Commentaires fermés sur Compte-rendu de la contre-manifestation du 21 octobre à la défense de la jeunesse trans
Nov272023
Soumission anonyme à MTL Contre-info
Samedi le 21 octobre à Montréal, un face-à-face entre une coalition de conservateurs religieux transphobes et une contre-manifestation en défense des jeunes trans prenait place. TL;DR: la défense trans a gagné.
Cet événement présenté comme une journée d’action pan-canadienne par « 1 Million March for Children », avec le groupe « Ensemble pour protéger nos enfants » (qu’on appellera EPPNE dans la suite du texte) en tête d’affiche du rassemblement à Montréal, se voulait la suite des affrontements du 20 septembre devant l’Université McGill. Cette journée là, une foule surprenamment impressionnante surtout composée de familles musulmanes avec des enfants tenant des pancartes disant « J’appartient à mes parents » en criant des slogans transphobes et des insultes homophobes, avait confronté une contre-manifestation mal préparée et avait réussi à marcher dans le centre-ville de Montréal. Ceci laissant les defenders trans et leur camarades queers et anti-fascistes secoué-es.
EPPNE avait cette fois appelé à une manifestation devant le 600 Fullum, l’adresse du Ministère de l’éducation du Québec, à qui ils adressaient une liste de demandes concernant les curriculums scolaires – ce qui était en fait un prétexte d’exposer leur transphobie sans bornes. On recommande de voir Montréal Antifasciste et P!nk bloc pour des perspectives plus détaillées sur le contexte politique émergeant, incluant l’impact de la guerre au Moyen-Orient (apparemment ceux qui appellent à un génocide peuvent être divisées en ce qui en concerne un autre). Ce compte-rendu met l’accent sur la dimension tactique de ce qu’on a observé le 21.
La manifestation de EPPNE était appelée pour 11h, et la contre-manifestation pour 10h, avec l’intention d’occuper l’endroit en premier. Comme on aurait pu le prédire, un petit groupe dédié a dû arriver vers à peine 8h pour nous permettre d’occuper la rue devant le 600 Fullum et de laisser aux organisateurs d’EPPNE, arrivés à 8h15, seulement un petit bout de gazon entre le côté sud du building et la piste cyclable qui longe l’autoroute. Une douzaine de policiers étaient déjà sur place et avaient délimité un périmètre dans le cul-de-sac à la fin de Fullum avec du ruban, pour créer une zone tampon entre les deux groupes. Ils ont informé les contre-manifestant-es que de traverser le ruban serait considéré un acte criminel.
Si on s’était réuni-es devant les bureaux du Ministère de l’éducation, ce n’était par pour défende ce système d’éducation qui, en règle générale, veut faire des enfants, de tous les genres et orientations sexuelles, des sujets dociles pour le projet colonialiste capitaliste, et des citoyen-nes obéissant-es face à l’autorité, des travailleurs et des consommateurs ayant le droit de poser quelques questions mais pas trop. Au contraire, on visait à occuper l’espace où les transphobes voulaient s’installer pour leur refuser la visibilité qu’ils veulent et démontrer que nous serons sur leur chemin peu importe où ils tentent s’organiser publiquement.
Les deux côtés sont arrivés à une scène qui avait été couverte de graffitis antifascistes, pro-trans et pro-Palestine la nuit précédente, avec l’édifice du Ministère, la machinerie lourde et les murs à côté couverts de tags tels que « YOUTH LIBER(A)TION [&] TRANS LIBER(A)TION NOW! », « Dykes for Palestine » et « Fuck transphobes ». Avec l’installation rapide de cinq tentes à auvent directement devant le 600 Fullum, servant de point de réunion logistique et d’abris de la pluie pour les contre-manifestant-es, il ne pouvait être plus clair qui était en contrôle de l’espace que les transphobes voulaient occuper, et que notre lutte dépasse la défense libérale d’un ordre social tolérant.
Nos nombres ont augmenté graduellement, puis rapidement à l’approche de 10h. L’arrivée d’un camion de son (quelques speakers puissants attachés à un pickup) ont aidé à créer une atmosphère festive. Les camarades arrivant étaient assigné-es à une ou l’autre des unités mobiles, chacune ayant un code de couleur ; rose et noir (les personnes à mobilité réduite ou qui le souhaitaient pouvaient aussi rester au point de réunion).
En ce qui concerne les caméras des médias de masse: un cameraman de CTV News a été aperçu se promenant à travers la foule devant le 600 Fullum, filmant des contre-manifestant-es de très près. Les guidelines publiées avant le 21 encourageaient les participant-es à porter des masques et à surveiller les médias de masse et les livestreamers, mais nous n’avions pas planifié de nous assurer que les journalistes ne puissent pas explorer nos infrastructures, dans des lieux où certain-es pourraient avoir des conversations privées ou enlever leur masque pour manger ou boire. Des camarades ont pris l’initiative de confronter l’équipe de CTV et de physiquement les escorter hors de notre foule après qu’ils aient refusé nos demandes verbales de quitter. Bien que des bannières et des parapluies peuvent fonctionner contre des médias approchant une ligne solide, nous devons aussi pouvoir repousser ceux qui font leur chemin à travers notre foule, notamment dans les lieux où nous accueillons les nouvelles personnes arrivant. Nous pensons qu’une équipe dédiée à ce travail serait la meilleur approche dans le futur.
Autour de 9h30, l’unité rose s’était déplacée vers le nord sur Fullum pour bloquer la rue en haut du bloc, juste au sud de Sainte-Catherine. Iels allaient maintenir cette position en laissant les nouvelles personnes se joindre à la contre-manifestation et en bloquant l’accès aux transphobes, et ce pour le restant de l’action. Puisque cette intersection était le principal point d’accès pour toute personne arrivant du métro Papineau ou des stationnements sur rue un peu plus haut, le blocage de l’unité rose a permis avec succès de détourner un bon nombre de manifestants anti-trans, qui ont quitté en pensant que la manifestation de EPPNE avait été annulée ou complètement submergée par la contre-manifestation.
Un peu après 11h, l’unité noire a tenté de contourner les lignes policières qui protégeaient les anti-trans au bas de Fullum. Après avoir tourné à gauche sur Sainte-Catherine, il y a eu une altercation avec un fasciste solitaire portant un t-shirt « Kill All Pedophiles », qui a fini par terre. L’unité noire, d’une centaine de personnes protégées par plusieurs bannières de côté, s’est déplacée à l’ouest sur deux blocs, puis a tourné vers le sud sur De Lorimier, avant d’être empêchée de tourner à l’est sur René-Lévesque en direction des EPPNE par une ligne de policiers anti-émeute. Durant 45 minutes, iels ont occupé l’intersection de De Lorimier et René-Lévesque, sans pouvoir s’approcher davantage des transphobes, mais du moins en bloquant un autre accès à partir du métro vers leur point de rencontre, et en bloquant leur possibilité de marcher vers le Village gai et le centre-ville (les organisateurs d’1MM4C avaient appelé à marcher à 13h).
En infériorité numérique d’environ 10 pour 1, sous une pluie constante, étant graduellement encerclés de contre-manifestant-es et voyant leur route de marche vers le centre-ville bloquée, la foule de EPPNE était visiblement démoralisée. Certains ont exprimé leur frustrations sur leur Facebook Lives, disant (et montrant) à leurs spectateurs que notre côté était bien mieux organisé et en leur reprochant de n’être pas venus. Un d’eux a remarqué sur Whatsapp que leur adversaires sont « seulement 0,33% de la population, mais très intelligents et malveillants ». Et on ne peut que le prendre comme un compliment.
À l’approche de midi, l’unité noire a rencontré un groupe de renforts au coin de Sainte-Catherine et De Lorimier, et a commencé à se déplacer encore une fois vers le sud, avec un plan en tête. Rendu à René-Lévesque, un contingent s’est arrêté et a fait face à la ligne de policiers anti-émeute comme plus tôt, les forçant à rester en place, pendant que le reste du groupe, environ 100 personnes, continuait vers le sud avant de couper à l’est entre deux bâtiments. Malgré que ces mouvements soient ralentis par une certaine confusion générale, le SPVM a semblé désemparé pour la première fois de la journée, puisque leur plan de protection des manifestants anti-trans risquait de tomber à l’eau. Des camionnettes de police ont accéléré au coin de rue et une demi-douzaine de policiers anti-émeute se sont approchés, criant au contingent de rebrousser chemin. L’un deux a fait un spectacle de charger son fusil de balles de caoutchouc alors que d’autres brandissaient du poivre de cayenne. Cette intimidation leur a permis de bloquer la foule juste assez longtemps pour que d’autres policiers arrivent et les aident à former une meilleure ligne. Espérons que ces expériences de coordination en rue vont nourrir notre imaginaire tactique et nous aider à être encore mieux préparé-es la prochaine fois.
La carte suivante montre la position finale des transphobes, des contre-manifestant-es et de la police:
Peu après, quand l’unité noire s’est regroupée sur De Lorimier, la nouvelle s’est repandue que le EPPNE avait appelé à la dispersion de leur manifestation, confirmant ainsi leur défaite en ne tentant même pas de marcher et en ayant à expliquer à leur supporteurs comment quitter la zone en sécurité.
Il y avait tellement d’activité des contre-manifestant-es en différents points couvrant plusieurs blocs du quartier, le 21, qu’il serait impossible d’en faire un résumé complet, mais nous voulons remercier spécifiquement celleux qui ont assuré la livraison de nourriture et qui l’ont servie, et tou-tes celleux qui ont tenu des bannières pendant des heures.
Bien que la logique des contre-manifestations nous positionne sur la défensive, notre intuition nous laisse croire que nous pouvons dépasser une position purement réactive – qu’on a quelque chose à gagner – quand on s’organise sur une base de solidarité et qu’on compte sur nous-mêmes, plutôt que sur les médias, la loi ou la police.
Le 21 octobre dernier, plus de 1000 personnes ont répondu à l’appel lancé par une coalition de groupes queers et antifascistes, dont le Pink Bloc faisait partie, à contre-manifester pour défendre les droits des jeunes trans et l’éducation sexuelle inclusive. Cet appel avait été officiellement appuyé par une cinquantaine d’organisations dont des syndicats, des associations étudiantes, des associations de professeur-es, des groupes féministes, des collectifs militants, des organismes communautaires, et plus encore1.
Cette action avait pour but de bloquer la route à la manifestation organisée par le groupe transphobe et homophobe Ensemble Pour Protéger Nos Enfants en réponse à l’appel pan-canadien de la 1MillionMarchForChildren. L’agenda politique de cette marche et des groupes qui y sont associés vise la censure des questions queer et trans dans les milieux d’enseignement, l’outing forcé des jeunes trans à leurs parents par les écoles et le retrait de l’accès aux soins de santé trans pour les jeunes. Leur discours prétend vouloir protéger les enfants, mais une recherche à peine profonde témoigne en fait d’un désir de renforcer le contrôle parental sur la jeunesse et de donner aux parents la capacité de refuser à leurs enfants le droit d’être eux-mêmes et de s’exprimer comme iels le veulent. C’est la négation du droit des jeunes à l’auto-détermination, à la liberté d’expression et à la sécurité.
Dans les semaines précédant leur manifestation, des conflits politiques et personnels ont éclaté entre les groupes et les individus qui l’organisaient2, créant de la division et confusion dans leurs rangs qui a grandement diminué leurs nombres. De notre côté, on a vu une pluralité de mouvements, groupes et individus se rejoindre autour de notre combat et décider de faire front commun face à la haine et l’exclusion!
Le 21 octobre dès 9h du matin, nous occupions l’espace devant le 600 rue Fullum avec des chapiteaux, de la musique3 et de la nourriture. À 10h, nous étions déjà nombreux-ses sur place, malgré la pluie et le froid, pour occuper Fullum de Sainte-Catherine jusqu’à Notre-Dame. De l’autre côté des lignes de police, sur le bord de la rue Notre-Dame, une centaine de manifestant-es anti-lgbtq se sont réuni-es à partir de 11h,déçu-es de leur faible nombre et gardé-es à distance du point de rendez-vous prévu pour leur rassemblement.
Quoique la lutte n’est jamais finie, on peut toustes se féliciter collectivement pour notre énorme succès. On a réussi à complètement disperser les manifestant-es transphobes et à pouvoir déclarer victoire à 13h30, ainsi qu’à assurer un espace festif et sécuritaire au sein de notre contre-manif. Notre mobilisation dans les milieux communautaires et syndicaux a été sans précédent pour ce type d’action. Cela nous a donné l’occasion de créer des liens de solidarité qui vont perdurer à long terme, et de développer des stratégies et ressources pour les contre-manifestant-es qui seront indispensables dans nos mobilisations futures.
Ce fut une belle démonstration de solidarité par et envers notre communauté pour affirmer que protéger les enfants, c’est aussi protéger les enfants et adolescent-es trans, leur offrir un environnement dans lequel il-les sont en sécurité, et défendre leur droit à l’autodétermination.
Les jeunes trans sont capables d’évaluer leur situation, leur identité et leur rapport au monde et de prendre des décisions pour améliorer leurs vies, que cela plaise ou non à leurs parents. Nous sommes la jeunesse queer et trans qui s’est affirmée au fil des ans et qui s’est développée en des adultes heureux·ses dans des corps et identités qui les représentent. Personne n’a le droit de priver la jeunesse actuelle de cela.
Dans les prochains temps, nous continuerons à développer et à former des liens de solidarité, notamment avec les luttes contre l’islamophobie, à s’opposer à l’homonationalisme et au pinkwashing qui se sert des droits lgbtq+ comme d’une excuse pour justifier des atrocités4, et à se mobiliser pour la libération de la Palestine.
Bravo à toutes les personnes qui ont été là et merci à toustes celleux qui nous ont soutenu!
On espère ne pas avoir à organiser une autre contre-manifestation avant longtemps, et on se revoit dans la rue pour manifester en solidarité avec la Palestine!
À la lumière de des commentaires que nous avons reçu concernant le fait qu’il y ait eu des chansons de disney dans la playlist, nous trouvons important de mentionner que nous ne supportons en aucune façon disney. Le fait de jouer de la musique copyrightée est une stratégie fréquemment utilisée pour que les livestreams de l’autre camp soient bloqués des réseaux sociaux pour des raisons de copyright. Empêcher la diffusions de ces livestreams aide à protéger nos camarades du risque d’être doxxé-es par ces vidéos. Nous appuyons l’appel à boycotter les compagnies qui supportent israël, et choisirons de la musique différente la prochaine fois. ↩︎
Nous publierons bientôt un texte qui développe cette idée. ↩︎
Les milieux réactionnaires de toutes sortes ont déclaré la guerre aux communautés trans et queer. Les contre-manifs se multiplient et la tension a monté d’un cran. On considère nécessaire de remettre à jour nos conseils pour les militant·e•s qui pourraient se retrouver dans des contre-manifs pour la première fois, toujours en ayant la sécurité de nos communautés comme principale préoccupation. Sur ce, voici quelques conseils pour se protéger et se préparer individuellement et collectivement!
1. Se préparer avant la manif
On recommande à toutes les personnes qui comptent venir à une contre-manif de s’organiser avec des ami·e·s pour ne pas arriver seul•e•s. La formule des binômes fonctionnent généralement assez bien : on s’organise d’avance avec un·e ami·e pour former une paire et rester ensemble pour la durée de la manifestation. L’objectif est qu’il y ait toujours au moins une personne qui veille sur chaque personne. On arrive ensemble, on part ensemble!
Ce qui est encore mieux c’est de s’organiser en groupe! À 4, 6, 8 personnes, on est d’autant plus capables de se protéger entre nous, mais aussi de prendre des tâches sur place et d’aider à ce que tout se passe bien! Voir la section 6 pour plus d’info
2. Protéger son identité
L’extrême droite live stream souvent ses évènements. Cela signifie que nos visages peuvent facilement se retrouver à circuler dans leurs réseaux. Ça peut mener à du doxxing (publication d’informations personnelles dans le but d’intimider une personne) et potentiellement faciliter la répression étatique. De plus, beaucoup de militants d’extrême droite se font passer pour des journalistes et essaient de filmer les visages des gens. Pour s’en protéger, plusieurs options s’offrent à nous :
Beaucoup de nos camarades choisissent de se masquer complètement pour ce genre d’action, ce qui offre la meilleure protection en termes d’anonymat. C’est ce qu’on appelle former un Black Bloc. En s’habillant toustes en noir, sans trait reconnaissable, on se fond les un·es avec les autres et on protège notre identité. Pour ne pas attirer trop d’attention sur nous avant d’entrer dans la contre-manif, il est préférable de porter une couche colorée pour son arrivée et de se changer en black bloc dans la foule en utilisant des bannières ou des parapluies pour bloquer la vue des caméras, et de se changer encore avant de quitter.
Par contre, il faut reconnaître que d’être entièrement masqué·e dans ce genre de contexte peut peindre une cible sur nous autant aux yeux des militant·e•s d’extrême droite que de la police. On peut quand même se masquer et rester relativement subtil•e. Un masque chirurgical, une casquette et des lunettes de soleil peuvent faire une grosse différence. Il est aussi possible de protéger son identité de l’extrême-droite toute en ayant une apparence festive : des masques colorés et des foulards peuvent nous cacher de leurs caméras. Ceci ne nous anonymise par contre pas autant que la technique du black bloc.
Pour cette raison, s’il n’y a pas au moins une bonne vingtaine de camarades en black bloc, le light bloc peut être préférable, c’est-à-dire de cacher son identité autant qu’en black bloc mais avec des vêtements de couleurs neutres (masque t-shirt gris ou bleu marin) plutôt que noir. N’oubliez pas les lunettes de soleil!
En se masquant, on se protège soi-même, mais on permet aussi aux autres personnes masquées de se fondre mieux dans la foule. C’est donc aussi un acte de solidarité, notamment face à nos camarades sans-papiers qui ont besoin de cet anonymat car iels sont facilement criminalisé•e•s ou particulièrement à risque d’être ciblé•e•s par l’extrême-droite.
3. Bloquer les caméras
À l’ère d’Internet et des réseaux sociaux, les caméras sont une arme politique. En filmant ses adversaires, l’extrême-droite cherche à trouver des images qui leur servira à détourner les discours opposés (on ne gagne jamais rien à débattre avec ces gens-là, ils ne diffusent que ce qui sert leur cause) et potentiellement à doxxer les gens pour essayer de s’en prendre à elleux dans leur vie de tous les jours (un camarade migrant en a subi les conséquences récemment).
Tous les téléphones et caméras des anti-trans devraient être vus comme autant de menaces pour nos communautés. Il est nécessaire de les bloquer, de les retirer à l’adversaire et de les sortir de nos rangs! Si des personnes de notre côté filment, il est important de leurs expliquer de ne jamais filmer les visages de nos allié•e•s. Qu’iels filment des pieds, des signes, des bannières ou nos opposants.
Il peut aussi être très utile de se munir de drapeaux, bannières et parapluies pour bloquer les cellulaires et caméras. Ces outils ont aussi l’avantage de mettre une distance entre nous et les fascistes, ce qui permet de diminuer les risques de confrontation physique. Si vous pouvez apporter ce genre de matériel, on vous y encourage fortement! Voir la section 6 pour plus d’info
4. Faire confiance à notre communauté et non à la police
La police est un ennemi historique des communautés trans et queer, et est très souvent un allié objectif des fascistes. Elle le prouve en ce moment un peu partout dans le monde par son traitement des mobilisations anti-drag et anti-trans.
Ne pas se laisser berner par la police devient donc un enjeu de sécurité collective . Leurs consignes n’ont pas notre bien-être à cœur et l’on ne doit pas les laisser dicter notre défense communautaire. Ne les laissons pas entrer dans nos rangs et faisons avant tous confiance à notre organisation collective.
Il ne faut JAMAIS demander à la police d’intervenir dans la manifestation, ne jamais chercher à dénoncer des camarades et ne jamais chercher à dialoguer avec la police. Les services de police attaquent régulièrement nos manifestations, violentent nos adelphes trans et criminalisent notre résistance. Ils sont, de par leur nature historique et politique, naturellement du côté de nos opposants.
5. Former des rangs serrés
Souvent, la situation dégénère dans ces évènements quand les lignes se font floues, quand les gens se dispersent, essaient d’aller débattre avec des individus ou laissent passer des acteurs mal intentionnés dans nos rangs. C’est important de rester groupé•e•s. C’est notre nombre et notre solidarité qui nous protègent et, en ce sens, on doit rester ensemble. Des lignes serrées avec des camarades prêt·e·s à réagir à proximité sont nettement plus sécuritaires qu’une masse éparpillée et divisée.
6. Se préparer à agir.
L’idéal lors des contres-manifs c’est d’être prêt·e à agir. La passivité auxquelles certaines marches et manifestations nous habituent a moins sa place dans ce contexte-ci. Plus nombreux sont les groupes qui arrivent organisés et prêts à agir, plus nous seront fort·e·s en tant que groupe. En s’organisant à 4-6-8 personnes d’avance, on peut avoir un rôle beaucoup plus significatif au sein de la manif.
Certaines tâches auquel on peut se préparer en avance sont:
Équipe de parapluies. Des petits groupes équipés de parapluies pour bloquer les caméras ou tenir à distance les militants d’extrême-droite sont toujours extrêmement utiles dans les contre-manifs. En bloquant les caméras, on protège l’identité de nos camarades et, en créant des obstacles physiques entre les camps, on limite les risques de violences physiques.
Équipe de bannières. En contre-manif, les bannières servent à former des lignes pour maintenir l’adversaire sur un territoire précis, mettre un obstacle entre eux et nous et défendre nos camarades. Des équipes mobiles avec des bannières bloquant le passage à l’extrême droite et défendant les positions stratégiques jouent un rôle important dans ces évènements.
Équipe de médics. Ce sont des équipes de personnes formées en premiers soins, identifiables et portant du matériel de premiers soins sur elleux, qui se rendent disponibles pour intervenir en cas de blessure.
D’autres tâches peuvent apparaître sur place et c’est toujours intéressant de rester attentif·ves à la situation et aux mots d’ordre émergeant dans la manif.
7. Faire attention à son état émotionnel et à celui des autres.
Les contres-manifs sont des moments de tensions et de choc émotionnel assez importants. C’est très facile de perdre son sang-froid sans même s’en rendre compte. Quand nos émotions nous submergent, on risque de prendre de mauvaises décisions et d’agir de manière non sécuritaire.
C’est donc important d’être à l’écoute de son état émotionnel et de prêter attention à celui des autres. Si on se sent devenir trop en colère ou paniqué, il peut être judicieux de se reculer, d’aller vers des coins plus tranquilles, ou d’aller chercher du soutien de personnes disponibles loin de la ligne d’affrontement. On peut aussi faire des exercices de respiration ou tout simplement parler avec nos camarades pour se soutenir les un·es autres.
C’est normal de vivre ces émotions difficiles, alors il faut prendre soin de soi et des autres pour qu’on puisse maintenir notre calme et notre discipline autant que possible pendant ces moments de lutte tendue.
Ce texte a été produit par le collectif Montréal Antifasciste et imprimé sous format zine pour distribution gratuite au Salon du livre anarchiste de Montréal, les 27 et 28 mai 2023.
À la faveur des crises émergentes (économique, climatique, migratoire, sanitaire, etc.) et en l’absence d’une alternative structurée sur la gauche de l’échiquier politique, il souffle actuellement sur le monde un vent de droite que rien ne semble ralentir. Suivant naturellement ce courant, l’extrême droite est en situation de regain dans plusieurs régions du monde, autant dans ses formes réactionnaires et institutionnelles (loyales aux systèmes en place) que soi-disant révolutionnaires (hostiles aux systèmes en place), notamment aux États-Unis et dans certains pays d’Europe occidentale, dont l’Italie et la France, mais aussi en Russie et ailleurs en Europe de l’Est, au Moyen-Orient et en Inde, pour ne nommer que quelques exemples. Avec quelques mois et années de retard, le Canada et le Québec ne sont pas épargnés par ce courant de fond, autant sur le plan de la politique institutionnelle (le tournant populiste du Parti conservateur du Canada, la percée médiatique du Parti conservateur du Québec) que sur celui du soft power (par exemple, au Québec, l’influence dominante des médias de l’empire Québecor sur la « mise à l’ordre du jour ») et des mouvements populaires ou pseudo-populaires (comme l’opposition aux mesures sanitaires).
Le soi-disant « convoi de la liberté », qui a paralysé la capitale canadienne pendant plusieurs semaines à l’hiver 2022, est venu confirmer la convergence de plusieurs phénomènes a priori distincts, mais participant tous de cette réémergence de l’extrême droite : un leadership partiellement issu de mouvements et groupuscules suprémacistes influencés par l’alt-right et la logique « accélérationniste » (mais surtout enraciné dans le ressentiment anti-Trudeau qui caractérise le populisme/séparatisme de l’Ouest canadien), un complotisme antisanitaire (dont une composante « conspirituelle » issue des mouvances new-age et de santé alternative) ancré dans le confusionnisme et la désinformation propagée par des acteurs d’extrême droite, et un courant de fond populiste profitant de l’hostilité grandissante (et largement légitime) à l’égard des élites politiques et économiques.
Les mobilisations antiracistes/antifascistes, dans un premier temps, puis les tensions et dissensions internes, l’institutionnalisation d’une partie de leurs revendications, et enfin la pandémie mondiale de COVID-19, ont fortement déstabilisé (voire, dans certains cas, neutralisé et éliminé) ces organisations. En revanche, la pandémie a donné à certains acteurs – connus et nouveaux venus – l’occasion de faire rebondir la droite populiste et l’extrême droite dans des directions inédites, et la période actuelle est marquée par l’apparition d’un certain nombre de nouveaux projets fortement marqués à droite de la droite conservatrice traditionnelle. De plus, et peut-être de manière plus significative encore, le paysage politique et culturel mainstream et institutionnel continue d’opérer un glissement vers la droite, lequel pourrait avoir de graves conséquences dans le court et le moyen terme. Nous proposons donc ce tour d’horizon – sans doute incomplet – de la situation actuelle au Québec.
///
Définitions pratiques
Nous sommes cruellement conscient·es de la difficulté de définir de manière concise et précise un phénomène aussi complexe que le fascisme, mais aux fins de cette brochure et des orientations du collectif Montréal Antifasciste, nous proposons les définitions suivantes :
Le fascisme est une idéologie ultranationaliste antilibérale centrée sur le projet de refondation d’une version fantasmée de la nation primordiale*, qui aurait été perdue sous l’effet de la « décadence moderne », des valeurs libérales et des groupes en quête d’égalité, et qui doit être restaurée par la consolidation forcée de hiérarchies et de discriminations structurantes entre différentes catégories d’humains (sur la base des genres, « races », rangs sociaux, identités sexuelles, cultures, religions, origines ethniques, etc.). L’extrême droite désigne les courants de pensée et d’action politique qui, à l’intérieur comme à l’extérieur du système, mais à un degré plus radical que la droite conservatrice traditionnelle, tendent à consolider ces hiérarchies structurantes, normaliser les rapports d’oppression et de discrimination, et ainsi favoriser l’émergence de formations fascistes.
L’antifascisme désigne l’ensemble des personnes, des organisations, des mouvements sociaux et des courants de pensée et d’action qui s’opposent, non seulement au fascisme réalisé, mais aussi à l’ensemble des facteurs politiques, sociaux et culturels qui facilitent la réémergence d’un esprit fasciste et la réalisation de formes fascistes anciennes ou nouvelles. Cela comprend autant les programmes nationaux-populistes xénophobes et réactionnaires que les groupuscules néofascistes, « nationalistes révolutionnaires » et néonazis, et les courants complotistes qui alimentent le confusionnisme et recyclent des thèmes d’extrême droite. L’antifascisme libéral s’opère pour l’essentiel à l’intérieur des limites définies par le système capitaliste et l’ordre bourgeois. L’antifascisme radical tend vers une organisation de la société radicalement égalitaire, c’est-à-dire débarrassée des hiérarchies et des discriminations systémiques, dont le capitalisme, la suprématie blanche, le colonialisme et l’hétéropatriarcat. Le diminutif « antifa », initialement employé en Allemagne dans les années 1970 et 1980, fait généralement référence à l’antifascisme radical.
*Cette définition s’inspire des travaux de l’historien et politologue britannique Roger Griffin.
De la Meute à la CAQ : l’intégration institutionnelle des revendications islamophobes et anti-immigration
Rappelons que Montréal Antifasciste s’est formé peu après les rassemblements islamophobes organisés par La Meute à Montréal et à Québec, le 4 mars 2017. Ces manifestations coordonnées, qui survenaient quelques semaines seulement après la tuerie de masse au Centre culturel islamique de Québec ayant fait six morts et de nombreux blessés graves, avaient pour objet de protester contre la motion M-103, une résolution non contraignante (adoptée le 23 mars 2017) visant principalement à faire reconnaître par le gouvernement fédéral l’importance de « condamner l’islamophobie et toutes les formes de racisme et de discrimination religieuse systémiques ». Au cours des années suivantes, La Meute et d’autres projets du même tonneau, comme Storm Alliance, le Front patriotique du Québec, Soldiers of Odin Québec, et plus tard les soi-disant Gilets jaunes du Québec et la Vague bleue, ont multiplié les manifestations et actions à caractère islamophobe et anti-immigration à Montréal, Québec, Trois-Rivières et Ottawa, ainsi qu’au poste frontalier de Saint-Bernard-de-Lacolle et aux abords du Chemin Roxham. Ces dernières mobilisations visaient à réclamer la fermeture du passage « irrégulier » emprunté par un nombre relativement important de demandeurs du statut de réfugié en vertu des dispositions de l’Accord sur les tiers pays sûrs conclu entre le Canada et les États-Unis. Dès le départ, ces diverses manifestations étaient en outre flanquées de milices de pacotille (inspirées notamment des III% et des groupes de combat de rue de l’alt-right étasunienne, comme les Proud Boys), telles que le Groupe Sécurité Patriotique et les Gardiens du Québec, ainsi que de diverses figures connues de l’extrême droite locale cherchant à en découdre avec les antifascistes.
Bien que ces formations et ces mobilisations aient pu alors sembler marginales, elles s’inscrivaient en fait dans un contexte beaucoup plus large de droitisation du champ politique institutionnel au Québec, laquelle s’opérait déjà depuis la prétendue crise des « accommodements raisonnables », en 2006-2007[1]. L’arrivée au pouvoir de la CAQ en 2018 n’a fait qu’accélérer ce processus, comme l’a vite confirmé le projet de loi 21, qui sous le prétexte de protéger la « laïcité de l’État » prenait clairement pour cible les femmes musulmanes et d’autres minorités religieuses. L’obsession de la CAQ pour les seuils d’immigration durant la campagne électorale (aujourd’hui récupérée par le PQ) trahissait également une volonté populiste de satisfaire aux exigences d’une base électorale chez qui les sentiments islamophobes et xénophobes exprimés par La Meute trouvaient un fort écho. En entrevue à Radio-Canada en 2019, et malgré les démentis officiels, François Legault avouait d’ailleurs à demi-mot que la loi 21 était une sorte de « compromis » avec les mouvements islamophobes :
« Pour éviter les extrêmes, il faut en donner un peu à la majorité. […] Je pense que c’est la meilleure façon d’éviter les dérapages. » […] On délimite le terrain, parce qu’il y a des gens un peu racistes qui souhaiteraient qu’il n’y ait pas de signes religieux nulle part, même pas sur la place publique. »
Personne ne s’y trompait d’ailleurs, et surtout pas les dirigeants de La Meute, comme Sylvain Brouillette, qui affirmait déjà lors des élections de 2018 que la CAQ véhiculait les idées de La Meute, et vice-versa :
« Si La Meute est sur le bord du racisme, cela veut dire que vous l’êtes aussi, M. Legault. […] c’est ceux qui pensent comme vous que vous traitez de racistes. »
« Quand ils disent qu’ils n’ont rien à voir avec La Meute, c’est assez risible. Les revendications de La Meute, c’est exactement le programme de la CAQ et c’est là-dessus qu’il a été élu »
Ainsi, l’institutionnalisation des revendications xénophobes et islamophobes des formations comme La Meute ont peut-être autant – sinon plus – contribué à précipiter leur désuétude et leur déclin que l’opposition antifasciste et les nombreuses crises internes qui les ont traversées (luttes de pouvoir, détournement de fonds, accusations d’agressions sexuelles, etc.). Rien n’aura illustré ce phénomène de manière aussi grotesque que le mouvement de la Vague bleue (2019), qui en définitive ne revendiquait rien d’autre que ce que le gouvernement de la CAQ était déjà en train de mettre en place, tout en protestant puérilement contre le groupe de presse (dont le réseau TVA) qui est en grande partie responsables de la droitisation dont cette mouvance nationale-populiste était en quelque sorte l’aboutissement.
Bien sûr, le recadrage sur la droite du paysage politique se poursuit aujourd’hui sans l’apport de ces regroupements. L’empire médiatique Québecor, notamment par l’entremise d’une petite armée de chroniqueurs réactionnaires, poursuit quotidiennement une entreprise de formatage idéologique de masse dont les éléments de discours se retrouvent souvent dans la bouche des élu·es de la CAQ. À preuve, la résistance fanatique à reconnaître l’existence du racisme systémique ainsi que la récupération de l’épouvantail « woke » par François Legault jusque dans les débats de l’Assemblée nationale. Mathieu Bock-Côté, dont Legault a vanté l’essai L’empire du politiquement correct en 2020 et dont il a tout récemment relayé une chronique intitulée « Éloge de notre vieux fond catholique », et qui colporte quotidiennement ses élucubrations sur la chute imminente de la civilisation occidentale dans les pages du Journal de Montréal et sur les ondes de TVA/LCN, est sans doute l’un des plus importants passeurs des idées d’extrême droite dans le mainstream, ici comme en France (où il a servi de faire valoir à Éric Zemmour durant la dernière présidentielle et où il sévit toujours en tant que chroniqueur et intervenant régulier sur différentes plateformes d’extrême droite, dont CNews, Causeur, Valeurs actuelles, etc.). Il est pourtant encore dépeint ici comme un conservateur modéré, et toute tentative de l’associer à l’extrême droite est accueillie comme le fait d’un délire « woke ».
Autant qu’un coup payant pour la CAQ, la récente fermeture du chemin Roxham est une autre victoire triomphale pour les mouvements xénophobes qui la réclamaient à grands cris depuis des années.
Et finalement, l’instabilité relative de la CAQ sur différents dossiers, dont celui des seuils d’immigration et, plus récemment, sa volte-face dans le dossier du troisième lien, ouvre un espace sur sa droite, qu’Éric Duhaime et son Parti conservateur du Québec sont ravis d’occuper avec un mélange toxique de libertarianisme et de populisme qui plaît énormément à la frange déçue de la base caquiste et charrie dans le mainstream les obsessions actuelles de l’extrême droite (dont l’hystérie « anti-drag », sur laquelle nous reviendrons ci-dessous).
Dans ce contexte où l’économie de l’information de masse et la politique institutionnelle sont dominées par la droite, et compte tenu de l’air du temps complotiste qui ne donne aucun signe d’essoufflement (au contraire, l’émergence de l’intelligence artificielle laisse deviner une explosion imminente de la désinformation et de la confusion), et compte tenu des contextes étasuniens et européens, il n’est pas exclu que se reforment au Québec, dans un avenir plus ou moins rapproché, des organisations nationales-populistes encore plus agressives et encore plus marquées à l’extrême droite. Raison de plus, comme nous ne cessons de le répéter, pour articuler des alternatives fortes, structurées et attrayantes à la gauche de la gauche institutionnelle.
Quoi qu’il en soit du contexte institutionnel, en 2023, La Meute ne survit qu’en ligne et n’est plus que l’ombre de ce qu’elle a été (c’est-à-dire, déjà pas grand-chose…), et Storm Alliance a complètement disparu de la carte. Il en va de même pour le Front patriotique du Québec, qui a organisé des marches nationalistes le 1er juillet pendant plusieurs années consécutives, le Groupe sécurité patriotique, les Gardiens du Québec, les « Gilets jaunes » du Québec et tous les groupuscules plus ou moins conséquents qui s’étaient formés dans cette période. Certains des militants de premier plan de ces organisations, dont Steeve Charland (La Meute) et Mario Roy (Storm Alliance), se sont toutefois recyclés dans le mouvement d’opposition aux mesures sanitaires qui a pris de l’essor durant la pandémie de COVID-19, comme nous le verrons plus loin. Le Parti patriote de Donald Proulx, et d’autres formations marginales du même genre continuent d’exister, mais sans exercer d’influence significative.
Où sont passé·es les fascistes pur jus?
L’une des principales occupations de Montréal Antifasciste dans la période entre 2017 et 2020 a été de traquer et de documenter la progression et les activités du groupe Atalante, qui était en quelque sorte à la fois une itération contemporaine du mouvement white power québécois, dont les origines remontent aux groupuscules de boneheads des années 1990, et une sorte d’avant-garde du mouvement identitaire/néofasciste (spécifiquement, nationaliste révolutionnaire) d’inspiration européenne au Québec. On peut dire sans aucun doute qu’Atalante a été le groupe le plus structuré et le plus déterminé auquel Montréal Antifasciste s’est opposé jusqu’à maintenant.
Quand Atalante s’est créée en 2016, l’organisation pouvait déjà compter sur un certain nombre de militants issus du Québec Stomper Crew et, plus généralement, du milieu néonazi québécois. Ses membres étaient déjà formés idéologiquement et politiquement, notamment grâce aux activités de la Fédération des Québécois de souche et de ses propres précurseurs, comme la Bannière noire, contrairement à la plupart des autres groupes dont il est question dans ce texte et que nous avons vus naître et mourir dans les dernières années. De plus, l’organisation qui a clairement inspiré Atalante, depuis sa fondation et jusque dans la moindre de ses actions (au point de reprendre le même lettrage sur ses banderoles), n’avait rien pour nous rassurer : CasaPound est une organisation néofasciste italienne, fondée en 2003, qui revendique plusieurs milliers d’adhérent·es, a pignon sur rue dans plusieurs villes italiennes et mène la vie dure aux immigrant·es et aux antifascistes.
Atalante est essentiellement basé dans la ville de Québec, malgré les quelques tentatives infructueuses pour créer une cellule fonctionnelle à Montréal et la présence de quelques militant·es éparpillé·es à travers la province (notamment au Saguenay). Notre collectif est quant à lui, comme son nom l’indique, basé à Montréal, et cette distance a constitué un frein à une pleine et entière mobilisation contre la formation néofasciste de Québec. Saluons au passage les militant·es antifascistes de Québec, qui d’abord peu nombreux·euses, ont inlassablement lutté sur le terrain contre Atalante, ses membres et ses idées.
Ce contexte, dans un climat politique favorable (islamophobie, regain du nationalisme identitaire) sera d’abord une recette gagnante, puisqu’Atalante comptera jusqu’à 60 membres et sympathisant·es à son point fort, en 2018-2019, en plus de disposer d’une audience bienveillante au sein du mouvement national-populiste. Avec l’inauguration de son club de boxe en 2017, nous craignions que l’étape suivante soit l’ouverture d’un local d’activités politiques, ce qui aurait marqué un tournant. Suivant l’adage « mieux vaut prévenir que guérir », nous avons décidé de mettre l’énergie nécessaire pour empêcher un groupe comme Atalante de s’épanouir et de s’implanter. Entre 2017 et 2022, le collectif Montréal Antifasciste a ainsi produit une série d’articles visant à combattre les idées toxiques et exposer publiquement les membres d’Atalante.
Les activités d’Atalante se sont dramatiquement résorbées, à partir de fin 2019, sous l’effet combiné de la constante attention négative des antifascistes et du bannissement de l’organisation des principales plateformes de médias sociaux, qui leur servaient à la fois de vitrine politique et de guichet de recrutement. Les déboires judiciaires de Raphaël Lévesque et Louis Fernandez n’ont certainement pas aidé : l’agression au bar Lvlop en décembre 2018 à jeté un froid sur l’organisation, et le procès de Lévesque dans l’affaire Vice n’a pas eu l’effet de vitrine politique escompté. Il appert également qu’un certain nombre de conflits interpersonnels ont pu diminuer la cohésion au sein du groupe et mener à la création de sous-cliques. Enfin, les membres d’Atalante, tout « antisystèmes » qu’ils disent être, semblent avoir été rattrapé par le système en passant la trentaine ou la quarantaine : des emplois plus confortables, des familles et des maisons en banlieue ne facilitent pas le militantisme nationaliste-révolutionnaire.
Depuis 2020, les sorties du groupe s’espacent et les militant·es sont moins nombreux·euses sur les photos. La pression s’est presque entièrement relâchée sur les antifascistes de la région. Le podcast L’armée des ondes, lancé en octobre 2020 et principalement diffusé sur la chaîne Telegram du groupe pour relancer ses activités, sort d’abord tous les mois, mais s’étiole lentement depuis 2022. À l’hiver 2021-2022, le groupe a bien tenté de s’implanter dans le mouvement d’opposition aux mesures sanitaires, mais sans grand succès. Le 24 juin 2022, on nous a signalé la participation du band Légitime Violence à l’événement « La Saint-Jean de la race » organisé par Nomos.tv et Alexandre Cormier-Denis.
Depuis, des membres clés d’Atalante semblent s’être recyclés dans des projets contre-culturels ou professionnels. Cerbère Studios est inscrit au registraire des entreprises au nom de Félix-Olivier Beauchamp, et donne probablement des contrats de graphisme au couple Étienne Mailhot-Bruneau et Laurence Fiset-Grenier. Louis Fernandez était pour un temps enregistré comme dirigeant de l’entreprise Saisis la foudre/Éditions Tardivel, avec Gabriel Drouin, mais l’entreprise a été radiée en 2021. Jonathan Payeur s’est pour sa part associé au musicien néonazi Steve Labrecque pour animer une distribution de vêtements identitaires/nazies sous la bannière Pagan Heritage (à l’heure d’écrire ces lignes, cependant, le site de la distro semble vide et inactif). Celui qu’on soupçonne d’être le principal idéologue du groupe, Antoine Mailhot-Bruneau, garde un profil bas et continue de travailler comme ambulancier à Lévis. Raphaël Lévesque, désormais papa, semble maintenant bien seul lorsqu’il tente d’intimider des militant·es antifascistes… Il n’est toutefois pas possible d’annoncer la fin officielle d’Atalante et rien n’empêche une future résurgence du groupe sous une forme ou une autre. Une poignée de militants, dont Jo Payeur, sont d’ailleurs ressortis récemment des égouts pour rendre hommage à leur maître à penser suicidé, Dominique Venner. On peut néanmoins affirmer que l’activité du groupe est pratiquement au point mort à ce stade-ci.
Les autres…
Pour sa part, le groupe islamophobe d’inspiration néonazie Soldiers of Odin Québec, qui avait attiré l’attention sur lui avec une série de sorties publiques et d’actions provocatrice en 2017 et 2018, n’a pas fait long feu après s’être heurté à des antifascistes en chair et en os. Malgré un changement de leadership, le groupe ne s’est jamais rétabli et semble aujourd’hui avoir complètement disparu.
La Fédération des Québécois de souche (FQS), avec son site Internet et son journal, Le Harfang, a longtemps été l’une des plus importantes plateformes d’information et de formation idéologique par et pour l’extrême droite québécoise. Fondée en 2007 par des néonazis, la FQS déployait depuis plus d’une décennie un grand parapluie où se côtoyaient – probablement pas sans difficulté – les familles d’extrême droite réactionnaires et « révolutionnaires ». Au moment d’écrire ces lignes, le nom de domaine quebecoisdesouche.info semble avoir été détourné ou non renouvelé, et les dernières publications sur le compte Twitter de la FQS datent de 2020. La chaîne Telegram du Harfang, qui compte 288 abonnés au moment d’écrire ceci, est toutefois encore très active et semble être la principale plateforme du groupe. La publication du Harfang, dont le plus récent numéro (printemps 2023) porte sur la théorie du « grand remplacement », se poursuit également. Aux dernières nouvelles, la direction du journal était assurée par le pseudonyme auteur de la FQS, Rémi Tremblay, ainsi que par Roch Tousignant et François Dumas, les dinosaures du Cercle Jeune nation, qui tentaient déjà d’unifier les différentes tendances de l’extrême droite dans les années 1990. (Lire à ce sujet la brochure Notre maître le passé?!? Extrême droite au Québec 1930-1998.)
Dans la même famille, le Front canadien-français, qui s’inspirait des précurseurs catholiques intégristes du Cercle Tardivel et du Mouvement Tradition Québec (proches de la FQS), ainsi que des projets d’Alexandre Cormier-Denis, s’est avéré une étoile filante en 2020, ses militants clés ne s’étant jamais tout à fait rétablis de l’article les exposant à la lumière du soleil. Quelques-uns de ses militants ont toutefois rebondi en 2022 en créant un nouveau projet nationaliste, la Nouvelle Alliance (NA). Il est pour l’instant exagéré de qualifier ce groupuscule de fasciste à proprement parler, mais il est aussi plutôt difficile de cerner avec précision son programme politique, sinon qu’il s’inscrit dans la tradition indépendantiste conservatrice et tend vers le confusionnisme. Ce qu’on peut affirmer avec certitude, cependant, est que son activisme reprend directement les méthodes d’Atalante (affichage, collages, accrochages de bannières, rassemblements commémoratifs, le tout s’appuyant lourdement sur la représentation ostentatoire dans les médias sociaux), lesquelles méthodes sont dérivées, comme nous l’avons vu, des mouvements néofascistes européens. Dernièrement, les militants de la NA se sont fait voir au stade de football lors des matchs du CF Montréal (formulant des menaces explicites et réussissant ainsi à se mettre à dos l’ensemble des groupes de partisans…), ce qui signale une intention de s’inscrire dans des espaces « culturels » historiquement contestés par les fachos. On nous rapporte également que des militants de la NA se livrent à de l’intimidation d’étudiant·es écologistes, ce qui indique là aussi une volonté claire d’antagoniser la gauche et les antifascistes. Sans même insister sur la filiation déjà évoquée avec le FCF et la participation d’individus déjà identifiés à l’extrême droite, il est assez évident que derrière l’image d’un nationalisme BCBG plus ou moins débarrassé du bagage sulfureux des groupes explicitement fascistes, ce sont les mêmes arrière-pensées et les mêmes motifs qui sous-tendent l’activité de ce nouveau projet. Leur autocollant reprenant le fameux slogan « Le Québec aux Québécois », même s’il joue d’ambiguïté, ne devrait laisser aucun doute à cet égard dans le contexte. Quoi qu’il en soit, s’ils cherchaient l’attention des antifascistes, ils l’ont trouvée.
Un autre fasciste notoire qui insiste lourdement pour démentir qu’il l’est (car le fascisme, c’est bien connu, a complètement disparu de la surface de la Terre en 1945…) est Alexandre Cormier-Denis, qui anime avec ses acolytes la webtélé, Nomos-tv. Depuis sa création, Nomos véhicule un ultranationalisme explicitement raciste et xénophobe, généralement réactionnaire, mais pas forcément hostile au « nationalisme révolutionnaire » (Cormier-Denis a déroulé le tapis rouge à Raphaël Lévesque d’Atalante en juin 2020). En plus de sa base d’appui au Québec, ce projet à caractère ethnonationaliste a trouvé dans les dernières années un écho particulièrement favorable dans les réseaux identitaires français, comme le confirme la forte activité sur la chaîne Telegram publique de Nomos et l’accent ridicule qu’a adopté Cormier-Denis dans ses capsules depuis quelque temps. Cormier-Denis a d’ailleurs chaudement soutenu la candidature d’Éric Zemmour (qu’il appelle facétieusement le « sépharade magique ») aux dernières élections présidentielles françaises, ce qui lui a en outre attiré les foudres des antisémites enragés, comme Sylvain Marcoux (voir ci-dessous). Cormier-Denis et Nomos adhèrent à la stratégie métapolitique théorisée par l’extrême droite française à partir des années 1980 (dans le giron du Groupement de recherche et d’études pour la civilisation européenne – GRECE), qui consiste à miser sur la transformation graduelle, sur le temps long, du paysage culturel et idéologique jusqu’à ce que le contexte général soit jugé favorable à la prise du pouvoir politique par l’extrême droite. Cette stratégie est d’ailleurs à l’œuvre en France depuis plus d’une génération et explique (entre autres facteurs) pourquoi le Rassemblement National de Marine Le Pen s’approche de plus en plus du pouvoir à chaque cycle électoral.
La chaîne Nomos a été déplatformée de YouTube en octobre 2021, en réponse à une plainte du Réseau canadien anti-haine, et ses animateurs ont choisi de transférer ses activités sur la plateforme Odyssée, en se repliant sur un modèle payant. Malgré cela, il est raisonnable d’affirmer que Nomos.tv est à l’heure actuelle une plateforme de premier plan pour l’extrême droite idéologique au Québec.
Et les nazis…
L’activité des charognes nazies a subi une suite de revers au Québec dans les dernières années, mais n’est jamais complètement disparue.
Montréal Antifasciste a suivi attentivement le procès pour incitation à la haine de Gabriel Sohier Chaput, alias Zeiger, qui s’est soldé par un verdict de culpabilité en janvier 2023. En dépit de ce verdict (que le principal intéressé souhaite porter en appel), le procès a été bâclé et a révélé l’incompétence de l’enquête policière et l’impréparation de la poursuite, à commencer par l’insuffisance des accusations portées contre cet idéologue et militant nazi extrêmement prolifique et influent entre 2014 et 2018. Rappelons que Sohier Chaput était un auteur et proche collaborateur du site The Daily Stormer, en plus de co-administrer le forum de discussion Iron March et de produire une chiée de propagande nazie et suprémaciste blanche pendant de nombreuses années. Il avait été identifié par des antifascistes en 2018 et fait l’objet d’une série d’articles dans la Montreal Gazette en mai de la même année. Sohier Chaput vit actuellement dans la petite localité de Marsoui, en Gaspésie, vraisemblablement chez un membre de sa famille.
Un de ceux qui avaient une opinion forte sur le procès de Zeiger était Sylvain Marcoux, dont le Parti nationaliste chrétien (PNC) n’a pas connu une très bonne année non plus. Après avoir été arrêté en août 2020 pour harcèlement criminel et intimidation à l’endroit du directeur de la Santé publique, Horacio Arruda, et avoir dû présenter des excuses en septembre 2021 pour s’en tirer avec une absolution, Marcoux n’a pas été en mesure de faire reconnaître son parti d’inspiration nazie par le directeur général des élections au scrutin provincial d’automne 2022. Qu’à cela ne tienne, Marcoux et ses acolytes du PNC, dont une certaine Andréanne Chabot, sévissent sur Telegram et sur Twitter, où ils créent de nouveaux comptes au fur et à mesure que la plateforme les supprime.
Dernièrement, Sylvain Marcoux a fait une apparition en marge d’une manifestation anti-drag à Sainte-Catherine, sur la rive sud de Montréal, où il a été accueilli avec une volée de bois vert par les antifascistes réuni·es sur place pour bloquer les homophobes.
D’autres bozos ont aussi décidé de faire une apparition lors de cet événement, soit les militants de White Lives Matter (WLM), qui avaient fait l’objet d’un article de Montréal Antifasciste en mars 2022. Deux d’entre eux, Raphaël Dinucci St-Hilaire (de Laval) et David Barrette (de Saint-Jean-sur-Richelieu), ont eux aussi vite appris que les trans et les queers savent se défendre, et doivent désormais composer avec le fait d’être identifiés à cette organisation suprémaciste blanche, avec les conséquences que cela implique.
Il en va de même pour Shawn Beauvais MacDonald, un autre nazi bien connu de nos services, habitué du chat WLM, dont nous soupçonnons fortement qu’il est lié à la création d’un nouveau projet activiste local, analogue à WLM, le Frontenac Active Club. Selon l’Anti-Defamation League :
« Les Active Clubs forment un réseau [inter]national de bandes localisées de suprémacistes blancs en grande partie inspirés du Rise Above Movement (R.A.M.) de Robert Rondo. Les membres des AC se voient comme des guerriers s’entraînant pour la guerre en cours contre un système qui, selon eux, conspire délibérément contre la race blanche. »
Le 21 avril 2023, des autocollants du Frontenac AC sont apparus sur la rue Atateken, dans le Village de Montréal, et le jour même, une publication a été affichée sur la chaîne Telegram @FrontenacAC revendiquant les collants, avec la légende « J’débarque en drift à la pride, mon capot inclusif ». Ce message fait explicitement référence aux attentats à la voiture-bélier comme celui qui a coûté la vie à Heather Heyer, le 12 août 2017, à Charlottesville, en Virginie, en marge du rassemblement suprémaciste « Unite the Right » (auquel a d’ailleurs participé Shawn Beauvais MacDonald). Or, le lendemain, après une activité de lancement de livre coorganisé par Montréal Antifasciste au Comité social Centre-Sud, qui se trouve à deux pas de là où les autocollants Frontenac AC ont été posés la veille, ce même Beauvais MacDonald a eu l’idée fort saugrenue de se présenter seul au bar Yer’Mad, un lieu de rencontre bien connu de l’extrême gauche montréalaise, dans le but évident d’en intimider la clientèle. Ayant été informé·es de sa présence, des antifascistes se sont rapidement présenté·es sur place et l’en ont expulsé manu militari. Cette séquence d’événements nous porte à croire que Shawn Beauvais MacDonald est un acteur clé de cette nouvelle initiative. Des autocollants Frontenac Active Club sont aussi apparus dans les derniers temps à Saint-Jean-sur-Richelieu et à Bromont.
Dans la région de Québec, la quasi-disparition d’Atalante a laissé un vide, mais les nazis ne sont jamais bien loin. Au printemps 2019, le groupe phare de la formation néofasciste, Légitime Violence, a tenté d’organiser un spectacle avec le groupe français de black métal néonazi Baise ma hache dans un centre communautaire de Québec, mais la vigilance de la communauté les a forcés à se réfugier plutôt au bar Le Duck. Cet établissement semble d’ailleurs cultiver une certaine sympathie pour les nazis, puisqu’il a accueilli des membres de l’entourage de Légitime Violence, des militants de WLM et des sympathisant·es de Nomos, en juin 2022, à l’occasion d’un événement appelé la « Saint-Jean de la race ».
Il convient aussi d’attirer l’attention sur un curieux phénomène qui a agité la scène hardcore de Québec en 2023. En février dernier, un nouveau groupe, du nom de R.A.W, commence à faire parler de lui. En creusant un peu, on apprend que ce sigle signifie Rock Against Wokism (une référence pas très subtile au mouvement néonazi Rock Against Communism), le fameux « wokisme » étant personnifié sur leur matériel visuel par Justin Trudeau mangeant un coup de poing sur la gueule. Il y a bien sûr d’innombrables raisons d’en vouloir à Justin Trudeau et à son gouvernement, comme le fait qu’il sert les intérêts capitalistes, mais nous ne croyons pas que sa défense des minorités en fasse partie… (Soulignons au passage que le visuel du groupe est librement inspiré de celui du groupe métal Pantera, dont le chanteur aime bien lui aussi tendre le bras à l’occasion…)
Comme si ce n’était pas suffisant, le groupe a comme batteur Philippe Dionne, un ancien membre de Légitime Violence, ce qui ne semble pas déranger outre mesure les autres membres du groupe. Le chanteur, Martin Cloutier, pour sa part, a confusément tenté d’expliquer la démarche du groupe, mais a fini par s’enfarger très publiquement dans son jupon transphobe, lui qui est un adepte de Tucker Carlson, Breitbart News et autres pourritures de l’extrême droite américaine.
Le groupe avait prévu un concert le 4 mars, mais la scène hardcore antiraciste de la province s’est rapidement mobilisée et les groupes qui devaient partager l’affiche avec eux se sont mis à annuler les uns après les autres. La soirée a fini par se tenir au Studio Sonum, connu pour employer des fascistes, avec un seul autre groupe, Corruption 86, dont le chanteur, Laurent Brient, est connu pour avoir été également membre de la formation white power Bootprint, sans oublier son adhésion à une tentative de formation d’un chapitre du groupe néonazi Volksfront au début des années 2010. Qui se ressemble s’assemble…
D’autres nazis de la région dont nous avons déjà parlé continuent aussi à y sévir à divers degrés : Gabriel Marcon Drapeau continue à vendre ses camelotes nazies sous la bannière Vinland Stiker, notamment au marché aux puces Jean-Talon, à Charlesbourg (dont l’administration semble tolérer qu’un nazi y vende régulièrement de la marchandise nazie depuis des mois…). Et toujours dans le département de la guénille, nous avons déjà mentionné le projet Pagan Heritage de Steve Labrecque et Jonahtan Payeur.
La spirale antisanitaire, les fantasmes de complot et la « réinfosphère »
Montréal Antifasciste a plus d’une fois abordé, durant et après la pandémie de COVID-19, la convergence observée de certains courants d’extrême droite avec la mouvance complotiste et la « conspiritualité », un phénomène antisanitaire dérivé des milieux hippies/New Age. Malgré les liens de plus en plus flagrants et répandus entre ces trois tendances, qui, au Canada, ont abouti au grotesque « convoi de la liberté », certaines voix à gauche se sont élevées (et le font encore!) pour défendre cette convergence comme l’expression d’une révolte populaire légitime contre les élites, qu’il faudrait soutenir et accompagner (les plus cyniques diraient exploiter…) plutôt que dénoncer et combattre au vu de ses dimensions réactionnaires, égoïstes et antiscientifiques.
Nous persistons à croire qu’il s’agit là d’une grossière faute d’analyse, comme le confirment les plus récentes orientations de la complosphère, et que la spirale antisanitaire observée au cours des dernières années est à la fois une manifestation de l’extrême droite et une occasion pour elle de faire rayonner ses thèmes et ses obsessions. Ce faisant, elle parvient à ouvrir considérablement sur la droite la fenêtre d’Overton, soit le spectre des idées acceptables au sein de la population générale. Comme pour élargir à un plus large public les chambres d’écho antisanitaires qui s’étaient formées sur les médias sociaux durant la pandémie (lesquelles s’appuyaient déjà largement sur les chambres d’écho xénophobes/islamophobes de la période précédente), la complosphère s’est dotée dans les dernières années de plateformes de diffusion s’inspirant, parfois explicitement, du concept de « réinformation » développée par l’extrême droite française depuis une vingtaine d’années.
C’est le cas notamment du projet Lux Média (anciennement le Stu Dio), animé par André « Stu Pit » Pitre, qui se réclame ouvertement de ce concept. Pitre et ses collaborateurs répandent non seulement tous les fantasmes du complot en vogue (innombrables variations sur le thème des vaccins mortifères, climatoscepticisme, grooming panic et pédosatanisme, le « Big Lie » de Trump et autres motifs de la fantasmagorie QAnon, etc.), mais aussi un nombre incalculable de menteries grossières (il est d’ailleurs permis de douter de la sincérité et de l’intégrité morale de Pitre, qui semble avant tout préoccupé par le maintien de ses sources de revenus) ainsi que de nombreux sujets appartenant historiquement à l’extrême droite, comme le « grand remplacement » et autres prétendues machinations des « mondialistes » (un euphémisme/dogwhistle antisémite) pour faire disparaître la civilisation occidentale. Il y a quelques années à peine, ces thèmes n’étaient vraiment abordés que dans les sphères de l’extrême droite idéologique, comme la Fédération des Québécois de souche, mais l’influence combinée des milieux nationaux-populistes de la période 2016-2019 et de la complosphère antisanitaire plus récente ont eu pour effet d’élargir considérablement le bassin des personnes qui y sont exposées. Le confusionnisme, c’est-à-dire le brouillage délibéré du sens des mots et des concepts politiques et leur détournement à des fins malveillantes, est un autre moyen employé par ces acteurs pour manipuler les esprits et favoriser l’adhésion à cet assemblage toxique de propos mensongers, de fantasmes du complot et de clichés d’extrême droite. (Mise à jour : Le 24 juin 2023, à l’occasion de la Saint-Jean-Baptiste, Lux Média a prêté ses locaux à Nomos-tv pour lui permettre de faire d’enregister devant public la deuxième édition de son événement spécial appelé « Saint-Jean de la race », ce qui signale un rapprochement clair entre les deux projets et confirme encore une fois la pollénisation croisée de l’extrême droite et de la complosphère.)
En quête perpétuelle de clics (que ce soit pour maintenir leur flux de revenus ou leur statut nouvellement acquis de petite vedette), une petite armée de leaders et d’influenceurs complotistes exploite l’anxiété générée par les crises du monde actuel, la peur du changement et la grande crédulité d’une partie de la population – qui est favorisée par la structure même des médias sociaux et la méfiance légitime à l’égard des les médias de masse – pour détourner et fanatiser une base déjà susceptible aux fantasmes de complot. Cette mécanique insidieuse fait en sorte que « l’agenda » complotiste est de plus en plus influencé, voire déterminé, par l’extrême droite, et que l’arrimage des deux est de plus en plus étroit.
Le prétendu « convoi de la liberté » en 2022, qui était dès le départ organisé par des militant·es identifié·es à l’extrême droite, a marqué à cet égard une accélération. L’opposition aux obligations vaccinales s’est vite transformée en opposition à la vaccination tout court, puis assez vite les délires complotistes QAnon et autres éléments de discours en rupture avec la réalité sont venus prendre de plus en plus de place dans la rhétorique des sympathisant·es lambda du convoi. Rappelons d’ailleurs ici que les Farfadaas, dirigé par Steve « l’Artiss » Charland, ex-lieutenant de La Meute, se sont impliqués à fond dans le convoi et le mouvement d’opposition aux mesures sanitaires, tout comme Mario Roy, une figure de premier plan de Storm Alliance et autres groupuscules islamophobes de la période 2016-2019.
En février dernier, soit un an après le démantèlement du convoi, Christine Anderson, une députée européenne de la formation allemande d’extrême droite Alternative für Deutschland (AfD), a été invitée à effectuer une tournée canadienne en surfant sur son soutien au convoi. Cette tournée était sponsorisée au Québec par la Fondation pour la protection des droits et libertés du peuple, dont le principal porte-parole, Stéphane Blais, s’est fait connaître pour les démarches judiciaires farfelues qu’il a entreprises contre le gouvernement du Québec. (Notons que les organisateurs de la conférence d’Anderson à Montréal ont dû déplacer l’événement à l’extérieur de la ville en raison des pressions antifascistes.) Récemment, un autre influenceur et pompe à fric complotiste, Samuel Grenier, a annoncé qu’il organisait à l’été 2023 une série d’événements suivant la même formule, cette fois-ci avec une députée du Rassemblement national (RN), le parti d’extrême droite français.
Mais sans doute le développement récent le plus significatif de la complosphère québécoise, du point de vue antifasciste, est la rapide fanatisation des discours anti-LGBTQ+, qui sont à la fois un élément central des fantasmes de complot contemporains et un thème récurrent de l’alt-right et de l’extrême droite religieuse. Au Québec, l’hystérie « anti-drag », qui a déjà fait des dégâts importants aux États-Unis sur le plan politique institutionnel, est principalement portée par le militant anti-vaccin François Amalega Bitondo. Celui-ci est proche des courants évangélistes qui ont fait leur beurre durant la pandémie, comme Carlos Norbal, le pasteur-entrepreneur (sic) à la tête de l’Église Nouvelle création, et les animateurs de la chaîne ThéoVox.tv, dont Jean-François Denis. Il est aussi un invité récurrent de Lux Media et exerce une forte influence sur la complosphère par ses interventions régulières sur les médias sociaux. Il se consacre désormais entièrement à la croisade anti-LGBTQ+, ayant notamment organisé (ou tenté d’organiser…) une série de manifestations contre les heures du conte en drag de l’artiste et pédagogue Barbada. Pour l’instant, ces rassemblements (le 2 avril à Sainte-Catherine et le 16 mai à Mercier-Est) ont été mis en déroute par la communauté trans et queer antifasciste, mais au moment d’écrire ces lignes, Amalega ne montre aucun signe de vouloir ralentir ses ardeurs homophobes/transphobes et a lancé un appel à manifester à Jonquière, le 26 mai. Appel auquel ses suiveux·ses de la région semblent vouloir donner suite.
La vive opposition antifasciste à l’offensive haineuse des conspis en a surpris plus d’un·e – dont Amalega lui-même –, puisqu’iels découvrent une forme de résistance qui leur avait largement échappé jusque-là. Citons à ce propos le compte-rendu de la contre-manifestation du 2 avril produit par Montréal Antifasciste :
« Il convient de dire ici que le milieu complotiste a largement été épargné par les antifascistes au cours des trois années marquées par la pandémie. Malgré la proximité maintes fois explicitée entre l’extrême droite et les fantasmes de complot, les enjeux d’ordre sanitaire relèvent pour l’essentiel de choix personnels, et il est compliqué et délicat d’intervenir contre des personnes et des regroupements sans contours clairs dont le principal défaut est d’adhérer à des balivernes antiscientifiques. Une ligne est toutefois franchie lorsque ces fantasmes de complot visent directement nos communautés et compromettent notre sécurité à court, moyen et long terme. C’est cette ligne que franchissent actuellement les anti-drag et les transphobes avec leur panique bidon, et il est absolument nécessaire de leur envoyer le message que les communautés queers et trans ne se laisseront pas intimider sans se défendre. Qu’il ne subsiste aucun doute à cet égard : si les queerphobes/transphobes persistent dans leur démarche de diabolisation de nos communautés, iels nous trouveront toujours sur leur chemin. Queers bash back, darling… »
La galaxie des « réinformateurs »
Outre les plateformes déjà mentionnées, comme Nomos.tv et Lux Media, un certain nombre d’autres projets médiatiques participent activement à cette convergence des sphères complotistes et de l’extrême droite.
Le plus influent durant la pandémie était sans doute Radio-Québec, animé par Alexis Cossette-Trudel. Radio-Canada a démontré en 2020 que Cossette-Trudel était l’un des principaux passeurs des délires QAnon dans le monde. Celui-ci a d’ailleurs été déplateformé (de Facebook en octobre 2020, et de Twitter en janvier 2021), mais la nouvelle administration de Twitter, qui s’avère un grand allié de l’extrême droite et de la désinformation, a tout récemment jugé bon de lui redonner l’accès à son compte. Radio-Québec reste sans aucun doute l’une des plus importantes plateformes complotistes au Québec à l’heure actuelle.
Un autre projet qui a vu le jour dans la foulée de la pandémie, sur une plateforme quasi complotiste fortement marquée à droite, est Libre-Média. Son rédacteur en chef est Jérôme Blanchet-Gravel, une espèce de Mathieu Bock-Côté de pacotille qui a fait de la misogynie un véritable mode de vie. Disant se porter à la défense de la « liberté de presse et d’expression », Libre-Media reprend en fait tous les thèmes de la complosphère antisanitaire et relaie plusieurs fantasmes de complot en vogue, sur une ligne éditoriale agressivement « anti-woke ».
Rebel News Québec, une section locale du média « alt-light » d’Ezra Levant qualifié par Radio-Canada de « site de fausses nouvelles », a vu le jour en 2022. C’est essentiellement le one-woman-show de la très cringeAlexandra (Alexa) Lavoie, secondée dans sa démarche par un certain Guillaume Roy. Le style de la maison est brouillon et incompétent (tout en revendiquant un statut de journalisme professionnel), mais ça n’a aucune importance, car le but de l’entreprise est de provoquer et d’alimenter la colère de la base complotiste. Il suffit de voir pour s’en convaincre le particulièrement pathétique reportage sur l’action de défense communautaire contre les anti-drag du 16 mai.
Nous avons déjà mentionné la plateforme évangéliste ThéoVox.tv, un studio de web télé doublé d’un « ministère », qui relaie et alimente les obsessions du complotisme antisanitaire en les enrobant d’un discours moralisant hyperconservateur. ThéoVox accueille régulièrement François Amalega sur son plateau, où il répand librement sa hantise des LGBTQ+. Amalega est aussi un favori du pasteur Carlos Norbal, qui l’invite même à l’occasion à prêcher lors de ses services dominicaux!
Il existe en outre toute une galaxie de vlogueurs·euses complotistes plus ou moins influent·es, qui ensemble forment un écosystème fermé où les fantasmes de complot aux accents fascisants circulent librement. Nommons Stéphane Blais, Dan Pilon, Amélie Paul, Samuel Grenier, Carl Giroux, Jonathan « Joe l’Indigo » Blanchette, Mel Goyer, Maxime « le policier du peuple » Ouimet et une pléthore d’autres coucous de la même portée.
Fermons ce tour d’horizon en mentionnant la chaîne Odyssée (une alternative à YouTube extrêmement accueillante pour l’extrême droite, où s’est notamment réfugié Nomos.tv) de Jean-François Gariépy, un ethnonationaliste québécois jouissant d’une notoriété et d’une influence considérables dans ce qu’il reste du milieu alt-right à l’échelle internationale.
Prendre la mesure du problème et agir en conséquence…
Bien entendu, il n’y aura pas de solution simple à la montée de l’extrême droite, ni au problème endémique des fantasmes de complot qui intoxiquent une partie considérable de la population par le truchement des médias sociaux. Il est toutefois important de connaître les sources de la toxicité et ses principaux facteurs si l’on espère l’endiguer un tant soit peu. Il importe également de comprendre la mécanique par laquelle ces fantasmes favorisent la fanatisation de la base complotiste et l’essor de l’extrême droite, dont les thèmes sont de plus en plus exploités par ces mêmes « réinformateurs » malveillants.
La question se pose ensuite de la marche à suivre pour renverser la vapeur… Comme nous l’avons déjà écrit, ces développements sont avant tout conditionnés par des facteurs systémiques : crise de confiance à l’égard des institutions de pouvoir, multiples crises imbriquées (dont celle du capitalisme en tant que tel), pertes des repères et érosion des privilèges de la classe moyenne blanche hétéronormative, intégration des éléments de programmes de la droite populiste dans le mainstream culturel et politique, etc. La logique élémentaire voudrait donc que toute proposition de solution durable tienne compte de ces facteurs et revête également un caractère systémique.
Il importe par ailleurs de prendre en considération l’attitude du système face à ces phénomènes et d’anticiper ses conséquences sur nos propres mouvements. Il convient par exemple de mentionner la manière dont l’État et les différents centres du pouvoir capitaliste utilisent la peur du fascisme pour consolider de nouveaux outils de répression. On l’a bien vu, par exemple, dans le contexte du « convoi de la liberté », avec la législation d’urgence, la démonétisation des organisateurs·trices et les différentes manières dont la peur du fascisme a été invoquée par les commentateurs de droite et libéraux pour justifier les mesures extraordinaires de répression. Non seulement l’antifascisme libéral ne remet pas en cause le système, il peut aussi facilement devenir un moyen pratique de consolider un système politique répressif et de réaffirmer la légitimité de l’État à écraser toustes ses opposant·es, quel que soit leur positionnement idéologique. Comme nous l’écrivions quelques mois après le convoi :
« Plusieurs ont aussi accueilli favorablement la loi d’exception invoquée par le gouvernement pour mater quelques centaines d’hurluberlus frustrés. Un tel enthousiasme à l’égard de la répression trahit une mauvaise compréhension des rapports entre l’État bourgeois et les mouvements sociaux. La principale utilité du recours à cette mesure pour le gouvernement, au-delà des pouvoirs immédiats qu’elle lui conférait pour saboter l’organisation des anti-vaxx, a été de créer un précédent pour les prochaines occasions de réprimer les mouvements de dissidence ou de désobéissance populaires, qu’ils soient progressistes ou réactionnaires. Ce précédent devrait donc fortement inquiéter quiconque sympathise avec les mouvements pour la justice sociale et économique, la décolonisation ou la protection de l’environnement qui pourraient être portés à mener des actions de désobéissance à l’avenir. On peut sans difficulté anticiper les éventuelles réactions de l’État, par exemple, quand des communautés autochtones reprendront des moyens extralégaux pour défendre leurs territoires ou quand la nouvelle génération recourra inévitablement aux actions directes pour réclamer des transformations radicales de la société et de la gouvernance au regard des changements climatiques qui se précipitent. Si la mesure législative exceptionnelle est employée cette fois-ci contre un groupe dont les pulsions réactionnaires nous répugnent, rien ne garantit qu’elle ne sera pas invoquée plus tard pour réprimer des revendications qui nous tiennent à cœur. En fait, l’histoire nous enseigne que la répression s’est presque toujours abattue avec plus de zèle et de force sur les mouvements progressistes que sur les mouvements réactionnaires… »
///
Quelles sont donc nos perspectives, en 2023, pour contrer efficacement la normalisation des thèmes d’extrême droite et la dangereuse convergence réactionnaire décrite ci-dessus, mais aussi la reproduction des systèmes de domination qui en sont la cause? Nous croyons qu’une partie du défi qui se pose à nous est d’arrimer la multitude des résistances particulières dans un mouvement social antifasciste large et unitaire. C’est-à-dire multiplier les solidarités de sorte que, par exemple, les dimensions antiraciste, anticolonialiste et anti-hétéropatriarcale de la lutte antifasciste (et toute autre dimension) progressent simultanément et s’arriment en même temps aux mouvements écologistes et anticapitalistes. Pour citer à nouveau notre texte de mai 2022 :
« En tant qu’antifascistes et anticapitalistes, nous croyons qu’il faut impérativement penser et actualiser la résistance, non seulement à l’extrême droite et à la menace fasciste, mais aussi à l’État bourgeois et aux institutions de pouvoir connexes qui renforcent l’hégémonie néolibérale et l’ordre social colonial. L’État bourgeois ne veut pas notre bien, et les tensions entre les intérêts des différentes classes sociales sont aussi irréconciliables aujourd’hui qu’elles l’ont toujours été. (…) Face à l’extrême droite et à la menace fasciste, d’une part, et à l’hégémonie néolibérale, d’autre part, notre souhait le plus cher est de voir le camp de l’émancipation se rallier autour d’un projet à la fois antiraciste/antifasciste, féministe, anticapitaliste et anticolonialiste. »
Il faut aussi, bien sûr, s’atteler concrètement à la pénible tâche de déconstruire les discours complotistes et d’exposer leur ancrage dans l’extrême droite, et ce, sans s’y perdre. Ce qui est plus facile à dire qu’à faire, au vu de la loi de Brandolini, qui énonce que « la quantité d’énergie nécessaire pour réfuter des sottises est est d’un ordre de grandeur supérieur à celle nécessaire pour les produire ». Mais il faut bien que la raison triomphe, alors il nous faudra trouver collectivement les moyens de résoudre cette problématique.
Dans le même ordre d’esprit, en guise de tâche concrète, il nous semble essentiel de déconstruire au quotidien, dans nos milieux de vie et de travail, l’hystérie anti-woke qui a empoisonné l’espace public ces dernières années. Par définition, la personne qui se dit anti-woke affirme essentiellement être anti-antiraciste, anti-antisexiste, anti-égalité, anti-justice sociale et, ultimement, anti-empathie! En d’autres termes, être anti-woke, c’est avouer son désarroi devant un monde qui change et évolue vers une plus grande acceptation de la différence et de la diversité, vers une décomposition de la suprématie blanche et hétéropatriarcale, et vers une situation de justice et d’égalité plus généralisée. C’est la définition même d’un état d’esprit réactionnaire, et il nous emble nécessaire de combattre cette tendance de plus en plus présente dans l’espace public et la culture générale. Sans nécessairement accepter sans broncher l’étiquette « woke » qu’on cherche bêtement à leur accoler (qui a ce stade-ci, de toute façon, ne désigne plus qu’une caricature vidée de toute substance), nos mouvements doivent reconnaître et continuer à faire valoir l’importance de « rester woke », au sens original du terme, c’est-à-dire de demeurer sensible aux injustices et aux inégalités d’ordre systémique et de s’engager au mieux de notre possible pour les démanteler.
Et finalement, comme toujours, « nous invitons nos sympathisant·e·s à renouveler leur engagement dans la pratique antifasciste, c’est-à-dire dans l’autodéfense populaire/communautaire, et ce, sans jamais perdre de vue l’horizon révolutionnaire. Car une véritable émancipation ne s’obtiendra jamais par la pétition. »
///
¡No pasarán!
[1] La crise des « accommodements raisonnables » est une séquence de controverses largement fabriquées et montées en épingle, entre 2006 et 2008, par les médias populistes de l’empire Québecor et des formations politiques opportunistes, dont l’Action démocratique du Québec de Mario Dumont (précurseur direct de la Coalition avenir Québec, formée en 2011) et le Parti québécois, dont le projet de « charte des valeurs » (2013) était porté par Bernard Drainville, lequel est aujourd’hui… au service de la CAQ!
Attention : cet article contient des éléments de contenu explicitement homophobes, racistes et antisémites.
Le 8 juillet prochain doit avoir lieu à Québec une manifestation « contre la propagande LGBTQ dans les écoles et les institutions ». Cette manifestation s’inscrit en fait dans une série d’événements organisés depuis quelque temps au Québec dans l’intention apparente de diaboliser les communautés LGBTQ et leurs allié·es. Le prétexte pour tenir ce rassemblement devant le Musée de la civilisation de Québec est une exposition en cours examinant « les multiples réalités liées aux identités de genre ».
François Amalega Bitondo, dont nous avons parlé à plusieurs reprises au cours des derniers mois, est à nouveau impliqué dans cette mobilisation, mais il n’en est pas l’instigateur. Peut-être pour renforcer une crédibilité quelque peu ébranlée, il s’est cette fois-ci associé sur Facebook à de mystérieux « jeunes » qui disent être à l’origine de la démarche.
Mais qui sont ces fameux jeunes? Et d’où exactement provient cet appel à manifester? Cet article vise à démontrer que les initiateurs de la manifestation anti-LGBTQ du 8 juillet sont en fait un petit groupe de jeunes néonazis du clavier (dont un personnage que nous suivions déjà depuis quelques années) et que la base d’appui de cette mobilisation est fermement ancrée dans les réseaux d’extrême droite et néonazis québécois, dont l’entourage du Parti nationaliste chrétien de Sylvain Marcoux, qui exerce manifestement un ascendant considérable sur ces jeunes esprits.
À la lumière des renseignements exposés dans cet article, il est plus évident que jamais que les communautés concernées et leurs allié·es doivent se mobiliser et résister par tous les moyens nécessaires à la montée de la haine anti-LGBTQ, qui remplit clairement aujourd’hui une fonction de fanatisation des sphères conservatrices et complotistes.
Une contre-manifestation aura d’ailleurs lieu à Québec le 8 juillet; restez à l’affût pour plus de renseignements.
///
Qui est « Lucas Ali Boucher Thériault »?
Pendant plusieurs semaines suivant la création de l’événement Facebook par un certain Lucas Ali Boucher Thériault, le 8 juin 2023, les deux seuls organisateurs listés publiquement étaient celui-ci et le militant complotiste François Amalega.
Plus récemment, d’autres coorganisateurs ont été listés, dont Carl Giroux, un influenceur antisanitaire, et deux autres individus qui semblent être connectés (du moins par les médias sociaux) au jeune Boucher Thériault : Justin Crépeau, de Québec, et le compte « Chose Mat ».
Lucas Boucher Thériault est un résident de la région de Lanaudière (Joliette, Saint-Jean-de-Matha) qui n’a pas plus de 15 ou 16 ans aujourd’hui, mais qui était déjà sur notre radar depuis quelques années en raison de ses activités douteuses sur les médias sociaux. Nous l’avons notamment suivi sur Instagram et Twitter ainsi que sur la plateforme Discord, où il a créé une chaîne à saveur « identitaire » alors qu’il n’avait que 13 ans.
À l’été 2021, son activité trahissait déjà un ancrage à l’extrême droite, et manifestement, le jeune Lucas n’a fait que se fanatiser depuis. En plus de reprendre tous les motifs antisémites bien connus (il recommandait récemment sur Twitter un documentaire de propagande néonazie extrêmement populaire dans ces réseaux), son discours s’est porté avec insistance sur les communautés LGBTQ, qu’il associe intégralement au « grooming », soit le conditionnement des personnes mineures à des fins d’exploitation sexuelle. Cette vieille obsession de l’extrême droite – qui se conjugue au vieux fond d’homophobie tout droit hérité de la morale religieuse – agite particulièrement les milieux complotistes depuis quelque temps, comme en fait foi le langage halluciné (et explicitement transphobe) entourant les récentes tentatives de mobilisation contre les heures du conte en drag.
En juin 2021, Lucas Boucher Thériault crée le compte « lucas_le_patriote » sur Instagram; de l’été à l’hiver 2021, plusieurs autres comptes sont aussi créés sous différents pseudonymes, et de nombreux indices (photos, vêtements et accessoires, références croisées et redondances, etc.) permettent facilement d’établir le lien avec Lucas Boucher Thériault; dans les captures d’écran ci-dessous, tout indique que les comptes « Metalbuzz268 », « Vector_the_boss », « Blair_insta_ », « Tomate_kasher88 » et « Lucasbackup14 » sont tous administrés par lui. Notez l’utilisation des chiffres 14 et 88, deux codes néonazis notoires, et les nombreux autres référents d’extrême droite. Même en l’absence d’indices probants, nous croyons que le compte « Tabarnak38tabarnak » s’inscrit dans le même petit système. Il pourrait toutefois aussi appartenir à un comparse. Nous laisserons nos lecteurs·rices tirer leurs propres conclusions à cet égard.
De juin à août 2021, Lucas Boucher Thériault déploie également son activité sur la plateforme Discord, sous les pseudos « Commander Lucas » (Christian Power) et, plus tard, « Loyalty ». Après avoir créé la chaîne « Québec identitaire » (d’abord baptisée « Xero’s Anti-Governement », puis « Nam Deus »), il y évoque avec d’autres la création d’une milice patriotique, à laquelle il consacre un salon de discussion. Il y publie même un « manifeste » (en réalité, une fort mauvaise dissertation d’anglais), dont les métadonnées révèlent son identité en propre. C’est au moins en partie dans ce bouillon toxique que s’est opérée sa fanatisation.
Il « arrive sur Twitter » en octobre 2021 avec le compte @knowyourenemyt_ (créé en juillet 2018). Il y adopte le pseudo « Bad Goy » (goy signifie non-Juif). En guise d’exemples de son activité, il y fait la promotion de la plateforme de diffusion web antisémite Goyim.tv et de la Goyim Defense League, décrite par l’Anti-Defamation League comme un réseau informel d’individus dont l’objectif général est « de jeter l’opprobre sur les Juifs et de répande des mythes et des théories du complot antisémites »; le 15 juin dernier, il a relayé un tweet du groupe néonazi Active Club de Californie; le 17 juin, suite à la disparition en mer de centaines de réfugiés au large des côtes grecques, Lucas Boucher Thériault relaie un tweet se désolant que 12 personnes d’origine pakistanaise aient survécu au naufrage…
Il est tout à fait légitime de penser que Lucas Boucher Thériault n’est qu’un enfant en mal d’attention qui a fait une série de choix déplorables sous l’influence d’idéologues malveillants; c’est rigoureusement vrai. Toutefois, du moment que les mauvais choix de cette jeune personne le mènent à s’afficher comme nazi – pendant plusieurs années et sans aucun signe de vouloir ralentir son dérapage – pour finalement organiser publiquement une manifestation anti-LGBTQ, une ligne rouge est dépassée. Nous croyons qu’il devient alors nécessaire de le dénoncer tout aussi publiquement. Le même raisonnement s’applique aux autres jeunes nommés dans cet article.
Nous ne prenons aucun plaisir à exposer ce jeune homme et ses acolytes aux conséquences de leurs actes, mais certaines leçons importantes doivent être apprises à la dure quand le bon sens élémentaire ou l’encadrement parental ne suffisent pas à rectifier la mauvaise trajectoire. Le niaisage nazi derrière un clavier, c’est une chose; l’organisation in real life, c’en est une autre. Et il n’est jamais trop tôt pour comprendre qu’à ce jeu, les conséquences sont proportionnelles au niveau d’engagement.
L’amplification du signal de la manif du 8 juillet
Le rôle de Lucas Boucher Thériault ne fait donc aucun doute, mais nous croyons également utile de retracer l’origine de cet appel à manifester ainsi que la chronologie de son amplification, qui révèle le rôle des autres nazillons dans ce plan foireux.
Sur Telegram
Le 2 juin est créé le canal Telegram « Comité Anti-Grooming », qui se décrit comme un « groupe de dissidents opposés à la propagande lgbt sur les jeunes ». L’appel à manifester y est publié. Il est également relayé sur Instagram le 14 juin par un compte du même nom (rebaptisé récemment anti_grooming_quebec), dont une autre utilisatrice d’Instagram affirme publiquement qu’il est administré par Justin Crépeau. Première coïncidence…
Le 7 juin 2023, le compte Telegram « FierCF » (@Skullmaskowner1488) relaie l’appel sur la chaîne publique « Clavardage Nomos-TV ».
À noter que l’avatar du compte « FierCF », au moment de cette publication, était un totenkopf (insigne des SS) et que son nom d’utilisateur était @Skullmaskowner1488 (le masque de tête de mort et le chiffre 1488 sont deux motifs de référence néonazis). L’utilisateur en question a plus tard changé son pseudo pour @fuckni****rs1488 (le mot raciste est ici caviardé), et plus récemment pour @jeanpatriote14. Au moment de rédiger ceci, son avatar est un Carillon Sacré-Cœur. On remarque ici la transposition des symboles du nationalisme canadien-français sur ceux du nazisme.
Il n’est pas possible d’affirmer avec certitude que ce compte Telegram est lié aux jeunes coorganisateurs nommés ici, mais des indices forts permettent de le croire (comme nous le démontrons ci-dessous) et les efforts de cet utilisateur pour promouvoir la manifestation du 8 juillet sur la chaîne de Nomos coïncident parfaitement avec l’activité des autres comptes de médias sociaux cités ici au cours du mois de juin.
Le 8 juin, Lucas Boucher Thériault crée l’événement Facebook pour la manifestation; il est relayé le même jour par le Parti nationaliste chrétien, le groupuscule d’inspiration néonazie de Sylvain Marcoux.
Le 22 juin, « FierCF » confirme dans le salon de clavardage de Nomos que la manifestation aura bel et bien lieu.
Sur Twitter
Tout porte à croire que le compte @AntiwokeL73304 (créé en juin 2023) est aussi administré par l’un ou l’autre des coorganisateurs de la manifestation du 8 juillet. Même si le nom et l’habillage du compte ont été modifiés depuis, pendant quelques jours le pseudo public était « Anti-f****t Army » (le terme homophobe est ici caviardé) et son avatar était un totenkopf. La description du profil comportait la mention « Également un fier NS », soit national-socialiste, c’est-à-dire, nazi. Le nom actuel du compte @AntiwokeL73304 est « Vieux rat grincheux ».
Le 13 juin, après avoir relayé la publication d’Amalega sur la manifestation, « Vieux rat grincheux » révèle dans un commentaire qu’il fait partie des organisateurs; deux jours plus tard, il s’étonne que les antifascistes n’aient pas encore parlé de sa manif de merde. (Voilà qui est fait.) On confirme rapidement en consultant les abonnés et les abonnements du compte que cet utilisateur est dans la sphère d’influence de Nomos-tv et du Parti nationaliste chrétien de Sylvain Marcoux.
Sur Facebook
À peu près au même moment, Justin Crépeau (« el_grand_zouf » sur Instagram), qui est listé sur Facebook comme coorganisateur de la manifestation du 8 juillet, en fait aussi une promotion active sur différentes pages.
Quant au coorganisateur « Chose Mat », nous n’avions extrait aucune information concluante à son sujet, à part qu’il dit avoir étudié au CÉGEP de Lévis et qu’il suit sur Facebook François Amalega, Le Harfang (Fédération des Québécois de souche), Nouvelle Alliance (une Nouvelle Amanchure nationaliste cryptofasciste), le Parti nationaliste chrétien de Sylvain Marcoux (encore lui, tiens tiens), les Éditions Tardivel (rattachées à des militants d’Atalante) et une page vide dont l’avatar est le logo du défunt forum néonazi Iron March…
Or, il se trouve qu’en novembre dernier, un certain Justin Crépeau (oui oui!) avait contacté Montréal Antifasciste par Messenger pour nous demander si nous avions vraiment l’intention de « faire un article sur lui ». De toute évidence, quelqu’un (pas nous) a dû brandir cette menace pour l’intimider. Avant même que nous répondions quoi que ce soit à ce premier message, il s’est empressé de dénoncer « un autre fasciste d’extrême droite neo nazi (notez ici la formulation “un autre”…) qui appelle à la mort des juifs et des noirs c’est **** **** il a 19 ans et vit à st-jean chrysostome lévis (sic) ».
Mise à jour : Le lendemain de la publication de l’article, le jeune **** **** a communiqué avec nous sur le conseil d’une amie. Il jure avoir été ajouté comme coorganisateur sans son consentement par Lucas Boucher Thériault. Il nous assure n’avoir aucune affinité politique avec les deux autres organisateurs et n’avoir jamais eu l’intention d’organiser, ni même de participer à cette manifestation. Il dit avoir suivi les pages fascistes dans le seul but de s’informer afin de « troller ». Il affirme également que la dénonciation le visant est un coup monté par Justin Crépeau. Selon lui, Justin Crépeau est le véritable maître d’œuvre de la manifestation du 8 juillet, et Lucas Boucher Thériault en est le seul autre véritable coorganisateur, avec le soutien de François Amalega. Nous lui accordons le bénéfice du doute et avons choisi de modifier l’article en conséquence.
Carl Giroux, pour sa part, est un coucou à calotte qui fait des vidéos de frustré dans son char, comme la pandémie en a généré des hordes. Il anime la page Facebook LibreChoix, qui a épousé la cause anti-LGBTQ sous l’effet de mode des derniers temps. On n’a pas grand-chose à dire sur ce douchebag du peuple, sinon qu’il était présent à la manif anti-drag de Mercier-Est le 16 mai dernier et que l’hostilité qu’il y a rencontrée l’a apparemment pris par surprise. Giroux ignore possiblement tout du pedigree néonazi de ses petits camarades, mais il n’aura plus le bénéfice du doute à la lecture de cet article. Gageons qu’il dira que les antifas ont tout inventé sous la direction de George Soros et les globalistes.
Et qui se profile en fait derrière ces nazillons?
Au-delà des détails sordides, qu’est-ce que notre démonstration révèle de ces adultes qui s’associent à de jeunes personnes dont ils ignorent tout dans le seul but de booster la crédibilité de leur croisade haineuse contre les drag queens, les personnes trans et la « théorie du genre »? Et que penser en revanche de ces jeunes néonazis racistes qui profitent de l’influence d’un coucou d’origine camerounaise pour s’introduire dans le mouvement populiste anti-LGBTQ? Dans les circonstances, on serait bien embêté de dire qui est l’idiot utile de qui…
Mais s’il faut parler de grooming, au-delà de la panique morale qui vise injustement les communautés LGBTQ, il serait sans doute plus pertinent de s’interroger sur l’influence extrêmement toxique qu’exercent des faux prophètes et idéologues fascistes comme Sylvain Marcoux et son parti néonazi, ou Alexandre Cormier-Denis et Nomos-tv, sur une partie de la nouvelle génération peut être trop susceptible à leurs bêtises et leur propagande haineuse. Ce sont eux, les véritables responsables de ce gâchis, tout comme ceux qui, sous un langage plus châtié, attisent les mêmes anxiétés dans les médias et l’arène politique.
Il faut peut-être aussi se livrer à un constat d’échec collectif, si nous avons effectivement permis que la mémoire de l’Holocauste se soit à ce point perdue et que l’épouvantable héritage du nazisme puisse aujourd’hui exercer un tel attrait sur une partie de la nouvelle génération.
C’est bien davantage là que réside le danger imminent pour la société québécoise, en 2023, que dans une exposition muséale sur la diversité de genre, les heures du conte en drag ou les allées et venues de membres des communautés LGBTQ qui ne demandent rien d’autre que de vivre leur vie dans la paix et la dignité.
Ne laissons pas ce fléau se répandre. Combattons farouchement l’influence des empoisonneurs.
Commentaires fermés sur Communiqué de la contre-manif de drag defense du 16 mai
Mai172023
Soumission anonyme à MTL Contre-info
Le mardi 16 mai à 17h, un groupe proche de l’extrême droite mené par le complotiste François Amalega a lancé l’appel à manifester devant la Maison des familles de Mercier-Est (700 rue Georges-Bizet) dans le but de s’opposer à la tenue d’une heure du conte pour enfants avec la drag-queen Barbada. Les homophobes/transphobes ont été attendu·es de pied ferme par des antifascistes et des militant·es queer et trans, car où qu’ils aillent pour propager leur haine, nous sommes présent·es pour leur barrer la route et défendre nos communautés.
Aujourd’hui, 300 manifestants fabuleux·ses et déterminé·es ont fait face à une toute petite poignée de militants d’extrême-droite, tout au plus étaient-iels 5. On est loin des chiffres qu’Amalega était capable de rassembler pendant les confinements ou même à Sainte-Catherine le 2 avril. On voit que quand nos communautés s’organisent et se défendent, on est capable de mettre en déroute leur mouvement! C’est une excellente nouvelle et démonstration de force des milieux Queer/Trans et antifasciste, pourtant on ne baisse pas notre garde. On sait qu’il planifie d’autres manifestations similaires et nous sommes prêt·es à défendre nos communautés.
Le contexte : Depuis quelques mois, l’extrême droite canadienne – notamment sous l’influence des mouvements complotistes et évangélistes – a importé des États-Unis l’obsession anti-trans et anti-drag (puisqu’ils confondent les deux, et utilise les seconds pour s’en prendre au premier) et repris l’idée de manifester contre les « heures du conte en drag ». Ces manifestations réactionnaires font partie d’une montée grandissante de la violence envers les vies trans et LGBTQ+.
L’action anti-drag du 16 mai fait suite à une action semblable à Sainte-Catherine, le 2 avril dernier, qui était l’un des premiers événements de ce genre organisé au Québec. Cette journée-là, des néonazis du groupe « White Lives Matter » se sont mêlés aux anti-drag pour intimider les contre-manifestant·es antifascistes, mais celleux-ci se sont défendu et les ont repoussés avec succès.
Pourquoi ne pas laisser la police s’en occuper? Parce que la police n’a jamais été un allié des communautés LGBTQ+; au contraire, la police nous a activement réprimé, souvent dans la violence et, encore aujourd’hui, malgré sa rhétorique inclusive le SPVM perpétue la marginalisation des personnes queers, des travailleur·euses du sexe, des Autochtones et des personnes noires et racisées dans notre ville. Dans les dernières années, le SPVM a même régulièrement protégé les manifestations d’extrême droite! C’est pourquoi nous scandons que « la police est au service des riches et des fascistes ». Devant ce constat, nous avons décidé de prendre en charge nous-mêmes, en tant que communauté, la défense de nos espaces.
Amour et rage!
Pour des communautés vraiment solidaires et inclusives, veillons activement à notre propre sécurité!
Pour rester au fait des prochaines mobilisations de défense communautaire —
En 2007, durant les préparatifs d’actions contre la Convention Nationale Républicaine de 2008, un réseau insurrectionnel d’anarchistes queers s’est formé sous le nom de Bash Back! Au cours des trois années qui ont suivi, ce réseau a participé à une série de confrontations, d’efforts d’organisation et de publications, qui ont élargi et intensifié la lutte contre la normativité de sexe et de genre. Aujourd’hui, alors que les fascistes et autres fanatiques réitèrent leurs assauts contre les personnes queer et trans et que les anarchistes ripostent, il est urgent de renouveler la coordination et l’innovation. Dans ce contexte, les participants du réseau originel Bash Back! ont appelé à une nouvelle convergence Bash Back! en septembre 2023.
Dans leurs propres termes,
Les années qui viennent de s’écouler ont été marquées par l’intensification – de la crise, de l’aliénation, de la défaite et de la lutte. La droite ne se réfugie plus derrière des euphémismes : elle veut exterminer les personnes queer et trans. Face à cela, la gauche n’offre que de fausses solutions : voter, faire des dons, s’assimiler. Une décennie de représentation, de victoires juridiques symboliques, d’activisme sur les médias sociaux et de saturation du marché de masse ont aggravé notre situation à tous points de vue. Nos amis des beaux jours ne nous sauveront pas des conséquences de leur stratégie de visibilité vide. La conclusion inéluctable est que nous devons nous réunir pour nous protéger nous-mêmes.
L’histoire nous montre que l’héritage queer consiste à créer des liens dans un monde qui nous hait, qu’il est un héritage de joie émeutière, un héritage de riposte. Les attaques se poursuivront contre nos clubs, nos parcs, nos lectures drag de contes et nos frères et nos sœurs. Pour résister, nous avons besoin d’espaces – souterrains si nécessaire – pour nous retrouver, des espaces pour nous ressouvenir, pour construire, pour partager et pour conspirer.
Pour approfondir l’héritage de Bash Back! et ses possibilités actuelles, nous avons réalisé l’entretien suivant avec d’ancien.ne.s membres de Bash Back! qui prennent part à l’organisation de la prochaine convergence.
Parlez-nous de l’assemblée de septembre. Que peut-on faire pour y participer ou y contribuer ?
La convergence 2023 Bash Back! aura lieu à Chicago du 8 au 11 septembre. Nous invitons tous nos camarades queers pour un week-end de construction d’un réseau, d’apprentissage mutuel et d’élaboration de nouvelles stratégies et tactiques pour lutter contre l’ordre social. Nous organisons cet événement parce qu’il y a eu tant d’exemples stimulants de personnes queer qui ont riposté contre les fanatiques – par exemple, les réactionnaires qui essaient de faire fermer les spectacles de drags. Toutefois, nous avons besoin de plus de cohésion et de plus de stratégie, en raison notamment de l’escalade des agressions à l’encontre des personnes queer et trans dans tout le pays et dans le monde entier. Bien entendu, ces violences s’inscrivent dans le contexte d’une crise du capital profondément enracinée et qui ne cesse de s’aggraver, et d’une crise climatique qui s’intensifie de jour en jour.
Plus spécifiquement, il y a un besoin manifeste de construire une tendance queer combative qui soit anticapitaliste, anti-état et anti-assimilationniste. Les libéraux et les sociaux-démocrates ont promu l’assimilation afin que les personnes queer et trans puissent être utilisées comme des pions politiques, à sacrifier lorsque cela leur est opportun électoralement. Toute avancée dans la guerre culturelle n’a conduit qu’à la subsomption du queer à la logique du capital et à la fausse liberté agitée par la politique de consommation.
Pour ce qui est de la participation ou de la contribution, l’essentiel pour l’instant est que nous recherchons des gens pour prendre part au programme de la convergence. Nous acceptons les propositions jusqu’au 20 juin. En dehors de la programmation, la tâche la plus importante que les gens puissent entreprendre est celle de renforcer les relations et les affinités avec les membres de leurs communautés. Cela a toujours été l’essence de Bash Back! qui n’a jamais été une organisation centralisée mais plutôt un réseau de partage d’idées et de camaraderie.
Bash Back! a vu le jour à l’approche de la Convention nationale républicaine de 2008. Le fait qu’il ait vu le jour dans le Midwest plutôt que sur les côtes a-t-il influé sur son caractère et son développement ?
Les origines de Bash Back ! s’ancrent dans un contexte qui, une décennie et demie plus tard, semble très éloigné. Je pense que deux éléments ont joué un rôle essentiel dans le climat politique qui a donné naissance à Bash Back! : la méthode de protestation du “summit-hopping” et la popularité croissante de l’anarchisme insurrectionnel au sein du milieu anarchiste/radical de l’époque. Par “summit-hopping”, j’entends les grandes manifestations contre les rassemblements de capitalistes, comme le sommet de l’Organisation Mondiale du Commerce à Seattle en 1999 et les réunions du Fonds Monétaire International, de la Banque mondiale, du G8 et du G20 tout au long des années 2000. Rétrospectivement, ces manifestations ont été spectaculaires et très médiatisées, mais en grande partie symboliques. Ensuite, l’anarchisme insurrectionnel a gagné en popularité, en particulier, je pense, auprès des personnes qui avaient été politisées ou radicalisées par le mouvement anti-guerre, mais qui voyaient aussi dans ce mouvement son échec total. En termes de tactique, l’accent était mis sur les groupes d’affinité et les black blocs.
Dans ce contexte, l’idée originale de Bash Back! est née de l’organisation de la perturbation de la Convention Nationale Républicaine (CNR) dans les Twin Cities (Minneapolis/St. Paul, Minnesota) en 2008. Lors d’une séance de stratégie à Milwaukee en 2007, l’idée d’un blocus queer/trans de la CNR a germé, et Bash Back! s’est développé à partir de cette idée initiale.
L’un des aspects les plus significatifs de la forme originelle de Bash Back ! est qu’il s’agissait en grande partie d’un projet d’anarchistes du Midwest. À l’époque, une grande partie de l’activisme queer “radical” ou progressiste le plus visible provenait des côtes, avec des milieux militants bien établis qui souvent en venaient à étouffer les nouvelles idées ou qui étaient empêtrées dans l’idéologie de la non-violence. On y retrouverait également un certain degré d’élitisme culturel, dans la mesure où l’on supposait qu’être un “queer radical” ne pouvait se faire que dans les grandes villes côtières libérales. Ainsi, Bash Back!, issu du Midwest et non lié à des scènes “queer radicales” déjà établies, a ouvert de nouvelles possibilités de militantisme, en résistance directe aux églises anti-queer, aux politiciens et aux autres groupes extrêmement hostiles aux gays.
Pouvez-vous nous rappeler quelques-uns des principaux événements, luttes et procès de la première phase de Bash Back! ?
Il est difficile de répondre à cette question, car beaucoup de choses ont eu lieu dans tout le pays grâce à Bash Back! Mais je pense qu’il est important de souligner quelques points:
DNC/RNC 2008: le réseau Bash Back! naissant a participé à des manifestations à Denver (pour la Convention Nationale Démocrate) et dans les Twin Cities (pour la Convention Nationale Républicaine).
Pittsburgh 2009: Bash Back! a organisé une marche très mouvementée pendant le sommet du G20.
L’Église Mt. Hope: En novembre 2008, des membres de Bash Back! ont perturbé a messe du dimanche dans une méga-église réputée anti-gay à Lansing, dans le Michigan. Cette action a donné lieu à un procès intenté par l’Alliance Defending Freedom contre Bash Back! qui, après une bataille juridique de plusieurs années, a abouti à une injonction permanente interdisant les perturbations dans les églises.
Campagne de vengeance de Duanna: I En février 2008, Duanna Johnson, une femme noire transgenre, a été tabassée par des policiers à Memphis, dans le Tennessee. Elle a été assassinée en novembre 2008, vraisemblablement par les policiers qui l’avaient rouée de coups quelques mois auparavant. Cela a déclenché une campagne à Memphis pour venger sa mort.
En outre, Bash Back! a organisé trois convergences:
Chicago 2008: elle s’est concentrée sur la planification d’actions autour de la DNC/RNC durant l’été 2008.
Chicago 2009: elle s’est focalisée sur le développement de Bash Back! en tant que mouvement, sur la création de liens et sur le renforcement de nos attaques contre l’ordre social. Une marche dans Boystown, le quartier gay de Chicago, a été attaquée par la police. Cela a engendré un conflit au sein de la convergence entre celleux qui se sont battu.e.s contre la police et les libéraux/identitaires qui ont prôné la non-violence face à la violence policière.
Denver 2010: c’était la dernière convergence de la mouvance Bash Back! ; le même clivage entre politiques libérales/identitaires et queer insurrectionnel se reproduisait sous nos yeux pendant toute la durée de la convergence mais nous ne voulions pas le voir. Ces tensions étaient aussi palpables qu’insurmontables, et c’est ainsi que Bash Back!, dans sa forme originale, a été considéré comme mort. Toutefois, ces faits marquants ne reflètent qu’une infime partie de l’action de Bash Back! Les sections de tout le pays ont participé à de très nombreux actes de vandalisme, à de nombreuses confrontations avec la police, à des manifestations contre les assimilationnistes et les exterminationnistes, à des affrontements physiques avec des religieux fanatiques et à d’innombrables actes de propagande. Tout cela constitue l’héritage de Bash Back!
Expliquez-nous comment Bash Back! a opéré à partir des cadres politiques identitaires existants à la fin des années 2000, tout en s’y opposant.
Lorsque Bash Back! a commencé, l’idéologie de la non-violence prévalait dans le milieu militant. En termes de politique identitaire, nombre de ces militants libéraux/”radicaux” partaient du principe que toute confrontation était forcément le fait d’hommes blancs hétérosexuels machos de la classe moyenne/supérieure et qu’elle était donc raciste/sexiste/homophobe parce que les personnes queer/trans, les femmes et les personnes racisées subissent le plus gros de la répression et de la violence policières. Bash Back! s’est directement opposé à ce discours, constituant une grande partie du conflit qui a éclaté durant la convergence de Chicago en 2009. Certaines personnes n’arrivaient pas à croire que les queers/trans, les pauvres, les femmes et les personnes racisées pouvaient se battre contre les flics ou se montrer plus conflictuel.le.s. Une partie de l’attrait de Bash Back! résidait dans le fait que les personnes marginalisées se défendaient sans aucune honte et de manière concrète. D’un point de vue très pratique, Bash Back! était pro-violence, et les gens n’avaient pas l’habitude que les groupes marginalisés revendiquent ce point de vue.
En outre, Bash Back! s’est toujours positionné contre l’assimilation et contre les politiques identitaires libérales qui considèrent la représentation sociale, politique et économique comme une fin en soi. Ainsi, à l’époque où des questions telles que le mariage gay et le service militaire constituaient les principaux enjeux des organisations LGBT, Bash Back! s’y opposait fermement et s’en prenait même à des groupes tels que Human Rights Campaign et Stonewall Democrats, qu’il accusait d’être assimilationnistes ou de trahir les personnes trans selon le gain politique qu’ils pouvaient en tirer.
D’un point de vue plus abstrait, je pense que les approches concurrentes de l’identité ont été dans les faits un élément central de la dissolution du mouvement de Bash Back! Il y avait un éventail de points de vue sur l’identité dans Bash Back! D’un côté, il y avait une tendance fortement influencée par le nihilisme queer et l’anarchisme insurrectionnel ; pour ce bloc, l’identité queer était une identité d’opposition à l’ordre social capitaliste et à son hétéronormativité. D’autre part, il y avait une approche plus positive de l’identité queer ; positive dans le sens où elle n’était pas basée sur une opposition politique à l’ordre social mais plutôt liée à l’expérience individuelle du genre/de la sexualité. Étant donné que Bash Back! était une organisation basée sur l’identité, ces compréhensions divergentes de l’identité queer ont conduit à des visions opposées qui ont fini par dissoudre le réseau.
Qu’est-ce qui a changé depuis l’apogée du réseau original ? Qu’est-ce que le modèle Bash Back! a à offrir aujourd’hui ?
Le premier réseau Bash Back! a vu le jour juste avant la crise économique de 2008. Depuis, nous avons le sentiment de passer d’une crise à l’autre – et en outre, les crises s’intensifient. Je pense que c’est probablement le plus grand changement depuis le début de Bash Back! ; la permanence de la crise et l’espèce de désespoir face à l’avenir ne s’étaient pas encore vraiment installées à cette époque. Il était autrefois assez mal vu de dire que les choses iraient de mal en pis et que nous n’avions effectivement pas d’avenir ; aujourd’hui, c’est ce que l’on comprend communément du sort des millennials et de la génération Z. Entre la crise apparemment permanente du capitalisme et la catastrophe climatique en cours, les choses apparaissent plus sombres aujourd’hui qu’elles ne l’étaient auparavant.
Mais d’un autre côté, je pense que beaucoup des idées qui étaient popularisées non seulement dans Bash Back! mais aussi plus largement dans le milieu anarchiste à cette époque ont gagné du terrain d’une façon qui ouvre à de nouvelles potentialités. Par exemple, le concept d’abolition des prisons et l’idée d’aide mutuelle se se retrouvent dans des discours plus vastes. L’organisation syndicale s’est également développée dans des secteurs qui paraissaient inaccessibles auparavant, et il semble que cela a également conduit à une plus forte conscience de classe. Plus en accord avec l’objectif de Bash Back!, l’idée que les personnes sont non-binaires ou genderqueer s’est également répandue dans le courant dominant d’une manière que je n’aurais pas anticipée, étant donné le climat social dans lequel Bash Back! s’est formé à l’origine.
Sans trop me plonger dans une analyse économique aride, je pense qu’il est indéniable que les contradictions du capitalisme sont devenues plus visibles au cours de ces dernières années. Et l’histoire nous montre nettement que les crises du capitalisme se traduisent par une intensification des politiques réactionnaires et de la répression. Historiquement, nous pouvons prendre l’exemple de Magnus Hirschfeld, qui a été l’un des premiers à défendre les personnes queer et trans à Berlin dans les années 1930. On sait que les nazis ont brûlé des livres, mais on oublie souvent qu’ils ont brûlé la bibliothèque de l’Institut für Sexualwissenschaft de Hirschfeld, qui était peut-être la première organisation à défendre et à soutenir spécifiquement les personnes queer et trans. Il est donc évident que les personnes queer et trans sont les premières cibles des moments réactionnaires de l’histoire.
En fin de compte, c’est ce qui rend le moment actuel si important et d’où nous pouvons tirer des leçons des débuts de Bash Back! Je pense que la force fondamentale du réseau Bash Back! résidait dans le fait qu’il se concentrait sur la construction d’une puissance non seulement en dehors de l’État et du capitalisme, mais aussi en opposition farouche à ces derniers. C’est essentiel, car l’argument de vente du parti démocrate ces dernières années a été de prétendre que les choses empireraient si les Républicains étaient au pouvoir. Et cela masque le fait que le parti démocrate est en fin de compte un parti du capitalisme ; il n’a ni la capacité ni la volonté d’améliorer les choses pour les individu.e.s. Tout ce qu’il offrira, c’est une sorte de dérive encadrée vers le fascisme, dont le prix est l’assimilation. L’alternative, bien sûr, est l’approche carrément exterminationniste des Républicains.
Bash Back! rejetait les politiques assimilationnistes, étatistes et capitalistes des principales organisations LGBT de l’époque et se concentrait sur la constitution par les personnes queer d’une communauté entre camarades, sur la pratique de l’entraide et de la solidarité et sur l’attaque de l’État, des capitalistes et des réactionnaires. C’est ce militantisme sans concession qui a été, selon moi, la contribution la plus importante de Bash Back! et qui devrait être au centre des préoccupations à venir.
Comment les gens peuvent-ils s’impliquer ? Quelles sont les tactiques et les stratégies que les gens peuvent mettre en œuvre dans leurs propres communautés de manière continue, afin que cela ne soit pas seulement une convergence mais vienne également imprimer un nouvel élan à travers le continent ?
Il est difficile de dire exactement comment s’impliquer dans Bash Back! Il est évident que nous voulons que les gens viennent à la convergence pour partager des idées, établir des contacts et créer des liens de solidarité. Mais pour ce qui est de la manière de s’impliquer, il n’y a pas vraiment de réponse toute faite. Ce qui a rendu Bash Back! si important, c’était en partie le fait qu’il s’agissait d’un réseau assez souple, avec des sections autonomes qui agissaient selon ce qui apparaissait comme logique aux personnes impliquées dans ces sections au niveau local.
Mais d’une manière générale, Bash Back! s’est concentré sur la confrontation avec les fanatiques religieux, l’entraide, l’autodéfense et la propagande. Fondamentalement, il faut comprendre que l’État ne nous protégera pas, pas plus que les politiciens, et que nous devons construire la solidarité au sein de nos communautés comme une question de survie. C’est pourquoi il est indispensable de renforcer la confiance et la camaraderie. Tout comme il est nécessaire de faire face à ceux qui veulent nous détruire. Et dans un monde qui cherche à nous maintenir dans la misère, toutes expressions et célébrations de la joie queer sont essentielles.
Pour ce qui est de la direction à prendre, les anciens Principes d’Unité de Bash Back! sont un bon point de départ:
Lutter pour la libération. Rien de plus, rien de moins. La reconnaissance par l’État au travers d’institutions oppressives telles que le mariage et l’armée n’est pas un pas vers la libération, mais plutôt vers l’assimilation hétéronormative.
Rejeter le capitalisme, l’impérialisme et toutes les formes de pouvoir d’État.
S’opposer activement à l’oppression à l’intérieur et à l’extérieur du “mouvement”. Le racisme, le patriarcat, l’hétérosexisme, le sexisme, la transphobie et tous les comportements oppressifs ne doivent pas être tolérés.
Respecter la diversité des tactiques dans la lutte pour la libération. Ne condamnez pas une action au seul motif que l’État la juge illégale.
Vous aussi, vous pouvez être Bash Back! Organisez une section et agissez dans votre communauté !
Les complotistes, l’extrême droite… et quelques nazis se donnent rendez-vous pour intimider les drag queens; les communautés LGBTQ+ et antifasciste se serrent les coudes et tiennent tête aux trolls haineux; renouant avec la tradition, les fafs se retrouvent à nouveau isolés au fond d’un parking…
Contexte
Le 2 avril avril 2023, l’artiste drag Barbada de Barbades était invitée par la municipalité de Sainte-Catherine, sur la rive sud de Montréal, à animer une « Heure du conte en drag » (Drag Queen Story Hour) pour une vingtaine de familles de la région intéressées à cette activité principalement conçue pour susciter l’intérêt des enfants pour la lecture, démystifier la diversité de genre et favoriser l’ouverture à la différence. L’activité était organisée à la bibliothèque municipale de Sainte-Catherine.
Il faut rappeler que Barbada anime des heures du conte depuis 2016 (elle n’est d’ailleurs pas la seule à le faire), mais ça n’est que dans les dernières années – et de manière très marquée dans les derniers mois – qu’une partie des milieux complotistes adjacents à l’extrême droite québécoise s’est emparée de cette nouvelle marotte, sous l’influence combinée de la droite conservatrice évangéliste et de la complosphère antisanitaire coalisée autour du soi-disant « convoi de la liberté ». L’hystérie anti-drag s’inscrit en fait dans un mouvement plus large de diabolisation des minorités sexuelles et de genre, et en particulier des transidentités, qui sont cadrées dans différents fantasmes de complot rattachés, par exemple, à la « grooming panic », au « pédosatanisme » (un thème central de l’univers QAnon) et, dans certains cas, à la théorie raciste et antisémite du « grand remplacement ». Ce mouvement de fond de l’extrême droite transphobe gagne même du terrain actuellement, aux États-Unis, sur le plan législatif et institutionnel.
Ici, c’est le militant antisanitaire François Amalega Bitondo, connu pour ses frasques durant la pandémie de COVID-19, qui a décidé de mener la charge contre les heures du conte en drag, maintenant que son opposition aux mesures sanitaires ne lui attire plus l’attention à laquelle il s’est manifestement habitué. Amalega semble avoir connu une certaine fanatisation au cours des dernières années, notamment au contact des évangélistes de Théovox et du désinformateur André Pitre (Lux Média); il est devenu pro-Trump, pro-Poutine et a avalé différentes saveurs de kool-aid conspirationniste, dont l’actuelle hystérie anti-drag, qu’il campe dans un langage explicitement transphobe. Depuis quelques semaines, il mobilisait ainsi sa base de suiveux pour aller manifester contre l’heure du conte à Sainte-Catherine. Il a aussi tenté (en vain) de perturber une heure du conte le 25 mars à la bibliothèque de Westmount, avec une poignée de sympathisant·es.
C’est devant la menace claire et imminente que représente ce mouvement réactionnaire, qui en dernière analyse vise à marginaliser et à opprimer leurs communautés, qu’un réseau ad hoc d’antifascistes queers, trans et allié·es a commencé à organiser une intervention de défense communautaire à Sainte-Catherine. Parallèlement, d’autres initiatives se sont organisées spontanément sur les médias sociaux, dont une manifestation « OUI aux DRAGS » visant à opposer une présence festive aux complotistes/intolérants.
Or, Barbada et son entourage ont signifié une semaine avant l’événement (avec les renseignements qui étaient disponible à ce moment-là) qu’elle préférait que rien du tout ne soit organisé en réaction à la manifestation anti-drag, dans l’espoir qu’en ignorant tout simplement ce mouvement, il s’essoufflera et disparaîtra naturellement. Or comme nous l’avons souvent dit, quand il est question des mouvements fascistes et fascisants, la pensée magique ne fonctionne pas. L’organisateur de la manifestation « OUI aux DRAGS » a tout de même choisi d’annuler son événement, suscitant la perplexité chez de nombreux·ses participant·es. En réaction à cette dérobade, un énoncé anonyme a été publié l’avant-veille de l’événement, notamment relayé par le P!nk Bloc et Montréal Antifasciste, pour expliquer en quoi cette analyse est problématique et confirmer que la mobilisation de défense communautaire allait de l’avant malgré tout, dans une perspective beaucoup plus large que la simple défense de l’heure du conte.
Le jour venu…
L’heure du conte était prévue à 10 h; Amalega et ses trolls avaient lancé un appel à manifester devant le centre communautaire où se situe la bibliothèque municipale dès 9 h 30. Amalega est arrivé sur place à 8 h 45 et a stationné sa voiture dans le parking du petit centre commercial situé de l’autre côté de la rue. Il a immédiatement été bloqué et encerclé par une douzaine de militant·es, qui l’ont empêché de traverser la rue et l’ont en quelque sorte « confiné » dans le parking. Dans sa webdiffusion, Amalega dit à plusieurs reprises être « agressé » et avoir « peur pour [sa] vie », mais la vidéo montre clairement que les militant·es ne font que lui bloquer le chemin avec une bannière et lui demander de s’en aller. Ce face-à-face a duré plusieurs minutes, tandis que d’autres manifestants anti-drag se joignaient peu à peu à Amalega (un sympathisant particulièrement agressif a décidé de jouer au cow-boy et a dû être recadré un peu à ce moment-là) et que le contingent défensif grossissait lui aussi, jusqu’à ce que les policiers de la MRC Rousillon viennent s’interposer entre les deux groupes.
Dans la demi-heure qui a suivi, les deux camps ont continué à gonfler, alors que la confrontation devenait peu à peu statique; le noyau des anti-drag formé autour d’Amalega est resté confiné sur un bout de trottoir pour les deux heures suivantes, derrière une ligne de police, tandis qu’une partie des défenseur·es se regroupait autour de ce noyau et que d’autres circulaient dans le secteur pour accueillir les manifestant·es anti-drag et leur faire comprendre qu’iels étaient en situation hostile. Quelques escarmouches mineures ont eu lieu, mais rien de sérieux. D’autres renforts sont ensuite arrivés pour les deux camps : de nombreux véhicules ornés de drapeaux et de décorations de type « convoi de la liberté » vomissaient des complotistes dans le parking, et un autobus nolisé avait transporté une trentaine de défenseur·es avec des collations, du café, des éléments de costumes et un système de son. Dans l’heure et demie suivante, le bloc défensif a pris un caractère festif, coloré et irrévérencieux, les camarades gigotant sur des airs populaires et des chansons de Disney, et les anti-drag se morfondant sur leur bout de trottoir, n’en revenant pas d’avoir été piégé·es de la sorte.
Il convient de dire ici que le milieu complotiste a largement été épargné par les antifascistes au cours des trois années marquées par la pandémie. Malgré la proximité mainte fois explicitées entre l’extrême droite et les fantasmes de complot, les enjeux d’ordre sanitaire relèvent pour l’essentiel de choix personnels, et il est compliqué et délicat d’intervenir contre des personnes et des regroupements sans contours clairs dont le principal défaut est d’adhérer à des balivernes antiscientifiques. Une ligne est toutefois franchie lorsque ces fantasmes de complot visent directement nos communautés et compromettent notre sécurité à court, moyen et long terme. C’est cette ligne que franchissent actuellement les anti-drag et les transphobes avec leur panique bidon, et il est absolument nécessaire de leur envoyer le message que les communautés queers et trans ne se laisseront pas intimider sans se défendre. Qu’il ne subsiste aucun doute à cet égard : si les queerphobes/transphobes persistent dans leur démarche de diabolisation de nos communautés, iels nous trouveront toujours sur leur chemin. Queers bash back, darling…
Finalement, l’information a circulé vers 11 h que l’heure du conte avait été déplacée à un autre édifice municipal et avait eu lieu comme prévu, sans problèmes. Les anti-drag avaient donc perdu sur toute la ligne, et les défenseur·es peuvent se targuer d’une belle réussite sur le plan stratégique, même si la mobilisation considérable des phobes a de quoi inquiéter.
En plus de quelques vétérans de l’âge d’or (2017-2019) du milieu national-populiste xénophobe/islamophobe, comme Michel Éthier et Luc Desjardins (La Meute, Storm Alliance, Front patriotique du Québec, gilets jaunes/Vague bleue, etc.) et du désinformateur en chef, André Pitre (Lux Média), des invités-surprise ont été aperçus parmi les anti-drag.
À un moment donné, trois individus ont eu la curieuse idée de se planter au milieu du contingent défensif et de déployer une bannière où l’on pouvait lire « Sales pédos hors du Québec ». Bien que dans l’absolu, il soit tout à fait noble de dénoncer et de combattre la pédophilie, il était en l’occurrence légitime de croire que ces individus louches n’étaient pas là pour les bonnes raisons, et leur bannière a été confisquée immédiatement, ce qui a donné lieu à une foire d’empoigne lorsque l’un d’eux a voulu la récupérer. Il s’est fait un peu brasser par les défenseur·es, suite à quoi des policiers sont intervenus pour casser l’altercation et escorter les trois intrus un peu plus loin, mais une autre altercation à éclaté aussitôt et mené à l’arrestation d’un des gêneurs. Or, en examinant les photos des individus en question, des camarades ont reconnu le leader du groupe local du réseau White Lives Matter, auquel Montréal Antifasciste a consacré un article en mars 2022.
La bannière déployée par des militants suprémacistes lors de la manifestation anti-drag de Sainte-Catherine, le 2 avril 2023, et promptement confisquée par les antifascistes.
À Gauche Raphaël Dinucci St-Hilaire, leader du groupe suprémaciste blanc White Lives Matter; à droite, possiblement Bruno Lacasse-Freeman, (ex-)militant de Soldiers of Odin.
Ce militant suprémaciste blanc très actif, que nous n’avions jusqu’à présent identifié que par son sobriquet sur Telegram, « Whitey », est un résident de Laval répondant au nom de Raphaël Dinucci St-Hilaire. Ce nazillon a eu droit à un coup de semonce l’hiver dernier et a eu une année entière de sursis pour abandonner ses activités militantes, mais au contraire il a redoublé d’activité et collé des centaines de collants suprémacistes blancs dans la région de Montréal, en plus de participer à des activités d’accrochage de bannière. Il a commis une erreur fatale en allant manifester contre la communauté queer/trans à Sainte-Catherine. La méthode douce est terminée, et monsieur Dinucci peut tenir pour acquis que la communauté antifasciste de Montréal a épuisé sa réserve de patience à son égard.
Quant à son camarade qui s’est fait arrêter, il ne nous est pas possible de l’affirmer avec certitude, mais nous croyons qu’il s’agit d’un (ancien) membre des Soldiers of Odin, Bruno Lacasse-Freeman, alias « Burn SOO », lequel n’a jamais trop caché ses penchants suprémacistes.
Mais nous n’étions pas au bout de nos surprises! Quelques minutes plus tard, un autre nazi, et non le moindre, a été aperçu en marge de la manifestation. Nul autre que Sylvain Marcoux, un abonné des activités de surveillance antifasciste (antisémite enragé, grand admirateur d’Adolf Hitler et d’Adrien Arcand, proche de la Fédération des Québécois de souche, dirigeant du Parti nationaliste chrétien, etc.) était là, accompagné par deux jeunes adultes. Il s’est fait apostropher et a été poliment invité à se joindre au groupe anti-drag pour éviter l’escalade. Il a plutôt décidé de jouer au coq et de faire monter la tension, ce qui n’a pas tardé. Il a été pris à partie, s’est mis à gesticuler comme un forcené et a finalement frappé une camarade, après quoi il a mangé ce qu’il est convenu d’appeler une crisse de volée. Les policiers sont intervenus avec du poivre de cayenne et ont interpellé Marcoux, qui a vraisemblablement été relâché plus tard sans accusations.
Le pipeline nationaliste identitaire -> complotisme -> haine queerphobe
Dans une vidéo publiée quelques heures après l’événement, le mononcle facho et ex-Farfadaa, Luc Desjardins, décompressant sa crise de nerfs tout seul chez lui (20 1e avenue/Chemin Talbot, à L’Assomption), déplore le fait que les anti-drag se sont fait complètement humilier et appelle au « militantiste » à se regrouper « vraiment vraiment vraiment » contre « les antifas et les grandes crisses de fofolles », tout en versant son fiel sur son ancien camarade Steeve Charland.
Ce n’est pas un hasard si toutes ces figures connues de l’extrême droite (soft et dure) se retrouvent aujourd’hui dans la nouvelle hystérie complotiste à la mode. Depuis plusieurs années, ces différentes lubies sont importées ici des États-Unis à la faveur des bulles de médias sociaux plus ou moins hermétiques dans lesquelles baignent ces milieux et où circulent librement toute sorte d’amalgames, de désinformations et de fantasmes toxiques qui alimentent constamment la fanatisation des personnes qui s’y trouvent exposées. Une très grande partie de ces personnes ne se rendent même pas compte qu’elles sont attirées dans une spirale descendante qui les inocule à la haine et les rapproche graduellement, mais inexorablement de l’extrême droite et des néonazis.
Face à ce phénomène, nous n’avons pas le choix de mobiliser nos forces, promouvoir l’autodéfense communautaire et faire tout en notre pouvoir pour déconstruire et combattre les discours haineux qui visent nos communautés. Les discours transphobes, notamment, résonnent de plus en plus fort dans la société mainstream depuis quelque temps; des lois sont adoptées aux États-Unis pour réprimer les droits des minorités sexuelles et de genre, des comédiens de haut niveau normalisent les moqueries et l’intimidation à l’égard des personnes trans, et la droite religieuse gagne chaque jour un peu plus de terrain.
Ce serait une grave erreur de croire que ces phénomènes vont s’arrêter à la frontière et que le Québec y est imperméable. Les mobilisations contre les drag queens ne sont que le premier signe de cette contamination, et nous croyons qu’il est nécessaire de tuer ce mouvement dans l’œuf, comme toutes les tentatives menées par l’extrême droite d’imposer ses idées et son programme.
N’oublions jamais qu’ensemble, nous sommes plus fort·es, et que quand nos droits et nos existences sont attaqués, la seule réponse possible est l’autodéfense communautaire.
Commentaires fermés sur Quelques notes et explications sur la situation du 2 avril
Avr012023
Soumission anonyme à MTL Contre-info
Le 2 avril (c’est-à-dire, ce dimanche) un groupe d’extrême droite proche des mouvements évangélistes et conspirationnistes a appelé à aller manifester contre « l’heure du conte en drag » de Barbada, à la bibliothèque municipale de Ville Sainte-Catherine. Ce groupe est ouvertement transphobe et homophobe et a explicitement indiqué que ce nouvel effort ciblant les performances de drags devant des enfants était le début d’une campagne contre notre communauté.
Face à cette réalité, un réseau de personnes et de groupes trans et allié-es ont décidé de lancer un appel à la contre-manifestation pour bloquer l’extrême droite et protéger l’événement et les familles venues assister à l’heure du compte. Parallèlement, d’autres personnes/groupes on fait appel à des réponses similaires.
Il s’est avéré dans les derniers jours que Barbada s’oppose à ces réactions et préconise une sorte de stratégie non-interventionniste : ignorer l’extrême droite dans la perspective qu’en les ignorant, on limite leur visibilité et leur potentiel de croissance. Certaines initiatives ont d’ailleurs été annulées pour se plier à la volonté de Barbada.
Nous avons choisi de maintenir notre appel et de maintenir notre présence sur place. Bien que nous respections les choix stratégiques et politiques des autres groupes, nous considérons que notre démarche est préférable, et voici pourquoi.
D’abord, il faut comprendre que cette campagne naissante au Québec ne s’inscrit pas dans le vide et reflète l’importation d’un mouvement présent en Amérique du Nord anglo-saxonne. Ce mouvement s’organise contre les spectacles de Drag offerts aux enfants, en particulier les « heures du conte », dans le but de créer un narratif de prédation (« grooming panic ») autour du « travestissement ». Cet effort a d’ores et déjà mené à l’adoption de lois anti-drag aux États-Unis, écrites de manière à criminaliser les personnes trans (https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1966780/interdiction-spectacle-drag-show-etats-unis-enfants). Ces développements récents s’inscrivent dans un mouvement plus large favorisant la répression – et éventuellement l’éradication – des personnes trans. En ayant ça en tête, nous ne pouvons tolérer l’apparition de ce mouvement sur le territoire où nous vivons.
Il en va, à long terme, de notre sécurité, voire de notre survie. (Ces mouvements s’étant accompagnés de vagues d’assassinats de personnes trans, surtout de femmes trans.)
Ensuite, ça nous apparaît une mauvaise analyse de croire que la situation de dimanche concerne uniquement la personne de Barbada. Effectivement, c’est sa performance qui est ciblée et il y a possibilité que l’évolution de la situation ait des répercussions sur sa carrière. Cela dit, il ne s’agit pas d’un groupe anti-Barbada préparant une manifestation anti-Barbada. Nous sommes toustes concerné-es par leurs actions et leurs discours. Ne rien faire serait peut-être optimal pour les activités de Barbada, mais ça enverrait le signal que nous laissons ces groupes manifester sans opposition. C’est malheureux que Barbada se retrouve au milieu de tout cela, et nous sympathisons avec sa situation. Toutefois, nous considérons nécessaire de nous opposer à ce groupe protofasciste et à tous les groupes qui voudraient effacer nos existences, et ce, chaque fois qu’ils sortent leurs têtes hideuses, partout, tout le temps. Nous n’avons aucune confiance que la police ou les politiques nous protégeront.
Nous exprimons tout cela dans un esprit d’honnêteté et de dialogue. Nous invitons toustes les défenseur-es des drags/trans à faire usage de leur conscience pour choisir comment iels veulent agir pour la suite des choses. Nous ne chercherons pas à dénoncer qui que ce soit pour leur choix de stratégies ou de modes d’action, et espérons la même chose de notre communauté.
J’ai beaucoup entendu ce chant en 2012, alors que j’étais un bébé anarchiste, nouvelle dans la culture turbulente des manifs montréalaises. À l’époque, il était souvent accompagné d’une foule de sig heils ironiques addressé à la police. On se sentait toujours un peu mal à l’aise de se retrouver dans une foule de personnes majoritairement blanches faisant des saluts nazis, et ces sig heils ironiques ont même fini par provoquer un petit scandale dans les médias anglophones. Le vacarme médiatique à certainement impliquer une bonne dose de mauvaise foi, de nombrilisme et de citations d’organisations de centre-droite, mais en fin de compte, il est difficile de soutenir que les saluts nazis (ironiques ou non) ne sont rien d’autre qu’un mauvais look.
Dans les années qui ont suivi, les sig heils ont (heureusement) disparu de la culture de manif dans les rues de Montréal, et pendant un certain temps, il a semblé que le chant SS-PVM avait peut-être aussi disparu. Mais ces jours-ci, je l’entends à nouveau, non seulement lors de grandes manifestations remplies d’étudiant.es libéraux, mais aussi lors de manifestations organisées par des anarchistes et des antifascistes—des camarades qui devraient pourtant savoir mieux. Pire encore, le slogan semble maintenant avoir été commémoré sur une nouvelle bannière de tête [lors de la manif du 15 mars 2023].
Mais what’s up avec ce chant, et pourquoi ne veut-il pas mourir ? Essentiellement, il dit au SPVM : « vous êtes la police secrète de l’État, utilisée pour réprimer les mouvements sociaux et les dissidents politiques, à l’instar de—exemple célèbre dans l’histoire—la Schutzstaffel, c’est-à-dire des SS ».
Pour celleux qui ont séché les cours d’histoire, la SS était une branche paramilitaire de l’État nazi, qui a joué un rôle déterminant dans la mise en œuvre de la Solution finale. Elle a supervisé la déportation des Juifs à travers l’Europe, dirigé les camps de la mort pour lesquels le régime nazi est si bien connu, et participé à l’extermination massive des Juifs sur le front de l’Est, dans ce que l’on appelle souvent « l’Holocauste par balles ».
Sous le commandement de la SS, la Gestapo était la police politique de l’Allemagne nazie. Elle enquêtait, rassemblait et liquidait les dissidents et les « ennemis de l’État » : homosexuel.les, communistes, syndicalistes, Juifs et Roms. Avant la guerre, la Gestapo était de facto chargée d’appliquer les lois raciales nazies. Pendant la guerre, elle a orchestré des déportations massives et participé à des massacres. Vraisemblement, c’est la Gestapo qui était la « police politique » à laquelle le chant de manif susmentionné fait référence.
Pourquoi je vous raconte des choses sur les nazis que vous savez probablement déjà ? En quoi tout cela est-il important ? En bref, je pense que tout ça a une incidence sur la façon dont nous parlons de l’histoire, et sur la façon dont nous utilisons l’histoire dans notre discours politique au présent. Et je pense aussi que de comparer le SPVM aux SS est une mauvaise et frustrante analogie.
Soyons très clairs, je ne suis certainement pas ici pour vous convaincre qu’au fait, le SPVM est un groupe de bons gars. Je ne crains pas non plus, par exemple, qu’en comparant nos flics locaux aux SS, nous soyons trop méchants. Je suis en faveur de l’intimidation des coches. S’il vous plaît, soyez très méchant.es avec la police.
De plus, je n’ai aucun doute que, comme plusieurs corps policiers, le SPVM compte plus qu’une petite poignée de néo-fascistes parmi ses rangs. Et en tant que force armée d’un ordre social raciste, il n’est pas surprenant que le SPVM soit aussi responsable de nombreux meurtres extrajudiciaires de personnes racisées.
Ce que je reproche à la comparaison entre le SPVM et les SS, ce n’est pas qu’on risque exagérer la gravité du SPVM. Je crains plutôt qu’en comparant le SPVM aux SS, nous risquions d’obscurcir la nature même des SS. Considérons le slogan en question à nouveau : « SS-PVM ! Police politique ». Il semble remarquable ici que l’on ait choisi de scander « police politique » plutôt que, par exemple, « police raciste » ou « police génocidaire ». Je pense que cela en dit long sur la positionnalité du slogan, ou du moins sur l’analyse de l’histoire qu’il implique.
On pourrait imaginer un chant pas si différent, dans un contexte légèrement différent, qui utiliserait l’un des génocides historiques les plus visibles (l’Holocauste) pour souligner la complicité de la police dans le projet génocidaire de l’État colonisateur. Il s’agirait, je pense, d’une toute autre conversation. Mais le chant « police politique » n’est pas un chant sur le génocide, et c’est probablement pour cette raison qu’il tend à provoquer un tel malaise.
Le chant souligne (avec raison) que le SPVM est un instrument de répression politique, puis le compare à un autre corps policier historique qui était aussi un instrument de répression politique… entre autres choses. Mais la nature de ces autres choses importe beaucoup. Car on aurait tort de se souvenir de la SS avant tout comme l’homme de main de la répression anti-gauchiste, plutôt que comme outil du génocide.
Au mieux, c’est comme si nous donnions l’impression de penser que les SS étaient plus ou moins comme votre police municipale nord-américaine du XXIe siècle : meurtrière, raciste, certainement notre ennemie, mais sûrement pas responsable de l’extermination coordonnée de millions de personnes. Et, comme d’autres marchands d’analogies maladroites avec l’Holocauste—pensez aux antivax avec des étoiles jaunes—ça commence à donner l’impression qu’après tout nous avons peut-être séché le cours d’histoire au complet.Un titre antérieur et plus narquois pour ce texte était: « Je m’attendais à l’émeute annuelle contre les flics, mais tout ce que j’ai eu c’est du révisionnisme softcore de l’holocauste » [« I came for the annual anti-police riot, and all I got was some softcore Holocaust revisionism »]. Et bien que j’ai finalement révisé ce titre, je pense que l’original souligne quand même un aspect important de la politique du souvenir et de la déformation de l’histoire par analogie avec le présent.
En 2023, cette façon de déformer l’histoire semble plus dangereuse qu’en 2012… Voilà qu’il y a quelques mois à peine, un ancien président des États-Unis a lunché avec un négationniste populaire ; des néonazis continuent d’harceler les gens à la sortie des shows de drag, des synagogues et des spectacles de Broadway ; #hitlerdidnothingwrong est de nouveau populaire sur Twitter ; et les attaques fascistes armées contre les mosquées, les synagogues et les bars gays commencent à nous sembler un peu trop familières.
À bien des égards, la diffusion des idées néonazies repose sur un déni manifeste ou implicite de l’Holocauste. Bien sûr, il y a toujours quelques dérangé.es qui vous diront que ces six millions de Juifs l’ont bien mérité, mais si vous voulez faire l’éloge d’Hitler au XXIe siècle, il est probablement beaucoup plus facile de simplement déformer les faits du génocide de prime abord. Le révisionniste de l’Holocauste du XXIe siècle lèvera les bras au ciel et dira : « Ah, mais bien sûr, certaines personnes sont mortes du typhus et de malnutrition dans les camps de prisonniers, mais c’est normal en temps de guerre… Y a-t-il vraiment eu des chambres à gaz ? Y a-t-il vraiment eu un génocide ? »
Ou comme l’a récemment déclaré l’avocat du shitposter néonazi local, Gabriel Sohier Chaput, dans une salle d’audience de Montréal : « Selon le dictionnaire, le nazisme, c’est du national-socialisme. C’était une idéologie. Ça ne faisait pas partie du plan initial d’exterminer les Juifs. Et est-ce vraiment six millions de victimes ? Je pense que si des gens sont morts dans des camps de concentration, c’était pour sauver de l’argent ».
Bien sûr, personne dans les manifs de gauche auxquelles j’ai assisté à Montréal n’a scandé quoi que ce soit qui ressemble de près ou de loin à « Est-ce que / six / mil- / -lion / sont / vrai- / ment / morts ? » ou whatever. Mais bon, il est peut-être un plus difficile de balayer une analogie maladroite avec l’Holocauste à un moment où la déformation de l’Holocauste, le déni pur et simple de l’Holocauste, et les diverses formes de néonazisme jouissent d’une approbation sans précédent auprès du grand public.
Écoute, je comprends. Qui n’aime pas se lancer de temps en temps dans un discours du type « tout ce que je déteste est littéralement Hitler » ? Mais si vous ne savez toujours pas quelle est la différence entre le SPVM et les SS, j’ai un livre (ou dix) à vous proposer. Et en supposant que vous pouvez différencier entre le gaz lacrymogène et le Zyklon B, ne devriez-vous pas vous sentir au moins un peu gêné.e de vous retrouver dans une foule de personnes qui semblent un peu floues sur les détails de ce que les SS ont réellement fait ? C’est certainement mon cas…