Commentaires fermés sur Retour sur la riposte pro-choix du 31 mai 2025 à Québec
Juin132025
Soumission anonyme à MTL Contre-info
Pour la deuxième année de suite, Campagne Québec Vie organisait « La marche pour la vie », à Québec. Malheureusement, l’année dernière, il y avait eu quelques actions, mais rien qui ait vraiment perturbé la visite des anti-choix.
Cette année nous nous y sommes pris d’avance et nous avons décidément réussi à prendre le dessus sur les anti-choix et les flics.
Affichage et pression en ligne
En plus de leur manifestation, les cathos avaient prévu un banquet pour leurs militant-e-s à l’hôtel Delta. Après une campagne d’affichage dans les rues des quartiers centraux de Québec dénonçant l’accueil des anti-choix par l’hôtel (et des mauvaises critiques en ligne qui s’accumulaient), le Delta a fait le choix judicieux d’annuler toutes les chambres et les salles qui avaient été réservées par Campagne Québec Vie quelques jours avant leur marche.
Le jour de la marche
Du côté des pro-choix, il y avait une coordination minimale et très décentralisée des forces en présence dans les semaines précédant le jour de la marche et durant la journée.
Solidarité inter-urbaine des camarades montréalais-e-s
La journée a bien mal commencé pour les anti-choix, qui ont vu le départ d’un de leur bus en provenance de Montréal retardé d’une heure par des camarades antifascistes et des membres du SITT-IWW Montréal.
Nous les remercions grandement pour leur mobilisation, ça a fait une différence.
Les tannant-e-s en imperméable noir
Vers 10h40 un groupe d’une dizaine de personnes masquées est arrivé avec une bannière pour mettre un peu de pression sur les cathos. Iels ont tenu la ligne pendant une bonne heure, ont scandé des slogans et gardé les flics occupé-e-s.
L’action de perturbation des militantes féministes
Discrètement, un groupe de militantes féministes avaient “infiltré” le rassemblement des anti-choix, et au milieux des discours, elles ont soudainement craqué des fumigènes et se sont mises à scander des slogans, ce qui a complètement déstabilisé les cathos, qui ne pensaient pas que les contre-manifestant-e-s pourraient se rendre jusqu’à eux, et les flics aussi d’ailleurs, qui se sont retrouvés pris entre deux groupes de pro-choix, don’t un littéralement mêlé au travers des anti-choix.
Les tannant-e-s en imperméable noir en ont profité pour avancer leur ligne plus proche des anti-choix pendant que les flics étaient occupés ailleurs.
Après s’être fait sortir du rassemblement anti-choix par les flics, les militantes féministes sont allées rejoindre les tannant-e-s derrière la bannière.
Les syndicalistes et leurs gros jouets
Comme les féministes s’étaient coordonnées avec les syndicalistes pour que l’action de perturbation ait lieu avant l’arrivée des bus syndicaux, les syndicats sont arrivés à 12h15 exactement comme ils l’avaient annoncé.
Leur arrivée tombait à point, car malgré tous les slogans et chants possibles, les tannant-e-s et les féministes n’arrivaient pas à enterrer les discours des anti-choix. Les syndicats, eux, s’étaient munis de sirènes de bateau montées sur des perceuces électriques et de dizaines de fumigènes, afin de bien enterrer visuellement et auditivement les anti-choix. Ce qui a très bien fonctionné, car un bon nombre d’anti-choix ont quitté les lieux à ce moment, visiblement découragé-e-s, et nous n’avons plus rien entendu de leurs discours!
Ensuite, lorsque l’action syndicale devait prendre fin, les militant-e-s syndicaux étaient bien crinqué-e-s, et donc, au lieu de partir comme prévu, iels ont laissé les bus partir et sont resté-e-s jusqu’à la fin de la journée.
Marche des tannant-e-s et des féministes jusqu’à l’action verte
Alors que les syndicalistes se retiraient vers la haie de la honte, les anti-choix ont annoncé dans leurs micros que la police allait leur permettre de partir sur leur trajet tel que prévu initialement via René-Lévesque.
Ayant entendu tout ça, la bannière noire et la ligne s’est reculée afin de bloquer entièrement Honoré-Mercier, plutôt que simplement le côté ouest de la Fontaine.
Le SPVQ a alors mis la pression pour tenter de repousser les manifestant-e-s pro-choix, sans grand succès, avant de finalement dire aux anti-choix de partir dans l’autre direction vers Grande Allée. Quand les anti-choix ont tourné le coin de la rue, le mot s’est passé pour contourner l’Assemblée Nationale vers le parc de l’Amérique Française. Des policiers ont à plusieurs reprises tenté de dévier ou d’arrêter la manifestation en disant que celle-ci était illégale, sans succès. Une fois rendue au parc de l’Amérique Française, la manifestation y est restée un peu jusqu’à ce qu’une partie de la haie de la honte qui était à la poursuite des anti-choix nous rejoigne.
À un moment, le mot s’est passé que la manifestation anti-choix revenait sur ses pas via Grande Allée, pour éviter la confrontation. Un mélange des personnes de haie de la honte et de celleux qui suivaient la bannière noire s’est alors séparé en deux puisque deux appels à se déplacer circulaient. Un petit contingent s’est rendu vers l’Assemblée Nationale via René Lévesque sous haute surveillance policière. Pendant que l’autre contingent, plus grand, est parti vers Grande Allée via rue de l’Amérique Française, puis Jacques Parizeau.
Sur Jacques Parizeau, une unité d’anti-émeute a tenté de dépasser la manifestation par le trottoir pour la bloquer, la bannière noire a alors tenté de leur bloquer le passage, s’en est suivi une salve de coups de bouclier avant que l’anti-émeute se calme et réalise qu’ils étaient rendus entouré par la manif contre un mur, et relativement peu nombreux. La manifesatation a alors continué, coupé à la course par le parc de la Francophonie, puis bloqué Grande Allée pour empêcher les anti-choix de revenir à l’Assemblée Nationale.
La police a fait passer les anti-choix par une rue perpendiculaire et vers René-Lévesque jusqu’au point de départ. À ce moment, le contingent avec la bannière noire a tenté d’aller vers René Lévesque pour bloquer à nouveau les anti-choix, puis bloqué par la police, ils ont rejoint le reste de la manif à l’Assemblée Nationale.
La haie du déshonneur
Les groupes communautaires avaient organisé une action verte, “La haie de déshonneur”, qui avait pour but d’huer “La marche pour la vie”. Il y avait au moins 200-250 personnes à cette action. Les anti-choix ayant changé leur trajet, la haie est partie en manif pour monter de René-Lévesque à Grande Allée afin d’aller huer les cathos dans leur face.
Après avoir chahuter les anti-choix, on a senti la colère des gens grimper d’un cran. C’est à ce moment que les gens se sont mis à suivre la marche des anti-choix. Par la suite, il y a eu un jeu du chat et de la souris où les pro-choix bloquait la manif anti-avortement à tous les détours.
Finalement, la manif catho a réussi de peine et de misère à retourner à l’Assemblée Nationale.
Peu de temps après, les pro-choix qui avaient été bloqué-e-s ou ralenti-e-s par les flics sont tou-te-s arrivé-e-s en même temps de tous les côtés, ont contourné les lignes de flics et ont réussi à confronter de plus belle les anti-choix dans leur face. Jusqu’à ce qu’un cordon de policiers qui n’était pas habillé en anti-émeute sépare les deux groupes et fasse disperser les anti-choix.
Conclusion
Que ce soit durant les grèves étudiantes de 2012 et 2015, la manif contre la meute de 2017 ou la riposte pro-choix du 31 mai dernier, c’est dans un certain chaos que Québec shine le plus. Encore une fois, c’est une coordination plus ou moins formelle, des communications efficaces et décentralisées ainsi que du laisser-aller de la part de toutes les forces en présence qui ont fait de cette journée un succès.
Même si les anti-choix fricotent généralement avec l’extrême-droite, le droit à l’avortement et l’autonomie corporelle sont des aspects négligés des luttes contre l’extrême-droite. Les anti-choix se mobilisent généralement à la fin de l’été à Québec, restons donc vigilant-e-s et soyons présent-e-s en grand nombre à leur prochaine visite.
Commentaires fermés sur Les voisins bienvenus, les fascistes DEHORS! – Compte-rendu d’une action antifasciste le 19 mai 2025
Juin112025
Soumission anonyme à MTL Contre-info
Au matin de la “Journée des Patriotes”, une journée où déroule la démonstration de force annuelle du groupe fasciste nationaliste québécois Nouvelle Alliance, nous avons su les vaincres et les humilier. Ce groupe avaient pour but de se rassembler devant la statue de Dollard Des Ormeaux, un personnage de la mythologie nationaliste québécoise qui est un cible de glorification et rehabiliation par Nouvelle Alliance. Ils tentent chaque année d’en faire un rassemblement esthétique et rassembleur pour se donner bonne apparence, malgré leurs propos ignobles et haine hideuse pour les autres.
Les quelques membres du noyau de Nouvelle Alliance, numérant à peine douze, se sont rencontrés tôt dans un coin du Parc Lafontaine pour marcher en rang pour occuper l’espace de leur martyr Dollard Des Ormeaux. Par contre, nous étions préparé.e.s davantage et prêtes à l’affrontement. Alors qu’un groupe assurait la présence sur les lieux convoités par la bande fascistes, un comité d’accueil est allé leur souhaiter une bienvenue en territoire anti-fasciste.
Ces néo-nazis, croyant toujours dans la loi du plus fort, n’ont pas hésiter à charger notre ligne et lancer des coups de pieds et coups de poings aidés par des gants renforcés. Le ti-chef (réellement très petit) François Gervais avait un plaisir à jouer au commandant en ordonnant ses petites troupes et à tenter de nous ordonner en face.
Nouvelle Alliance, loins de caméras de médias et des campus universitaires, ont démontrés leurs vraies couleurs: la haine pure et soif pour la violence. Leurs tentatives de nous dénigrer étaient d’un machisme caricatural, incluant des belles citations comme “Ils ont envoyé une gang de fifs” et “y’ont ben des filles avec eux, c’est pas leur place là”. Justement, la seule femme au sein de leur groupe a été à l’écart d’une trentaine de mètre pour filmer leur attaque, tandis que nous étions toustes là et solidaires.
Les contre-attaques de notre camp ont frustré leur avancée et ont fâchés ceux qui en face s’attendent à ce que l’on cèdent et plient devant leur supposée force virile. Nous n’avons pas manqué la peur dans les yeux des militants de l’autre bord et l’hésitation de plusieurs à se battre. Malgré la hargne de nos adversaires, nous étions courageux.e.s et nous n’avons pas manqué à répondre avec nos propres poings, pieds et bâtons. Personne n’avait eue même l’idée de fuir et la bagarre s’est terminé seulement lorsque la police est intervenu. Nos coups, ralliés par la solidarité pour nos camarades, ont permis de ralentir la bande durant un bon nombre de temps: assez pour que nos renforts arrivent pour offrir du soutien. Heureusement pour Nouvelle Alliance, la police est arrivée en même temps, et n’ont pas hésité à montrer leur préférence pour leurs compatriotes fascistes aggresseurs en arrêtant pour leur parler tandis que nous n’avions pas eues d’autres choix que celui de nous disperser.
La victoire massive de la gauche libertaire cette journée là est grâce à l’unité de notre diversité des tactiques qui a été mise en place. La combativité et les contre-attaques physiques contre les fascistes ont gardé les ont loin de la mise en place de la fête populaire. La fête populaire a donné un support de masse et une légitimité à la mise à l’écart des fascistes. Sans le premier, Nouvelle Alliance aurait piétiné les efforts de mise en place de la fête et s’auraient insérés dans l’espace public et le danger aurait été trop grand pour une fête accessible, familiale et sécure. Sans le dernier, nous aurons pas eux la légitimité que l’on possède actuellement, et la police aurait eu toutes les excuses pour diviser l’espace et faire une fausse équivalence entre les marges fascistes et la resisitance populaire anti-fasciste. C’est grâce à notre diversité des tactiques, unité dans la lutte et intransigence contre ces forces déstructrices que nous avons pu occuper l’espace par la joie et la solidarité. Continuons de massifier notre lutte et continuons de terroriser ces fascistes.
Commentaires fermés sur Contre le Spectacle érotique
Juin052025
Soumission anonyme à MTL Contre-info
Pourquoi le sexe, même queer, n’est pas une pratique révolutionnaire
Intro : le Spectacle du sexe queer « Spectacle : non pas simplement représentation, mais organisation matérielle et sociale des apparences, où la vie devient une marchandise à consommer sous forme d’images et de récits. »
Nous décidons d’écrire ce texte à la suite de plusieurs discussions et débats autour de la place des pratiques sexuelles dans les perspectives révolutionnaires. Nous parlons depuis l’intérieur, avec tendresse, rage et une certaine ironie. Maintes fois, nous avons entendu des camarades soutenir que le sexe, et particulièrement le sexe queer, constituerait un acte militant politique, qu’il faudrait l’encourager et créer des espaces politiques dédiés à la tenue de pratiques sexuelles transgressives. Certaines de ces affirmations prennent parfois plus la forme de blagues que de vraies propositions politiques, mais elles demeurent tout de même ancrées dans le point de vue que la sexualité queer, surtout dans un contexte DIY, de squat, de cruising ou de discours politique radical, constitue une forme d’action politique pertinente à nos mouvements (par nos mouvements, nous entendons à la fois les mouvements révolutionnaires et les mouvements queers).
Par ce texte, nous souhaitons nous opposer à cette perspective. Premièrement, car nous avons constaté que celle-ci accorde souvent trop d’importance à des pratiques contre-culturelles qui ne relèvent pas de stratégies permettant la réelle modification de nos conditions sociales. Deuxièmement, car nous nous demandons si dépeindre la sexualité queer comme intrinsèquement radicale contribue à obscurcir et à reproduire certaines dynamiques de pouvoir au sein de nos communautés. Nous n’avons pas toujours les mêmes ressentis, les mêmes positions, les mêmes enjeux, mais quelque chose nous relie dans cette fatigue, ce trouble, ce désir d’autre chose. Certes, nous ne voulons pas laisser entendre que la sexualité queer soit mauvaise ou devrait être réprimée. Au contraire, nous souhaitons que celleux qui veulent avoir du sexe et des pratiques sexuelles queer ou alternatives leur permettant de s’épanouir puissent le faire sans encombre, mais nous ne considérons pas ces pratiques, ou la revendication de ces pratiques, comme une stratégie ou une tactique pertinente. Nous jouirons dans les ruines, mais nous ne ferons pas tomber les murs.
Dire que quelque chose est « politique » (car tout est politique), un cliché dont nous avons tous•tes un peu marre, n’est pas suffisant pour affirmer qu’elle soit pertinente politiquement. Dans nos cercles et nos affiches, la sexualité queer tend à être érigée en Spectacle, au sens que lui donne Guy Debord : non simplement comme une représentation, mais comme une forme d’organisation sociale dans laquelle la vie elle-même est médiée, séparée et transformée en image. La sexualité queer, dans ce contexte, devient une marchandise spectaculaire : encensée, esthétisée, consommée comme preuve de radicalité, mais détachée des conditions réelles de notre lutte. Nous ne voulons plus de ce Spectacle comme forme militante.
Aliénation sexuelle et la forme commodité
Force est de constater que, sous le capitalisme, la sexualité est le produit des mêmes logiques qui structurent le reste de notre vie sociale : commodification, privatisation et isolation. Les actes sexuels individuels (même s’ils sont faits en groupe), peu importe leur caractère transgressif face aux normes bourgeoises, demeurent régis par ces conditions d’aliénation. Tant qu’il n’y a pas de changements conséquents (certain•es pourraient dire, de révolution) des relations sociales entourant la sexualité, cela ne pourra pas changer.
Pour Mario Mieli et Guy Hocquenghem, l’homosexualité (et, par extension, la queerness) renferme un potentiel révolutionnaire non parce qu’elle est déviante, mais parce qu’elle met en lumière l’absurdité des normes sexuelles bourgeoises et leur fonction dans la discipline du travail reproductif.
Performer la déviance et la subversion sans s’attaquer au système de salariat, de propriété privée, de reproduction familiariste et des rôles de genre, c’est faire de ces actes une pure performance s’inscrivant dans le marché néolibéral de la différence. Comme toutes les commodités, sous le système capitaliste, le sexe transgressif est récupéré par l’appareil social et économique. Il devient un produit, pas une rupture.
Notre sexualité devient un Spectacle de transgression; nos corps, des objets déviants; nos expériences, des récits de radicalité esthétique.
Si nous souhaitons la libération sexuelle, nous ne pensons pas qu’elle adviendra à travers la transgression des normes, mais à travers l’abolition des conditions sociales qui requiert que la sexualité soit productive, normative et profitable. Aucun acte sexuel en lui-même ne peut venir à bout de la famille, des patrons ou de la police.
Du désir à la discipline : la récupération de la sexualité queer
Quand érotisme et identité sont éloignés des conflits de classe, ils deviennent des outils de récupération capitaliste, prenant la forme de capital social, de marchés spécialisés et de catégories rigides. La politique révolutionnaire ne peut pas émerger de l’auto-expression libidinale. Elle doit être reliée à un conflit collectif et organisé avec le Capital.
Les groupes autonomes du 20e siècle nous démontrent que la ligne de front des conflits de classes se situe dans les endroits de production et de reproduction : logement, care, éducation ou travail. La sexualité ne remet pas en cause ces secteurs si elle n’a pas de lien avec le projet communiste/anarchiste.
Comme l’affirmait le Front Homosexuel d’Action Révolutionnaire (FHAR) il y a de ça 50 ans, notre but n’est pas la visibilité ou la tolérance sexuelle, mais l’abolition des catégories permettant la gestion et la répression de la colère populaire.
Notre valorisation contemporaine du « sexe queer » comme un outil subversif, résonne avec les concepts de diversité libérale : des corps différents, mais des rapports propriétaires qui restent les mêmes.
Le système peut tolérer le sexe queer; il ne peut pas tolérer le communisme queer. Il peut monétiser les kinks, les expressions de genre diverses, le polyamour, et les orgies « politiques », mais il ne peut pas permettre l’abolition du travail salarié, du genre et de la famille. Seules la confrontation de classe et l’organisation révolutionnaire peuvent permettre une véritable libération de l’expression érotique.
Pas de révolution sans force : contre la politique de la transgression personnelle
Les transformations révolutionnaires requièrent une force collective capable de confronter et de détruire les institutions de domination : l’état colonial, l’économie capitaliste, le système carcéral. Les actes sexuels, peu importe s’ils nous semblent radicaux, ne peuvent pas générer cette force par eux-mêmes.
Les théories anarchistes et communistes, dont nous nous inspirons, ont toujours mis l’emphase sur la construction d’un pouvoir matériel horizontal, à partir de fédérations, d’actions directes et de ressources communes. Nous ne sommes pas intéressé•es par des actes symboliques de transgression réservés à une élite communautaire.
Le FHAR, que nous avons mentionné précédemment, et qui inspire aussi nos pratiques futures, comprenait que la libération devait être à la fois politique et sexuelle, mais rejetait l’idée que cette libération se trouvait dans la voie de l’autonomie personnelle. Leurs actions de rue et leurs interventions en usine visaient les sièges du pouvoir, pas juste les normes.
La transformation du désir est essentielle, mais elle requiert de nouvelles formes sociales, pas seulement des pratiques personnelles. Le désir révolutionnaire ne se trouve pas dans la permission ou la performance, mais dans l’effacement des conditions qui font de la sexualité un outil de discipline et de différenciation.
Une sexualité queer peut être joyeuse, déviante ou commune : mais, tant qu’elle ne fait pas partie d’une société communisée sans propriété, elle n’est pas révolutionnaire. Ce qui est révolutionnaire, c’est l’abolition des conditions sous lesquelles nos corps, et donc notre sexualité, sont catégorisés, contrôlés et possédés.
Le capital social de la transgression
Finalement, nous souhaitons adresser les dangers relevant de la valorisation d’une sexualité queer déviante comme méthode d’action politique. Par le fait même, nous risquons de reproduire des hiérarchies de désirabilité, de capital social et d’asymétries de pouvoir dans nos communautés. Nos camarades qui sont plus ouvertement transgressif•ves, à travers leur esthétique, leurs pratiques sexuelles, ou leur performance de la radicalité, accumulent un capital social qui leur permet de délimiter l’authenticité de la « queerness ».
Cela risque la reproduction des logiques d’exclusion oppressive sur la base de l’ethnicité, de la classe, du genre et des capacités. Ainsi, des personnes qui ont vraisemblablement plus en jeu lorsqu’il s’agit de libération politique risquent d’être perçues comme « moins radicales » en raison de leur distance, voire leur opposition, avec ces pratiques de sexualité dissidente.
Nous tenons à affirmer que la libération se trouve dans l’abolition de la domination et des hiérarchies, pas dans leur réinvention érotique. Une politique ancrée dans le sexe-comme-résistance s’expose à la fétichisation de la marginalité et risque de confondre solidarité et Spectacle.
Pourquoi maintenant? (En guise de conclusion)
Si cette ligne du « sexe queer comme acte politique » est répandue depuis quelques années déjà, il nous semble important d’expliquer pourquoi nous nous y opposons à ce moment-ci spécifiquement. Dans un contexte de glissement de la fenêtre d’Overton (lire : climat politique) vers la droite et l’extrême-droite, il nous apparaît, nous personnes transsexuelles et homosexuelles, plus important que jamais d’adopter des stratégies fortes pour assurer la lutte contre le fascisme, la transmisogynie et l’homophobie. Nous sommes tous-tes déjà précaires, marginalisé•es et violenté•es par ce système. Notre travail est exploité et aliéné, nous sommes à la merci des parasites terriens (lire : proprios) et les violences genrées tendent une épée de Damoclès au-dessus de nos têtes.
Dans ce contexte, il est important de lutter sur les enjeux qui affectent notre survie : nos conditions de vie matérielles. Si le sexe queer est une pratique qui peut nous permettre de s’épanouir et de développer un rapport positif avec nos corps, il ne constitue toutefois pas une piste d’action envisageable face à l’urgence actuelle. Nos espaces (queers) sont dépolitisés, érotisés et galvanisés par des perspectives qui se limitent à de la subversion, des pratiques de care vides de sens, et une tendance à vouloir toujours performer plus de radicalité. Nous invitons nos camarades, et nous-mêmes, à réfléchir à nos perspectives, à ce que l’avenir de nos luttes nous réserve, et à comment dépasser l’obstacle que représente ce Spectacle queer.
Car ce n’est pas en s’enculant entre nous qu’on empêchera les fachos de le faire.
Nous assistons au génocide le plus documenté de l’histoire en Palestine et à la consolidation d’un régime fasciste aux États-Unis. Nous sommes beaucoup à nous demander quoi faire. Voici un cadre conceptuel pour comprendre ce qui se passe et des pistes d’actions. Cette synthèse a été écrite à l’aide de matériel provenant entre autres de Kelly Hayes et de son blog Organizing my Thoughts, de Mariame Kaba et d’Andrea Ritchie de l’organisation Interrupting Criminalisation, d’Ejeris Dixon et son balado Fascism Barometer, de Scot Nakagawa et son blog The Anti-Authoritarian Playbook, du blog flegmatique d’Anne Archet, de la chaîne YouTube Thought Slime et du livre l’Antifascisme de Mark Bray.
///
Quelques bases
Les mouvements, partis et régimes fascistes se reconnaissent par :
Leur trajectoire autoritaire visant le démantèlement des structures démocratiques, l’élimination de la dissidence et le maintien au pouvoir de leur leader.
Leurs mensonges flagrants qui n’affectent pas le support de leurs partisans.
Leur propension à instrumentaliser ou à créer de toutes pièces des crises pour s’enrichir et pour restreindre les libertés civiles telles que la liberté de mouvement, de rassemblement, de manifestation, de presse et le droit à un procès juste et équitable.
Leurs représentations idéalisées de la race et de la nation, qu’ils articulent en termes de pureté, d’unité et de loyauté.
Leur désir de dominer et/ou d’éliminer les groupes marginalisés (femmes, migrant’es, personnes 2LGBTQIA+, personnes noires, autochtones, minorités religieuses, personnes handicapées, pauvres, autistes, etc.) se présentant d’abord sous forme d’attaques répétées contre leurs droits fondamentaux et de discours déshumanisants.
Leur conviction que les inégalités ne proviennent pas de conditions sociales, mais sont naturelles, biologiques, et que cette hiérarchie devrait leur assurer les pleins pouvoirs.
Leurs références à un passé fictif où c’était supposément le cas.
Leur fétichisation de la violence comme réponse à l’humiliation de ne pas dominer totalement ces groupes marginalisés.
Leur double objectif de nettoyage interne et d’expansion externe.
Le fascisme peut s’emparer du pouvoir de l’État à travers des élections, un coup d’État, ou un mélange des deux comme dans le cas de l’administration Trump qui a gagné les élections, mais qui a aussi profité de son arrivée au pouvoir pour effectuer un « coup administratif », soit l’usurpation illégale des pouvoirs du congrès et des différents départements de l’État par Elon Musk et DOGE.
Une fois au pouvoir, le fascisme se sert d’un processus bien connu pour opérer : la criminalisation. Il passe des lois qui rendent certaines activités criminelles et déploie la police, le système judiciaire et les prisons contre les gens qui les pratiquent. Il criminalise par exemple :
Le fait de donner ou recevoir certains soins (avortement, soins d’affirmations de genre, éventuellement soins aux personnes autistes, aux personnes handicapées…)
Le fait de donner de l’information (en transformant la définition de pornographie pour que les lois s’appliquent à tout livre qui traite de queerness, en transformant la définition d’antisémitisme pour y inclure toute dénonciation du génocide contre le peuple palestinien, en arrêtant des avocats qui donnent de l’information légale aux migrant’es…).
Le simple fait d’exister sur ce territoire (révocation en masse de visas, annulation des statuts, criminalisation des sans-abris…).
Au-delà des lois, la criminalisation est un processus politique par lequel on désigne des groupes entiers de personnes comme des menaces :
Les femmes trans et intersexes menaceraient ainsi les femmes cis, entre autres dans le sport.
Les manifestant’es menaceraient le reste de la population.
Les migrant’es menaceraient le marché de l’emploi, le marché du logement et la classe populaire.
Les musulman’es menaceraient la sécurité nationale.
Ces menaces sont nourries par les fascistes jusqu’à devenir dans leur narration des menaces existentielles au futur de la nation, et ce faisant :
On déshumanise ces groupes de personnes.
On les dépouille d’avance de leurs droits fondamentaux.
On les dépeint comme des « autres » qu’il faut violemment contrôler, punir et faire disparaître.
On s’en sert comme de boucs émissaires pour tous les maux provoqués par le capitalisme et le fascisme.
C’est par ce processus de criminalisation que les régimes fascistes manufacturent le consentement de la population face aux violences déployées contre certains groupes (violence physique et psychologique, enlèvement, travail forcé, déni de soins, assassinat…). On fait croire aux gens :
Que les victimes ne sont pas violentées par haine, mais qu’elles sont punies pour des crimes.
Qu’ainsi cette violence est justifiée. Qu’elle est normale.
Que tant qu’iels ne commettent aucun crime, il ne leur arrivera rien.
Mais plus le temps passe, plus la définition de ce qui est un crime s’élargit.
Ce processus existe aussi dans ce qu’on appelle les démocraties libérales qui ont développé tout l’appareillage judiciaire et carcéral. Les fascistes ont besoin de cette infrastructure et de la légitimation de ce système industrialo-carcéral pour fonctionner et c’est exactement ce que leur offrent les démocraties libérales.
Rappelons ainsi :
Que la police et les prisons sont un héritage de l’esclavage et de la colonisation.
Que les peuples autochtones au Canada ont été la cible de violences génocidaires.
Que leurs danses, leurs rituels, leurs langues ont été criminalisées.
Qu’iels ont subi des stérilisations de masse, des déplacements forcés et des abus multiples dans les écoles résidentielles.
On peut en comprendre que le fascisme n’est pas tant en rupture avec les démocraties libérales qu’il en est la forme-panique. Ainsi, le fascisme qui se consolide actuellement aux États-Unis et qui se concrétise au Canada et Québec se caractérise aussi par :
Une panique devant les avancées récentes en termes de justice sociale, qu’ils nomment « wokeness » et qui menacent leur domination.
Une panique devant la crise climatique et les efforts pour l’amoindrir, qui dans les deux cas menacent les ressources dont ils dépendent pour maintenant leur domination.
Une alliance tendue entre des fondamentalistes chrétiens, un mouvement populaire raciste et sexiste, une élite du monde de la politique et des oligarques ultrariches du monde de la techno.
En vrac, quelques autres données importantes sur le fascisme :
Les fascistes veulent nous faire perdre notre temps. Ils vont dire toutes sortes de mensonges pour que nous passions des heures à prouver nos points, à décortiquer leurs propos, à clarifier les faits. Et ils vont changer complètement leur discours le lendemain pour nous obliger à recommencer.
Pour les fascistes, certaines vérités (mythiques) sont plus importantes que la réalité. Si la réalité ne concorde pas avec leur vérité, c’est la réalité qui a tort. Leur rapport au réel en est grandement affecté et on ne peut les convaincre qu’ils font fausse route en leur prouvant ce qui est réel. Ça ne change rien à leur vérité.
Par-dessus tout, les fascistes veulent le pouvoir. C’est ce qui les motive. Ils vont changer de discours et de valeurs autant qu’il le faut pour acquérir et maintenir leur pouvoir.
Ils veulent être les plus forts pour survivre, dans une vision darwinienne caricaturale de l’évolution. Ils veulent dominer. Selon cette vision, tout ce qui les maintient au pouvoir est justifié; ils ont raison car ils dominent et c’est la seule preuve dont ils ont besoin.
Le fascisme n’est pas le fait de quelques personnes externes au-dessus de la population. Les gens participent, coopèrent, puis deviennent acculturés au fascisme. Ça devient leur réalité, leur manière de comprendre le monde.
Comment y faire face
Historiquement, ni l’appareil de l’État, ni les partis d’opposition, ni le système de justice, ni les grands médias n’empêchent l’avènement de régimes fascistes. Les élites néolibérales qui gèrent les démocraties peuvent sembler s’y opposer, mais devant un monde de plus en plus invivable où il devient impossible de maintenir à la fois le capitalisme et les démocraties libérales, elles aussi vont aussi adopter des politiques de plus en plus fascistes. Pour les néolibéraux, la criminalisation et/ou l’abandon de groupes toujours plus grands de personnes marginalisées sera articulée comme une question de pragmatisme et d’inévitabilité, alors que pour les fascistes elle sera articulée comme le retour souhaité d’un ordre naturel inégalitaire et violent. Bref, il ne faut pas s’attendre à leur support.
C’est l’organisation populaire qui offre la meilleure résistance. Et si la normalisation de la police, des prisons et de la surveillance de masse dans nos sociétés a rendu cet effort plus difficile, présentant ces outils de contrôle comme nécessaires, voire naturels, il existe tout de même de multiples voies pour résister collectivement.
Ce qu’on peut faire dans un premier temps :
Refuser ouvertement la consolidation du fascisme. Nommer ce qui se passe aux États-Unis, en Palestine, au Canada et ailleurs. Parler du fascisme avec nos proches. Ne pas le laisser être insidieux. L’obliger à apparaître.
S’organiser localement contre les événements de groupes fascistes. Leur nuire de toutes les manières possibles. Les empêcher physiquement de propager leur haine.
Call bullshit. Ne pas nous empêtrer dans leurs mensonges. Ne pas perdre notre temps à argumenter avec eux. Ne pas embarquer dans leur manière de cadrer la situation. Ramener les discussions sur ce qu’ils font, sur les horreurs qu’ils commettent, sur la haine qui les anime.
Surtout, ne pas obéir d’avance quand des fascistes arrivent au pouvoir. Face à un pouvoir autoritaire, les gens ont tendance à prévoir ce qu’un gouvernement plus répressif voudrait et à lui donner d’avance, pour être sûr de ne pas le fâcher et pour se protéger. Cette obéissance anticipée informe le régime sur les compromis que les gens sont prêts à faire et lui permet d’aller beaucoup plus loin beaucoup plus vite. Cette manière de s’adapter nuit à tout le monde. Il est essentiel de se rappeler de ne pas obéir d’avance.
Rester solidaires. Le fascisme normalise la souffrance humaine et l’abandon de groupes de gens désignés comme négligeables ou insignifiants. Les fascistes veulent que nous soyons absorbé’es par notre instinct de survie, pris dans nos préoccupations personnelles, que nous soyons isolé’es et faibles. C’est dans la solidarité que se trouve notre force.
Ensuite, il s’agit de bâtir et d’entretenir notre pouvoir collectif, populaire. Pouvoir de garder nos communautés sécuritaires. Pouvoir d’empêcher qu’un des nôtres se fasse enlever. Pouvoir de nous assurer que tout le monde a quelque chose à manger. D’abord, en explorant toutes les manières de participer à tisser ce pouvoir, par exemple en travaillant à :
bloquer les avancées fascistes (par exemple en combattant tout ce qui augmente la portée, la capacité, les ressources et le pouvoir de l’État carcéral et des mouvements fascistes, comme la construction de nouvelles prisons, la militarisation des frontières, de nouveaux systèmes d’identification visant certains groupes, etc.),
casser leurs alliances, leurs liens avec des groupes ou organisations locales (par exemple les liens entre les syndicats de travailleurs/travailleuses et les organisations représentant la police, les liens entre la police et les milices d’extrême-droite, les liens entre les médias de masse et les militant’es transphobes, etc.),
amoindrir l’impact de leurs politiques sur nous (par exemple en bâtissant et soutenant un réseau communautaire fort, des groupes d’entraide, des réseaux de communications sécuritaires, des infrastructures de défense communautaire, des espaces de rassemblement, etc.),
faire des ponts entre les communautés touchées (par exemple les syndiqué’es, les groupes de femmes, les bandes anarchistes, les mouvements de luttes décoloniales, abolitionnistes, pour les droits des personnes handicapées, etc.) et
construire ce dont on a besoin (par exemple, des organisations dédiées à partager l’histoire des mouvements de luttes, ou des organismes de justice transformatrice, ou le plus d’espaces possibles où nous rassembler, où réfléchir ensemble, où digérer toutes les informations, que ce soit des fêtes de quartier, des journées d’atelier, des conférences, des marches, etc.).
Pour approfondir cette question, je suggère le zine Block and Build : But make it abolitionist de l’organisation Interrupting Criminalization. Ensuite, il s’agit de trouver ce qui a du sens pour nous, ce qui concorde avec nos capacités, notre contexte social et notre compréhension de la situation. Pour cela, je conseille le zine Making a plan, qui vient aussi d’Interrupting Criminalization.
Ça peut être un syndicat, une section locale de Food not Bombs, un groupe qui organise des assemblées populaires, un comité logement, un groupe d’ami’es qui fait de l’art engagé, un groupe de femmes, etc. Tout ça a du sens. Et à partir de ces groupes :
Se partager un langage et des analyses plus ou moins communes de la situation.
Se coordonner de manière décentralisée pour favoriser des actions autonomes qui s’inscrivent dans un tout plus grand.
Bâtir une culture de la sécurité adaptée au risque.
Se préparer à la répression en mettant en place d’avance des systèmes de support.
Puis, le temps venu, il est possible de lutter à grande échelle contre un régime fasciste grâce à :
Une masse suffisamment grande de gens qui s’engage à ne pas coopérer. À oublier de remettre une lettre, de transférer un courriel, à ralentir certains travaux de construction, à ne pas enlever les livres des tablettes, à continuer d’apprendre l’histoire aux enfants, à saboter les processus bureaucratiques, à donner de mauvaises indications aux polices, à continuer à faire de la musique, dehors, le soir, à perturber le fonctionnement du régime.
Une diversité de tactiques. D’immenses manifestations populaires, une grève sociale, du sabotage industriel, des réseaux de soins alternatifs, etc.
Et si nous combattons d’un même geste le fascisme et le processus de criminalisation qui le soutient, tout est possible.
Commentaires fermés sur Riposte pour les autonomies corporelles
Mai312025
Soumission anonyme à MTL Contre-info
Ce jeudi matin à Montréal, nous avons déployé une grande bannière qui, si on la traduit, se lit comme suit: « Être anti-choix n’est pas être pro-vie; c’est exercer un sexiste et violent contrôle sur celle-ci ». Cette action s’inscrit en amont d’un événement prévu à Québec ce samedi. Depuis trop longtemps, des groupes natalistes à travers le Canada organisent un rassemblement annuel devant le Parlement d’Ottawa afin d’attaquer le droit à l’avortement. Depuis l’an passé, on a droit aux rejetons quebs, de la CQV notamment, qui organisent un événement du même type devant l’Assemblée Nationale. Vous savez, les taouins à Berri qui chillent proche d’une clinique avec des pancartes anti-avortement et une croix… eux.
Alors comme d’habitude, nous serons dans leurs pattes. Nous riposteront tant qu’il le faudra. Pour vous tenir au jus des activités PRO-CHOIX de samedi, faites un tour sur la page de nos camarades de Qc Antifasciste ou du regroupement des femmes du qc. Ou faites votre propre plan.
Soyez bruyantEs et visibles NOS CORPS NOS CHOIX ET BASTA
À l’approche de la Journée nationale des Patriotes 2025, célébrée cette année le lundi 19 mai, l’organisation ethnonationalisteNouvelle Alliance (NA) avait annoncé son intention de tenir pour la deuxième année consécutive au parc La Fontaine de Montréal une commémoration en l’honneur du colon de la Nouvelle France, Adam Dollard des Ormeaux. Le 20 mai 2024, le groupuscule d’extrême droite s’était déjà réuni à cet endroit, devant la statue de Dollard, pour la même raison (l’année précédente, c’est plutôt au Pied-du-Courant, dans le bas de la ville, que les militant·es de NA s’étaient rassemblé·es pour rendre hommage aux patriotes du Bas-Canada). Rappelons déjà que la figure folklorique de Dollard des Ormeaux n’est pas exactement le héros que NA et les nationalistes réactionnaires de leur farine insistent encore pour glorifier…
Une des affiches qui ont été placardées dans le Plateau Mont-Royal en mai 2024, dans les jours précédant la commémoration des patriotes.
Tanné·es de laisser une cinquantaine de nationalistes identitaires aux idées dépassées déambuler à Montréal en toute impunité, des citoyen·nes et des voisin·es inquièt·es, accompagné·es de membres d’organismes communautaires, de militant·es antiracistes et de syndicalistes se sont mobilisé·es dans les dernières semaines pour organiser une « Fête populaire contre le fascisme » en guise de protestation.
L’affiche de la Fête populaire contre le fascisme qui est apparue sur les poteaux de Montréal dans les semaines précédant l’événement.
Ce rassemblement à caractère festif avait pour principal objectif d’occuper l’environnement immédiat de la statue de Dollard des Ormeaux afin de dénoncer la montée en influence de l’extrême droite, de manière générale, et les ambitions de Nouvelle Alliance en particulier. La fête fut en soi un grand succès, puisque selon notre décompte, elle a attiré entre 300 et 400 personnes au parc entre 10 h et 14 h. Nous saluons à ce titre les formidables efforts entrepris par les personnes concernées, et sommes rassuré·es de constater que les Montréalais·es et les Québécois·es n’hésitent pas à se mobiliser pour confronter cette récente vague de normalisation de l’extrême droite dans le discours public.
Un certain nombre d’articles de presse ont été publiés au cours des derniers jours, la majorité faisant la démonstration d’un manque flagrant de connaissance du contexte et de la stratégie politique mise en œuvre par Nouvelle Alliance. Nous saluons bien sûr l’intérêt grandissant — bien que tardif — des médias traditionnels pour l’extrême droite québécoise, mais il est clair que leur travail en la matière est encore lacunaire, et que pour différentes raisons d’ordre structurel, ces médias ignorent généralement les efforts considérables que notre collectif a déployés au cours des dernières années pour éclairer ce sujet.
Voici donc un bilan détaillé, vu de l’intérieur, du déroulement de la journée du 19 mai 2025, qui, nous l’espérons, pourra mettre en lumière des éléments qui n’ont pas été relevés ou ont simplement été évacués par les médias et les principaux observateurs.
///
Avant le rassemblement…
La veille de la commémoration, le dimanche 18 mai au soir, Nouvelle Alliance avait publié sur ses comptes de médias sociaux une série de photos reprenant l’allure austère caractéristique du groupuscule, en précisant que « le chant Patriote[1] sera entonné au pied du monument à Dollard des Ormeaux ».
Publication de Nouvelle Alliance à la veille de la commémoration de Dollard des Ormeaux, le 18 mai 2025.
Les membres de NA étant certainement bien au fait de la fête populaire prévue en même temps que leur événement au pied dudit monument, il ne faisait aucun doute qu’ils avaient dû concocter un plan pour s’approprier et occuper l’espace contesté.
Ainsi, tel que prévu, le lundi matin vers 8 h, un contingent d’une douzaine de personnes, composé d’une partie du noyau dur de NA et de quelques goons possiblement recrutés pour l’occasion, s’est regroupé a l’extrémité opposée du parc La Fontaine. Ce contingent, tout de noir vêtu et en formation militaire, était visiblement équipé de gants « coqués » de combat et de protège-dents. Donc, prêt et disposé à la baston.
Eliott Labrie Lapante, membre du noyau dur de Nouvelle Alliance, n’a visiblement jamais digéré qu’on mette en question son courage! Il porte encore ici ses gants coqués, plusieurs heures après l’affrontement du matin.Cet individu, qui nous était jusqu’alors inconnu et que nous avons identifié comme Dany Ayotte, de Québec, était particulièrement actif dans la confrontation physique du matin. On voit qu’il porte encore ses gants coqués plusieurs minutes après l’affrontement.
Le petit groupe s’est peu après mis en marche vers la statue de Dollard Des Ormeaux, dans l’objectif clair de dégager physiquement les organisateur·rices du rassemblement populaire qui commençaient à s’y installer, afin, nous le présumons, de prendre le contrôle de l’espace « par tous les moyens nécessaires ».
Heureusement, alerté·es par la publication de la veille et la possibilité d’un scénario violent, quelques militant·es autonomes se sont mobilisé·es au petit matin pour leur faire face et prévenir que des citoyen·nes ne souhaitant que mettre de l’avant leur vision d’un Québec inclusif et accueillant soient lâchement attaqué·es. Il s’en est donc suivi un affrontement physique dans la portion sud-est du parc La Fontaine, lors duquel les membres de NA n’ont pas hésité à utiliser leur équipement de combat.
Il est ainsi apparent que le noyau dur de Nouvelle Alliance est arrivé le matin en anticipant, et en désirant, ce type d’affrontement. Cette nouvelle approche combative, que nous n’avions pas jusqu’à présent associée à leur organisation, détonne incontestablement avec l’image de dandys petits-bourgeois propres sur eux mise de l’avant par le groupuscule depuis plusieurs années. Il sera intéressant d’observer pendant combien de temps encore les membres de NA pourront maintenir cette ambiguïté. Il nous semble en effet difficile d’espérer se tailler une carrière en politique officielle en faisant de l’entrisme au sein du Parti Québécois et du Bloc Québécois, et en même temps de se castagner en rangs serrés contre des militant·es de gauche.
Une fois la confrontation terminée — suite à l’intervention du SPVM —, les membres de NA ayant participé à l’agression furent retenus par la police à distance du monument où étaient prévus les deux événements rivaux de la journée.
Il convient ainsi de noter que le délai occasionné par la confrontation a permis aux organisateur·rices de la fête populaire d’installer tranquillement leurs six chapiteaux, d’accrocher de nombreuses bannières autour de la statue et d’aller de l’avant avec l’événement convivial et familial. Nous saluons donc le courage des personnes qui ont fait barrage à cette Nouvelle Alliance — aux pulsions violentes désormais décomplexées — pour protéger leur communauté et, en définitive, garantir le succès de l’événement.
Le rassemblement festif au Parc Lafontaine
Vers 10 h, l’heure de la fête arrivée, les sympathisant·es antifascistes ont commencé à se rassembler de plus en plus nombreux·euses. Des litres de café ont été servis, le maquillage pour enfants a débuté, la musique entraînante s’est mise à résonner dans le parc et les matchs de soccer improvisés ont rempli de joie ce point de repère culturel tant apprécié. L’ambiance était résolument festive!
L’une des bannières affichées autour de la statue de Dollard des Ormeaux.Des centaines de hot-dogs ont été servis.
Plusieurs tables d’information on été installées sous des chapiteaux.Les participant·es à la fête populaire ont scandé des solgans antifascistes pour enterrer les discours emmerdants de Nouvelle Alliance.
On ne peut pas en dire autant de l’expérience vécue par la petite bande d’identitaires rameutée autour de NA, qui n’ont pas pu s’approcher de la statue et se sont retrouvé·es à faire mine basse devant les forces de l’ordre pendant plusieurs dizaines de minutes.
Nouvelle Alliance se retranche piteusement derrière le cordon policier.
Malheureusement pour Nouvelle Alliance, la vraie vie n’est pas une cour de récréation, et le fait d’annoncer son évènement en premier ne suffit pas à réserver un espace, surtout lorsque c’est pour y propager la haine d’autrui déguisée en amour de sa nation.
Les militant·es et sympathisant·es du groupuscule nationaliste ont donc été contraint·es de s’installer sur le trottoir à plusieurs dizaines de mètres du monument à Dollard des Ormeaux, séparé·s de celui-ci par un important cortège policier et plusieurs centaines de participant·es à la fête contre le fascisme. Déçu·es et affichant leurs expressions les plus dépitées, les militant·es de Nouvelle Alliance et leurs sympathisant·es ont tenté, plutôt mal que bien, de tenir leur commémoration malgré tout, noyée par les beats de la fête populaire et les chants antifascistes.
Nouvelle Alliance commémore ses fantômes sur le trottoir.
Parlant de leurs sympathisant·es, mentionnons la présence notable de David Leblanc, un bonehead néonazi bien connu des milieux antifascistes, puisqu’il aime se prendre en photo en faisant le salut nazi (il a notamment milité avec Soldiers of Odin Québec), et dont nous avions parlé il y a exactement un an, puisqu’il était présent à la commémoration de Nouvelle Alliance du 20 mai 2024.
Le bonehead Dave Leblanc est ici pris d’une vilaine crampe au bras.Leblanc (ici de dos) rigolait déjà franchement en mai 2024 avec les membres de NA, ici Émile Coderre.Dave Leblanc était déjà toléré dans l’événement de Nouvelle Alliance en 2024, ici tenant le Carillon Sacré-Cœur aux côtés de son compère néonazi Shawn Beauvais MacDonald.
À l’époque, les responsables du groupuscule identitaire avaient répondu qu’ils ne pouvaient pas contrôler tous les participants à leurs évènements, puisque ce sont des activités publiques, et qu’ils ne connaissaient pas le sombre personnage qu’est Leblanc. Quelle excuse les cryptofascistes de Nouvelle Alliance vont-ils nous sortir cette année? En toute connaissance de cause et sans lever un sourcil, ces derniers ont permis à un néonazi fier et assumé de marcher à leur côté toute la journée, et ont même été jusqu’à lui serrer la main et taper la discut ».
Le bonehead Dave Leblanc se tient ici à côté du chef de Nouvelle Alliance, François Gervais, qui donne une entrevue à Alexandre Cormier-Denis, le 19 mai 2025.Le néonazi Dave Leblanc marche avec Nouvelle Alliance, le 19 mai 2025.
Dire que certains osent encore douter de la position idéologique de Nouvelle Alliance…
Un autre sinistre personnage qui a refait apparition pour une deuxième année consécutive est Shawn Beauvais MacDonald, le principal organisateur du Frontenac Active Club, qui a encore été aperçu rôdant autour du rassemblement de Nouvelle Alliance. Après être arrivé seul, il a cette fois-ci été rejoint par deux autres personnes et est reparti peu après.
Beauvais MacDonald était déjà de la partie lors de la commémoration de Nouvelle Alliance en 2024.Shawn Beauvais MacDonald est revenu en 2025, mais il est parti peu après cette rencontre à une certaine distance de la fête. Était-ce des acolytes? Des flics qui l’invitaient à déguerpir? Qui sait?
Toutefois, l’apparition la plus significative des figures connues de l’extrême droite à la commémoration de NA est sans doute celle d’Alexandre Cormier-Denis. Ce dernier, dont nous avons déjà parlé ici (et dont nous sommes appelé·es à parler encore très bientôt…), avait annoncé la semaine précédente qu’il comptait participer à la commémoration de NA et invité ses sympathisant·es à faire de même. Cormier-Denis, rappelons-le, est le principal animateur du projet de « réinformation » d’extrême droite, Nomos.TV, qui se démarque notamment par son nationalisme ethnique et ses positions profondément racistes et islamophobes. Rappelons aussi que ses positions extrêmes l’avaient fait disqualifier d’une commission parlementaire sur l’immigration en 2023.
Voici, pour s’en donner une idée, un échantillon (parmi des douzaines d’exemples) des positions de Cormier-Denis (sur l’immigration, « l’ensauvagement », l’avenir du patriotisme, etc.), qui doivent bien rejoindre celles de Nouvelle Alliance quelque part, puisqu’ils s’entendent comme larrons en foire :
La présence de Cormier-Denis montre clairement que le projet de société proposé par Nouvelle Alliance résonne avec les pires éléments fascistes et fascisants du Québec. François Gervais, président de Nouvelle Alliance, lui a d’ailleurs fièrement accordé une entrevue en direct de plusieurs minutes, dans laquelle nous avons eu droit à une description confuse de la journée, où étaient amalgamés antifascistes, « bolcheviques » et indépendantistes progressistes sans aucune réflexion congrue.
François Gervais en entrevue avec Alexandre Cormier-Denis pour la chaîne Nomos.tv.
Si certains ont pu croire que Nouvelle Alliance était au-dessus des discours racistes de Cormier-Denis et de ses acolytes, c’était clairement à tort. Nomos et Nouvelle Alliance sont très exactement du même mouvement.
Une fois les mornes discours de NA conclus, leur « commémoration », qui n’aura duré tout au plus qu’une vingtaine de minutes — comparativement à une heure l’année dernière — s’est tristement mue en marche solennelle (pas l’ombre d’un sourire en vue), vers 12 h 30.
Les boute-en-train de Nouvelle Alliance prennent un plaisir manifeste à défiler.
La cinquantaine de sympathisant·es du groupuscule a ainsi défilé sur la rue Rachel et la rue Saint-Denis, entouré·es de plusieurs dizaines de policiers, en direction du square Saint-Louis, d’où devait partir la Grande marche des Patriotes organisée annuellement par la Société Saint-Jean-Baptiste (SSJB). En chemin, les ethnonationalistes, toujours dirigés par leur président, ont scandé des slogans aux accents réactionnaires et psychorigides, tels que « Patrie, Nation, Tradition », en plus des classiques comme « le Québec aux Québécois ». Notons au passage que ces slogans font échos à ceux de l’extrême droite française. Les néonazis du Comité du 9 Mai, par exemple, qui ont marché en toute impunité à Paris il y a quelques semaines, ont l’habitude de scander, notamment, « Europe, Jeunesse, Révolution ».
Même cadence, même dégaine, même teneur : il ne s’agit pas d’une simple coïncidence, il faut bien le comprendre. En plus de ses précurseurs québécois, l’inspiration de NA lui vient des pires variétés de l’extrême droite européenne (identitaires, royalistes, nationalistes révolutionnaires, etc.), et il convient de le noter.
Pendant ce temps, la Fête populaire contre le fascisme battait son plein dans la joie et l’allégresse. Plus de 500 hot-dogs ont été servis, au plus grand bonheur des petit·es et des grand·es, et les jeux et la musique se sont poursuivis encore plusieurs heures après le départ de Nouvelle Alliance.
Nous applaudissons encore une fois les efforts extraordinaires déployés par les organisateur·rices, et félicitons chaque personne qui a choisi de prendre une partie de son lundi férié pour mettre de l’avant et défendre des valeurs inclusives et antiracistes.
Il y avait de la musique…On a bien dansé!On a redécoré le monument à Dollard…Entre 300 et 400 personnes sont passées par la fête au cours de la journée.Plusiseurs drapeaux, dont celui des fiertés, flottaient sur la fête antifasciste.
Notons également la présence à la fête de nombreux·ses militant·es indépendantistes progressistes, et notamment des membres du Front pour l’indépendance nationale (FIN) et de OUI Québec, qui brandissaient une affiche produite pour l’occasion : « L’indépendance du Québec sera antifasciste ».
Le tricolore des patriotes flottait lui aussi sur la fête antifasciste!
Au square Saint-Louis
Mais les mésaventures de Nouvelle Alliance n’étaient pas terminées : elles se sont poursuivies à son arrivée au square Saint-Louis, vers 13 h, lorsque ses membres ont tenté une fois de plus de parasiter la Grande marche des Patriotes organisée annuellement par la Société Saint-Jean-Baptiste. À leur grand désarroi, leur présence ne fut pas la bienvenue, et ce, pour la deuxième fois de la journée!
La SSJB, contrairement à l’année dernière, avait réfléchi à la pertinence de ses partenariats et pris la décision judicieuse d’indiquer à l’avance aux dirigeants de Nouvelle Alliance qu’ils ne pourraient pas prendre part à leur marche cette fois-ci. Toutefois, comme les bottines ne suivent pas toujours les babines, le moment venu, la position officieuse des têtes dirigeantes de la SSJB n’a pas su s’imposer. La SSJB a au contraire tenté de négocier un compromis avec Nouvelle Alliance, leur permettant de participer s’ils acceptaient de ranger bannière et drapeaux. Tout comme l’an dernier, cependant, les militants de NA sont revenus sur leur parole et ont bel et bien déployé leurs couleurs dès que le cortège s’est ébranlé. Par chance, la présence d’un petit (mais solide!) contingent indépendantiste progressiste a contrecarré leurs plans.
En effet, des militant·es de OUI Québec accompagné·es de camarades du Front pour l’indépendance nationale (FIN) se sont regroupé·es pour empêcher Nouvelle Alliance de marcher au sein du cortège principal, créant un cordon sanitaire crucial. Après un moment de flottement lors duquel les indépendantistes progressistes ont courageusement tenu la ligne, malgré la présence plus nombreuse des militant·es de NA, la police est intervenue pour séparer les deux camps et, littéralement, tasser les progressistes du chemin.
Nouvelle Alliance s’est heurté à un contingent antifasciste parmi le regroupement indépendantiste, qui a empêché le groupuscule identitaire de rejoindre le cortège principal de la Grande marche des Patriotes.
L’entièreté de la marche organisée par la SSJB s’est ainsi déroulée sans la présence toxique de Nouvelle Alliance, cette dernière marchant plusieurs dizaines de mètres derrière, complètement encadrée par le SPVM.
Des indépendantistes progressistes ont formé un cordon sanitaire entre Nouvelle Alliance et la Grande marche des Patriotes.
Nous tenons à féliciter OUI Québec et le FIN, qui ont eu le courage d’assumer leurs principes antifascistes malgré l’appui chambranlant des organisateur·rices de la marche. Nous avons souvent critiqué au fil des ans les mouvements indépendantistes contemporains pour leur complaisance à l’égard des groupes d’extrême droite qui polluent leurs rangs. Rendons à César ce qui revient à César : la récente prise de position forte de OUI Québec est à tout le moins encourageante pour l’avenir du mouvement souverainiste.
Malheureusement, tous les groupes souverainistes ne sont pas créés égaux, et la présence saugrenue de l’Action socialiste de libération nationale (ASLN) à la Grande marche des Patriotes le prouve. Ces derniers, dont nous avons récemment démontré le rapprochement avec Nouvelle Alliance, se sont joints à leurs nouveaux camarades le temps de la marche. De franches poignées de main ont été échangées, et quelques détonnant points rouges ont été aperçus au milieu des drapeaux bleus du contingent de Nouvelle Alliance. Cette situation marque un point tournant dans les relations entre l’ASLN et NA. Alors que les deux collectifs cachaient jusqu’à tout récemment leur rapprochement, le chat est désormais sorti du sac et leur alliance s’en trouve officialisée. Malgré leurs différences idéologiques quant au futur idéal pour le Québec, il semblerait que leurs positions sociales réactionnaires présentent un terrain d’entente suffisant. Que le reste du camp indépendantiste soit avisé, un soutien à l’un de ces deux groupes est un soutien pour leur projet de société conservateur, anti-immigration, anti-diversité, « anti-wokes » et foncièrement réactionnaire.
Une image qui résume toute la sordide affaire : le chef de Nouvelle Alliance, François Gervais, flanqué du bonehead néonazi, David Leblanc, accorde une entrevue au fanatique ultranationaliste ethnique, Alexandre Cormier-Denis, pour la chaîne de réinformation d’extrême droite, Nomos.TV, pendant que Billy Savoie et les bozos staliniens de l’ASLN ricanent comme des benêts en arrière-plan.
Conclusion
Comme nous avons pu le constater, Nouvelle Alliance s’affirme de plus en plus dans une niche d’extrême droite assumée et violente dont elle pensait naïvement pouvoir sortir avec gloire et infecter de ses idées nauséabondes le mouvement souverainiste.
Il serait donc temps que les médias traditionnels diffusent les bonnes informations et ne gobent pas la propagande mensongère, déjà très active, des milieux d’extrême droite québécois. Il est dommage, par exemple, que des journaux publient sans broncher les états d’âme de commentateurs confus ou de mauvaise foi, comme la militante laïcarde Nadia El-Mabrouk dans le cas qui nous occupe, qui dans une lettre publiée dans Le Devoir du 23 mai, avoue d’emblée ne pas vraiment connaître Nouvelle Alliance (et donc ignorer ce qu’ils portent comme projet et discours), mais défend tout de même leur présence dans la grande famille souverainiste, en nous invitant du même souffle au dialogue et à l’amour universel…
Heureusement, la nouvelle génération souverainiste ne s’y trompe pas, comme en fait foi la prise de position de OUI CVM, qui dénonce haut et fort cette nouvelle alliance réactionnaire et tout ce qu’elle représente.
La lutte pour l’indépendance du Québec est une question fort complexe, et les antifascistes de différentes allégeances ne s’entendent certainement pas sur la finalité, mais quoi qu’il advienne du Québec à l’avenir, nous faisons aujourd’hui cette promesse : les fascistes n’y feront JAMAIS la loi.
Bonus tracks :
Le militant de premier plan de Nouvelle Alliance, Émille Coderre, dont nous avons déjà évoqué le passé problématique et maintes fois relevé les entrées au PQ et au Bloc, se fend ici d’un geste de la main largement réputé pour être un signe de reconnaissance des mouvements suprémacistes blancs contemporains… Bravo, champion.
En août dernier, la publication de notre article sur le Frontenac Active Club semble avoir mis un frein important aux volontés d’expansion de ce groupe d’inspiration néonazie.
Martin Brouillette, de Rawdon, après s’être fait barrer l’entrée du gym où il s’entraînait, nous a contactés pour nous demander de retirer son nom de l’article… pour la sécurité de sa famille. Évidement, sa famille n’a jamais rien eu à craindre des antifascistes, et c’est seulement son propre militantisme suprémaciste blanc et ses nombreuses provocations sur les réseaux sociaux qui ont produit son sentiment d’insécurité. À ce jour, nous n’avons pas d’indice nous permettant de croire que Martin Brouillette poursuit ses activités néonazies… hormis le fait qu’il affiche encore fièrement ses tatouages fascistes sur son compte Facebook, avec ses enfants.
Les autres membres du groupe n’ont plus donné signe de vie, et les publications sur le compte Telegram de FAC se sont réduites, pour l’essentiel, à la republication du contenu généré par d’autres groupes du réseau Active Club international et d’autres affiliés néonazis du Canada anglais. Dernière mention en date : des membres du FAC auraient participé à la plus récente action de visibilité du réseau nationaliste blanc (néonazi) formé autour du groupuscule Nationalist-13, à Toronto, le 3 mai dernier, avec une trentaine d’acolytes de la région et d’ailleurs au Canada.
Quant à celui qui faisait office de leader du groupe, Raphaël Dinucci, de Laval, il n’a pas immédiatement réagi à l’article, mais le changement de leadership au sein du FAC s’est poursuivi, et il s’est progressivement effacé du portrait pour laisser la place à Shawn Beauvais MacDonald. On ne présente plus ce dernier, sulfureux personnage qui s’est illustré dans les dernières années en participant à tous les projets néonazis québécois (Alt Right Montréal, Atalante, White Lives Matter, etc.) et en participant largement à leur autodestruction!
Celui-ci a continué à faire ce qu’il fait le mieux, en dépit de son pseudo « FriendlyFash » : être une personne absolument détestable. On a pu, par exemple, le voir errer seul les fins de semaine sur l’avenue Mont-Royal ou le boulevard Saint-Laurent, portant des vêtements ostentatoires à la gloire d’Adolf Hitler, faisant semblant de lire en terrasse et attendant des provocations antifascistes qui ne viennent pas (nous ne sommes pas complètement idiot·es). Seul, il ne l’a pas toujours été, puisqu’il a durant quelques mois pris sous son aile la très jeune et raciste Sandrine Girardot (dont nous avons déjà parlé) en l’hebergeant chez lui. Il semble, au vu de récentes publications, que le militant neonazi de 40 ans se soit finalement conduit avec la jeune Girardot (24 ans) comme l’ordure et le prédateur qu’il est.
Mais venons-en au principal objet de cet article : David Barrette, de Saint-Jean-sur-Richelieu.
Contrairement aux autres membres du Frontenac Active Club, que la discrétion en ligne caractérise (à l’exception notable de Beauvais-MacDonald), David Barrette a plutôt tendance à repousser les limites de l’expression ordurière avec ses discours haineux en ligne. Il fait l’éloge d’Hitler, compare la forme des crânes de différentes « races » en fonction de leur intelligence et se moque des meurtres de personnes racisées aux mains de la police; rien n’est trop raciste (ou même trop nazi) pour Barrette. Les normes de modération de Facebook étant désormais pratiquement inexistantes, Barrette est libre d’y publier quotidiennement ses élucubrations nazies sans aucune répercussion.
Il est également clair que la police et les tribunaux au Québec ne sont pas vraiment intéressés à combattre les discours haineux en ligne. Qu’on en prenne pour preuve leur inaction totale devant des infractions claires et répétées, ou le pitoyable bâclage de l’affaire contre Gabriel Sohier Chaput, alias « Zeiger ». Au risque de nous répéter, il est à nouveau évident que c’est à la communauté dans son ensemble qu’incombe la responsabilité de lutter contre les marées montantes du racisme et du fascisme, qu’il s’agisse de personnes alignées sur l’antifascisme militant, ou de quiconque désire prendre des mesures concrètes.
Nous avons été choqués récemment de voir Barrette franchir un nouveau pas dans la violence en ligne. Dans un récent message, il a écrit : « Fuck your optics, I’m going in » [« Je me fous des apparences, je me lance »] – une référence claire à la phrase qu’a publié le tireur de la synagogue Tree of Life, à Pittsburgh, en octobre 2018, juste avant de tuer onze personnes de confession juive –, ce qui peut raisonnablement donner l’impression que Barrette est lui aussi sur le point de se lancer dans un massacre de même nature. Il a peu après fait suivre son message d’un « Je plaisante… », et le fait que rien ne se soit produit tend à confirmer qu’il « plaisantait » effectivement, mais ce type de « plaisanterie » (surtout venant d’un antisémite décomplexé comme Barrette) n’est pas à prendre à la légère.
Nous avons déjà établi dans notre dernier article que David Barrette est une menace constante pour nos communautés – il a attaqué un rassemblement pro-LGBTQ+, diffuse des discours haineux en ligne comme d’autres respirent, et il a des antécédents de violence documentés par son casier judiciaire (voir plus loin dans cet article) –, mais le fait de déclarer publiquement qu’il se prépare à commettre une fusillade de masse est clairement un drapeau rouge, peu importe qu’il « plaisante » ou non. Prédire les fusillades de masse est une tâche pratiquement impossible, de l’avis même des spécialistes en la matière, mais nous pouvons au moins attester que Barrette présente un grand nombre de signaux d’alarme en ce qui a trait à ses opinions nazies extrêmes, et qu’il les a déjà mises en pratique en dehors du monde virtuel (que ce soit en s’organisant avec le Frontenac Active Club ou en attaquant physiquement des personnes LGBTQ+ lors d’une manifestation). Nous pensons que la collectivité doit être informée de cette affaire et la prendre très au sérieux, mais il nous apparaît particulièrement important de la signaler à son employeur, l’entreprise GloboTech Communications (ou plus simplement Globo.tech).
Barrette est très prolifique sur la plateforme de clavardage IRC, où lui et quelques autres minables passent leurs journées à dire de la merde absolue, ou dans le cas de Barrette, à parler de son amour pour Hitler et de sa haine des personnes racisées et LGBTQ+. À un moment donné, il mentionne : « j’ai un collègue arabe et je l’aime bien »… On ne peut qu’imaginer à quel point cette relation de travail doit être intense. D’autant plus qu’à un autre moment, il dit : « jparle avec des juives, des noires, des arabes… »… « jleur dit ouvertement que le but c’est de deporter (des) millions de personnes comme eu » (sic). Et croyez-le ou non, c’est l’une de ses réflexions les plus cohérentes, parmi les divagations d’un nazi halluciné qui se nourrit de haine.
Un petit répit comique est venu interrompre ce flot incessant de haine sur IRC, le mois dernier, lorsque Barrette a accidentellement publié une photo de sa bite dans le clavardoir du groupe #montreal — et les réactions étaient impayables :
Nous savons que plusieurs personnes préoccupées et se sentant concernées par la lutte contre les idées haineuses ont contacté Globotech, l’entreprise qui emploie David Barrette. Étrangement, cette entreprise semble insister pour protéger le néonazi : aussitôt que son nom est mentionné, que ce soit au téléphone, par courriel ou par le service de clavardage, les représentant·es de l’entreprise n’ont soudainement plus rien à dire.
Récemment, des camarades nous ont informé·es du lourd dossier criminel de David Barrette, pour des faits qui laissent présumer que le principal intéressé pourrait avoir un profil de récidiviste violent. Un survol de son dossier criminel nous montre qu’il a été déclaré coupable de menaces de mort ou d’avoir causé des lésions, de menace de brûler ou d’endommager des biens, de complot, de non-respect de probation…
À propos des multiples noms de domaines gérés par Barrette (nous avons déjà établi que les domaines national-socialists.club et freespeech.club lui appartiennent) nous ne sommes pas en mesure de prouver qu’ils sont hébergés chez GloboTech, puisqu’ils sont cachés derrière Cloudflare.
Toutefois, nous avons découvert une chose très intéressante dans les enregistrements MX (Mail eXchange, une liste de serveurs qui ont le droit d’envoyer des courriels pour le compte d’un nom de domaine). En effet, Barrette avait inclus une des adresses IP de Globo.tech dans la liste des serveurs acceptés pour freespeech.club et national-socialists.club. Seuls les administrateurs de GloboTech peuvent savoir si les sites web (dont l’un est clairement à caractère nazi) sont hébergés sur leurs serveurs, mais les enregistrements MX montrent que Barrette avait au minimum l’intention d’utiliser les serveurs de Globo.tech pour envoyer des courriels à partir de ses sites.
Les responsables de Globo.tech semblent penser qu’illes peuvent rester neutres dans la situation actuelle, mais la neutralité n’existe pas, et encore moins lorsqu’elle sert à protéger un nazi qui attaque des manifestations LGBTQ+, propage la haine sur Internet et fait au passage allusion à des tueries de masse.
Et lorsque GloboTech protège David Barrette, l’entreprise elle-même en devient malheureusement complice, d’autant plus si par son inaction, elle lui permet d’utiliser ses ressources pour diffuser de la haine.
GloboTech ne peut pas faire l’autruche plus longtemps.
Commentaires fermés sur L’enfer est brun, l’enfer est rouge : le « communisme » dévoyé de l’ASLN rencontre le nationalisme ethnique de Nouvelle Alliance
En février dernier, la page FB Poubelle Alliance, qui se donne un malin plaisir à satiriser le groupuscule identitaire Nouvelle Alliance (NA), dont nous avons souvent parlé (notamment ici et ici), révélait de présumés liens naissants entre ce dernier et l’Action socialiste de libération nationale (ASLN, anciennement, le Parti communiste du Québec).
Nous savions déjà que cette formation marginale appartient à un segment de la gauche qui ne nous charme pas tant : ringarde et poussiéreuse dans ses idées, nationaliste, antiwoke (c’est-à-dire, en langage clair, réactionnaire) et, fidèle à la tradition rouge-brune, complaisante envers des régimes autocratiques. (Après avoir quitté Québec Solidaire pour appuyer le Parti québécois des « camarades » Péladeau et Lisée – voir « Le Parti communiste appuie… le PQ » [Le Journal de Québec, 2018]; « Des communistes séduits par PKP » [La Presse, 2014] – , l’aile jeunesse du parti aurait été séduite par les sirènes du stalinisme, notamment en réhabilitant Enver Hoaxa, qui fut le premier ministre de l’Albanie pendant plus de quarante ans, et le dictateur roumain Nicolae Ceausescu.)
Un rapide coup d’œil au site internet et aux communications récentes de l’ASLN (dont des tentatives de mèmes qu’on ne pourrait décrire autrement que comme ultrapoches) suffit à révéler le caractère profondément cringe de cette bébitte, à la fois sur le fond et dans la forme.
Folklorique galerie de portraits mise en évidence lors d’un « camp de formation » de l’ASLN, en février dernier. On reconnaît à droite le toujours actuel et pertinent Joseph Staline. Yikes.Un échantillon de la mémétique avant-gardiste de l’ASLN.
La nature exacte des liens entre l’ASLN et Nouvelle Alliance restait à définir, mais plusieurs indices tendaient à en valider l’hypothèse. Il est a priori pour le moins étrange qu’une formation qui se veut de gauche, tout réactionnaire soit-elle, tende littéralement la main à des militants situés à l’extrême droite de l’échiquier politique sur la base d’une aspiration commune à l’indépendance du Québec, mais nous avons désormais la preuve tangible de ce rapprochement.
Le 24 mars dernier, l’ASLN a mis en ligne une invitation à un « Colloque des patriotes » devant avoir lieu à Desbiens, au Saguenay-Lac-Saint-Jean, les 3 et 4 mai prochain, au programme duquel figure un « débat » entre les « chefs » de l’ASLN et ceux de Nouvelle Alliance. S’en est suivi une série de publication sur TikTok et Instagram où Billy Savoie, le « chef » de l’ASLN, fait la promotion de l’événement et du débat en question, en promettant notamment de confronter les militants de Nouvelle Alliance sur leurs « niaiseries ». Et d’autres mots concernant de la tourtière et des œufs cuits durs.
Nous persistons pour notre part dans la conviction qu’ouvrir le débat avec des ethnonationalistes revient à les légitimer, et que cette ouverture à leur égard est en réalité un signe d’ouverture à leurs propositions toxiques.
De plus, il est permis de se demander si l’ASLN porte réellement des positions susceptibles de remettre en question les « niaiseries » de Nouvelle Alliance ou de créer un « débat » un tant soit peu intéressant ou pertinent. (Spoiler alert : nos attentes sont basses.) Voici à ce propos la réponse éclairante de Billy Savoie à un message laissé sous la publication faisant l’annonce du colloque :
Le « chef » de l’ASLN, Billy Savoie, explique ici à un internaute que le communisme de son organisation n’est pas d’extrême gauche… On ne peut qu’approuver.
Nationalistes antiwokes, se défendant d’être réactionnaires en mettant de l’avant des personnes de couleur tokenisées… jusque là, la différence avec Nouvelle Alliance paraît assez mince. Fans du Parti Québécois, catholaïques et opposés à « l’immigration massive », on dirait plutôt que la communiste ASLN cherche à rivaliser de régressisme avec Nouvelle Alliance pour se tailler un créneau sur l’échiquier nationaliste/indépendantiste… mais drapée de rouge.
Vouloir nationaliser les multinationales – si elles sont étrangères – et encourager les PME – si et seulement si elles sont marquées du sceau national – c’est plus ou moins cohérent dans une authentique perspective communiste, pour un ensemble de raisons assez évidentes. Le communisme sans l’abolition des systèmes oppressifs, c’est déjà un communisme dévoyé, mais se déclarer communistes ET nationalistes, tout en proposant des politiques sociales plus ou moins identiques à un groupuscule d’extrême droite, ça devient carrément du rouge-brunisme toxique.
En l’occurrence, l’Action socialiste de libération nationale semble surtout jouer le jeu de Nouvelle Alliance en légitimant leur démarche et en leur donnant une plateforme supplémentaire pour faire valoir leur vision étriquée de la nation canadienne-française.
NA s’est toujours prétendue ni de droite ni de gauche, malgré sa plateforme clairement réactionnaire et la horde de ses sympathisants fascisants, quasi-fascistes et full-blown fascistes! En donnant la parole à ces militants logés à l’extrême droite, quoi qu’en en disent ses « chefs », l’ASLN semble se fendre en quatre pour amplifier leur message.
Quant à NA, elle se retrouve ici avec les seuls confus (c’est le moins qu’on puisse dire) qui acceptent encore de leur parler.
Avec cette dérive évidente, l’ASLN perd des plumes; ses militants sont persona non grata dans les milieux indépendantistes, et certains des initiateurs du groupe n’apparaissent plus dans leurs publications.
Est-ce que devenir chummy-chummy avec l’extrême droite aurait pu créer des tensions au sein d’une formation théoriquement de gauche? Qui sait, peut-être que les autres membres de leur exécutif comprendront à qui profite vraiment ce rapprochement grotesque…
Un des « chefs » de l’ASLN, Sébastien Paquette, sympathise avec le « chef » de Nouvelle Alliance, François Gervais.
Bonus track :
Billy Savoie, qui est semble-t-il enseignant au secondaire, donne à lire à ses étudiant·es de secondaire 5 un livre d’Alexandre Dougine, qui est tristement connu pour être la conscience idéologique de Vladimir Poutine, et pour être le fondateur du mouvement National-Bolchévique. Et la la.
Commentaires fermés sur Ce qui se passe en Turquie d’un point de vue anti-autoritaire
Avr052025
Soumission anonyme à MTL Contre-info
Pourquoi le soulèvement actuel en Turquie mérite d’être soutenu
Contexte
La République de Turquie, fondée sur le génocide des Arméniens dans la région dans un élan nationaliste et meurtrier, n’a pas beaucoup changé au cours du siècle dernier. Pour les non-musulmans, les Kurdes, les Alevis et les femmes qui ne détenaient ni la majorité ni le pouvoir, l’État et sa société ont toujours été une source d’oppression.
Mais à partir de 2002, en raison de la dictature d’Erdoğan, l’oppression, la pauvreté, la violence et l’exploitation ont commencé à se faire sentir également par la majorité de la société. En 2013, suite à des interdictions et oppressions croissantes, des millions de personnes sont sorties dans la rue pour défendre leurs libertés lors des émeutes du parc Gezi. Ce moment insurrectionnel a eu lieu dans des villes de tout le pays. La résistance qui a duré des mois s’est terminée par des attaques policières sans précédent à l’échelle nationale, au cours desquelles huit jeunes âgés de 15 à 22 ans ont été tués et des milliers d’autres arrêté·e·s. Depuis 2014, l’État turc est devenu un État policier et, après la tentative de coup d’État fictif de 2016, il est dirigé avec un autoritarisme absolu sous l’état d’urgence. Depuis 2021, en raison de la crise économique qui s’est intensifiée de manière exponentielle, 60 % de la population vit désormais en dessous du seuil de pauvreté.
Des millions de personnes, plongées chaque année dans une misère plus grande, croyaient à chaque élection que le gouvernement et donc cette situation changeraient. Mais Erdoğan, qui contrôle les médias et le système judiciaire, a répandu la peur et la manipulation pour éviter que que cela ne se produise. Entre-temps, afin d’empêcher les groupes opprimés de se rassembler, il a créé une haine profonde au sein de la société, qualifiant chaque jour une nouvelle communauté d’ennemi-terroriste-agent étranger : Kurdes, Alevis, étudiant·e·x·s, syndicalistes, avocat·e·x·s, journalistes, intellectuel·le·x·s. Pendant que ces personnes étaient emprisonnées pour terrorisme par les tribunaux d’État, d’autres encore en liberté étaient, elles, trompées par la propagande selon laquelle les emprisonné·e·x·s étaient des terroristes. « Terrorisme » est devenu pour Erdoğan un mot magique afin de maintenir son pouvoir, tandis que les personnes qui défiaient l’autorité finissaient en prison, en exil ou partaient à la mort. Ainsi furent créé·e·x·s des individu·e·x·s zombifié·e·x·s et une société qui jour après jour perd de son pouvoir d’action et s’effondre politiquement, économiquement et moralement. C’est dans ce contexte précis que le soulèvement actuel est mené. Par des jeunes qui n’ont jamais connu d’ autre soulèvement de masse de leur vie, mais qui sont descendu·e·x·s dans la rue en disant « rien ne peut être pire que de vivre ainsi ». Des millions de jeunes qui ont été élevé·e·x·s en apprenant que les ancien·ne·x·s rebel·le·x·s étaient des terroristes et que l’État et la police étaient, du moins en théorie, des amis. Ces millions de jeunes sont maintenant confronté·e·x·s à une réalité radicalement différente. Examinons de plus près ces manifestations.
Vers le « coup d’État » du 19 mars
Le matin du 19 mars 2025, des centaines de policiers ont arrêté chez lui Ekrem İmamoğlu – le maire d’Istanbul, pressenti candidat à la présidence lors des prochaines élections et qui pourrait vaincre Erdoğan – pour terrorisme et corruption.
Si l’incident a suscité une indignation générale en Turquie et dans le monde entier, Imamoğlu n’était pas le premier maire métropolitain en Turquie à être révoqué et détenu par les tribunaux turcs. Depuis 2016, de nombreux maires élus de villes kurdes ont été révoqués, arrêtés et remplacés par un fonctionnaire dans le cadre d’opérations similaires.
Le fait que ces maires kurdes aient été accusés de cette infraction magique de terrorisme a convaincu la majorité de l’opinion publique turque de légitimer cette situation et de ne pas s’y opposer. Le silence face à cette injustice dans les villes kurdes a permis à Erdoğan de faire de même avec d’autres maires dirigés par le CHP (Cumhuriyet Halk Partisi, Parti Républicain du Peuple – deuxième plus grand parti politique, centre-gauche nationaliste turc) et a ainsi préparé le terrain pour ce « coup d’État » du 19 mars. La détention sous l’accusation magique de terrorisme de cet homme privilégié, sunnite, turc, riche, très populaire et politiquement assez puissant pour s’opposer à Erdogan, a provoqué un choc et un scandale immenses. Le message est clair : désormais, l’honneur d’être un terroriste pourrait être attribué non seulement aux personnes marginalisées, mais également à quiconque ne se serait pas rangé du côté d’Erdoğan.
Alors que la contestation publique s’est faite détruire un peu plus chaque année, les personnes ayant gardé le silence par respect pour les institution que représentent l’État, les médias et les tribunaux se retrouvent soudain parmi les cibles du Régime. Ainsi, des milliers de jeunes aux rêves étouffés sous le poids de la pauvreté, des restrictions et de l’oppression, non encore étiqueté·e·x·s comme terroristes, se sont soudainement réveillé·e·x·s pour laisser éclater leurcolère. Le 19 mars, iiels sont descendu·x·e·s dans les rues de nombreuses villes de Turquie pour amorcer des manifestations. Bien qu’il est difficile de dire que les manifestant·x·e·s soient homogènes, il est possible d’affirmer que la majorité d’entre elleux sont des membres de la génération Z sans aucune expérience préalable de contestation pour les raisons décrites ci-dessus. Ce sont des jeunes qui jusqu’à présent n’ont pas pu sortir de la bulle de peur créée par le gouvernement et qui ont été exposé·e·x·s à l’ingénierie sociale très intense de l’État turc par le biais d’institutions telles que l’école, les médias, la famille, etc. À présent privé·e·x·s de respirer par désespoir, iiels veulent le changement. Bien que la détention d’Ekrem İmamoğlu ait été l’étincelle qui a poussé ces jeunes à descendre dans la rue, iels ont commencé à exprimer leur colère et leurs revendications sur de nombreux autres sujets en clamant « la question ne concerne pas seulement İmamoğlu, vous n’avez pas encore compris cela ? ».
« Rien n’est plus horrible que de vivre de cette façon. »
Faire face à l’État et surmonter le mur de la peur
Comme presque tous les rassemblements en Turquie, ces manifestations ont été réprimées avec une violence massive par la police. Pour la première fois, les manifestant·e·x·s ont été confronté·e·x·s à la police, qui non seulement voulait disperser la foule, mais aussi faire payer cher à quiconque le prix de sa présence. Une police qui considère avoir le pouvoir de punir les gens sans besoin de jugement; une police arrogante et brutale vouant une haine personnelle envers les manifestant·e·x·s et un plaisir personnel à les torturer, une police sûre de ne pas être tenue responsable de ses actes de violence. Les manifestant·x·e·s, qui jusqu’alors considéraient la police comme un métier parmi d’autres, similaire à l’enseignement, aux soins infirmiers ou à l’ingénierie, n’avaient pas conscience qu’en traquant lesterroriste d’hier, la police s’était transformée en une sorte de mafia monstrueuse. En une nuit, des milliers de jeunes ont vu la loi punitive de l’ennemi s’appliquer à leur encontre et ont été brutalement attaqué·e·x·s par la police à l’aide d’une quantité incroyable de gaz lacrymogènes, de balles en caoutchouc et de canons à eau. Face à cette attaque massive, la majorité de ces jeunes ne savait pas comment se protéger, comment prendre soin les un·x·e·s des autres, comment s’organiser. Pour beaucoup d’entre elleux, répondre à la police revenait à être un·x·e traître ou un·x·e terroriste. Une partie de la jeunesse s’est alors figée, tandis qu’un plus grand nombre, pensant n’avoir rien à perdre, a brisé la légitimité de la police et a riposté à la violence policière. Saisissant l’occasion d’exprimer leur colère pour la première fois, iels se sont couvert le visage et ont jeté tout ce qu’il leur était possible sur la police, ont dansé devant les canons à eau découvrant que le pouvoir et la légitimité de la police étaient des choses qui pouvaient être surmontées. Il ne semblaient pas y avoir de plan stratégique pour la suite de cette manifestation, ni de conscience politique bien réfléchie. La nuit a été dominée par la colère et le sentiment d’avoir été pour une fois entendu·e·x·s, ce qui en soi était hautement politique. Mais la nuit c’est également terminée par de nombreuses blessures et arrestations.
C’était la première fois, depuis 2013, qu’émergeait une manifestation si massive, avec des heures de résistance contre la police. Bien que les manifestations n’aient été diffusées sur aucune chaîne de télévision, elles ont été suivies par de nombreuses personnes via les réseaux sociaux. Le mur de la peur a été franchi par de nombreuses personnes qui ont réalisé qu’il était possible de défier l’État et de se rebeller. Le lendemain, de plus en plus de personnes descendaient dans les rues d’autres villes de Turquie pour manifester. Au même moment, l’État turc a restreint les bandes passantes web dans tout le pays et il fallut soudain plusieurs minutes pour télécharger ne serait-ce qu’une vidéo de dix secondes. Les manifestant·x·e·s expérimenté·e·x·s, qui ont soutenu les manifestations à la fois dans la rue et en ligne, ont informé les gens que ce problème pouvait être surmonté avec de VPNs. Et cette fois, par le biais d’Elon Musk, l’État turc a bloqué l’accès à environ 200 comptes X de journalistes, d’associations juridiques, de collectifs de médias et de partis politiques. Le même jour, le Haut Conseil de la radio et de la télévision (RTÜK) a interdit toute diffusion en direct sur les chaînes de télévision. Toujours le même jour, bien que cela n’ait pas de lien direct avec les manifestations, le conseil d’administration du barreau d’Istanbul, connu pour s’opposer à Erdoğan, a été dissous par décision de justice.
Au même moment, de nombreux·ses avocat·e·x·s de différentes villes qui souhaitaient défendre les manifestant·x·e·s détenu·e·x·s ont également été arrêté·e·x·s dans les commissariats et les palais de justice. Le nombre de personnes détenues ne cessait d’augmenter. Certaines ont directement été condamnées à des peines de prison ou à des assignations à résidence. Le maire, Ekrem Imamoğlu, et une centaine d’hommes politiques, qui avaient été arrêtés la veille, étaient toujours interrogés au poste de police. Toute cette oppression et la peur en découlant n’ont pas découragé les gens de manifester dans les rues, mais ont au contraire renforcé leur détermination. Pendant les manifestations, les députés qui prenaient le micro et prononçaient des discours en espérant l’aide des élections et de la loi étaient hués. Les jeunes faisaient pression sur les députés pour qu’ils appellent à descendre dans la rue, et non aux urnes, et cela a été accepté. Ce moment en lui-même a marqué un nouveau seuil, car « appeler à descendre dans la rue » avait été reconnu comme illégitime pendant des années dans la loi et la société fabriquées par Erdoğan. Le fait que des députés engagé·e·x·s dans une politique « légale » aient osé le faire a été en soi assez surprenant pour tout le monde. C’était comme si des milliers de personnes franchissaient une par une un mur invisible dont jusqu’à présent la société entière ne savait pas s’il existait réellement ou non et que personne n’osait le dépasser. Une fois de l’autre côté, déconcertées, dans ce pays où elles n’avaient jamais mis les pieds, toutes ces personnes se demandaient ce qui allait leur arriver.
Stratégies de l’État turc
De nombreux·ses acteur·ice··x·s de l’opposition sociale établi·e·x·s de longue date en Turquie ont appelé à ces manifestations, condamné l’arrestation d’Imamoğlu, soutenu les revendications des jeunes pour la justice, la démocratie et la liberté, et se sont élevé·e·x·s contre les violences policières et les interdictions. Parallèlement, le mouvement politique kurde (Parti DEM, Partiya Demokratîk a Gelan – en kurde, Halklarin Demokratik Partisi – en turc), l’un des acteurs les plus puissants de la contestation, a choisi de limiter son soutien à ses dirigeants les mieux placés. Seul·e·x·s les représentant·x·e·s du parti ont effectué une visite symbolique sur les lieux des protestations et ont publié une déclaration qualifiant la détention d’Imamoğlu de coup d’État. Le soutien du parti DEM à un soulèvement aussi vaste et généralisé, où des citoyens et citoyennes ordinaires ont manifesté pour la première fois depuis des années, aurait pu changer la donne pour le destin du pays et mettre Erdoğan dans une position plus difficile que jamais. Avec le recul, il n’est pas difficile de deviner ce qui a motivé Erdoğan à entamer un processus de paix avec le PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan, Partiya Karkerên Kurdistan – en kurde) ces dernières semaines. La raison pour laquelle le Parti DEM a adopté une telle position reste toutefois plus complexe, et l’histoire nous dira pourquoi. Néanmoins, à ce stade, je pense qu’il est plus important de parler des résultats que des raisons, car la distance prise par le Parti DEM a eu deux conséquences importantes. Tout d’abord, La police dans la rue, tout comme Erdoğan dans l’arène politique, ont réussi à échapper à une menace très importante. La participation du Parti DEM et de la jeunesse kurde aux manifestations aurait pu rendre la tâche d’Erdoğan beaucoup plus difficile. Comparativement aux émeutes du parc Gezi, une évidente défaillance d’expérience, de résilience et de compétences organisationnelles, dû à l’absence du parti DEM et de la jeunesse kurde, se fait clairement sentir dans les soulèvements actuels. Je pense que si un génie offrait un souhait magique à Erdoğan et sa police, ils l’utiliseraient pour éloigner les Kurdes de ces manifestations.
Le deuxième point explique cela plus précisément : l’absence des Kurdes en tant que partie prenante de ce mouvement a laissé plus de place à la tendance nationaliste et étatiste, déjà très présente parmi les manifestant·e·x·s. La conséquence fut que les manifestant·x·e·s ayant une approche intersectionnelle, tel·le·x·s que les Kurdes, les féministes, les LGBTI+, les socialistes, les anarchistes, les défenseurs des droits des animaux, etc., sont devenu·e·x·s encore plus marginalisés. La crainte de mettre leur sécurité encore plus en jeu a amené une réticence naturelle parmi ces personnes à afficher leurs identités, par exemple en brandissant un drapeau arc-en-ciel. Dans la plupart des villes, les personnes queers ne se sentaient pas assez en sécurité pour participer aux manifestations ni individuellement ni de manière collective. Si Erdoğan et sa police pouvaient faire un deuxième vœu, ils choisiraient certainement l’absence de dynamique intersectionnelle au sein de ces manifestations. Parce que l’intersectionnalité, tant en termes de nombre que de qualité, représente le pire cauchemar d’Erdoğan. Parce que l’avenir et la durabilité de la colère émergée lors de ces jours ainsi que la question de savoir si elle menacerait un jour l’État ou non dépendent de son caractère intersectionnel. Comme expliqué plus haut, c’est grâce à sa politique de destruction des fondements de l’intersectionnalité qu’Erdoğan a réussi à atteindre son autorité absolue. Il ne fait aucun doute que dans cette lutte, l’union des personnes opprimées profiterait à tous les opprimé·x·e·s et désavantagerait leur ennemi commun. Malheureusement, je dois dire qu’Erdoğan et sa police semblent avoir de la chance et que leurs deux souhaits les plus chers se réalisent pleinement dans le soulèvement qui a lieu depuis le 19 mars.
Ce qui se passe actuellement : une résistance généralisée face à une répression très violente
À ce jour, le 27 mars, les manifestations se poursuivent avec le caractère exponentiel que j’ai mentionné plus haut. La semaine dernière, les queers, féministes, anarchistes, socialistes… ont fait des progrès significatifs pour devenir plus visibles et donner aux manifestations un caractère révolutionnaire. Simultanément, le lancement d’une campagne de boycott massif contre de nombreuses entreprises liées au gouvernement a provoqué une grande panique. Le même jour, le fait de voir des hauts fonctionnaires du gouvernement prendre la pose avec des entreprises boycottées et faire la publicité de leurs produits pour les soutenir a prouvé une fois de plus que nous étions officiellement en guerre : l’organisation criminelle étatique turque et son capital ont déclaré la guerre à toustes celleux qu’ils percevaient comme une menace pour leurs intérêts.
Dans cette guerre, la priorité n’est pas toujours d’arrêter des gens mais aussi de collecter des données sur qui se trouve sur le front adverse. Ce n’est pas sans raison que la police, après avoir, hier, encerclé des manifestations universitaires, a déclaré qu’elle libérerait les manifestant·x·e·s en échange du retrait de leurs masques. Dans un même temps, plusieurs guides sur la sécurité digitale publiés sur les réseaux sociaux par celleuxqui sont dans la rue depuis des années ont permis de sauver des vies. Dans certaines universités, les professeurs fidèles à Erdogan ont partagé les feuilles de présence avec la police pour signaler les étudiant·x·e·s qui ne suivent pas les cours ces jours-ci. Mais de nombreux·se·s autres professeurs ont soutenu l’appel au boycott universitaire suite à quoi iels ont déjà été démis·e·x·s de leurs fonctions. Même si j’ai dit que les arrestations ne sont pas la première priorité, il est bon de rappeler que les prisons autour d’Istanbul ont atteint leur capacité maximale et de nouvelleaux détenu·x·e·s devront être envoyé·e·x·s dans les prisons des villes voisines. Quelque chose qui n’aura surpris que les personnes qui ne connaissent pas la véritable fonction de la loi : Le délit mineur de « violation de la loi sur les réunions et les manifestations », – lequel n’était pas pris au sérieux dans les cycles de contestations précédentes car la plupart du temps, les gens ne recevaient même pas d’amende à l’issue du procès – sert à présent à envoyer des dizaines de personnes en prison.
La nécessité de prendre le parti de la pierre jetée sur la police plutôt que celui de la personne qui la jette.
Il devient clair une fois de plus que l’approche que nous ont enseigné le système judiciaire et les politiciens, selon laquelle nous devrions prendre inconditionnellement le parti de l’un des protagonistes d’un conflit, ou que le statut de victime et d’agresseur devrait être attribué à deux personnes/identités différentes et strictement séparées l’une de l’autre, nous conduit dans un piège. Il est frappant de voir comment tant de manifestant·e·x·s âgé·e·x·s de 16 à 24 ans, qui sur la base de l’éducation obligatoire qu’iels ont reçue de l’école, des médias et de la famille sont prêt·e·x·s à menacer et à expulser les Kurdes ou les LGBTI+ qui voudraient se joindre aux manifestations, deviennent à la fois des agresseur·se·s et des victimes. Depuis le début du soulèvement le 19 mars, en tant que victimes de l’État plus de 2 000 personnes ont été arrêtées. Des milliers d’autres ont été blessées, certaines mortellement,des dizaines ont été emprisonnées, un nombre inconnu ont été chassées du domicile de leur famille, expulsées de chez elles, virées de leur emploi, exclues de l’université ,qualifiées de terroristes par les services de renseignement. Cela est en partie dû au pouvoir qu’elles ont perdu en raison de leur rôle d’agresseur·euse·s Je constate que ce piège a fonctionné pour certains terroristes d’hier et qu’une partie importante d’entre elleux, en particulier au sein des partis politique kurde, qui ont pourtant passé leur vie à lutter contre l’État, sont à présent indifférent·e·x·s à la violence de l’État et aux revendications des manifestant·x·e·s. C’est également à travers ce filtre que j’analyse le manque de réactivité et le silence du mouvement antifasciste en Suisse et en Europe. C’est pourquoi je trouve important d’expliquer ce qui se passe dans ce soulèvement aux autres rebelles du monde entier. Je souhaite expliquer que le soulèvement actuel, malgré sa complexité, mérite d’être soutenu et la solidarité internationale ne peut se faire que dans une perspective anti-autoritaire qui ne tombe pas dans le piège d’une prise de parti rigide. Il est possible de soutenir ce mouvement sans blâmer la victime d’avoir été torturée par la police et sans excuser l’agresseur qui a tenté d’y supprimer le drapeau kurde.
« Queer – Resist »
Où se situer face à un soulèvement aussi controversé ?
Le soulèvement actuel en Turquie mérite d’être soutenu, car les manifestant·x·e·s ne sont pas seulement des nationalistes/apolitiques de la génération Z. De nombreuses personnes queer, kurdes, anarchistes, socialistes, antispécistes, féministes, qui s’impliquent dans des luttes intersectionnelles élèvent aujourd’hui leurs voix contre l’injustice et résistent à l’État turc dans les rues, comme elles le font depuis des années. Malgré leur peur à l’égard de la majorité des manifestant·e·x·s, iels préfèrent être dans la rue et iels subissent une part plus importante de la violence de l’État. La complexité de ce soulèvement signifie qu’iels ont plus que jamais besoin de soutien. Il est essentiel de soutenir ce soulèvement pour qu’iels en ressortent avec un peu de terrain conquis ou du moins sans être davantage repoussé·e·x·s. Le soulèvement actuel en Turquie mérite d’être soutenu car les manifestant·x·e·s, même si certain·ne·x·s nourrissent des idées contre-révolutionnaires, sont légitimes dans ce contre quoi iels se révoltent : les organes et les politiques de l’État turc, symbolisées par Erdoğan. C’est ce qui détermine la légitimité d’un soulèvement. Peu importe que la majorité des manifestant·x·e·s veuille que le dictateur Erdoğan tombe et soit remplacé par le nationaliste İmamoğlu. Aujourd’hui, nous pouvons nous serrer les coudes dans la lutte pour faire tomber Erdoğan et demain, nous pourrons nous séparer lorsque la demande sera de le remplacer par İmamoğlu. Une fois que nous aurons détruit la plus grande puissance existante, nous nous battrons pour détruire la deuxième plus grande puissance, puis la troisième, jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de pouvoir au-dessus de nous. Ce point de vue anarchiste appelle à soutenir toute menace contre Erdoğan, son État, sa police, son système judiciaire. La critique de ces manifestations ne doit pas servir à isoler le soulèvement, mais plutôt à éclairer les débats qui suivront en cas de victoire.
Le soulèvement actuel en Turquie mérite d’être soutenu car un dictateur utilise tout le pouvoir et toutes les ressources de l’État turc, devenu une « organisation criminelle », pour massacrer des personnes qui n’ont pas ce même pouvoir et ces même ressources, peu importe qui elles sont. Non seulement les manifestant·e·x·s, mais aussi leurs avocat·e·x·s, les journalistes qui documentent les actes de torture, les médecins qui soignent les blessé·e·x·s lors des manifestations, celleux qui en parlent, celleux qui ouvrent leurs portes aux personnes touchées par les gaz lacrymogènes, toustes celleux qui ne sont pas en obéissance absolue sont désormais puni·e·x·s. Dans la Turquie de 2025, où l’État contrôle tous les aspects privés et publics de la vie et où tout notre soutien potentiel est démantelé, la survie d’Erdoğan à ce soulèvement reviendrait à laisser toutes les personnes qui ont remis en question son autorité enfermées dans un bâtiment en flamme. C’est peut-être la première, la seule et la dernière chance que nous avons depuis des années d’agir contre le pouvoir d’Erdoğan. C’est pourquoi tout soutien à ce soulèvement ou tout coup porté contre sa cible, l’État turc, revêt une importance vitale. Le soulèvement actuel en Turquie mérite d’être soutenu car pour ceux qui ne détiennent ni le pouvoir et ni la majorité, les femmes, les Kurdes, les Alevis, les homosexuel·le·x·s, les pauvres, les jeunes, les immigré·e·x·s, les terroristes d’hier, le premier pas vers la respiration, l’écoute et la liberté est l’effondrement de l’ordre actuel. Le soulèvement actuel en Turquie mérite d’être soutenu car c’est peut-être la dernière chance pour nous, terroristes d’hier, qui avons déjà été emprisonné·e·x·s et contraint·e·x·s à l’exil pour nous être rebellé·e·x·s pendant des années, de revoir la lumière du jour dans le pays où nous sommes né·e·x·s.
Commentaires fermés sur À Montréal, la police bloque les antifascistes… pour permettre aux adeptes de black metal de célébrer les exploits militaires des nazis
Montréal, le 30 novembre 2024 — Hier soir avait lieu le deuxième des trois soirées du festival black metal de la Messe des Morts, au théâtre Paradoxe, dans le quartier Ville-Émard de Montréal. À cette occasion, une manifestation antifasciste a été organisée pour dénoncer la complaisance chronique du festival et de nombreux adeptes du genre à l’égard du courant NSBM (national socialist black metal), ou néonazi, qui traverse ce milieu, et plus particulièrement la présence dans la programmation 2024 du festival d’au moins quatre groupes liés à ce courant par leurs thématiques, leurs affiliations ou leurs collaborations.
Suite à la campagne de pression exercée sur le promoteur, Sepulchral Productions, et le locateur de la salle, le groupe Paradoxe, trois des groupes problématiques au programme, Horna, Sargeist et Chamber of Unlight — soit ceux dont les liens avec le NSBM sont les plus clairs — ont été refusés de territoire au Canada en raison d’un signalement de menace à la sécurité nationale, si l’on doit en croire le communiqué du promoteur. Deux autres groupes, Conifère et Phobocosm, s’étaient désistés de la programmation dans les jours précédant le festival, pour des raisons « évidentes » et « personnelles », respectivement.
Toutefois, le groupe suédois Marduk, dont nous avons relevé les obsessions thématiques pour les exploits militaires des SS et de la Wehrmacht durant la Deuxième Guerre mondiale, a non seulement pu jouer ses concerts prévus, mais a en plus remplacé au pied levé les groupes absents, montant sur scène les trois soirs du festival.
À l’extérieur du théâtre, au point culminant d’une campagne soutenue de dénonciation et de mobilisation initiée plusieurs semaines auparavant, environ 200 personnes ont répondu à l’appel et se sont jointes à la manifestation organisée par le collectif Montréal Antifasciste. Une foule diversifiée et combative était au rendez-vous, comptant des résident·es du quartier, des organismes communautaires du Sud-Ouest et plusieurs contingents autonomes formés, notamment, derrière les bannières du SITT-IWW et de la section locale de Voix juives indépendantes.
Une masse de porcs pour la messe des morts…
Malheureusement, la manifestation a été dès le départ paralysée et encadrée par un dispositif policier absolument démesuré : plusieurs centaines d’agents à pied, à vélo, en voiture et à cheval, répartis sur deux pâtés de maisons, formant un périmètre étanche tout autour du théâtre. Malgré qu’une cinquantaine de camarades soit parvenue à déjouer temporairement ce dispositif, celui-ci s’est avéré beaucoup trop imposant pour que nous puissions le défier efficacement ou durablement. La manifestation a donc été gelée sur place sur le boulevard Monk, à moins de 100 mètres du théâtre, vers 17 h 45. Les policiers ont ensuite érigé un point de contrôle plus au sud et opéré un tri au faciès pour diriger les festivaliers sur une rue parallèle de manière à contourner le périmètre d’insécurité et rejoindre l’entrée du théâtre. On peut dire que les policiers, ce soir-là, ont littéralement fait le jeu des fascistes. Fait à noter, de nombreux membres du SPVM placés en première ligne portaient l’écusson « Thin Blue Line », un signe de reconnaissance d’extrême droite dont l’utilisation est découragée, mais pas encore interdite par le service.
Autre fait cocasse, la mascotte stéroïdée du milieu néonazi local s’est présentée vers 18 h, juste pour « voir notre petit rassemblement ». Après cinq minutes d’un face à face tendu, il est reparti la queue entre les jambes. Dans les circonstances, une altercation physique aurait inévitablement déclenché une brutale intervention policière, laquelle aurait entraîné une fin désastreuse de la manifestation. Nous félicitons nos camarades d’avoir su garder leur sang-froid devant cette flagrante provocation.
(À ce propos, un message aux politiciens [et aux médias] qui hallucinent de l’antisémitisme dans chaque manifestation de solidarité avec la Palestine : les vrais antisémites, les foutus néonazis, sont là tout juste sous vos yeux, mais ceux-là, vous préférez envoyer vos chiens enragés pour les protéger.)
Après une heure sur place à scander des slogans antifascistes (« Siamo tutti antifascisti! », « Ville-Émard en a marre, des fachos et des bâtards! »), constatant que nous ne pourrions rien accomplir de plus en restant dans cette souricière étanche, le groupe est parti en manifestation vers le sud sur le boulevard Monk. Le SPVM a alors étroitement flanqué le cortège d’un peloton d’antiémeutes de chaque côté. À une centaine de mètres de l’édicule du métro Monk, un commandant de peloton, irrité par les remontrances légitimes d’un camarade, a inexplicablement décidé de mener ses hommes dans une violente charge contre la tête du cortège, à coups de bâtons et de boucliers, en plus de décharger libéralement une bonbonne de poivre. Histoire de bien faire comprendre qui est le boss, vous voyez! La manifestation s’est ensuite dispersée dans le métro, sous l’œil belliqueux des antiémeutes.
Le collectif Montréal Antifasciste tient à remercier chaleureusement toutes les personnes et les organisations qui ont participé à la campagne de dénonciation et de mobilisation.
Un bilan de campagne positif
Comme nous l’avions expliqué dans notre article publié le 27 octobre dernier, la communauté antifasciste de Montréal n’avait pas cru bon de monter une campagne de dénonciation contre la Messe des Morts dans les dernières années, comme elle l’avait fait en 2016, car la programmation ne présentait aucun groupe particulièrement problématique. Celle de 2024, au contraire, se présentait comme une provocation.
Au début d’octobre, nous avions communiqué avec l’administration du Théâtre Paradoxe (qui relève d’une entreprise d’économie sociale) pour l’encourager à prendre les mesures nécessaires afin d’empêcher les groupes en question de se produire dans son enceinte. Malheureusement, tous nos efforts diplomatiques n’ont pas abouti, l’administration du théâtre se disant captive d’un contrat avec le promoteur de la Messe des Morts, qui, dans tous les cas, est le véritable responsable de ce fiasco grotesque. Nous n’avons donc eu d’autre choix que de tenir notre promesse d’enchaîner avec une manifestation en marge du festival.
Quoi qu’on puisse dire des événements de vendredi soir, absolument dominés par le SPVM, nous estimons avoir atteint les objectifs de la campagne plus largement :
deux des quatre groupes visés, les plus proches du réseau NSBM, n’ont pas pu jouer au festival ;
nous avons efficacement alerté la communauté à une situation problématique ; tout particulièrement l’administration du Théâtre Paradoxe qui, manifestement, connaissait mal le vampire qu’elle avait invité chez elle ;
nous avons entraîné des conséquences économiques majeures pour le promoteur du festival, dont les activités au fil des ans dénotent une sympathie certaine pour le NSBM ;
En fin de compte, nous dressons un bilan positif de cette campagne de dénonciation et de mobilisation. Dans les prochains mois, nous allons maintenir la communication avec l’administration du Théâtre Paradoxe pour faire en sorte que l’édition 2024 du festival soit la dernière qui ait lieu dans cette salle. Nous allons également maintenir la pression sur le promoteur du Festival, qui a encore une fois donné la preuve de sa complaisance à l’égard d’une idéologie haineuse et de ses manifestations dans le genre black metal, malgré ses prétentions à la neutralité politique.
Et bien entendu, nous allons continuer à exercer une veille constante pour que Montréal reste, résolument, antifasciste.