Soumission anonyme à MTL Contre-info
Entre national-populisme et néofascisme : État des lieux de l’extrême droite au Québec en 2019
Définitions et traits caractéristiques
Originellement constitué à partir de différentes expériences militantes visant à confronter des manifestations d’extrême droite à Montréal, le collectif Montréal Antifasciste s’est principalement attaché au cours des deux dernières années à documenter et à révéler au grand jour les différents mouvements et organisations qui mettent de l’avant des croyances et des politiques d’exclusion plus radicales que ce que proposent généralement les programmes de la droite « classique ». De plus, surtout parce que nos ressources sont limitées, nous avons omis de cibler les mouvements n’ayant actuellement que peu ou pas d’activité publique dans notre ville, comme le mouvement antiavortement ou, plus largement, la droite catholique, bien que nous nous efforcions de les garder à l’œil. Ainsi, il s’agit moins d’une approche théorique que d’une démarche pragmatique. Notre objectif n’est pas de produire une grande théorie sur le développement de l’extrême droite au XXIe siècle, mais plutôt de fournir des munitions intellectuelles et pratiques au milieu militant et à la population afin d’empêcher la normalisation du racisme, de la xénophobie et de l’islamophobie et de contribuer à la consolidation des mouvements antiracistes et antifascistes.
Il nous faut aussi insister sur le fait que notre approche relève d’un souci de commodité et de rapidité. Nous ne prétendons pas réduire le problème à l’extrême droite comme telle. Nous sommes conscient-e-s du fait que certaines politiques publiques (comme la Loi sur la laïcité de l’État [projet de loi 21]) et pratiques de l’État (comme la brutalité policière et les contrôles frontaliers) ainsi que différents systèmes d’oppression au sens large ont des répercussions bien plus dommageables que l’extrême droite à elle seule. Toutefois, nous croyons que des groupes numériquement restreints, mais déterminés, ont la capacité d’influencer la société de manière disproportionnée, et que même lorsque cela paraît improbable, ces groupes représentent une menace qu’il faut neutraliser en tant que telle. C’est le mandat que nous nous sommes donné.
Une cartographie exhaustive de l’extrême droite québécoise pourrait facilement faire l’objet d’un essai beaucoup plus long; ce qui suit n’est qu’un modeste aperçu. Notre priorité, en l’occurrence, est de cerner les traits caractéristiques des différents milieux d’extrême droite et de nommer les groupes actuellement les plus actifs au Québec. Nous avons dû ignorer ou mettre de côté de nombreux éléments en raison des contraintes d’espace. Nous vous invitons à consulter notre site Internet (http://montreal-antifasciste.info) pour un examen plus détaillé et approfondi.
Bien que certain-e-s d’entre nous étudient et confrontent l’extrême droite depuis des dizaines d’années, notre travail dans le cadre de Montréal Antifasciste revêt un caractère pratique, et c’est la pratique qui a conditionné à la fois ce que nous avons pu apprendre et notre manière de conceptualiser la situation. Sur la base de cette expérience, nous avons déterminé que les croyances fondamentales de l’extrême droite québécoise sont :
- L’islamophobie;
- L’opposition à un « système global » défini en termes simplistes et étroitement identifié aux partis libéraux fédéral et provinciaux (personnifiés pour plusieurs par Justin Trudeau, qui est universellement honni, diabolisé, ridiculisé et accusé tous les maux imaginables; entre autres lubies, Trudeau serait le fils illégitime de Fidel Castro et il soutiendrait secrètement la pédophile et l’introduction de la charia au Canada);
- La croyance qu’un processus insidieux est en marche pour remplacer graduellement des groupes de personnes auxquels les droitistes s’identifient (les Québécois-e-s « de souche », les personnes blanches, etc.) par des personnes issues d’autres cultures ou « races » (la mesure dans laquelle ce remplacement serait planifié, et par qui, varie d’un groupe à l’autre et entre les individus).
Au-delà de ces traits généraux qui unissent les diverses tendances de l’extrême droite, il existe un certain nombre de différences, la plus saillante étant sans doute l’écart entre, d’un côté, un groupe de militants beaucoup plus grand, mais beaucoup moins cohérent politiquement, partageant de nombreuses caractéristiques avec la « droite classique », et, d’un autre côté, une tendance plus restreinte, mais adhérant à des positions idéologiques beaucoup plus rigoureuses s’inspirant explicitement du fascisme historique et du suprémacisme blanc. Dans notre travail, nous désignons le premier groupe comme « national-populiste » et le deuxième comme « fasciste », « néofasciste » ou « néonazi », selon les cas.
D’après ce que nous avons pu voir, autant dans leurs croyances fondamentales que dans la bifurcation politique décrite ci-dessus, l’extrême droite québécoise répond aux mêmes schémas qui existent ailleurs au Canada.
Les principales organisations nationales-populistes du Québec sont La Meute (fondée en 2015) et Storm Alliance (fondée en 2016). Si, initialement, la première s’opposait avant tout à « l’islam radical » tandis que la seconde disait se battre contre « l’immigration illégale », leurs priorités politiques sont aujourd’hui plus ou moins identiques. Le groupuscule Front patriotique du Québec (FPQ), beaucoup plus petit et marginal, a aussi joué un rôle important dans ce milieu à plusieurs égards; il a régulièrement critiqué La Meute pour son « fédéralisme » et plusieurs de ses membres et sympathisants ont participé à la création de groupes de « sécurité » d’extrême droite dans le but de « protéger » leurs organisations et d’intimider leurs opposant-e-s. Il nous faut également mentionner la prétendue Vague bleue, une mobilisation qui a eu lieu à Montréal le 4 mai 2019 et dont une seconde édition a eu lieu à Trois-Rivières le 27 juillet suivant. Adoptant une approche éprouvée par le FPQ, ces rassemblements sont organisés par des éléments du milieu national-populiste, mais servent à rassembler des personnes mal informées au sujet des principes politiques qui les sous-tendent, en les flanquant de divers groupes de « sécurité » d’extrême droite comptant des éléments néofascistes. Bien que la seconde édition se soit avérée un échec lamentable (de quelque 300 participant-e-s à Montréal, le rassemblement a rétréci à moins de 75 personnes à Trois-Rivières), cette formule risque fort d’être reprise à l’avenir.
La tendance néofasciste, quant à elle, est beaucoup plus étroite que le milieu national-populiste, et on n’y retrouve actuellement que deux organisations notables : Atalante (basée à Québec et active depuis 2016), et la Fédération des Québécois de souche (décentralisée, mais comportant vraisemblablement un centre au Saguenay). Parallèlement, il y a eu un certain nombre de projets politiques semi-formels plus discrets animés au fil des ans par des néofascistes et des néonazis. L’exemple le plus important des dernières années est sans doute le groupe Alt-Right Montreal/Stormer Book Club, dont l’existence a été révélée en mai 2018 par la Montreal Gazette. Tous les groupes associés à cette tendance s’identifient d’une manière ou d’une autre à la tradition du fascisme et/ou du nationalisme blanc.
Le milieu national-populiste
L’apparition de La Meute (et, à un moindre degré, de Storm Alliance) a signalé un changement important au sein de l’extrême droite québécoise. Il s’agissait des premiers groupes depuis les années 1990 qui semblaient capables de s’adresser à une base plus large que leurs propres membres. En d’autres termes, ils étaient les premiers groupes depuis longtemps à présenter un véritable potentiel de croissance. Les groupes qui avaient été actifs dans les années précédentes, comme l’Ordre des Templiers, PEGIDA Québec, la Coalition des citoyens concernés (sic) ou le Mouvement républicain du Québec, n’avaient jamais vraiment été autre chose qu’une poignée d’individus (parfois même un seul individu) se présentant comme une « organisation ». Le seul groupe ayant eu une certaine portée avant 2016, Les Insoumis, n’a quant à lui jamais vraiment été en mesure de recruter au-delà de la région de Sherbrooke, même si ses membres sont venus à Montréal à plusieurs reprises pour participer aux événements organisés par d’autres groupes. Ce qui ressemble le plus à un présage de ce qui allait venir est la « Marche du silence » organisée à Montréal le 24 septembre 2015 contre le projet de loi 52 du Parti libéral du Québec (comptant sur la participation de membres des Insoumis et d’autres militant-e-s anti-immigration), même si les différentes manifestations organisées en faveur de la Charte des valeurs québécoises en 2013 constituaient en quelque sorte d’autres signes avant-coureurs.
Le milieu national-populiste comporte une importante diversité de perspectives sur différents enjeux, que reflète la volonté sans cesse répétée de préserver « l’unité » en acceptant des personnes affichant des opinions divergentes pourvu qu’elles adhèrent à « la cause » (laquelle est rarement présentée de façon précise). Par conséquent, ce milieu est beaucoup moins cohérent, mais aussi beaucoup plus grand et susceptible de se transformer que la droite néofasciste. Afin de contrer la fâcheuse tendance à décrire tous les groupes d’extrême droite comme « fascistes », il est utile de passer en revue certains des attributs du milieu national-populiste :
- Les nationaux-populistes sont nombreux et nombreuses à insister sur le fait qu’ils et elles « ne sont pas racistes », et l’opposition à la discrimination raciale fait même partie des déclarations de principes de La Meute et de Storm Alliance. Bien que cette posture s’appuie sur l’affirmation fallacieuse voulant que « l’Islam [n’est] pas une race », ils sont très nombreux à le croire sincèrement, et cette attitude les différencie d’autres courants de l’extrême droite. Cela fait en sorte qu’un certain nombre de personnes de couleur, d’anciens musulmans ou d’Autochtones sont les bienvenus dans les mobilisations nationales-populistes (même si cette inclusion symbolique, vue de l’extérieur, a souvent un caractère particulièrement embarrassant…). Cela rend par ailleurs ces groupes plus acceptables aux yeux d’une partie de la société blanche qui, bien qu’elle soit raciste, n’est pas prête à l’admettre ouvertement.
- Une importante partie du mouvement national-populiste adhère à un discours homonationaliste et/ou fémonationaliste, et prône ainsi un idéal du Québec que rejettent d’emblée d’autres segments de l’extrême droite. L’opposition à « l’Islam radical » et à « l’immigration illégale » est souvent formulée sous l’angle des droits des femmes et des personnes LGB (en excluant plus souvent qu’autrement les droits des personnes trans) et même parfois dans un cadre « féministe ». À de rares exceptions près, les membres de ce milieu prétendent être en faveur des droits des femmes (c’est d’ailleurs une politique officielle de La Meute et de Storm Alliance) et l’opposition aux pratiques misogynes est l’un des clichés antimusulmans les plus répandus. De plus, de nombreuses femmes sont actives dans ce mouvement et plusieurs occupent des rôles d’autorité. Cela dit, le mouvement reste dominé par des hommes; outre les cas rapportés d’agressions et de harcèlement sexuel entre les membres, un bref examen des comptes sur les médias sociaux révèle un large éventail de mèmes, gags et commentaires que la plupart des gens trouveraient sexistes ou sexuellement objectivants, et il reste que les principaux leaders de ces groupes sont pratiquement tous des hommes.
- Ce milieu n’est pas soudé autour d’une position unique concernant l’indépendance du Québec. Bien qu’on n’y trouve que très peu de fédéralistes purs et durs, voire aucun, les opinions varient d’un soutien aveugle à l’indépendance (le FPQ et le Parti patriote) à une position mitigée selon laquelle ces questions sont secondaires, car dans l’immédiat le Canada comme le Québec doivent être défendus contre les « immigrants illégaux » et « l’Islam radical » (La Meute/Storm Alliance). Ce manque d’unité a d’ailleurs été à l’origine de nombreux conflits entre individus et même entre groupes; La Meute a ainsi souvent été accusée d’être « fédéraliste ».
- Le milieu national-populiste affiche généralement une certaine sympathie à l’égard des peuples autochtones, qui sont dépeints comme les victimes de ce même système « globaliste » qui maintient les Québécois-es (et les Canadien-ne-s) sous son joug. On trouve aussi la position, que partagent même certains néofascistes, voulant que les mouvements contemporains doivent s’inspirer des alliances historiques entre Canadiens-Français et peuples autochtones contre les Anglais. Cette position s’appuie sur une interprétation superficielle et complaisante de l’histoire du Québec, qui nie le rôle des Canadiens français dans la colonisation et le génocide des Premières Nations, et sur une logique d’appropriation voulant que « tous les Québécois » soient eux-mêmes d’une certaine manière « autochtones » en raison d’une supposée (et largement mythique) ascendance autochtone. Cette version alambiquée de l’histoire les mène à conclure qu’aucun tort historique ne mérite vraiment de redressement, mais qu’il faut plutôt chercher à construire une alliance contre les « mondialistes » (ou les libéraux, les envahisseurs, etc.). Quoi qu’il en soit, certain-e-s Autochtones (ou personnes se présentant comme telles) ont effectivement participé à des manifestations nationales-populistes sur une base individuelle, arborant même à l’occasion le drapeau de la Société guerrière Mohawk. De plus, un certain nombre de tentatives ont été faites pour tisser des relations au sein de communautés autochtones, mais les liens concrets, si tant est qu’il y en ait, revêtent jusqu’à ce jour un caractère extrêmement marginal. En outre, ces efforts semblent aussi superficiels qu’intéressés, car les authentiques revendications politiques et réclamations territoriales formulées par certaines communautés autochtones font vite ressortir le caractère réactionnaire de nombreux militants nationaux-populistes.
- L’antisémitisme n’est pas une orientation dominante du mouvement national-populiste, et les Juifs sont rarement ou jamais mentionnés dans les communications officielles de ces organisations. Contrairement aux nationaux-populistes du Canada anglais, toutefois, il ne semble pas y avoir eu de connexion entre les nationaux-populistes du Québec et l’extrême droite juive. Cela dit, les grilles d’analyse complotistes développées par l’antisémitisme chrétien au fil des siècles se voient clairement transposées dans la croyance en un complot « mondialiste » très répandue dans ce mouvement, lequel complot est très souvent illustré par l’évocation du milliardaire juif hongrois George Soros en sinistre manipulateur de la gauche politique et sociale du monde entier. De plus, il faut tout de même noter qu’un grand nombre d’individus au sein de ce mouvement affichent ouvertement des sentiments antisémites et il n’est pas rare de tomber sur, par exemple, des références « humoristiques » à l’Holocauste. Nous observons par ailleurs que l’imaginaire antisémite, sous l’influence de certains individus, prend de plus en plus de place dans les médias sociaux du milieu national-populiste.
- De nombreuses personnes du courant national-populiste ne se considèrent pas elles-mêmes comme étant « d’extrême droite ». Quelques rares individus disent même se considérer « de gauche », bien que cette posture semble être, plus souvent qu’autrement, un stratagème malhonnête pour prétendre « savoir de quoi [ils] parlent » lorsqu’ils se moquent de la vraie gauche (laquelle aurait en fait été détournée par les islamistes, les hipsters et le féminisme intersectionnel!). Le plus souvent, les nationaux-populistes se disent « ni de gauche, ni de droite », mais simplement « pour le peuple » et « contre la corruption ». Un refrain souvent entonné est que le gouvernement ou les antifascistes sont « fascistes » et « racistes » envers les Québécois, les Canadiens, ou simplement, « les blancs ».
- Bien que le mouvement national-populiste tende à se positionner contre « l’élite » et « les politiciens », ses membres sont très majoritairement sympathiques à l’appareil répressif de l’État, soit l’armée et la police. De nombreuses figures de proue du mouvement sont d’anciens membres des forces armées, et lorsqu’ils manifestent, les membres de ces groupes se font un point d’honneur de remercier la police, allant parfois jusqu’à scander des slogans pro police. Rappelons d’ailleurs que La Meute a été fondée par d’anciens militaires et a compté d’ex-policiers parmi ses figures dirigeantes.
- Enfin, les membres du mouvement national-populiste ne rechignent pas à collaborer avec des groupes et individus ouvertement racistes ou fascistes. Bien que la très grande majorité se dise « pas racistes », ils défendent régulièrement la participation d’organisations ouvertement racistes à leurs mobilisations, ont souvent des liens dans les médias sociaux avec des membres de ces groupes, et plaident en faveur de « l’unité » avec les fascistes contre leurs opposants (les antifascistes, le gouvernement, etc.). En tant que tel, le mouvement national-populiste constitue un immense bassin de recrues potentielles, ou du moins d’alliés potentiels, pour les forces d’extrême droite plus radicales. (Notons d’ailleurs qu’un très grand nombre de nationaux-populistes, y compris de nombreuses personnes en position d’autorité ou perçues comme des leaders, suivent les pages d’Atalante et de la FQS sur Facebook, par exemple.)
Les individus qui adhèrent à ce genre de croyances ne sortent bien sûr pas de nulle part, et on les trouvait auparavant en périphérie de partis politiques plus « légitimes ». On peut supposer que le principal facteur qui a fait croître leur nombre est une série de campagnes islamophobes orchestrées de haut en bas par certains politiciens et conglomérats médiatiques depuis le premier « débat sur les accommodements raisonnables » en 2007. Il s’est en fait agi d’un processus continu, où le Parti québécois sous la direction de Pauline Marois (2007-2014) et l’empire médiatique Québecor (sous la gouverne de Pierre-Karl Péladeau, un riche homme d’affaires ayant lui-même brièvement dirigé le PQ de 2015 à 2016) ont tous deux joué un rôle de premier plan. Québecor Media, le plus important conglomérat médiatique au Québec (et le troisième plus important au Canada), offre une plateforme extraordinaire à de nombreux propagandistes de droite, comme Richard Martineau, Mathieu Bock-Côté, Lise Ravary et d’autres, tout en publiant un flux constant d’articles stigmatisant divers groupes minoritaires dans la société québécoise, en particulier les personnes musulmanes. S’étant retiré du Conseil de presse du Québec en 2010, l’entreprise Québecor ne rend pratiquement plus de comptes à personne et poursuit impunément, jour après jour, son entreprise de conditionnement idéologique de la population québécoise. En plus de ce géant médiatique, un autre facteur pouvant servir à mesurer à la fois l’attrait potentiel du mouvement national-populiste et sa récente expansion a été le développement du phénomène des radios poubelles, principalement dans la région de Québec. (Les radios poubelles sont une forme particulière de radio conçue sur mesure pour les hommes de 18 à 45 ans des classes ouvrière et moyenne vivant en banlieue et qui cultive leurs pires instincts avec un bombardement constant de propos violemment réactionnaires sur divers sujets, tombant souvent dans la diabolisation et le harcèlement de boucs émissaires désignés, comme les féministes, les gauchistes, les environnementalistes, les étudiants, les immigrants et les musulmans.) Non seulement ces radios ont-elles fait la promotion des idées d’extrême droite, elles se sont aussi régulièrement employées à légitimer les organisations nationales-populistes en invitant leurs porte-parole à s’exprimer en ondes et à défendre leurs activités lorsqu’elles ont fait l’objet de critiques.
Finalement, les échecs répétés du mouvement indépendantiste de tendance social-démocrate, avec le déclin du soutien populaire au projet souverainiste, d’une part, et l’incapacité du Parti québécois à résister au virage austéritaire néolibéral, d’autre part (certaines des mesures d’austérité les plus draconiennes ayant été imposées par des gouvernements indépendantistes entre 1994 et 2003, puis entre 2012 et 2014), ont créé les conditions propices à la réémergence d’un nationalisme identitaire ayant davantage en commun avec le mouvement conservateur des années 1920 qu’avec le projet indépendantiste porté par la génération du baby-boom.
Certaines villes et régions ont aussi eu leurs propres personnalités et enjeux localisés qui ont favorisé le développement du milieu national-populiste. Par exemple, sur la Côte-Nord, Bernard « Rambo » Gauthier a su exploiter sa popularité en tant qu’« homme du peuple » bourru et mal dégrossi pour catalyser une certaine influence politique (limitée, mais bien réelle) avec laquelle il a popularisé un sentiment islamophobe et anti-immigrant formulé en termes familiers : « Moé sauver des étrangers au détriment des miens, ben y’en est crissement pas question! On est assez dans marde comme ça pour en rajouter! » En 2007, le conseil municipal de la petite localité de Hérouxville, en Mauricie, adoptait un foncièrement raciste « code de conduite pour les immigrants », lequel jouait sur divers préjugés et stéréotypes au sujet des minorités ethniques et religieuses, en particulier les personnes musulmanes, en insinuant qu’il fallait expressément leur interdire de se livrer à des pratiques misogynes comme la lapidation des femmes et la mutilation génitales. (Le conseiller municipal à l’origine du code de conduite d’Hérouxville, André Drouin, s’est plus tard impliqué dans le groupe d’extrême droite RISE Canada et s’est pour un temps associé à la Fédération des Québécois de souche qui, après sa mort en 2017, a fait son éloge dans sa revue Le Harfang en le désignant comme un « courageux combattant ».)
Malgré ce contexte déjà passablement sordide, ça n’est qu’en 2016, dans le contexte des campagnes électorales de Donald Trump et de Marine Le Pen et suite à la création de La Meute, que ce milieu amorphe a graduellement commencé à prendre conscience de lui-même et à se constituer en mouvement.
Un tournant décisif a été le massacre au Centre culturel islamique de Québec, le 29 janvier 2017, lorsqu’Alexandre Bissonnette est entré dans la mosquée et a ouvert le feu sur les fidèles, tuant six personnes et en blessant plusieurs autres. (Bien que le caractère islamophobe de cette attaque soit indiscutable, Bissonnette n’était affilié à aucun groupe connu.) La tuerie de la mosquée de Québec a en quelque sorte précipité les choses pour l’extrême droite. Les militant-e-s se sont senti-e-s attaqué-e-s lorsque la police a annoncé avoir entrepris des enquêtes sur les discours haineux en ligne, et c’est à ce moment que leurs appréhensions se sont cristallisées autour de la Motion M-103, un projet de loi (non contraignant) d’initiative parlementaire condamnant l’islamophobie qui avait été déposé à la Chambre des communes quelques mois plus tôt. Pour bon nombre de ces militant-e-s, l’introduction de ce projet de loi représentait un moment charnière.
Ainsi, l’année 2017 a été une période de croissance rapide tandis que les organisations nationales-populistes ont pris la rue à plusieurs reprises, ce qui a contribué à accroître leur visibilité et l’influence de leur discours. Bien que cela ait représenté un important pas en avant pour ces groupes, un examen de la participation à leurs mobilisations révèle qu’ils sont restés incapables de mobiliser à la même échelle que les principaux mouvements sociaux, dont la gauche radicale :
- Le 4 mars 2017, dans le cadre d’une journée nationale d’action contre la Motion M-103, près de 200 personnes se sont réunies sous la bannière de La Meute à Montréal, tandis qu’une centaine d’autres manifestaient à Québec (le même jour, environ cent personnes ont marché à Saguenay et des groupes plus modestes se sont mobilisés à Trois-Rivières et Sherbrooke).
- Le 23 avril 2017, une manifestation organisée par le Front patriotique du Québec sur le thème « Un peuple se lève contre le PLQ » a réuni environ 100 personnes au centre-ville de Montréal.
- Le 28 mai 2017, environ 50 personnes ont participé à une autre manifestation contre le PLQ organisé par le Front patriotique du Québec à Montréal.
- Le 1er juillet 2017, environ 60 personnes, dont des membres de La Meute, ont répondu à l’appel lancé par Storm Alliance et se sont réunies à Roxham Road, à la frontière avec les États-Unis et près de la petite ville d’Hemmingford, pour « surveiller » les passages irréguliers et intimider les réfugié-e-s, dont le nombre avait considérablement augmenté en raison des mesures anti-immigration instaurée par l’administration Trump aux États-Unis. (Une contre-manifestation tapageuse organisée par Solidarité sans frontières a empêché les militant-e-s anti-immigration de se rendre directement au point de passage.)
- Le 20 août 2017, à Québec, La Meute a réussi à mobiliser un large éventail de personnages d’extrême droite pour une manifestation contre « l’immigration illégale »; après avoir été confinés à un stationnement sous-terrain pendant plusieurs heures par une contre-mobilisation antifasciste déterminée, entre 200 et 300 membres et sympathisant-e-s de La Meute ont pu marcher brièvement en silence dans les rues avoisinant l’Assemblée nationale.
- Le 30 septembre 2017, Storm Alliance a organisé sa plus grande manifestation à la frontière à ce jour, lorsqu’une centaine de personnes se sont réunies au passage frontalier de Saint-Bernard-de-Lacolle, où un camp (vide au moment de la manifestation) avait été érigé provisoirement pour accueillir les réfugié-e-s. À nouveau, plus d’une centaine d’antiracistes et d’antifascistes de Montréal et des collectivités frontalières avoisinantes leur ont bloqué le passage.
- Le 25 novembre 2017, à Québec, une manifestation conjointe organisée par Storm Alliance et La Meute pour « soutenir la GRC » et dénoncer « l’immigration illégale » a attiré tous les principaux pans de l’extrême droite québécoise, y compris un contingent néofasciste; en tout, entre 300 et 400 personnes y ont participé.
- Le 15 décembre 2017 (et ce, bien que le réseau TVA se soit préalablement rétracté), des douzaines de personnes se sont rassemblées devant une mosquée de Montréal que le réseau d’information islamophobe avait fautivement accusé de vouloir exclure des femmes d’un chantier routier adjacent à la mosquée.
Il est important de noter que toutes les mobilisations mentionnées ci-dessus comportaient des petits groupes de néofascistes ainsi que des individus clairement sympathiques au suprématisme blanc et au néonazisme.
Les manifestations nationales-populistes se sont poursuivies en 2018. Le Front patriotique du Québec a réussi à réunir une centaine de personnes le 15 avril, lors d’une manifestation contre les Libéraux, et Storm Alliance et La Meute ont continué à coopérer en organisant une manifestation conjointe à la frontière, le 19 mai, toujours contre « l’immigration illégale », et ont mobilisé pour une autre manifestation à la frontière le 3 juin, celle-là organisée par la propagandiste suprémaciste de Toronto, Faith Goldy. Il faut aussi souligner qu’en 2018, les organisations nationales-populistes ont mobilisé leurs membres à deux reprises pour se rendre à Ottawa dans le cadre de manifestations organisées par des groupes du Canada anglais :
- Le 18 février, lors d’une manifestation organisée par la Chinese Canadian Alliance, un groupe qui semble n’avoir été formé que pour réagir à une fausse accusation ayant fait les manchettes plus tôt la même année voulant qu’un homme d’origine asiatique ait arraché le hijab d’une jeune fille à Toronto. (Notons au passage que des documents rendus publics récemment par le leadership de La Meute révèlent que le groupe a reçu 5 000 $, soit près de la moitié de son budget annuel, « des Chinois » [sic], vraisemblablement en échange de son appui à la manifestation de la Chinese Canadian Alliance sur la colline parlementaire.)
- Le 8 décembre, lors d’une manifestation organisée par le groupe ACT! for Canada contre le Pacte mondial sur les migrations des Nations Unies; cette manifestation est notable pour la présence d’une diversité de militant-e-s d’extrême droite, dont les nationalistes blancs d’ID Canada et le politicien danois d’extrême droite, Rasmus Paludan.
Malgré ces exemples et différentes tentatives infructueuses menées par La Meute et Storm Alliance pour mettre en place des sections locales fonctionnelles à l’extérieur de la province, les activités du mouvement national-populiste québécois sont restées distinctes et généralement séparées des mouvements semblables dans le Canada anglais, sans toutefois leur être hostiles. (Selon l’évolution de la situation, il n’est pas impossible que le Parti populaire du Canada de Maxime Bernier brasse un peu les cartes, car ce parti a accueilli dans ses rangs des individus nationaux-populistes de partout au pays, ce qui les regroupe dans un cadre pancanadien commun.)
Cela dit, après une période de croissance rapide entre 2016 et 2018, le milieu national-populiste a souffert d’épuisement et de conflits internes. Sa principale organisation, La Meute, a été secouée par des crises répétées et de nombreux militants clés ont abandonné le milieu en citant des problèmes personnels ou des frustrations face à l’incapacité du mouvement à dépasser ses limites actuelles. En moins de deux ans, les deux fondateurs de La Meute (Éric Venne et Patrick Beaudry) ont quitté l’organisation ou été forcés de partir sous le coup d’accusations de malversation financière (à cet égard, on ne saura peut-être jamais s’il s’est agi de fraude ou d’incompétence). Puis, en novembre 2017, l’organisation a été visée par des révélations d’agressions sexuelles, dont plusieurs plaintes à l’endroit d’Éric Proulx, un membre du conseil de La Meute, qui a finalement été expulsé.
En juin 2019, La Meute a connu une autre crise importante, lorsque la majeure partie des dirigeants du groupe (plus de 35 sur une quarantaine, dit-on) ont démissionné en masse juste avant la Saint-Jean-Baptiste et dans la foulée d’une tentative ratée d’évincer Sylvain Brouillette, qui avait assumé le rôle de grand chef depuis l’expulsion de Beaudry en 2017. Les membres s’étaient plaints que Brouillette refusait de partager les responsabilités ou de divulguer des renseignements, malgré le fait qu’il était lui-même manifestement incapable de s’acquitter de toutes les tâches qui lui incombaient. L’un des principaux points de litige concernait le fait qu’il tardait à révéler des renseignements financiers, ce qui retardait toujours plus la création officielle de La Meute en tant qu’organisation à but non lucratif. Brouillette a réussi à reprendre le contrôle en moins d’une semaine, après quoi plusieurs de ses rivaux ont publié sur Facebook des vidéos et des photos d’eux-mêmes détruisant leurs casquettes, chandails, drapeaux et écussons de l’organisation en signe de protestation. La poussière n’est pas encore complètement retombée au moment d’écrire ces lignes, mais il semble qu’un grand nombre des membres clés de La Meute aient décidé par la suite de se joindre à Storm Alliance.
L’opposition constante des antifascistes a certainement contribué à miner ces groupes. Par exemple, lors de la dernière tentative de La Meute d’organiser une « grande » manifestation à Montréal, le 1er juillet 2018, les quelques 150 participant-e-s se sont trouvé-e-s à nouveau confiné-e-s dans un espace restreint (lors de la journée la plus chaude d’une intense canicule) par une coalition ad hoc de groupes de la gauche montréalaise. Après ce fiasco, un certain nombre de personnes ont publiquement démissionné de La Meute et celle-ci est passée à des activités beaucoup moins visibles dans la région de Montréal (comme du tractage et des prétendues « manifestations mobiles », lesquelles n’étaient en fait rien d’autre qu’une poignée d’individus conduisant des voitures arborant des pancartes mal orthographiées…). Plusieurs militant-e-s ont en effet invoqué l’opposition antifasciste pour justifier leur décision de « prendre une pause » ou de quitter définitivement l’organisation.
Le taux élevé d’épuisement parmi les nationaux-populistes et les conflits houleux au sein de leurs organisations (ponctués d’accusations de malversations, de harcèlement sexuel et d’exercice dictatorial du pouvoir) mettent en relief l’une des caractéristiques de ce mouvement. En effet, il s’agit de la toute première expérience de militantisme pour plusieurs acteurs clés. Cela explique en partie l’apparente bouffonnerie de ces groupes ainsi que certaines des erreurs (tactiques et organisationnelles) qu’ils ont commises, que leurs adversaires prennent parfois trop facilement pour de la stupidité.
Enfin, il convient de souligner qu’à l’heure actuelle, la très grande majorité des activités des groupes d’orientation national-populiste se déroule sur les médias sociaux. Bien que la dynamique de ces médias et des espaces numériques en général donne parfois une importance disproportionnée à certaines personnes et à certaines déclarations, elle n’en demeure pas moins fondamentale pour saisir le développement de ce milieu militant ainsi que l’adhésion à des croyances totalement infondées et déconnectées de la réalité. La caisse de résonnance qu’incarne notamment Facebook vient ainsi consolider et approfondir les préjugés les plus intolérants et les théories complotistes les plus délirantes. Il s’opère alors une (re)socialisation politique à peu de frais qui serait beaucoup plus laborieuse à réaliser ailleurs, dans des espaces « en personne ». Notons aussi que les médias sociaux favorisent énormément la diffusion et la normalisation des discours haineux en permettant aux gens de s’approprier le contenu et de le partager au sein de leurs réseaux comme s’il s’agissait de leur propre production plutôt que le discours officiel d’organisations militantes.
Dans ce vaste espace numérique, profitant du scepticisme croissant à l’égard de tout ce qui est « officiel » ou « mainstream », certains individus ont su se tailler une niche en tant que « journalistes indépendants ». Un certain nombre de « journaux » en ligne ont été créés qui se spécialisent dans le recyclage d’histoires sensationnalistes (et souvent carrément fausses) et de théories complotistes. Parmi ces nombreux sites de désinformation (dont certains disparaissent aussi vite qu’ils apparaissent), nommons Les Manchettes (administré par André Boies, qui a traduit et diffusé le manifeste du tueur de Christchurch le jour même du massacre) et Le Peuple. À ceux-ci viennent s’ajouter un grand nombre de vidéoblogueurs et utilisateurs Facebook qui publient régulièrement des vidéos en direct à l’intention de leurs adeptes. Parmi les plus notables, mentionnons André Pitre et Ken Pereira, qui produisent depuis peu une série de programmes examinant en détail diverses théories du complot qu’ils diffusent sur la chaîne YouTube de Pitre. (Fait à noter, Ken Pereira se porte candidat pour le Parti populaire du Canada aux élections fédérales de 2019, aux côtés de Raymond Ayas, lui-même animateur d’un média national-populiste anglophone, The Post Millenial.)
Les néofascistes
Parallèlement au milieu national-populiste, sans pour autant en être complètement séparé, il existe un nombre beaucoup plus restreint de personnes adhérant à une vision du monde plus étroite et rigoureuse. Puisqu’ils s’inspirent explicitement du fascisme, du nationalisme blanc, du traditionalisme catholique et, dans certains cas, du nazisme, nous appelons ces réseaux fascistes ou néofascistes.
Le mouvement néofasciste au Québec comporte deux pôles principaux.
D’une part, un certain nombre d’individus sont issus des sous-cultures de jeunes ancrées dans la violence de rue et d’autres activités criminelles ainsi que dans les activités culturelles associées à la musique « underground » ou indépendante (organisation de concerts et de partys, tournées, production de zines, etc.). L’organisation à l’échelle locale et les liens internationaux avec des individus partageant ces mêmes idées ailleurs dans le monde ont souvent été facilités, sinon modelés, par ces activités culturelles et criminelles. Au Québec, ce pôle remonte aux années 1980 et, dans les années 1990, des membres de cette sous-culture se sont régulièrement livrés à des actes de violence et d’intimidation contre la gauche et contre des personnes racisées et/ou queer, allant jusqu’au meurtre. Si à une certaine époque la scène était dominée par la culture skinhead (bonehead), il convient de mentionner que depuis plusieurs années la scène black métal et le néo-folk sont aussi des espaces culturels ciblés par les néofascistes et les suprémacistes blancs.
Bien qu’il s’agisse d’une tradition sporadique comportant plusieurs épisodes distincts, on peut affirmer que le deuxième pôle du mouvement fasciste au Québec remonte aux années 1920. Depuis les années 1980, il s’est généralement fait très discret, au point même d’opérer en secret. Ce pôle est composé d’individus qui, culturellement, se situent à plusieurs égards à l’opposé des voyous skinheads et de leur mode de vie antisocial, et qui sont amenés à soutenir le militantisme fasciste et nationaliste blanc pour des raisons intellectuelles et souvent religieuses. Cette tendance s’est organisée publiquement pour la dernière fois autour du Cercle Jeune Nation (de 1980 à 1990) et certains de ses membres ont aussi été actifs dans les cercles traditionalistes catholiques, comme la Société Saint-Pie X, alors que d’autres ont trouvé leur place dans l’aile droite du mouvement nationaliste québécois. En raison de leur position sociale plus respectable (et plus privilégiée), les individus gravitant vers ce pôle ont un réel intérêt à rester circonspects sur leurs croyances. Cela ne signifie pas pour autant qu’ils sont inactifs, loin de là.
On a pu observer un certain rapprochement entre ces deux pôles au cours des vingt dernières années. Par exemple, bien qu’Atalante et la Fédération des Québécois de souche aient toutes deux été créées par des skinheads nationalistes blancs, ni l’une ni l’autre ne se limite ou ne se confine aujourd’hui à ce milieu. De plus, ce noyau organisé peut compter sur l’appui d’un nombre important d’individus sympathiques aux idées fascistes et néonazies qui choisissent pour le moment de rester inactifs politiquement.
Parallèlement, un pôle plus explicitement néonazi s’est formé au cours des dernières années dans la région de Montréal, prenant exemple sur d’autres groupes basés principalement sur Internet, comme The Right Stuff et le Daily Stormer. La nature secrète de ces groupes (principalement organisés dans des salons de discussion privés et des forums cachés en ligne) a offert un espace confortable tant aux individus qui aspirent à créer un mouvement politique « dans la vraie vie » qu’à un certain nombre d’individus qui s’y cachent pour laisser libre cours à leur intolérance, avant que des antifascistes ne perturbent sérieusement leurs projets en 2018. Il y a fort à parier que ce noyau dur néonazi est toujours actif dans d’autres forums privés et continue de recruter parmi des jeunes adultes sympathiques à ces idées.
La formation d’un milieu national-populiste au Québec a donné l’occasion aux néofascistes de mieux se faire connaître. Tandis que certains néonazis, comme ceux de la scène Alt-Right montréalaise, se moquent des nationaux-populistes comme autant de « boomers » déconnectés et insignifiants et expriment leur volonté de s’en dissocier complètement, l’existence d’un tel milieu ouvre un espace politique et offre des occasions pratiques (comme des manifestations) où les deux courants peuvent se rencontrer et créer des liens. L’année 2017, en particulier, a été remarquable par la façon dont les néofascistes ont réussi à plusieurs reprises à revendiquer leur légitimité au sein de l’extrême droite plus large. Alors que le 4 mars, à Québec, les membres d’Atalante ont choisi de manifester à l’écart de La Meute (en la critiquant implicitement avec un slogan piqué à la gauche sur une bannière où était écrit : « Immigration : Armée de réserve du Capital »), à Montréal, des membres du groupe Alt-Right Montréal étaient au beau milieu du foutoir, auprès de La Meute et de Storm Alliance, et ont pris part à des confrontations physiques avec des contre-manifestant-e-s antifascistes. Huit mois plus tard, à Québec, Atalante et les Soldiers of Odin mettaient en scène leur propre entrée spectaculaire dans la manifestation nationale-populiste du 25 novembre, après s’être positionnés sur les remparts de l’esplanade et en surplomb d’une plus petite contre-mobilisation antiraciste. Il convient de mentionner qu’à leur entrée dans la plus grande manifestation, les néofascistes ont été chaudement applaudi-e-s par les membres de La Meute et de Storm Alliance, dont un grand nombre sont ensuite allés « aimer » leur page Facebook et les féliciter.
Les principales caractéristiques de la tendance néofasciste sont :
- Une opposition à la démocratie et une croyance en la « loi naturelle »;
- Une acceptation de la violence comme élément nécessaire du changement politique, doublée d’une glorification de la violence en tant que telle, comme qualité virile et guerrière;
- Une croyance en la race et en la nation comme deux catégories fondamentales de l’existence humaine; la manière dont les différentes races et nations interagissent (dans un esprit « égaux, mais différents », dans une hiérarchie rigide, ou dans un état de guerre) peut varier;
- Antisémites; au mieux, ils soutiennent que les Juifs ont une influence néfaste sur la nation, et au pire, ils adhèrent à la théorie du complot voulant que les Juifs forment une race sournoise et ennemie qu’il faut exterminer;
- Unanimes dans leur homophobie et leur transphobie;
- Islamophobes, mais avec l’indication (souvent explicite) que les musulmans sont manipulés par les Juifs (ou les « mondialistes ») pour miner et détruire la race ou la nation;
- Très majoritairement masculins, avec une ouverture à l’égard de la misogynie politique; le féminisme est souvent décrit comme une autre manipulation juive;
- La plupart des néofascistes du Québec sont en faveur de l’indépendance et s’opposent au Canada, qui est considéré comme une force d’occupation, bien que cette position ne soit pas partagée par tous.
Comparés aux nationaux-populistes, les néofascistes ont des liens beaucoup plus étroits avec des organisations et des réseaux américains et européens, et on peut dire qu’ils appartiennent à un mouvement politique et intellectuel international. Les membres d’Atalante, par exemple, ont des liens étroits avec le réseau « Rock Against Communism » et s’inspirent directement du mouvement néofasciste italien CasaPound, empruntant à la fois des éléments de discours (rhétorique reliant le sentiment anti-immigrant à l’anticapitalisme, etc.) et des tactiques de mobilisation (initiatives charitables exclusivement pour les citoyens « de souche », etc.). Pour sa part, la FQS publie fréquemment dans sa revue Le Harfang des entrevues avec des intellectuels de l’extérieur du Québec. Ce qui distingue les néofascistes du Québec des néofascistes d’ailleurs en Amérique du Nord, c’est la place importante qu’occupent les mouvements européens dans leur vision du monde. Par exemple, alors que l’Alt-Right aux États-Unis introduisait assez récemment certains textes de la Nouvelle droite européenne dans l’extrême droite américaine, ces idées sont connues de nombreux néofascistes québécois depuis les années 1970 et 1980.
Perspectives pour l’avenir
L’augmentation de l’activité des groupes et réseaux d’extrême droite au Québec au cours des dernières années est attribuable à plusieurs facteurs externes au mouvement, dont certains sont d’ordre international et d’autres propres à notre situation particulière : la « guerre contre le terrorisme », l’essor des médias sociaux, la crise financière de 2008, les échecs répétés de la gauche indépendantiste québécoise et l’élection de Trump aux États-Unis, pour n’en nommer que quelques-uns.
Nous ne nous attendons pas à ce que cette croissance ralentisse. En fait, nous croyons que l’avenir nous réserve d’autres « bonds » dans la mauvaise direction, car les crises financières et écologiques mondiales ne cessent de s’intensifier. Dans un avenir immédiat, nous prévoyons que la bifurcation de l’extrême droite décrite dans cet article se poursuivra, qu’un mouvement beaucoup plus vaste, avec un éventail de perspectives plus large, continuera de se développer, et que cette croissance profitera également à des organisations plus petites et plus rigoureuses, aux aspirations politiques plus radicales. Ces mouvements s’inscrivent dans une dynamique qui pèse directement sur l’ensemble du débat politique, normalisant certaines idées et légitimant des mesures « moins radicales »; l’élection de populistes néolibéraux un peu partout au Canada, y compris ici au Québec avec la CAQ, témoigne de cette réalité.
Le Québec n’est pas une anomalie : aujourd’hui, l’extrême droite, dans ses variantes nationales-populistes et néofascistes, a un impact concret sur l’équilibre politique du pouvoir, non seulement en Europe et en Amérique du Nord, mais aussi dans certains pays « émergents » du Sud (BRICS), où ses représentants ont été portés au pouvoir. La tâche qui nous incombe aujourd’hui est d’affronter l’extrême droite et d’apprendre à (re)construire des mouvements d’émancipation radicaux qui pourront faire des gains concrets et gagner sur ce terrain.
Mathieu Bock-Côté, l’antifascisme et la Deuxième Guerre mondiale

La résistance de la jeunesse allemande contre le nazisme :« Les Pirates de l’Edelweiss n’étaient pas des héros absolus mais plutôt des gens ordinaires faisant des choses extraordinaires ».

Pour en savoir plus sur ce livre vous pouvez consulter le texte: Suggestion de lecture pour les fans de Richard Martineau…
Il y a 80 ans, les nazis envahissaient la Pologne et déclenchaient par le fait même la Seconde guerre mondiale. Mark Bray, l’auteur de L’antifascisme son passé, son présent, son avenir souligne que : « Pendant les cinq ans suivantes, les nazis et leurs alliés vont tuer environ 200 000 Roms, 200 000 personnes handicapés ainsi que des centaines de milliers d’homosexuels et de militants de gauche et autres dissidents. »(p.82) et bien sûr environ six millions de juifs et de juives soit les deux tiers de la population juive du continent européen.
Afin de souligner ce triste anniversaire, le polémiste du Journal de Montréal, Mathieu Bock- côté, s’est empressé d’écrire une chronique sur le sujet pour glorifier encore une fois les grands héros de l’histoire officielle, c’est-à-dire les chefs d’état et les dirigeants. A contrario Bock-Côté passe à côté des antifascistes qui, en Allemagne et dans les pays sous occupation, ont résisté aux nazis et aux fascistes, via les différentes cellules de résistance qui comprenaient de nombreux anarchistes et communistes, les réseaux souterrains, les ouvriers et ouvrières qui ont fabriqué des armes défectueuses, les étudiant.e.s pamphlétaires de la rose blanche, les familles qui ont caché des juifs dans leur grenier ou leur cave, les pirates de l’Edelweiss qui regroupaient plusieurs groupes de jeunes allemand.e.s âgé.e.s de 13 à 18 ans qui ont lancé « une guerre éternelle contre les jeunesses hitlériennes » (p.83), les grévistes néerlandais de 1941 ainsi que ceux et celles qui sont tombé.e.s les armes à la main dans les soulèvements des camps de concentration et des ghettos.
Évidemment, le polémiste ne pouvait terminer son billet sans déformer la réalité pour mieux servir son agenda politique.
Mais comme le souligne Mark Bray : « Doit-on attendre que les croix gammées battent au vent des bâtiments publics pour se défendre? » (239) Bien que de nouvelles chemises noires ne sont pas entrain de défiler dans nos rues en masse, la violence des fascistes ou des groupes fascisants est bien réelle et « Même en dose très faible, elle peut être dangereuse […] les victimes de violence transphobes ou racistes s’en rendent compte dans la douleur.» (p.255) L’attentat à la grande mosquée de Québec le 29 janvier 2017 devrait être suffisant pour nous en convaincre. Mais pour être certain, voici une liste non exhaustive de la violence, du terrorisme et de la progression de l’extrême-droite depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale…
En Italie, des groupes fascistes ont lancé à partir de 1969 une stratégie de tension insurrectionnelle qui visait à déstabiliser la société (avec l’appui de la CIA) et ainsi provoquer un retour au fascisme pour rétablir l’ordre. Leurs actions ont entraîné la mort de nombreuses personnes. Le 12 décembre 1969, une explosion à la piazza Fontana tue 17 personnes et en blesse 88. En 1974, une bombe a explosée lors d’un rassemblement antifasciste à Brescia, tuant huit personnes en plus d’en blesser une centaine d’autres . En 1980, la violence meurtrière des fascistes italiens a atteint un sommet lors des attentats à la gare de Bologne qui ont fait 80 victimes. (p.119)
En France, des bandes de skinheads racistes ont attaqué des concerts punk et lancé ce qu’ils ont appelé « une chasse aux beurs » qui a coûté la vie à 23 personnes en 1983.
En Allemagne, entre 1990 et 2017 au moins 169 assassinats ont été commis par l’extrême-droite. Pour la seule année 1993, 23 000 crimes liés à l’extrême-droite ont été enregistrés. (p. 107)
En Grèce, « [le parti néonazi ] Aube Dorée a débarqué de nulle part pour devenir une force politique majeur prête à diriger un gouvernement, avant que des condamnations judiciaires déciment la direction du parti en 2013. » (p.257) Pour en savoir plus sur l’histoire d’Aube dorée, vous pouvez consulter le texte: Comment la Grèce en est-elle arrivée à élire des députés néonazis ?
En Norvège, 77 personnes sont assassinées par un militant d’extrême-droite lors d’un rassemblement de la Ligue des jeunes travaillistes le 22 juillet 2011 .
Le 15 mars 2019, 52 personnes perdent la vie après des attentats dans deux mosquées en Nouvelle-Zélande. Le 4 août dernier, un suprémaciste blanc a tué 22 personnes à El Paso, près de la frontière entre le Mexique et les États-Unis.
Et la liste continue…
« On ne débat pas du fascisme, on le détruit » – Buenaventura Durruti
L’histoire nous a démontré que les institutions ont échoué à endiguer le fascisme. En Italie , le roi a donné le pouvoir à Benito Mussolini et en Allemagne les nazis ont été élus démocratiquement au Reichstag. N’en déplaise à Bock-Côté, il demeure impératif de tirer les bonnes leçons de l’histoire et d’empêcher chaque avancée potentielle d’une nouvelle peste brune. Nous le devons à toutes les victimes de la haine et du fascisme d’hier à aujourd’hui.
«¡No pasarán! »
Ipperwash – été / automne 1995
Le 4 septembre 1995, un groupe d’une trentaine d’hommes, de femmes et d’adolescent.es autochtones Chippewas de la réserve de Stoney Point, en Ontario, pénètre dans le parc provincial d’Ipperwash. L’occupation pacifique, qui dure quelque jours, fait suite aux nombreuses tentatives par les habitant.es de Stoney Point de faire entendre leurs revendications territoriales auprès des gouvernements canadien et ontarien. Mais, sous la pression du gouvernement provincial conservateur de Mike Harris, les occupant.es d’Ipperwash sont bientôt la cible d’une intervention policière musclée visant à les déloger. Au cours de l’opération, la police blessera de nombreux occupants et assassinera Dudley George, un militant de 38 ans.
Les réserves de Kettle Point (Wiiwkwedong) et de Stoney Point (Aazhoodena) sont situées dans le sud de l’Ontario, le long des rives du lac Huron. Les revendications territoriales en jeu dans la crise d’Ipperwash sont le fruit d’une longue série de dépossessions territoriales subies par les Chippewas de la région. Si la Proclamation Royale de 1763 attribue une grande partie de l’intérieur de l’Amérique du Nord aux Autochtones uniquement, elle décrète aussi que ces territoires doivent être volontairement cédés aux colons avant que ceux-ci puissent s’y établir. Lorsque les colons respectaient cette clause, ils achetaient des parcelles du territoire, au terme de négociations parfois frauduleuses et moyennant des compensations souvent infimes en regard des territoires perdus. Mais ce n’était pas toujours le cas, les colons s’appropriant parfois sans plus de manières des zones qui ne leur appartenaient pas, même en vertu de la loi coloniale…
C’est ainsi qu’en 1827, pour la modique somme de 10$ par personne par année (supposément à perpétuité), les Chippewas cèdent plus de deux millions d’acres de leur territoire au Haut-Canada, ce qui ne leur laisse que quelques zones sur lesquelles vivre : Sarnia, le canton de Moore, Kettle Point et Stoney Point. Au cours du XIXe siècle, Kettle Point et Stoney Point obtiennent le statut de réserve. Déjà à cette époque, celles-ci sont convoitées par des colons blancs, notamment des promoteurs immobiliers, qui envient la richesse et la beauté du territoire. La zone est aussi la cible de pillages de bois d’œuvre par des entrepreneurs qui estiment ne pas avoir de comptes à rendre aux personnes autochtones pour le bois volé.
En 1928, en raison de fortes pressions exercées par le ministère des Affaires indiennes, la réserve de Stoney Point cède 377 acres à des promoteurs immobiliers, y compris tout le rivage du lac Huron. Cette cession (dont la légitimité sera remise en cause en 1992, puis en 1993 à l’initiative des membres des premières nations de Kettle et Stoney Point) ampute une importante partie du territoire de Stoney Point. Puis, en 1932, le gouvernement de l’Ontario achète une partie des terres (140 acres) cédées en 1928 pour y fonder le parc provincial d’Ipperwash. La région devient alors un lieu touristique prisé et de nombreux bourgeois blancs y installent leur maison d’été. Le parc, quant à lui, est fréquenté par une masse de vacancier.ères et de campeur.euses qui profitent de ses plages magnifiques et de ses riches forêts.
En 1936, le conseil de bande de Stoney Point demande à ce qu’un cimetière, qui se trouve alors à l’intérieur des limites du parc, fasse l’objet d’une protection spéciale pour éviter sa dégradation. Le gouvernement canadien s’engage alors à clôturer le site… mais ne prendra jamais de mesures concrètes en ce sens. Malgré ce qu’en diront plus tard les politiciens, la présence d’un cimetière est indiscutable : par deux fois, en 1937 et en 1950, des ossements humains sont découverts dans le parc, dont certains sont transférés à la University of Western Ontario pour y être étudiés par les archéologues Wilfrid et Elsie Jury. La présence d’un cimetière dans le parc provincial d’Ipperwash est un fait à noter, puisque la rétrocession de ce territoire sacré à ces détenteur.trices originel.les est une des revendications principales portées par la communauté de Stoney Point et les occupant.es du parc d’Ipperwash en 1995.

En 1942, en plein cœur de la Deuxième guerre mondiale, le ministère de la Défense nationale confisque ce qui reste de la réserve de Stoney Point afin d’y construire un camp d’entraînement militaire (le camp militaire d’Ipperwash). En invoquant la loi martiale, le gouvernement outrepasse le refus de la communauté de Stoney Point, arguant que les terres seraient de toute façon restituées une fois la guerre terminée. Les habitant.es de Stoney Point sont alors exproprié.es, leurs maisons sont détruites ou déplacées dans la réserve de Kettle Point et les deux bandes sont fusionnées de force. À l’étroit au sein d’une autre communauté qui n’a pas les ressources pour les accueillir, les réfugié.es de Stoney Point s’apprêtent à subir de longues années de pauvreté et de discrimination : en effet, le gouvernement ne tiendra jamais sa promesse de rétrocession des terres confisquées. En 1995, la base militaire est toujours en activité. Depuis près de 50 ans, des demandes ont été faites pour que les terres de Stoney Point soient restituées, sans aucun résultat.
En 1993, les familles originaires de Stoney Point commencent à revenir s’installer sur le territoire de la base militaire, ou ils érigent un camp, après des années d’appels vains et de promesses non-tenues de la part des gouvernements provincial et fédéral. En mai 1993, des membres de la Première Nation de Stoney Point occupent pacifiquement une partie du camp d’Ipperwash pour faire valoir leurs revendications territoriales et forcer le gouvernement fédéral à négocier. Puis un groupe décide de charger un prix d’entrée pour les touristes voulant se rendre à la plage du parc d’Ipperwash, ce qui leur vaut une arrestation et quelques jours en garde a vue. En 1994, lueur d’espoir : le gouvernement fédéral annonce qu’il compte fermer le camp militaire et restituer les terres… mais il se révèle que c’est un mensonge une fois de plus. Excédés, des membres de la communauté de Stoney Point occupent les bâtiments administratifs du camp à la fin du mois de juillet 1995, forçant cette fois-ci les militaires à se retirer complètement.

L’occupation du parc provincial d’Ipperwash, le 4 septembre 1995, constitue une énième tentative par la communauté de Stoney Point de faire valoir des revendications territoriales vieilles d’un demi-siècle. Cette action, prévue et annoncée depuis quelques mois, s’inscrit dans la vague de réoccupation du territoire originel de Stoney Point et vise aussi à protester contre la destruction du cimetière qui se trouve dans le parc provincial d’Ipperwash. Il.les sont une trentaine, cette soirée là, à entrer dans le parc alors que celui-ci ferme pour la saison. Les occupant.es ont apporté de la nourriture et de quoi faire des feux. Malgré son caractère pacifique et la légitimité de la revendication territoriale qu’elle souhaite mettre de l’avant, l’occupation est considérée comme illégale par la police provinciale de l’Ontario (OPP), qui déploie rapidement ses agents (en uniforme comme en civil) pour patrouiller la zone.
L’objectif officiel des forces de police est d’obtenir une injonction de la cour pour faire cesser l’occupation (sans une injonction, il est difficile de prouver que l’action est illégale au niveau juridique, même si elle est de facto traitée comme telle). Parce que l’occupation concerne une revendication territoriale, l’OPP a aussi prévu 13 négociateurs dans le cadre du Projet Maple, un plan sensé assurer la résolution pacifique du conflit via la négociation et des procédures juridiques. Malgré ces prétentions pacifiques, de nombreux équipements militaires et de surveillance sont amenés sur place : hélicoptères, bateaux, fourgons, fusils de longue portée… La police a aussi mobilisé son escouade anti-émeute, qui encercle rapidement les militant.es non-armé.es. La trentaine de personnes qui se trouve dans le parc, à laquelle même les médias ne portent pas attention, se retrouve bientôt au centre d’une surveillance digne d’un scénario de prise d’otage. La soirée même, des policiers tentent de pénétrer dans le parc, mais sont repoussés.
Si l’occupation génère du support dans la communauté, elle rencontre aussi l’opposition du chef de Kettle Point et Stoney Point, Tom Bressette, qui prend initialement position contre les occupant.es, qu’il qualifie de fauteur.euses de trouble. Mais il n’est pas le seul que cette occupation dérange. Le gouvernement provincial conservateur, qui vient tout juste de remporter ses élections, convoque une réunion d’urgence : il réclame une intervention immédiate. Moins de deux jours après le début de l’occupation, le 6 septembre 1995, alors que le premier ministre ontarien Mike Harris célèbre sa victoire électorale au York Club de Toronto lors d’un souper gargantuesque réunissant la crème du patronat des journaux canadiens, l’escouade anti-émeute de l’Ontario Provincial Police s’apprête à marcher sur le parc d’Ipperwash.
Cette soirée là, c’est le racisme des policiers, leur violence et l’intransigeance du gouvernement colonial qui auront raison de Dudley George. Alors que plusieurs occupant.es quittent le parc et que ceux qui restent allument des feux pour la nuit, des rumeurs de présence d’armes à feux sur les lieux commencent à courir parmi les policiers. Celles-ci sont absolument infondées. La surveillance para-militaire opérée depuis des jours par la police l’a bien montré. Malgré tout, des bâtons sont confondus avec des carabines et des cigarettes sont vues dans le noir comme des pointeurs de fusils ; des feux d’artifices, comme des coups de feu d’armes automatiques. Et malgré ces rumeurs, qui devraient logiquement pousser les « forces de l’ordre » à faire preuve de prudence, la charge est lancée. Les policiers en anti-émeute entrent dans la zone occupée en tapant sur leur bouclier, une tactique sensée effrayer les occupant.es pour les disperser.
Dans le but d’éviter une escalade de la situation, Cecil Bernard ‘Slippery’ George, membre du conseil de bande, tente alors de s’interposer entre les policiers et les occupant.es en répétant que personne n’est armé. Il est sévèrement battu par une dizaine d’agents. Plusieurs personnes tentent de lui porter secours, mais sans succès. Pour sauver Slippery George, maintenant inconscient, Nicolas Cottrelle, 16 ans, décide de foncer vers les policiers à l’aide d’un autobus scolaire qui se trouvait là. Si la stratégie fonctionne et que les policiers se dispersent, elle ne les empêche pourtant pas de tirer sur l’autobus et son conducteur, de blesser Nicolas Cottrelle et de tuer un chien qui se trouvait dans l’autobus avec lui. Alors qu’il se trouve au milieu de la mêlée, désarmé et à découvert, Dudley George est quant à lui blessé gravement. Il succombera aux balles de l’agent assassin Kenneth Deane, un des tireurs d’élites déployés sur place par la police provinciale de l’Ontario.
– Vous savez, si vous aviez coopéré, vous auriez pu être libérés plus tôt.
– Coopéré en quoi ? Je n’ai rien fait. Tout ce que j’ai fait c’est amener mon frère à l’hôpital parce que vous l’avez tué.Réponse de Pierre George à un détective au lendemain de sa libération et de l’assassinat de son frère Dudley George par la police provinciale de l’Ontario.
À deux doigts de la mort, Cecil Bernard ‘Slippery’ George est amené en ambulance à l’hôpital. Deux blessés graves le suivent : Nicolas Cottrelle et Dudley George (qui est alors inconscient en raison de la gravité de ses blessures) sont conduits à l’urgence par leurs proches. Les policiers, quant à eux, reviennent de cette intervention en dénombrant un seul blessé, un agent qui s’est foulé la cheville.
À leur arrivée à l’hôpital, Pierre et Carolyn, le frère et la sœur de Dudley Geroge, sont immédiatement interpellé.es et arrêté.es par la police. Accusé.es de tentative de meurtre, il.les n’auront même pas l’occasion de faire leurs adieux à leur frère : cette nuit là, celle où les médecins constatent la mort de Dudley Geroge, Pierre et Carolyn la passent injustement en prison. Il.les sont libéré.es le lendemain. Pour avoir tenté de sauver Slippery George, Nicolas Cottrelle sera aussi accusé de tentative de meurtre. Le lendemain du meurtre de Dudley George, dans un geste de solidarité, des habitant.es de Kettle Point érigent un barrage sur l’autoroute 21 près de l’occupation. Il.les sont les premier.es à faire face aux médias, qui se mettent soudainement à porter attention aux événements d’Ipperwash.

L’extrême violence de la police dans la nuit du 6 septembre 1995 n’est pas sans lien avec le contexte de graves tensions nationales qui émerge d’une autre confrontation qui a lieu presque au même moment en Colombie-Britannique à Gustafsen Lake. Pendant 31 jours, du 18 août au 17 septembre 1995, les Secwepemc, qui affirment seulement leur droit d’usage d’un site sacré leur appartenant traditionnellement et non-cédé, doivent affronter un siège de la GRC qui ne recule devant rien pour les déloger. La réponse du gouvernement de l’Ontario n’est pas non plus sans lien avec la panique qu’avait déclenché, cinq ans auparavant, la crise d’Oka. L’intransigeance de la police et du gouvernement à Ipperwash est directement liée à ce contexte de répression nationale des demandes légitimes des nations autochtones par les gouvernements coloniaux qui voient les limites de leur capacité à tromper ceux et celles qu’ils dépossèdent depuis des centaines d’années. Confrontés sur plusieurs fronts aux exigences légitimes des peuples autochtones, les gouvernements fédéral et provinciaux réagissent partout de la même manière : par la répression militaire d’état.
L’occupation du camp d’Ipperwash visait à obtenir justice. Elle visait à retrouver une souveraineté sur des territoires qui avaient été dépecés, confisqués et vendus en fonction des intérêts des colons, sans égard pour ceux et celles qui y habitaient. Elle visait aussi à faire cesser la destruction d’un lieu sacré, le cimetière, piétiné pendant des années par des vacancier.ères blanch.es parce qu’il se trouvait dans les limites d’un parc national érigé sur un territoire colonisé. La crise d’Ipperwash aura fait un mort, meurtre que la police aura l’audace de présenter comme un acte d’auto-défense. Afin d’obtenir justice pour le meurtre de leur proche, la famille de Dudley George entame, dans les mois qui suivent l’occupation, des poursuites contre le premier ministre Mike Harris et la police provinciale de l’Ontario. C’est la première fois qu’un premier ministre en fonction est cité à comparaître. Une longue bataille juridique s’amorce.
« The prisons are full of Indian people who stole a carton of cigarettes, but if you kill a Native, you’re free. »
Sheila Hippern, Stoney Point (One Dead Indian, page 216)
Si le gouvernement ontarien est traîné en justice, c’est aussi le cas pour plusieurs personnes ayant participé à l’occupation du parc provincial. Ces accusations portées contre les occupant.es du parc d’Ipperwash sont en majorité sans fondement et la plupart des accusé.es sont aquitté.es. Sous enquête, les policiers entretiennent un silence coupable quant à leur rôle dans le tabassage subi par Cecil Bernard George. Aucun enregistrement de la soirée, audio, vidéo ou en photo n’a pu être retrouvé ; un bris d’équipement aurait empêché la police d’enregistrer, selon la procédure, ses agissements. Sur les 250 témoins interrogés, aucun ne fournit d’information probante, ce qui force finalement la fermeture du dossier. Pour avoir consciemment tiré sur un homme désarmé et pour avoir menti à plusieurs reprises devant la justice sur ses agissements ce soir là, Kenneth Deane, l’assassin de Dudley George, est finalement condamné pour négligence criminelle causant la mort. Il purgera sa peine en faisant des travaux communautaires.
La mort de Dudley George aura aussi comme conséquence de lancer une enquête gouvernementale qui mènera à des recommandations pour qu’un tel événement ne se reproduise plus. Malgré le caractère intrinsèquement colonialiste du Canada, les terres de Stoney Point seront graduellement rétrocédées à la communauté Chippewa. La lutte exemplaire des Chippewas à l’automne 1995 et leur détermination devant les tribunaux aura réussi, pour une fois, à faire plier le gouvernement. En 2007, le parc provincial d’Ipperwash est remis aux membres de la communauté de Stoney Point. En 2015, les terres confisquées par le ministère de la Défense en 1942 sont rétrocédées par le gouvernement ontarien à la communauté. Cela aura pris presque un siècle, un mort et des années de procédures judiciaires épuisantes pour que les gens de Stoney Point retrouvent un territoire qui n’aurait jamais dû leur être soustrait. Cette victoire a été acquise au prix du sang.
La crise d’Ipperwash nous rappelle que l’état canadien est fondé sur le vol et le génocide des peuples autochtones. Sa condition d’existence, le colonialisme de peuplement, implique parallèlement l’annihilation de sociétés pré-coloniales. Pour cela, tous les moyens sont bons, de l’élimination physique à l’acculturation, en passant par la répression politique et juridique. Les agissements de la police ou de l’armée dans le cadre des différentes crises autour des revendications territoriales autochtones sont à comprendre dans ce contexte. En effet, même si la police ne subit pas toujours directement de pressions politiques (comme ce fut par ailleurs le cas lors de la crise d’Ipperwash), elle soutient néanmoins les valeurs fondamentales de l’état qu’elle défend et ses lois. Si ces lois et juridictions sont injustes pour une partie de la population, la police reproduira ces injustices, sous le couvert de la loi et l’ordre. Ici, la loi et l’ordre, c’est le colonialisme. Les boucliers se lèvent chaque fois que cela est remis en question. Et l’assentiment presque généralisé que reçoit cette répression de la part des descendant.es de colons contribue à perpétuer cette situation inique.
Enfin, la nouvelle stratégie de pacification des relations entre Autochtones et gouvernements ne doit pas faire illusion. À ce jour, on exige toujours des peuples autochtones qu’ils renoncent à leurs droits ancestraux pour pouvoir obtenir une compensation financière et territoriale. Le gouvernement continue de retirer les enfants des communautés sous prétexte de les protéger. On voit toujours le rouleau compresseur de l’acculturation à l’oeuvre, et ce n’est pas la présence de quelques personnes autochtones en public qui change ce paradigme. Enfin, les personnes autochtones continuent d’être incarcérées et de subir les violences policières de plein fouet. La pacification semble fonctionner à sens unique. Et comme nous l’a démontré l’exemple d’Ipperwash, seule la lutte des peuples autochtones pourra leur donner gain de cause quant à leurs revendications légitimes.
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Sur la crise d’Ipperwash, on consultera avec profit le livre One Dead Indian de Peter Edwards (2001), qui offre un récit honnête de la violence d’état durant cette crise. Les documents de l’enquête sur Ipperwash sont disponibles en ligne, dont celui élaboré par la première nation de Stoney Point sur l’histoire d’Aazhoodena. On pourra aussi regarder le documentaire de SubMedia : Ipperwash Crisis in 5 minutes, qui rend compte de la crise de manière frappante. Pour avoir une vue d’ensemble des luttes autochtones au Canada des années 1970 à aujourd’hui, on consultera le livre du grand militant secwepemc Arthur Manuel, Décoloniser le Canada (2018). Enfin, sur les procédures actuelles mais toujours trompeuses du gouvernement du Canada, on consultera le livre de Glen Sean Coulthard, Peau rouge, masques blancs (2018). L’auteur y explique comment l’actuelle stratégie de pacification des rapports entre gouvernements et Autochtones reste au désavantage de ces derniers.
Ce 3 octobre, Joignez-vous à nous pour une journée d’action contre la détention de migrant.e.s par le Canada
Quoi : Journée d’action dans plusieurs villes contre la détention des migrant·e·s
Quand : Le 3 octobre 2019
Où : Canada et international
Au cours des deux dernières années, une lutte active contre la construction d’une nouvelle prison pour migrant·e·s prévue à Laval, Québec, a été menée par différents groupes. Cette vaste mobilisation a su inclure une variété de tactiques, chacun se battant à sa façon pour mettre fin au régime de frontières et de prisons du Canada.
Solidarité sans frontières a participé à cette lutte en organisant des manifestations, des ateliers, des conférences de presse, une déclaration contre la prison (actuellement signée par plus de 80 groupes) et des occupations temporaires du chantier lui-même. Or, malgré l’opposition soutenue et généralisée à ce projet, les travaux de construction de la nouvelle prison pour migrant·e·s de Laval ont récemment commencés.
Nous sommes maintenant devant l’urgence d’agir rapidement pour faire pression sur les entreprises qui ont reçu des contrats pour la construction de cette nouvelle prison. Nous avons commencé une série d’actions hebdomadaires axées sur ces profiteurs, et nous appelons à une Journée d’action, le 3 octobre, organisée par des groupes alliés dans différentes villes à travers le pays et à l’étranger.
La nouvelle prison de Laval n’est qu’un élément du système de détention des personnes migrantes au Canada que la Journée d’action vise à contester. Qu’il s’agisse des prisons fédérales pour migrant·e·s, des prisons provinciales qui détiennent des migrant·e·s pour le compte de l’ASFC, des entreprises qui profitent de la détention des migrant·e·s, des bureaux de l’ASFC ou des ONG qui mettent en œuvre les nouveaux systèmes de surveillance et de contrôle « alternatifs » de l’ASFC, l’infrastructure canadienne de détention des personnes migrant·e·s s’étend partout. Nous demandons que des mesures soient prises le 3 octobre pour remettre en question ce système et aider à rendre son infrastructure plus visible.
Pouvez-vous aider à organiser une action dans votre ville ? Veuillez écrire à : solidaritesansfrontieres@gmail.com
Pas de prison ! Pas de frontières !
Pour en savoir plus sur la détention des personnes migrantes au Canada et la nouvelle prison pour migrant·e·s
Qu’est-ce que la violence ?
De subMedia
Nos sociétés sont largement dépendantes de la violence pour leur fonctionnement. Bien que les états tentent de maintenir un monopole sur la violence et cherchent constamment de nouvelles formes de légitimer leur emploi de la violence, les peuples qui luttent contre la domination peuvent aussi employer la violence pour s’opposer aux systèmes hiérarchiques qui les oppriment. Alors que le débat autour de la violence et autres tactiques semble se rallumer chaque fois que quelqu’un décide de se défendre, la nécessité des attaques physique contre le pouvoir ne peut pas être ignoré. Alors, qu’est-ce que la violence exactement, et comment fonctionne-t-elle dans le monde ?
« You’re not tough now » : deux policiers en civil se font défoncer (vidéo)
Soumission anonyme à MTL Contre-info
La vidéo des événements étant malheureusement déjà en possession des flics, nous avons décidé d’en faire un petit remix.
24 août 2019. Centre-ville de Montréal. Une foule reconnait deux flics du SPVM en civil, à l’extérieur d’un bar. Basés au poste 21, situé à proximité, ils passent leur quarts de travail à harceler et à brutaliser les gens pauvres et marginalisé.es du coin. En civil, ils n’ont pas de fusil, pas de taser, pas de radio pour appeler des renforts. Voyons ce qui arrive quand ils ne peuvent se cacher derrière une insigne.
« Ce n’est pas juste une attaque contre ces policiers — c’est contre tout le système judiciaire. »
— Porte-parole du SPVM
ACAB.
Restez à l’affut.
Tisseur se tourne vers les tribunaux pour museler l’opposition à la nouvelle prison pour migrant.e.s
Montréal, le 27 août 2019 — La Cour Supérieure du Québec a accordé à Construction Tisseur Inc., la compagnie qui gère la construction de la nouvelle prison pour migrant.e.s à Laval, une injonction juridique contre le réseau de justice migrante Solidarité Sans Frontières. L’injonction temporaire a été demandée suite à un piquetage d’information festif qui a eu lieu devant le siège social de Tisseur à Val-David jeudi après-midi, en présence de musicien.ne.s Klezmer.
« Cela crée un dangereux précédent. C’est une préoccupation importante pour la population québécoise quand une compagnie utilise les tribunaux pour faire taire les critiques. Nous nous rappelons du harcèlement juridique d’Éco-société par Barrick Gold concernant la publication de Noir Canada. Et ces deux cas sont liés: les compagnies minières canadiennes comme Barrick Gold contribuent au déplacement de gens qui aboutissent dans des centres de détention pour immigrant.e.s. Nous ne nous laisserons pas museler, l’enjeu est bien trop important », dit Jane Doe de Solidarité Sans Frontières.
Solidarité Sans Frontières a été avisé à 18h26 jeudi le 22 août qu’une audience de la Cour aurait lieu le lendemain matin. Les représentants légaux de Solidarité Sans Frontières ont demandé un report pour leur permettre de préparer une défense, mais le report a été refusé. L’injonction temporaire, qui interdit à Solidarité Sans Frontières, à Jane Doe et à John Doe l’accès aux terrains de Tisseur, situés au 1670 route 117 à Val David, demeure en vigueur jusqu’au 1er septembre. L’injonction pourrait être renouvelé cette semaine.
« Nous avons organisé le piquetage la semaine dernière pour rejoindre les travailleurs et travailleuses impliqués dans ce projet. Nous croyons que les centres de détention pour les migrant.e.s et les réfugié.e.s, tout comme le système d’immigration dont ils font partie, nuit aux droits du travail. Nous voulions ouvrir un dialogue avec les employé.e.s de Tisseur à ce sujet, durant leur heure de dîner », a expliqué John Doe, de Solidarité Sans Frontières.
« Tisseur s’est plaint que nous ayons installé des affiches sur leurs murs. Nous avons installé avec du ruban adhésif des silhouettes qui représentent des ami.e.s qui ont été détenus ou déportés. L’une d’elles est Lucy Granados, une mère célibataire et travailleuse originaire du Guatemala qui était venue au Canada après que l’usine américaine pour laquelle elle travaillait ait été déplacée en Asie, ou la main-d’oeuvre est meilleur marché. Une autre représentait « Daniel », un garçon de 17 ans qui a été détenu dans son école secondaire de Montréal et déporté seul vers le Mexique », a dit Doe.
« Nous ne croyons pas que Yannick Tisseur ait peur de nos affiches temporaires ou de nos rubans adhésifs, mais il souhaite clairement éviter que ces histoires ne se rendent à ses employé.e.s. Une des affiches demandait « Tiseur, mettriez-vous vos enfants dans une prison? » Il ne veut pas que ses travailleurs et travailleuses sachent que la prison sera utilisée pour détenir des enfants. »
La construction de la nouvelle prison, située à côté de l’actuel Centre de détention en Immigration de Laval, a débuté le 5 août 2019. La fin des travaux est prévue pour 2021, et sa construction fait partie d’un investissement de 138 millions de dollars pour augmenter la capacité du Canada à détenir indéfiniment et à déporter des migrant.e.s, incluant des enfants. Des personnes qui ont déjà été détenues rapportent des problèmes de santé mentale importants, tels que des cauchemars, de la dépression, des idées suicidaires, de la difficulté à dormir, de l’anxiété, et d’autres symptômes liés au choc post-traumatique.
Quelques dizaines de « patriotes » québécois s’associent à des néonazis et ultranationalistes Canadiens pour manifester contre les immigrant-e-s à Lacolle
Le 24 août 2019 a eu lieu au poste frontalier de Saint-Bernard-de-Lacolle une petite manifestation anti-immigration coordonnée par le Groupe de sécurité patriotique (GSP) et soutenue par un assortiment d’énergumènes sortis tout droit de la fachosphère, dont un néonazi bien connu ayant fait le voyage depuis l’Ontario avec d’autres ultranationalistes canadiens pour s’acoquiner avec nos « patriotes » locaux!
Ces manifestant-e-s, qui adhèrent à une version alternative de la réalité ancrée dans diverses théories complotistes (dont le prétendu « grand remplacement » de la population québécois/canadienne/occidentale/blanche au moyen d’une « immigration de masse » qui serait orchestrée par « l’élite globaliste » et l’ONU; il s’agit précisément de la théorie raciste qui a inspiré les tueurs de Christchurch et d’El Paso…), s’étaient donné rendez-vous à Saint-Bernard-de-Lacolle pour dénoncer l’accueil au Canada d’immigrant-e-s et de réfugié-e-s « illégaux »[i].
Une mobilisation ratée
Le rassemblement du 24 août a d’abord été appelé par Lucie Poulin, une organisatrice clé du Parti patriote, lequel tente actuellement de recueillir suffisamment de signatures pour présenter des candidatures aux élections fédérales de 2019. Le Parti patriote est un groupe nationaliste québécois d’extrême droite qui était présent aux mobilisations de la Vague bleue, mais qui s’est depuis quelque peu brouillé avec ses organisateurs suite à une montée de lait publique de Poulin. Sans grande surprise, ses sujets de prédilections sont l’opposition à « l’immigration de masse » et au « racisme anti-québécois ».
La mobilisation d’extrême droite du 24 août est restée très tiède, malgré l’annonce par Robert Proulx, le leader du Groupe Sécurité Patriotique (GSP), que son groupuscule endossait l’initiative et serait sur place pour en assurer la sécurité.
C’est d’ailleurs un Robert Proulx déconfit et au bord de la dépression qui a publié au lendemain de la manifestation une vidéo dressant un bilan négatif et déçu de la mobilisation… sans toutefois dire un mot sur la présence d’un gros néonazi à ses côtés toute la journée!
Le petit chef du Groupe de Séurité Patriotique (GSP), Robert Proulx, comme cul et chemise avec Kevin Goudreau, le militant néonazi du Canadian Nationalist Front.
De nouvelles accointances douteuses…
Parmi la quarantaine de personnes ayant répondu à l’appel se trouvait un petit contingent de « gilets jaunes » canadiens de la région de Toronto/Hamilton et le militant néonazi Kevin Goudreau, de Peterborough… qui a même été invité à prendre le micro à plusieurs reprises!
Goudreau, le tristement célèbre leader du Canadian Nationalist Front, a un long historique de militantisme ultranationaliste et a récemment fait les manchettes pour avoir appelé ses sympathisants à tuer des membres du Anti-Hate Network, des journalistes et des antifascistes. À un moment donné, le nazi a même entraîné la foule à scander le slogan : « 100 personnes, un cœur! ».
“I’m proud of my heritage; we’ve been here for 400 fucking years. And we don’t need, these fucking… god-dam fucking ragheads (sic) coming here and telling us how to live our life. Our heritage, our homeland. (…) We’re not immigrants. We did not immigrate here. We built this country, from garbage, from nothing.”
(Traduction: Je suis fier de mon patrimoine; ça fait 400 ans que nous sommes ici. On n’a pas besoin de ces ostie d’enturbannés pour venir nous dire quoi faire de nos vies. Notre patrimoine, notre pays. (…) Nous ne sommes pas des immigrants, nous n’avons pas immigré ici. Nous avons bâti ce pays à partir de vidanges, à partir de rien.)
Juste avant, Johane Voyer, présentée comme la responsable des relations avec les médias pour GSP, avait prononcé un long discours aussi délirant que décousu :
« (…) Nous sommes Storm Alliance, Les Gardiens du Québec, La Meute… Nous sommes Atalante, nommez-les… MÊME, nous sommes les antifas! (…) »
« Nos élites politiques veulent faire du Canada et du Québec un pays surpeuplé d’immigrants. (…) Trudeau entre autres, entre 2019 et 2020, s’il est réélu, il veut en faire entrer un million. (…) Le Canada a le plus haut taux d’immigration dans le monde. On nous le rentre de force. L’immigration de masse, les réfugiés, qui traversent au nom du tiers pays, des supposément demandeurs d’asile légal ou illégal (sic). Depuis 15 ans minimum, le pays accepte deux fois plus d’immigrants que les États-Unis et quatre fois plus que la France. Ce qui veut dire deux à deux fois et demie par habitant (sic). Si cela ne signifie pas une assimilation du peuple, dites-moi ce que cela veut dire. »
« Il n’y a plus un seul francophone au Manitoba. »
Le vociférant Michel Malik Éthier, dont il a plusieurs fois été question sur ce site, a quant à lui pointé du doigt l’ONU comme principal ennemi du peuple québécois :
« C’est l’ONU qui pousse Trudeau à ça. Trudeau il se sert d’une arme qu’on appelle « multiculturalisme » pour en venir aux fins de son mondialisme (sic). Le remède, l’antidote à ça, c’est ce que je vois devant moi, là, c’est le patriotisme. C’est pour ça qu’ils s’attardent à détruire le nationalisme en soi. Que ça soit le nationalisme québécois ou le nationalisme canadien, ce nationalisme-là est un poison pour Trudeau. (…) Trudeau, en laissant la porte ouverte à n’importe quel migrant, il nous met en danger. »
Éthier, suivant l’exemple de Voyer et d’autres intervenant-e-s, a ensuite inexplicablement décidé de s’adresser en anglais aux quelques douzaines de manifestant-e-s rassemblé-e-s. On pourrait d’ailleurs s’étonner de voir autant de patriotes québécois manifester sous un gigantesque unifolié et prendre la parole en anglais pour tendre la main à des ultranationalistes Canadiens, mais pour ces soi-disant patriotes, la défense du « peuple » et du territoire national contre la menace imaginaire de « l’immigration de masse » semble désormais passer avant l’aspiration à l’indépendance nationale du Québec!
Robert Proulx, alias Bob le Warrior, le leader de GSP, a à son tour pris le micro pour défendre la pratique consistant à s’accoutrer en soldats de surplus pour « défendre » les rassemblements identitaires. Fidèle à son habitude de menteur compulsif, il a commencé en disant que GSP « sécurise les manifs » depuis cinq ans, alors que le groupe n’existe que depuis un an tout au plus et que Proulx lui-même n’a commencé à apparaître dans les manifs de La Meute qu’en 2017. Robert, tu peux bien continuer à bourrer tes suiveux avec tes menteries grosse comme un truck. Un plein de marde, ça reste un plein de marde…
« Ce qui est blessant, c’est d’entendre des commentaires sur Facebook qu’on a l’air des ti-clounes habillés en militaires. »
Donald Proulx, du Parti patriote, a enchaîné avec une série de statistiques douteuses sur « l’assimilation des francophones » :
« [La nation francophone à travers le Canada] En 1766, on était à 99 %, on peut dire que ça allait très bien à ce moment-là. (…) Aujourd’hui, on parle qu’on est en bas de 20 %. Avec l’immigration massive et illégale, ça va continuer à descendre encore beaucoup plus vite. (…) Les partis nationalistes sont en train d’exploser en Europe présentement. Ça nous prend ce genre de politique-là ici, et ça aurait dû commencer depuis au moins 15 ans. Le Parti patriote va être là, pas juste au fédéral, on va être là aussi au provincial, pis on va même viser le municipal, on va être partout. »
Une opposition discrète
Une discrète mobilisation antifasciste est restée en position de retrait toute la journée, observant les xénophobes à distance. Jugeant qu’il valait mieux dans les circonstances laisser aux racistes toute la corde dont ils avaient besoin pour se pendre entre compatriotes, il a été décidé au final de ne pas se prêter au classique face-à-face avec eux. D’autant plus que les forces policières déployées sur le terrain semblaient déterminées à soutenir logistiquement la manifestation anti-immigration et à harceler les antiracistes.
Lucie Poulin et Robert Proulx se sont tous deux félicités dans leur bilan de l’événement du fait que la police les a étroitement escortés toute la journée. Des policiers ont même été vus blaguant et socialisant avec les xénophobes.
Complicités manifestes à Lacolle
Si la plupart des manifestant-e-s ont fait plusieurs heures de route pour se rendre au poste frontalier de Saint-Bernard-de-Lacolle, pour certains le voyage était beaucoup moins long.
André Lafrance, un conseiller municipal de Saint-Bernard-de-Lacolle, était présent au rassemblement. Loin de se désolidariser des racistes, il s’est mêlé à la petite foule et a publié un album photo de la journée accompagné d’un commentaire dithyrambique.
Il semble aussi que le point de rencontre des racistes, le IGA Dauphinais, n’ait pas été choisi par hasard. Après avoir été clairement accommodé-e-s dans le stationnement et les alentours du centre d’achats, les manifestant-e-s ont été chaudement accueillis au restaurant au retour de leur manifestation. Nous commençons à observer là un pattern, et nous pencherons certainement avec une plus grande attention sur cette préoccupante complicité locale lors des prochaines mobilisations dans le secteur frontalier.
Pas un pour rattraper l’autre…
Après le fiasco de la Vague bleue à Trois-Rivières, le petit milieu national-populiste qui se regroupe autour de GSP vient de nous donner la preuve que ses membres ne sont guère mieux que leurs rivaux des Gardiens du Québec, allant même jusqu’à donner une belle tribune à un néonazi pourtant très connu!
Pour la petite histoire, avant le rassemblement du 24, Lucie Poulin avait brassé de la marde dans le milieu en s’attaquant à John Hex, le principal organisateur de la Vague bleue, ainsi qu’à Storm Alliance pour n’avoir pas immédiatement endossé son initiative. Sa critique a été reprise par Robert Proulx et Sylvain Lacroix de GSP, qui étaient encore effarouchés de s’être fait dire par les organisateurs de la Vague bleue de ne pas venir à la deuxième édition de la VB à Trois-Rivières en tenues paramilitaires (d’où le commentaire de Proulx ci-dessus); en réponse Éric Trudel, le chef de Storm Alliance, s’en est mêlé en disant que « les Storms » ne retourneraient plus à la frontière, tout en soulignant que les individus derrière la manif du 24 sont les mêmes qui sèment toujours la marde partout.
Pour ce qu’y en est de La Meute, cette organisation en crise permanente et saturée d’hypocrites, Wolfric Oullet (le bras droit du grand chef Sylvain Brouillette) a pris la peine de critiquer les anciens membres et « dissidents » qui s’étaient joints à la manif : « Asti de gang d’imbéciles vous este pas digne de porter et de véhiculer notre Nom et Nos couleurs apres les avoir brûlé et avec ce que vous en faite maintenant shame on you all bande de cave ».
Ce à quoi nous assistons actuellement au Québec est une remontée à la surface de tous les pires éléments du fin fond fangeux de l’extrême droite, dans un contexte où les deux principales organisations actives depuis quelques années, La Meute et Storm Alliance, sont en retrait. Toutes sortes d’individus un peu moins habiles et plus francs dans leur racisme profitent de ce repli pour se mettre de l’avant.
Une situation à surveiller.
[i] Le poste frontalier de Lacolle est devenu un endroit prisé pour l’extrême droite dans son opposition à l’immigration. Un grand nombre de migrant-e-s traversent la frontière au Chemin Roxham, tout près du poste frontalier, pour fuir une situation de plus en plus répressive aux États-Unis. Comme le régime Trump a refusé de renouveler divers accords permettant aux gens de rester légalement dans ce pays, les gens viennent au Canada dans l’espoir d’y trouver refuge. Cependant, en raison de l’hypocrite et meurtrier « Accord sur les tiers pays sûrs », ces personnes sont refusées si elles se présentent à un poste frontalier régulier. C’est pourquoi iels sont obligé-e-s de traverser à un passage irrégulier. Roxham Road est ainsi devenu l’un des plus importants (et le plus célèbre) de ces points de passage.
Plutôt que de reconnaître la situation à la frontière pour ce qu’elle est — la pointe de l’iceberg d’une crise humanitaire mondiale alimentée par les guerres impérialistes, la destruction écologique et le racisme —, les organisations d’extrême droite s’accrochent à la question de ce qu’elle appelle « l’immigration illégale » pour attirer l’attention des médias et attiser les sentiments et comportements racistes. Il est important de noter que selon l’Association du Barreau du Québec, il n’existe pas d’« immigration illégale »; ce n’est pas une catégorie juridique. L’emploi du terme « immigrant-e-s illégaux » est une déviation discursive pour laisser entendre que les réfugié-e-s font quelque chose de mal ou sont des criminels.
Good Night Atalante
Soumission anonyme à MTL Contre-info
Dans la nuit de lundi 12 aout 2019, trois membres d’Atalante Québec ont été attaqué.e.s.
Atalante est un groupuscule fasciste dont les membres ont pris part à de nombreuses agressions dans les dernières années (à commencer par l’attaque au couteau de la Coop L’Agité à Québec). Ce groupe s’inspire de CasaPound en italie et de Bastion social en france afin de tenter de faire revivre l’idéologie fasciste. Ses membres sont antisémites, homophobes, transphobes et colonialistes. Ils ne passeront pas.
Roxanne Baron et Jonathan Payeur ont eu leur jeep détruit (fenêtres brisées et du jus de moufette déversé à l’intérieur).
Jean Mecteau a eu son domicile et son tattoo shop vandalisé (grafitti NAZI SCUM et 161 (Action Antifasciste) et de la peinture noire sur sa porte et ses fenêtres).
Pourquoi eux ?
N’importe lequel des membres ou des sympathisants d’Atalante auraient pu etre visés. Cette fois ci, c’est tombé sur ces trois ordures là.
Roxanne Baron et Jonathan Payeur sont des membres des Québec Stomper, le gang de rue associé à Atalante. Jo est également un ancien skinhead antiraciste qui est passé du mauvais coté. Aujourdhui il se considere comme le sergent d’arme d’Atalante, c’est lui qui a accompagné Baptiste Gilistro et Louis Fernandez, deux jeunes recrues, lors de l’attaque du bar le Lvlop en décembre 2018.
Jean Mecteau est bassiste dans le band Légitime Violence, le groupe phare des fascistes de la province. Il est aussi propriétaire du salon de tatoo Jhan Art et il est fréquent qu’il réalise des tatoos aux références nazis ou fascistes pour ses ami.e.s.
Cette action est en solidarité avec toutes les victimes de l’extrême droite, à Québec, Hamilton, Montréal, Lyon et partout ailleurs.