Montréal Contre-information
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Contrôle et surveillance en temps de pandémie

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Jan 302021
 

Du Projet accompagnement solidarité Colombie (PASC)

La pandémie a révélé les conséquences d’années de coupes budgétaires des gouvernements et de politiques favorisant la privatisation graduelle de nos systèmes publics de santé, au profit d’une vision mettant de l’avant la rentabilité économique de la santé.

Pour faire face à la pandémie de la COVID-19, au lieu de proposer des investissements dans nos services publics, de nombreux État ont opté massivement pour l’implantation de mesures répressives, telles que le confinement strict et le couvre-feu, et d’une panoplie de mesures de contrôle et de surveillance.

L’urgence et le climat de peur servent à forcer le consensus et à fabriquer le consentement de la population aux diverses mesures mises de l’avant pour nous sortir de la crise sanitaire. Nous acceptons jours après jours la mise en place de mesures de contrôle social qui, il y a à peine quelques mois, auraient été impensables. Le traitement médiatique de la pandémie n’est pas étranger à l’acceptation sociale des changements drastiques qui nous sont imposés.

Ainsi, la majorité des États se tournent vers le privé pour nous offrir des solutions technologiques. Comme ceux mis en place dès le début de la crise en Israël par exemple, où les données de géolocalisation des cellulaires, normalement utilisées par les services de renseignement pour réprimer les mouvements sociaux palestiniens, ont été utilisés pour identifier les personnes qui auraient été en contact avec des porteurs du virus.

Partout dans le monde, des pays ont maintenant recours à des applications de traçage numérique. Ainsi, avec le prétexte de vouloir nous protéger du virus, nous assistons à la mise en place de systèmes de suivis des déplacements et des relations de milliards d’individus, alors que les résultats sanitaires sont plus qu’incertains.

La pandémie est vue par l’élite mondiale comme une opportunité d’accélérer la mise en œuvre du capitalisme de surveillance et de ce que le Forum économique mondial (FEM) appelle, la 4ieme Révolution Industrielle : numérisation des chaines d’approvisionnement et de pans entiers de l’économie, Internet, des objets, villes intelligentes, etc. Le capitalisme de surveillance est une forme d’extractivisme, dans laquelle la matière première sont les données personnelles des individus, le nouvel « or » sur les marchés boursiers. Bref, une hyper-connexion via un système Internet totalement centralisé et contrôlé qui consigne dans de gigantesque centre de données, nos amitiés, nos désirs, nos tristesses et nos peurs afin de pouvoir les analyser et mieux les « influencer » grâce a la capacité de traitement de données de l’intelligence artificielle.

Les plans de développement des villes intelligentes, basés sur la surveillance et l’interconnectivité des données, affrontaient avant la pandémie de nombreuses réticences à cause de l’ampleur des changements proposés. La pandémie semble avoir fait disparaître ces réticences, agissant comme un choc qui permet de rendre acceptable que nos maisons deviennent notre bureau, notre gym, notre école et même notre prison si l’État le décide.

Montréal est devenue un des plus importants pôles de développement de l’intelligence artificielle dans le monde. « Les entrepreneurs en IA ont dans leur mire l’ancien pôle industriel entre Parc-extension et la Petite-Patrie, qu’ils appellent le Mile-Ex. Ils profitent aussi de l’expansion du campus de l’UdM dans la partie Sud de Parc-Extension. (…) Plusieurs start-up sont aussi situées près du Canal Lachine. (…) Ces entreprises s’approprient des ateliers locatifs, faisant grimper le prix des loyers et des ateliers, mais aussi des logements tout autour. Ce mouvement d’appropriation du territoire par les entrepreneurs en IA contribue à achever la gentrification des quartiers visés. »1 Nos luttes contre la gentrification peuvent les décourager de s’installer dans nos quartiers ; à nous de faire les liens entre l’embourgeoisement de ces derniers et le développement des pôles de l’IA.

Les crises du capitalisme opèrent toutes selon la même dynamique ; elles liquident des pans entiers de l’économie et permettent de la restructurer avant d’entrer dans une nouvelle phase de croissance et d’accumulation de capitaux, qui concentre chaque fois plus la richesse. Les crises financières, les guerres et les catastrophes, dont les pandémies, sont idéales pour remettre les compteurs à zéro. Klaus Schwab, le fondateur et président exécutif du FEM (aussi appelé forum de Davos) en est bien conscient, puisqu’il fait la promotion active de l’idée que la pandémie offre une fenêtre d’opportunité pour effectuer ce qu’il appelle The Great Reset, visant à jeter de nouvelles bases pour le fonctionnement du capitalisme global, basé sur l’idée d’une mondialisation version 4.0.

La crise actuelle permet également de mettre à jour les cadres légaux et les comportements sociaux et de réécrire les règles du jeu de la « nouvelle normalité » qui s’installe. N’oublions pas que les États tendent à rendre permanentes les lois spéciales et autres mesures d’exceptions introduites en temps de crise. Nous n’avons qu’à penser aux lois anti-terroristes ayant été votées un peu partout sur la planète après le 11 septembre 2001, donnant des pouvoirs accrus aux forces de l’ordre et à l’État en matière de contrôle et de surveillance ; l’ensemble de ces pouvoirs sont toujours en place.

En plus de mesures autoritaires comme l’imposition de couvre-feu et les contrôles d’identité, plusieurs autres moyens de surveillance médicale de masse sont en train de voir le jour : caméras thermiques et de reconnaissance faciale, bracelets électroniques pour contrôler la distanciation physique, et carnet de vaccination numérique font partie des propositions en vogue. Ce dernier est probablement le plus inquiétant car les personnes qui refusent de se faire vacciner pourrait se voir refuser l’accès aux avions, aux endroits publics, commerces, restaurants, bars, salles de spectacles et même à leur lieu de travail. L’Ontario et le Québec ont déjà indiqué qu’ils pensent à exiger des preuves de vaccination pour certaines activités.

Alors qu’on nous demande de nous adapter à cette nouvelle « normalité », nous devons nous demander jusqu’où sommes-nous prêtes à accepter ces nouvelles formes de contrôle et de surveillance de nos vies.

Nous assistons à une véritable réingénierie des comportements sociaux : imposition du télétravail, délation des voisins, peur de la contagion, peur d’une accolade, isolement social et acceptation de la surveillance de masse. Alors que le capitalisme de surveillance a bel et bien pris son envol et que son éventail de nouvelles technologies nous est présenté comme autant de solutions miracles à la crise que nous vivons; nous percevons avec inquiétude la rapide acceptation des mesures qui créent de la distance dans nos relations humaines et nous empêchent d’être ensemble…

Bien que nous acceptions la distanciation sociale comme un mauvais moment à passer, tant qu’il s’agit d’une mesure temporaire pour se protéger et protéger nos proches, nous pouvons refuser de nous y habituer et affirmer d’ores et déjà que nous n’accepterons pas la distanciation sociale perpétuelle. Nous avons besoin du contact humain et nous en priver revient à nous déshumaniser.

Tout comme nous refusons l’imposition de mesures autoritaires pour faire face à la pandémie, refusons que s’installe un monde sans contact!

Mise à jour 2021 du TuTORiel Tails

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Jan 282021
 

De Paris-Luttes.info

[Version mise à jour du tutoriel – janvier 2021] Tails est un système d’exploitation qui tient sur une clef USB fait pour faire de la sécurité informatique et qui regroupe des logiciels pour se protéger un minimum de la surveillance. Une mise à jour vient d’être proposée à une brochure publiée il y a un an pour aider à utiliser cet outil.

Vous pouvez retrouver la mise à jour de la brochure «TuTORiel Tails» (janvier 2021) qui avait été publiée il y a un an en suivant ce lien :
https://infokiosques.net/spip.php?article1726

Petit tutoriel de base sur l’usage d’une clé Tails, système d’exploitation qui tient sur une clé USB. Utile pour tout ce qui touche à la sécurité informatique et relativement simple d’usage.

• Tails est un système dit live. Ça veut dire qu’il ne s’installe pas sur un ordinateur. Il s’installe généralement sur une clé USB (ou une carte SD ou même un DVD). Lors de son utilisation, l’ordinateur fonctionne uniquement sur cette clé. D’ailleurs, cet ordi peut ne pas avoir de disque dur, son système d’exploitation habituel peut être complètement planté ou surchargé, peu importe, ça marchera pareil, il ne s’en servira pas.
• C’est ce qui lui permet d’être amnésique. Par défaut, Tails est conçu pour ne pas laisser de traces sur l’ordinateur une fois que la session est terminée. La clé utilise uniquement la mémoire vive de l’ordinateur (mémoire plus volatile que le disque dur), qui est nettoyé à l’extinction. Elle est faite aussi pour, par défaut, ne pas installer de nouveaux logiciels (même si l’on verra que c’est possible) et revenir à son état initial après chaque redémarrage. Il est possible d’y stocker des données dans un espace chiffré par une phrase de passe.
• Tails est aussi un système qui vous permet d’être incognito. Il cache les éléments qui pourraient révéler votre identité, votre localisation, le contenu de ce que vous échangez, etc.
• Tails est conçu pour faire de la sécurité informatique, elle est aussi bien utilisée pour des activistes, journalistes, toutes personnes souhaitant limiter ses traces numériques (pour des raisons politiques ou de protection), des mafieux, des militaires, etc. Un environnement minimal, fonctionnel et vérifié est déjà installé (avec de quoi faire un minimum de traitement de texte, traitement d’image, de son, de vidéos, etc.). Elle intègre des outils de chiffrements et de suppression de données qui se veulent simples et tout un tas de protections contre un certain nombre de types d’attaques est pensé.
• Tails n’est pas magique et conserve des limites abordées dans le tutoriel.

Ce petit guide sert de complément à une formation Tails. Il est construit à partir de copier-coller de sites internet ou documents déjà existants, complétés sur d’autres parties par une personne non informaticienne, mais qui s’intéresse à l’autodéfense numérique et en propose des formations depuis quelques années.

Cette brochure ne donne pas les tenants et aboutissants comme peut le faire le guide d’autodéfense numérique (à consulter sur ce lien : https://guide.boum.org/), elle sert plutôt d’accompagnement pour utiliser Tails, avec des astuces, des captures d’écrans, quelques réglages de bugs récurrents qui font abandonner Tails à certaines personnes.

Réorientation anarchiste à l’époque de la COVID

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Jan 282021
 

Soumission anonyme à MTL Contre-info

Publication initiale le 23 mars 2020

La situation change d’heure en heure. Comme tout le monde, je le suis de près et je partage les nouvelles infos, je regarde nos vies changer chaque jour, je sombre dans l’incertitude. Il nous arrive d’avoir l’impression qu’il n’y a qu’une seule crise dont les faits sont objectifs et qui ne permettent qu’une seule voie: celle de la séparation, de l’enfermement, de la soumission, du contrôle. L’État et ses appendices deviennent donc les seuls acteurs légitimes et le récit des médias de masse, avec la peur qu’ils véhiculent, inonde notre capacité d’action autonome.

Certain·e·s anarchistes ont signalé l’existance de deux crises qui se déroulent en parallèle. La première c’est la pandémie qui se répand à toute allure, qui nuit gravement et provoque même la mort pour des milliers de personnes. L’autre, c’est la stratégie de gestion de crise de l’État. Il veut nous faire croire qu’il agit pour défendre la santé de tout le monde — il veut qu’on voit sa réponse à la crise comme objective et inévitable.

La gestion de crise permet à l’État de décider les conditions qui existera une fois la crise passée, ce qui lui permet de choisir les gagnants et les perdants, selon des critères prévisibles. Si on reconnait l’inégalité comme partie intégrante de ces mesures soi-disant neutres, il faut aussi avouer que certain·e·s payeront un prix bien plus élevé pour ce que les puissants nomment le bien collectif. Je veux retrouver l’autonomie et la liberté d’action dans cette situation et pour ce faire il sera nécessaire d’échapper au récit qui nous est donné.

Lorsqu’on permet à l’État de contrôler le récit et les questions que l’on pose, on lui permet aussi de contrôler la réponse. Si on désir un résultat autre que ce que préparent les puissants, il sera nécessaire de poser une question différente.

Nous ne faisons pas confiance aux récits médiatiques sur bien des sujets et nous restons d’habitude conscient·e·s du pouvoir des puissants de façonner le récit pour rendre inévitable les actions qu’ils ont envie de prendre. Ici au Canada, l’exaggération et les mensonges sur l’impact des blocages liées au mouvement #shutdowncanada ont préparé le terrain pour un retour violent au normal. Il est possible de comprendre l’importance d’un protocol pour limiter les infections tout en restant critique de la manière dont l’État s’en sert à ses propres fins. Même si on regarde la situation pour nous même et on arrive à accepter certaines recomandations que prône aussi l’État, il ne nous est pas nécessaire d’adopter son projet comme le notre. Il y a toute une différence entre suivre des ordres, et la pensée indépendante qui mène à des conclusions semblables.

Lorsqu’on porte vraiment notre propre projet, il nous est plus facile d’arriver à une analyse indépendante de la situation, d’examiner les diverses informations et suggestions pour nous même et de se demander ce qui est en accord avec nos buts et priorités. Par exemple, céder la possibilité de manifester quand grand nombre ont encore besoin de bosser dans le commerce du détail ne peut être qu’une mauvaise décision pour tout projet libérateur. Ou bien reconnaître la nécessité d’une grêve des loyers, tout en propageant une peur qui interdit toute manière de se retrouver entre voisin.e.s.

Abandonner les moyens de lutter tout en accomodant l’économie n’a rien en commun avec nos buts à nous mais découle du but de l’État qui veut gérer la crise tout en limitant les dégats économiques et empêchant toute atteinte à sa légitimité. Ce n’est pas que l’État cherche à limiter la dissidence, c’est juste un sous-produit. Mais si nous avons un point de départ différent — cultiver l’autonomie au lieu de protéger l’économie — nous arriverons sans doûte à un équilibre différent sur ce qui nous est acceptable.

Pour ma part, un point de départ c’est que mon projet en tant qu’anarchiste est de créer les conditions pour des vies libres et enrichissantes et non simplement des vies les plus longues possibles. Je veux écouter des conseils intelligents sans céder mon autonomie et je veux respecter l’autonomie des autres — au lieu d’un code moral à imposer, nos mesures pour le virus devrait se baser sur des accords et des limites, comme toute pratique de consentement. En discutant des mesures qu’on a choisi, on arrive à des accords et là où l’accord est impossible, nous établissons des limites auto-exécutoires qui n’ont pas besoin de coercition. Nous prenons en compte comment l’accès aux soins médicaux, la classe, la race, le genre, la géographie et bien sûr la santé interagissent avec en même temps le virus et la réponse de l’État et nous prenons celà comme une base pour notre solidarité.

Le récit de l’État insiste sur l’unité — l’idée qu’il est nécessaire de se rassembler comme société pour un bien singulier qui nous appartiendrait à tous et toutes. Les gens aiment le sentiment de faire partie d’un grand effort de groupe et aiment l’idée qu’ils puissent contribuer par leurs gestes individuels — le même genre de phénomène qui rend possible les mouvements sociaux contestataires permetant aussi à ces moments d’obéissance de masse. Notre rejet de ce récit peut donc commencer en se rappellant de l’opposition fondamentale entre les intérêts des riches et des puissants et les nôtres. Même dans une situation où ils pourraient tomber malade et mourir eux aussi (en différence avec la crise des opiacés ou l’épidémie du SIDA avant), leur réponse à la crise à peu de chance de satisfaire nos besoins et risque même une intensification de l’exploitation.

Le sujet présumé de la plus part des mesures tel que l’auto-isolement et l’éloignement social est de classe moyenne — ils imaginent une personne avec un emploi qu’elle peut facilement faire de chez elle ou bien qui a accès à des congé payée (ou dans le pire des cas, à des économies), une personne avec un chez-elle spacieux, une voiture personelle, sans beaucoup de relations intimes et avec du fric à dépenser sur la garde d’enfants et le loisir. Tout le monde est exhorté à accepter un niveau d’incomfort, mais ceci augmente à force que nos vies diffèrent de cette idéale implicite, ce qui augmente l’inégalité du risque des pires conséquences du virus.

En réponse à cette inégalité on voit circuler de nombreux appels pour des formes de redistribution étatique, telles que l’expansion de l’assurance emploi, des prêts ou des reports de paiement. La plus part de ces mesures se résument à de nouvelles formes de dette pour des gens déjà en difficulté, ce qui fait écho de la crise financière de 2008, où tout le monde a partagé les pertes des riches tandis que les pauvres ont été laissés pour compte.

Je n’ai aucun intérêt à donner des conseils à l’État et je ne suis pas parmi celleux qui voit en ce moment un point de bascule vers des mesures socialistes. La question centrale à mon avis, c’est si on veut ou non que l’État ait le pouvoir de tout arrêter, peu importe ce qu’on pense des raisons invoqués.

Le blocages #shutdowncanada étaient jugées innacceptables, bien qu’ils ne causaient pas une fraction des dégats que ce qu’a pu faire l’État, à peine une semaine plus tard. C’est clair que le problème n’est pas le niveau de perturbation, mais qui est l’acteur légitime. De la même manière, le gouvernement de l’Ontario ne cessait de répéter à quel point la grève des enseignant·e·s et leurs quelques journées d’actions auraient été un fardeau inacceptable pour les familles, juste avant d’ordonner la fermeture des écoles pendant trois semaines. Encore une fois, le problème c’est que c’était des travailleurs·euses et non un gouvernement ou un patron. La fermeture des frontières à des gens mais non à des biens intensifie le projet nationaliste déjà en marche partout dans le monde et la nature économique de ces mesures à l’apparence morale deviendra évidente après le pic du virus et quand les appels deviendront plutôt « achêter, pour l’économie ».

L’État rend légitime ses actions en les positionnant comme la simple mise-en-pratique des recommandations expertes et de nombreux gauchistes répètent cette même logique dans leurs appels pour la gestion directe de la crise par des experts. Tous les deux prônent la technocratie et le règne des experts. On a vu de ça dans certains pays européens, où des experts économiques étaient nommés chef d’État pour mettre en place des plans d’austérité « neutres’ et « objectifs ». On trouve souvent à gauche des appels à céder notre autonomie pour se fier à des experts, surtout dans le mouvement contre les changements climatique, et aucune surprise de les retrouver pour le virus.

Ce n’est pas que je ne veux pas l’avis d’experts ou qu’il existe des individus avec une connaissance profonde de leur domaine — c’est que je trouve que la manière de présenter un problème anticipe déjà la solution. La réponse au virus en Chine nous montre de quoi la technocratie et l’autoritarisme sont capables. Le virus ralenti et les postes de contrôle, les couvre-feu, les technologies de reconaissance faciale et la mobilisation de main d’oeuvre peuvent servir à d’autres fins. Si on ne veut pas cette réponse, il faut savoir poser une question différente.

Les écrans ont déjà réussi à enfermer énormément la vie sociale et cette crise ne fait qu’accélérer ce processus — que peut-on faire pour lutter contre l’aliénation en ce moment? Que peut-on faire pour répondre à la panique de masse que répandent les médias, ainsi qu’à l’anxiété et la solitude qui viennent avec?

Comment répandre la possibilité d’agir? Les projets d’entraide et de santé autonomes sont une bonne idée, mais peut-on passer à l’offensive? Peut-on entraver la capacité des puissants de décider quelles vies valent la peine de sauver? Peut-on aller au-delà du soutien pour s’attaquer aux rapports de proprieté? Aller vers le pillage ou l’expropriation, ou même extorquer les patrons au lieu de mendier pour un peu de congé maladie?

Que fait-on pour préparer à esquiver les couvre-feu ou des restrictions de déplacements, même à traverser des frontières bouclées, si on décide que c’est approprié? Cela comprendra d’établir nos propres standards pour la sécurité et la nécessité et de ne pas accepter bêtement celles de l’État.

Que peut-on faire pour avancer nos engagements anarchistes? En particulier, notre haine de la prison dans toutes ses formes me parait pertinente. Que peut-on faire pour cibler les taules en ce moment? Et les frontières? Et si la police s’en mêlent pour appuyer les mesures de l’État, comment faire pour délégitimer et limiter leur pouvoir?

Le pouvoir se reconfigure autour de nous — comment cibler ses nouveaux points de concentration? Quels intérêts cherchent à « gagner » au virus et comment les miner (pensons aux opportunités d’investissement, mais aussi aux nouvelles lois et l’expansion de pouvoirs autoritaires). Quelles infrastructures de contôle se renforcent? Qui sont les profiteurs et comment les atteindre? Comment préparer pour ce qui viendra après et se préparer pour le moment de possibilité qui pourrait exister entre le pire du virus et un retour à la normalité économique?

Développer notre propre récit de ce qui se passe, ainsi que des buts et priorités qui nous sont propres, n’est pas mince affaire. Il sera nécessaire d’échanger des textes, experimenter en action et communiquer sur les résultats. Il nous sera nécessaire d’élargir notre idée d’intérieur-extérieur pour avoir suffisament de gens avec qui s’organiser. Il sera nécessaire de continuer d’agir dans l’espace publique et refuser de se replier sur l’internet. Avec les mesures pour combattre le virus, la peur intense et la pression de se conformer chez nombreuses personnes qui seraient autrement nos alliées rend difficile la tâche de discuter de la crise autrement. Mais si on veut vraiment défier la capacité des puissants de façonner la réponse au virus selon leurs intérêts, il faut commencer par regagner l’abilité de poser nos propres questions.

Les conditions sont différentes partout, mais les États se regardent et se prennent en exemple, alors il nous ferait bien de regarder les anarchistes ailleurs pour voir comment illes font face à des conditions qui seront bientôt les notres. Alors je vous laisse avec cette citation d’anarchistes en France, où le confinement obligatoire est en place depuis une semaine, maintenu par la force armée de la police:

Alors oui, on va éviter les activités trop collectives, les réunions superflues, on va maintenir des distances de sécurité, mais on niquera votre confinement, déjouera autant que possible vos contrôles, hors de question qu’on cautionne la restriction de nos libertés et la répression ! A tou.te.s les pauvres, les marginaux et les révolté.e.s, soyons solidaires et entre-aidons nous pour maintenir les activités nécessaires à notre survie, éviter les arrestations et les amandes et continuer à nous exprimer politiquement.

Contre le confinement généralisé, Indymedia Nantes

Ex Masculus : Réflexions critiques sur les groupes d’hommes pro-féministes

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Jan 282021
 

Soumission anonyme à MTL Contre-info

Cette brochure est originellement écrite en anglais depuis les USA, et publiée en 2013. La version originale est trouvable sur :
https://exmasculus.wordpress.com/

Nous l’avons traduite à 3, si on ne compte pas les nombreux·ses relecteur·ices qui nous ont permis d’arriver au bout, et qu’on remercie beaucoup : merci beaucoup. Nous sommes une meuf et deux mecs cis réuni·es autour d’un groupe de travail antisexiste, et à qui il a semblé que ce type de brochure manquait cruellement en francophonie.

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La Mauvaise Herbe vol.19

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Jan 262021
 

De La Mauvaise Herbe

Heureuse nouvelle contre la dépression saisonnière, La Mauvaise Herbe vient de publier son nouveau numéro (décembre 2020)!!

Sommaire des articles:
– Des kilomètres et des chalets
– Tchernobyl et le COVID
– Des nouvelles du progrès
– Être ancrés dans la réalité et le sol
– Anarchiste d’esprit vs anarchiste de parole
– Compte-rendu du livre Operation Chaos
– Voici à quoi ressemble le terrorisme domestique
– Extraits du livre La lutte pour le territoire québécois; entre extractivisme et écocitoyenneté

Vous pouvez télécharger ce numéro sur le lien ci-dessous:

MH19

Crise sanitaire : comment le capitalisme nous tue depuis un an

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Jan 262021
 

De Archives Révolutionnaires

Au début de l’année 2020, la presse fait état d’un nouveau virus se propageant à travers le monde. Au printemps, dans un pacte officieux et en attendant d’en savoir plus sur les modalités de transmission et la dangerosité du nouveau coronavirus, la plupart des États capitalistes décident de ralentir, voire de fermer la majeure partie de leur économie. Au Québec, l’état d’urgence sanitaire est déclaré le 13 mars 2020. Pourtant, dès que « l’on en sait un peu plus » et que l’on croit le virus contrôlable, l’ensemble des pays industrialisés rouvrent leur économie : il faut faire vite dans le but de ne pas être laissé derrière. Au début du mois de mai, les magasins, la plupart des entreprises et les garderies entament une réouverture au Québec, la ville de Montréal retardant de quelques semaines sur le reste de la province. Un déconfinement général est amorcé le 25 juin, alors que l’obligation de porter un masque dans les lieux publics fermés est décrétée le 18 juillet : l’économie fonctionne quasi à plein régime, quoique les citoyen.nes doivent changer quelques habitudes de vie. L’été semble offrir un répit avant que le virus ne recommence à se répandre au début du mois de septembre, grosso modo lors de la période du retour en classe et à cause de la baisse graduelle des températures qui pousse la population à passer plus de temps à l’intérieur et dans des lieux moins aérés, au travail comme ailleurs. En janvier 2021, le Québec fait état de plus de 250 000 cas et d’un bilan de plus de 9 400 mort.es de la COVID-191. Qu’est-ce qui nous a menés là ? Pourquoi, malgré un an d’efforts collectifs, la situation semble-telle toujours s’aggraver ? Éléments d’explication.

L’état dans lequel se trouve aujourd’hui le Québec est directement imputable à l’organisation capitaliste de notre société. Les gouvernements québécois des 30 dernières années, en phase avec l’idéologie néolibérale, ont systématiquement détruit les structures de solidarité sociale, au premier rang desquels le système de santé publique2. Anémique, le réseau hospitalier est dorénavant incapable de supporter la pression d’un afflux supplémentaire de malades, comme il est incapable de prodiguer des soins adéquats aux patient.es ou d’offrir des conditions de travail dignes à la majorité de ses employé.es. Négligés ou privatisés, les Centres d’hébergement de soins de longue durée (CHSLD) sont devenus le tombeau des improductif.ves. Dans ce tout-à-l’économie, focalisé sur le maintien de la production et de la consommation, le gouvernement – de connivence avec l’industrie – a de surcroît mis en danger les travailleur.euses en lésinant sur la fermeture du secteur manufacturier, de la construction et de nombreuses autres entreprises. Cette désinvolture a entraîné la concentration des contaminations dans les quartiers ouvriers, révélant au passage les inégalités sociales et la division de classes sur lesquels repose le système capitaliste3. Face à cette gestion froide et comptable de la crise, qui réduit l’individu à sa seule fonction productive tout en rudoyant les secteurs reproductifs (santé, éducation…), une colère multiforme se fait entendre. C’est pour dissimuler les facteurs structurels qui alimentent la pandémie et mater la colère qui se généralise que le gouvernement de François Legault (Coalition Avenir Québec) se dédouane en responsabilisant les individus – pourtant victimes de la crise – et qu’il emploie de plus en plus de mesures fondées sur la peur, la répression, la discipline policière et l’autoritarisme.

Néolibéralisme et système de santé : un mal profond

Les gouvernements péquistes, libéraux et caquiste des 30 dernières années, adhérant tous à l’idéologie néolibérale, ont systématiquement détruit les structures de solidarité sociale4, en particulier le système de santé publique dont nous aurions tant besoin en ce moment. Le gouvernement de Lucien Bouchard (Parti Québécois) – dans lequel François Legault était ministre – a fait du néolibéralisme une politique d’État en imposant son programme du « déficit zéro » en 1996, une politique à laquelle se sont désormais pliés tous les gouvernements successifs. Le gouvernement libéral de Philippe Couillard, quant à lui, a donné le coup de grâce en opérant des compressions massives et des restructurations au sein du système de santé publique dans le cadre de la « réforme Barrette » amorcée en 20155. Ce programme a entraîné une dégradation majeure des conditions de travail des employé.es du secteur public de la santé, sans compter l’effondrement de la qualité des soins6.

Le réseau ressemble maintenant à un monstre centralisé et surbureaucratisé7, dans lequel les travailleur.euses ont peu d’ascendant sur les décisions qui affectent leur travail et doivent répondre à des standards de productivité difficilement applicables en contexte de soins8. De nombreux.euses employé.es, incapables de supporter plus longtemps une telle pression – d’ailleurs contraire aux principes altruistes du système de santé – quittent leur emploi dans le secteur public, ce qui entraîne des pénuries de personnel. La pandémie n’a fait qu’aggraver cette situation catastrophique. Le gouvernement du Québec a suspendu plusieurs conventions collectives dans le domaine de la santé en mars 2020, s’octroyant ainsi le droit de déplacer le personnel à sa guise et sans égard pour les postes occupés, d’annuler des congés préalablement autorisés et de refuser l’octroi de nouveaux congés9. Aucune réponse n’a par ailleurs été donnée aux demandes légitimes et aux mobilisations des travailleur.euses de la santé concernant l’équipement de protection individuel adéquat, l’interdiction de déplacer le personnel hospitalier pour freiner la propagation du virus, les heures de travail, les congés ou la paie. En décembre 2020, les travailleur.euses de l’hôpital de Chicoutimi imploraient encore leur Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux (CIUSSS qui chapeaute une région socio-sanitaire du Québec) de leur fournir des masques N95 afin de freiner la contamination au sein du personnel soignant10.

Affichage public, Trois-Rivières, 2020 (@le_pleurnicheur)

Au cours des années, l’État québécois – responsable du domaine de la santé – s’est montré incapable d’assumer sa responsabilité envers les personnes âgées et les CHSLD, en laissant nombre d’établissements aux mains du secteur privé et en négligeant ceux du secteur public. Sans surprise, les CHSLD privés imposent les pires conditions de travail pour le personnel et les salaires les plus bas, entraînant là aussi une grave pénurie de main-d’œuvre. Ces établissements ont par ailleurs fait la manchette en raison des négligences dont leurs résidant.es sont victimes. L’hécatombe dans les CHSLD privés et publics du printemps 2020 est la conséquence tragique d’un mode de gestion entrepreneurial de la société qui rejette sa responsabilité envers les aîné.es (vu.es comme des non-productif.ves) ou qui privatise cyniquement les soins auxquels il.les ont droit. Le travail de reproduction sociale associé à ces soins, principalement dévolu à des femmes (dont beaucoup sont issues de l’immigration) est naturellement dévalorisé en régime capitaliste, sexiste et raciste. Pour remédier à la catastrophe dans le système de santé, aucune solution conséquente ou structurelle n’a été proposée. Le comptable en chef, François Legault, se contente de féliciter les « anges gardiens » (entendre, les travailleur.euses essentiel.les), tout en laissant le système dépérir et en maintenant une attitude condescendante et violente envers celles et ceux qui travaillent dans le domaine de la santé. Les gestionnaires d’établissements continuent d’user de la contrainte envers leur personnel en toute impunité11, notamment par l’imposition de « temps supplémentaire obligatoire ». L’appel de plus en plus massif aux agences de placement pour pallier les pénuries de main-d’œuvre contribue par ailleurs à la contamination massive des employé.es comme des patient.es12, alors que les « employé.es volant.es » deviennent involontairement et à leur grand dam des vecteurs de transmission.

Nous voilà devant les conséquences des compressions drastiques et des restructurations des gouvernements péquistes, libéraux et caquiste qui, depuis les années 1980, détruisent le système de santé publique que le Québec avait tenté de mettre en place à partir des années 1960. L’économicisme et l’incurie sociale de ces gouvernements successifs tuent les plus vulnérables d’entre nous aujourd’hui. Un réseau décentralisé, bien organisé et bien financé, aux employé.es en nombre suffisant et bénéficiant de bonnes conditions de travail, aurait certainement fait la différence13. De même, si une partie des soins de santé pour les personnes en fin de vie ou âgées n’avait pas été laissée entre les mains du secteur privé, nous n’aurions sûrement pas subi ces terribles pertes en vies humaines dans les CHSLD au printemps 2020. Si nous ne pouvons pas revenir en arrière, il est pourtant primordial de mettre en œuvre des solutions systémiques afin qu’une telle tragédie ne se reproduise jamais. La solution à long terme repose sur une vision de la santé non capitaliste et qui fait fi du productivisme, ainsi que sur une gestion coopérative ou une autogestion des établissements de santé, qui place le bien-être des patient.es et du personnel au premier plan : nous savons déjà que le personnel de santé est le plus apte à organiser convenablement les soins et c’est ce qu’il a prouvé malgré les terribles conditions actuelles. Laissons-le travailler comme il l’entend pour le bien-être, la santé et la dignité de toutes et tous.

Une crise pandémique qui en révèle cent autres : quand le capitalisme déconne

En refusant d’élaborer un plan conséquent, dans le temps long, de fermeture de différents secteurs de l’économie après le printemps 2020, le gouvernement Legault, obsédé par le maintien de la production et de la consommation, a mis en danger un grand nombre travailleur.euses, au premier rang desquels les employé.es des secteurs manufacturiers, de l’entreposage, de l’alimentaire et des services (bien sûr, sans compter celles et ceux de la santé). Ce n’est pas un hasard si la crise sanitaire frappe le plus durement les quartiers ouvriers, populaires et paupérisés – là où vivent les travailleur.euses des secteurs maintenus en activité – depuis le printemps 2020.

C’est un lieu commun de dire que le mode de production capitaliste est créateur de profondes inégalités tant au niveau national qu’international14. Ce système, qui génère des bénéfices pour une minorité de privilégié.es et laisse des miettes à la majorité qui produit, s’appuie sur une division de classes, sexuelles et raciales du travail. L’accélération du déconfinement au printemps 2020, alors que la pandémie était loin d’être maîtrisée, a ainsi frappé de plein fouet les travailleur.euses les plus précaires, dont le large contingent des travailleur.euses essentiel.les. Malgré l’insistance médiatique sur les rencontres privées et les partys, les principaux lieux d’éclosion ont toujours été les milieux de travail, ainsi que les hôpitaux, les écoles et les garderies (qui sont aussi des milieux de travail). Le 31 août 2020, le journal Métro rapportait que quelque 1 200 entreprises montréalaises (excluant les services publics, entre autres les hôpitaux) avaient officiellement recensé au moins un cas de COVID-19 depuis la mi-mars. Parmi celles-ci, environ le quart était considéré comme des foyers d’éclosion15. En date du 23 janvier 2021, les milieux de travail comptabilisaient 56,1 % des éclosions terminées, les milieux scolaires, 21,3 % et les garderies, 6,6 %. Quant aux « milieux de vie et de soins », ils comptaient pour 11,5 % des éclosions terminées alors que la catégorie « autres milieux » en recensait 1,8 %16.

Qui sont les travailleur.euses les plus à risque ? En sus des employé.es de la santé et du secteur tertiaire, ce sont les travailleur.euses des secteurs manufacturier, de l’entreposage et de l’alimentaire, des employé.es précaires – en grande partie immigré.es, sans-papiers ou racisé.es – qui doivent travailler dans des conditions difficiles et le plus souvent dangereuses, en « temps normal », mais aussi en temps de pandémie. Les abattoirs, par exemple, ont été des milieux particulièrement touchés par le virus, pour la simple raison que les employé.es sur les lignes de production doivent travailler côte à côte et que les employeurs y négligent les mesures de protection17. Des employé.es des entrepôts de Dollarama dénonçaient à l’été 2020 leurs conditions de travail qui ne respectaient aucunement les consignes sanitaires18. Dans le secteur manufacturier, on continue à déplacer matin et soir des travailleur.euses dans des autobus scolaires (jaunes), ce qui constitue un important vecteur de transmission auquel les travailleur.euses ne peuvent pas échapper19. Tous ces secteurs ont en commun de faire appel massivement aux agences de placement, qui favorisent un grand roulement de personnel et augmentent la difficulté d’organiser des syndicats… et qui permettent aussi au virus de circuler et aux employeurs d’être négligents sans avoir à répondre de leurs actions.

Le ministre Pierre Fitzgibbon ne se gênait pourtant pas pour mentir impunément aussi récemment que le 8 janvier en entretien au Devoir20, alors qu’il affirmait « qu’il n’y en a pas eu tant que ça [des contaminations en milieu de travail] », reconnaissant pourtant « qu’il y a peut-être eu un peu d’influence » de sa part pour que les manufactures et le secteur de la construction demeurent en activité. Le ministre affirmait compter sur « l’autodiscipline » des entreprises pour éviter les éclosions de COVID-19 en milieu de travail. Nous sommes en droit de nous demander de quelle « autodiscipline » le ministre parle alors qu’un grand nombre d’entreprises fait visiblement passer le profit avant la sécurité et la santé des employé.es. Si plusieurs entreprises lésinent sur les mesures préventives, celles qui les mettent en place, comme les épiceries, trouvent d’autres moyens de malmener leurs employé.es. La chaîne d’épicerie Loblaws, par exemple, a annulé au cours de l’été 2020 son « augmentation salariale d’urgence » de 2 $ de l’heure qu’elle avait offerte à ses employé.es en raison des dangers encourus par celles et ceux-ci au début de la pandémie. Ce 2 $ s’ajoutait à un salaire de plus ou moins 13 $ de l’heure. Pendant ce temps, la fortune de la famille Weston, propriétaire des épiceries Loblaws, s’élevait (en septembre 2020) à 10,8 milliards de dollars21… et les caissières et commis de Loblaws continuaient d’être exposé.es au virus lors de la deuxième vague de l’automne.

Farm Workers / Vegetable and Fruit Pickers – Essential Worker Portrait no.6 (Carolyn Olson)

Dans de telles conditions, les quartiers ouvriers et populaires connaissent les taux de contamination les plus graves de la province depuis le printemps 2020. Ces quartiers, où habitent un grand nombre de préposé.es aux bénéficiaires, d’infirmier.ères, de travailleur.euses des secteurs secondaire et tertiaire, des quartiers où vivent de nombreux.euses travailleur.euses migrant.es et sans-papiers, les plus touchés par la pandémie, sont paradoxalement (mais sans surprise) les plus négligés par les pouvoirs provinciaux et municipaux. Au printemps 2020, Le Devoir révèle que les quartiers Saint-Michel, Montréal-Nord et Rivière-des-Prairies à Montréal sont les quartiers les plus touchés par le coronavirus22. À la même période, le quartier Parc-Extension connaît une hausse fulgurante des cas de COVID-19. Le même article du Devoir rapporte qu’à Montréal-Nord, 40 % des cas de coronavirus sont directement liés aux travailleur.euses de la santé et des CHSLD. Un grand nombre de résident.es de Parc-Extension travaillent quant à eux dans le secteur agricole – lui aussi durement touché par le virus23 – et dans le secteur de la transformation alimentaire24, alors que les logements du quartier sont souvent trop petits pour accueillir les familles qui y vivent25. Conditions de travail non sécuritaires et proximité dans les milieux de vie deviennent vite les raisons évidentes de la contamination qui affecte les travailleur.euses et les quartiers populaires, loin du fantasme des « vilain.es fêtard.es » sensé.es être la cause principale de la propagation du virus. Face à cette situation, bien peu est proposé par le gouvernement provincial afin d’aider les travailleur.euses précaires, les locataires paupérisé.es ou les personnes marginalisé.es, entre autres. L’incurie des administrations provinciales comme municipales a forcé des citoyen.nes bénévoles à prendre en charge la prévention, la distribution de masques, le dépistage ou encore l’aide alimentaire. À Montréal-Nord, ce sont des bénévoles (lié.es aux organisations de quartier Hoodstock, Paroles d’excluEs et Un itinéraire pour tous notamment) qui se sont occupé.es de la sensibilisation ainsi que de la distribution de matériel de protection individuelle et de denrées alimentaires26.

La précarité économique, les emplois à risque, le manque de logements adéquats, le surpeuplement et la densité de certains quartiers sont les facteurs systémiques déterminants qui amplifient la crise pandémique. Le port du masque est certes l’une des meilleures barrières contre la transmission du virus en situation fermée, mais comment espérer que des employé.es travaillant, par exemple, dans une cuisine surchauffée et étroite puissent respecter ledit port du masque durant huit heures d’affilée ? Comment croire que les lieux de travail seraient magiquement immunisés contre les éclosions, alors que c’est pourtant eux qui mettent en contact le plus régulièrement et avec la plus grande proximité le plus grand nombre de personnes, sans compter la négligence des entreprises qui sont là pour le profit et non pour le bien-être et la santé des employé.es ? Comment ignorer que le fait d’habiter dans des logements trop petits, mal aérés et surpeuplés – c’est le cas pour une grande partie des travailleur.euses – contribue à la propagation du virus ? Si les mesures « de base » (distanciation, lavage de mains, port du masque, etc.) sont efficaces pour freiner la propagation du coronavirus, il faut pourtant, afin qu’elles portent réellement fruit, qu’elles soient accompagnées de mesures structurelles favorisant réellement et durablement la distanciation sociale, au travail comme à la maison, sans abandonner des pans entiers de la population à leur sort.

Comment croire que les lieux de travail seraient magiquement immunisés contre les éclosions, alors que c’est pourtant eux qui mettent en contact le plus régulièrement et avec la plus grande proximité le plus grand nombre de personnes, sans compter la négligence des entreprises qui sont là pour le profit et non pour le bien-être et la santé des employé.es ?

Pour ce faire, il est nécessaire d’impliquer les travailleur.euses (des secteurs public et privé) et leurs organisations, notamment les sections syndicales locales, dans la mise en place des mesures sanitaires et que celles et ceux-ci jugent des conditions adéquates et sécuritaires de leur travail. Il faut (à court terme) régulariser la demi-journée de travail sans perte de revenu, réduire fortement et durablement les effectifs, fermer les lieux de travail dangereux et non essentiels, ne plus tolérer la complaisance envers les grandes industries et maintenir une aide financière conséquente pour toutes les personnes affectées par la crise. La situation d’un grand nombre de travailleur.euses à risque est invisibilisée et évacuée du discours gouvernemental et médiatique, car il reste malvenu de dire que les milieux de travail sont les lieux principaux de la contamination. Cela ne doit pas nous surprendre, puisque le gouvernement place l’économie avant le bien-être de la population, mais nous ne pouvons pas faire l’autruche et accepter béatement cette supercherie. S’il est bien plus commode de mettre en accusation le jeune, le fêtard, le voyageur ou n’importe quelle figure à même d’attiser la grogne populaire dans la situation actuelle, il faut nous rappeler que celles et ceux qui perpétuent et amplifient la crise sanitaire et sociale sont nos dirigeant.es – gorgé.es d’idéologie néolibérale – de connivence avec les industriel.les et autres patron.nes sans scrupules : c’est contre eux et elles que doit se tourner notre colère.

En refusant d’agir, le gouvernement ne fait qu’empirer les choses. En plus de négliger la santé et la sécurité des travailleur.euses, l’obsession productiviste de François Legault l’a poussé à laisser tomber le secteur de la culture et ses travailleur.euses27 ainsi que de nombreux groupes aux marges de l’activité économique. Un grand nombre de personnes n’a eu droit à aucune aide, parce que leurs revenus n’étaient pas déclarés avant la crise, alors que bien d’autres ont dû se débrouiller avec les mêmes montants misérables – les personnes recevant de l’aide sociale ou du chômage par exemple – qu’avant la crise, qui a pourtant durci la situation socio-économique pour toutes et tous. Le gouvernement se sent légitime de laisser tomber, plus que jamais, cette large population à la marge de la production, et ce, en pleine période de crise28. Enfin, l’arbitraire policier continue de s’abattre avec la bénédiction du gouvernement et nombre de personnes continuent de souffrir et de mourir29.

En somme, malgré l’ampleur de l’actuelle tragédie, les idéologues néolibéraux continuent de négliger le système de santé et de violenter ses employé.es, l’économie reste privilégiée aux dépens de la sécurité, de la santé et de la dignité des gens, les quartiers ouvriers et immigrants sont encore les plus frappés, alors que bien sûr, les travailleur.euses les plus pauvres ainsi que les personnes les plus marginalisées voient leur fardeau alourdi. Dans cette situation intenable pour la majorité, ce que toutes et tous demandent, c’est une pause économique et une organisation solidaire. Mais le gouvernement, à l’encontre du bon sens et du respect qui est dû à la population, effectue plutôt une fuite vers l’avant et impose une gestion de plus en plus autoritaire de la catastrophe dont il se rend lui-même coupable.

Pas de solution policière à la crise sanitaire… et sociale

La stratégie du gouvernement caquiste, depuis la réouverture partielle de l’économie au printemps 2020, a été de faire reposer la responsabilité pandémique sur l’action d’individus récalcitrants tout en refusant de s’attaquer aux causes structurelles qui perpétuent et aggravent la crise. Cette gestion basée sur la culpabilisation individuelle et le dédouanement institutionnel – qui ramène par ailleurs l’individu à ses fonctions productive et consommatrice tout en négligeant les secteurs reproductifs (santé, éducation…) – a entraîné une colère multiforme portée par différents secteurs de la société : les personnes âgées, les locataires, les communautés autochtones, les travailleur.euses de la santé, le milieu communautaire, les syndicats, etc. C’est pour mater cette colère toujours plus visible et pour dissimuler les facteurs structurels qui alimentent la pandémie, le tout afin de maintenir la production, que le gouvernement a employé de plus en plus de mesures fondées sur la peur, la répression, la discipline policière et la responsabilisation individuelle jusqu’à ce jour.

Depuis le début de la crise, l’explication que le gouvernement Legault a privilégiée afin d’expliquer les difficultés dans la lutte contre le coronavirus et les différentes recrudescences de la maladie est celle qui met en cause les comportements individuels négligents, au travail ou dans la vie de tous les jours. S’il est bien sûr important de respecter les mesures de distanciation sociale, de réduire au minimum les contacts sociaux et les déplacements et d’adopter une hygiène de vie préventive (port du masque, lavage des mains) afin de ne pas mettre inutilement d’autres personnes en danger, il est faux de croire que cela suffise à endiguer la transmission, alors que de nombreuses personnes sont objectivement dans l’impossibilité de se prémunir ainsi que leur entourage : toutes et tous sont loin d’être égaux devant la pandémie30.

Comme nous l’exposions, la précarité économique, les environnements de travail et de soins déstructurés et dangereux, les logements trop petits, surpeuplés et mal ventilés, les quartiers denses et la ségrégation sociale sont d’importants facteurs qui contribuent à la perpétuation de la crise pandémique, sans égard pour la « morale sanitaire » des individus31. Il est plutôt facile de respecter les mesures sanitaires pour celles et ceux qui sont en télétravail ou en télé-école, ou qui habitent dans des maisons spacieuses avec toutes les commodités, dont un grand terrain ; il devient beaucoup plus difficile d’éviter les contaminations pour celles et ceux qui sont forcé.es de travailler, celles et ceux dont les enfants vont à l’école, qui habitent avec plusieurs personnes ou qui sont sans domicile fixe, qui sont incarcéré.es ou qui plus globalement manquent de ressources de toutes sortes. En maintenant un discours qui met l’accent sur l’agir problématique des « individualistes », le gouvernement détourne l’attention et contribue à créer un climat de suspicion sociale généralisée où chacun devient l’ennemi de tous, chaque contaminé devenant de plus un poids sur la société, un coupable – probable individualiste – plutôt qu’une victime du virus qui a besoin de bienveillance et de soins. En parallèle à cette culpabilisation, les gouvernements ont fait bien peu pour soutenir les efforts de solidarité, s’assurer de la mise à niveau des normes sanitaires dans les entreprises, financer le secteur de la santé ou s’occuper de la ventilation dans les écoles, un effort simple et important qui aurait pu être fait durant l’été, du propre aveu du ministre de la Santé Christian Dubé32. Le climat de répression nuit d’autant plus aux efforts de lutte contre le virus qu’il fait craindre aux personnes atteintes de la maladie de dévoiler des informations sur leurs activités à la santé publique, par peur de recevoir une amende de 1000 $ à 6 000 $ (l’ampleur des amendes peut faire hésiter bien des gens, même s’il.les n’ont « rien à se reprocher »)33. Il devient alors difficile de retracer les tierces personnes qui pourraient être porteuses de la COVID puisqu’elles auraient été en contact avec un.e tel.le malade.

Le manque de transparence du gouvernement dans plusieurs dossiers, son mépris affiché pour les êtres humains qu’il persiste à infantiliser et son manque d’écoute face aux nombreuses revendications légitimes (des locataires, des travailleur.euses, des syndicats, des communautés autochtones, des professeur.es, des organismes communautaires, des organisations pour la protection des droits des personnes migrantes ou sans-papiers, etc.) ont contribué à propager un sentiment de colère au sein de la population qui a donné lieu à de nombreuses mobilisations tout au long de l’année 2020. Dans cette situation de gestion de crise à la fois économiciste et méprisante, qui impose régulièrement de nouvelles contraintes sur les individus, cette colère a parfois pris des formes erratiques, entre autres au sein des mouvements complotistes eux-mêmes plus ou moins poreux à des idées d’extrême droite ou libertariennes. Cette colère confuse, que le gouvernement utilise comme un épouvantail, ne saurait pourtant cacher toutes les colères et révoltes justifiées, venant de nombreux secteurs de la société.

La répression détourne l’attention et donne l’impression de l’action.

Le paroxysme de la gestion policière, antisociale et procapitaliste de la crise est atteint au début de l’année 2021, alors que le gouvernement du Québec impose un couvre-feu généralisé à l’ensemble du territoire le 9 janvier. Alors même que le couvre-feu est annoncé, le Dr Horacio Arruda, directeur national de la santé publique, avoue qu’aucune étude contrôlée n’a démontré l’efficacité d’une telle mesure34. On sent bien ici que le gouvernement responsabilise indûment les citoyen.nes qui, somme toute, font de leur mieux, alors que lui ne fait pas même l’effort d’investir conséquemment en santé, de traiter dignement les infirmières, de ventiler les écoles ou encore d’imposer une pause économique digne de ce nom35. La répression détourne l’attention et donne l’impression de l’action. Comme cette gestion autoritaire ne sert qu’à cacher l’échec du gouvernement, il faut bien la justifier d’une manière ou d’une autre. La ligne communicationnelle du gouvernement est circulaire : la nécessité de la répression se voit confirmée du fait même que l’on trouve toujours des contrevenant.es au nouveau règlement gouvernemental (tel.le citoyen.ne prenant une marche tardive, telle autre personne itinérante…). En date du 18 janvier, c’est plus de 200 contraventions par jour qui étaient données pour non-respect du couvre-feu36, alors même que nous parvenait la nouvelle du décès de Raphaël « Napa » André, un homme innu sans domicile fixe, mort seul alors qu’il se cachait des policiers dans une toilette chimique durant le couvre-feu37. La crise continue pourtant d’être alimentée par les déficiences structurelles d’un système de santé détruit et par les contaminations sur les lieux de travail, malgré que le gouvernement s’en prenne à ses propres citoyen.nes afin de cacher son échec, tout en forçant le maintien de la production. La gestion autoritaire du gouvernement vise à obliger les gens à se conformer, à travailler et à consommer, ni plus ni moins38. En contrepartie, le plan de reconfinement partiel ne prend pas en compte les ressources complètement défaillantes, tant communautaires qu’en santé mentale ou financières, laissant un grand nombre de personnes – considérées comme « improductives » – sans aucune aide ni ressource.

Bref, devant le mécontentement populaire qui s’est développé en raison de l’incapacité du gouvernement à gérer la crise, la stratégie de la CAQ a été de se dédouaner de sa responsabilité en mettant la faute sur les lambdas. Cela lui permet de cacher sa gestion erratique – d’un point de vue sanitaire – tout en créant un bouc émissaire. Ensuite, cela justifie l’ensemble de son programme autoritaire, qui sert en fait à mater la colère légitime, à imposer le maintien de l’activité économique et à obliger les travailleur.euses de nombreux secteurs à continuer le boulot : cette manière de faire perpétue paradoxalement la situation de crise et de contamination, en raison de l’ouverture des manufactures et de la construction par exemple. Le gouvernement, complètement borné, refuse d’avouer ses torts qu’il attribue à autrui tout en continuant d’entretenir la catastrophe sanitaire. Pourquoi, pour le bénéfice d’une poignée d’industries, et ce, à court terme ? Et contre quoi, contre la santé, la sécurité, la dignité de toutes et tous ? La conséquence de cette approche est une répression démesurée, mal ciblée et foncièrement inique, alors que de nombreuses personnes continuent de mourir. La conséquence en est aussi une colère grandissante, qui – souhaitons-le – viendra bientôt ébranler ce gouvernement incapable et népotique ainsi que son idéologie néolibérale, son économie capitaliste et plus largement l’ensemble de ses structures antisociales.

En guise de conclusion : des solutions solidaires

Il est clair que la perpétuation de la crise sociale et sanitaire actuelle est due à (au moins) trois facteurs systémiques : premièrement, la faiblesse généralisée du système de santé publique, victime de la gestion entrepreneuriale des gouvernements acquis à l’idéologie néolibérale ; deuxièmement, la priorité absolue accordée à l’économie (à la production et à la consommation notamment), entraînant une négligence constante quant aux conditions de travail et de vie des travailleur.euses, fortement à risque de contracter le coronavirus ; et troisièmement, le choix d’une gestion culpabilisante et autoritaire envers les individus plutôt qu’une prise en charge collective, conséquente et structurelle de la crise, des problèmes qu’elle soulève et des solutions qui s’imposent. L’actuelle crise sociale et sanitaire est assurément favorisée, perpétuée et même amplifiée par ces trois facteurs qui lui préexistaient, mais qui révèlent plus que jamais leur toxicité. Il faudra bientôt penser collectivement à se débarrasser de l’idéologie néolibérale, de l’économie capitaliste et de la norme individualiste si nous voulons éviter de telles catastrophes à l’avenir, si nous voulons collectivement vivre39.

Une accusation fréquente portée contre ceux et celles qui critiquent l’actuelle gestion gouvernementale consiste à dire que ce n’est pas le temps de critiquer puisqu’il est déjà trop tard (autrement dit, il vaudrait mieux agir sans penser maintenant et réfléchir plus tard puisque « l’heure est grave »). Pourtant, comment ne pas critiquer alors que ce sont l’État et les industries qui sont responsables de la perpétuation de la crise, alors même que l’obsession productiviste et le refus obstiné d’investir dans les structures de solidarité sociale continuent de nourrir la bête pandémique ? Ce n’est pas parce que François Legault tente de cacher l’éléphant dans la pièce, son échec retentissant causé par son mépris des services publics et sa complaisance envers le secteur privé, que nous devons tomber dans le panneau. Les gouvernements sont ceux qui possèdent, de loin, les plus grands leviers et ressources pour faire face à la crise. Il est de leur devoir d’agir à court terme. Nous sommes dans une pandémie mondiale depuis plus d’un an, l’Institut national de la santé nous informe rigoureusement de son développement, un grand nombre de scientifiques identifient les véritables facteurs de contagion ; comment se fait-il que le gouvernement n’agisse pas pour la population et à l’encontre de sa doxa économiciste, du moins pour un temps afin de sauver des vies et notre dignité collective ?

Il faudra bientôt penser collectivement à se débarrasser de l’idéologie néolibérale, de l’économie capitaliste et de la norme individualiste si nous voulons éviter de telles catastrophes à l’avenir, si nous voulons collectivement vivre.

Le gouvernement a eu tout le temps d’installer des purificateurs d’air ainsi que des systèmes de ventilation dans les bâtiments publics, puis d’obliger le secteur privé à faire de même. Il a eu le temps de mettre les écoles à niveau40 et de fournir des ressources aux parents, comme il a eu l’occasion d’offrir le soutien et les ressources justement réclamées par les communautés autochtones. Il a eu un an pour établir et imposer un plan de fermeture (majoritaire) et de sécurisation des secteurs manufacturier et de la construction ainsi qu’agroalimentaire. Il a eu le temps de financer le système de santé, les services communautaires, l’aide aux aîné.es, l’aide aux itinérant.es, l’aide aux groupes marginalisé.es. Il aurait pu à tout moment troquer sa rhétorique méprisante envers les travailleur.euses et la population pour une attitude respectueuse. La liste est trop longue de ce qu’il aurait pu et dû faire. Il n’y a pas lieu de croire qu’un gouvernement qui est capable de mettre en œuvre une répression qui s’étend chaque nuit à l’ensemble du Québec soit incapable de fournir des ressources conséquentes afin de s’attaquer aux facteurs systémiques qui aggravent la pandémie actuelle. Nous sommes peut-être trop avancés dans l’actuelle crise pour transformer en profondeur le système de santé avant que celle-ci se termine, mais il n’est jamais trop tard pour fournir les ressources adéquates fondées sur la solidarité sociale et le soin plutôt que sur la répression et la peur. Si le gouvernement refuse d’agir conséquemment depuis un an, c’est qu’il est incapable d’aller, ne serait-ce que durant quelques mois, à l’encontre de son essence entrepreneuriale et économiciste. Ce gouvernement et les précédents, néolibéraux et capitalistes, ont donné la preuve qu’ils n’étaient capables que de nous mener collectivement à la catastrophe et à la mort, en cette circonstance comme en d’autres.

« Aide mutuelle : nous nous protégeons les un.es les autres. Solidarité. Contre la COVID, le capitalisme et les autres menaces mortelles. » (artiste inconnu)

À brève échéance, face à cette crise sociale et sanitaire, nous devons envisager des solutions faites par et pour les personnes concernées, qui savent mieux que quiconque ce dont ils et elles ont besoin pour bien faire leur travail, se protéger ainsi que leurs proches et leurs collègues. Tou.tes les travailleur.euses de la santé, des services publics et des entreprises privées doivent être écouté.es quant à l’organisation sécuritaire de leur lieu de travail et à la gestion pandémique de ces lieux. Nous devons exiger que les citoyen.nes soient impliqué.es à tous les niveaux dans la gestion de la crise et que nous ayons collectivement le contrôle sur les décisions nous affectant. La fermeture d’une grande partie de l’économie, accompagnée d’un soutien financier et global pour les travailleur.euses ainsi que pour tou.tes les citoyen.nes, doit devenir une priorité. Un gel immédiat et prolongé des loyers est aussi nécessaire. Nous devons exiger plus d’investissements en santé et dans le système d’éducation ainsi que le financement massif et la réouverture totale et sans contrainte des organismes d’aide aux plus démuni.es. La fin immédiate du couvre-feu est une condition sine qua non au commencement d’une gestion socialement acceptable, non violente, non culpabilisante et collaborative de la crise. Nous devons miser le plus possible sur l’auto-organisation, avec l’obtention de tous les moyens de l’État, quitte à les lui prendre s’il nous les refuse.

Cette crise pandémique, dont nous ne sommes toujours pas sorti.es, doit aussi nous faire réfléchir à de nouvelles formes d’organisation non capitalistes et non soumises aux impératifs capitalistes, à un système de santé renouvelé, solidaire, communautaire et autogéré41. La prolifération des groupes d’entraide au début de la pandémie et les réflexes altruistes que nous constatons depuis un an montrent qu’il est possible d’envisager une société basée sur les principes de la solidarité et de la communauté, de la coopérative et de l’autogestion : nous savons ce qui est le mieux pour nous, autoorganisons-nous selon nos volontés42. Car disons-le, à moyen terme, nous ne pourrons plus tolérer l’idéologie néolibérale et le régime capitaliste qui détruisent nos vies ; nous ne pouvons plus, après l’échec gouvernemental actuel, nous fier ni aux gestionnaires des vieux partis, ni à leur potage idéologique infect, ni à leur système qui alimente la catastrophe. L’angoisse et la tragédie actuelles ne doivent pas nous empêcher de continuer à réfléchir de manière critique au monde qui nous est imparti. Maintenant, organisons-nous et mettons la pression sur nos gouvernements, avant de mener à terme notre combat contre l’État et le capitalisme puis d’édifier notre société nouvelle, solidaire, communautaire, coopérative et autogérée.


Notes :

[1] Plus d’une personne sur mille est morte de la COVID-19 au Québec en moins d’un an et ce bilan ne cesse de s’alourdir.

[2] Dans ce texte, notre critique vise principalement les gouvernements provinciaux québécois, dont relève le système de santé publique. Nous ciblons particulièrement le gouvernement de François Legault (Coalition Avenir Québec), élu majoritairement en octobre 2018 et principal gestionnaire de la crise sanitaire et sociale dans la province depuis le début de l’année 2020.

[3] La crise a donc servi à révéler et à accélérer « les tendances de fond qui traversaient les sociétés », précipitant quelque peu la transition vers un certain « capitalisme numérique ». Pour en savoir plus : https://www.monde-diplomatique.fr/2021/01/CORDONNIER/62635

[4] Pour les peuples autochtones, ces structures de solidarité sociale, dont des services de santé adéquats, n’ont jamais réellement été mises en place. De plus, le système québécois est encore rongé par le racisme systémique, comme en a récemment témoigné la mort de Joyce Echaquan, femme atikamekw, survenue le 28 septembre 2020 sous les insultes racistes du personnel de l’hôpital de Joliette.

[5] https://www.lapresse.ca/actualites/sante/2019-09-17/reforme-barrette-la-sante-publique-frappee-de-plein-fouet

[6] Le secteur privé a lui aussi contribué à cette situation, en pressurisant les gouvernements successifs pour qu’ils ne répondent pas aux exigences légitimes des employé.es du secteur public… afin d’éviter de voir des exigences semblables formulées dans le secteur privé : https://iris-recherche.qc.ca/blogue/la-memoire-selective-du-milieu-des-affaires-quebecois

[7] Cette centralisation est diamétralement opposée aux principes qui devaient fonder le système de santé publique au Québec, à savoir les soins de proximité et les cliniques de quartier, les fameux CLSC (Centre local de services communautaires).

[8] L’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS) a produit un dossier très complet sur les conséquences des compressions et des restructurations néolibérales sur le système de santé. En 2017, l’Institut a publié une étude complète sur l’allocation des ressources pour le domaine de la santé et des services sociaux au Québec. Le dossier et l’étude sont disponibles en ligne : https://mailchi.mp/iris-recherche.qc.ca/sante

[9] https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1756578/ciusss-ouest-ile-montreal-annulation-vacances-hiver-2020

[10] https://www.lequotidien.com/actualites/la-fiq-propose-un-projet-pilote-n95-a7621e61ad2014d839f73cb1f48c8bba

[11] https://www.journaldequebec.com/2018/08/27/des-employes-dun-chsld-embarrees-pour-en-forcer-une-a-rester-au-boulot-denonce-le-syndicat

[12] https://www.lapresse.ca/debats/opinions/2020-05-16/agences-de-placement-la-faille-du-reseau

[13] Un réseau, donc, fait par et pour les communautés, dont les valeurs centrales sont le soin, le respect et la dignité, comme en réclament par exemple les communautés autochtones – sans réponse – depuis des lustres.

[14] Le système capitaliste est en effet le grand responsable de la perpétuation et de l’amplification de la crise sociale et sanitaire actuelle. À ce sujet : https://www.contretemps.eu/lecture-anticapitaliste-pandemie-covid19/

[15] https://journalmetro.com/local/saint-laurent/2507034/entreprises-covid-drsp-montreal/

[16] https://www.quebec.ca/sante/problemes-de-sante/a-z/coronavirus-2019/situation-coronavirus-quebec/

[17] https://ricochet.media/fr/3133/abattoirs-contagion-covid19-quebec-canada-2020-olymel

[18] https://iwc-cti.ca/fr/les-artistes-montrealais-soutiennent-la-campagne-pour-la-justice-des-travailleur-euse-s-du-dollarama/

[19] https://www.ledevoir.com/societe/sante/592711/coronavirus-comment-briser-la-deuxieme-vague

[20] https://www.ledevoir.com/economie/592907/coronavirus-des-mesures-non-desastreuses-pour-l-economie-selon-pierre-fitzgibbon

[21] https://www.rcinet.ca/fr/2020/09/22/la-richesse-des-milliardaires-canadiens-a-explose-en-pleine-pandemie/

[22] https://www.ledevoir.com/politique/montreal/577870/montreal-nord-saint-michel-et-riviere-des-prairies-sont-des-quartiers-chauds-de-la-pandemie

[23] https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1711732/travailleurs-etrangers-vegpro-main-doeuvre-stable-eclosion-coronavirus

[24] https://www.ledevoir.com/politique/montreal/578424/inquietude-dans-parc-extension

[25] https://www.cbc.ca/news/canada/montreal/parc-extension-covid-19-rate-increase-1.5775079

[26] https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1699608/protection-epidemie-coronavirus-depistage-communaute et https://www.ledevoir.com/societe/586931/la-pandemie-ce-puissant-revelateur

[27] https://www.ledevoir.com/culture/593541/coronavirus-un-travailleur-de-la-culture-sur-quatre-a-perdu-son-emploi-en-2020

[28] Un exemple parmi d’autres : https://www.ledevoir.com/societe/sante/593644/hausse-des-psychoses-toxiques-chez-les-itinerants

[29] Un arbitraire et une violence qui affecteront certainement de manière disproportionnée les personnes autochtones et racisées, les minorités de genre, les femmes, etc., alors que l’on sait que les corps policiers sont gangrénés par le racisme, l’homophobie, la transphobie et le sexisme (entre autres). Le Service de Police de la Ville de Montréal (SPVM) reconnaît par exemple lui-même le racisme systémique dans son organisation sans agir conséquemment pour le supprimer. Voir entre autres : https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1712386/spvm-reconnaissance-caractere-systemique-racisme-discrimination-rapport-ocpm

[30] À ce sujet : https://www.college-de-france.fr/site/didier-fassin/L-illusion-dangereuse-de-legalite-devant-lepidemie.htm

[31] La situation d’inégalité de conditions et d’exigences face à la pandémie n’est pas différente en France : « À l’opposé de cette figure du bourgeois confiné, en capacité de travailler à distance ou de profiter de ses enfants dans un cadre spacieux et agréable, les personnes qui travaillent dans les centres de tri ou les entrepôts, les assistantes maternelles, les livreurs, les éboueurs, les femmes de ménage, les aides à la personne, etc., témoignent toutes de l’absence de gants, de masques, de possibilité d’observer la distance requise […] des difficultés à trouver comment garder leurs enfants, d’assurer les cours à la maison […]. Elles doivent obéir aux injonctions contradictoires du gouvernement, le ‘en même temps’ qui dit ‘allez travailler, mais ne sortez pas, car vous mettez les autres en danger’, sans que les moyens minimaux de protection ne soient fournis. » Article complet : https://www.contretemps.eu/travail-invisible-confinement-capitalisme-genre-racialisation-covid-19/

[32] https://www.ledevoir.com/politique/quebec/589529/quebec-aurait-du-s-occuper-de-la-ventilation-dans-les-ecoles-admet-dube

[33] https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1761546/covid-enquete-tracage-quebec-coronavirus-sante-publique

[34] https://www.ledevoir.com/societe/sante/592788/point-de-presse-legault-17h

[35] « Il est désormais évident pour une majeure partie des populations qui ont eu à en subir les conséquences que ces gouvernants sont prêts à tout pour masquer leur impéritie, leur absence de prise sur des événements, surtout leur responsabilité dans l’insuffisance notoire de la capacité de réaction d’un appareil sanitaire qu’ils ont sciemment affaibli, au prix de mensonges redoublés que leur redoublement même finit par trahir. » Citation tirée de : https://www.contretemps.eu/covid-19-sorties-crise/

[36] https://www.ledevoir.com/societe/593510/deux-cents-contraventions-par-jour-pour-non-respect-du-couvre-feu

[37] https://www.lapresse.ca/actualites/justice-et-faits-divers/2021-01-18/un-itinerant-autochtone-meurt-dehors-pendant-le-couvre-feu.php

[38] L’analyse du couvre-feu comme mesure autoritaire réduisant l’individu à sa seule fonction productive est partagée par plusieurs : https://acta.zone/couvre-feu-produire-quoi-quil-en-coute/

[39] Les mêmes facteurs idéologiques et économiques ainsi que les structures qui en découlent nous ont précipités dans la crise climatique, dont il est incertain que nous sortions collectivement indemnes ; une raison de plus pour réfléchir sérieusement au rejet du modèle économique capitaliste et de la gouvernementalité qui lui est concomitante.

[40] Le gouvernement provincial aurait en effet pu installer des purificateurs d’air dans les écoles, les hôpitaux et divers bâtiments publics, comme le lui conseillait l’Agence de la santé publique du Canada : https://ricochet.media/fr/3436/oui-les-purificateurs-dair-peuvent-etre-utiles

[41] Un tel système est loin d’être une utopie et les auteur.es du présent texte sont loin d’être les seul.es à l’appeler de leurs vœux : https://www.contretemps.eu/sante-publique-economie-democratique/

[42] Un tel monde autogéré est envisageable et possible : https://www.contretemps.eu/autogestion-autre-monde-possible/

Islamophobie chez Québecor

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Jan 262021
 

Soumission anonyme à MTL Contre-info

Le journal de Montréal s’est lancé dans une campagne de dénigrement envers les musulmans, après avoir passé la semaine dernière à dénigrer le nouveau ministre des transports (en défendant Yves-Francois Blanchet), la nouvelle journaliste de CBC et la nouvelle commissaire contre le racisme.

Depuis longtemps, ce journal fait l’apologie de la race blanche. Comment le nationalisme blanc peut-il être autant accepté dans les médias ? Ils disent que l’islamophobie n’existe pas, car les musulmans ne forment pas une race. C’est comme s’ils niaient qu’en 1940, des gens sont morts car ils pratiquaient le judaïsme. L’islamophobie existe tout comme l’antisémitisme.

Ces journalistes essaient à répétition de convaincre la population qu’ils sont la voix du peuple, et que ceux qui ne pensent pas comme eux sont des wokes, des gauchistes, des racialistes. Non seulement ils alimentent le racisme et l’intolérance, mais comme Mathieu Bock-Côté, ils banalisent l’extrême-droite et encouragent même son idéologie. Il ne suffit plus de dénoncer le racisme. Il faut pointer du doigt les racistes, leurs plateformes, leur idéologie nationaliste blanche.

Ils disent que le racisme, c’est croire que la race blanche est supérieure. C’est faux. Ça, c’est le suprémacisme. Dès qu’il y a de la discrimination, on trouve généralement un raciste bien à la vue, mais l’ironie quand ils disent leur définition du racisme c’est que leur titre parle un peu trop souvent de la race blanche.

Ils se victimisent sans cesse et puis désignent les anti-racistes comme étant les vrais agresseurs. C’est le temps de dénoncer haut et fort cette gang-là, avant de finir comme la France avec leur loi qui fiche et criminalise les musulmans.

Tu ne contesteras point la santé publique : La censure à l’époque de la COVID-19

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Jan 222021
 

Soumission anonyme à MTL Contre-info

Il y a un truc qui me démange depuis des mois. Pourquoi les anarchistes laissent-iels passer sous silence la répression étatique croissante ? La gauche radicale, n’a-t-elle pas toujours défendu la liberté de réunion, la liberté d’expression et la liberté de la presse ? Mais jusqu’à très récemment, il paraissait que toute mesure prise au nom de la santé publique était à l’abri de la critique.

Heureusement que cela commence à changer. Même au Québec où il existe une tradition anarchiste féroce, ce n’est qu’en réponse à la mise en place d’un couvre-feu que les anarchistes ont commencé à se mobiliser, mais j’ai le plaisir d’annoncer que la gauche radicale québécoise descend dans la rue. Le samedi 16 janvier 2021, la première manifestation contre le couvre-feu a eu lieu dans le quartier d’Hochelaga.

Cette manif donne à espérer encore plus de discussions sur la meilleure réponse de la gauche aux nouveaux défis qu’il faudrait surmonter pour organiser un mouvement de résistance à l’époque de la covid. Quant à moi, j’espère qu’il y aura davantage de réflexions critiques, car nous avons besoin de nous réorienter en tant que mouvement dans ce nouveau paysage politique.

Une année aussi mouvementée risque de nous donner le tournis. Je me demande si l’analyse que j’avais avant la pandémie est encore pertinente dans le monde de la covid. Comment ma perspective doit-elle s’adapter pour prendre en compte les changements ? Le monde a-t-il changé de façon fondamentale ?

Un bon point de départ, c’est la censure. La gauche libertaire – la tradition plus vaste à laquelle fait partie l’anarchisme – s’est toujours opposée à la censure. Cependant, de nos jours, la gauche se retient d’en parler. Il faut reconnaître la manière dont le fake news, les théories de complot et les affaires du genre Cambridge Analytica compliquent la question, alors je l’évoque en pleine conscience de cela, mais il reste néanmoins un vrai sujet qui mérite une discussion. Il nous incombe d’aborder cette question avec sérieux, car nous vivons sans aucun doute une période de censure croissante.

Un exemple d’abord :

Aujourd’hui, Roman Baber, un MPP en Ontario, a publié une lettre pour demander la fin du confinement provincial. Dans sa lettre, Baber soutient que les conséquences sanitaires du confinement – tel que les surdoses, les idées suicidaires et les troubles anxieux – sont pires que le mal causé par la COVID-19. En gros, il avance un argument plutôt insipide que le confinement ne sert pas l’intérêt public. Cette citation résume sa position: « la covid existe, mais la peur de la covid est exagérée. Bien que chaque décès soit tragique, après 10 mois nous savons désormais que la covid n’est guère aussi mortelle qu’on l’a cru dans un premier temps ». Il appuie son argument avec des figures récentes du Center for Disease Control, l’organisation américaine responsable pour la gestion de la pandémie, qui montrent le taux de mortalité de la covid pour des gens dans diverses tranches d’âge. La lettre est consultable ici : https://www.scribd.com/document/490795157/PC-MPP-Roman-Baber-s-Letter-to-Doug-Ford-on-lockdowns

La réponse de Doug Ford ne s’est pas fait attendre. Il a éjecté Baber du caucus avec une interdiction de se présenter de nouveau aux élections pour la partie conservatrice. J’ai décidé d’écrire ce texte car je trouve que cette histoire en dit long sur l’état de la propagande au Canada.

La déclaration de Ford est typique : « Répandre de la désinformation sape les efforts infatigables de nos travailleurs de la santé de première ligne à un moment critique, ce qui met des vies en danger. Je ne mettrai pas en péril la vie d’un seul Ontarien en ne prenant pas au sérieux l’avis des experts dans le domaine de la santé publique. … L’idéologie politique n’a pas sa place dans notre lutte contre la COVID-19 — au contraire, nous avons toujours fondé notre réponse sur la preuve et les données, et nous continuerons de la même manière. »

On aura tendance à prendre cela comme encore du charabia dans la bouche d’un politicard et à l’ignorer, mais je trouve que c’est un bon exemple de l’acceptation croissant d’une attitude selon laquelle le désaccord sera dangeureux, qu’il mettrait des vies en danger et qu’il faudrait le réprimer au nom de l’intérêt public.

Regardons la déclaration de Ford à la loupe. Dans un premier temps, soutenir un confinement n’est pas moins idéologique que s’y opposer. C’est une évidence, mais les paroles de Ford impliquent qu’aucune opposition à l’idéologie de l’État ne sera tolérée. Au fait, il me semble que cette phrase devient plus claire si on remplace « idéologie politique » par « désaccord », ce qui donnera : Le désaccord n’a pas sa place dans notre lutte contre la COVID-19. Ne serait-ce pas plutôt ça qu’il voulait entendre ?

Dans un deuxième temps, quelle désinformation ? Les médias traditionels considèrent les sources citées par Baber comme crédibles. Ford n’a pas précisé, mais le gouvernement a sorti une fiche d’information pour contester les affirmations de Baber, qui vire au ridicule en signalant une coquille. La réponse du gouvernement est consultable ici : https://beta.documentcloud.org/documents/20456206-mpp-baber-fact-sheet

Fait révélateur, il figure dans l’article de la CBC un lien vers la réponse de Ford à la lettre de Baber, mais aucun vers la lettre elle-même, ce qui laisse croire que la CBC trouvait trop dangereuses les « désinformations » pour la publier.

Il vaut la peine de lire l’article de la CBC, car il est typique du triste état du journalisme en 2021. Après avoir rapporté que l’Ontario venait d’annoncer 100 décès ce matin, le journaliste a poursuivi en disant :

« Avec ces nouveaux décès, on marque le nombre de morts quotidien le plus élevé depuis le début de la pandémie, bien que le ministère de la Santé ait affirmé que 46 d’entre eux avaient eu lieu ‘plus tôt dans la pandémie’ et ont été ajoutés au nombre d’aujourd’hui suite à un procédé de ‘nettoyage de données’ de la part de l’unité de la santé publique de Middlesex-London, sans fournir d’autres détails. »

La CBC fera-t-elle suite pour expliquer cette irrégularité statistique ? J’en doute. L’ironie, c’est que le gouvernement se sert de données qui sont d’apparence faussées pour discréditer une voix critique en refutant les statistiques que ce dernier a citées.

Donc quelles sont les désinformations selon Ford ? Les statistiques du CDC ? L’essentiel c’est de savoir qui est en mesure de décider quelles sont les désinformations. Cette question a gagné en importance cette année tandis que les réseaux sociaux ont mis en place des politiques de censure de grande envergure. Les chances s’amoindrissent qu’une personne quelconque tombera sur une opinion critique du récit officiel de la COVID-19.

Les médias canadiens dépendent de plus en plus de l’argent fédéral, ce qui ne fait qu’aggraver le problème. À la base, la diminution du lectorat des journaux et de l’audience des chaînes câblées fait que le modèle économique des sociétés médiatiques canadiennes importantes dépend de plus en plus sur les subventions de l’État. Vous aurez peut-être remarqué que les voix critiques du gouvernement dans les médias traditionels se raréfient et que leurs politiques de rédaction se ressemblent. Il me semble que ce phénomène s’explique par le fait que les rédacteurs savent de quel côté la tartine est beurrée et par conséquent se méfient de la colère de ceux qui contrôlent les fonds sur lesquels ils comptent pour leur subsistance.

Rappelons qu’il y a moins de journalistes en fonction aujourd’hui qu’à n’importe quel autre moment de ces 20 dernières années. En 2021, le travail d’un journaliste est devenu précaire. Dans le climat politique actuel, les conséquences d’exprimer une opinion impopulaire s’avouent sévères. Je me demande si les journalistes n’exercent pas une autocensure. Leur boulot, c’est d’écrire des trucs que leurs patrons publieront. S’ils savent que le boss n’acceptera jamais de publier un article quelconque, auront-ils envie de l’écrire ? Je crois que nous assistons à un rétrécissement de ce qui peut se dire et que nous, en tant qu’anarchistes, doivent réengager avec notre opposition fondamentale au contrôle étatique de nos vies.

Rappelons aussi que les réseaux sociaux épurent leurs plateformes d’infos qui iraient à l’encontre des recommandations de la santé publique. Une telle censure contribue à une pensée conformiste avec comme résultat que toute critique du confinement soit assimilée à une idéologie extrémiste qui existe au-delà des limites de l’acceptabilité. Les progressistes sont rentrés dans les rangs en grande partie. Mais nous, nous ne sommes pas des progressistes.

Il faut qu’on interroge le qui et le quoi de la santé publique, qu’est-ce qui peut se justifier ou non dans son nom. Il faut qu’on dévelope une analyse du sens de « la santé publique », terme qui a gagné en sens et en importance cette année. Quelles sont les implications du terme « santé publique » ? Souvent le terme nous enjoint de subordonner nos besoins et nos désirs au bien commun. Et c’est qui qui déterminera le bien commun ? Nul d’entre nous, bien entendu. « La santé publique » est déterminée par des autorités dont le pouvoir découle de l’État. Donc c’est l’État qui détermine l’intérêt public. Il me semble que la santé publique devient un terme de prédilection dans le lexique de la propagande et il faut qu’on soit de la manière dont ce terme est utilisé.

Voici mes réflexions sur la santé publique. Je crois que ce terme en vient à signifier l’idée de sécurité.

Je crois que les êtres humains veulent la liberté. Cependant, il y a une chose à laquelle la plupart des gens s’y tiennent encore plus que la liberté, et c’est la sécurité. Si un cartel de la drogue menaçait ta vie ou celle de ta famille pour te forcer à bosser pour lui, sans doute tu choisirais la sécurité au lieu de la liberté. Des millions de personnes choisissent la sécurité au lieu de la liberté chaque jour. C’est pour cette raison que quand un régime veut s’assurer de la complaisance d’une population à des fins néfastes, il cherche à leur faire peur. C’est basique. S’il y a une chose contre laquelle les gens troqueraient leur liberté, c’est la sécurité, comme le savent les propagandistes depuis des siècles.

Selon le propagandiste nazi Hermann Goering :

« Le peuple peut toujours être amené à exécuter les ordres des chefs. C’est facile. Il suffit de lui dire qu’on l’attaque et de dénoncer les pacifistes en déclarant qu’ils manquent de patriotisme et qu’ils mettent leur pays en danger. L’effet est le même dans tous les pays. »

C’est analogue à ce que nous vivons de nos jours, non ? Chaque jour, on nous martèle que l’heure est grave. On arrive presqu’à nous dire que nous sommes attaqués. L’unique différence c’est que l’ennemie n’est pas une puissance étrangère, mais plutôt une force de la nature, un virus. Pendant un temps, Trump allait jusqu’à traiter la covid « d’ennemie invisible ».

Dans le rôle des pacifistes, on retrouve les défenseurs des libertés civiques, ceux qui refusent d’accepter les injonctions de la santé publique. Ces gens se font traiter « d’antimasques » ou « d’antivax » pour ensuite faire objet de mépris et de ridicule pour exclure leurs voix de la discussion politique dominante. On les dénonce pour avoir mis des personnes vulnérables en danger et la dangerosité de leurs idées sert à justifier la censure. Le mépris auquel ils font face avertit les autres qui voudraient peut-être s’opposer à la normalisation de mesures arbitraires que ça ne vaut pas la peine.

Il nous incombe de rejeter l’idée qu’on doit être protégés de nous-mêmes. Accepter cette idée c’est accepter la défaite. Si nous acceptons que les informations auxquelles nous avons accès doivent être controlées, nous acceptons qu’on doive nous contrôler. L’État veut nous faire croire qu’il a nos intérêts à coeur et qu’il nous manipule pour notre bien, au nom de la santé publique. Mais moi, je ne l’accepte pas.

Compte-rendu d’une manif contre le couvre-feu

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Jan 212021
 

De No Borders Media (Facebook)

Plus d’une centaine de manifestant-es se sont rassemblé-es dans l’est de Montréal le samedi 16 janvier, pour exprimer leur opposition au couvre-feu imposé par le gouvernement et pour mettre en avant des mesures de lutte contre la pandémie fondées sur la solidarité et le soutien aux plus marginalisé-es de la société. La manifestation, qui a défilé avec succès dans les rues d’Hochelaga, a souligné les impacts cruels du couvre-feu et du harcèlement policier qui en découle sur les sans-abri, les travailleur-ses du sexe, les consommateurs de drogues, les travailleur-ses sans papiers et autres.

Les organisateurs de la manifestation – un groupe ad hoc appelé Pas de solution policière à la crise sanitaire – ont souligné que la manifestation était en faveur des mesures d’atténuation du COVID-19, mais ont rejeté le couvre-feu comme étant autoritaire et nuisible à une réponse efficace à la pandémie. Les organisateurs ont également tenu à rejeter l’implication et la présence de toute personne associée à l’extrême droite ou les mouvances anti-science et conspirationnistes, mettant plutôt de l’avant une approche pro-science et de justice sociale face à la pandémie (illustrée par une pancarte : « pro-science, pro-masque, pro-vaccin, anti-couvre-feu »).

Il y avait une forte présence policière lors de la manifestation, notamment la police anti-émeute qui a été déployé malgré le fait que la manifestation était familiale et respectait les mesures sanitaires. Les organisateurs de la manifestation ont fourni des masques aux participant-es, et les manifestant-es ont pratiqué la distanciation physique. Pourtant, au début de la manif sur la place Valois, la police anti-émeute a arrêté à tort un homme qui ne portait pas de masque. Cet homme ne faisait pas partie de la manifestation et était manifestement en détresse alors qu’il attendait un ami sur la place publique. Au Québec, les masques ne sont pas obligatoires à l’extérieur pendant la pandémie, à moins de participer à une manifestation, ce qui est une ironie pour de nombreux manifestant-es qui préfèrent de toute façon porter un masque en manif. Un autre homme a été détenu par les flics anti-émeute pour ne pas avoir porté son masque correctement (il était brièvement sous son nez), et n’a pas eu la possibilité de le corriger avant d’être emmené par un entourage d’anti-émeutes.

Ces deux détentions (et les contraventions qui en ont probablement résulté, au coût de plusieurs centaines de dollars) ne sont que des exemples de plus de l’incapacité structurelle du SPVM à exercer la « discrétion » et le « bon jugement » que la mairesse de Montréal Valérie Plante, la ministre de la Sécurité publique du Québec Geneviève Guilbault et le premier ministre François Legault leur accordent. Pendant la pandémie, le SPVM a émis des contraventions à des sans-abri pour des infractions sanitaires, et pendant le couvre-feu, des flics ont demandé à fouiller illégalement des travailleur-ses essentiel-les, en plus de refuser à d’autres travailleur-ses essentiel-les des documents clairs leur permettant de se rendre au travail et d’émettre des contraventions de plus de 1 000 $. La police anti-émeute a également expulsé un campement de sans-abri à Hochelaga (Campement Notre-Dame) en décembre dernier. Il est probable que de nombreux autres cas d’abus policiers pendant le couvre-feu, et la pandémie en général, n’ont pas encore été signalés. Les abus structurels de la police soulignent à nouveau la nécessité de définancer la police et d’allouer plutôt des ressources et des fonds à la santé, à l’éducation et aux services sociaux.

Malgré les actions de la police, la manifestation de samedi a été un succès. Conjointement aux déclarations publiques d’organismes montréalais en opposition au couvre-feu et à une conférence de presse pour dénoncer le couvre-feu lundi dernier regroupant plusieurs organismes communautaires, la manifestation était un premier pas modeste vers l’occupation d’un espace public plus important – en tant que mouvement en faveur de la justice sociale et de la science – pour s’opposer aux mesures autoritaires comme le couvre-feu tout en promouvant des solutions solidaires pour atténuer la pandémie. C’est un pas positif pour s’éloigner des conspirationnistes d’extrême droite, anti-science, qui ignorent la justice sociale et la solidarité, et peut-être un petit pas vers une future désobéissance stratégique du couvre-feu, si celui-ci est prolongé plus tard en février.

Manifester est désormais interdit à Toronto

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Jan 212021
 

Soumission anonyme à MTL Contre-info

Le samedi 16 janvier, le service de police de Toronto a tweeté ce qui suit :

Donc, c’est officiel. Le gouvernement a déclaré que les manifestations sont désormais illégales à Toronto, et probablement dans tout l’Ontario.

En effet, Doug Ford a déclaré qu’il n’est pas permis de quitter son domicile pour des raisons « non essentielles ». Qu’est-ce qui est essentiel et qu’est-ce qui ne l’est pas ?

Heureusement, Dougie apporte des éclaircissements utiles : « Je sais qu’essentiel signifie différentes choses pour différentes personnes … donc nous avons besoin que chacun utilise son meilleur jugement. Si vous n’êtes pas sûr qu’un voyage soit absolument essentiel, il ne l’est probablement pas », dit-il.

Cela veut-il dire que si vous n’êtes pas sûr que quelque chose est illégal ou non, c’est probablement le cas ? Qui doit décider ? Cela ne donne-t-il pas à la police le pouvoir d’interpeller et de harceler arbitrairement quiconque pour un grand nombre de raisons ?

A partir de quel moment appelle-t-on cela un État policier ?

Le dictionnaire Oxford définit ainsi l' »État policier » : « un pays où la liberté des personnes, notamment de voyager et d’exprimer des opinions politiques, est contrôlée par le gouvernement, avec l’aide de la police ».

Bien sûr, la question de savoir si c’est réellement illégal ou non est différente, étant donné que le Canada est ostensiblement une monarchie constitutionnelle, où la constitution est la loi la plus élevée du pays, mais dans quelle mesure cela importe-t-il encore ?

La Charte des droits et libertés, qui fait partie de la constitution, stipule explicitement que les gens ont la liberté de réunion, la liberté de mobilité, la liberté d’expression et la liberté de religion, mais cela n’a pas empêché l’État d’adopter toutes sortes de lois draconiennes cette année. Un précédent est-il en train d’être créé, à savoir que les droits humains fondamentaux ne s’appliquent pas en temps de crise ?

Cette extension des pouvoirs de la police a déjà des conséquences tragiques. Pensez à la mort tragique de Moses Demian, un habitant de Scarborough. Quelques heures après les événements de cette vidéo, qui montre l’arrestation de M. Demian dans un stationnement, M. Demian s’est suicidé.

Cette tragédie s’est apparemment produite parce que M. Demian a refusé de produire une pièce d’identité lorsque la police l’a exigée. Il a peut-être estimé qu’il avait le droit de traîner dans un stationnement, et a choisi de faire valoir son droit. Peut-être savait-il qu’il n’était pas légalement tenu de produire une pièce d’identité (la loi ontarienne exige que vous vous identifiez verbalement, mais pas de produire une pièce d’identité). Peut-être en avait-il simplement assez d’être harcelé et a-t-il exprimé sa frustration. En tout cas, il a défié un flic, et maintenant il est mort.

Il convient de mentionner que la loi de confinement de l’Ontario, à la manière orwellienne, s’appelle la « Loi de réouverture de l’Ontario ». Je pose donc à nouveau la question : Vivons-nous dans un État policier ? Et si c’est le cas, que faut-il faire ?

Levée de fonds pour la famille de Moses Demian:
https://www.gofundme.com/f/28rgs4bt6o