Montréal Contre-information
Montréal Contre-information
Montréal Contre-information

Mise en pratique

 Commentaires fermés sur Mise en pratique
Juil 202017
 

Pour l’article complet (en anglais) voir ici

Nous désirons répondre par nos idées au texte Mise en Commun qui a circulé récemment. Ce dernier critiquait les projets et perspectives insurrectionnelles à Montréal en général. […] Mise en Commun se réfère et fait réponse à quelques douzaines d’actions, d’attaques et de petites manifestations qui furent organisées dans les quartiers Hochelaga et St-Henri par des anarchistes l’an dernier (la multiplication de ce type d’initiatives persiste depuis maintenant plusieurs années).

Ces actions auxquelles nous ferons référence impliquent surtout la destruction de devantures et de marchandises de commerces ou des dispositifs qui contribuent à l’embourgeoisement : des commerces yuppies, la police, des bureaux de promoteurs immobiliers, des voitures de luxe et des caméras de surveillance. La plupart de ces actions ont été revendiquées par des communiqués publiés sur le net ou imprimés et distribués en tracts (parfois éparpillés au le sol sur les lieux de l’action) offrant une explication de comment elle a été perpétrée et la situant dans son contexte particulier. Des actions revendiquées, il y en a depuis longtemps, mais il y eut un sommet de leur fréquence en 2016.

Nous observerons les contextes dans lesquels ces actions prirent place au cœur de quartiers sous tension face à l’embourgeoisement, qu’est-ce que cela signifie pour des anarchistes ayant l’intention d’intervenir et à quoi croyons-nous que cela ait contribué. À travers ces fondements, nous inciterons les questions de la communication et de l’intelligibilité, des mouvements de masses, de l’intervention anarchiste, de la stratégie, de l’isolement, de la spécialisation et de la répression. Nous offrirons ensuite quelques propositions quant à une lutte multidimensionnelle et combative contre l’embourgeoisement, et sur d’autres luttes que la nébuleuse anarchiste montréalaise pourrait poursuivre.

Intelligible pour qui ?

« Pour avoir une résonance, nos actions doivent être communicables, elles doivent faire du sens pour autrui, elles doivent être intelligibles. »
– Mise en Commun

Nous sommes clairement en accord avec une part de ce commentaire. En agissant, l’une des premières considérations qui nous vient en tête est de savoir comment nos actions seront comprises autant par les compagnons que par quiconque en prenant connaissance. Nous voulons néanmoins être explicites quant à ceuzes envers qui nous souhaitons être intelligibles. Nous voulons d’abord communiquer avec de potentiels complices. Des gens pour qui voir ou entendre parler d’une action fait résonner en elles et eux le besoin de saper ce qui rend leurs vies misérables, des gens qui veulent se battre. Nous ne cherchons pas à être intelligibles pour l’autorité. Nous ne parlons pas leur langage et ne le voulons pas – nous ne recherchons pas à nous adapter à leurs paradigmes dans le but d’entrer en dialogue. Nous voulons les détruire.

Même lorsque les actions parlent d’elles-mêmes (certaines plus clairement que d’autres et c’est bien ainsi), on ne peut jamais compter sur les médias de Gauche ni sur les médias de masse pour diffuser nos idées – le but de ces médias n’est pas de communiquer des idées, mais de solidifier leurs propres visions dominantes du monde en incorporant nos idées et nos actions dans leurs narratifs. Il nous est nécessaire d’utiliser nos propres canaux de communication afin d’être sans équivoque sur ce que nous faisons, ce que nous voulons et pour ne pas être censuré.es.

Accompagner une action d’un communiqué peut aider à faire comprendre les intentions de l’auteur, à démystifier les moyens par lesquels l’action a été produite et à la lier à une lutte plus large ou à des objectifs stratégiques. Les communiqués de la plupart des actions auxquelles nous nous référons ont été publiés en ligne sur Montréal Contre-information, un projet local de communication autonome pour nos luttes anarchistes à Montréal. Évidemment, cette page web a souvent pour limite de n’être qu’utilisée et lue que par d’autres anarchistes. Semblant vouloir dépasser cette limite, ce projet produit des versions imprimables des communiqués pouvant ensuite être affichées dans la rue et diffusées sur des tables de distros, partagés entre nos maisons, dans la tentative d’ouvrir des canaux de communication avec des gens qui ne font pas usage de cet outil limité qu’est l’internet.

Le langage de la guerre et du spectacle

Mise en Commun critique les auteur.es d’un communiqué anonyme pour avoir « parlé d’un acte de guerre en revendiquant le vandalisme de cinq commerces… », les accusant de fétichiser certaines terminologies, d’être prétentieux.ses et d’accepter la mise en scène leur propre puissance. En général, lorsque l’on parle de guerre (du moins, d’une guerre dans laquelle nous pouvons être impliqué.es), on réfère habituellement à la guerre sociale ; c’est-à-dire à l’expansion du conflit dans tous les aspects de la vie, de la même façon que le font la domination et le capital en débordant le lieu de travail. Ce conflit social est inévitablement ouvert, chaotique et il comporte des possibilités d’accentuation exponentielle de complicités. Cette guerre est sous-jacente. C’est une réalité que l’on tente d’exposer à travers nos actions et par la propagande, bien que notre implication dans cette guerre n’en constitue qu’une fraction. Ceuzes qui ont agi ont aussi expliqué leur ‘acte de guerre’ par ces mots : « Nous ne laisserons pas ces boutiques s’installer en paix. Cette paix de façade n’est autre que l’invisibilisation de la guerre en cours contre les pauvres et les marginaux.ales. » Néanmoins, soyons conscients que ‘la guerre’ est aussi le langage dont l’État fait usage pour décrire le conflit. Les guerres incluent souvent des trêves et sont pensées dans des logiques standardisées alors que celle que nous menons est permanente et en dehors d’une conception militariste de la lutte. […]

Nous tenons également à complexifier ce que Mise en Commun avait réduit comme étant « la mise en scène de notre puissance ». Précisons que les conditions socio-culturelles locales actuelles, influencées par une éthique puritaine (dans les milieux anglophones), nous apprennent la modestie lorsque nos paroles nous viennent du cœur. Dans la société conventionnelle, il est permis à une certaine jeunesse de se penser au centre de l’univers jusqu’à ce que la réalité économique difficile et les rôles sociaux les obligent à s’y soumettre. Dans ce contexte, les gens préfèrent abandonner la gloire aux célébrités et à la lutte internationale, pour ensuite les fétichiser tel des objets. Ayant cela en tête, nous rejetons la pratique de la modestie et nous préférons contribuer en luttant activement contre ce qui nous détruit. Lorsque nous parlons fièrement avec le cœur, avec respect pour les actes dans lesquels nous avons projeté nos passions, nous ne pouvons qu’espérer normaliser l’amour de soi-même et de nos passions comme actes subversifs. Trouver des moyens d’interagir avec nos propres désirs sans intermédiaire est une démarche qui permet de retirer de l’importance au pouvoir du spectacle plutôt que de le renforcer. CrimethInc. est souvent critiqué ou ridiculisé pour valoriser ces qualités dans leur écriture, mais ils ont peut être compris quelque chose. La fierté est une limite lorsqu’elle devient un obstacle à l’auto-critique et à l’apprentissage, ou dans nos relations interpersonnelles. C’est plutôt là où nous préférons adresser cette problématique.

Les mouvements de masse et l’anarchisme populaire à Montréal

« … ça suffit d’être à l’arrache du contexte, à attendre une grève étudiante ou la construction d’un pipeline…Le contexte qui nous favorise, l’arène où l’on se bat, le territoire que l’on habite, c’est à nous de les créer. »
-Mise en commun

Non seulement nous sommes complètement en accord avec cette affirmation mais cette idée influence tous nos projets. Le temps d’agir pour la liberté est maintenant.

Mise en Commun poursuit en prononçant que « Ce n’est pas dans les mouvements sociaux qu’on la cherche [la puissance], mais bien dans les moments insurrectionnels ». C’est là où nous divergeons. Nous ne voulons pas remplacer le Grand Soir avec un éventuel moment insurrectionnel anticipé à l’horizon, remettant la lutte à plus tard une fois de plus. Même pour celleux qui croient que la puissance collective réside dans les futurs moments insurrectionnels, il reste significatif d’agir en dehors de ces moments dans l’objectif de s’y préparer, des fomenter ses bases. En donnant corps à notre praxis dans le présent, notre capacité d’intervenir dans de futures occasions (souvent inattendues) reste vive.

Mise en commun se contredit entièrement en mentionnant seulement la grève étudiante de 2012 comme exemple concret d’un moment insurrectionnel. Avril et Mai 2012 est considéré comme un moment insurrectionnel « non pas seulement dans le sens que ça pétait tous les soirs, mais au sens où nos relations étaient définies en fonction de, par et pour la grève. »

Nous ne sommes pas d’avis que la grève étudiante de 2012 était un moment insurrectionnel. Nous définissons un moment insurrectionnel comme la création violente d’un espace-temps faisant rupture avec les rôles sociaux et la norme. Si la situation est presque devenue incontrôlable par moments, ce n’est pas parce que la grève étudiante définissait nos relations. C’en est plutôt l’opposé ; c’est parce que la lutte a débordé au-delà des cadres d’une grève orientée par des revendications et une forte identité étudiante après que les lois répressives aient été appliquées. Même si nos capacités collectives de nous battre dans la rue s’accrurent avec créativité à différents moments, il y eut un manque au niveau de la diffusion d’idées incontrôlables et dans la subversion des rôles socialement assignés. Toutes ces vitres brisées et ces flics blessés ont été redéfinis avec succès en tant que militantisme réformiste. Le momentum a été récupéré par les politiques électorales sans le moindre ébranlement. Lorsque l’on réfléchit à nos interventions durant ces mois de grève, notre principale auto-critique est que nous n’avons pas mis assez d’énergie à engager la lutte au niveau des idées anarchistes pour leur donner de la pertinence dans la situation.

Il serait abruti de dire qu’aucune puissance libératrice ne fut ressentie durant ces moments. Mais il serait dramatique de ne pas admettre que nous avons trahi.es nos complices potentiels et nous sommes trahis nous-mêmes en mettant nos perspectives radicales de côté afin de répondre à un sentiment d’urgence. Durant le mouvement de 2012, il était inconfortablement clair à quel point les visages des soi-disant masses étaient blancs dans une ville très multi-culturelle, dans une lutte se fondant sur un discours de classe, alors que des libéraux gauchistes klaxonnaient dans leur Mercedes pour appuyer celleux désobéissant aux lois répressives dans les rues. Les politicien.nes du privilège pourraient analyser une telle réalité et refaire les mêmes erreurs encore une fois; en affirmant que nous devons mettre nos désirs de côté pour privilégier des revendications qui ne feraient que renforcer le contrat social libéral (avec ses droits, ses privilèges et son impuissance), l’amenant au-delà des standards du cadre de la suprématie blanche. Si nous nous prenons au sérieux en tant qu’anarchistes et que nous parlons d’une ‘culture de lutte’ à partir de notre perspective et non de celle de politicien.nes, tenons des positions ayant moins de compromis.

Dans certains moments, des actions menées et revendiquées par les anarchistes ont aliéné et rendu impossible la collaboration avec la Gauche. Dans un certain sens, cela est désirable. Nous croyons que la construction d’une culture révolutionnaire de lutte nécessite, non pas de nous aliéner chaque gauchiste en ville, mais plutôt de saboter l’emprise de la Gauche sur les luttes. La Gauche est l’un des principaux moyens par lequel plusieurs luttes incontrôlables antérieures ont été récupérées, en canalisant leur énergie dans une médiation avec les autorités et en dissimulant le conflit sous couvert de réconciliation. Les anarchistes devraient considérer la Gauche en tant que barrière aux perspectives et aux pratiques de libération. Une certaine forme d’anarchisme aux penchants populistes hérité de la Gauche (dans le cas de Montréal, des organisations militantes étudiantes) est selon nous l’un des plus grands obstacles aux projets anarchistes montréalais.

Il nous semble que ces anarchistes prennent la voie plus ‘populaire’ parce qu’illes veulent que leurs projets soient socialement légitimes ‘pour le public, pour les gens, pour les non-anarchistes, etc.’ On apprend aux individus dans la société à se sentir valides à travers la reconnaissance de quelque chose qu’illes admirent, qu’illes perçoivent plus puissant qu’euxlles-mêmes. Tout le monde est sensible à cela et c’est en partie pourquoi l’autorité existe toujours. Ce n’est pas seulement la faute du maître. Tout le monde joue un rôle dans la hiérarchie. Plutôt que d’essayer de détruire les racines de la domination à la base, le populisme et la Gauche exploitent et utilise cette faiblesse humaine dans le but de créer un mouvement. Il en résulte la reproduction de relations sociales dans lesquelles une personne agit principalement par peur d’exclusion si elle ne suit pas la vague. C’est aussi une façon par laquelle la répression fonctionne. Chaque individu a peur d’être arrêté car cela signifierait d’être humilié publiquement ou isolé en prison. Avec ce piège qui nous limite, la pacification gagnera toujours.

Les compagnon.es qui s’inscrivent dans la logique de la légitimité normative accusent souvent celleux qui font des attaques directes de rendre leur projet impossible en ne se souciant point de cette légitimité du ‘peuple’. Les attaques ne sont pas valorisées en tant que contributions en vue de la construction d’un contexte. Cela propage l’idée que certains actes ‘ dangereux ‘ posés au mauvais moment peut détruire la croissance du mouvement. Cela a été vrai à Athènes, en Grèce, suite à l’incendie de Marfin Bank (où des employés sont morts dans un feu allumé par des anarchistes), mais à Montréal, il semble que le critère pour ‘dangereux’ consiste dans le fait de sortir des diktats de la légitimité normative, ce que nous considérons comme faisant partie intégralement de notre projet.

Rechercher une légitimité normative ne peut, à long-terme, qu’invisibiliser le conflit. Par contre, si nous pouvions répandre socialement des narratifs de légitimité liés à nos pratiques de façon à rompre avec les valeurs normatives, nous développerions de grandes capacités subversive. C’est le cas par exemple lorsque beaucoup de gens pensent qu’il est légitime d’attaquer la police ou d’occuper des bâtiments mais que ce ne l’est pas pour les flics de nous tirer dessus ou pour nos proprios de nous évincer. Il y a plus de possibilités quand il y a un appui social de nos actions et lorsque plus de gens rompent avec leurs rôles, participent à des luttes ou à différentes formes de pratiques illégales. Cela entre certainement en conflit avec la légitimité normative. Nous pouvons voir un exemple évident de comment ces logiques sont irréconciliables quand nous observons comment la ‘violence’ dans les paradigmes normatifs est utilisée pour désigner quoi que ce soit ayant possiblement un horizon révolutionnaire. Il est tout aussi important que des compagnons mettent de l’énergie à argumenter en faveur de la légitimité de notre praxis autant que ce l’est d’expérimenter dans la praxis; pas avec les médias ou avec les politiciens, mais de façon horizontale, dans la rue, avec les voisin.es et en détruisant la légitimité des pratiques de l’État.

Malgré qu’il soit important de trouver des moyens d’interagir directement avec celleux à l’extérieur de nos milieux jeunes et souvent imprégnés de sous-cultures, on devrait éviter de focaliser sur l’organisation des autres en mouvement de masse pour nourrir notre sentiment de légitimité et plutôt nous organiser nous-mêmes en étant clair.es sur qui on est et ce que nous voulons quand on interagit avec les autres. La politique (et les discours manipulateurs basés sur l’omission qu’elle requiert) devrait être évitée lorsque l’on construit des fondements anti-autoritaires.

Nous croyons qu’une critique de la Gauche et du populisme peut amener d’intéressantes réflexions aux initiatives anarchistes sociales, comme Chlag.info, ayant organisé une assemblée contre la gentrification dans Hochelaga. […] Certains éléments hérités du modèle raté d’organisation que des anarchistes ont essayé d’appliquer pour mobiliser les masses d’étudiants dans une grève contre l’austérité semblent avoir été transférés vers une mobilisation de masse contre la gentrification dans les quartiers, dans l’objectif qu’un jour, des actions directes puissent s’inscrire dans un contexte de mouvement social. Ce modèle d’organisation fonctionne grâce à la politique : une logique de recrutement, remettre la lutte à plus tard et la création d’une campagne de mobilisation basée sur le plus petit dénominateur commun comme point d’unité. Que ça soit “Fuck l’austérité” ou “Fuck la gentrification”, les idées et les différences sont réduites à un programme politique conçu pour faire appel aux “masses”. Lorsque la lutte contre la gentrification (ou n’importe quelle lutte spécifique) offre l’opportunité de lier cette lutte à des perspectives anarchistes qui remettent tout en question, cette approche politique choisit plutôt de ne faire aucun de ces liens et de ne pas récuser les discours normatifs et respectables de la Gauche contre la gentrification.

Ce discours populiste a tendance à penser que de lier cette lutte à une analyse contre tous les gouvernements, la police, la colonisation et le contrôle sociale, etc., aliénera beaucoup de gens de cette éventuelle masse sociale et les détournera de la base de supporters nécessaire à une lutte fondée sur le ‘plus-petit-dénominateur-commun’. Lorsqu’on aborde la lutte avec un tel raisonnement, elle sera fort probablement limitée à des arguments progressistes […] Même si celleux qui mobilisent ont sans doute raison de dire que leur approche attirera plus de gens à leur ‘cause’, ils préparent déjà le terrain à la récupération en n’étendant pas leurs arguments vers des critiques anarchistes. Ils sacrifient la qualité pour la quantité. […]

La question à savoir le degré auquel des actions comme une assemblée générale populaire ou une grève de loyers peuvent nourrir une culture révolutionnaire (plutôt que de renforcer la Gauche) dépend de l’honnêteté avec laquelle nous faisons connaître nos intentions dès le départ. Cette culture révolutionnaire ne sera pas renforcée si on joue le jeu des valeurs de la social-démocratie, pour que les gens plus accoutumés à ces comédies de légitimité nous rejoignent. Nous entendons souvent des discours romantisant l’ « opacité » dans le cadre d’une lutte contre les structures de pouvoir (qui s’applique à quiconque se trouve hors de notre « milieu »). Au contraire, nous sommes d’avis que faire preuve d’honnêteté par rapport à nos ambitions et ne pas prendre les gens pour des cons nous mènera beaucoup plus loin que de cacher nos intentions derrière une façade d’organisateurs.trices communautaires responsables, de militant.es syndicalistes, ou autre. […]

La question de la “stratégie”

[…]
Pour penser nos objectifs et nos trajectoires, nous désirons proposer un cadre alternatif, des perspectives et une projectualité. Bien sûr, on devrait développer une analyse de notre contexte et de ses transformations, pour réfléchir les conséquences potentielles de nos actions sur ce contexte. Nous pensons aussi que cela peut permettre d’intégrer une dimension sur le long-terme à nos projets et perspectives. Le jargon insurrectionaliste nomme souvent ce concept ‘projectualité’. Nous pensons que la différence n’en est pas seulement une de langage, mais bien que les idées qui sous-tendent ‘stratégie’ et ‘projectualité’ sont profondément différentes.

Nous ne pensons pas que les conséquences de nos actes puissent toujours être prévues à l’avance, tel des déplacements qu’on fait en jouant aux échecs. Nos projets sont expérimentaux. Nous pouvons déterminer certaines intentions, discours et gestes, puis les engager sur le terrain social, sans avoir de certitudes quant aux résultats (que des suppositions éclairées par l’expérience). Il n’y a que nos propres actions que nous pouvons garantir. Il nous est ainsi possible de faire vivre des idées pour que d’autres s’en saisissent. Le fait d’être confrontés à des obstacles écrasants et peut-être sans espoir dans nos projets de libération, semble être la cause d’une telle recherche de certitude prédictive. On a besoin de sentir qu’on a du contrôle. Il est compréhensible, mais déplacé de croire que l’impact de nos actions sera prévisible si seulement on attend ‘le bon moment’ ou que l’on trouve la bonne forme de lutte.

Nous croyons que l’élaboration de visions stratégiques n’affirmant pas explicitement de perspectives divergentes mène à la centralisation ou à la bureaucratisation de l’insurrection. Des projectualités hétérogènes incarnent mieux l’éthique anarchiste puisqu’elles ne sacrifient pas les moyens pour les fins. Nos objectifs s’incarnent dans nos moyens : nourrir des projets qui rendent le terrain fertile à la propagation d’une combativité, qui alimentent l’auto-organisation, qui mettent fin au dialogue avec l’ennemi de classe ou qui diffusent les valeurs et les pratiques minant la domination et l’exploitation.

Mise en commun soutient avec condescendance que les actions en question n’ont pas contribué à ‘construire un pouvoir collectif’. On peut présumer que c’est parce que ces actions s’écartent de la vision stratégique de l’auteur. Pourtant, pour nous, après une simple lecture des communiqués des actions auxquelles Mise en Commun semble répondre, il est évident que les acteurs derrières certaines de ces attaques ressentent et sont en train de construire une telle capacité collective. Même dans le pire des scénarios où il semble que ces actions soient toujours faites par les mêmes personnes et où elles ne seraient pas contagieuses, au moins ces gens construisent un réseau combatif entre elleux. Et comme des idées subversives se font sentir dans la réalité, il est plus facile de se lier avec elles.

Nous voulons d’une lutte anarchiste qui soit expansive et que nos actions contribuent à imaginer des outils pour manifester notre mécontentement ou nos énergies créatrices en dehors des canaux réformistes. Même si nous ne croyons pas que cela répandra magiquement nos actions du jour au lendemain, nous pensons que ça aura un impact alors que la situation sera plus agitée.

Le texte ‘Signals of Disorder: Sowing Anarchy in the Metropolis’, publié en 2010, vante les bénéfices d’attaques régulières et visibles, menées dans des temps de paix sociale relative contre des symboles évidents de l’exploitation capitaliste. Selon l’auteur, des graines subversives sont plantées par ces actions dans la conscience des gens et lors des moments de rupture sociale, ils pourront y avoir accès et les cultiver. Bien que la plupart des gens soient en désaccord avec ces actions lorsqu’elles se produisent, lorsque les formes traditionnelles et valides d’activité politique se révéleront inadéquates, ils pourront adopter ces formes et en faire leurs propres outils. Pour illustrer cette théorie, qui est dans les faits le fruit inversé de la théorie de contrôle social de ‘la vitre brisée’, A. G. Schwarz utilise l’exemple de l’insurrection grecque de 2008 (bien que nous ayons vu, dans les dernières années, des tactiques anarchistes être adoptées par beaucoup d’autres gens lors d’insurrections de ce côté de l’Atlantique). […]

Une conséquence importante des attaques récentes contre des figures d’extrême-droite liées à Trump, ou quelques années plus tôt et à plus petite échelle, des attaques à Seattle qui visaient toute personne liée à des éléments gentrificateurs, c’est que les critiques anarchistes ont commencées à être prises au sérieux par les gens et, encore plus important, les pratiques naissant de ces critiques. […]

Sur l’ ‘illégalité’, la ‘spécialisation’ et l’ ‘isolement’

« Ce qui nous donne la puissance, ce n’est pas le niveau de préparation d’une clique d’expert.e.s en destruction. … Bon gré, mal gré, il nous faut avouer que s’il y a bien une chose que le pouvoir sait gérer, autant sur le plan du discours que celui de la répression effective, c’est une bande de potes qui s’isole dans l’illégalisme. »
– Mise en Commun

« Le point c’est pas de développer une « expertise » en destruction. Tout ce qu’il faut, c’est des marteaux, des crowbars, des roches pis de la peinture. Et avant ça, une petite idée de par où on arrive, par où on part, des masques pis peut-être des vêtements qu’on peut jeter. On se croise dans la nuit ! »
– Extrait d’un flyer déposé aux stations de métro Préfontaine, Joliette et Pie-IX ainsi qu’à la Place Valois en février 2016, le jour après l’action

Sans le pouvoir de la négation, nos luttes ne sont rien. Mais nous pensons aussi qu’une lutte qui se limite à l’attaque est condamnée à un conflit perpétuel qui ne pourra jamais véritablement détruire les systèmes qu’on haït. Bien que nos inclinations personnelles nous poussent à nous concentrer sur des projets destructeurs, pour pouvoir les soutenir et les renouveler, nous avons besoin de tailler des espaces d’autonomie dans nos luttes et nos vies, des infrastructures matérielles, des réseaux de solidarité et de support.

Les autorités tenteront inévitablement d’isoler les éléments combatifs d’une lutte. Celleux engagé.es dans ces formes de lutte devraient tenter d’éviter de renforcer leur isolement. On constate cela entre autres lorsque des anarchistes voient la négation comme étant l’unique contribution de valeur pour une lutte, renforçant la spécialisation ou agissant sans égard pour le contexte en ne souhaitant développer de relations qu’avec d’autres anarchistes à l’international. Cependant, la lutte contre l’isolement de ces éléments combatifs est aussi la responsabilité des anarchistes qui ont un focus plus social. Une intervention à ce niveau pourrait être de défendre publiquement les actions illégales, de refuser la fausse dichotomie entre les bons et les mauvais anarchistes et de ne pas cacher ses idées anarchistes pour s’intégrer “aux gens”. […]

Pour appuyer socialement les attaques, on pourrait lire des communiqués durant les assemblées populaires ou les citer dans les publications distribuées au porte-à-porte, toujours s’assurer de parler de la nécessité de l’action directe et du refus des canaux réformistes. Il pourrait aussi s’agir d’organiser l’occupation d’espaces populaires ou de bâtiments en coordination avec des gens prêt.es à les défendre. Par exemple, la série d’affiches-communiqués de Montréal Contre-Info offre la possibilité d’être activement complice de gestes inspirants sans qu’une telle complicité ne requiert de faire des actions semblables.

Le narratif selon lequel seuls les anarchistes attaquent doit être brisé. L’accessibilité et la reproductibilité de nos actions doit être mise en évidence par nos gestes, nos paroles et nos relations. Pour l’instant les actions qui se sont produites à Montréal autour de la gentrification dans les dernières années ne nécessitait pas une grande expertise technique. Briser des fenêtres ou même allumer des feux peut être extrêmement accessible. Tous les matériaux nécessaires peuvent être trouvés dans votre quartier. […]

Si agir illégalement est nécessairement spécialisé, nous sommes foutus. Mais, en réalité, nous savons que plusieurs formes de crime sont répandues. Nous savons aussi que les ressources et la réputation qu’exige les avenues légitimes sont incroyablement spécialisées. Nous ne dirions jamais que tous les projets anarchistes doivent être fondamentalement illégaux, mais l’illégalité n’est pas quelque chose que nous devrions fuir.

Notre critique de la spécialisation ne devrait pas se limiter aux considérations tactiques pour des luttes combatives. Elle doit aussi s’appliquer à nos vies en entier. C’est pourquoi nous rejetons l’identité du militant, de l’organisateur, etc.: ceux-ci se voient comme des spécialistes de la lutte. Pour nous, prendre part à la lutte fait partie intégrante du fait même de vivre, la lutte est donc tout simplement une partie de nos vies. Nous nous battons pour remplir nos besoins et non pas pour faire un sacrifice sur l’autel de la politique.
[…]

Répression

« Il faut se donner toujours un coup d’avance sur … la répression ».
– Mise en Commun

« Tu t’en vas en prison. Tu pourrais aller en prison pour quelque chose que tu es en train de faire ou pour quelque chose que tu as fait il y a longtemps. Tu pourrais être piégé.e et faire de la taule pour un truc avec lequel tu n’avais rien à voir. Même si tu n’as jamais enfreint une loi, tu pourrais tout de même aller en prison – le simple fait de lire ces lignes fait de toi un suspect. Plus il y aura de gens qui vivent servilement, avec obéissance, plus aisément le gouvernement pourra faire un exemple de la personne choisie.

Regarde les personnalités historiques que tu respectes, ou même tes ami.es. Si tu suis le même chemin qu’eulles, les chances sont grandes que tu ailles en prison toi aussi. Fait la paix avec ça. Imagine ton temps en prison, ce que tu y feras, comment tu passeras à travers. Tu peux aller en prison avec dignité ou tu peux y aller mollement, en aidant tes ennemis et en vendant tes ami.es. Tu peux aller en prison pour ce en quoi tu crois ou tu peux y aller sans raison, sans jamais t’être porté à la défense ni de toi-même, ni de quiconque.

Tu t’en vas en prison. Maintenant que tu le réalises, tu es libre. Tu peux aller en prison pour ce que tu veux, tu peux faire ce que tu crois être juste. Merde, si tu fais attention, tu pourrais ne pas aller en prison pour longtemps.

Si assez de gens comprennent cela, un jour il n’y aura plus de prison. En tant que personne qui s’en va en prison, tu comprends que ce jour ne peut pas arriver trop tôt. »
– Green Scared ? Leçons préliminaires du Green Scare

Mise en Commun laisse entendre que les implications négatives de nos actions (c’est-à-dire la répression) devraient être l’une des mesures à considérer dans notre ‘stratégie’. Ce discours est souvent utilisé pour justifier l’inaction. Bien sûr, des gens auraient pu et pourraient encore être arrêtées et des maisons pourraient faire l’objet de descentes. C’est toujours une possibilité. Cette possibilité est le pari nécessaire que nous faisons pour donner quelque force à nos luttes. Évidemment que la répression fait peur. Nous en avons tous.tes peur et nous pouvons nous entraider pour y faire face. Cependant il est crucial qu’un virage soit fait dans la manière dont les gens pensent et parlent de la répression. Idéalement cela doit être fait avant que cette peur ne se fasse sentir de manière plus significative, qu’elle puisse contrôler et donner forme à nos luttes jusqu’à les rendre méconnaissables.

Pour nous, la répression est une réalité inévitable de la lutte anarchiste. Notre but est de détruire l’État, l’économie et bien d’autres systèmes de pouvoir. Si nous agissons en fonction de cela, les autorités auront certainement pour réponse l’emprisonnement et les fouilles de nos maisons. Dans des endroits où l’État a l’apparence moins démocratique, c’est l’assassinat et la torture de celleux qui sont du côté des anarchistes qui advient.

Les gens feront face à de la répression et il n’y a aucune honte à se faire prendre. Nous ne pouvons pas choisir le moment où la répression s’abattra. Nous faisons face à un ennemi dont la capacité de détruire nos vies est immense. Par contre, cette peur ne devrait jamais être une raison de se distancer de ceuzes qui sont les plus à risque d’être ciblés par la répression et d’ainsi renforcer la division créée par l’État et les médias entre les bons anarchistes qui ont des opinions et des jardins communautaires et les anarchistes criminels qui brûlent des voitures et cassent des fenêtres.
[…]

La répression a pour projet de séparer et d’isoler celleux sur qui elle s’abat. En rejetant cette séparation, en ne jouant pas la mentalité de la justice du coupable-ou-innocent, nous pouvons exprimer véritablement notre solidarité les un.es avec les autres en rendant plus visibles les luttes de celleux qui font face à la répression.

Propositions pour une projectualité à Montréal

Le mot ‘projectualité’ est employé pour référer aux dimensions contextuelles et temporelles à long-terme de nos projets, de nos activités intentionnelles. Il s’agit de développer un rapport conscient et intentionnel à la projection de nos désirs et de notre force dans le monde et dans l’avenir, pour nous assurer que nos projets nous mènent là où nous le voulons et nous aident à en créer les conditions de possibilité. Appliquée à une lutte spécifique, cette intentionnalité est manifestée grâce à des interventions multiples au sein de cette même lutte. Ces dernières s’informent entre elles, à la fois dans leur continuité et dans leurs incessantes transformations, lorsque les interventions ont eu un impact changeant le contexte. Bien que ce texte place son focus spécifiquement sur les luttes contre la gentrification dans deux quartiers de Montréal, cette idée peut s’appliquer dans tout contexte de tension sociale ou de lutte contre un projet de domination. Nos batailles ne visent pas uniquement à détruire une seule manifestation spécifique de la domination capitaliste. Nous désirons aussi construire une capacité d’organisation autonome, alimenter et maintenir une tension autant que participer à répandre des pratiques combatives et des idées indomptables.

Malheureusement, nous ne pouvons pas être partout en même temps et nous devons choisir nos combats. Cela dit, les points de tension qui informent nos choix sont innombrables. Si nous pensons que la lutte contre la gentrification est un point de départ intéressant pour les anarchistes, c’est parce qu’elle a trait aux relations de pouvoir qui nous affectent dans la vie quotidienne : la police, les patrons, les propriétaires, et bien d’autres. Voilà une opportunité intéressante pour ancrer et donner de la consistance à nos projets subversifs, ce qui permettra de nourrir une lutte en continu et de donner de la force à long-terme à des pratiques d’organisation autonomes.

La constance de nos interventions dans cette tension leur procure une plus grande efficacité. Nous aimerions développer la capacité de contribuer par des activités anarchistes constantes dans un quartier au maintien de la tension, plutôt que de nous concentrer à faire de plus grandes attaques mais qui ne feront que ponctuer de grand temps morts. Cette activité constante est beaucoup moins vulnérable à la répression parce qu’elle est décentralisée. Hors des calendriers militants de ‘mouvements sociaux’, la constance combat la passivité cynique qui est la norme en temps de paix sociale. Les moments creux qui suivent les sommets des mouvements sociaux pourraient être moins dévastant si on y trouvait une base d’activité dans laquelle nous prenons une liberté d’action.

Quels projets pourraient contribuer à cette projectualité contre la gentrification? Comment nos cibles et nos méthodes pourraient-elles être plus créatives? Nous aimerions proposer quelques façons dont des anarchistes pourraient contribuer à une lutte multiforme et combative contre la gentrification. Nous pensons que ces initiatives pourraient se compléter entre elles et laisser lieu à différents savoir-faire, désirs et types de risques :

  • attaquer des bureaux de promoteurs immobiliers et favoriser l’hostilité envers ces derniers, les proprios et toute initiative de ‘revitalisation’ de la ville ;
  • apporter du soutien à des espaces autonomes et à des infrastructures telles des centres sociaux, des logements et des jardins occupés, pour remplir nos besoins en étant plus autonome face à l’État et au Capital ;
  • saboter la promotion et la construction de condos ;
  • développer des réseaux de solidarité pour se défendre contre les évictions, agir directement et collectivement avec des gens du quartier. Des compagnon.nes de St-Henri ont fait l’expérimentation d’un réseau de solidarité basé sur le modèle élaboré à Seattle. Illes ont eu pour principal obstacle le fait que la plupart des gens préféraient se référer à la Régie du Logement (le corps officiel où déposer des plaintes, contester des hausses de loyer et se battre contre les évictions). Nous désirons proposer l’idée d’un réseau de défense contre les évictions qui pourrait être utilisé par les gens que le système de ‘justice’ ne supporte pas ;
  • mettre en danger la propriété des yuppies pour que le quartier leur soit indésirable ;
  • trouver des gens hors de nos réseaux pour nous battre ensemble. Ceci pourrait prendre la forme d’une occupation temporaire de la Place Valois ou d’autres carrés populaires, pour distribuer de la littérature et de la nourriture, ou en temps de plus grande tension sociale, d’occupations permanentes. Ces connexions pourraient aussi se produire en organisant des assemblées populaires.
  • miner le contrôle social dans le quartier : dégrader ou détruire des caméras de sécurité, briser des tourniquets de métro pour rendre le passage gratuit et développer des relations avec vos voisins, s’assurer qu’illes ne parleront pas à la police si elle vient cogner à leur porte pour poser des questions sur vous ;
  • déranger les événements ou les avancées que la police ou la ville organise pour tenter de pacifier la situation ;
  • attaquer la police chaque fois que vous en êtes capables : dans les manifs autant que dans leurs fonctions quotidiennes ;
  • miner la légitimité des médias en les attaquant.

Bien que vandaliser les façades des commerces yuppies puisse fournir un contexte pour d’autres actions, nous ne pensons pas qu’il faille nous reposer excessivement sur cette tactique. Dans les dernières années, nous avons apprécié les quelques fois où l’intérieur des boutiques et leur marchandise ont été aspergées de peinture, puisque cela démontre un mépris fondamental pour la marchandise elle-même, et que ça a empêché le fonctionnement de l’entreprise attaquée.

D’un autre côté, nous devrions éviter de personnifier le capitalisme trop fortement dans la figure de gentrificateurs spécifiques, comme Corey Shapiro (un propriétaire de commerce du quartier St-Henri). Dans un contexte donné, si ces actions sont les plus fréquentes, elles courent le risque d’attirer l’attention sur les aspects flagrants et obscènes de la gentrification (sa façade, si vous voulez) sans en adresser les fondements.
[…]

Briser les limites des luttes spécifiques

Nous pensons que lorsque les anarchistes interviennent dans des luttes partielles, il est crucial de tenter d’étendre celle-ci à la lutte contre tous les systèmes de domination. Même si le pouvoir nous apparaît comme une totalité, nous battre contre lui n’est possible qu’en attaquant ses projets et ses manifestations spécifiques. Pour favoriser la solidarité entre les luttes et prévenir la récupération, il est important de lier nos luttes partielles aux systèmes totalisants. La lutte contre la gentrification doit être connectée aux luttes centenaires contre la colonisation des peuples autochtones qui se battent pour la souveraineté et l’auto-détermination. Même les luttes avec des objectifs, des formes ou des contenus différents peuvent se supporter mutuellement. Cela peut se faire à travers le partage d’apprentissages et de ressources, en attirant l’attention l’une sur l’autre, ou simplement en continuant à se battre contre les forces qui les perpétuent toutes : l’aliénation de nos moyens de survie, l’oppression raciste et patriarcale, et l’exploitation capitaliste. Voilà les ingrédients d’une solidarité révolutionnaire.

Un des problèmes qui survient continuellement dans la lutte contre la gentrification est la manière dont elle est séparée de la lutte contre le Capital et les autres systèmes de domination. Plusieurs se perdent dans cette vision étroite, à savoir ce que ‘gagner’ veut dire contre l’unique ‘enjeu’ de la gentrification. Ielles se battent alors contre elle comme si elle était isolée. Si nous aussi nous avons envie de revendiquer des victoires, nous voulons cependant élargir les critères qui les déterminent. Pour nous, nous ne gagnons que lorsque d’autres luttes et notre capacité future à nous battre sont renforcées. Si ‘gagner’ contre la gentrification signifie de renforcer la municipalité, l’État ou la Gauche, ce n’est pas une victoire, mais plutôt de la récupération.

Ni Montréal, ni Canada

Nous sommes inspiré.es par le texte ‘150, 375: vive les rebelles!’ publié récemment qui appelle à des actions de perturbation contre Montréal et le Canada dans le cadre des célébrations pour leurs anniversaires coloniaux. Nous pensons que cet appel souligne des opportunités pour une projectualité concertée entre les anarchistes habitant le territoire dominé par l’État canadien. Nous apprécions que le refus de l’État-nation en soit le point de départ. Effectivement, attaquer les manifestations spécifiques du projet génocidaire canadien correspond de près à la perturbation des fondements de la domination sur ce territoire.

Dans la seconde semaine de 2017, des anarchistes agirent contre ces anniversaires en bloquant avec des pneus en feu l’autoroute qui traverse Hochelaga à l’heure de pointe tôt le matin. Des actions comme celles-ci, ainsi que d’autres, peuvent permettre d’utiliser l’énergie organisée d’un quartier pour tracer des liens de solidarité entre celleux qui luttent contre la gentrification dans un certain secteur de la ville et celleux qui se battent contre le projet capitaliste colonial du Canada sévissant depuis bien avant notre époque. Nous ne désirons pas mentionner cela comme des paroles en l’air ni pour nous positionner comme allié.es. Cette position efface trop souvent nos propres raisons de lutter contre ce qui nous affecte énormément : que ce soit la vie quotidienne sous le capitalisme, en passant par les frontières et les autres formes de contrôle. La lutte entière est renforcée lorsque nous pratiquons une solidarité révolutionnaire active ou que nous luttons contre les dispositifs du pouvoir étatique et contre le contrôle des endroits où se déroulent nos vies.

Une solidarité qui détruit les frontières

L’élection récente de Donald Trump signale un changement de contexte au sud de la frontière. Nous avons pu y constater le durcissement de l’extrême droite et de l’activité fasciste. Dans notre contexte, on y trouve des échos dans l’assassinat récent de six personnes musulmanes à la mosquée de Québec par un supporter de Trump et dans la manifestation fasciste qui a réussi à prendre la rue avec succès pour la première fois à Montréal depuis des décennies. Si Trump se distingue de tout autre candidat avec sa stratégie de représentation, dans sa rhétorique et dans le fait qu’il ait nominé des personnes ayant des liens flagrants avec des groupes suprématistes blancs, il ne fait que rendre explicite un cauchemar qui était déjà présent. Mais cette présentation explicite a créé une rupture. On assiste maintenant à l’émergence d’un conflit social répandu contre les autorités, des fermetures d’aéroports aux émeutes dans les capitales de la nation, ayant pour horizon la possibilité de devenir ingouvernables.

La menace du fascisme rampant au Canada ne doit pas être ignorée. Il est dangereux que ces activités de l’extrême-droite soit vues comme exceptionnelles et indépendantes du projet fondamentalement génocidaire et xénophobe de ce pays. Alors, comment démontrer l’importance du combat contre la gouvernance en soi, que le Léviathan du pouvoir étatique utilise des discours d’extrême-droite, un multiculturalisme libéral ou la récupération gauchiste pour continuer l’occupation des terres volées et la domination des blancs et de la civilisation occidentale ? Une fois de plus, il faut nous battre localement et communiquer avec celleux qui se battent ailleurs. Lorsqu’illes nous voient, illes sont inspirées à continuer de se battre un jour de plus.

Essayons d’avoir un impact sur la capacité des gens aux États-Unis à demeurer ingouvernables à partir de là où nous sommes. Comment pouvons-nous perturber et bloquer l’économie américaine du côté nord de la frontière ? Où sont les valves de pétrole, les points stratégiques du système ferroviaire, et les autoroutes dont son économie dépend ? Comment pouvons-nous affaiblir la frontière canado-américaine, nous battre contre les déportations qui renvoient les gens aux USA et devenir une ressource pour celleux forcé.es à fuir ?

Mots de la fin

“ La gentrification c’est un processus du capitalisme et du colonialisme comme d’autres. Ça a l’air inévitable, et ça l’est peut-être, mais ça vaut tout de même le coup de lutter contre et de ne pas se laisser faire. Dans le monde insupportable dans lequel on vit, j’ai l’impression que ma vie peut juste trouver un certain sens si je me bats…Au mieux, le processus de gentrification va se déplacer ailleurs, si un quartier résiste. Quand même, lutter contre le capitalisme et l’État, ça ouvre des possibles qui ne peuvent pas exister autrement.”
– Defend the Hood, interview avec subMedia

Nous souhaitons que nos projets soient aisément communicables. Cependant, nous n’avons pas d’audience particulière en tête, qui soit généralisable, comme ‘le peuple’ (ou, à ce compte, tout autre sujet révolutionnaire), puisqu’on ne peut y voir qu’une audience passive prête à consommer des idées réduites au plus-petit-dénominateur-commun. C’est notre désir de nous battre et de remettre tout en question que nous désirons communiquer à de potentiels complices, avec lesquels nous pouvons construire des relations réciproques de lutte.

Une conception anarchiste de l’insurrection cherche à ce que des éléments anarchistes se diffusent et traversent une population à un moment donné, plutôt que d’être à la recherche d’une masse nombreuse. Ces éléments auraient pour base le rejet d’agents récupérateurs comme la politique (qu’elle soit grassroot ou institutionnelle).

Tout en reconnaissant l’inévitabilité (et la désirabilité) de différences ‘stratégiques’ et de désaccords à travers (et au sein) des milieux, nous cherchons une ‘mise en pratique’ hétérogène et décentralisée des expérimentations anarchistes à Montréal. Nous espérons que nos réflexions et nos critiques pourront favoriser la solidarité et des différences respectueuses, et qu’elle sera reçue avec ouverture et bonne foi. En ce qui a trait aux actions et aux projectualités jugées désirables, nous sommes intéressé.es à entendre parler des idées d’autres gens. Comment ces idées pourraient-elles contribuer à quelque chose qui les dépasse dans leur spécificité ? Comment les autres camarades pensent-ils que nos projets puissent se rencontrer ? Nous aussi, nous en avons assez d’attendre une grève étudiante ou la construction d’un pipeline’ et nous pensons qu’il est intéressant de ‘créer un climat d’insécurité dans le quartier en maintenant un certain niveau de vandalisme’. […]

La panique islamophobe du « Safarigate » : un faux scandale monté en épingle par des racistes notoires!

 Commentaires fermés sur La panique islamophobe du « Safarigate » : un faux scandale monté en épingle par des racistes notoires!  Tagged with:
Juil 062017
 

De Montreal-antifasciste.info

Plusieurs grands médias ont commencé à relayer et commenter une vidéo raciste tournée au Parc Safari (un zoo situé à 45 minutes de Montréal) et postée sur YouTube le 2 juillet dernier[1]. Le sujet de la vidéo, de prime abord tournée par une femme visitant innocemment le zoo ce jour-là, n’est pas particulièrement clair : on y voit une foule de vacanciers flâner sur la pelouse, une femme coiffée d’un hijab traversant la voie pavée, puis l’on y entend un enregistrement difficilement discernable émis par un système de son. Il n’y a rien là qui sorte de l’ordinaire pour quiconque est un tant soit peu familier avec la vie en société dans la plupart des grandes villes d’Amérique du Nord.

Pourtant, cette anodine vidéo de 47 secondes (maintenant relayée par de nombreux médias et sites Internet) a apparemment déclenché une vive controverse, puisqu’il montre des musulmans priant en public, et non seulement ça, mais diffusant la prière à l’aide d’un système de son. L’afflux de plaintes et de demandes d’éclaircissement a poussé l’administration du Parc Safari à publier une réponse officielle[2], laquelle explique que l’Association musulmane du Canada avait organisé une visite de groupe au zoo ce jour-là, qu’elle avait apporté son propre système de son portable et qu’elle avait en tout point respecté les règles du zoo. Comme l’expliquent ses administrateurs, le Parc Safari est « un lieu d’accueil pour tous, peu importe la nationalité, la religion, la culture, la langue et l’orientation sexuelle », et est « désolé que la liberté de religion ait pu offenser des gens ».

Jusque-là, l’affaire paraît plutôt simple, voire d’une banalité déprimante : une journée ordinaire dans cette société islamophobe, une autre affaire insignifiante montée en épingle par les médias pour raviver la polémique artificielle entourant les « accommodements raisonnables ». La seule chose qui sort de l’ordinaire ici est l’agréable surprise que procure l’excellente réponse du zoo.

En grattant un peu la surface, toutefois, d’autres éléments de ce fait divers méritent qu’on y prête attention.

Premièrement, qui a publié cette vidéo? Elle a initialement été versée sur YouTube par l’utilisatrice «guindon87» [3]; ce compte semble se spécialiser dans les vidéos antimusulmanes, comportant des images tournées par des membres des groupes d’extrême droite du Québec. Par exemple, l’une des plus récentes additions est une vidéo tournée par Sylvain Gallant, à Drummondville en 2016[4], où Gallant conduit sa voiture devant une mosquée et demande, « on veut-tu laisser faire ça à Drummondville, une mosquée!? Moé, en tout cas, j’en veux pas icitte! (…) on est en train de se faire envahir avec des ostie de mosquées icitte. On est rendu à trois, là. Moé, ch’t’à boutte en tabarnac! ». Cette vidéo a été introduite en preuve plus tôt cette année dans un procès pour incitation à la haine intenté contre Gallant, à l’issue duquel un juge l’a condamné à 200 heures de travaux communautaires et lui a interdit d’utiliser les médias sociaux pendant trois ans[5]. À l’extrême droite, Gallant est maintenant présenté comme un héros et un champion de la liberté d’expression persécuté pour ses idées. D’autres vidéos publiées par guindon87 défendent la récente parade de la Saint-Jean contre les accusations de racisme formulées à son endroit; deux autres vidéos attaquent spécifiquement un militant montréalais, notamment en proférant des insultes racistes[6]; et dans une autre vidéo on peut entendre la même personne appeler ouvertement au meurtre de militant-e-s antifascistes[7]. Il est impossible de dire si guindon87 est la personne qui a filmé la vidéo au Parc Safari, ou si elle l’a simplement publiée sur YouTube.

Le timing de la publication est également curieux. La veille de la publication de la vidéo, la petite ville d’Hemmingford a été envahie par des membres de l’extrême droite québécoise, alors qu’environ 60 personnes de groupes comme « Les Templiers » (lol) et La Meute ont répondu à l’appel du groupe anti immigration Storm Alliance à se réunir à la frontière pour se porter témoin des passages irréguliers des réfugié-e-s… et intimider ces dernier-e-s par la même occasion. Cette action anti immigration a été neutralisée par une turbulente contremanifestation organisée par Solidarité sans frontières, un groupe de défense des migrant-e-s basé Montréal[8]. Ce face-à-face s’est déroulé à moins de dix minutes du Parc Safari, où Storm Alliance avait en fait stationné ses véhicules. Bref, ce weekend-là en particulier, des militant-e-s d’extrême droite de partout au Québec s’étaient donné rendez-vous dans cette minuscule localité.

Un autre élément à considérer est que, une fois que la vidéo a été affichée sur Facebook par Audrey Tremblay, elle s’est rapidement répandue, de sorte que mercredi, elle avait été partagée 1 500 fois et comptait quelque 500 commentaires. Dans ces commentaires, non seulement peut-on trouver l’expression du racisme le plus abject, mais également des liens vers des groupes d’extrême droite comme La Meute. En fait, la vidéo a été spinnée avec enthousiasme par des membres de La Meute au cours des trois derniers jours. « Sue Elle » (de son vrai nom Sue Charbonneau), une membre de La Meute de Montréal, a partagé la vidéo sur les pages respectives du Mouvement républicain du Québec et du Front patriotique du Québec, avec un modèle de lettre de récrimination à envoyer au zoo, en encourageant les gens à se plaindre qu’on permette à des musulmans de prier en public. En même temps, André Pitre (alias Stu Pitt) s’est servi de sa chaîne YouTube pour faire mousser l’affaire, en établissant un lien sans fondement entre les musulmans qui étaient au zoo ce jour-là et les Frères musulmans, en expliquant qu’ils veulent établir un califat mondial et qu’un élément clé de la « conquête » musulmane consiste à humilier les populations visées. Dans l’esprit enfiévré de Pitre, qui prétend n’être rien de plus qu’un ardent défenseur de la liberté d’expression, c’est ce qui se passe lorsque des personnes de la communauté musulmane amplifient leurs prières à l’aide d’un système de son : ce sont des « envahisseurs » qui humilient leurs « victimes »!

Un groupe de musulmans priant en public ne devrait évidemment pas être un sujet d’inquiétude et d’anxiété, et ne devrait certainement pas faire polémique au point d’attirer l’attention des médias, pas plus que des chrétiens disant la bénédicité au restaurant ou des bouddhistes méditant au parc, ou toute autre manifestation publique de croyances religieuses dans une société multiculturelle. Néanmoins, il semble que nous vivions désormais dans un contexte où des exemples autrefois inoffensifs de groupes minoritaires osant vivre et prendre leur place en public sont devenus des questions controversées galvanisant une opposition raciste de plus en plus décomplexée. De triste mémoire, ce potentiel raciste a été harnaché par des politiciens de droite comme « de gauche » lors des débats entourant les accommodements raisonnables » et la prétendue « Charte des valeurs ».

Depuis le massacre perpétré par un fanatique d’extrême droite dans une mosquée de Québec, plus tôt cette année, un mouvement populiste national s’est mis en branle. Le rassemblement de Storm Alliance et de ses alliés à Hemmingford le 1er juillet n’est que la plus récente d’une série de manifestations publiques contre les immigrant-e-s et les musulman-e-s en particulier. Jusqu’à présent, La Meute (qui était présente en nombre le 1er juillet et fournit la majeure partie des militant-e-s sur le terrain) est clairement au centre de ce déferlement raciste.

Voilà le contexte dans lequel une simple visite au zoo, une histoire banale et sans réel intérêt, peut devenir un motif de discorde artificielle exploité par des démagogues au service d’un programme raciste.

 

[1] https://www.youtube.com/watch?v=AAY9FoHHjYY

[2] https://www.facebook.com/ParcSafari/posts/1555486877824473

[3] https://www.youtube.com/user/guindon87/videos

[4] https://www.youtube.com/watch?v=J_ksRxGtzn0

[5] http://www.journalexpress.ca/faits-divers/justice/2017/6/29/des-videos-hargneuses-contre-l-islam-le-mene-devant-le-tribunal.html

[6] https://www.youtube.com/watch?v=Ar3SiS37iVw

[7] https://www.youtube.com/watch?v=KDbbv9d4FDY

[8]  http://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1043061/immigration-hemmingford-manifestation-refugies

Qu’est-ce que c’est qu’un Justin Trudeau? Sur le nationalisme canadien et la paix sociale

 Commentaires fermés sur Qu’est-ce que c’est qu’un Justin Trudeau? Sur le nationalisme canadien et la paix sociale
Juin 292017
 

De NonAuCanada.info

Comme la plupart de gens, la politique canadienne ne m’intéresse pas vraiment. Ceci est vrai même pour celleux d’entre nous qui habitent le territoire contrôlé par l’Etat canadien. Surtout de ces jours, avec un clown maléfique à la tête du gouvernement américain, les yeux des gens au Canada sont plus ou moins rivés sur l’autre côté de la frontière. Aux rares moments où on pense un peu au Canada, c’est souvent juste pour faire les louanges d’un icône politique qui suscite la jalousie des progressistes du monde entier – Justin Trudeau.

On prend de petites pauses dans notre fixation sur la comédie Trump pour se sentir vaguement soulagés-es de voir un beau jeune homme marchant dans le défilé de la fierté gay ou de le voir faire des amis avec des réfugiés ou que la moitié de son cabinet sont des femmes.


Mais qu’est-ce que c’est, un Justin Trudeau? Quel est son rôle dans le projet capitaliste et colonial canadien? Quel est son rapport aux dix ans de gouvernement conservateur qui l’ont précédé? Et qu’est-ce que ça veut dire de s’opposer à un état mené par une telle personnalité politique?

Comme je viens de dire, je ne fais pas attention au Canada. Mais de la manière dont je vois les choses, la politique canadienne est définie par trois éléments: la comparaison favorable aux États-Unis, l’extraction de ressources (c’est-à-dire l’expansion coloniale) et les relations fédérales-provinciales. Commençons par jeter un coup d’oeil sur les derniers gouvernements à travers ce prisme.

Les prédécesseurs de Trudeau

Pour un petit survol des deux ou trois derniers gouvernements canadiens, pendant douze ans le parti Libéral de Chrétien/Martin a été construit autour d’accords de libre-échange néolibéraux. Ces accords ont permit une accélération de l’extraction des ressources au Canada pour un marché global et ont déchainé les sociétés extractives canadiennes sur tous les coins du monde. Chrétien et Martin ont équilibré le buget avec moins de compression de programmes que chez le gouvernement Clinton pendant la même période et ont évité la guerre en Iraq: ce qui voulait dire, pour nous autres avec les yeux fixés en permanence sur le spectacle américain, que Chrétien n’était pas si mauvais que ça (alors même que les gens combattaient le Zone de libre-échange des amériques dans les rues de Québec en 2001).

Ces mêmes industries extractives libérées par les Libéraux ont apporté les Conservateurs de Harper au pouvoir, surtout l’industrie pétrolière des sables bitumineuses en Alberta, suite à la fusion des deux partis de droite et la victoire dans leur sein des éléments les plus conservateurs. Il a redéfini le rapport entre les provinces et le gouvernement fédéral en réduisant des programmes fédéraux que les provinces ont souvent dû financer. La plupart du règne de Harper a eu lieu pendant les années Obama, ce qui voulait dire qu’il lui manquait la cruciale comparaison favorable avec les ÉU (quoique le Canada ait largement évité la crise économique de 2008, situation pour laquelle le gouvernement Harper s’est attribué le mérite).

Pendant les dix années où régnait Harper, une résistance de plus en plus puissante et bien organisée est sortie contre lui, poussée en avant par les nations autochtones à travers le pays qui ont organisé à une échelle impressionnante. Cette résistance était aussi caractérisée par la multiplication de liens entre les résistants-es autochtones, qui ont développé leurs habilités au cours de plusieurs réclamations de terres et la poursuite d’une autonomie territoriale au fil des décennies précédantes, et des colons anarchistes et d’autres de la gauche anticapitaliste (a preciser).

Notamment, cette résistance a pu empecher que l’huile des sables bitumineuses puissent atteindre un port par oléoduc, ce qui constituait une victoire majeure pour la résistance et un coup grave à la crédibilité du gouvernement Harper. L’identité nationale canadienne comme cela a existé depuis les années soixante-dix s’oppose à la base à la politique antagoniste menée par Harper et ses positions sur les questions sociales ainsi que son militarisme, son nationalisme et sa xénophobie. Des gens étaient prêts à regarder ailleurs pendant un temps au nom de la nécessité économique, mais cela a galvanisé de plus en plus de résistance lorsque Harper cherchait à mettre en oeuvre une politique de conservatisme sociale vers la fin de son mandat. Plusieurs gouvernements provinciaux ont aussi basculé à gauche pendant ces années, notamment la Colombie-Britannique, l’Alberta et (un peu) l’Ontario, en partie en réponse aux coûts associés aux programmes que Harper leur a abandonné, mais également pour récupérer la colère populaire.

Paix sociale, pour l’économie

Un regard sur ces deux gouvernements récents nous permet de mieux comprendre la mission de Trudeau. Le gouvernement Harper n’a pas pu aller aussi loin qu’il aurait voulu avec l’expansion des projets d’extraction de ressources car il n’a pas pu assurer les deux autres jambes du tabouret de la politique canadienne: la pression sur les provinces suite au replie du gouvernement fédéral et l’image de régression sociale par rapport aux É-U ont provoqué trop d’opposition. À la base, le mandat de Trudeau est de produire une paix sociale suffisante pour permettre une expansion infrastructurelle. C’est surtout important pour lui de construire cette paix avec les nations autochtones, où l’opposition tend à être plus engagé, expérimenté et capable d’agir dans des zones critiques loin des villes (car le Canada est hyper grand et moi et la plupart des autres anarchistes habitent une poignée de grandes zones urbanisées tout près de la frontière, loin des industries extractives tout-importantes).

Malgré son geste symbolique de s’excuser pour les écoles résidentielles[1. Les écoles résidentielles étaient établies un peu partout sur le territoire canadien à partir de la fin des années 1800 et le dernier n’a fermé ses portes qu’en 1996. Ces programmes ont vu des enfants de communautés autochtones (qui avaient d’habitude déjà été déposédées de leurs territoires traditionelles et envoyées sur des réserves) enlevés de leurs familles sans leur consentiment et déplacées près des zones urbaines où ils étaient interdits de parler leur langue ou d’engager dans des pratiques culturelles. L’essentiel de leur éducation s’agissaient de produire des travailleurs-euses manuels-lles obédients-es. Le nombre de morts provoquées par par les écoles résidentielles n’est pas connu à cause de la pratique d’enterrrement dans des fossées communes anonymes, mais au plus bas il est évalué à environ 10 000 morts et plusieurs écoles ont maintenu un taux de mortalité de 50% pendant des décénnies. Que les écoles s’engageaient activement à éliminer les cultures autochtones leur ont valu l’étiquette de pratique de génocide culturelle.] et le lancement d’une enquête, Harper a vu paraitre le spectre d’une insurrection autochtone pendant ses années au gouvernement. Cela est peut-être le risque le plus important auquel l’État canadien doit faire face et ça fait que les investissements infrastructurels paraissent moins sûrs, car l’Etat n’est pas en position de faire avancer les projets. Le rôle de Trudeau est avant tout la contre-insurrection – diviser, pacifier et fragiliser la solidarité afin d’isoler les éléments de la résistance qui refuseront tout compromis mais qui pourraient être vaincus.

Difficile d’exagérer le niveau de bonne volonté dont a jouit Trudeau cette dernière année pendant qu’il mettait en oeuvre son programme. Plus haut, j’ai dit que la définition de l’identité canadienne date des années 1970 – en effet, cela est largement dû au père de Justin, Pierre Elliot Trudeau, un des premiers ministres canadiens les plus influents. Justin Trudeau cherche à récréer cette identité culturelle canadienne positive pour, d’un côté, pacifier la résistance aux projets importants et de l’autre d’implanter une certaine forme de politique libérale (Libéral) parmi les habitants du territoire canadien, surtout parmi celleux qui sont arrivés-es plus récemment.

L’invention de l’identité canadienne

Tout nationalisme a pour base des mensonges et des récits imaginaires, mais au Canada, ceci est bien plus évident qu’ailleurs. On peut dire que l’identité canadienne était créée à partir de rien dans les années soixante et soixante-dix. Le Canada n’avait pas de drapeau avant 1965, on chantait « Que Dieu garde la reine / God Save the Queen » au lieu de « Oh Canada » jusqu’en 1980, il n’y avait pas de littérature ou musique canadienne à proprement parler (il existait de formes musicales régionales, mais l’identité littéraire et culturelle était surtout celle du Commonwealth Britannique). Le Canada s’est battu en rang avec l’Angleterre pendant les guerres mondiales mais n’avait pas de politique étrangère indépendante. Et il n’existe pas de cuisine canadienne à part quelques trucs volés des nations autochtones (le sirop d’érable) et quelques plats de pauvreté venus de Québec (la poutine).

Le Canada n’est qu’un vide, un effacement. Tout ce que signifiait le mot « Canada » jusqu’aux années soixante était la lente et méthodique génocide contre les peuples et cultures autochtones et l’exportation de ressources. Le projet de Canada se résumait à ça – et il s’y résume toujours, bien que Pierre Trudeau et son prédécesseur immédiat Lester B Pearson, également du Parti libéral, ont tenté de l’embellir.

Premier ministre de 1968 à 1979, Trudeau le premier a injecté beaucoup d’argent dans les arts et la culture pour produire une génération d’écrivains, de musiciens et d’artistes qui, diffusés par des médias d’Etat élargis, ont créé une idée de ce que ça veut dire d’être canadien. En ceci, il a pu s’appuyer sur des institutions telles que l’Office national de film du Canada (qui a vu largement croître ses opérations à la fin des années 60 pour que la culture officielle parvienne aux périphéries canadiennes) et le Conseil des arts du Canada (qui a géré une augmentation importante de financement destinée aux artistes pour la production de contenu à thème canadien au long des années Trudeau). La production de cette nouvelle identité canadienne était toujours aussi liée aux réssources naturelles (pensons à Gordon Lightfoot et ses chansons nostalgiques sur les paysages sauvages et vides ouverts par la voie ferrée), mais souvent présentée comme une appréciation d’une beauté naturelle vierge (la canonisation du Groupe des sept et d’Emily Carr).

À l’époque, ces investissements culturels avaient comme but de réduire le malaise régional contre une élite anglophone en Ontario qui paraissait souvent déphasée par rapport au reste du pays. La Loi sur les langues officielles de 1969 était la pierre angulaire législative d’une identité nationale fondée sur deux peuples, les français et les anglais, qui cherchait à mieux intégrer les francophones, surtout les québecois, dans l’identité canadienne tandis que la Révolution tranquille atteignait son sommet. C’était ça la carotte, mais Trudeau a également montré qu’il était prêt à se servir du bâton, car l’invocation de la Loi sur les mesures de guerre en 1970 qui ciblaient les nationalistes québecois et les communistes était l’arrestation de masse la plus conséquente de l’histoire canadienne jusqu’au sommet du G20 en 2010. Simultanément, Trudeau le premier voulait encadrer l’identité nationale qu’il s’affairait à produire comme étant en quelque sort « progressiste », ce qu’il a pu faire en s’opposant à la Guerre de Vietnam et en accueillant des milliers d’objecteurs de conscience américains, geste qui se reposait sur le changement d’image éffectué par Pearson (où l’armée canadienne est devenue une force de maintien de la paix) et en faisant évoluer les idées sur la race et l’immigration.

Elles étaient également les années de l’assurance santé universel (programme introduit par Pearson et mis en oeuvre par Trudeau) et l’élargissement massif des programmes de l’assurance emploi et soutien de revenu, tous les trois administrés par les provinces avec des sous du gouvernement fédéral. Les politiques redistributives de ce genre font donc partie intégrante de cette version de l’identité canadienne, ce qui voulait dire que les menaces de Harper contre l’assurance santé universal (en ouvrant la porte aux assureurs privés) et les importantes réductions budgétaires et le sous-financement de la sécurité sociale par les gouvernements Chrétien/Martin et Harper présentent à Justin la possibilité de se faire leur défenseur.

Au Québec, cette époque n’était pas entièrement la même et elle mérite sa propre analyse, ce que je n’essayerai pas ici. La renaissance culturelle francophone de cette époque mettait en avant une identité québecoise distincte, mais elle jouait sur beaucoup des mêmes thématiques et valeurs qu’au Canada anglophone et son rôle, de produire un sentiment d’unité autour des projets d’expansion coloniale, était quasiment le même.

Et l'(im)migration?

En 1971, Pierre Trudeau a également déclaré que le Canada adoptera une politique multiculturelle, ce qui rendait officielle qu’une partie de l’identité canadienne consistait d’accueillir d’autres pratiques cultures sur le territoire sans exiger leur assimilation aux normes dominantes (bien que la Loi sur le multiculturalisme ne soit signé qu’en 1988, grand nombre de ses éléments clés datent de l’époque Trudeau). Le bilinguilisme et la tolérance, les deux codifiés en loi, restent de bases importantes de l’image que souhaite projeter le Canada. Pendant cette période, le Canada a enlevé son interdiction de l’immigration non-européenne (la fin des années soixantes) et a partir de 1971 la majorité des immigrants qui s’installaient au Canada étaient d’origine non-européenne. Cependant, ils n’ont fait que remplacer une politique d’immigration ouvertement raciste par une axée plutôt sur la classe – la grille des points[2. La grille des points est utilisé par l’État pour choisir qui pourrait immigrer au Canada. Elle octroie des points à aux individus largement sur la base de traits fortement liés à sa position de classe, dont la richesse, l’immobilier, le niveau d’études, que leurs abilités soient jugés utiles et qu’ils-elles aient un emploi, et leur capacités linquistiques en anglais ou en français.].

La géographie du Canada lui permet un contrôle unique sur ses frontières et lui permet de sélectionner ses migrants. Le Canada, davantage peut-être que n’importe quel autre pays du monde, courtise les classes supérieures mondiales en les incitant à immigrer (un exemple connu serait les billions de dollars apportés par les immigrants venus de Hong Kong avant la réunification de l’île à la Chine). Des personnes considérées comme moins désirables seraient peut-être admises, mais se voient souvent assigner à une précarité à long terme par moyen de programmes tels que le statut de travailleur-euse étranger-ère temporaire et le système de visa, ainsi que par des purges fréquentes (comme celle qui ciblait la communauté Rom vers 2012). En 1978, le gouvernement Trudeau a formellement inscrit l’accueil des réfugiés dans la politique d’immigration canadienne et l’image du Canada comme réfuge sûr est également un élément important de l’identité canadienne positive de cette époque. Mais cette réputation de sanctuaire est très exagérée – plus de la moitié des migrants admis au Canada le sont pour des raisons économiques et puis encore un quart pour réunification familiale. Il n’y a qu’un part infime de l’immigration au Canada réservé pour les réfugiés, qui sont presque tous sélectionnés soigneusement à l’extérieur du pays.

Cette sélectivité et la politique de multiculturalisme sont souvent crédités pour le rapport moins conflictuel du Canada avec l’immigration, par rapport à des pays comme la France ou les États-Unis. Mais dans un contexte comme celui de Toronto, où plus de la moitié des résidents sont nés à l’extérieur du pays, l’Etat a un intérêt évident à assurer l’intégration dans l’identité canadienne dominante des nouveaux-lles arrivés-es et des communautés qu’ils-elles forment. Ces dix dernières années, les nouveaux-lles immigrants-es, qui viennent souvent d’acheter une maison dans des zones urbaines en pleine expansion, ont souvent voté contre les impôts et pour des politiciens conservateurs, ce qui a contribué à des phénomènes tels que Rob Ford[3. Au cas où vous êtes arrivés-es à l’oublier, Rob Ford est surtout connu pour la révélation qu’il fumait du crack pendant qu’il était maire de Toronto entre 2010 et 2014 et pour avoir agit en permanence comme un espèce de connard sexiste et raciste. Qu’il soit mort en 2016 n’empêche pas qu’il soit toujour objet de ridicule.] ou la victoire du Parti conservateur dans la région torontonienne en 2011. Harper acceptait leur soutien tout en stigmatisant les migrant-es pour gagner également le soutien des réactionnaires.

Justin Trudeau a intérêt de remettre en avant cette vision positive et multiculturelle du Canada pour raisons de politique partisane, mais aussi pour atténuer la possibilité de tensions régionales (entre la région torontonienne et le reste du sud d’Ontario; l’équilibre de pouvoir entre le français et l’anglais, et ainsi de suite) et pour éviter un mouvement anti-immigration qui pourrait menacer l’accès aux travailleurs qualifiés et de nouveaux capitaux venus de l’étranger. Pour tout le discours de Pierre Trudeau que « l’uniformité n’est ni possible ni souhaitable », l’identité canadienne multiculturelle est surtout une manière pour permettre à chacun de participer à sa façon à la destruction acharnée menée par le projet capitaliste et colonial connu sous le nom de Canada. Comme le Canada ne représente rien d’autre que le pillage, nulle pratique culturelle à part la révolte anti-autoritaire peut le menacer, alors tous les gouvernements depuis les années 70 ont continué la pratique de Pierre Trudeau de financer et soutenir des événements « culturels » au nom de l’identité canadienne.

Une vague de nostalgie

Une grande partie du charme de Trudeau est grâce à une nostalgie pour le Canada qu’il nous vend: un retour aux opérations de maintien de paix (au lieu des postures belliqueuses des années Harper); un multiculturalisme fier (après les conneries des conservateurs sur « les pratiques culturelles barbares »); socialement progressiste (surtout en comparaison à Trump); et le tout fêté par une industrie culturelle made-in-Canada capable de résister à la machine culturelle américaine. C’est ça l’image du Canada dont une partie majeure de ceux qui ont évolué dans les années 70 ont envie d’être fière.

C’est logique que les gens aiment l’assurance santé, veulent accueillir des immigrants et sont soulagés par des prises de positions progressistes sur des questions sociales. Les désirs qui font qu’on puisse soutenir ces politiques ne sont pas en soi le problème. Le problème c’est que tout ça fait partie intégrante d’un projet nationaliste qui veut nous faire voir l’état et l’économie canadiens comme en quelque sort bienveillants pour qu’on baisse notre garde contre leurs attaques.

Grace à la promotion d’une forme de nationalisme canadien développé par son père, Justin Trudeau espère colmater la nature coloniale du projet canadien et la violence économique quotidienne du capitalisme. Pas moins que Donald Trump (ou que n`importe quel autre chef d’État), Trudeau évoque un passé à moitié inventé, une époque où il y aurait eu moins de conflit social et ou le nationalisme pouvait nous donner bonne conscience. Cette forme de nationalisme est ce qui permet à Trudeau de réunir les trois éléments de la politique canadienne: une réduction de la colère populaire permet a l’extraction de ressources d’avancer; ses positions progressistes sur les questions sociales font qu’on a l’air enviable par rapport aux ÉU; et le réinvestissement dans les programmes sociaux et dans les infrastructures par un gouvernement fédéral moins opposé à l’endettement allègent la charge sur les provinces, ce qui cree moins de conflit et rend plus facile l’implémentation de l’agenda du gouvernement fédéral.

Je ne suis même pas au Canada, mais ça me fout la nausée comment Trudeau est arrivé à faire que c’est de nouveau OK d’être un Canadien fier. Je n’ai pas envie de me sentir bien par rapport au Canada. Je n’ai pas envie d’être un pion dans leur gentil projet colonial ni d’être un exclu, chassé des villes embourgeoisées et des rangs des travailleurs-euses productifs-ves – je veux rendre visible l’immense violence de l’Etat canadien et de son économie. Je ne veux pas remplir le vide nommé Canada par de petits mythes minables sur comment l’assurance santé et le multiculturalisme font qu’on n’a pas raison de se plaindre – je veux porter un regard honnête sur la situation et choisir mon camp dans le conflit. Je n’ai pas envie de la paix sociale offerte par Justin Trudeau, car la paix sociale signifie le statu quo – je veux me battre pour mon autonomie et l’autonomie des autres, avec des terres et de l’eau sains.

Au lieu de se dessiner une feuille d’érable sur la joue pour le 150e anniversaire du Canada, prenons le moment pour regarder la bête d’en face. La fierté que nous offre le nationalisme est fausse et nous empêche de trouver la vraie force qu’on peut construire ensemble lorsqu’on identifie clairement nos ennemis et qu on se prépare a passer à l’offensif.

L’invasion de commerces : une tactique pour combattre la gentrification?

 Commentaires fermés sur L’invasion de commerces : une tactique pour combattre la gentrification?
Mai 262017
 

Pour l’article complet (en anglais) voir ici

Cet hiver, j’ai visité la ville de New York, où j’ai participé à une manifestation vraiment inspirante de Black Lives Matter appelée la People’s Monday March. Illes utilisaient une tactique que j’appellerai l’Invasion de Commerces, qui permet à un petit groupe de gens de faire entendre un message politique de manière à ce qu’il ne puisse être ignoré.

La première moitié de l’article qui suit est tiré d’un compte-rendu que j’ai écris le jour après l’action. La seconde moitié est constituée de réflexions sur la manière dont cette tactique pourrait s’appliquer à Montréal par des anarchistes pour lutter contre la gentrification.

Je suis certain.e que nous pourrions adapter cette tactique, la mettre en pratique différemment que ce je propose ici, alors j’espère que cet article permettra de nourrir un brainstorming.

COMPTE-RENDU DE LA PEOPLE’S MONDAY MARCH – 9 FÉVRIER 2017

J’ai tendance à juger du succès d’une manifestation en fonction du sentiment qu’elle procure aux gens qui y participent. Est-ce qu’on en sort avec l’impression qu’on a fait tout cela symboliquement, pour la forme, ou est-ce qu’on a plutôt l’impression d’en sortir crinqués, prêt.es à se battre contre le pouvoir. Cette manif à NYC appartenait certainement à la seconde catégorie.

La People’s Monday March a lieu depuis plus de deux ans. Elle est organisée par le groupe NYC Shut It Down, un groupe multiracial dirigé par des personnes de couleurs. Depuis deux ans se tient cette marche issue d’un désir de maintenir l’énergie du mouvement de 2014 dont l’agitation a commencé à la suite du meurtre d’Eric Garner par la police. Chaque marche se tient à la mémoire d’une différente victime de meurtre policier. La première a eu lieu le 9 février 2015, et on m’a affirmé que, depuis lors, il y a eu une marche chaque lundi, sans faute, peu importe la température. Au début, chaque People’s Monday March débutait à la station Grand Central, mais au fil du temps elle a été organisée dans différentes parties de la ville. Parfois illes iront à Brooklyn, Harlem, Queens, etc. et alors une manifestation à l’ambiance militante aura lieu dans un quartier où elles se tiennent rarement. Une des réflexions derrière cette pratique est d’amener des gens du quartier à prendre la rue, ce qui semble avoir eu du succès.

J’ai participé à la People’s Monday March le 13 mars. À 7hpm, un groupe d’une trentaine de personnes s’est rassemblé dans le parc Washington Square en plein coeur de Manhattan. La marche n’avait pas de permis et l’itinéraire n’avait pas été annoncé à l’avance, ce qui n’a pas empêché le groupe de prendre immédiatement la rue. À travers la marche, NYC Shut It Down fait preuve de courage et a eu confiance en son propre pouvoir non seulement en désobéissant aux ordres policiers, mais aussi en contrariant la police en l’insultant de très près. Gardez en tête qu’il n’y avait pas une grande foule où se réfugier si un flic se pompait et décidait d’attaquer. Ces gens ont des gonades.

[…] Le groupe a d’abord envahi un bar, puis un restaurant fancy, puis une épicerie biologique Whole Foods où il y avait une longue file aux caisses.

Le but d’aller dans ces endroits est de forcer une audience captive à écouter un message politique. Pour ce faire, illes ont utilisé la tactiques du Mic-Check d’Occupy. Un.e porte-parole parle le plus fort possible puis tout le monde répète ses propos aussi fort que possible.

[…]
Que peut-on apprendre de cela? Soyez audacieux.euses. Soyez provocant.es. Ayez un message spécifique. Parlez fort. Dites ce que vous pensez. Et rendez tout ça social – après les People’s Monday, les camarades se rassemblaient pour socialiser dans un resto de quartier.

[…]

Il y a un élément rituel aux People’s March… ce qui est une bonne chose. Par exemple, chaque marche se termine avec la prière d’Assata. Les participant.es se donnent la main et chantent ensemble : « Notre devoir est de nous battre pour la liberté. C’est notre devoir de gagner. Nous devons nous aimer et nous protéger les un.es les autres. Nous n’avons rien à perdre que nos chaînes. »

Je pense qu’un rituel hebdomadaire pourrait contribuer à construire un mouvement. Des événements publics offrent l’opportunité aux gens de se rencontrer, et nous connaissons la lenteur avec laquelle les activistes accordent leur confiance. Les gens ont besoin de se familiariser aux autres avant de travailler ensemble. Un plus petit groupe permet plus facilement aux gens d’apprendre à se connaître.

[…]

UNE TACTIQUE POUR LUTTER CONTRE LA GENTRIFICATION?

Au début de cet article, j’ai dit que je pensais que cette tactique pourrait être intéressante dans la lutte contre la gentrification à Montréal. Ce que je veux dire, c’est que des anarchistes pourrait prendre l’habitude d’envahir des commerces gentrificateurs dans différents quartiers, comme St-Henri ou Hochelaga. Peut-être que ça pourrait se faire d’abord sur une base hebdomadaire, pour populariser la tactique. Si l’idée est bien reçue, peut-être que ça pourrait se faire à des moments plus impromptus. Par exemple, si une gang d’anarchistes sont au même endroit au même moment, pour un concert, un événement, une manif, etc. une invasion pourrait se produire quasi-spontanément. […]
[…]
Bien sûr, pour avoir du succès, un mouvement doit se doter d’objectifs atteignables. « Lutter contre la gentrification » n’est pas une stratégie. Un mouvement a besoin d’objectifs atteignables – d’objectifs mesurables. Faire fermer un commerce particulier est certainement possible – et honte à vous si vous doutez de moi! Comment allons-nous détruire l’État si nous n’arrivons pas à faire fermer une boutique de bobos?

Pour rendre la victoire imaginable, il n’y a pas de meilleure propagande que la victoire. La petite victoire que représenterait la fermeture d’un bar de hipster, un spa pour chiens, ou une boutique de luxe, donnerait aux participantes de la lutte anti-gentrification un avant-goût de leur propre puissance.

11 juin : La communication est une arme

 Commentaires fermés sur 11 juin : La communication est une arme
Mai 242017
 

Chaque flic a un secret : attaquer le pouvoir est facile

 Commentaires fermés sur Chaque flic a un secret : attaquer le pouvoir est facile
Mai 232017
 

11 x 17″ | PDF

Partout où il n’y a pas de flic – et ils ne peuvent pas être partout en même temps – il y a des banques, des condos gentrificateurs, des bureaux gouvernementaux, des caméras de surveillance, des murs blancs, et l’infrastructure du capitalisme (les chemins de fer, les autoroutes, les oléoducs, les projets de construction, etc.). Ceuzes qui attaquent ne croient pas que l’histoire ait un seul chemin, celui écrit par les autorités, celui vers une société de plus en plus contrôlée et morte. Autour de nous, la surveillance généralisée nous montre que les autorités ont peur du potentiel de nos actions pour vivre librement. En choisissant de nous révolter contre chaque chose qui nous empêche de vivre véritablement, nous pouvons contribuer à détruire ce monde imposé tout en en créant un autre.

Un monde où les gens sont libres de construire les réseaux et les relations qu’illes désirent pour répondre à leurs besoins, de manière commune et avec les autres, sans la coercition du capital. Où les prisons sont rasées et où le patriarcat, la police, les politiciens et les patrons sont choses du passé. Où les économies du don comme l’entraide et la solidarité dévastent l’esclavage salarié et la marchandisation de nos vies. Un monde où nous sentons que nous faisons partie de la Terre et que nous en dépendons, non pas qu’elle est à exploiter.

Un monde d’anarchie.

L’anarchie : What The Fuck?

 Commentaires fermés sur L’anarchie : What The Fuck?
Mai 222017
 

[Imprimer, bilingue, 8.5″x11″]

Les anarchistes s’opposent à toute forme de pouvoir qui opprime. Nous aspirons à un monde basé sur l’auto-détermination et l’aide mutuelle. Alors que le monde tends vers la tyrannie, la sûreté de nos communautés sera assurée par les actions directes de ceuzes qui en font partie. Si tu êtes prêt.es à agir sans attendre des ordres, tu es l’un.e des nôtres.

Les anarchistes sont de ceuzes qui regardent la réalité en face et désirent la transformer complètement : éliminer l’exploitation et la domination. Les anarchistes sont parmi les seul.es à offrir une vision claire d’une autre manière de vivre. En nous organisant dans des réseaux et des espaces communautaires à travers le monde, nous arrivons à nous assister les un.es les autres en répondant à des besoins de base et en construisant une capacité collective à nous défendre nous-mêmes. Dans les quartiers, les lieux de travail et les écoles, les anarchistes luttent contre l’embourgeoisement, contre la violence de la police, et contre l’exploitation tout en créant des infrastructures inclusives, créatives et alternatives pour la survie. À travers les biorégions, nous nous organisons pour protéger notre eau potable et la terre dont toute la vie dépend.

Les anarchistes voient que l’imposition du racisme, de la société de classe, de la nationalité, du genre et du patriarcat participent tous à la création d’un monde où quelques-uns possèdent tout et où, pour survivre, le reste est forcé à travailler pour eux. Un monde maintenu en place aussi par les institutions de contrôle direct sous la forme de la police et des prisons.

Les anarchistes reconnaissent que l’État nous attaque doublement. D’un côté, sous la forme du marché capitaliste et de l’autre, avec le massacre des peuples et de la terre depuis des centaines d’années. Les anarchistes sont de ceuzes qui en ont assez de tout ça.

Naturellement, les policiers, les politiciens et les riches décrient les anarchistes comme dangereux, et ils ont raison parce que si les anarchistes le pouvaient, tous ces rôles n’existeraient plus. Nos corps et nos esprits deviennent las alors qu’on nous intime de grandir, de taire notre rage, d’aller voter, d’attendre une autre décennie pour que les choses changent. Nos rêves et nos désirs aspirent au débordement, à quelque chose de différent.

L’anarchisme signifie autant la destruction les forces qui veulent nous garder à genoux que de trouver des ami.es, des amoureux.ses, des familles et des communautés pour nous appuyer les un.es sur les autres, avec une rage et une joie déliées. Les rues inondées par des danses et des rires durant l’émeute, le potluck qui laisse tout le monde repus, le centre social rempli de livres et d’idées, les amitiés basées sur l’affinité et la solidarité inconditionnelle, la fenêtre éclatée pour laisser passer la lumière de l’extérieur.

Dans un monde rempli d’aliénation et d’apathie, les anarchistes veulent agir en accord avec leurs idées. Les anarchistes sont ceuzes qui mettraient le feu à un bulldozer ou à une nouvelle maison de luxe plutôt que de laisser une forêt se faire raser, ou qui aimeraient mieux entendre le bruit de la vitre qui éclate plutôt que le discours d’un politicien. Déserter et désobéir à toutes les règles écrites contre nous, en squattant et en volant pour survivre, en rejetant les rôles qui nous sont assignés, comme bonne travailleuse, bon étudiant, bonne citoyenne, bonne femme, bon homme. Réécrire les fins habituelles, en supportant les prisonnier.ères plutôt qu’en les laissant disparaître dans l’isolement, en tabassant les violeurs et les homophobes plutôt qu’en subissant leur violence, en créant des formes d’amour qui nous donnent de la force plutôt que de nous contenir et nous limiter. Prendre le contrôle de notre environnement en faisant des graffitis sur les murs ou en occupant l’espace et en plantant des jardins. En nous armant de la capacité à créer un nouveau monde et en détruisant celui qui nous a été imposé.

L’anarchisme à Montréal

Pour une introduction de base aux valeurs anarchistes, tu peux aller voir « Pour tout transformer, un appel anarchiste », de même que d’autres textes d’introduction sur Millefolium, un projet anarchiste local de distribution de zines.

Montreal Contre-information est un site web local qui publie des nouvelles et des analyses à propos de luttes anarchistes à Montréal. On y retrouve une archive de contre-information incluant des flyers, des posters, des publications, des bannières et des graffitis. Il y a aussi une page avec des événements à venir à Montréal, de même que des guides pratiques pour toute personne qui veut développer des capacités pour l’action directe.

La Déferle est un espace social anarchiste à Montréal dans le quartier d’Hochelaga. L’insoumise est une librairie anarchiste au centre-ville.

Si tu veux en savoir plus à propos de l’anarchie en Amérique du Nord, tu peux visiter ces sites webs (anglophones) :

crimethinc.com – analyses anarchistes et ressources introductives
itsgoingdown.com – couverture de l’activité anarchiste à travers l’amérique du nord
sub.media – couverture vidéo de l’anarchisme (parfois avec des sous-titres français)

420 – Autant contre la légalisation que la criminalisation

 Commentaires fermés sur 420 – Autant contre la légalisation que la criminalisation
Mai 222017
 

Le texte suivant fait partie d’un zine ayant été distribué cette année au 4:20 de Montréal, accompagné de deux autres textes récemment publiés sur anarchistnews.org (A Lament for Criminality et Psychonauts Can Also Be Pirates : How to Do Drugs and Get Free). Un reportage de l’événement suivra prochainement, accompagné d’un pdf du zine pour que d’autres le distribuent ailleurs lors d’événements semblables.

J’aborde l’ « enjeu » de la légalisation du pot, et les espaces qu’il occupe principalement avec deux choses en tête :

D’abord, peut-être qu’avec le désir de montrer le sérieux de nos positions (ou parce que nous nous croyons trop cool?), il semble que nous ayons abandonné les espaces alternatifs non punk, queer ou hipster à la droite et aux libéraux. Ces espaces ont été dominés par des gens avec qui nous n’avons pas d’affinité en tant qu’anarchistes, mais dans lesquels participent (du moins modérément) toutes sortes de jeunes rebelles hostiles à certains aspects de la loi et l’ordre, et qui ne portent pas la « cannabis culture » comme l’identité stupide qu’elle est souvent. En tant que weirdo iconoclaste ayant tendance à bien m’entendre avec toutes sortes de gens, mais sans jamais vraiment être adapté à quelque part de particulier, je déteste la tendance des anarchistes à s’isoler volontairement.

J’ai toujours été dégouté par les éléments remplis de préjugés racistes et anti ouvrier.res (contre la classe des travailleur.euses) de l’aile droite du mouvement pour la légalisation du pot, qui domine largement là d’où je viens : Vancouver. Je veux intervenir dans ces espaces pour montrer à d’autres rebelles potentiels qu’il y a des chemins non-réformistes qu’on peut prendre, et qu’on ne devrait pas aspirer à une légitimité au sein des systèmes qui nourrissent notre misère et notre aliénation.

En l’honneur de tous les vieux ami.es et connaissances qui meurent à un rythme horriblement tragique avec l’épidémie de fentanyl dans le Lower Mainland en Colombie-Britannique, que ni l’aile droite du mouvement pour la légalisation du pot, ni l’aile gauche de ceuzes qui se concentrent sur des pratiques de réduction des méfaits ne peuvent adresser adéquatement. Ce qui est nécessaire, c’est un assaut total, à la fois contre l’État et les patrons qui nous ont laissés complètement disempoweré.es et isolé.es, vers une individualité libre et créative, basée sur des communautés rebelles, que le monde néolibéral a pour intention de détruire et d’effacer.

– Llud (Wreck/Black Banner Distro)

La « Guerre contre la drogue » n’a jamais commencé,
et ne se terminera pas avec la prohibition du pot

Une guerre fait rage depuis plus d’un millénaire. Beaucoup peut être dit à propos de cette guerre, mais généralement nous la résumons à la consolidation d’une force, de ressources et de la légitimité à travers la dépossession et la marchandisation de l’humanité et de la terre. Nous pouvons appeler cette guerre l’État. Cette guerre n’a initialement affecté que des petites parties du monde, autour des territoires contrôlés par des Empires variés comme les Incas ou les Égyptiens. Mais à présent, après plus de cinq cent ans de globalisation capitaliste, cette guerre affecte presque l’entièreté de la planète, laissant seulement quelques petites enclaves hors d’atteinte, comme en Papouasie ou dans la forêt Amazonienne. Des vagues constantes de domination et d’exploitation ont apporté des degrés de plus en plus grands de richesse et de contrôle aux puissants et une tragédie encore plus grande aux dépossédé.es. À travers ces processus, des gens ont été réduits à l’esclavage ou autrement exploités, des génocides ont été menés, et des écosystèmes entiers ont été réduit à leur composants chimiques.

Mais en quoi tout ça a à voir avec la « guerre contre la drogue »?

Puisque cette guerre a toujours eu pour fonction de dominer les peuples, les cultures, les animaux et les environnements qu’illes habitent, elle est aussi à propos du contrôle imposé sur les pensées des gens, ce qu’illes peuvent faire d’euxlles-mêmes, et ce qu’illes peuvent mettre dans leur corps.

Au Moyen-Âge, par exemple, certains éléments de la société européenne, particulièrement les paysan.nes, conservaient des aspects des cultures païennes, pré-chrétienne. Ces cultures mettaient l’emphase sur une forte connection à la nature, à la sexualité, sur des rôles genrés beaucoup moins rigides, une sexualité queer, où les femmes détenaient le contrôle sur leurs grosses ainsi que sur la prise d’herbes médicinales et de drogues psychoactives orienté vers des buts spirituels. Afin de gagner plus de contrôle sur les populations rebelles, les États européens ont mené des campagnes militaires, publicisées comme Croisades, et des Inquisitions sur des centaines d’années. Les gens qui avaient, ou dont la rumeur voulait qu’illes aient ces types de comportements, étaient jugé.e.s comme « sorcières » ou « hérétiques ». Ainsi, des milliers de personnes et particulièrement des femmes, furent torturées jusqu’à ce qu’elles confessent et soient brûlées au bûcher. Dans plusieurs cas, les frais de ces inquisitions étaient payés par les accusé.es, dont la propriété était saisie et divisée entre les juges et les accusateurs.

À l’époque, il existait également des terres libres qui n’appartenaient à personne, et qui étaient partagé.es par tous les paysans d’un secteur local, auxquelles ont référait comme « les communes ». Ces parcelles étaient utilisées pour récolter des herbes ainsi que pour des pratiques culturelles séparées de l’Église (dont il n’était possible d’appartenir qu’à une seule à l’époque). Les communes ont graduellement été avalées par la privatisation des terres à l’époque des Croisades et des Inquisitions. Ici, nous pouvons tracer des parallèles avec cette histoire et celle de l’héritage colonial du territoire que nous appelons « Canada ». Les langues et les cultures autochtones, qui avaient aussi de profondes connections à la terre et à sa vie végétale sauvage, ont été rendues illégales, envoyant de force les enfants autochtones dans des écoles religieuses, et auxquels on a appris à s’haïr eux-mêmes ainsi que leurs cultures. Tout cela coïncidant avec une dépossession massive de la terre des peuples autochtones, par l’État et les propriétaires terriens privés, autant qu’à travers la création de Parcs – c’est-à-dire des places où les gens peuvent visiter et observer la vie sauvage de laquelle ils ont été aliéné.es, mais où on leur interdit de vivre en faisant partie de la terre.

En observant spécifiquement l’enjeu de la marijuana, on peut voir que, tout autant que l’opium et la cocaïne, les lois qui en ont d’abord criminalisé l’usage faisaient partie d’un narratif ciblant les personnes chinoises, mexicaines et noires aux États-Unis, la même logique s’appliquant à travers la majorité de l’empire colonial britannique. Un élément clé de ce narratif raciste était la paranoïa avec laquelle la jeunesse blanche était amenée à des relations interraciales à travers l’usage de ces drogues, ce qui pouvait être vu comme une attaque contre la suprématie blanche.

La « guerre contre la drogue » n’a jamais été un enjeu purement local et, jusqu’à présent, a joué un rôle important dans la globalisation capitaliste. La « guerre contre la drogue » est une composante importante du capitalisme moderne, et rempli les prisons locales, de manière disproportionnée avec des personnes de couleur. Aux États-Unis, l’inondation des quartiers pauvres par le crack et l’héroïne fait partie d’une stratégie gouvernementale très bien documentée pour réprimer des mouvements sociaux rebelles. Dans des endroits comme le Mexique, où on fait souvent référence au gouvernement comme « narco-État », la « guerre contre la drogue » joue un rôle important pour terroriser les travailleur.euses et les paysan.nes. Les organisations paramilitaires jouent un rôle dans le processus entamé par l’Accord de Libre-Échange Nord-Américain qui dépossède les peuples autochtones de leurs terres utilisées en commun afin de les ouvrir à la culture de Coca pour produire la cocaïne, autant qu’aux cultures légales comme celle de l’avocat pour les marchés capitalistes globaux. Ceci a le triple effet de produire des profits pour les capitalistes, de garder les travailleurs.euses et les paysan.nes obéissante à travers la peur et la répression, et la délégitimisation ainsi que le refus d’accorder les ressources aux mouvements sociaux rebels.

Ceci est une situation désastreuse, et il est triste de voir la réponse qu’elle reçoit de la part du mouvement pour la légalisation de pot ici au Canada. Bien qu’il soit vrai que nous nous battons contre un ennemi gigantesque, et que cet ennemi ne puisse être attaqué qu’en partie, la vision réformiste étroite poussée par des gens comme Marc et Jodie Emery n’a pour effet que renforcer le système auquel nous devons nous opposer. Nous ne pouvons adresser de manière effective qu’un minuscule aspect de cette guerre, parce que le monstre que nous combattons continuera son chemin de misère et de destruction vers d’autres aspects.

Si le mouvement de légalisation du pot est victorieux par ses maigres buts, cela ne signifiera que de plus grans profits pour les corporations phramaceutiques et d’alcool, et pour quelques petits propriétaires de commerces (comme Marc Emery). Le reste d’entre nous perdra l’opportunité de revenus non-imposés, et notre weed pourra être régulé et rempli d’encore plus de produits chimiques que ce qu’il peut déjà être, la récolte d’une infinité variée d’autres herbes médicinales sauvages deviendra encore plus précaire alors que la terre continue à être pillée et empoisonnée par l’industrie, et le système carcéral trouvera toujours des raisons supplémentaires pour tuer et emprisonner les personnes de couleurs, autant que les pauvres et la classe des travailleur.euses, de la même manière qu’il en a toujours été. En combattant la prohibition, il est important de questionner la notion de légalité elle-même.

Il est important de souligner que tout en prévenant une plus large analyse du problème, le mouvement pour la légalisation du pot nous distrait en soulignant le pacifisme et un « moindre mal » ineffectif en faveur de divers partis politiques en temps d’élection, pour atteindre ses buts. Tristement, il souligne aussi une solidarité seulement envers les contrevenants « non-violents » de stupéfiants (ce qui veut dire des propriétaires blancs de classe moyenne), et nous sommes incapables de pratiquer une solidarité expansive à travers des actions – une solidarité qui prendrait en considération ceuzes qui ne sont pas des anges parfaits et innocents, ceuzes qui peuvent avoir des problèmes à survivre dans ce monde pour un million de raisons – qui pourrait réellement adresser le problème.

La guerre contre la drogue n’a jamais été à propos d’une haine mystérieuse contre une plante stupide, mais comme je l’ai expliqué, elle est une des manières fondamentales que le pouvoir nous a régulé pendant des centaines d’années. Avec cela en tête, nous pouvons comprendre que l’idée même d’une politique respectable et légitime renforce la prohibition. Les frontières renforcent la prohibition. Le racisme renforce la prohibition. Le sexisme renforce la prohibition. La prison renforce la prohibition. La propriété renforce la prohibition, et la notion même d’État-Nation renforce la prohibition.

Oui, il est important de se battre contre l’absurdité qu’est la possibilité d’être kidnappé par une police armée pour avoir fait brûlé une plante. Mais il est aussi important de briser et d’aider les autres à briser toutes les autres lois absurdes.

Cette guerre qu’est l’État n’a jamais été une victoire ou une défaite complète. La résistance historique à la domination a inclus des communautés esclaves en fuite (connus comme marons) qui s’organisaient et attaquaient leurs anciens maîtres, des communautés autochtones engagées dans des luttes à long-terme contre les colonisateurs; des femmes, des personnes queers et trans qui s’organisent pour se défendre contre des attaques et vivant des vies joyeuses à la marge d’une société qui veut les détruire; des jeunes et des contre-cultures qui prennent leur liberté en main, des femmes qui prennent le contrôle de leurs corps et refusent la logique du patriarcat, des travailleurs qui sabotent la machinerie qui intensifie leur soumission à l’économie, et une multitude d’autres formes.

Cette résistance continue sous plusieurs formes aujourd’hui. Il est important d’aider les gens à traverser les frontières illégalement. Il est important de se battre contre le système carcéral. Et il est important de briser et de généraliser un mépris pour les lois de propriété qui nous empêchent de nous loger nous-mêmes, et qui nous forcent à garder des jobs qui nous broient. C’est important parce que nos vies et un respect de soi et des autres est en jeu.

Guerre totale contre le marché et les hiérarchies!

Pot libre, vies libres et terres libres pour tous.tes!

Aux premières lignes de la bataille contre l’islamophobie

 Commentaires fermés sur Aux premières lignes de la bataille contre l’islamophobie
Mai 222017
 

Soumission anonyme à MTLCounter-info

Le 4 mars, un appel a été lancé par un groupe (probablement composé d’une seule personne) connu sous le nom de la Coalition Canadienne des Citoyens Concernés pour une série de manifestations islamophobes à travers le Canada. Les rassemblements étaient organisés contre le projet de loi M-103, une motion parlementaire condamnant l’islamophobie (au lendemain du massacre de la mosquée de Québec plus tôt cette année) décrite par le CCCC comme une attaque contre la liberté d’expression[1. M-103 est une dénonciation standard et peu remarquable par un politicien. C’est une motion non-contraignante qui appelle à la reconnaissance du problème du racisme et de l’islamophobie et à leur destruction, à la réalisation d’études et à la récolte de statistiques, et à la recherche de solutions, mais qui ne suggère rien de bien concret au-delà de ça.]. Le 4 mars, les rassemblements étaient déclarés officiellement « pour la liberté d’expression, contre la charia et contre la globalisation » et les directives internes invitaient tout particulièrement les gens à ne pas amener des signes de la « supremématie blanche » ou ouvertement racistes (ce qui ne les a pas empêchés de nous crier « traîtres à la race » ou de faire des saluts nazis).

L’islamophobe derrière le CCCC basé à Montréal, George Hallak, semble avoir adopté une approche du genre « lance le sur le mur et voit si ça colle », en créant des événements Facebook à travers le Canada et en publiant ensuite une demande sur le mur l’événement pour voir si une personne de la localité pouvait s’en occuper. Non seulement ça a eu du succès dans le Canada anglais – dans plusieurs villes, des racistes de différentes localités ont fait la rencontre les uns des autres et se sont aussi présentés la dite journée (même s’ils ont été généralement beaucoup moins nombreux et submergés par les antiracistes) – mais au Québec, l’effort a été pris en charge par les groupes d’extrême-droite de la province et a, ici, ouvert la possibilité du premier « coming out » coordonné et uni de l’extrême-droite.

Depuis maintenant plus de 20 ans, les forces radicales de Montréal – généralement menées par les anarchistes et les maoïstes – ont empêché chaque rassemblement public de l’extrême droite avec consistance. Une fois de plus, les forces s’étaient préparées à faire la même chose que par le passé. Malgré des températures très froides (-20ºC), un nombre de gens comparable à celui des multiples mobilisations antifascistes de 2016 (quelques centaines) s’est présenté, et certaines personnes étaient préparées à agir. Cependant, à la différence de 2016 où il y avait tout au plus une dizaine de racistes qui se pointait, cette fois, ils étaient plus de 100 avec leur propre corps de sécurité compétent, imposant et coordonné avec la police.

À Montréal, notre côté a eu le dessus de manière superficielle – nous étions plus qu’eux, quelques-un.es des leurs se sont fait frapper, certain de leurs signes et drapeaux ont été pris de force, la police était positionnée pour les « protéger » de nous et lorsque certain.es d’entre nous ont pris le dessus sur la police, les fascistes se sont éloignés pour finalement se disperser – mais ceci n’était en réalité qu’un échec pour nous. Pour se rendre au site du rassemblement, les racistes ont marché à travers le centre-ville. Une fois le contingent raciste arrivé, ils ont été capable de tenir leur position (protégée par la police) pour plus d’une heure en s’affichant de manière impressionnante (gros drapeaux, pancartes, etc.). Lorsque la police a été finalement débordée et que certaines de nos forces ont pu rejoindre les racistes, ces derniers ne se sont pas enfui, mais ont plutôt marché de manière ordonnée sous escorte policière jusqu’à leur point de départ, et de là se sont dispersés.

Ce que nous décrivons plus haut a été l’objectif de l’extrême-droite depuis des années, mais les groupes qui s’y essayaient (pour prendre un exemple récent, PEGIDA Québec l’a tenté à de multiples reprises en 2015 et 2016) étaient incapables de réussir – chaque fois, leurs forces étaient minuscules et ils avaient l’air minables. D’après ce qu’on a vu le 4 mars et d’après de nombreux compte-rendus, ils se sentent aujourd’hui bien loin de ça. Par le passé, pour chaque personne qui se présentait de leur côté il y en avait une dizaine qui affirmait sur les médias sociaux vouloir s’y pointer mais qui ne le faisait pas (par peur d’être grandement submergés et humiliés ou blessés). Pour cette raison, le fait qu’ils aient réussi à manifester pourrait vouloir dire qu’ils feront encore mieux la prochaine fois.

À Québec les choses étaient pires encore – ce qui est obscène, puisque c’est la ville où, il y a cinq semaines, une personne d’extrême-droite a tué six personnes et sérieusement blessé de nombreuses autres en ouvrant le feu dans une mosquée. L’extrême droite a mobilisé plus de 100 personnes, dont la majorité était d’âge mûr ou plus vieux encore, et qui n’était probablement pas du genre à vouloir aller jusqu’à la confrontation physique. Cependant, un plus petit contingent associé avec le groupe fasciste Atalante était aussi présent, et, à un certain moment, a donné l’impression qu’il cherchait la bataille. Étant donné le petit nombre d’antifascistes présent.es le 4, il n’est pas clair qui aurait été chassé de là si la police n’avait pas été présente.

(Afin de mettre en contexte la situation de la ville de Québec, il est à noter que la semaine précédent le 4, une grande manifestation anti-raciste a eu lieu ainsi qu’un festival anti-raciste ayant attiré de nombreuses personnes. La situation n’est donc pas due à l’absence de développement positifs sur le terrain, mais simplement que ces derniers ne se sont pas traduit en un équilibre de forces qui nous était favorable le 4, et ce pour une variété de raisons.)

Au Saguenay, au nord-est de la ville de Québec, il y a eu près de 100 racistes qui ont marché, avec à peu près à moitié moins d’antiracistes. Bien qu’en plus petit nombre, des forces similaires se sont unies dans les villes de Trois-Rivières et Sherbrooke.

Les événements du 4 mars ont été rendus possible à cause du travail organisationnel de l’extrême-droite autant qu’à un environnement social islamophobe malsain.

Les acteurs

La Meute a repris l’appel du CCCC à travers le Québec. Elle est une organisation d’extrême-droite ayant une présence massive sur internet (plus de 43 000 membres sur son groupe Facebook non-sécurisé) et qui attendait le moment où elle pourrait organiser un événement public majeur en dehors de la cyber-réalité.

Fondé en 2015 par deux ex-militaires, Éric Venne (alias Éric Corvus) et Patrick Beaudry, les premiers événements organisés par le groupe se sont tenus dans la région de la ville de Québec et de Saguenay. En août 2016 leurs flyers ont commencé à faire leur apparition sur les places publiques, et quelques semaines plus tard, Venne et d’autres membres ont perturbé un événement d’information organisé par un groupe de volontaires qui planifiait héberger une famille de réfugié.es syrien.nes.

Comme c’est souvent le cas pour de tels groupes, La Meute soutient n’être ni d’extrême-droite ni raciste, seulement contre la « charia » et « l’islam radical ». Plus encore, et procédant toujours dans même logique que plusieurs autres groupes semblables – mais pas tous, ils justifient partiellement leur opposition à l’islam suivant les termes qu’il serait sexiste et homophobe. Venne a même pris la peine de se présenter à la vigile du Village Gai de Montréal ayant suivi le massacre de juin 2016 au club Pulse à Orlando.

L’objectif déclaré de La Meute est de devenir une force politique d’importance au sein du grand public. Il demeure tout de même un groupe d’extrême-droite, même s’il n’aime pas être décrit ainsi. Pour reprendre les propos de Sylvain Brouillette (aka Sylvain Maikan) qui assure leurs relations avec les médias, « Marine Le Pen est beaucoup plus proche de nous que Donald Trump ». Comme ils l’ont montré le 4 mars, La Meute vise à attirer des gens allant de racistes conscients d’extrême-droite à des gens qui ne se considèrent sincèrement pas comme tel, mais qui sont motivés par une combinaison de désinformation et de peur des musulmans.

Le 4 mars a été un test important pour La Meute. S’ils avaient été battus, ça aurait été un revers majeur. Le groupe a obtenu beaucoup d’attention médiatique à cause de son grand nombre de membres Facebook, mais comme on le sait bien, c’est vide de sens en soi – en d’autres termes, pour eux, cette situation était de l’ordre du « présente-toi ou tais-toi ». Ils ont aussi été rejoints par de plus petits groupes (PEGIDA Québec, Les Soldats d’Odin), des boneheads, et d’autres qui n’arrivent pas à faire quoi que ce soit de public avec nombres réels à Montréal ou choisissent de ne pas le faire. Alors soudainement, tous ces petits milieux, avec une personne ici et là se sont unis en quelque chose que nous n’avons pas pu empêcher, sous la protection de La Meute. Certain.es supposent que beaucoup de gens ont dû se présenter de l’extérieur de Montréal, ce qui peut être vrai, mais ce qui n’est pas vraiment pertinent. En plus, puisqu’il y avait d’autres rassemblement dans d’autres villes, les forces de l’extérieur de Montréal auraient dû avoir moins d’importance que lors des mobilisations précédentes.

Et rappelons-nous : hors de Montréal, en fait, les manifestant.es antifascistes ont été submergé.es par les racistes.

La ville de Québec est la capitale de la province. Elle est plus petite, beaucoup plus blanche, et beaucoup plus conservatrice que Montréal. Plus encore, ça fait des années qu’elle baigne dans la propagande raciste des « radios poubelles », qui pointent les musulmans non-seulement comme une menace contre l’ « Occident », mais contre Québec en particulier, en des termes qui sont souvent impossibles à distinguer de ceux de groupes comme La Meute. Dans un contexte aussi favorable, plusieurs groupes d’extrême-droite ont été capables de se développer.

Outre La Meute, Les Soldats d’Odin est un autre groupe actif à Québec. C’est une organisation internationale née en Finlande et basée en grande partie autour de l’organisation de patrouilles de rue anti-musulmans. En 2016, le groupe a mis en place plusieurs chapitres à travers le Canada, incluant le Québec. En janvier 2017, leur organisation de Québec a été bouleversée par le remplacement de leur leader Dave Tregget par Katy Latulippe, une partisane de la ligne dure (depuis lors, Tregget a débuté un nouveau groupe Storm Alliance). Selon un article de journal récent, Latulippe « a promis de ramener la branche de Québec des Soldats d’Odin à ses racines finlandaises et à démarrer des patrouilles des zones les plus musulmanes de la ville de Québec. L’objectif, dit-elle, n’est pas d’intimider les immigrants musulmans mais plutôt de leur faire prendre conscience des valeurs du Québec. »

Un autre groupe notable – qui était aussi actif à Québec le 4 mars, aux côtés de La Meute, Les Soldats d’Odin et Storm Alliance – ebt Atalante, un groupe de la Troisième Voie comptant plusieurs boneheads et d’anciens boneheads (la promotion du groupe a été faire à des shows du groupe de musique Légitime Violence). Atalante fait partie de la tendance la plus clairement fasciste et consciemment raciste de l’extrême-droite du Québec, aux côtés d’autres groupes comme la Fédération des Québécois de Souche (plus présente dans la région du Saguenay) et La Bannière Noire (basée à Montréal).

Bien que petit, le groupe Atalante a été actif depuis sa fondation ; il a tenu deux manifestations publiques dans la ville de Québec, a organisé une conférence avec l’intellectuel d’extrême-droite italien Gabriele Adinolfi (lui-même un des fondateurs des politiques de Troisième Voie) et une messe catholique publique avec la Société de Saint Pie X (une secte romane catholique dissidente aux liens étroits avec l’extrême-droite internationale). Dans le cadre de son approche de troisième voie, Atalante a organisé des événements pour offrir de la nourriture et de jouets gratuits à des quartiers ouvriers – mais à des « néo-français » seulement.

À Québec, le 4 mars, bien que la masse de la manifestation était composée de La Meute, c’était Atalante qui semblait se positionner pour se battre contre notre côté à un certain moment. Ceci dit, leur relation à la montée anti-musulmans n’est pas sans nuance : dans une déclaration publiée sur leur groupe Facebook après la manif, ils critiquent l’étroitesse du focus sur l’islam, en disant que les ennemis réels sont le multiculturalisme, l’immigration massive et les systèmes « banksters », et condamnant comme inutile toute mobilisation qui s’en éloigne. Dans la même optique, ce jour-là, on pouvait voir écrit sur leur bannière une citation modifiée de Marx « Immigration – Armée de Réserve du Capital ». (Ce n’est pas la première fois qu’Atalante s’est fait un devoir de critiquer des racistes moins idéologiques – récemment, ils ont distribué des tracts à un lancement de livre du journaliste islamophobe populaire Mathieu Bock-Côté, appelant à une approche plus radicale.)

Contexte social

Au-delà de l’implication et du travail organisationnel des groupes d’extrême-droite, il y a des facteurs sociaux plus larges derrière la différence marquée de la manière dont le 4 mars s’est passé au Québec et au Canada anglais. L’islamophobie et la xénophobie sont généralement moins contestées dans la sphère publique au Québec qu’ailleurs au Canada, et la réponse de la gauche au racisme (depuis des générations maintenant) a été bien plus faible et moins cohérente que partout ailleurs en Amérique du Nord. Cela est dû au fait que le problème de l’identité nationale et du nationalisme québécois n’a jamais été neutralisé ni résolu de manière libératrice ici. Alors qu’en de nombreux autres endroits il y a une vaste part de la population n’étant pas de gauche qui est hostile à l’extrême droite parce qu’elle la voit comme étant en quelque sorte extrémiste, non-démocratique ou autrement peu ragoûtante (pour des raisons que nous ne considérerions pas de gauche, mais dont nous bénéficions toutefois passivement), au Québec cette partie de la population est bien plus ambivalente et peut balancer d’un côté ou de l’autre dépendamment de comment les choses sont présentées. Cela offre un plus grand bassin aux racistes organisés dans lequel aller faire du repêchage, et plus d’espace pour opérer au niveau des idées. Par exemple, ils ne sont pas toujours considérés comme « à côté de la plaque ».

Toujours est-il que ça vaut la peine de rappeler aux lecteurs.trices que lors de la période de la Nouvelle Gauche, les soi-disant « long sixties », le Québec était un pôle progressif du Canada, et le mouvement nationaliste du Québec était dominé par des forces progressistes. Bien que ce texte ne soit pas le lieu où se plonger dans une histoire étendue de ce qui s’est mal passé, certaines des racines du problème peuvent être retracées jusqu’à ce « point culminant », où une identification avec les forces anti-coloniales à travers le monde a mené bien des Québécois nationalistes à rejeter la possibilité que leur nation soit un oppresseur, ou que leur propre mouvement soit un véhicule de racisme. Il n’est pas rare aujourd’hui de voir d’anciens radicaux, des activistes de gauche et même des leaders de cette génération tenir des positions ouvertement racistes et d’extrême-droite. Ce qui diffère peut-être de d’autres contextes en Amérique du Nord c’est que ces individus ne reconnaissent pas toujours le fait qu’ils ont changé de côté.

En plus de ce qui précède, le massacre du 29 janvier, lorsqu’Alexandre Bissonnette (une personne d’extrême droite) a fait une fusillade dans une mosquée de la banlieue Ste-Foy de la ville de Québec, a véritablement encouragé l’extrême-droite. (La mosquée avait été la cible de vandalisme islamophobe à de nombreuses reprises par le passé, dont en juin 2016 lorsqu’une tête de porc avait été laissée sur son porche accompagnée de la note « bon appétit ».)

Alors que des milliers de personnes se sont réuni lors de vigiles après le massacre, et qu’il y a eu beaucoup de couverture médiatique à propos de l’islamophobie pour plusieurs jours, au Québec l’enjeu de l’identité nationale mentionné précédemment a fait en sorte qu’en une semaine, non seulement les néonazis et les fascistes, mais aussi de larges pans de la droite populiste nationaliste ont réinterprété l’événement comme quoi le Québec serait maintenant sous attaque par les « multiculturalistes » et les « islamistes » qui veulent « exploiter » la tuerie pour mettre un frein à la liberté d’expression, pour humilier et calomnier la ville de Québec en tant que raciste, etc. – tout cela parfaitement symbolisé par l’insignifiant projet de loi M-103. Ces personnes ont sincèrement senti qu’il y a beaucoup de racisme du Canada contre le Québec, et que tout discours sur l’ « islamophobie » n’est qu’un écran de fumée – et nous devons souligner que ceci est une position que la gauche n’a jamais neutralisée ici, même au sein de ses propres rangs.

Alors que le massacre du 29 janvier a été condamné par presque toutes les sections de l’extrême-droite, ce n’est pas une exagération d’affirmer que plusieurs voient la nation du Québec comme ayant été la réelle victime. Plus encore, l’attaque a été clairement encouragée et enhardie par d’autres forces de l’extrême-droite et par les racistes ordinaires, pas seulement au Québec mais à travers le Canada anglais aussi. Elle a été suivie par une série d’actes de vandalisme contre des mosquées, une alerte à la bombe contre les musulmans à l’université Concordia à Montréal, et des attaques renouvelées contre les musulmans dans les médias, particulièrement sur les radios poubelles.

C’est dans ce contexte que la manif du 4 mars a eu lieu.

Pas seulement Trump

Le Québec est une nation différente du Canada anglais ou des États-Unis ; alors que l’ « effet Trump » joue un rôle dans les événements ici, le Québec est aussi indépendamment travaillé par des processus internes qui ont mené en ce sens. Effectivement, pointer Trump du doigt, ou les crimes impérialistes du Canada au Moyen-Orient comme principaux facteurs derrière l’islamophobie ici est devenu un argument mobilisé par certaines figures qui cherchent à minimiser ou simplement nier les racines profondes du racisme au Québec. En faisant porter le blâme à des politiques décidées à Ottawa ou à Washington, DC, de tels arguments laissent une fois de plus le Québec comme innocente victime, libre de tout blâme.

Il y a plusieurs exemples de cela, mais le plus outrageux est probablement l’article « The New World Order Hist Quebec City » par Robin Philpot, un anglophone depuis longtemps déjà apologiste du racisme au Québec (déjà en 1991 Philpot écrivait que, dans son conflit avec l’État du Québec, la Mohawk Warrior Society était utilisée par la CIA ou la GRC). Dans son article « New World Order », d’abord publié sur le site web Global Research basé à Montréal et ayant ensuite été republié sur Counterpunch, Philpot soutient essentiellement que le massacre du 29 janvier était le résultat de l’impérialisme global, et pas d’un quelconque problème particulier avec l’islamophobie ici. Effectivement, dans sa couverture de nombreuses mobilisations de masse islamophobes au Québec, Philpot soutient que la province ne peut pas être islamophobe à cause… des grandes manifestations contre la guerre en 2003 ici.

Que de tels arguments ne mènent nulle part peut être démontré par le simple fait qu’ils échouent à prévoir ou à expliquer des événements comme celui du 4 mars.

Afin de comprendre les choses, le Québec a besoin d’être vu comme une nation distincte, mais aussi comme une nation faisant intrinsèquement partie de et qui se voit comme appartenant à l’identité plus large supra-nationale du 21e siècle de « blancheur » et de l’ « Occident » – non seulement en ce qui concerne les crimes blancs de l’Occident à l’étranger, mais aussi en termes de relations sociales « à la maison ». Ceci fait du Québec une nation en un certain sens pareille et en un autre différente des autres sociétés prétendument « blanches » et « Occidentales ». Par exemple, en ce qui a trait aux groupes mentionnés dans ce texte, plusieurs des points de référence intellectuels sont différents (par exemple, plus européens, plus fermement catholique), et même lorsqu’ils sont partagés (par exemple, la Nouvelle Droite européenne a aussi influencé l’alt-right américaine) ils jouent un rôle différent parce qu’ils nous parviennent sans avoir été traduits et à travers des canaux différents.

La « qualité stratégique » d’une percée de l’extrême-droite ici, pour ceuzes d’entre vous qui êtes aux États-Unis, serait difficile à mesurer, et peut s’avérer minime. D’un autre côté, comme les événements récents l’ont montré, tout endroit où ces gens peuvent faire des avancées significatives peut constituer une inspiration ou un point de levier pour les gens de leur espèce ailleurs.

D’une manière ou d’une autre, ce qui est maintenant à l’ordre du jour pour les nôtres au Québec est de déterminer la signification des événements récents. Pour les antifascistes et autres forces progressistes, la priorité est claire : construire à partir de nos positions de force, établir des liens avec de nouveaux.elles allié.es, et s’assurer qu’un moment comme le 4 mars ne se reproduise pas.

La plus faible des têtes de l’Hydre: Enbridge, Ligne 3

 Commentaires fermés sur La plus faible des têtes de l’Hydre: Enbridge, Ligne 3
Mai 132017
 

J’ai commencé mes recherches pour cet article alors que je me trouvais à Standing Rock, après avoir appris que le Premier Ministre Justin Trudeau venait d’approuver un projet de pipeline de 7,5 milliards pour remplacer la ligne 3. À ce moment, je ne savais même pas qu’une telle proposition était sur la table. Au soi-disant Canada, les pipelines Kinder Morgan et Énergie Est ont eu leur part du lion en terme d’attention médiatique.

Ma première pensée quand j’ai vu la carte du pipeline est qu’il semble avoir été calculé pour passer à travers des régions où le mouvement environnemental est à son plus pauvre et là où l’activisme anti-pétrole serait le plus impopulaire. Ma seconde pensée fut de me demander ce que je pourrais bien faire pour y mettre fin. Je crois que dans des climats politiques plus hostiles c’est davantage important que des organisateurs sachent qu’il-elles ont le support de la part d’un mouvement plus étendu.

Après avoir lu quelques articles, j’ai été excité par les possibilités de cette campagne. En bref, la Ligne 3 est un pipeline vieillissant qui a atteint la limite de sa longévité. Vous pourriez aussi l’appeler une bombe à retardement. Mon point ici est que si le projet de remplacement de la Ligne 3 est stoppé, et si la Ligne 3 est mise hors fonction, alors pour la première fois dans l’histoire du mouvement contre les pipelines, on va pas simplement les empêcher d’étendre leurs capacités, nous allons aussi les réduire. Nous allons renverser le courant.

Qu’est-ce que la Ligne 3?

Le projet de remplacement de la ligne 3 de Enbridge est un projet de 7,5 milliards, prévu pour sillonner vers le sud-est; de Hardisty, Alberta (près de Edmonton), à travers le Saskatchewan, le Manitoba, le Dakota du Nord et le Minnesota jusqu’à Superior, Wisconsin, sur la pointe ouest du Lac Supérieur. Le pipeline original de 34 pouces a été construit en 1968. Ce nouveau pipeline serait de 36 pouces (environ 1 mètre) de diamètre et pourrait acheminer 760 000 barils par jour (bpj).

Ce projet serait le plus coûteux de l’histoire de Enbridge. La ligne transporte actuellement 390 000 bpj, loin en-dessous de son débit maximal de 760 000 bpj. Ces flux ont été restreints pour des raisons de sécurité.

Bizarrement, dans le cas présent Enbridge cherche à convaincre les régulateurs à quel point la Ligne 3 n’est pas sécuritaire. Selon un témoignage d’experts que la compagnie a rendu à la Public Utilities Commission du Minnesota, la corrosion et les craques sont si extensives que de continuer de l’utiliser pourrait causer des fuites catastrophiques.

À quel point est-il en si mauvais état? Enbridge affirme que la moitié des joints sont rouillés, et qu’il y a cinq fois plus de craques de stress par mile que les autres pipelines dans le même corridor. Ce fut originellement construit avec de l’acier défectueux et les soudures faites avec des technologies passées date. Un ouvrier a qualifié l’exercice de les maintenir sécuritaires « un jeu de whack-a-mole ».

Selon Enbridge, « Approximativement 4000 excavations d’intégrité (inspections invasives de pipelines) aux États-Unis seulement sont prévues pour la Ligne 3 au cours des prochains 15 ans, pour maintenir ses niveaux actuels d’opération. Cela pourrait résulter en des impacts d’année en année sur des propriétaires terriens comme sur l’environnement. En moyenne, de 10 à 15 excavations sont prévues pour chaque mile sur la Ligne 3 s’il n’est pas remplacé… »

Enbridge a les yeux fixés sur l’horloge maintenant, puisque le Département de la Justice Américaine a donné l’ordre à la compagnie en juillet de remplacer son pipeline en entier pour Décembre 2017, ou bien de s’engager à des mises à jour de sécurité substantielles de la ligne existante. Ce décret fait partie d’une entente que la compagnie a conclue après un déversement massif, en 2010, de 3,8 millions de litres de bitume dans la rivière Kalamazoo au Michigan.

Bien qu’Enbridge remplace la Ligne 3 car ils le doivent, ils vont aussi tenter de passer quelque chose hors du regard du public. Non seulement le «remplacement» proposé augmente la capacité du pipeline, ça lui permettrait aussi de transporter du pétrole des sables bitumineux. Présentement, la Ligne 3 transporte du pétrole brut « léger » – qui est en large partie extrait des puits de pétrole conventionnels de l’ouest canadien- mais la complétion du remplacement de la Ligne 3 permettrait à Enbridge de transporter du bitume dilué à travers la frontière. Ce projet n’a pas eu à esquiver les lourdeurs politiques comme d’autres pipelines traversant la frontière, tels que Keystone XL, et a déjà une permission présidentielle.

La nouvelle ligne suivrait un tracé parallèle à la Ligne 3 sur le plus long de sa route, mais prendrait un tracé différent pour les derniers 3000 kilomètres entre Clearbrook, Minnesota et Superior, Wisconsin. Et puis, oui, le pipeline d’origine serait décommissionné puis laissé dans le sol.

Or récapitulons. Ce « remplacement » doublera la capacité de la Ligne 3, changera la nature du produit à être transporté, suivra une route différente, et le pipeline qu’il remplacera va demeurer sous terre. N’aimez-vous pas vivre à l’âge de la persuasion?

Honor the Earth, un ONG basé au Minnesota, n’aiment pas. Selon leur site web : « Enbridge veut simplement abandonner la Ligne 3 et passer à autre chose, parce que ce pipeline a au-delà de 900 ‘anomalies structurelles’ », puis construire une toute nouvelle ligne dans son corridor. Si ce nouveau corridor est établi, on s’attend à ce que Enbridge propose la construction de plusieurs autres pipelines sur celui-ci. On ne peut pas permettre ça. »

Résistance au Minnesota

Grâce au travail splendide de Honor the Earth et d’autres activistes au Minnesota, la campagne contre la Ligne 3 s’augure bien. Voici une description:

Le groupe conservationniste Friends of Headwaters a été formé pour diverger la Ligne 3 hors des lacs à riz sauvage du Minnesota. Ils ont proposé un pipeline plus long qui tracerait plus loin au sud à travers des terres agricoles. Une loi de l’État requiert que les compagnies de pipeline soumettent une évaluation environnementale des projets proposés. Il y a trois ans, lorsque Enbridge a d’abord amené le remplacement, ils ont tenté d’étudier leur site choisi uniquement. Friends of Headwaters a insisté qu’ils étudient aussi les routes praticables en-dehors de la région de Mississippi River Headwaters.

Une longue poursuite judiciaire s’est ensuivi, et en décembre 2015, la Cour Suprême du Minnesota a pris le côté des environnementalistes. Enbridge s’est fait ordonner de compléter une évaluation plus compréhensive, incluant des trajets alternatifs.

Le Minnesota rédige présentement sa Déclaration d’impact environnemental (EIS) pour la Ligne 3, après des mois de bataille sur ce que l’étude pourrait inclure et qui procéderait aux analyses. L’ébauche du EIS devrait être produite pour Avril 2017 et le public aura la possibilité de commenter durant ses audiences publiques. Une décision finale sur un permis est attendue pour le Printemps 2018.

Aussitôt que la EIS du Minnesota sera produite en avril, le Minnesota Center for Environment Advocacy planifie de continuer de lutter contre la Linge 3 en cour. Or considérant tous ces facteurs, il est sûr que Enbridge va échouer à rencontrer son ultimatum fixé pour décembre 2017. Ça va être intéressant de voir ce qui en advient.

Soyons réalistes, cependant. Y a un gros tas d’argent en jeu ici. Je trouve difficile à imaginer des décideurs de mettre hors fonction un pipeline de 390 000 bpj. Je n’ai as eu connaissance d’un pipeline majeur ayant été mis hors fonction simplement parce qu’il était trop vieux et non sécuritaire. Un exemple de cela est le pipeline TransNorthern à l’est du Canada. En novembre dernier, un trio de femmes québécoises ont fermé un pipeline par une action de verrouillage. Elles l’ont fait pour amener l’attention sur le fait que le National Bureau of Energy (NBE) a recommandé que ce pipeline, construit dans les années ’50, soit décommissionné. TransNorthern continue de l’opérer malgré sa non conformité aux améliorations ordonnées par le NBE que la compagnie se devait de faire.

Ça serait grandiose si la Ligne 3 était mise hors fonction dans l’état du Minnesota, mais c’est également possible que la Ligne 3 cause un déversement et que, lorsque ça arrivera, une armée d’experts portent le blâme sur les environnementalistes en les accusant d’avoir causé un délai dans le remplacement de la Ligne 3. Vous vous souvenez du Lac Mégantic? Un train de pétrole qui a exposé dans une petite ville du Québec, tuant 47 personnes, et le jour d’après les docteurs du spin médiatique utilisaient ce désastre comme argument en support aux pipelines, car le pétrole sur rails n’est pas sécuritaire. Ces bâtards sont sans pitié.

Ce qui nous amène à une réalité que nous allons probablement avoir à subir dans le futur proche. Alors que l’infrastructure des pipelines vieillit, le « public » sera présenté avec un nouveau choix: des beaux pipelines tout neufs, ou bien des vieux, rouillés et fuyants. C’est l’expérience classique du double aveugle; un faux choix destiné à forcer l’acceptation de quelque chose de non-désiré. Vous savez… comme la démocratie. De façon perverse, les environnementalistes pourraient se voir accusés d’être la cause des déversements pétroliers. Les activistes vont rejeter cette logique, mais ça pourrait être séduisant pour les centristes et autres penseurs de pensées préfabriquées. Il serait sage de penser à un contre-message.

La réalité demeure que la Ligne 3 pourrait se déverser avant qu’elle soit fermée. Ma prédiction est que Enbridge va obtenir une extension du délai au-delà de Décembre 2017 pour continuer d’opérer ce pipeline. Et c’est certain que d’autres pipelines vont rompre.

Une nouvelle approche

Supposons que, plutôt que d’occuper le corridor pour empêcher le pipeline d’être bâti, les défenseurs de la terre utilisaient l’événement d’un déversement de pétrole pour forcer la fermeture d’un pipeline? Quoique ce soit plutôt indésirable d’occuper le site d’un déversement, cela pourrait être accompli en occupant un site d’importance critique pour le fonctionnement de ce tuyau, comme une station de pompage ou une soupape, et en prévenant les travailleurs d’y accéder. Il pourrait y avoir de nombreux avantages à une telle stratégie.

Premièrement, lorsqu’il y a une fuite de pétrole, un pipeline est déjà fermé. Quoiqu’un récent déchaînement d’actions directes ciblant des soupapes a démontré qu’il est certainement possible de fermer des pipelines soi-même de façon sécuritaire, ça serait plus facile et moins psychologiquement exigeant de garder un pipeline hors-ligne plutôt que de le mettre hors fonction.

Deuxièmement, une fuite de pétrole provoque un impact émotionnel. Pour la plupart des gens, l’économie pétrolière est si normale que ça demande un changement de conscience pour perturber leur acceptation de celle dernière. Ça fournit un moment propice pour qu’une action directe anti-pipeline puisse être plus largement comprise, et permette d’attirer comme par miracle des sympathisant-es et des supporteur-es. La propagande anarchiste avec un côté artistique donne l’impression que les idées radicales font partie du sens commun, et alors, l’argument se construit par lui-même : si un pipeline est appelle au désastre, il doit être mis hors service.

Troisièmement, si on ferme des pipelines qui sont en fonction, on ne fera pas que stopper l’expansion de l’industrie du pétrole et du gaz, nous forçons son rapetissement. Nous saisissons l’initiative des mains des capitalistes. Nous défaisons le mythe opérationnel de l’habileté politique; celui voulant que nous n’avons «pas le choix!».

Quatrièmement, ça recentre l’attention loin d’une mentalité qui présente chaque cause unique comme étant le but suprême de l’activisme écologique. Il y a plus de 200 000 pipelines sillonnant le territoire de l’Ile de la Tortue. Ça représente une ligne de front qu’on trouve presque partout. Ça redirige donc le focus plus près de chez soi, et idéalement ça mènerait à des situations où la tactique devient normale, puisque ça arrive partout.

Enfin, tout ce qu’on peut faire pour augmenter le risque politique et économique des corporations face aux ruptures de pipelines est bien. Si les déversements sont accompagnés de conséquences plus sévères pour les compagnies, ces dernières auront plus d’incitatifs à les prévenir.

Un graffiti célèbre dans les squats en Espagne se lit « ÉVICTIONS = ÉMEUTES ». Dans deux ans d’ici, pourrions nous dire « DÉVERSEMENTS DE PÉTROLE = OCCUPATIONS »?

De Zones autonomes temporaires à Zones autonomes permanentes

Je souhaite que la campagne contre la Ligne 3 mène à quelque chose de semblable à la résistance de Standing Rock, mais qui tire aussi des leçons de cette lutte. Ça a été depuis longtemps ma croyance que la résistance au capitalisme industriel devrait aller main dans la main avec la création de communautés autonomes capables de survivre et prospérer indépendamment de l’économie des combustibles fossiles, et que les blocages permettent de vivre un moment où l’impossible devient possible, où nous pouvons frapper au coeur du capitalisme en défiant collectivement l’illusion de la propriété qui tient tout le système en place.

Mon objectif politique est la création d’une fédération de communes autonomes capables de combler leurs besoins indépendamment de l’économie des combustibles fossiles.

Pour cette raison, je suis allé à Standing Rock avec l’espoir que d’autres ressentent la même chose, et que plusieurs personnes ressentent le besoin de réclamer les terres des traités et de créer une communauté autonome permanente sur le site. Hélas, ce site n’était pas idéal, à la fois parce que le camp Oceti Sakowin/Oceti Oyate se trouvait sur une plaine d’inondation, et parce qu’il se trouvait sur un ancien cimetière sacré.

Certains colons se sentiront inconfortables avec l’idée d’approcher avec un quelconque programme les moments d’opportunité créés au fil de campagnes de résistance menées par des autochtones. Les alliés non-autochtones ne sont-ils-elles pas censé-es se laisser guider par les peuples autochtones? À cela, je répliquerai avec une histoire.

Fait inconnu de la plupart des gens, après la victoire du mouvement anti-fracturation hydraulique dans le Mik’mak’i (ou soi-disant Nouveau Brunswick) et que la plupart des participant-es soient rentrés chez eux-elles, l’occupation a continué. Il y avait un petit groupe de gens extrêmement engagés qui ont tenté de faire exactement ce que je propose ici; de tourner un camp de résistance en une éco-communauté permanente.

Certains de ces gens étaient autochtones, certains Acadiens, et d’autres des colons d’autres origines. Ils ont pu passer tout l’hiver et le printemps. Mon-ma partenaire et moi étions là au printemps et nous avons commencé un jardin avec l’aide d’un aîné Mi’kmaq. Ce fut un moment splendide, dans un lieu splendide. Un rêve splendide.

Le soutien local était évident et massif, quoique passif. Quand le camp avait besoin d’argent, ils n’avaient qu’à faire un blocage de la route pour lever des fonds, laissant les voitures passer une à la fois pour demander un payage. La plupart des gens, autochtones comme colons, donnaient de l’argent. Un jour, dans la plus étrange expérience de performance de rue de ma vie, mon-ma partenaire et moi avons agrémenté ce spectacle bizarre avec des feux d’artifices. Je me souviens de m’être dit… Bon dieu, j’aime ce coin des maritimes; où ailleurs dans le monde ça ferait autant de sens?

À la fin, le rêve a été abandonné à cause de conflits interpersonnels, mais à ce point-là le projet avait déjà arrêté de progresser car les occupants n’avaient ni le savoir-faire ni les ressources pour bâtir des structures permanentes. Elle-ils ne sentaient pas que d’autres gens, qui ont été si actif-ves à ce camp quand il était une attraction en vogue, s’en préoccupaient assez pour venir les aider à construire cette communauté rêvée. Pour eux-elles c’était la prochaine étape naturelle, et ça leur a fait mal que d’autres ne puissent pas le voir. Ça m’attriste encore que ce rêve demeure irréalisé, et dans ma mémoire il ne sera que le souvenir d’une opportunité manquée, qui renforce ma résolution d’être préparé-e pour le prochain moment de potentialité imprévisible.

Ajoutons que certains des Acadiens qui ont été impliqués ont démarré un projet de terre dans la forêt de Mi’kmak’i, qu’ils ont développé en grande partie pour acquérir les savoir-faires pouvant leur permettre d’avoir du succès dans ce type de projet. Cet endroit, situé au sein du légendaire vortex de Cocagne, est, tant qu’à moi, un héritage persistant de la résistance à Elsipogtog.

Aussi, soyons réalistes, la plupart des gens qui viendront à la ligne de front ne vont pas décider d’y vivre à long terme. Pour le mouvement révolutionnaire que j’envisage de voir émerger, les gens devraient vouloir continuer à vivre de manière permanente dans une zone libérée après que l’action se soit éteinte. Cette part de théorie n’est pas testée. Est-ce que suffisamment de gens veulent vivre dans des communautés clandestines tout au long des quatre saisons?

Soit, lorsque la crise s’approfondira et que les enjeux de survie deviendront beaucoup plus prononcés, nous ferons certainement le nécessaire. C’est le meilleur espoir que j’aie; qu’on va connaître du succès là où de nombreuses générations de radicaux ont échoué, pas parce qu’on est plus brilliant-es ou courageux-es, mais parce qu’on doit. L’instinct de survie est quelque chose de puissant.

Alors que les idéologies de la démocratie libérale et le dogme de la croissance infinie se révèlent n’être que les attrapes qu’ils sont réellement, de plus en plus de gens vont chercher des réponses. Je n’ai pas beaucoup de réponses, mais je vois la création de zones autonomes comme un enjeu réaliste. De tels territoires libérés nous donnent l’opportunité d’apprendre, d’expérimenter, de mettre des idées en pratique, de créer des liens basés sur des valeurs partagées, et d’inspirer soi-même et les autres à travers des expériences directes. C’est seulement à travers l’expérimentation, à travers l’essai et l’erreur, à travers le sang, la sueur et les larmes qu’on va apprendre à être libres. Standing Rock a fourni à des milliers de gens une expérience physique directe dans un laboratoire de liberté. De telles expériences sont transformatrices, et nous préparent pour ce qui est à venir.

Une réponse rapide

Mon but est de connecter le moment politique actuel avec la vision de plusieurs éco-anarchistes – c’est-à-dire la création de communes autonomes capables de survivre et prospérer indépendamment de l’économie des combustibles fossiles.

Alors, commençons à penser à comment nous pourrions y arriver. Qu’est-ce qu’il faudrait?

À Standing Rock, j’ai mis une tonne d’énergie à bâtir des abris et à les isoler pour l’hiver, comme plusieurs autres gens l’ont fait. Plusieurs abris ont été abandonnés plus tard et avaient à être ramassés. Je crois que ça ferait beaucoup de sens si les gens en ligne de front penseraient à acquérir ou construire des maisons mobiles qui sont facile à monter, défaire et transporter. Le modèle de Standing Rock change la donne, mais il y a aussi beaucoup de choses à améliorer.

Lorsque j’étais à Standing Rock, il y avait un manque d’entreprise d’actions stratégiques. Plusieurs personnes pourraient voir cela comme attribuable à un manque de leadership, mais je le vois plutôt comme un manque de groupes d’affinité cohérents. Un plan d’action requiert un groupe pour le mener, et plus le plan est élaboré, plus le groupe a besoin d’être coordonné. Un exercice de sophistication impliquant la diversion et une multitude de flancs, comme ce qui est requis pour prendre un site lourdement armé, comme le site de forage à Standing Rock, nécessiterait plusieurs équipes partageant un certain niveau d’entraînement et de confiance.

Or quand je pense à l’avenir, j’imagine des groupes d’affinité constitués d’activistes à temps plein pour qui les activités du groupe sont leur intérêt premier dans la vie. Comment peut-on rendre plus réaliste la potentialité pour plus de gens de réaliser cela?

On a besoin de bases. Je pense qu’on a besoin d’une combinaison de communes urbaines et de projets de fermes rurales, d’où des éco-anarchistes peuvent lancer des actions. Nous avons besoin d’une culture de gens voyant la révolution comme un appel dans leurs vies, comme leur vocation. C’est ça que ça prend, je crois, pour que ce mouvement devienne révolutionnaire.

Où s’en va-t-on en tant que mouvement?

De retour à la Ligne 3. Comme vous voyez, c’est un pipeline. Vous êtes contre, je suis contre, et on peut l’arrêter. Pour moi, la question la plus intéressante est: Qu’est-ce qui sera accompli par la victoire? Bien-sûr la terre et les eaux seront défendues, et c’est une raison suffisante pour se battre; mais tous ces pipelines, mines, écoles et prisons ne sont que les symptômes visibles, manifestes d’une maladie qui s’appelle «capitalisme». Aussi longtemps que nous dépendons du capitalisme pour nos moyens, on ne fera tout au plus que mordre la main qui nous nourrit.

Le mouvement environnemental n’est pas révolutionnaire de façon inhérente. Que pouvons-nous faire en tant qu’anarchistes pour cultiver les tendances révolutionnaires qu’il peut contenir? Je ne suis pas intéressé à rendre le capitalisme plus soutenable, en aidant la machine à parfaire notre servitude. Le fait qu’il soit insoutenable pourrait être la dernière chance pour la liberté de l’humanité. Je ne veux pas passer le restant de ma vie à combattre différentes têtes de l’Hydre sans qu’au final nous ayions fondamentalement transformé notre façon de vivre.

Alors, je vous demande, où nous allons en tant que mouvement? Je demande, car si on veut l’amener quelque part, on a intérêt à avoir une idée claire de vers où on s’en va. Quelle vision avons-nous à offrir? Qu’avons-nous à offrir comme croyance aux autres? Quel esprit pouvons-nous faire ressortir dans la conscience collective? Quelles chansons allons-nous chanter de tout coeur quand on sera sur la ligne de front?

Rien n’est plus puissant qu’une idée dont l’heure est venue. Regardez Standing Rock. Qui aurait pu imaginer une telle chose jusqu’à récemment? Qui aurait seulement pris cet article au sérieux si je l’avais écrit il y a un an? Notre mouvement grandit, il s’étend, il devient de plus en plus fort à chaque jour… Nous gagnons les coeurs et les esprits de toujours plus de gens, et des enjeux de plus en plus grands deviennent de plus en plus atteignables. Il est temps d’articuler un programme de changement social voyant la résistance aux pipelines comme son point de départ.