Montréal Contre-information
Montréal Contre-information
Montréal Contre-information

Prison pour migrant.e.s de Laval : Campagne de financement pour les livraisons aux détenu.e.s

 Commentaires fermés sur Prison pour migrant.e.s de Laval : Campagne de financement pour les livraisons aux détenu.e.s
Juin 022023
 

De Solidarité sans frontières

Depuis l’ouverture d’une nouvelle prison pour migrants à Laval (Québec) en octobre 2022, les détenus ne cessent de nous parler de leurs terribles conditions de détention. Les visites en personne ont été suspendues, alors que les détenus n’ont pas accès à leurs médicaments, se sont plaints d’être servis avec de la nourriture avariée, et beaucoup ont continué à voir leur santé mentale se détériorer. Tout cela dans un établissement flambant neuf, que le gouvernement fédéral a présenté comme une forme de détention « plus humaine ». Aujourd’hui plus que jamais, il est clair que la détention ne peut jamais être « humaine », et que seul l’arrêt de la pratique de la détention d’immigrants dans son intégralité peut mettre fin à ces abus.

Alors que nous travaillons à notre objectif ultime d’abolir la détention des immigrants et d’obtenir un statut pour tous, nous faisons ce que nous pouvons pour soutenir les détenus au jour le jour. Bien que les visites aient été suspendues, nous sommes toujours en mesure d’apporter des livraisons à la prison. Les demandes les plus courantes concernent des brosses à dents et du dentifrice, du shampoing et du savon, des chaussettes et des sous-vêtements, du déodorant, des cigarettes, des cartes téléphoniques internationales et des vêtements, en particulier des vêtements d’hiver. Ces modestes contributions peuvent apporter un peu de dignité et améliorer les conditions de vie des détenus, mais surtout, elles envoient le message aux détenus qu’ils ne sont pas seuls, que d’autres personnes sont conscientes de ce qu’ils traversent et que des gens reconnaissent l’injustice de leurs mauvais traitements. À l’extérieur, nos livraisons nous permettent de rester en contact avec les détenus et d’ancrer notre travail politique dans la réalité, car nous luttons à leurs côtés pour leur libération.

Nous lançons un appel aux dons afin de poursuivre les livraisons. Tout montant que vous pouvez donner peut contribuer grandement à apporter un soutien à une personne enfermée dans la prison pour migrants de Laval.

Plus important encore, nous avons besoin que les gens dénoncent continuellement la pratique du Canada d’emprisonner les migrants. Plutôt que de verser des millions de dollars dans la construction de nouvelles prisons pour migrants, comme celle de Laval, le gouvernement fédéral doit se concentrer sur la vraie solution : un programme de régularisation continu et inclusif ! La lutte continue jusqu’à ce que chaque dernier détenu soit libéré ! Libérez-les toutes et tous, un statut pour toutes et tous !

https://www.gofundme.com/f/detention-delivery-fundraiser

Appel international à la solidarité avec les anarchistes à Atlanta

 Commentaires fermés sur Appel international à la solidarité avec les anarchistes à Atlanta
Mai 202023
 

Soumission anonyme à MTL Contre-info

La lutte contre la cop city et pour la forêt de Weelaunee a été explosive, expérimentale et sauvage pendant presque trois ans maintenant. Au cours de ce processus, nos ennemis nous ont brutalisés, ont accusé des personnes de terrorisme intérieur, les menaçant de 5 à 35 ans de prison, ont assassiné notre ami et camarade Tortuguita, ont tenté de réprimer notre lutte, et pourtant nous sommes toujours là à nous battre.

Alors que les forêts que nous avons juré de protéger sont coupées à blanc et que des personnes sont condamnées à de lourdes peines par les tribunaux, alors que nous envisageons la possibilité de raids, de répression, d’enquêtes et d’inconnu, nous voulons faire le grand saut. Nous ferons payer à nos ennemis chaque pouce de terrain. Nous ne leur laisserons pas un seul instant de répit.

Nous appelons à ce que les mécanismes du système capitaliste américain, le gouvernement et l’infrastructure qui le soutient soient attaqués afin de faire payer cette civilisation misérable et les responsables qui ont pris notre ami et qui lèvent la puissance de leurs tribunaux et de leur police contre nous.

Minimiser les traces ADN pendant les émeutes

 Commentaires fermés sur Minimiser les traces ADN pendant les émeutes
Avr 302023
 

Du Centre de documentation sur la contre-surveillance

D’après notre expérience, en Amérique du Nord, la plupart d’entre nous n’ont pas l’habitude de réfléchir aux traces ADN. Les informations sur la manière dont les traces ADN sont créées ou évitées se limitent à quelques mythes qui circulent. Ceci dit, on peut être à peu près sûr qu’à chaque fois qu’un sabotage incendiaire se produit, une équipe de police scientifique spécialisée dans l’ADN intervient également. Par exemple, une arrestation a été effectuée récemment pour un incendie de Jane’s Revenge[1] après que de l’ADN a été prélevé sur le lieu de l’incendie. On voudrait résumer ici quelques considérations d’ordre pratique. En se préparant et en comprenant bien comment l’ADN est transféré, il est possible de limiter considérablement la quantité d’ADN qu’on laisse derrière soi. Bien que l’ADN soit un élément qu’on devrait toujours garder à l’esprit quand on planifie sa participation à une émeute, on ne veut pas que les gens se sentent submergé·e·s par ces informations. Des connaissances concrètes nous permettent d’éviter le double piège de l’insouciance (faire comme si l’ADN n’existait pas) et de l’immobilisme (faire comme si laisser des traces qui finissent analysées en laboratoire était inévitable).

Comme l’explique la page sur les protocoles de minimisation de l’ADN de la Threat Library du CSRC :

« Nous perdons constamment de l’ADN sous diverses formes ; les cellules de la peau, les cheveux, la salive, le sang et la sueur sont autant de sources d’ADN qui, contrairement aux empreintes digitales, ne peuvent jamais être éliminées d’un objet de manière fiable une fois qu’il a été contaminé. Les protocoles de minimisation de l’ADN visent à permettre la manipulation d’objets sans y laisser de traces ADN. Comme on peut s’y attendre, ces protocoles visent à empêcher les cellules de la peau, les cheveux, les particules de salive présentes dans l’air, le sang et la sueur d’entrer en contact avec les objets. La destruction chimique de l’ADN est souvent également employée. »

Pour éviter ou au moins limiter significativement les traces ADN, il est nécessaire de porter des gants neufs, un masque facial, une charlotte ou, mieux encore, se couvrir entièrement les cheveux (par exemple avec un bonnet de bain) et des vêtements propres avec des manches et des jambes longues pour couvrir le plus de peau possible.

Dans un contexte d’émeute, il y a plusieurs choses auxquelles se préparer :

  • Soit vous cassez soit vous brûlez, mais pas les deux à la fois. Casser quelque chose implique parfois un contact important avec l’objet, ce qui risque de transférer des traces ADN sur l’objet en question (surtout si vous devez grimper dessus). Un feu soutenu détruira les traces ADN, mais pour un objet qui est d’abord cassé puis brûlé, ce n’est pas une garantie ; les parties de l’objet qui ont été touchées peuvent ne pas être suffisamment chauffées par les flammes pour que toutes les traces soient détruites. Dans un contexte d’émeute, cela signifie que les personnes ayant des intentions incendiaires devraient essayer de prendre l’initiative tôt, avant que les personnes ayant des intentions de casse ne s’attaquent à une cible donnée. Un scénario qui n’est pas idéal : une foule casse une voiture, quelqu’un touche peut-être la voiture avec des gants qui ont été portés plusieurs fois (et qui ont donc accumulé de l’ADN) ou se coupe sur la vitre cassée, puis quelques minutes plus tard, quelqu’un met le feu à la voiture. Scénario idéal : la voiture est brûlée en premier, ce qui ne nécessite pas de la casser – soit une bouteille d’accélérateur est placée sous le pneu avant (plus rapide, moins d’une minute), soit des cubes allume-feu sont placés sur le pneu avant (plus lent, environ cinq minutes). Il est parfois nécessaire de casser une fenêtre ou une porte pour accéder à un bâtiment, mais il est possible de brûler des machines et des véhicules sans rien avoir à casser en plaçant l’accélérateur au bon endroit.
  • Portez des gants imperméables neufs que vous n’avez jamais touchés auparavant et enfilez-les en dernier lieu, une fois que vous vous êtes déjà changé en black bloc. Cela permet d’éviter que des cellules de peau, des cheveux ou de la sueur se retrouvent à l’extérieur des gants et se transmettent à tous les objets que vous touchez. Manipulez toujours les outils que vous apportez avec cette nouvelle paire de gants, même si vous n’avez pas l’intention de vous en débarrasser. Veillez à ce que les outils que vous utilisez, et surtout les projectiles que vous laissez sur le site, soient exempts de votre ADN depuis le début, et transportez-les avec précaution. Les gants de vaisselle sont excellents pour se préparer à l’action (lorsque ce n’est pas gênant de se faire remarquer). Lors de l’émeute, vous pouvez utiliser des gants de travail dont la paume et les doigts sont recouverts d’une épaisse couche imperméable. Prévoyez une paire supplémentaire que vous pourrez enfiler au cas où vous vous toucheriez par erreur le visage ou autre.
  • Si vous utilisez un marteau, entraînez-vous à briser des vitres dans un environnement contrôlé avant de vous retrouver dans le feu de l’action. Le sang est une source d’ADN évidente, même pour l’enquêteur le plus incompétent. L’essentiel est de s’assurer que votre main ou votre bras ne dépasse jamais la fenêtre, ce qui nécessite de générer de la force à partir du poignet plutôt que du coude ou de l’épaule. Un coup de poignet rapide génère une force suffisante avec un marteau bien équilibré.
  • Veillez à ce qu’aucun objet ne puisse tomber pendant l’agitation – les fermetures éclair sont votre meilleur allié. Soyez particulièrement prudent·e·s au moment de farfouiller dans des sacs ou sacs à dos.
  • Les vêtements utilisés pendant l’émeute ne doivent pas être récupérés par la police scientifique si cela peut être évité. L’époque où on laissait un énorme tas de sweats à capuche noirs au milieu de la rue est révolue : les vêtements portent généralement des traces ADN. L’idéal est d’emporter les vêtements suffisamment loin pour pouvoir s’en débarrasser correctement (soit en les brûlant, soit en les plaçant dans un endroit où, s’ils sont retrouvés, ils ne seront pas considérés comme ayant un lien avec l’émeute). Il faudra faire preuve de discernement pour décider entre essayer de transporter les vêtements loin et les cacher quelque part sur l’itinéraire de dispersion. En cas de fouille, des vêtements noirs peuvent suffire à justifier une enquête, mais il est peu probable qu’ils mènent à eux seuls à une condamnation. Tout vêtement ou autre objet identifiable dans le sac pourrait être plus incriminant. Vous devrez donc évaluer le risque d’une fouille du sac et le mettre en perspective avec l’objectif de garder vos vêtements d’émeute hors des mains des flics. Les objets qui ne peuvent être dissimulés dans un sac à dos (comme les grands boucliers) peuvent être cachés, enduits d’eau de Javel (qui contient environ 10% d’hypochlorite de sodium – voir les lectures complémentaires ci-dessous) ou brûlés avec un accélérateur placé à l’avance sur l’itinéraire de dispersion (dans des bouteilles en plastique qui brûleront, pas dans un jerrycan).
  • N’utilisez pas de ruban adhésif pour fabriquer des molotovs à base de feux d’artifice. Le ruban adhésif est un aimant à ADN. Utilisez plutôt des zip-ties en plastique pour fixer le feu d’artifice à la bouteille. Idéalement, il devrait y avoir deux feux d’artifice pour la redondance, afin de minimiser la probabilité qu’un molotov non explosé soit récupéré. En outre, il convient de prendre des précautions pour minimiser l’ADN lors de la construction et du transport des molotovs (voir ici aussi les lectures complémentaires). Ces précautions sont particulièrement importantes si vous devez vous débarasser des molotovs avant d’avoir pu les utiliser. Les feux d’artifice seuls seront probablement tout aussi efficaces pour tenir les flics à distance sans risquer le même niveau de répression que les molotovs – il faut également veiller à ne pas laisser de traces ADN sur les douilles des feux d’artifice. Les molotovs traditionnels (avec une bouteille en verre) doivent heurter une surface dure pour se briser et ne sont donc pas fiables lorsqu’ils sont lancés à l’intérieur d’un bâtiment. Par exemple, sur le site du premier incendie de Jane’s Revenge, l’ADN de trois personnes a été trouvé sur un molotov non explosé, sur la vitre de la fenêtre et sur un briquet (dossier judiciaire disponible ici, utilisez le navigateur Tor).

Lectures complémentaires : Stratégies pour limiter l’accès de la police aux données ADN, et le sujet « ADN » du CSRC.


1. Note de la traduction : l’expression « Jane’s revenge » – référence au Jane Collective, groupe clandestin qui facilitait l’accès à l’avortement aux États-Unis entre 1969 et 1973 – a été utilisée pour revendiquer plusieurs actions de vandalisme et de sabotage contre des groupes anti-avortement qui ont eu lieu aux États-Unis en 2022.

Source: scenes.noblogs.org[archive.org]

CDCS Bulletin #1

 Commentaires fermés sur CDCS Bulletin #1
Avr 092023
 

Du Centre de documentation sur la contre-surveillance

Ceci est le premier numéro d’une publication irrégulière du Centre de documentation sur la contre-surveillance, une base de données de ressources sur comment déjouer la surveillance ciblée.

Contre la surveillance ciblée, coordination internationale

On est des anarchistes. On croit en une coordination internationale de groupes anarchistes informels pour poursuivre la lutte contre toutes les formes de domination. On croit que le partage des connaissances sur les capacités et les tactiques de nos ennemis devrait être une partie importante de cette coordination. La connaissance n’est pas une fin en soi mais un moyen de limiter les risques de se faire prendre, afin de pouvoir continuer à attaquer.

Nos ennemis ont des capacités importantes et des tactiques perfectionnées. De leur côté, iels ont les institutions policières et judiciaires, les scientifiques et les technocrates, et dans certains cas, le soutien de la majorité de la population. Iels contrôlent de vastes réseaux d’infrastructures. Iels ont une mémoire infinie, des archives et des bases de données ADN.

De notre côté, on a la nature informelle et décentralisée de nos organisations, les ombres pour se cacher, et la solidarité pour s’entraider dans les moments difficiles, pour continuer les combats des camarades qui ne peuvent plus le faire.

Quoi qu’il arrive, nous faisons et continuerons à faire des erreurs dans la lutte contre des mécanismes d’oppression aussi puissants. Des erreurs qui « coûteront » toujours plus cher par rapport aux erreurs des flics qui sont « absorbées ». Nous devons évaluer à nouveau les situations et veiller à ce que les erreurs commises une fois ne se reproduisent plus. Nous devons étudier et apprécier l’expérience accumulée depuis tant d’années et, en tenant compte de la tendance à se préparer pour les batailles qui ont déjà eu lieu et non pour celles qui viendront, soyons prêt·e·s et que la chance soit de notre côté…

camarades anarchistes de Grèce, dans un texte détaillant la surveillance qui a conduit à leurs arrestations, 2013.

Nos ennemis s’organisent déjà au niveau international ; iels partagent des informations, des tactiques et des développements technologiques et scientifiques. C’est regrettable, mais ça signifie aussi qu’un rapport rédigé par des camarades dans un pays – sur, par exemple, une bonne façon d’éliminer les traces ADN, ou un micro-espion trouvé dans un squat, ou un outil pas cher pour abattre les drones de la police – pourrait aider d’autres personnes n’importe où dans le monde.

Certes, tout ne doit pas être partagé publiquement. Parfois, des informations encore inconnues de nos ennemis doivent rester secrètes en fonction d’une stratégie ou d’un plan spécifique. Mais sinon : partageons nos connaissances et nos expériences, et organisons-nous !

On présente : la Threat Library

L’objectif de la toute nouvelle Threat Library du CSRC est simple : examiner l’éventail des techniques répressives de l’État afin de mieux les déjouer. Cette « bibliothèque » documente deux douzaines de techniques de maintien de l’ordre différentes, les divisant en trois tactiques (dissuasion, incrimination et arrestation) et proposant pour chacune d’elles des mesures d’atténuation [mitigations] potentielles, c’est-à-dire des moyens de limiter les dégâts. Elle établit également un lien entre ces techniques et des opérations répressives spécifiques menées par les États contre des anarchistes au cours des deux dernières décennies.

La Threat Library est destinée à vous aider à « établir un modèle de menace », processus par lequel vous essayez de comprendre quels types de mesures l’État est susceptible de prendre contre vous afin de vous y préparer. Il est préférable de faire cet exercice en collaboration avec les camarades avec lesquel·le·s vous travaillez sur un projet spécifique. Un bon modèle de menace peut transformer la peur ou la paranoïa en courage, en nous donnant une idée précise de ce à quoi nous sommes confronté·e·s afin que nous puissions prendre des précautions. En d’autres termes, cela nous aide à décider de la sécurité opérationnelle (OpSec) appropriée.

Le CSRC suggère d’utiliser la Threat Library pour créer des « arbres d’attaque » [attack trees]. « Les arbres d’attaque sont un outil permettant de faciliter un brainstorming collectif sur les différentes façons dont un adversaire pourrait réussir à vous attaquer dans un contexte donné, en représentant les attaques sous la forme d’un arbre. » Consultez le tutoriel de la Threat Library pour obtenir un guide étape par étape sur leur utilisation.

La Threat Library peut aussi être consultée en dehors de l’établissement d’un modèle de menace. Supposons que les anarchistes de ma région ont l’habitude de faire face à des infiltré·e·s ou des indics qui tentent de briser leur organisation. Dans l’onglet « Incrimination », je sélectionne « Infiltrators ». En 300 mots, l’entrée liste cinq principaux types d’infiltré·e·s et propose trois mesures d’atténuation possibles (l’attaque, le principe need-to-know, et un exercice consistant à faire une carte de nos relations sociales). Si je clique sur le lien « infiltrators topic », j’obtiens une liste de 27 textes écrits par des anarchistes sur des infiltré·e·s dans leurs réseaux. Ma peur des infiltré·e·s est atténuée par la connaissance des signes spécifiques à rechercher et par des outils pratiques pour renforcer mes réseaux de confiance.

Avec des sujets allant des visites domicilaires [Door knocks] aux perquisitions [House raids] en passant par la criminalistique [Forensics], la Threat Library vise à être complète tout en restant brève et pertinente. Le CSRC dispose d’une énorme quantité d’informations sur la répression et la façon d’y faire face. La Threat Library résume et trie toutes ces informations pour qu’elles soient pratiques et faciles à analyser. La Threat Library est disponible en format brochure pour faciliter sa lecture et sa distribution.

Est-ce qu’il y a une technique, une mesure d’atténuation ou une opération répressive qui manque ? Est-ce que vous voulez modifier une technique actuellement répertoriée ? Pour agrandir, améliorer, critiquer ou commenter la Threat Library, contactez-nous à l’adresse csrc@riseup.net.

Une base sur laquelle s’appuyer : distinguer la sécurité opérationnelle (OpSec) et la culture de la sécurité

Parfois, des termes apparentés deviennent des synonymes, et parfois ça peut être bien. Le français en est rempli, comme « super » et « génial » – la différence entre ces mots ne manque à personne.

Mais parfois, laisser s’estomper la différence entre les termes nous fait aussi perdre un élément de sens utile. La sécurité opérationnelle (OpSec) et la culture de la sécurité sont deux termes qui ont des significations similaires mais distinctes, et les deux sont des éléments nécessaires de la pratique anarchiste de la sécurité contre la répression.

L’OpSec fait référence aux pratiques spécifiques utilisées pour éviter de se faire prendre pour une action ou un projet donné. Certaines pratiques d’OpSec incluent porter des gants et des masques, changer de chaussures, des mesures pour éviter de laisser de l’ADN, des vêtements de black bloc, l’utilisation de Tails pour un accès anonyme à Internet, et ainsi de suite. L’OpSec se situe au niveau de l’action ou du projet. Ces pratiques peuvent être enseignées, mais en fin de compte, seules les personnes qui réalisent ensemble un projet spécifique doivent se mettre d’accord sur les pratiques d’OpSec à utiliser.

Selon Confidence Courage Connection Trust : « La culture de la sécurité fait référence à un ensemble de pratiques développées pour évaluer les risques, contrôler le flux d’informations à travers vos réseaux et établir des relations d’organisation solides. » La culture de la sécurité intervient au niveau de la relation ou du réseau. Pour être efficaces, ces pratiques doivent être partagées aussi largement que possible.

À première vue, l’OpSec peut sembler plus importante. Si nous avons les pratiques dont nous avons besoin pour être en sécurité, pense-t-on, alors qu’importe ce que font les autres personnes du milieu ? De nombreu·x·ses anarchistes sont (à juste titre) sceptiques à l’égard des milieux et ne se considèrent pas comme connecté·e·s ou dépendant·e·s de personnes avec lesquelles iels n’ont pas d’affinités. Beaucoup d’énergie dans l’espace anarchiste est consacrée au perfectionnement de l’OpSec, ce qui semble approprié, puisque si vous voulez mener une action offensive, il est préférable de ne pas se faire prendre.

Cependant, la culture de la sécurité est également importante, et une bonne OpSec ne la remplace pas. Elle fournit le contexte social – la base – sur lequel repose toute notre activité. En effet, que nous le voulions ou non, nous sommes toutes intégré·e·s dans des réseaux, et le prix à payer pour s’en couper complètement est élevé. Sans une base stable, il est beaucoup plus difficile d’agir en toute sécurité.

Pour en revenir à Confidence Courage Connection Trust, les auteur·ice·s écrivent que la culture de la sécurité ne consiste pas à se fermer, mais à trouver des moyens de rester ouvert aux connexions avec les autres en toute sécurité. Cela implique d’avoir des conversations honnêtes sur les risques et de définir des normes de base avec des réseaux plus larges que les seules personnes avec lesquelles nous avons l’intention d’agir. La culture de la sécurité n’est pas statique – il ne s’agit pas seulement d’un ensemble de règles que les membres des milieux « radicaux » doivent connaître. Elle doit être dynamique, fondée sur des conversations permanentes et sur notre meilleure analyse des modèles de répression actuels.

Des pratiques telles que le vouching (établir des réseaux de confiance en se cautionnant entre nous), cartographier nos relations sociales et se renseigner sur le passé des gens peuvent sembler relever de l’OpSec et constituer un élément important de la planification de certaines actions, mais elles sont issues de la culture de la sécurité. La culture de la sécurité consiste à se demander « ce qu’il faudrait pour que je te fasse confiance ». Cela ne signifie pas que vous devez cautionner toutes les personnes que vous connaissez ou que vous ne passez pas de temps avec les personnes que vous ne cautionnez pas, mais simplement que vous savez clairement à qui vous faites confiance pour quoi et pourquoi, et que vous disposez de mécanismes pour apprendre à faire confiance à de nouvelles personnes en toute sécurité.

Aucune bonne habitude sur la façon de parler des actions qui se produisent dans votre ville (culture de la sécurité) ne vous protégera si vous laissez de l’ADN sur la scène de crime (OpSec), et aucune détection de la surveillance physique (OpSec) ne vous protégera du flic infiltré qui s’est lié d’amitié avec votre colocataire afin de se rapprocher de vous (culture de la sécurité). Les pratiques d’OpSec et de culture de sécurité sont distinctes et l’une ne remplace pas l’autre. En développant une compréhension plus approfondie des deux cadres, on peut essayer de se maintenir hors de prison tout en continuant à créer des liens et à étendre les réseaux informels d’affinité.

Extraits contre la surveillance

Dans cette section, on veut partager avec vous de courts extraits qui relèvent des sujets couverts par le CSRC, mais qui ne justifient pas une entrée distincte sur notre site web. Vous pouvez nous envoyer de tels extraits si vous souhaitez qu’ils soient publiées dans le prochain numéro.

En 2021, plusieurs personnes ont été arrêtées en France suite à l’incendie de véhicules appartenant à Enedis et d’une importante antenne-relais. Un texte détaille l’éventail intéressant de techniques de surveillance qui ont précédé leurs arrestations : filature, prélèvement ADN sur la poignée d’une voiture pendant que son propriétaire faisait des courses, entrée dans un domicile la nuit pour installer un keylogger sur un ordinateur, demande à Enedis de fournir la liste des personnes qui ont refusé l’installation du compteur Linky, et demande à un journal local de fournir les adresses IP qui ont accédé à leur article sur l’incendie.

En 2022, deux anarchistes ont été arrêté·e·s en Italie et accusé·e·s de fabrication et de possession de matériel explosif. Un texte explique que l’enquête qui a conduit aux arrestations a commencé lorsqu’un « inconnu » a trouvé du matériel explosif, du matériel électrique et d’autres dispositifs dans une forêt en juin 2021. Par la suite, les flics ont installé des pièges photo/vidéo pour « capturer » toute personne qui s’approchait de la zone. Une personne a ainsi été photographiée de dos près de l’endroit, et les flics ont prétendu l’avoir reconnue et identifiée.

Pour terminer cette section, voici une citation pleine d’espoir d’un communiqué revendiquant la responsabilité de l’incendie d’un bâtiment de constructeurs de prisons en Allemagne :

Afin de ne pas produire de bonnes images sur les caméras de surveillance, nous portions des K-ways pour dissimuler la forme de nos corps et nos démarches. Pour rendre la forme de nos têtes méconnaissable, nous avons utilisé des chapeaux. Le développement des techniques d’analyse vidéo inquiète de nombreu·x·ses camarades. Avec ces conseils nous voulons montrer les possibilités de résister contre cette technique de surveillance.

Contribuez au CSRC !

Nous proposons d’utiliser notre site web pour faciliter le partage de connaissances et d’expériences entre camarades sur le thème de la surveillance ciblée.

Parcourez nos plus de 180 ressources sur csrc.link, également accessible dans le navigateur Tor via une adresse .onion.

Imprimez nos tout nouveaux stickers et diffusez-les autour de vous.

Contribuez en nous envoyant un email à csrc@riseup.net – si vous voulez chiffrer, notre clé PGP est ici.

Dix astuces pour casser les téléphones

  1. mets le feu à ton téléphone
  2. jette ton téléphone dans le canal
  3. mets les téléphones de tes amis dans un plus grand feu
  4. jette tous les téléphones dans le canal
  5. n’apporte pas toujours ton téléphone (quelqu’un·e pourrait le jeter dans le feu)
  6. parlez-vous les un·e·s aux autres, pas à votre écran
  7. détruis les preuves (c.f. astuces 1 et 2) et ne laisse pas les autres fabriquer des preuves (c.f. astuces 3 et 4)
  8. fais de l’utilisation du téléphone un sujet
  9. sois injoignable par téléphone, sois sociable
  10. nique la technologie

Rumoer n°5, « Dix astuces pour casser les téléphones »

Download: PDF

Le SPVM est-il la Schutzstaffel? La Schutzstaffel était-elle le SPVM?

 Commentaires fermés sur Le SPVM est-il la Schutzstaffel? La Schutzstaffel était-elle le SPVM?
Avr 012023
 

Soumission anonyme à MTL Contre-info

« S— / S— / P-V-M ! Po- / lice / politique!” est scandé.

J’ai beaucoup entendu ce chant en 2012, alors que j’étais un bébé anarchiste, nouvelle dans la culture turbulente des manifs montréalaises. À l’époque, il était souvent accompagné d’une foule de sig heils ironiques addressé à la police. On se sentait toujours un peu mal à l’aise de se retrouver dans une foule de personnes majoritairement blanches faisant des saluts nazis, et ces sig heils ironiques ont même fini par provoquer un petit scandale dans les médias anglophones. Le vacarme médiatique à certainement impliquer une bonne dose de mauvaise foi, de nombrilisme et de citations d’organisations de centre-droite, mais en fin de compte, il est difficile de soutenir que les saluts nazis (ironiques ou non) ne sont rien d’autre qu’un mauvais look.

Dans les années qui ont suivi, les sig heils ont (heureusement) disparu de la culture de manif dans les rues de Montréal, et pendant un certain temps, il a semblé que le chant SS-PVM avait peut-être aussi disparu. Mais ces jours-ci, je l’entends à nouveau, non seulement lors de grandes manifestations remplies d’étudiant.es libéraux, mais aussi lors de manifestations organisées par des anarchistes et des antifascistes—des camarades qui devraient pourtant savoir mieux. Pire encore, le slogan semble maintenant avoir été commémoré sur une nouvelle bannière de tête [lors de la manif du 15 mars 2023].

Mais what’s up avec ce chant, et pourquoi ne veut-il pas mourir ? Essentiellement, il dit au SPVM : « vous êtes la police secrète de l’État, utilisée pour réprimer les mouvements sociaux et les dissidents politiques, à l’instar de—exemple célèbre dans l’histoire—la Schutzstaffel, c’est-à-dire des SS ».

Pour celleux qui ont séché les cours d’histoire, la SS était une branche paramilitaire de l’État nazi, qui a joué un rôle déterminant dans la mise en œuvre de la Solution finale. Elle a supervisé la déportation des Juifs à travers l’Europe, dirigé les camps de la mort pour lesquels le régime nazi est si bien connu, et participé à l’extermination massive des Juifs sur le front de l’Est, dans ce que l’on appelle souvent « l’Holocauste par balles ».

Sous le commandement de la SS, la Gestapo était la police politique de l’Allemagne nazie. Elle enquêtait, rassemblait et liquidait les dissidents et les « ennemis de l’État » : homosexuel.les, communistes, syndicalistes, Juifs et Roms. Avant la guerre, la Gestapo était de facto chargée d’appliquer les lois raciales nazies. Pendant la guerre, elle a orchestré des déportations massives et participé à des massacres. Vraisemblement, c’est la Gestapo qui était la « police politique » à laquelle le chant de manif susmentionné fait référence.

Pourquoi je vous raconte des choses sur les nazis que vous savez probablement déjà ? En quoi tout cela est-il important ? En bref, je pense que tout ça a une incidence sur la façon dont nous parlons de l’histoire, et sur la façon dont nous utilisons l’histoire dans notre discours politique au présent. Et je pense aussi que de comparer le SPVM aux SS est une mauvaise et frustrante analogie.

Soyons très clairs, je ne suis certainement pas ici pour vous convaincre qu’au fait, le SPVM est un groupe de bons gars. Je ne crains pas non plus, par exemple, qu’en comparant nos flics locaux aux SS, nous soyons trop méchants. Je suis en faveur de l’intimidation des coches. S’il vous plaît, soyez très méchant.es avec la police.

De plus, je n’ai aucun doute que, comme plusieurs corps policiers, le SPVM compte plus qu’une petite poignée de néo-fascistes parmi ses rangs. Et en tant que force armée d’un ordre social raciste, il n’est pas surprenant que le SPVM soit aussi responsable de nombreux meurtres extrajudiciaires de personnes racisées.

Ce que je reproche à la comparaison entre le SPVM et les SS, ce n’est pas qu’on risque exagérer la gravité du SPVM. Je crains plutôt qu’en comparant le SPVM aux SS, nous risquions d’obscurcir la nature même des SS. Considérons le slogan en question à nouveau : « SS-PVM ! Police politique ». Il semble remarquable ici que l’on ait choisi de scander « police politique » plutôt que, par exemple, « police raciste » ou « police génocidaire ». Je pense que cela en dit long sur la positionnalité du slogan, ou du moins sur l’analyse de l’histoire qu’il implique.

On pourrait imaginer un chant pas si différent, dans un contexte légèrement différent, qui utiliserait l’un des génocides historiques les plus visibles (l’Holocauste) pour souligner la complicité de la police dans le projet génocidaire de l’État colonisateur. Il s’agirait, je pense, d’une toute autre conversation. Mais le chant « police politique » n’est pas un chant sur le génocide, et c’est probablement pour cette raison qu’il tend à provoquer un tel malaise.

Le chant souligne (avec raison) que le SPVM est un instrument de répression politique, puis le compare à un autre corps policier historique qui était aussi un instrument de répression politique… entre autres choses. Mais la nature de ces autres choses importe beaucoup. Car on aurait tort de se souvenir de la SS avant tout comme l’homme de main de la répression anti-gauchiste, plutôt que comme outil du génocide.

Au mieux, c’est comme si nous donnions l’impression de penser que les SS étaient plus ou moins comme votre police municipale nord-américaine du XXIe siècle : meurtrière, raciste, certainement notre ennemie, mais sûrement pas responsable de l’extermination coordonnée de millions de personnes. Et, comme d’autres marchands d’analogies maladroites avec l’Holocauste—pensez aux antivax avec des étoiles jaunes—ça commence à donner l’impression qu’après tout nous avons peut-être séché le cours d’histoire au complet.Un titre antérieur et plus narquois pour ce texte était: « Je m’attendais à l’émeute annuelle contre les flics, mais tout ce que j’ai eu c’est du révisionnisme softcore de l’holocauste » [« I came for the annual anti-police riot, and all I got was some softcore Holocaust revisionism »]. Et bien que j’ai finalement révisé ce titre, je pense que l’original souligne quand même un aspect important de la politique du souvenir et de la déformation de l’histoire par analogie avec le présent.

En 2023, cette façon de déformer l’histoire semble plus dangereuse qu’en 2012… Voilà qu’il y a quelques mois à peine, un ancien président des États-Unis a lunché avec un négationniste populaire ; des néonazis continuent d’harceler les gens à la sortie des shows de drag, des synagogues et des spectacles de Broadway ; #hitlerdidnothingwrong est de nouveau populaire sur Twitter ; et les attaques fascistes armées contre les mosquées, les synagogues et les bars gays commencent à nous sembler un peu trop familières.

À bien des égards, la diffusion des idées néonazies repose sur un déni manifeste ou implicite de l’Holocauste. Bien sûr, il y a toujours quelques dérangé.es qui vous diront que ces six millions de Juifs l’ont bien mérité, mais si vous voulez faire l’éloge d’Hitler au XXIe siècle, il est probablement beaucoup plus facile de simplement déformer les faits du génocide de prime abord. Le révisionniste de l’Holocauste du XXIe siècle lèvera les bras au ciel et dira : « Ah, mais bien sûr, certaines personnes sont mortes du typhus et de malnutrition dans les camps de prisonniers, mais c’est normal en temps de guerre… Y a-t-il vraiment eu des chambres à gaz ? Y a-t-il vraiment eu un génocide ? »

Ou comme l’a récemment déclaré l’avocat du shitposter néonazi local, Gabriel Sohier Chaput, dans une salle d’audience de Montréal : « Selon le dictionnaire, le nazisme, c’est du national-socialisme. C’était une idéologie. Ça ne faisait pas partie du plan initial d’exterminer les Juifs. Et est-ce vraiment six millions de victimes ? Je pense que si des gens sont morts dans des camps de concentration, c’était pour sauver de l’argent ».

Bien sûr, personne dans les manifs de gauche auxquelles j’ai assisté à Montréal n’a scandé quoi que ce soit qui ressemble de près ou de loin à « Est-ce que / six / mil- / -lion / sont / vrai- / ment / morts ? » ou whatever. Mais bon, il est peut-être un plus difficile de balayer une analogie maladroite avec l’Holocauste à un moment où la déformation de l’Holocauste, le déni pur et simple de l’Holocauste, et les diverses formes de néonazisme jouissent d’une approbation sans précédent auprès du grand public.

Écoute, je comprends. Qui n’aime pas se lancer de temps en temps dans un discours du type « tout ce que je déteste est littéralement Hitler » ? Mais si vous ne savez toujours pas quelle est la différence entre le SPVM et les SS, j’ai un livre (ou dix) à vous proposer. Et en supposant que vous pouvez différencier entre le gaz lacrymogène et le Zyklon B, ne devriez-vous pas vous sentir au moins un peu gêné.e de vous retrouver dans une foule de personnes qui semblent un peu floues sur les détails de ce que les SS ont réellement fait ? C’est certainement mon cas…

Une excuse pour continuer la répression – Communiqué de la CLAC sur les arrestations de masse entre 2011 et 2015

 Commentaires fermés sur Une excuse pour continuer la répression – Communiqué de la CLAC sur les arrestations de masse entre 2011 et 2015
Mar 212023
 

De la Convergence des luttes anticapitalistes

Après plus d’une décennie de lutte, des personnes arrêté·e·s lors de 16 manifestations qui se sont soldées par des arrestations de masses entre 2011 et 2015 ont finalement obtenu gain de cause face à la ville de Montréal et au SPVM en signant une entente hors-court pour obtenir dédommagement pour les tords subis. La ville s’est engagé à leur verser 6 millions de dollars en compensation financière – divisé entre les centaines de personnes touchées et après déduction des frais d’avocats, c’est une somme disons-le plutôt symbolique – ainsi qu’à produire des excuses publiques et à les afficher sur leur site Internet durant 90 jours. Le 14 mars 2023, à l’initiative des requérant·e·s des recours collectifs, duComité Permanent de Soutien aux Manifestant·e·s et de la Ligue des Droits et Libertés, une conférence de presse est organisée pour dénoncer à la fois les pratiques du SPVM qui ont donnés lieu à ces recours, mais également la mauvaise foi de la Ville de Montréal et de son administration actuelle qui a caché ses excuses dans un .pdf au bas d’une page obscure au fond de leur labyrinthique site web. Voici le communiqué rédigé par la CLAC qui a été partagé lors de cette conférence de presse.

Bonjour,

On aurait aimé être présent·e·s en personne, mais on voulait pas rendre la tâche plus facile au SPVM pour remplir ses fiches; faut bien que le 800 millions de budget servent à quelque part. On tenait quand même à souligner l’importance de cette victoire juridique tout en la contextualisant avec un portrait plus large de la répression policière.

D’abord, il faut reconnaître que des excuses publiques face à la violence policière, c’est non seulement rare, ça l’arrive presque jamais, et lorsque ça l’arrive, comme aujourd’hui, c’est parce que les mouvements sociaux réprimés étaient principalement composés de personnes blanches. Au cours des mêmes années visées par les recours collectifs, entre 2012 et 2017, il a été déterminé par la commission Viens que 75% des constats d’infraction distribuée à Val-d’Or ont été donnés à des personnes autochtones. Vous vous souviendrez qu’alors plusieurs allégations ont fait surface pour dénoncer les violences policières, notamment des violences à caractères sexuels envers les femmes autochtones. Qu’aucune accusation n’a été portée sur les policiers de la SQ après l’enquête. De plus, la SQ a même poussé jusqu’à demander ses propres excuses au gouvernement du Québec pour supposément ne pas avoir été impartial devant les faits et poursuivi en diffamation Radio-Canada pour son journalisme d’enquête. Non seulement le directeur de la SQ au moment des actes de violences policières a refusé de s’excuser, mais Valérie Plante l’a même accueilli comme directeur du SPVM ! Dans ce cas précis, comme dans la vaste majorité des cas de brutalité policière, il n’y a pas eu d’excuses. Faut-il également rappeler que le gouvernement actuel refuse explicitement de reconnaître la présence du racisme systémique malgré le fait que l’observatrice civile le reconnaisse.

De la même façon, en 2020 à Montréal, 40% de contraventions ont été données à des personnes en situation d’itinérance, parce que les adresses enregistrées dans le registre des contraventions correspond à l’adresse d’un refuge pour personne sans abris. Ces personnes non plus ne recevront pas d’excuses. Ni les femmes autochtones, qui sont 11 fois plus susceptibles d’être interpelées par la police que les femmes blanches. Ni les populations noires victimes de profilage racial pourtant avoué par le SPVM sans s’excuser.

Dans le contexte de toutes ces violences racistes, coloniales et de classes, la ville s’excuse à nous, des étudiant·e·s, des travailleur·euse·s, quelques chômeur·euse·s, mais quand même des gens qui s’en sortent assez bien. Ça nous montre c’est quoi la justice, un système où l’on s’excuse quand on arrête des personnes principalement blanches et potentiellement pas si pauvres, mais où l’on ignore les violences systémiques de la police envers les plus vulnérables.

Ensuite, les arrestations de masse ne sont que la pointe de l’Iceberg des pratiques malhonnêtes, des violences et des injustices commises par la police et le système de justice. À chaque fois que l’on remet en question la violence perpétrée par la police ou que l’on tente d’organiser un rassemblement anticapitaliste, on est menacé-e-s, filmé-e-s, lorsqu’on est pas littéralement attaqué-e-s à coup de gaz, de poivre et de matraques. Et surtout, à chaque fois qu’il y a arrestation, les personnes racisées, les femmes et les personnes non-binaires ou trans subissent des violences supplémentaires au mains des policiers. À ce titre, les arrestations de masses sont très loin d’être les pires violences qui sont vécu·e·s par les militant·e·s, pour lesquelles aucune excuse ne sera faite et aucune compensation ne sera offerte.

Petite parenthèse pour dire que les 6 millions obtenu en compensation représentent moins de 10% de l’augmentation budgétaire du SPVM cette année seulement. Si la ville cessait son délire sécuritaire, on pourrait peut-être avoir des logements sociaux qui ont de l’allure. On dit ça de même.

Finalement, il ne faut pas se leurrer, ces excuses ne changeront rien, tout comme la longue liste des enquêtes sur la police depuis des décennies qui ont parfois mené à des réformes toutes plus inutiles les unes que les autres. En 1984 déjà, Jean-Paul Brodeur publiait un ouvrage étudiant une vingtaine de commissions d’enquête sur la police au Québec depuis le 19e siècle. Ses conclusions sont claires: rien ne change. On se rappelle aussi les résultats de l’enquête sur les pratiques policières lors du sommet du G20 à Toronto : malgré toutes les violences commises, rien n’a réellement changé. Les mêmes blâmes ont été exprimés durant la commission Ménard après les grèves étudiantes de 2012, encore là rien n’a changé. Toutes les études et les commissions d’enquête plus récentes arrivent aux mêmes conclusions. Devant l’échec des tentatives répétées de réformes de la police, on est en droit d’en arriver à un constat : c’est pas de la faute à quelques pommes pourries, c’est le verger au grand complet qui est infesté par la pourriture, des racines aux bourgeons! Aujourd’hui, si on obtient des excuses, c’est seulement à cause du combat mené par des personnes requérantes qui ont réussi à obtenir ces gains au bout d’une décennie. Merci à vous tou·te·s de pas avoir lâché le morceau et d’avoir démontré une fois de plus que les chiens de garde de l’État n’ont pas de laisses et que c’est seulement par la lutte qu’on pourra mettre fin à leurs violences.

Continuons de lutter, car seule la lutte paie (dans ce cas-ci, littéralement!). C’est pas les gouvernements ni la police qui nous protègent des bouleversements climatiques, de la montée de l’extrême droite, de la hausse du prix des logements ou de la hausse du coût de la vie. Au contraire, le SPVM participe directement, activement et violemment à réprimer la résistance contre ces fléaux qui menacent nos existences. C’est pour ça qu’on continue à manifester le 15 mars contre la brutalité policière ou de célébrer la tradition anticapitaliste du 1er mai.

En terminant, parce qu’on sait que malgré les excuses pis les belles paroles, la répression va continuer, on profite de l’occasion pour vous annoncer la relance du fonds d’autodéfense juridique de la CLAC afin de soutenir les militant·e·s arrêté·e·s. Le SPVM a peut-être finalement compris que les arrestations de masse ne sont plus acceptables, mais ils utilisent juste d’autres moyens pour nous empêcher de manifester contre le système qu’il protège. Le fonds de la CLAC vise à autonomiser nos moyens de défense face à la répression policière et judiciaire de plus en plus utilisée pour nous décourager de s’indigner.

La convergence des luttes anticapitalistes (CLAC)

Ce document est aussi disponible en .pdf (et plus facilement trouvable que les excuses de la ville sur leur site)

Le fonds d’autodéfense juridique de la CLAC est de retour

 Commentaires fermés sur Le fonds d’autodéfense juridique de la CLAC est de retour
Mar 152023
 

De la Convergence des luttes anticapitalistes

Le Comité d’autodéfense juridique de la Convergence des luttes anticapitalistes relance son Fonds d’autodéfense juridique, qui vise à supporter les personnes qui sont victimes de la répression policière ou juridique pour des gestes présumés commis dans le cadre d’actions individuelles ou collectives ayant une portée anticapitaliste, féministe, anticoloniale ou antiraciste.

Nous avons besoin de vos contributions pour remplir le Fonds! Suite aux larges mobilisations de 2012, plusieurs fonds légaux ont été créés pour supporter les personnes arrêtées, mais depuis quelques années, ceux-ci ne sont plus disponibles, incluant celui de la CLAC jusqu’à maintenant. Nous repartons donc un fonds légal pour soutenir les personnes arrêtées pour des activités militantes, parce qu’il est important de supporter financièrement les arrêté.es pour qu’iels puissent faire face aux systèmes policier et judiciaire biaisés et injustes du gouvernement.

Pour faire un don au Fonds d’autodéfense juridique

  • Par chèque
    Faire le chèque à l’ordre de la « Convergence des luttes anticapitalistes » et l’envoyer à l’adresse:
             CLAC-Montréal / QPIRG-Concordia
             c/o Université Concordia
             1455 de Maisonneuve O
             Montréal, Quebec
             H3G 1M8

Inscrivez « Fonds d’autodéfense juridique » sur le chèque, pour qu’on sache qu’il s’agit d’un don pour le fonds.

  • Par virement interac
    Envoyez à l’adresse: finance @ clac-montreal.net
    Avec la question de sécurité: « Fonds d’autodéfense »
    Et la réponse: « juridique ».
    Si vous faites un don spécifiquement pour la campagne des arrêtéEs à Atlanta:
    Inscrivez comme question: « Solidarité Atlanta »
    Et la réponse: « stopcopcity ».

Si vous avez été arrêté et avez besoin de la contribution financière du Fonds, consultez cette page:
https://www.clac-montreal.net/fonds

Si vous avez besoin de soutien juridique suite à une arrestation, contactez le Comité d’autodéfense juridique de la CLAC à
info @ clac-montreal.net

En fichier attaché: le communiqué distribué par la CLAC à la conférence de presse « Les recours collectifs pour le droit de manifester interpellent la mairesse et le directeur du SPVM » du mardi le 14 mars 2023.

Fichiers attachés: PDF iconconf-de-presse.pdf

Déploiement de bannière pour les défenseurs de la forêt de Welaunee

 Commentaires fermés sur Déploiement de bannière pour les défenseurs de la forêt de Welaunee
Mar 142023
 

Soumission anonyme à MTL Contre-info

La militarisation et l’expansion du pouvoir policier est une menace mondiale. La lutte contre le projet de développement Cop City à Atlanta reflète d’autres luttes locales partout dans le monde. Cette lutte de première ligne, solide et de longue durée, montre comment la destruction des habitats naturels est liée à la violence et à la répression de I’état.

A la lisière de la forêt de Welaunee, chaque policier repoussé avec des feux d’artifice et chaque pièce d’équipement de construction incendiée est accueilli avec joie par les compagnons de toute l’île de la tortue et au-delà.

Nous avons fabriqué et déployé cette banderole à Montréal en solidarité avec toutes les personnes arrêtées à Altanta, même les plus innocentes. Nous n’oublierons jamais Tortuguita.

Le verger au complet : La justice transformatrice – entretien avec harar v.a. hall

 Commentaires fermés sur Le verger au complet : La justice transformatrice – entretien avec harar v.a. hall
Mar 132023
 

De la Convergence des luttes anticapitalistes

Télécharger l’épisode

La musique

Les références

Processus de justice transformative au Rojava: https://armsforrojava.wordpress.com/2014/10/21/consensus-is-key-new-justice-system-in-rojava/comment-page-1/

La transcription

Présentation

Dans cet épisode de Le Verger au complet / The Whole Orchard, nous parlons de justice transformatrice avec harar v.a. hall, un.e créateurice et penseureuse multidisciplinaire queer, noir.e, jamaïcain.ne-canadien.ne, élevé.e à Tkaronto/Toronto et vivant, organisant et rêvant actuellement à Tiohtià:ke/Montréal. En tant qu’animateurice et programmateurice d’événements, iel a cherché à créer des espaces pour l’expression artistique, l’apprentissage et la production de connaissances au sein des communautés dont iel font partie.

Leur travail est ancré dans un désir permanent de libération et de guérison à un niveau individuel et collectif. Ainsi, tout cela s’inspire d’abord de leurs propres expériences en matière d’identité, d’amour, de désir, d’appartenance, de traumatisme, de bonheur et de communauté. Iel s’efforcent de créer des œuvres et des espaces qui explorent honnêtement ces émotions et ces expériences, dans l’espoir de donner libre court à notre imagination radicale.

Q1 : En quoi la justice transformatrice diffère-t-elle de la justice punitive ? Et d’où vient-elle ?

Je pense que je les différencierais plus largement en fonction de leurs objectifs, et donc je pense que le résultat le plus important de la justice punitive est la punition. Je pense qu’il y a souvent des discussions sur les piliers de la justice et vous savez, nous avons des discussions sur la réhabilitation, nous avons des discussions sur la restitution et toutes les autres choses qui sont censées découler de l’emprisonnement des gens, des amendes même, car je pense que les amendes font également partie du système punitif. Je pense que tout ce qui fait partie de ce système de justice pénale que nous voyons largement dans les sociétés coloniales relève de la justice punitive, mais c’est pour punir les gens et je pense que cela a très peu à voir avec la sécurité. Je pourrais en parler davantage plus tard, mais par contraste, je pense que l’objectif de la justice transformatrice est la guérison. Je pense que c’est la guérison de la personne qui a été blessée. C’est aussi la guérison de l’auteur du crime, ce qui est quelque chose que nous ne mettons pas souvent en avant lorsque nous parlons de justice punitive, mais je pense qu’au sens large, c’est aussi la guérison de votre communauté et de votre société. Lorsqu’un individu est blessé, lorsque quelqu’un d’autre fait quelque chose qui a blessé une autre personne, une autre personne et ainsi de suite, je pense qu’il est vraiment important de penser aux effets d’entraînement que cela entraîne. Le traumatisme n’est pas seulement ressenti par une personne, il n’est pas seulement vécu par une personne, il est ressenti par les personnes qui la soutiennent, il est ressenti par leurs familles, il est ressenti par les personnes qu’elles ont blessées en réponse au mal qu’elles ont subi, et donc, la justice transformatrice est vraiment centrée sur la guérison de toutes les personnes qui ont été touchées par cet acte. Et je pense que c’est aussi vraiment incroyable parce que j’ai l’impression que la justice punitive transforme les gens en criminels. Et une fois que vous êtes un criminel, il est très difficile de ne pas le rester et donc vous devenez un acte unique que vous avez fait, ou peut-être un couple d’actes que vous connaissez. Et je pense que la justice transformatrice affirme toujours l’humanité d’une personne d’abord et j’apprécie vraiment cela parce que je ne pense pas que quelqu’un veuille être étiqueté par la pire chose qu’il a faite dans son pire jour ou les impacts ressentis par la pire chose qu’il a faite, mais c’est ce que fait la criminalisation. Elle vous transforme en la pire chose que vous avez faite et vous fait revivre cela, ressentir cela et être puni pour cela chaque jour de votre vie. Et si vous êtes dans une société qui non seulement vous criminalise mais aussi quand vous êtes relâché vous avez un casier judiciaire, vous savez quand vous postulez pour un emploi, quand vous postulez pour un logement, ce casier vous suit comme un criminel vraisemblablement jusqu’au jour de votre mort, à cause d’une chose que vous avez faite et donc il n’y a pas de place pour la guérison, il n’y a pas de place pour la croissance, il n’y a pas de place pour l’évolution et c’est comme si vous pouviez guérir de ça, comment les gens autour de vous peuvent guérir de ça aussi. Donc oui, je dirais qu’ils sont vraiment diamétralement opposés sur la façon dont ils voient les gens et quels sont leurs objectifs. Et puis je pense que les origines de la justice transformatrice viennent vraiment des mouvements abolitionnistes. Mais pour parler des mouvements abolitionnistes, je pense qu’il est vraiment important de parler des origines des prisons, mais aussi des origines des prisons contemporaines en tant que système, parce que je pense qu’il est vrai que des gens ont été emprisonnés, ont fait l’expérience de l’emprisonnement pendant, genre, toute l’histoire, mais je ne pense pas que la punition, de la manière dont elle existe en tant que mode vraiment central du système carcéral, existe depuis aussi longtemps et je pense qu’il est vraiment important de se rappeler qu’elle n’est pas si ancienne parce qu’elle peut très facilement être retirée de la manière dont nous pensons à la justice et à la manière dont nous pensons à répondre au mal. Ainsi, le mouvement pénal et pénitentiaire actuel trouve son origine spécifiquement aux États-Unis, dans les années 1700, et l’on voit cette large intégration d’une doctrine très profondément religieuse dans la création des institutions. Malheureusement, c’était aussi le cas dans les bibliothèques, mais ce n’est pas aussi important. Je pense qu’en réfléchissant à la façon dont les gens pensaient alors aux longues peines de prison et à la suppression de la liberté des gens, et en pensant continuellement, même après être sorti de prison, à une sorte de punition prolongée, à une façon de faire réfléchir le prisonnier sur ce qu’il a fait. Et c’était cette idée que non seulement il fallait garder les prisonniers à l’abri de la société, mais que les prisonniers eux-mêmes avaient besoin d’être punis, de réfléchir et de penser, et qu’une sorte de pénitence les rendait meilleurs. Et donc, que vous soyez une personne religieuse ou non, je pense que ce n’est pas la question, je pense qu’il est vraiment important de se rappeler que cette partie sur la punition est très profondément détachée de la justice. Il est très profondément détaché de la sécurité et donc si nous croyons que nos objectifs pour le système de justice que nous choisissons sont la sécurité, la justice, alors nous n’avons pas besoin que la punition en fasse partie, elle n’est pas nécessaire, elle est assez nouvelle et elle peut être supprimée. Et donc je pense que la justice transformative et le mouvement abolitionniste des prisons sont comme des meilleurs amis, je pense que la justice transformative vient vraiment comme, je pense que le mouvement abolitionniste est une destruction de ce que nous voyons, comme le mouvement abolitionniste des prisons comme une distraction du système que nous voyons qui est si nuisible à nos communautés, et je pense spécifiquement aux communautés noires, aux communautés latino-américaines, aux communautés indigènes, mais je pense à la société plus largement parce que je pense que la carcéralité a malheureusement infecté une grande partie de la façon dont nous pensons aux interactions entre les gens. Mais je pense que ce qui est vraiment beau et intéressant dans la justice transformative, c’est qu’il n’y a pas de point d’origine distinct, ce n’est pas une seule personne qui l’a créée, mais elle est née de théories de personnes qui se disaient : nous n’avons pas besoin de prisons, mais nous avons besoin de quelque chose de mieux, nous avons besoin de quelque chose de plus brillant, nous avons besoin de quelque chose de grand. On peut donc remonter jusqu’aux psychologues, qui ont étudié l’impact des prisons sur le comportement humain et la façon dont ils traitent les autres et les prisonniers, on peut donc remonter jusqu’aux abolitionnistes, on peut même remonter jusqu’aux quakers canadiens qui ont répondu aux mouvements quakers américains en devenant abolitionnistes et en devenant des défenseurs de la justice transformatrice, donc des défenseurs de la justice transformatrice, donc évidemment, vous connaissez des noms comme Angela Davis ou vous connaissez des noms comme Ruth Wilson Gilmore, mais je pense qu’il y a tellement de penseurs modernes de la justice transformatrice. Personnellement, j’aime beaucoup Adrienne Maree Brown, parce que je pense qu’elle centre vraiment le rêve et l’imagination dans les mouvements de justice transformatrice, ce qui est, je pense, vraiment intégral, c’est de penser au-delà de ce qu’on nous a dit être possible et d’imaginer à quoi la justice peut ressembler, à quoi notre guérison peut ressembler si nous brisons complètement les boîtes que la société nous a en quelque sorte imposées à travers la carcéralité.

Q2 : La justice transformatrice et la justice réparatrice sont parfois utilisées de manière interchangeable. Pensez-vous qu’il est important de faire la distinction ?

J’aime cette question parce que je pense que le chevauchement entre la justice transformatrice et la justice réparatrice a en fait rendu un très mauvais service à la mise en œuvre de la justice transformatrice, en particulier dans les processus communautaires, et je pense donc que je vais dire que je suis un grand défenseur de la justice transformatrice, je ne suis pas un défenseur de la justice réparatrice. Je pense que la justice réparatrice a beaucoup d’avantages, mais ce n’est pas ce que je défends idéologiquement. Je pense qu’il est important de le dire parce qu’évidemment, je pense que tout le monde fonctionne avec des préjugés et c’est le mien, mais la justice réparatrice est vraiment belle et ses origines se trouvent souvent dans l’enseignement autochtone, les guérisons autochtones et la justice autochtone, en particulier sur l’île de la Tortue, et je pense que c’est pourquoi nous voyons beaucoup d’intégration, en particulier au Canada, de la justice réparatrice dans le système de justice pénale.

Mais la préoccupation majeure de la justice réparatrice se situe entre la personne qui a été lésée et celle qui a fait le mal. Je pense que c’est vraiment important et que cela permet de dépasser l’emprisonnement carcéral et de ne pas se concentrer simplement sur la punition d’une personne, mais en fin de compte, cela permet toujours à la personne qui a été lésée d’être le seul arbitre de ce qui est juste et d’évaluer le degré de préjudice causé par une autre personne. Et je sais que beaucoup de gens entendent cela et se disent : c’est génial, c’est incroyable, l’individu qui a été lésé devrait être celui qui décide de ce qui est juste et de ce dont il a besoin, mais je pense en fait que c’est le pire moment pour décider de ce qu’est votre idée de la justice, lorsque vous avez été lésé. Mais je pense aussi que la question plus large est que personne n’arrive à un cas de préjudice en étant parfaitement guéri, sans traumatisme, nous portons toutes nos expériences avec nous, et je ne pense pas que, je ne fais pas une sorte de point pour une pratique standardisée en termes de justice transformative, comme si chaque processus devait se ressembler, mais je pense que c’est vraiment mauvais si nous supposons qu’une victime ou un survivant, une personne qui a été blessée est dans la meilleure position à ce moment-là pour s’occuper de la personne qui l’a blessée et je ne pense pas qu’ils devraient avoir à le faire. Je ne pense pas qu’elle doive être une personne qui pense à la guérison de la personne qui lui a fait du mal, mais dans un processus de justice réparatrice où nous centrons ces deux personnes sur ce qu’une personne peut faire pour l’autre personne afin qu’elle sente qu’elle peut guérir et passer à autre chose, il y a en fait très peu de possibilités pour la personne qui a causé le mal d’accéder également à la guérison. Mais je pense qu’au-delà de cela, et je ne pense pas que cela soit vrai pour tous les processus de justice réparatrice, je pense qu’il y a un certain niveau de guérison communautaire qui y est intégré, mais je pense que la différence est que la guérison communautaire n’est pas centrale. Le changement structurel social n’est pas central et je dirais que c’est vraiment énorme dans la justice transformative, donc il y a une responsabilité et un accent sur la façon dont la communauté a été touchée par ce préjudice, et je pense que la grande chose à ce sujet, au-delà du fait que tout le monde qui a existé dans ce cas de préjudice reçoit ensuite le soutien pour grandir, aller de l’avant, et guérir de cela, est aussi qu’il y a maintenant une responsabilité prise par la communauté pour ce qui a permis à cela d’exister en premier lieu. Je ne pense pas qu’il soit raisonnable ou juste d’attribuer une chose que quelqu’un a faite uniquement à lui, alors qu’il est un sous-produit de son environnement, un sous-produit de sa communauté. Et donc je pense que la justice transformatrice permet, et je pense que je dirais même qu’elle force une communauté à regarder constamment à l’intérieur d’elle-même comment elle peut s’assurer que cela ne se reproduise pas, parce que nous savons que cette action n’est pas due au fait que cette personne est une mauvaise personne qui fait du mal aux gens, mais plutôt au fait qu’elle a été mise dans une position qui lui a permis de faire du mal à quelqu’un. Et ouais, et donc je pense qu’à bien des égards, la justice transformative fonctionne aussi pour réagir ou je dirais pour empêcher le mal de se produire à l’avenir de la même manière, parce que nous assumons tous la responsabilité du mal et nous assumons tous la responsabilité de la guérison. Alors que je pense que la justice réparatrice isole vraiment cela aux personnes qui ont existé dans ce cas de préjudice.

Q3 : Quelles attitudes et perspectives sont nécessaires avant d’intégrer la justice transformatrice dans nos pratiques habituelles ?

Je pense que la première chose que nous devons faire, et je pense que c’est un processus vraiment personnel que chacun doit entreprendre, c’est de comprendre que nous allons tous causer du tort à un moment donné dans notre vie et que cela ne nous rend pas mauvais, mais que ce n’est pas non plus une chose que nous devons fuir et que nous ne devons pas nier. Je pense que si vous entendez que vous pourriez faire du mal à un moment de votre vie et que vous vous dites :  » pas moi, je suis quelqu’un de bien « , alors je pense que vous allez probablement vous engager dans la justice transformative avec l’idée que certaines personnes sont des auteurs, certaines personnes sont des victimes, certaines personnes sont blessées, certaines personnes sont des auteurs, certaines personnes sont des survivants. Et le fait est que nous serons probablement tous ces choses dans de nombreux cas différents, et dans de nombreuses configurations différentes tout au long de notre vie. Et nous ne pouvons pas être coincés dans les rôles que nous existons dans un cas de préjudice. Et donc je pense que cela demande beaucoup de réflexion personnelle et aussi une vérification constante de soi pour se rappeler que c’est quelque chose que vous tenez toujours comme une croyance et la raison pour laquelle je pense que c’est un premier pas qui est vraiment important parce que je pense que cela va informer la façon dont vous traitez les autres personnes quand elles ont été blessées ou quand elles ont fait du mal à quelqu’un. Et je pense que pour s’engager dans la justice transformatrice, je pense que beaucoup d’entre nous sont très à l’aise pour agir en tant que partisans, en tant que confiants, en tant que défenseurs des survivants, en tant que personnes qui sont dans une position où elles sont blessées. Je pense qu’il est beaucoup plus difficile d’agir en tant que défenseur, en tant que confiant, en tant que défenseur d’une personne qui a fait quelque chose que nous considérons comme mauvais, parce que nous avons été élevés dans une société qui nous a laissé croire que ces personnes sont mauvaises et que les mauvaises personnes ne méritent pas de soutien, les mauvaises personnes ne méritent pas de défense. Et donc je pense que si nous pouvons vraiment nous mettre dans la position que cela pourrait être nous, et que ce sera probablement nous à un moment de notre vie, je pense que cela nous permet d’employer une empathie beaucoup plus radicale dans le travail que nous faisons. Et donc oui, je pense que c’est vraiment intégral. Je pense que nous devons aussi… C’est difficile parce que je dis ça et je peux aussi penser à beaucoup de fois où je n’ai pas fait preuve de compassion pour les autres et pour moi-même, mais je pense que nous devons avoir beaucoup de compassion pour le fait que nous avons grandi et été socialisés dans une société qui nous a appris la punition dès le plus jeune âge, la plupart d’entre nous, qui nous a enseigné les prisons dès notre plus jeune âge, dans les jeux auxquels nous jouions, dans les livres que nous lisions étant enfant, dans les émissions que nous regardions, la carcéralité et la punition sont partout et nous les apprenons à un si jeune âge, avant même d’apprendre à parler. Ces choses sont profondément ancrées en nous et je ne pense pas que nous devions haïr cela en nous-mêmes, mais je pense que nous devons constamment vérifier cela et réfléchir au moment et à la manière dont nous allons intégrer cette socialisation dans le travail que nous faisons. Et je ne pense pas que cela signifie que nous ne devons pas essayer et que cela ne marchera jamais, mais je pense que cela signifie que tout le travail que nous faisons sera imparfait et c’est bien ainsi. Je pense que c’est bien parce que faire cela de manière imparfaite suffisamment de fois sera toujours bien mieux que la carcéralité. Je choisirai toujours un processus de justice tranformative imparfait plutôt que d’emprisonner quelqu’un. Mais plus que cela, je pense que nous devons penser à cela comme à un travail générationnel et intergénérationnel. Et donc si je peux travailler très dur pour interroger constamment les façons dont j’ai intégré la punition, dans toutes mes interactions de la manière dont j’ai été socialisé à le faire et que j’ai pensé à ces dichotomies avec le mal et le bien et que cela a également un impact sur la façon dont je pense aux gens, peut-être que je ne me débarrasserai jamais complètement de cela en moi, mais je peux m’assurer que je ne transmets pas cela aux personnes plus jeunes que moi. Je peux m’assurer que je ne le transmettrai pas au processus que je crée, aux communautés dont je fais partie, aux choses que nous construisons. Nous ne sommes peut-être pas parfaits, mais nous pouvons travailler très dur pour nous assurer que nous ne transmettons pas littéralement ce traumatisme, ou cette socialisation, aux choses qui vont vivre après nous. Et je pense que c’est le travail que nous devons faire.

Q4 : Pouvez-vous nous expliquer à quoi pourrait ressembler un processus de justice transformatrice dans le cas d’un meurtre ?

Ok, je pense que souvent les gens parlent de processus de justice transformative, et ils pensent que cette personne a volé une autre personne, mais qu’il s’agit d’une personne à faible revenu, et que nous savons tous que le vol est généralement basé sur des facteurs socio-économiques, et que nous fonctionnons déjà avec beaucoup, je pense, beaucoup plus de compassion pour la personne qui a fait la chose que nous considérons comme mauvaise. Je vais donc commencer par un exemple de meurtre, parce que je pense que c’est quelque chose qui est assez irréversible, je dirais, et qui a certainement causé du tort et nous pensons souvent que c’est un acte vraiment impardonnable. Et je pense que le pardon est vraiment important pour la justice transformatrice, mais je ne pense pas qu’il soit nécessaire pour chaque personne de pardonner à une personne qui a fait du mal. Je pense que la différence entre le pardon et le fait d’empêcher activement une personne de vivre sa vie et de se développer est en fait un écart énorme. C’est la différence entre l’inaction et l’opposition active, et je pense que nous devons parfois assumer notre inaction, comme le fait de blesser, mais nous n’avons pas à nous opposer à la liberté d’une autre personne. Et donc, si je parle de meurtre, c’est parce que je pense que cela arrive souvent, évidemment, mais je pense aussi que les cas de violence se produisent aussi souvent au sein des communautés marginalisées et je pense que nous voyons des incarcérations disproportionnées pour ces choses, pour ces crimes, et aussi, juste d’énormes quantités de dommages qui se produisent pour toutes les personnes impliquées. Je pense donc que dans les cas de meurtre dans un système carcéral, c’est assez simple. Vous appelez les flics. Cette personne est généralement retenue et détenue jusqu’à la date de son procès. Cela arrive souvent très, très, très loin dans le temps, et les gens sont donc souvent retenus et détenus, qu’ils aient été prouvés coupables ou non. Mais disons, pour les besoins de l’exemple, que cette personne l’a fait, nous savons qu’elle l’a fait, et donc elle est finalement incarcérée et reçoit sa sentence, et évidemment la sentence n’est pas objective et est basée sur beaucoup de choses qui n’ont rien à voir avec la culpabilité ou non de la personne, mais souvent sa race, son statut socio-économique, son niveau d’accès. Donc, pour une raison quelconque, cette personne va en prison et attend la fin de sa peine jusqu’à ce qu’elle soit libérée.

Et quand elle est libérée, elle a un casier judiciaire, et comme le meurtre est un crime violent, c’est quelque chose qui ne disparaîtra jamais de son casier. Ils peuvent parfois faire une demande de grâce, mais les grâces coûtent vraiment très cher et s’ils ne sont pas riches, ils seront étiquetés comme meurtriers et ne pourront donc probablement pas trouver d’emploi, ni de logement. Et donc la plupart des gens qui ont des crimes violents dans leur dossier finissent par commettre beaucoup d’autres crimes. Je prends, je pense qu’il est vraiment important de passer par le processus carcéral, parce que j’ai l’impression que c’est juste la chose la plus dévastatrice à penser au fait que les actions uniques ont littéralement un impact sur la vie des gens et de tout le monde autour d’eux pour 60, 70, 80 ans et puis des générations plus tard parce que cela a un impact sur leurs enfants, cela a un impact sur leurs familles. Et donc oui, s’ils ont des enfants, leurs enfants grandissent sans parent, leur parent grandit, vous savez, peut-être décède, vit sans son enfant, sa communauté perd une personne. Je pense que beaucoup de gens vont aussi consacrer beaucoup de ressources pour essayer de rendre la vie aussi confortable que possible pour les personnes incarcérées, donc vous voyez aussi un argent direct qui est retiré à la famille qui a déjà perdu un soutien de famille pour être utilisé pour essayer de soutenir quelqu’un qui a été incarcéré. Je pense donc que cela a des effets vraiment dévastateurs. Mais je pense que du côté de la personne, de la famille et de la communauté qui a également perdu quelqu’un, une fois que la personne va en prison, elle ne reçoit rien.

Ils ne reçoivent pas de soutien de l’État, en termes de guérison. Ils doivent payer pour leur propre thérapie. Ils doivent, vous savez, payer leurs propres funérailles. Ils doivent gérer leur propre deuil. Je pense que l’État et le monde leur disent qu’ils devraient diriger toute cette tristesse et cette haine vers la personne qui leur a enlevé cette personne, et que toute cette douleur qu’ils ressentent est la responsabilité de cette personne. Et donc, je dis que tout ce mal s’est produit à partir d’une seule instance qui peut vraiment être traitée de manière plus approfondie dans un processus de justice transformative.

Pour en revenir au cas initial du meurtre, une personne a disparu et une autre personne l’a fait. Je pense que, je pense que tout d’abord vous devez vraiment parler à cette personne et je pense que vous devez lui demander pourquoi elle l’a fait. Parce que très très très peu de gens se mettent à tuer d’autres personnes sans raison. Et je ne dis pas que si oui ou non… le raisonnement n’a pas d’importance en termes d’application d’un processus de justice transformative, mais je pense que le raisonnement peut en fait nous aider à trouver beaucoup de solutions pour tous ces autres impacts nuisibles que nous voyons se propager, donc je pense que si cette personne est engagée dans d’autres activités criminelles par le biais d’organisations comme des gangs ou d’autres organisations criminelles et que c’est la raison pour laquelle elle l’a fait, je pense qu’il y a en fait beaucoup de travail à faire pour savoir pourquoi cette personne a ressenti le besoin de tuer une autre personne au sein de son organisation de gang. Je ne suis pas personnellement contre ou pour les gangs, je pense que les gangs peuvent apporter beaucoup de soutien aux personnes qui n’en ont pas ailleurs. Et je pense que c’est aussi l’échec d’une communauté, que les gens n’ont pas accès à leur famille, ils n’ont pas accès à un soutien financier, ils n’ont pas accès à une communauté ou à des personnes qui les voient ou les reconnaissent comme des êtres humains, alors ils se tournent vers les gangs.

Mais dites que ce n’est pas un gang, dites que c’était un accident. Souvent, les gens vont encore en prison pour des accusations d’homicide involontaire. Je pense que si c’est un accident, alors cette personne n’a pas besoin d’être emprisonnée pendant plusieurs années. Elle a probablement besoin de beaucoup de thérapie. Elle a besoin d’un grand soutien pour guérir, car la plupart des gens ne veulent pas avoir tué quelqu’un et la plupart des gens ne considèrent pas cela comme un accident banal. Je pense donc que le traumatisme lié au fait de savoir que l’on a tué quelqu’un doit être pris en compte. Et la pire façon de le faire, ou le pire endroit possible, c’est dans un endroit où vous subissez davantage de violence et où vous serez probablement contraint de refaire quelque chose comme ça. Disons que c’est dû à une maladie mentale, disons que c’est dû à des choses incontrôlées qui échappent au contrôle de la personne. Je pense qu’elles ont également besoin de soutien et de guérison et, encore une fois, la prison sera la pire façon de traiter cela. Mais je pense au-delà de ce cas et de ce qu’il faut faire avec cette personne, car je pense qu’il s’agit aussi de s’occuper de toutes les autres personnes qui ont été touchées. Je pense donc que l’approche de la justice transformatrice ne se contente pas de se demander comment punir cette personne ou comment traiter cette personne qui a fait quelque chose de mal. Il s’agit plutôt de se dire que le préjudice n’est pas seulement la mort d’une personne, mais aussi le fait qu’une autre famille va exister sans ressources ni soutien communautaire. Donc, au lieu d’investir de l’argent et du temps dans des avocats et dans, je ne sais pas, l’emprisonnement de quelqu’un, investissons cet argent, ce temps et ce soutien pour permettre à cette famille de guérir du fait qu’elle a perdu quelqu’un, pour soulager la douleur et la pression financière de devoir enterrer quelqu’un, de, vous savez, faire face au fait que souvent les gens perdent quelqu’un et doivent retourner au travail immédiatement, qu’ils doivent restructurer toute leur vie. Un processus de justice transformatrice autour du meurtre réfléchirait à toutes les façons dont nous pouvons soutenir les personnes qui ont perdu quelqu’un, sans se concentrer sur la punition. Et je pense que l’avantage de cette approche est que les gens ne retiennent pas leur colère et leur tristesse de la même manière, ou ne ressentent pas constamment les effets de cette perte au fil du temps. Je ne dis pas qu’ils doivent pardonner à la personne qui a fait ça. Mais je ne pense pas qu’ils recherchent activement la vengeance de la même manière, parce que la vengeance, ils ne la ressentent pas, ils ne ressentent pas toutes les autres choses qu’ils doivent gérer autour de leur tristesse. Et c’est vraiment la seule chose que nous devrions aborder à ce moment-là, parce que c’est si difficile, n’est-ce pas ?

Q5 : Les processus de TJ nécessitent beaucoup de temps, de compétences et d’énergie émotionnelle et mentale. Comment pouvons-nous œuvrer pour en assurer la durabilité et les rendre largement accessibles (et veiller à ce qu’ils ne soient pas laissés aux non-hommes et aux survivants ou aux victimes potentielles de préjudices similaires) ?

Je pense que le fait d’accompagner et de soutenir les gens dans les processus de TJ est une compétence, et une compétence que nous devrions tous être intéressés à développer. Je pense que la raison pour laquelle ce travail est souvent confié à des non-hommes, à des survivants, à des personnes qui ont subi des préjudices, c’est parce qu’ils savent déjà ce que c’est que d’être abandonné par le processus carcéral et parce qu’ils ont un intérêt direct dans une alternative, et donc je pense que la façon dont nous avons cette durabilité est d’avoir autant de personnes que possible avec cet ensemble de compétences. Je pense que la raison pour laquelle, souvent, c’est vraiment épuisant, ça peut être vraiment coûteux, c’est parce qu’il n’y a pas beaucoup de praticiens dans nos communautés qui ont beaucoup d’expérience dans ce travail. Je pense que c’est une chose pour laquelle il faut faire beaucoup d’efforts pour s’améliorer, je pense que c’est une de ces choses qui est le seul moyen parce que vous apprenez de l’expérience, vous apprenez des exemples. Si nous pensons à l’énergie mentale et émotionnelle, je pense que c’est plus facile lorsque nous avons le soutien d’une grande équipe, et je pense que la plupart des processus de justice transformatrice qui sont efficaces et fonctionnent bien sont soutenus par de grandes équipes, donc ils sont soutenus par des pods pour l’auteur et le survivant – la personne qui a été blessée. Ils ont plusieurs facilitateurs et plusieurs personnes qui peuvent en quelque sorte échanger le travail émotionnel. Ils tiennent compte du fait que ces processus peuvent durer des années et qu’une seule personne ne peut pas faire cela pendant plusieurs années sans aucune pause ni aucun soutien. Nous devons renforcer les capacités de nos communautés pour que ce travail ne soit pas épuisant mentalement et émotionnellement, et que le plus grand nombre possible de personnes soient en mesure de le faire. Je pense également que cela permet à davantage de personnes de s’approprier la TJ et de la développer. Je pense qu’il est dommageable qu’une sorte de processus communautaire basé sur la guérison de chacun soit laissé à certaines personnes, et qu’elles soient les seules à pouvoir être considérées comme des experts en la matière. Je pense que nous devons tous être investis de manière égale et je pense que cela signifie aussi que les hommes et les personnes qui peuvent parfois dire « Oh, je suis plus intéressé par les actions, ou par la destruction du système » et je dis « Eh bien, si nous détruisons le système, voici ce qui va le remplacer, et vous ne pouvez pas seulement être intéressé par la destruction, vous devez être intéressé par la construction ». Et donc je pense que faire de cette pratique une compétence pour tout le monde est la façon dont nous traitons ces questions de durabilité.

Q6 : Dans quelle mesure la JT dépend-elle de la participation volontaire de la personne qui a causé le préjudice ? Que se passe-t-il lorsqu’elle refuse d’être tenue responsable ou ne veut pas participer au processus ?

J’aime beaucoup cette question, elle m’a fait réfléchir un peu parce que je pense que c’est un élément central du processus, mais je ne pense pas que ce soit nécessaire. Et si je dis cela, c’est parce que je pense qu’il peut être un peu facile pour les gens de se dire « la personne qui a fait du mal ne veut pas s’asseoir, donc je suppose qu’il n’y a pas de justice transformative et qu’elle est un agresseur maintenant et que nous allons l’écarter ». Je pense que c’est en fait très facile et que cela penche toujours vers une pensée punitive. Je pense que nous devons créer des processus de TJ qui existent en l’absence d’une personne qui a fait du mal et qui contemple de faire partie de ce processus. Il ne s’agit pas de les forcer à participer au processus, mais de savoir à quoi ressemblent notre guérison et nos soins lorsqu’une personne qui fait partie du puzzle ne veut pas en faire partie. Comment pouvons-nous encore nous tourner vers l’intérieur et réfléchir à notre communauté en disant « ok, mais comment avons-nous permis que cela se produise ? » ou « décidons-nous que cette personne est un abuseur et que les abuseurs vont juste être abusifs et que si nous nous débarrassons de tous les abuseurs soudainement, notre communauté ne subira pas de préjudice ». Allons-nous continuer à offrir le même soutien à une personne qui ne s’articule pas uniquement autour de sa vengeance contre l’autre personne, ou allons-nous lui offrir une guérison en dehors du mal qui s’est produit, allons-nous maintenir un espace pour sa guérison si cela ne se concentre pas sur le blâme de l’autre personne, si cela ne fait pas de cette personne le centre de toutes les autres expériences. Je pense qu’il est formidable d’avoir cette personne et j’aime l’idée que les gens assument la responsabilité de leurs actes, mais je pense aussi que nous devons faire preuve de compassion et de réalisme face au fait qu’il est difficile d’entendre que l’on a blessé des gens d’une manière que l’on n’aurait jamais imaginée. Je pense que si nous voulons que les gens courent vers la responsabilité, nous devons créer un processus permettant aux gens de revenir et de faire partie de ce processus de TJ même après leur refus. Est-ce que nous permettons aux gens de fuir la responsabilité puis d’y revenir ? Allons-nous dire non, « vous avez manqué votre chance et maintenant personne ne veut vous offrir la guérison, vous avez manqué votre chance et maintenant vous êtes un abuseur pour toujours ». Je pense que c’est comme je l’ai dit, c’est une dérobade et je pense que nous devons être plus imaginatifs et créer des processus plus robustes pour le soutien et la guérison qui vont au-delà d’une personne parce que je ne pense pas qu’une personne qui ne s’engage pas devrait suffire à faire exploser tout un processus, et si c’est le cas, alors il n’était pas assez fort au départ.

Q7 : Y a-t-il des façons dont la justice transformatrice peut être utilisée à tort pour punir (par exemple, en appliquant des méthodes et des principes de responsabilisation en matière de violence sexuelle à des situations qui ne le sont pas, en exigeant l’exclusion d’espaces par vengeance plutôt que par sécurité, etc.

Je pense que cela arrive souvent, il arrive que les gens appliquent la pensée carcérale dans une sorte de mesures punitives aux processus de TJ. Mais je vais aussi dire que je ne pense pas qu’ils le fassent intentionnellement. Je pense que cela nous ramène à ce que je disais plus tôt, à savoir que nous avons été socialisés par ce processus et que nous ne nous rendons même pas compte de sa profondeur jusqu’à ce que nous pervertissions ou ruinions cette belle chose que nous imaginons avec ces mêmes idées que nous n’avons pas encore interrogées. Je pense que cela se produit souvent dans les cas de violence sexuelle parce que nous voulons soutenir les survivants, nous voulons que les gens se sentent en sécurité, nous voulons que les gens se sentent soutenus et nous pensons que cela va à l’encontre de la guérison d’une autre personne qui a fait ce mal. Donc je pense qu’en termes d’évitement, je pense que c’est effrayant parce que ça arrive souvent, mais je pense que ça signifie aussi que nous devons l’appeler, d’une manière vraiment gentille. Je pense qu’il est si difficile de le dénoncer, et les gens font du call-in et du call-out, je pense que nous devons le dénoncer avec gentillesse. Je pense que nous devons être vraiment forts sur le fait que nous voyons quelque chose qui se passe qui est vraiment mal, mais aussi être comme : « Je ne pense pas que vous faites ça parce que vous êtes mauvais, je ne pense pas que vous faites ça parce que vous êtes un faux praticien TJ, je ne pense pas que vous faites ça parce que vous essayez de ruiner cette chose, je pense que vous faites ça parce que peut-être vous ne le réalisez pas ou je pense que vous faites ça parce que vous souffrez et vous n’avez pas assez de soutien et vous n’avez pas assez de ressources, et tu dois aussi payer ton loyer et faire ton travail », et toutes ces choses sont vraiment très difficiles tout en essayant de soutenir une personne que tu n’aimes pas parce qu’elle vient d’agresser sexuellement ton amie. C’est normal que vous luttiez contre cela, mais nous devons trouver un meilleur moyen.

Cela signifie que nous devons dénoncer ces choses. Je pense que le fait de demander l’exclusion des espaces est vraiment intéressant. Je trouve que c’est un peu là où la justice réparatrice et la TJ deviennent un peu piquantes, et sont utilisées de manière interchangeable. Et je vois souvent des principes de justice réparatrice où nous donnons la priorité à la victime ou au survivant (ou à la personne lésée) avant tout, et je pense que cela ne peut pas être réellement durable dans la JT. Je pense que bannir quelqu’un, ou exclure quelqu’un d’un espace, a du sens dans le cadre de la justice réparatrice. C’est ce que signifie le sentiment de justice pour un survivant, une victime ou une personne qui a subi un préjudice ; c’est ce dont ils ont besoin pour que la justice soit rétablie. Je pense que le problème est que lorsque nous excluons des personnes de l’espace, en particulier des communautés, nous oublions la raison pour laquelle nous avons des communautés en premier lieu, c’est-à-dire pour assurer la sécurité des personnes, pour permettre aux personnes de se développer, pour fournir aux personnes la guérison et le soutien, souvent la communauté prend également la place de la famille pour les personnes qui n’ont pas de famille biologique ou qui sont éloignées des familles biologiques ou qui ne sont pas tenues ou vues par leur famille biologique. Et donc, couper quelqu’un de la communauté va reproduire ce mal à d’autres personnes qui n’ont pas de communauté, à d’autres personnes qui font partie d’autres communautés. Je pense que si nous voulons créer des pratiques solides, nous devons toujours réfléchir au but de notre action. Il ne suffit pas de donner à quelqu’un ce dont il dit avoir besoin parce qu’il a été lésé, il faut se demander quel est l’objectif, quel est l’impact. Il faut se demander si cette personne n’a pas besoin de se trouver dans cet espace ou si elle a besoin de se sentir soutenue et aidée au sein de sa communauté. D’accord, vous avez proposé une solution consistant à ne pas avoir cette personne dans les parages, nous ne pensons pas pouvoir faire cela, mais comment pouvons-nous vous soutenir et vous accompagner pour que la présence de cette personne ne vous dérange pas. Peut-être que vous pouvez tous les deux avoir accès à l’espace, mais vous serez séparés le même jour pour ne pas avoir à courir l’un contre l’autre et être à nouveau traumatisés. Peut-être que cette personne va jouer un rôle différent dans cet espace. Je pense que nous devons être plus innovants dans notre façon de répondre aux besoins des gens, au-delà de leur donner ce qu’ils pensent vouloir, mais aussi au-delà de la facilité, car je pense que lorsque nous revenons aux mesures punitives, à la carcéralité, c’est souvent la chose la plus facile à faire, c’est ce qui est câblé dans notre cerveau, c’est la solution rapide, et je ne pense pas que la TJ soit construite sur des solutions rapides. Il s’agit généralement de processus longs et exhaustifs et d’essayer un tas de choses jusqu’à ce que cela fonctionne, jusqu’à ce que nous ayons tous ce dont nous avons besoin.

Q8 : Quand la justice transformatrice n’est-elle pas nécessaire ?

Je pense que dans les cas de préjudice, la JT est probablement toujours nécessaire. Je pense que parfois, nous n’avons pas toujours les ressources ou le temps nécessaires pour créer un processus efficace ou honnête. Mais je ne pense pas que cela signifie que nous n’en avons pas besoin, je pense que cela signifie qu’il nous manque quelque chose pour en faire la meilleure chose possible. Je pense cependant que dans les cas de blessures, la TJ n’est pas nécessaire et je pense qu’il peut être très difficile de regarder vers l’intérieur et de dire « est-ce que cette personne m’a fait du mal ou est-ce que cette personne m’a fait du mal ? ». Et parfois le mal et la blessure se chevauchent, je ne pense pas que ce soit simple, mais je pense que nous devons tous faire ce travail de ne pas rendre justice ou de demander justice ou de demander des comptes pour des interactions vraiment humaines, comme si quelqu’un vous avait brisé le cœur ou que votre ami n’était pas un bon ami pour vous ou que quelqu’un était méchant d’une manière qui vous a fait perdre confiance en lui. Je pense que cela fait partie des relations avec les gens, cela fait partie de l’intimité, cela fait partie de la proximité. Je pense qu’il est vraiment impossible d’être proche des gens, d’avoir des relations intimes avec eux et de ne pas être blessé. Je pense que cela fait partie de l’expérience humaine, et lorsque nous essayons de rectifier la blessure avec la TJ, je pense que nous faisons en sorte que les gens se ferment aux autres parce qu’ils ont tellement peur que chaque cas de blessure fasse l’objet d’un processus de responsabilisation ou d’un appel public, qu’ils ne s’ouvrent pas aux autres. Je pense que nos communautés sont construites sur nos relations et que nos relations sont construites sur la confiance et sur la croissance émotionnelle. Et donc si nous ne nous permettons pas d’être blessés, si nous ne nous permettons pas de grandir émotionnellement et de faire la différence entre ces deux choses qui se produisent, je pense que nous courons le risque de ruiner la très belle chose que la TJ peut être pour notre communauté.

Q9 : Quelles sont les possibilités et les limites de la justice transformative dans le cadre du capitalisme carcéral ?

Je pense qu’il est vraiment important de se rappeler que la justice transformatrice n’a pas été conçue pour exister sous le capitalisme et que notre forme idéalisée de TJ se situera toujours dans un monde sans capitalisme, sans colonialisme et sans pouvoirs impériaux, parce que je pense que c’est la seule façon pour nous de vraiment prospérer. En gardant cela à l’esprit, j’ai l’impression qu’il est très important d’intégrer cela dans nos mouvements de libération, dans le travail que nous faisons maintenant, parce qu’il est en fait très difficile, dans toutes les sortes de révolutions qui ont eu lieu au cours de l’histoire, d’inverser soudainement la tendance. C’est vraiment difficile de dire « nous avons tout brûlé et maintenant nous allons créer quelque chose de nouveau », si personne ne s’est jamais entraîné à travailler sur les choses. Et donc je pense que nous devrions toujours penser à l’intégration de la JT dans nos communautés, dans nos organisations comme une pratique vers l’application dans un monde meilleur. La seule façon de savoir comment cela fonctionne, et je ne veux pas dire parfaitement, je ne crois pas vraiment à la perfection, mais mieux ou sous une forme idéalisée, c’est en trébuchant, en nous voyant échouer, en nous voyant faire des erreurs, en nous voyant peut-être confondre le mal et la douleur, en nous voyant courir vers la sincérité lorsque nous voyons une forme extrême de mal, puis revenir vers la TJ. Tout ce travail est vraiment nécessaire parce qu’aucun bon système qui fonctionne pour tout le monde (et je pense que la TJ doit fonctionner pour tout le monde) n’a été construit exclusivement dans les livres, on ne peut pas simplement en parler, ce ne peut pas être une chose que nous gardons dans nos cœurs jusqu’au moment où nous serons libérés du capitalisme. Je pense que nous devons constamment la mettre en pratique, nous devons constamment la travailler pour qu’elle soit meilleure. Donc oui, je pense que c’est pourquoi c’est à la fois un outil de libération mais c’est aussi quelque chose qui va grandir avec notre processus de libération, si cela a un sens. Je pense que c’est difficile parce que, et je ressens ça tout le temps quand je pense au fait que les personnes spécifiques qui pratiquent la TJ, une grande partie du travail consiste à convaincre les gens que quelque chose d’autre est possible. Une grande partie du travail consiste à rappeler constamment aux gens qu’il faut penser au-delà de ce que l’on nous a dit être possible, de ce qui existe actuellement, des circonstances du monde dans lequel nous existons aujourd’hui, et ensuite nous devons appliquer cette chose qui ne devrait jamais vraiment exister dans le système, à l’intérieur du système, pour pouvoir y arriver. Mais je pense que ce genre de travail est vraiment nécessaire parce que je ne crois pas que nous puissions simplement continuer à avancer dans le système et faire ce que nous devons faire jusqu’à ce qu’un jour nous en soyons libérés et que nous puissions fonctionner dans ce monde parfaitement ou que nous puissions fonctionner dans ce monde sans apporter toutes les choses que nous portons actuellement dans ce monde. Je pense qu’il est important pour notre avenir et pour les personnes qui viendront après nous de faire ce travail maintenant. De sorte que lorsque nous arriverons à un point de libération, ils n’auront pas à faire ce travail pour nous. Je pense que c’est vraiment itératif.

Conclusion

Bien que la justice transformatrice ne puisse pas être pleinement ou largement fonctionnelle sous le capitalisme, il est important de la mettre en œuvre au mieux de nos capacités alors que nous construisons vers une révolution, dans la lutte pour la libération et contre les systèmes et institutions oppressifs. Nous voulons que les communautés et les mouvements soient résilients et ne s’effondrent pas lorsque des dommages internes se produisent et ne sont pas traités correctement. Les ennemis et l’État peuvent également utiliser les cas de préjudice au sein des mouvements ou des communautés pour les discréditer ou justifier leur propre violence à leur encontre. En mettant en place des mécanismes pour faire face à ces situations dès le début, nous faisons des communautés de résistance de meilleurs endroits et nous montrons que nos solutions sont efficaces pour créer des communautés meilleures et plus justes, contrairement à la police d’État.

Un mouvement social fort n’est pas seulement une question de mobilisation, mais aussi une question de gestion du désordre que nous laissons parfois. Grandissons en tant que mouvement social et prenons soin de nous.

Qui a écrit ça ?

 Commentaires fermés sur Qui a écrit ça ?
Mar 082023
 

Du Centre de documentation sur la contre-surveillance

Un bref aperçu des méthodes modernes de la criminalistique linguistique pour déterminer les auteur·ice·s d’un texte, traduit de l’allemand de Zündlumpen n°76 (2020)

PDF en format zine

L’article suivant tente de donner un aperçu d’un point de vue non technique. Il existe quelques publications académiques sur ce sujet qui pourraient être examinées pour une meilleure analyse. Cependant, mon objectif principal ici est de soulever la question, et non de fournir un point de vue solide et concluant. Si vous en savez plus, publiez !

La plupart des gens qui commettent occasionnellement des délits et ont des démêlés avec la justice s’intéressent sans doute à la possibilité d’éviter de laisser des traces qui pourraient leur coûter cher à l’avenir, peut-être même après des années ou des décennies. Ne pas laisser d’empreintes digitales, de traces ADN, d’empreintes de chaussures ou de traces de fibres textiles ou au moins se débarrasser des vêtements après coup, éviter les caméras de surveillance, faire attention aux traces d’outils, éviter les enregistrements de toute sorte, détecter la surveillance, etc. – tout ça devrait être une préoccupation pour toute personne qui commet des délits de temps en temps et qui ne veut pas être identifiée. Mais qu’en est-il de ces traces qui n’apparaissent souvent qu’après la commission d’un délit, dans le désir d’expliquer son acte de manière anonyme ou même en utilisant un pseudonyme récurrent ? Lors de la rédaction et de la publication d’un communiqué ?

J’ai l’impression que souvent, aucune attention particulière n’est accordée à ces traces malgré un développement technologique rapide des capacités d’analyse. Ça peut être délibéré, être une négligence, ou être un compromis entre des besoins divergents. Sans vouloir faire ici une suggestion générale sur la manière de traiter ces traces – après tout, chacun·e fera ce qu’iel lui semble le mieux – je voudrais présenter les méthodes avec lesquelles les autorités enquêtrices en Allemagne et ailleurs travaillent actuellement (probablement), ce qui semble possible en théorie et ce qui pourrait devenir possible à l’avenir.

Je devrais peut-être préciser à l’avance que tout ou du moins la plupart de ce que je présente ici est scientifiquement et juridiquement controversé. Et je m’intéresse moins à la validité juridique des analyses linguistiques – ou à leur validité scientifique – qu’au fait de savoir s’il semble plausible que ces recherches puissent contribuer à une opération de surveillance, car même si une piste n’est pas utile en soi devant un tribunal, elle peut toujours mener à d’autres pistes utiles.

Identification d’auteur·ice·s au BKA [Office fédéral de la police criminelle d’Allemagne].

Selon ses propres dires, l’Office fédéral de la police criminelle (BKA) dispose d’un département consacré à l’identification des auteur·ice·s de textes. L’accent est mis sur les textes liés à des actes criminels, comme les communiqués de revendication, mais aussi sur les « prises de position » des « milieux extrémistes de gauche », entre autres. Tous les textes collectés sont traités par des analyses linguistiques dans un « recueil de communiqués » et peuvent être comparés et parcourus avec le système d’information criminelle sur les textes (KISTE). Selon le BKA, les textes sont classés en fonction des caractéristiques biographiques suivantes de leurs auteur·ice·s (présumé·e·s) : origine, âge, formation et profession.

Tous les nouveaux textes sont également comparés aux textes précédemment enregistrés pour déterminer si plusieurs textes peuvent avoir été écrits par la même personne.

Dans le cadre d’enquêtes spécifiques, les textes enregistrés peuvent aussi être comparés à des textes dont l’auteur·ice est connu·e, afin de déterminer s’ils ont été écrits par la même personne ou si ça peut être exclu.

Il s’agit des informations officielles du BKA concernant ce département. Qu’est-ce que ça veut dire en pratique ?

Je pense qu’on peut supposer qu’au moins tous les communiqués de revendication sont enregistrés dans cette base de données et analysés pour voir s’il existe d’autres communiqués de revendication par le(s) même(s) auteur·ice(·s). Le fait qu’ils enregistrent également les « prises de position » permet de tirer d’autres conclusions : ça semble au moins possible qu’en plus des textes ayant une pertinence pénale, ils stockent aussi d’autres textes qui sont censés provenir d’un milieu particulier. Par exemple, des textes provenant de journaux, des déclarations de groupes/organisations politiques, des appels, des articles de blog, etc. Dans le pire des cas, je suppose que tous les textes publiés sur des sites Internet d' »extrémistes de gauche » (après tout, il est assez facile de les dénicher), ainsi que les textes de publications papier qui semblent intéressants pour les autorités enquêtrices, seraient ajoutés à cette base de données.

Ça veut dire que pour chaque communiqué de revendication, le BKA disposerait d’un ensemble de textes dont il présume qu’ils ont le même auteur·ice. Il peut s’agir d’autres revendications ou d’autres textes qui ont été ajoutés à la base de données. Outre le cas des délits commis en série, ça peut donner d’autres indices sur les coupables, comme des pseudonymes, des noms de groupe – ou, dans le pire des cas, des noms – sous lesquels l’auteur·ice d’une revendication peut avoir écrit d’autres textes, mais aussi, selon le texte, toutes sortes d’autres informations, dont souvent des indices sur le lieu de résidence et d’activité d’une personne, ses thèmes de prédilection, ses caractéristiques biographiques, son parcours éducatif, etc. Toutes ces informations peuvent au moins servir à réduire le cercle des suspects.

Ce qui n’est pas clair dans tout ça, ce sont les autres échantillons de comparaison que le BKA pourrait obtenir. Pour la plupart des gens, il existe certainement toute une série de textes auxquels les autorités enquêtrices ont (pourraient) avoir accès et qui pourraient être ajoutés à la base de données en cas de suspicion ou même à titre de précaution – si une personne est fichée avec une mention telle que « extrémiste de gauche violent », etc. Il peut s’agir de n’importe quel document portant votre nom, qu’il s’agisse d’une lettre adressée à une autorité ou d’une lettre à l’éditeur d’un journal. Je ne citerai ici intentionnellement que les sources les plus évidentes, histoire de ne pas donner par inadvertance une inspiration décisive aux autorités enquêtrices, mais je suis sûr que vous pouvez déterminer vous-même lesquels de vos textes pourraient être accessibles. Si les enquêteurs du BKA parviennent à réduire le cercle des suspects à une caractéristique spécifique, ça permet la comparaison avec des masses d’échantillons de textes disponibles (par exemple, si on suppose qu’un·e scientifique d’une certaine discipline est responsable d’une lettre, toutes les publications de cette discipline pourraient être utilisées comme échantillons de comparaison). Ça serait, par exemple, une explication (partielle) possible de ce qui a pu se passer avec Andrej Holm dans l’affaire contre le militante gruppe (mg), du moins si on suppose que le BKA n’a pas simplement tapé « gentrification » sur Google, donc je pense qu’il est tout à fait possible que de telles analyses soient effectuées.

Méthodes pour détecter des auteur·ice·s et établir des profils

Ceci dit, tout ça ne prend en compte que ce que le BKA prétend être capable de faire et pousse ces considérations jusqu’à certaines conclusions logiques. Mais comment fonctionne réellement la reconnaissance des auteur·ice·s ou l’établissement de profils ?

Qui n’a jamais eu peur que le prof d’allemand ne vous dénonce après qu’un poème moqueur sur un enseignant soit apparu dans les toilettes et que toute l’école se moque du fait que vous seul·e auriez pu écrire « aspirateur » [Leerer] au lieu de « professeur » [Lehrer]. Heureusement, toute la fac d’allemand a joué le jeu, adoptant le récit d’une faute d’orthographe et fermant les yeux sur le jeu de mots. La criminalistique linguistique semble exiger un peu de pratique, ou au moins une motivation criminologique, qui sait ? Quoi qu’il en soit, l’analyse d’erreurs, dont la plupart ont probablement entendu parler, était l’un des principaux outils d’analyse du BKA vers 2002, avec l’analyse de style, selon un article promotionnel de Christa Baldauf, flic spécialiste du langage. Les fautes d’orthographe, les erreurs grammaticales, la ponctuation, mais aussi les fautes de frappe, l’orthographe nouvelle ou ancienne, les indications sur les particularités du clavier, etc., tout ça sert aux flics du langage à collecter des indices sur l’auteur·ice. Par exemple, si j’écris « muß » au lieu de « muss », ça peut être un indice que j’ai manqué certaines des réformes orthographiques les plus récentes quand j’étais à l’école. Si, en revanche, j’écris constamment des termes qui, selon les règles d’orthographe, utilisent « ß » et non « ss », ça pourrait signifier qu’il n’y a pas de « ß » sur mon clavier. Par exemple, si je parle de « dem Butter » [au lieu de « die Butter »], ça pourrait être une référence au fait que j’ai grandi en Bavière, etc. Mais peut-être aussi que je simule toutes ces choses dans le seul but d’induire en erreur les flics du langage. La plausibilité de mon profil d’erreur fait également partie d’une telle analyse. De même, l’analyse stylistique examine les particularités de mon style d’écriture. Quel type de termes j’utilise, ma structure de phrase présente-t-elle des schémas spécifiques, y a-t-il des termes particuliers qui se répètent d’un texte à l’autre, etc. Je pense que toute personne qui examine de plus près ses textes reconnaîtra certaines caractéristiques stylistiques qui lui sont propres.

De telles analyses qualitatives servent avant tout à établir le profil des auteur·ice·s. Il est certes possible de faire correspondre différents textes de cette manière, mais la véritable valeur de ces analyses réside dans la possibilité de déterminer des éléments tels que l’âge, le « niveau d’éducation », l' »appartenance à un milieu », les origines régionales, et parfois même des indications sur la profession/formation, etc. On entend aussi parler de tentatives pour déterminer des éléments comme le genre, mais ça semble généralement moins évident.

En revanche, il existe également des analyses plus quantitatives et statistiques qui examinent tout ce qui peut être mesuré de cette manière, de la fréquence des mots aux termes particuliers utilisés en passant par la structure syntaxique des phrases. Ces méthodes, connues sous le nom de stylométrie, sont parfois très controversées car il n’est pas possible de dire exactement ce qu’elles sont censées mesurer, mais elles donnent parfois des résultats étonnants, notamment en combinaison avec des techniques d’apprentissage automatique (machine learning). Je pense que ces approches sont donc surtout susceptibles d’être utilisées pour regrouper différents textes en fonction de leurs similitudes.

L’avantage évident de ces analyses quantitatives est qu’elles peuvent être réalisées en masse. Tous les textes disponibles ou numérisables peuvent être analysés de cette manière, des messages sur les réseaux sociaux aux livres. Bien que le succès de ces méthodes soit actuellement encore relativement modeste, et qu’il s’est souvent avéré que des textes supposés similaires le sont davantage par leur genre que par leur auteur·ice, si on part du principe que les styles d’écriture individuels pourraient correspondre à des modèles quantitatifs, ça signifie qu’une fois ces modèles connus, une attribution massive de textes à certain·e·s auteur·ice·s sera possible.

Et maintenant ?

Il y avait et il y a, bien sûr, diverses approches pour gérer cette situation, aucune n’étant meilleure ou pire qu’une autre. Celleux qui n’écrivent pas de communiqués évitent largement ce problème, mais sont tout de même concerné·e·s s’iels participent à des publications ou écrivent d’autres textes. Cellui qui camoufle des textes avant leur publication, par exemple en faisant réécrire et reformuler successivement des passages par plusieurs personnes, etc., court quand même le risque de développer des caractéristiques linguistiques et stylistiques exploitables ou de ne pas réussir à dissimuler des caractéristiques. Cellui qui pense pouvoir ignorer tout ça parce qu’il n’existe aucun échantillon de texte qui peut lui être attribué ou parce qu’iel est convaincu que la valeur juridique de la reconnaissance d’auteur·ice est trop fragile, risque qu’à l’avenir des échantillons de texte deviennent d’une manière ou d’une autre disponibles (par exemple parce qu’iel est reconnu·e coupable d’avoir écrit un texte) ou que la valeur juridique de la procédure évolue. Celleux qui pensent que la technologie n’est pas (encore) assez bonne peuvent être surpris·es par les développements futurs. Celleux qui utilisent des solutions techniques pour masquer leur qualité d’auteur·ice courent le risque de laisser de nouvelles caractéristiques et traces, et aussi de produire des communiqués mal écrits que personne ne veut lire de toute façon. Celleux qui n’écrivent jamais aucun texte, eh bien, n’écrivent jamais aucun texte.

Donc faites ce qui vous parle le plus, mais faites-le dès maintenant – si ce n’est déjà le cas – en gardant à l’esprit ces traces et cette sensation de malaise dans l’estomac qui, dit-on, a sauvé plus d’une personne d’une erreur d’inattention au moment crucial.