur planification. Un parti léniniste qui rejetterait sa vocation technicienne serait un très mauvais parti léniniste !
Lorsque je fais référence au parti et à l’État a-techniciens, j’évoque des formes d’organisation qui rejettent l’impératif d’efficacité comme principale préoccupation, non pas parce que l’efficacité est une mauvaise chose en soi, mais parce que je suis d’accord avec les anarchistes verts lorsqu’iels affirment que le parti de l’efficacité à tout prix est nécessairement irréconciliable avec le parti de l’anarchie.