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Putes contre les prisons : ce que l’abolitionnisme pénal peut apporter au mouvement des travailleuses du sexe

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Mar 032022
 

Du Comité autonome du travail du sexe (CATS)

Par Adore Goldman et Melina May

«Si le travail du sexe était décriminalisé, nous pourrions plus facilement dénoncer les violences que nous vivons!»; «La criminalisation fait en sorte que les travailleus.eur.s du sexe (TDS) ne peuvent pas aller à la police!»; «Il existe déjà des lois pour criminaliser les violences que nous vivons sans reposer sur la criminalisation du travail du sexe

Ces phrases se retrouvent souvent dans la bouche des activistes qui militent pour la décriminalisation du travail du sexe. C’est qu’il faut convaincre nos adversaires du bien fondé de nos revendications et que nous avons à cœur la sécurité des femmes. Pourtant, on sait bien que ce ne sont que des demi-vérités; que même avec la décriminalisation, bien des TDS ne pourront jamais aller voir la police parce qu’elles sont à l’intersection d’autres oppressions; parce que la réponse des institutions judiciaires est souvent insatisfaisante en matière de violence sexuelle et genrée; parce que l’État trouvera toujours d’autres outils pour nous criminaliser et nous stigmatiser, surtout les plus précaires d’entre nous.

Alors que des théoriciennes noires comme Angela Davis remmettent en question le rôle du système pénal dans les cas de violences faites aux femmes depuis des décennies, le mouvement féministe blanc et mainstream commence à peine à se poser ces questions. Dans le cas du travail du sexe, nous considérons que ces questionnements pourraient apporter des réflexions fructueuses et importantes pour la lutte contre les violences faites aux TDS et plus largement aux femmes. Qui plus est, la criminalisation du travail du sexe repose depuis toujours sur des présupposés racistes et un effort à contrôler la migration des femmes racisées.

Face à des cas de violences, plusieurs choisiront de porter plainte à la police et de recourir au système judiciaire parce que c’est le seul moyen d’assurer leur sécurité. Nous ne posons aucun jugement sur ces situations individuelles. Nous pensons que le recours au système pénal n’est jamais un échec individuel. En revanche, nous pensons qu’il s’agit d’un échec collectif quand l’emprisonnement et la punition constituent les seules réponses à la violence. 

Les théories qui entourent l’abolition de la prison et plus largement, du système pénal dans son entièreté, peuvent servir à penser la décriminalisation de notre travail en tenant compte des besoins et des réalités plurielles qui traversent nos histoires en tant que TDS, au travail comme ailleurs.

Brève histoire politique des abolitionnismes

L’abolitionnisme pénal regroupe différentes analyses théoriques inspirées par une vaste pratique militante. Gwenola Ricordeau, chercheuse des critiques féministes contemporaines du système pénal, décline l’abolition en trois  champs : le crime, la peine et la prison.1 Elle présente le crime comme une réalité sociale, construite par l’État et définie par le Code criminel dont l’évolution historique et politique reflète les mentalités de l’époque. La peine consiste en l’ensemble des moyens pris par l’État pour punir et sanctionner une personne jugée criminelle, allant du ticketing à l’emprisonnement. Dans ses travaux, Ricordeau propose de questionner les catégories pénales telles qu’elles sont imposées par l’État qui, selon elle, détournent notre attention des pires préjudices perpétrés par les plus puissants et majoritairement liés aux rapports de domination et d’inégalités structurelles; pensons à la suprématie blanche, à la destruction de l’environnement, et aux crimes d’État.

Plusieurs activistes et écrivain.e.s font l’analyse du continuum entre le système esclavagiste et la prison contemporaine. Robyn Maynard, féministe noire et activiste canadienne pour l’abolition du système pénal, nous rappelle le rôle important des esclaves dans l’abolition officielle de l’institution de l’esclavage et aujourd’hui, celui des activistes dans la lutte contre l’incarcération massive et la surveillance des personnes noires.2 Après l’abolition de la traite des esclaves aux États-Unis en 1865, l’adoption du 13e amendement de la Constitution interdit l’esclavage, mais autorise explicitement le travail forcé des personnes condamnées. Le « complexe carcéro-industriel »3 devient alors un moyen d’organiser socialement la ségrégation raciale et « l’incarcération de masse est, métaphoriquement, le nouveau Jim Crow »4, comme l’affirme Michelle Alexander5. Le terme « abolitionniste » est donc repris dans la lutte à l’abolition du système carcéral par les activistes afro-américain.e.s pour faire écho à la lutte pour l’abolition de l’esclavage.

L’utilisation du terme « abolitionnisme » est également revendiquée par certains courants féministes pour désigner leur position à l’égard de la prostitution. Depuis les années 1980,  les campagnes et les organisations contre la traite des femmes se multiplient et sont massivement financées. Jo Doezema s’est intéressée à étudier les précédents historiques des mouvements abolitionnistes actuels dans les campagnes contre la « traite des blanches » survenues à la fin du 19e siècle.6 Elle fait l’analyse de la construction mythique à cette époque du paradigme de la victime blanche, innocente et pure et celui du trafiquant diabolique et « étranger ». Ce serait avec le début de l’immigration massive et de la circulation des femmes que serait née la panique autour de la femme européenne recrutée et exploitée à des fins sexuelles dans les colonies. L’existence de ce phénomène n’a toutefois jamais été prouvée. Cette panique, mêlée aux croisades morales et de santé publique visant à mettre fin à la prostitution, a donné l’impulsion nécessaire à la tenue de conventions et de proposition de lois internationales au début du 20e siècle pour adresser le problème de l’« esclavage des femmes blanches ». Les protocoles qui étaient alors mis en place internationalement se fondaient sur des conceptions paternalistes, sexistes et racistes; la mobilité des femmes était considérée comme dangereuse et destructrice pour l’ordre social. 

Dans un récent rapport de recherche supporté par Réseau juridique VIH et Butterfly, qui intervient auprès de s travailleuses du sexe migrantes asiatiques, on apprenait que les politiques d’immigration canadiennes ont historiquement fermé les frontières aux travailleuses du sexe en introduisant plusieurs catégories de personnes interdites dans la Loi sur l’immigration.7 Par exemple, la catégorie « les femmes et les filles qui viennent au Canada pour des “raisons immorales” »8 est introduite en 1910. Cette catégorie a été maintenue et élargie en 1976 pour inclure « les prostituées, les homosexuels ou les personnes vivant des produits de la prostitution ou de l’homosexualité, les proxénètes ou les personnes venant au Canada à ces fins ou à toute autre fin immorale »9. Si les critères de rejet qui régulent actuellement la migration ne sont plus autant explicitement basés sur des critères de normativités sexuelles et sur la désirabilité morale, ils sont surtout formulés dans le langage de la sécurité publique10. Reste que les figures racialisées du proxénète et de la femme trafiquée restent dans l’imaginaire collectif blanc et continue d’influencer les politiques en matière de travail du sexe.

Aujourd’hui, les ambassadeur.rice.s contre l’exploitation humaine se servent du narratif raciste lié à l’esclavage transatlantique dans leur appel à plus de criminalisation des clients et des proxénètes. Comme l’affirme Maynard, ces groupes 

s’approprient les horreurs de l’esclavage pour justifier les pratiques racistes de l’État et créent des conditions qui maintiennent les femmes noires en général et les travailleuse.eur.s du sexe noir.e.s en particulier vulnérables au harcèlement, au profilage, aux arrestations et à la violence.11  

Dissimulé derrière les discours antitraite se trouve également le mythe raciste de l’homme noir violeur et trafiquant. Dénoncé par Angela Davis dans son livre Femmes, race et classe12, ce mythe demeure bien présent aujourd’hui. En témoigne notamment le taux de condamnation abusif, et la surreprésentation des hommes noirs judiciarisés. Au Canada, les personnes noires ne représentent que 3% de la population, mais représentent plus de 9% de personnes détenues au sein des établissements fédéraux.13 Même si les prisons provinciales ne divulguent pas leurs statistiques raciales, les données accessibles montrent des taux similaires au fédéral, et même souvent pire.14 On retrouve également ce stéréotype dans la figure racialisée du proxénète. En reprenant les comparaisons malhonnêtes avec l’esclavage, les défenseurs anti-prostitution détournent la discussion sur les conditions de travail pour faire entendre leurs préoccupations morales sur le sexe, la race et la migration. Ce sont des millions de dollars qui sont investis dans ces organisations15 et ce sont également ces groupes qui sont invités sur les tables de discussion lorsque l’on parle de la criminalisation de notre travail.  

Nous criminaliser pour nous protéger

L’amalgame entre traite sexuelle et travail du sexe met en danger les TDS. Au Canada, ce qui en découle est un ensemble de lois fédérales, provinciales et municipales qui visent à cibler et à éliminer l’exploitation sexuelle. Les supposés objectifs de cette approche pénale et répressive sont de protéger les femmes vulnérables, en leur interdisant de travailler dans l’industrie du sexe et en réduisant la demande par la criminalisation. Concrètement, il existe très peu de preuves qui confirment que ces lois protègent les victimes de traite. Bien au contraire, plusieurs études démontrent que la criminalisation a des impacts négatifs notoires sur la qualité de vie des personnes que ses défenseurs prétendent « sauver ».16

Au Canada, le code criminel inclut spécifiquement une catégorie pénale et des infractions qui interdisent la traite des personnes. Selon un rapport de Statistique Canada, entre 2009 et 2018, sur 1708 incidents de traite humaine, 97% des victimes sont des femmes et filles avec une grande prévalence de cas d’exploitation sexuelle.17 De telles statistiques résultent d’une définition très limitée du trafic et très peu de réponses en ce qui à trait aux abus dans d’autres secteurs de travail non-sexuels comme le travail domestique ou encore l’agriculture.

En plus, le code criminel comprend des infractions spécifiques à la prostitution. Sous la Loi sur la protection des collectivités et personnes victimes d’exploitation, il est interdit de communiquer dans certains lieux publics18 pour offrir ses services sexuels, de se procurer des services sexuels, de profiter matériellement du travail du sexe et de promouvoir ces services. Du même rapport, on apprend que 63% des rapports de police sur la traite comportaient des infractions secondaires impliquant une infraction liée à des services sexuels. Cette statistique démontre bien comment ces lois sont profondément liées aux récits qui ancrent le travail du sexe comme étant naturellement abusif et que très souvent, la criminalisation de la traite des personnes sert avant tout à cibler les TDS. 

L’industrie du sexe est également surveillée et criminalisée par les projets et plans d’action de sauvetage des victimes mis en place par les forces de l’ordre des provinces. En Ontario, l’Opération Northern Spotlight coordonnée par la Gendarmerie Royale du Canada et la police provinciale de l’Ontario a été vivement critiquée par les groupes de travailleuses du sexe.19 Sous prétexte de lutter contre l’exploitation, les policiers, se faisant passer pour des clients, s’introduisaient dans les salons de massage et les hôtels pour piéger les travailleuses du sexe, les intimider, faire des fouilles injustifiées et les détenir de façon arbitraire. Non seulement, ces opérations traumatisent et rendent les TDS d’autant plus méfiant.e.s à l’égard de la police, mais elles n’aident également en rien les supposées victimes d’exploitation. L’opération Projet Crediton, une initiative menée par l’équipe de lutte contre la traite des personnes de la police d’Ontario en 2020, n’a pas donné lieu à une seule accusation de traite humaine, alors que 7 personnes ont été arrêtées et poursuivies pour 32 infractions liées au travail du sexe.20

En addition aux lois fédérales et aux politiques provinciales, les municipalités font de plus en plus l’usage des règlements en termes de zonage et de licence pour cibler et fermer les salons de massage. À Toronto, plusieurs travailleuses ont dénoncé l’utilisation abusive des règlements municipaux par les forces de l’ordre. Par exemple, certaines travailleuses ont témoigné avoir reçu un ticket pour avoir barré la porte de leur salle de travail puisque plusieurs règlements municipaux interdisent de barrer toute porte dans les salons de massage.21 Pour les personnes qui reçoivent dans leur appartement ou dans un salon de massage, barrer la porte est un moyen important pour assurer leur sécurité et « screener » les clients qui se présentent à leur porte. Certains salons de massage à Toronto ont également été soumis aux exigences de zonage les plus strictes, les autorisant à s’établir seulement dans les « zones industrielles d’emploi », qui sont habituellement réservées aux entreprises de fabrication, d’entreposage et d’expédition. Des tactiques similaires ont été utilisées à Laval en 2018 pour faire fermer les stripclubs, les sex-shops et les salons de massages des grandes artères et les reléguer dans des zones industrielles.22 Ces zones sont extrêmement isolées, peu populeuses et peu éclairées, laissant les travailleuses particulièrement vulnérables aux vols et aux violences.  

Celleux qui travaillent dans la rue sont également ciblées par les agents de police comme le témoigne cette personne : 

« Ils sont sortis de nulle part et m’ont arrêté parce qu’ils ont dit que je traversais à un feu rouge. C’était l’hiver, et personne n’était dans la rue, mais ils m’ont donné une contravention. Ils étaient très durs, très très insistants pour se débarrasser de nous dans la rue à l’époque »23

Les agents de la loi utilisent une variété d’outils pour cibler les communautés criminalisées, racisées et marginalisées, ce qui peut les empêcher d’accéder au système de justice : 

si elles vendent de la drogue ou vivent avec des personnes qui le font, elles peuvent craindre le risque d’accusation de trafic; si elles ont été victimes d’abus dans le cadre du travail du sexe et qu’elles sont séropositives, elles peuvent craindre le risque d’accusation d’aggression sexuelle aggravée pour ne pas avoir divulgué leur statut sérologique; si elles ont un statut d’immigration précaire, elles peuvent craindre de perdre leur statut et d’être déportées. 24

Ainsi, les TDS en situation d’itinérance qui utilisent et vendent des drogues ou qui sont séropositives ont toutes plus de chance d’avoir des mauvaises expériences avec les corps policiers – qu’elles soient directement en lien avec le travail du sexe ou non –  et ainsi, de ne pas porter plaintes en cas d’agressions. C’est particulièrement le cas pour nos collègues migrantes qui sont exposées à la répression policière, sous couvert de les sauver.  

Borders, what’s up with that ? 25
Trafic sexuel et contrôle de la migration des femmes

Par tous les moyens possibles, les forces de l’ordre font des pieds et des mains pour judiciariser les travailleuses du sexe. À travers la constellation de lois, la criminalisation des travailleuses migrantes peut résulter en des pénalités importantes : sous l’article 36 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, toute personne, y compris celles qui ont leur résidence permanente, déclarée coupable d’une infraction punissable par les lois fédérales peut se voir emprisonnée jusqu’à 10 ans et déportée. En 2012, le gouvernement conservateur a réformé la loi sur l’immigration afin d’interdire aux personnes migrantes qui se voient délivrer un permis de travail le droit de travailler dans l’industrie du sexe, même dans les secteurs légaux comme les salons de massage licenciés et les stripclubs et ce, même si ce sont des emplois sans services sexuels (cuisinier, concierge, barmaid, etc). L’Agence de services frontaliers du Canada joue également un rôle important dans le contrôle de l’immigration des TDS. Effectivement, il a été largement documenté que les agents frontaliers font usage de leur pouvoir discrétionnaire pour refuser l’entrée au pays à des personnes jugées comme engagées dans l’industrie du sexe, notamment les femmes migrant de l’Europe de l’Est ou d’Asie de l’Est, souvent profilées comme vulnérables et passives. 26

Si le discours anti-prostitution prend racine dans la xénophobie et le racisme autour de la traite des blanches, il n’est pas étonnant que les lois encadrant le travail du sexe, encore aujourd’hui, servent particulièrement à réprimer les TDS migrantes.27 En 2001, le gouvernement canadien introduit des pénalités spécifiques pour la traite dans la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. Contrairement à ce qu’elles prétendent – protéger les victimes de l’exploitation – ces lois servent plutôt à protéger les citoyen.ne.s canadien.ne.s des personnes migrantes vues comme indésirables. 

En 2000, alors que les préoccupations internationales sur le trafic humain prennaient de l’ampleur, l’Assemblée générale des Nations Unies adoptait le Protocole visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants.28Si ce protocole fournit un cadre qui permet aux États signataires de mettre en œuvre leur propre système de lois en terme d’exploitation humaine, il reste flou quant à la définition du travail du sexe. En 2012, le gouvernement fédéral annonçait la mise en place d’un Plan d’action national de lutte contre la traite de personnes. La plus récente formule, la Stratégie nationale de lutte contre la traite des personnes alloue un budget de 75 millions pour la période de 2019 à 2024.29 Malgré toutes les ressources et l’argent investi dans la lutte contre le trafic humain, on apprend qu’entre le 1er janvier 2006 et le 13 juillet 2020, l’Agence des services frontaliers du Canada enregistrait un total de 8 accusations portées en matière de traite de la personne et aucune condamnation.30 Les enquêtes, le profilage et les descentes de police en matière de lutte contre la traite des personnes ne permettent que rarement, voire jamais, de découvrir des « trafiquants ». Il ne fait aucun doute que ces pratiques et politiques répressives servent surtout à maintenir un climat de peur parmi les personnes en contexte de migration.

Nous aussi: les victimes de la criminalisation

Le modèle légal canadien en matière de prostitution est généralement justifié sous le couvert d’aider les victimes d’exploitation sexuelle et d’éradiquer l’industrie du sexe, décrite comme la parfaite illustration du patriarcat et de l’exploitation des femmes. Défendu également par plusieurs groupes de féministes carcérales, le préambule de ces lois présente les TDS comme des victimes qu’il faudrait à tout prix sauver des proxénètes et des clients, qui encouragent cette exploitation. 

Il est impossible de nier que les travailleuses du sexe vivent des violences dans leur travail. Plus encore, il faut reconnaître que ces violences ont un caractère genré, racialisé et de classe: les TDS pauvres, racisées, migrantes, autochtones, trans et qui travaillent dans la rue sont plus susceptibles de subir cette violence et de subir des formes plus graves de violences.31 32 Toutefois, rarement questionne-t-on les réelles capacités du modèle carcéral et pénal à protéger les TDS.

C’est une vérité de la Palice de dire que le système de justice est inefficace pour traiter des violences genrées: au Canada, on estime que 3 agressions sexuelles sur 1000 se soldent par une condamnation. Avec un taux de 5% de déclarations à la police, il s’agit du crime le moins rapporté. Il s’agit également du seul crime violent dont la proportion n’a pas diminué depuis 1999. 33

De telles statistiques sont évidemment révoltantes. Devant ces chiffres, différentes tendances du mouvement féministe revendiquent davantage de justice, de nouvelles lois, une reconnaissance du féminicide comme catégorie juridique, un tribunal spécial, des peines plus sévères… Mais la capacité du système de justice à traiter de ces violences est rarement interrogée dans son ensemble.

Dans ses travaux, Gwenola Ricordeau montre que non seulement les victimes sont souvent revictimisées34 devant les tribunaux, mais que la forme du procès est en elle-même contraire aux besoins des victimes. En effet, en se soumettant au système de justice, les victimes subissent en quelque sorte un « vol de leur préjudice ».35 Ainsi, elles seront remises en question, interrogées sur la véracité des actes qu’elles allèguent, et l’accusé aura tout avantage à ne pas reconnaître le préjudice causé pour ne pas être reconnu coupable. Cette façon de faire va le plus souvent à l’encontre du besoin de reconnaissance des souffrances des victimes. Plus encore, il est attendu qu’elles remplissent le rôle de la victime parfaite. Ainsi, les femmes les plus pauvres, les femmes racisées, les travailleuses du sexe et celles qui utilisent des drogues sont moins susceptibles de voir leur agresseur puni. 36

Même lorsqu’une condamnation est prononcée, cela ne veut pas dire que les TDS sont protégées. En 2020, à Québec, Marylène Lévèsque, travailleuse du sexe, fût assassinée par son client. Ce dernier était en liberté conditionnelle après avoir purgée une peine d’emprisonnement pour le meurtre de sa conjointe. Son agente de libération conditionnelle savait qu’il fréquentait des travailleuses du sexe et trouvait normal et sain que ce dernier obtienne de la sexualité de cette façon, malgré son passé extrêmement violent et les taux importants de victimisation des TDS. Cette intervention a été défendue par le syndicat des agents de libération conditionnelle.37 Le rapport du coroner, sorti en novembre 2021, recommande le port du bracelet électronique, mais n’interroge nullement les conditions de travail des TDS et l’impact de la criminalisation sur celles-ci.38 Ainsi, le contexte de criminalisation n’empêche pas les hommes dangereux et violents d’accéder aux services des TDS – c’est même ce qui a été encouragé dans ce cas et défendu par l’institution carcérale! C’est que les TDS sont perçu.e.s comme des victimes collatérales, censé.e.s protéger les autres femmes des hommes violents en leur servant de défouloir. 

L’autodéfense des femmes est également criminalisée lorsqu’elles ripostent à des actes de violence. Parce qu’évidemment, les femmes ne demeurent pas passives. Une étude américaine estimait en 2005 que 67% des femmes incarcérées pour l’homicide d’un proche avaient d’abord été victimes de ce dernier.39 Pour les TDS, la légitime défense est souvent un motif de criminalisation et d’emprisonnement. Le cas de Cynthoia Brown est particulièrement révélateur à ce sujet. Mineure au moment des faits et forcée à vendre du sexe par un partenaire abusif, elle a été condamnée à une peine de 52 ans pour avoir tiré sur un client qui l’avait menacé et agressé.40 Après avoir passé quinze ans derrière les barreaux, Cynthoia a été libérée, après que le travail acharné de militant.e.s de Black Lives Matters ait porté son cas devant les médias, puis soit partagé par Kim Kardashian et Rihanna. Si l’accusée a réussi à obtenir la clémence, la majorité des TDS qui utilisent la légitime défense ne bénéficie pas de ce traitement médiatique, entre autres parce qu’elles sont adultes ou sont dans l’industrie de leur propre gré. En juillet 2021, Nichole Hover, une travailleuse du sexe d’Ottawa, a plaidé coupable à un chef d’accusation d’homicide involontaire, après avoir été accusée de meurtre au deuxième degré.41 Elle était avec un client qui a refusé de la payer, prétextant qu’il n’avait pas pu atteindre l’orgasme. Un conflit a éclaté et le client d’Hover est devenu violent. Elle a été condamnée à sept ans de prison. Bien qu’on ignore pourquoi Hover ait choisi de ne pas aller en procès et si elle a eu accès à de la représentation légale, l’issue de cette affaire ne devrait pas nous étonner: au Canada, on estime que 90% des personnes accusées déposent un plaidoyer de culpabilité.42 Les personnes détenues avant procès sont également plus susceptibles de plaider coupable que celles libérées sous caution. Le fait de détenir les personnes avant procès a été qualifié de « stratégie pour arracher un plaidoyer de culpabilité »43 dans certaines recherches. En effet, « [l]es gens vulnérables ayant des problèmes de toxicomanie ou de santé mentale, de déficience cognitive, de pauvreté ou d’itinérance peuvent subir des pressions accrues en faveur d’un plaidoyer de culpabilité. »44

Plus encore, la violence contre les TDS est souvent utilisée pour pousser des lois qui les criminalisent elles-mêmes. Les dernières tueries dans des salons de massage à Toronto en 2020 et à Atlanta en 2021 en sont des exemples. Dans le premier cas, le présumé tueur de Ashley Noelle-Arzaga a été accusé de terrorisme après que la police ait découvert les motifs misogynes et violents associés aux « incels45 ».46 Ces charges peuvent avoir l’air progressistes à première vue; ce n’est pas tous les jours qu’un homme blanc est accusé de terrorrisme. Toutefois, ce n’est pas ainsi qu’elles ont été perçues par la communauté visée par l’attentat. Selon Elene Lam, la fondatrice de l’organisme Butterfly, « les forces de l’ordre sont les plus grands terroristes [pour les TDS ] ».47 Selon un sondage produit par l’organisme, la moitié des répondantes ont déclaré qu’un agent de la paix avait été abusif, oppressant ou humiliant envers elles.48 Plutôt que des charges de terrorisme, les TDS préféreraient plutôt la décriminalisation de leur travail et l’accès à des droits du travail.49 Même son de cloche du côté de Red Canary Song, organisme New Yorkais intervenant auprès des TDS asiatiques et migrantes, suite à la fusillade dans un salon de massage d’Atlanta qui a mené à la mort de 8 femmes:

Nous rejetons l’appel à davantage de police en réponse à cette tragédie. L’impulsion à appeler à davantage de répression est encore plus grande en milieu de toute cette violence anti-asiatique qui appelle à encore plus de peines carcérales. […] La police n’a jamais eu une réponse adéquate à la violence parce qu’[elle] est un agent de la suprématie blanche. La police n’a jamais gardé en sécurité les travailleuses du sexe ou les employées des salons de massage ou les immigrant.e.s. La criminalisation et la démonisation des travailleuses du sexe a blessé et tué un nombre incalculable de personnes – plusieurs aux mains de la police, à la fois directement et indirectement. À cause de la perception raciste et sexiste des femmes asiatiques, particulièrement celles engagées dans des travaux vulnérables et mal-payés, la criminalisation du travail du sexe porte préjudice aux travailleuses des salons de massage, peu importe si elles en font elle-mêmes. La décriminalisation du travail du sexe est la seule façon qu’ont les travailleuses du sexe, les femmes travaillant dans des salons de massage, les survivantes de traffic ou n’importe qui criminalisé pour ses stratégies de (sur)vie d’être en sécurité.50

Puisque c’est le même appareil qui les criminalise, faire appel à la police ou à l’ensemble du système carcéral ne fait donc aucun sens pour ces femmes, particulièrement les femmes migrantes qui vivent avec la menace constante d’être déportées si leur travail est découvert. 

Un argument souvent utilisé pour défendre la décriminalisation du travail du sexe est que les clients et les proxénètes abusifs pourraient être plus facilement dénoncés à la police. Quand on pense à la façon dont la police et tout l’appareil pénal traite les victimes de violences genrées, on peut questionner l’utilisation de cet argument. Alors si ce n’est pas pour aller à la police, qu’est-ce que la décriminalisation apporterait aux TDS?

Criminaliser la pauvreté, pas les prostituées!

En 2020, suite à l’assassinat de l’homme afro-américain George Flyod aux mains du policier Derek Chauvin, des militant.e.s d’un peu partout en Amérique du Nord se sont mis à réclamer le définancement – voire même l’abolition – de la police.⁵¹ Ces militant.e.s revendiquent du même coup que le budget de la police, et plus largement de l’ensemble du système pénal, soit réinvesti dans les ressources sociales et communautaires. Nous pensons que cette proposition est intéressante pour réfléchir la décriminalisation du travail du sexe. Car ce dont ont réellement besoin les TDS, ce n’est pas d’une meilleure criminalisation, mais bien de droits et de ressources.

La décriminalisation du travail du sexe permettrait entre autre que les TDS aient accès aux droits du travail. Nous pensons que l’accès à ces régulations occasionnerait plusieurs améliorations dans nos conditions de travail. Pensons à la capacité d’exiger que les employeurs garantissent un environnement de travail sécuritaire et bannissent les clients problématiques, à un accès facilité à la dénonciation du harcèlement et de la violence au travail et à la capacité d’obtenir des compensations dans ces cas ou encore, à la capacité de dénoncer la discrimination raciale à l’embauche. Les situations de violences pourraient également être davantage prévenues si les clients n’avaient plus peur de la criminalisation, car cela faciliterait l’utilisation de méthodes de screening.

Les lois pour réguler le travail du sexe prenant racine dans le contrôle de la migration, nous pensons qu’il est également essentiel de porter une attention particulière aux conditions des TDS migrantes dans nos revendications pour la décriminalisation. Même en Nouvelle-Zélande, pays souvent vu comme l’exemple en terme de décriminalisation du travail du sexe, les TDS migrantes n’ont toujours pas le droit de travailler légalement près de 20 ans après le changement de lois. La lutte au trafic sexuel est directement reliée aux efforts des pays occidentaux de limiter la migration. Nous pensons que la seule solution pour remédier aux abus des personnes migrantes dans l’industrie du sexe est d’abolir la détention et les déportations, d’ouvrir les frontières et d’accorder un statut pour tout.e.s. Cela permettrait aux personnes migrantes qui travaillent dans l’industrie du sexe, ou dans toute autre industrie qui contourne les droits du travail, d’accèder à des protections sociales.

Toutefois, les réformes légales ne sauraient à elles seules lutter contre les violences structurelles desquelles les TDS sont souvent aux intersections. Les femmes, les personnes migrantes, racisées, trans et hadicapées sont toutes surreprésentées dans le travail du sexe et parmis les personnes victimisées. Les barrières aux emplois traditionnels, les difficultés d’accès au logement à un prix décent et de taille adéquate, les difficultés d’accès grandissantes à des soins de santé gratuits et universels, à la garde d’enfants, et plus largement, la pauvreté structurelle et les inégalités croissantes, sont tous des facteurs d’augmentation de la violence. Ces obstacles structurels font qu’une personne peut être obligée de rester dans une situation de violence, que ce soit la violence d’un conjoint, d’un proxénète ou d’un employeur. La prison, la criminalisation, la stigmatisation et la répression sont des facteurs d’accroissement de ces inégalités et non pas des solutions! Si nous voulons lutter contre la violence envers les TDS, les femmes et les personnes opprimées par le genre, il faudra réclamer davantage de ressources, de l’argent dans nos poches et un toit pour tout.e.s. Nous irons chercher cet argent à même le budget qui nous criminalise!

Cet article est paru dans la deuxième édition du zine CATS Attaque ! Pour consulter le zine au complet, visitez le site du CATS.

APPEL à un 1er mai anticapitaliste : colonial et écocidaire, le capitalisme c’est la guerre !

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Fév 212022
 

De la Convergence des luttes anticapitalistes

Le 1er mai 2022, la Convergence des luttes anticapitalistes (CLAC) appelle à une 15e manifestation anticapitaliste pour la journée des travailleuses et des travailleurs. L’État colonial a démontré cette année encore qu’il priorise la croissance du capital aux détriment de nos vies. Faisant preuve d’hyprocrisie totale, nos gouvernements prononcent les mots réconcilliation et environnement tout en ignorant les droits souverains des peuples autochtones et en détruisant la terre avec des politiques extractivistes et discriminatoires. Il est temps de se révolter.

Plus le temps avance, plus notre système capitaliste dopé aux stéroïdes contribue à la dégradation des conditions climatiques et écologiques qui assurent notre survie. On fonce tout droit vers le mur alors que nos gouvernements se liguent avec des pétrolières, l’industrie forestière et les minières pour continuer de faire passer des projets écocidaires, comme le gazoduc de Coastal GasLink en terre Wet’suwet’en, les coupes à Fairy Creek et les dernières annonces permettant aux minières d’émettre encore plus de particules de zinc et de nickel au soi-disant Québec. Pour défendre leur droit de nous amener à la fin du monde, ils achètent des guns, des flics et des prisons, parce qu’ils savent que les gens résistent, ont toujours résisté et continueront de le faire. L’extractivisme va main dans la main avec le colonialisme et l’oppression des peuples autochtones et ces logiques font tourner le système capitaliste qui nous maintient dans une misère qui va de mal en pis.

On a arrêté de compter sur les hypocrites qui nous gouvernent depuis un bon moment, mais Trudeau et Legault s’efforcent à battre des osties de records. Nos gouvernements continuent de s’acharner sur les personnes non-vaccinées pour ne pas adresser la faute de tous les gouvernements paternalistes des dernières décennies qui sont responsables des conditions de travail insupportables en enseignement et en santé, des milieux majoritairement féminins. Comme d’habitude, l’argent, il y en manque toujours pour les écoles et les hôpitaux, mais jamais pour les flics et pour les prisons pour migrant-e-s. En plus, nos gouvernements se lavent les mains des violences qu’ils font subir en s’attaquant aux « wokes », en disant que « les Québécois, on n’est pas si pire. » En autres, Legault met de l’avant des projets de loi transphobes et interphobes (PL-2) et xénophobes (PL-21) en plus de refuser d’appliquer le principe de Joyce et de considérer la crise du logement comme telle. Alors que la catastrophe écologique continue de sévir sur le globe, nos gouvernements nous vendent un monde de chars électriques de marde insoutenable qui garde la population dans l’asservissement et contribue à l’étalement urbain. Ils envoient une escouade militaire de la GRC détruire un camp autochtone afin de pouvoir construire un autre ostie de pipeline financé par l’État et les banques, et ce, au moment même où la province est aux prises avec des inondations majeures.

Il faut se rendre à l’évidence que la situation est accablante, mais que le monde commence à se réveiller et, de plus en plus, on se serre les coudes, on se tient en solidarité avec d’autres communautés et on crée des ponts qui n’existaient pas auparavant. On parle de plus en plus de racisme environnemental, par exemple du dépotoir illégal à Kanesatake qui met en danger la santé du peuple et des terres. On voit apparaître des bannières en Palestine occupée en solidarité avec les défenseurs du territoire Wet’suwet’en. Nos mouvements visant l’abolition du capitalisme et de tous les systèmes d’oppression ne cessent de multiplier leurs éclats. On est sur la bonne voie. Nous n’avons plus d’autres choix que de refuser ce système de mort basé sur un travail dont l’intérêt premier est l’enrichissement des bourgeois au coût de la destruction de notre santé physique, mentale et des écosystèmes millénaires infiniment complexes desquels nous sommes dépendants.

Le 1er mai, exprimons notre rage contre le capitalisme. Levons-nous contre ces oppressions, levons-nous contre la destruction et construisons un futur radicalement différent. Prenons la rue, ensemble.

Heure et lieu de rassemblement à venir.

2012. La plus grande grève de l’histoire du Québec

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Fév 142022
 

De Archives révolutionnaires

Le 13 février 2012 marque le début de la plus grande grève de l’histoire du Québec, une grève étudiante qui a vu débrayer jusqu’à 310 000 personnes et donné lieu à certaines des plus importantes manifestations de la province. Ce conflit entre étudiant.es et gouvernement libéral, étalé sur plus de six mois, a fait une quarantaine de blessé.es et a provoqué l’arrestation de plus de 3 500 personnes. Il s’est par ailleurs transformé en conflit social, voyant s’opposer un mouvement populaire portant des valeurs sociales-démocrates et l’intransigeant gouvernement de Jean Charest, défenseur du néolibéralisme. Cet évènement, devenu l’un des plus importants de la mémoire collective du XXIe siècle au Québec, a soulevé de nombreux autres enjeux que ceux liés à la condition étudiante. Le mouvement a remis en cause le libéralisme, et pour certain.es le capitalisme, et a donné lieu à une guerre de communication et d’images, à l’invention de pratiques offensives novatrices, à des alliances inusitées et surtout à une expérience inédite d’occupation de l’espace urbain. Afin d’explorer différents aspects marginalisés dans l’historiographie de la grève de 2012, notre collectif se propose d’offrir, dans les prochains mois, une série d’articles partisans ayant pour objectif de complexifier les récits communs et d’offrir des réflexions révolutionnaires sur le mouvement et sa postérité.

Ce premier texte présente le contexte mondial de révoltes dans lequel s’est inscrite la grève étudiante québécoise. Il sera suivi de différents textes abordant la grève dans les cégeps en région, la violence et les rapports de force, les enjeux de genre, la question des images, des représentations et des médias sociaux comme champs de bataille idéologique, et enfin les faiblesses internes du mouvement. Ces textes se focaliseront sur les tendances plus radicales du mouvement, afin de réfléchir ensemble aux forces et aux faiblesses de nos pratiques durant la grève de 2012 et de chercher des manières d’être plus efficaces dans nos actions à venir. Cette série d’articles s’accompagnera aussi au printemps d’une exposition d’archives de la grève.

Deux décennies de luttes : contexte mondial d’émergence de la grève de 2012

Depuis la chute de l’Union soviétique (1991) et le triomphe autoproclamé du capitalisme libéral, le monde occidental a connu deux séquences de révoltes, en écho à divers mouvements internationaux. Dans les années 1990, une première série d’actions conteste l’ordre hégémonique, en s’opposant notamment au nouvel impérialisme cristallisé dans les traités de libre-échange et dans diverses politiques austéritaires. Afin de s’opposer à l’Accord de libre-échange Nord-américain (ALENA), l’armée insurrectionnelle zapatiste (EZLN) se soulève le 1er janvier 1994 dans le sud du Mexique, avec des conséquences pour le monde entier. Cette remise en cause directe de l’impérialisme libre-échangiste inspire rapidement les mouvements de gauche occidentaux et du Sud global. Dans un même mouvement de défiance envers l’impérialisme, principalement américain, on retiendra notamment l’élection d’un gouvernement socialiste au Venezuela (1998) et le renversement de la dictature de Soeharto aux Philippines (appuyée par les États-Unis). Pour la gauche occidentale, ces actions de révolte sont une source d’inspiration majeure pour les luttes d’émancipation à cette époque.

L’idée d’un plan d’action collectif prend forme dans l’Action mondiale des peuples (AMP) créée en 1998, qui conteste l’ordre capitaliste et promeut l’action directe afin de redonner leur souveraineté aux peuples et groupes opprimés. Cette séquence d’opposition au néolibéralisme, associée à l’altermondialisme, aboutit aux spectaculaires contre-sommets du tournant de l’an 2000 : Seattle (1999), Québec (2001) ou Gênes (2001). L’altermondialisme, surtout dans sa forme radicale, marque trois avancées importantes pour la gauche : le développement d’un discours cohérent d’opposition au néolibéralisme, la capacité de mobiliser très largement contre la gouvernance capitaliste et l’arrimage d’un mouvement large à des pratiques radicales, acceptées sous le principe de la « diversité des tactiques ». Par contre, au courant des années 2000, l’aporie de la réactivité comme stratégie mène l’altermondialisme à s’essouffler, sans pour autant que ses acquis ne disparaissent.

À la suite de la crise économique de 2008, qui mène plusieurs banques et États au bord de la faillite, les grandes institutions capitalistes réagissent en déportant le coût de la crise sur les populations, par des mesures austéritaires brutales imposées à des nations déjà fragilisées par le système économique mondial et l’impérialisme. Des pays comme l’Espagne et la Grèce sont durement touchés et leurs populations écrasées par les privatisations imposées de l’extérieur. C’est aussi le cas de nombreux pays d’Amérique latine ou d’Afrique du Nord. Ce contexte, souvent associé à des régimes autoritaires et cleptocrates incapables d’offrir une existence digne pour le peuple, mène bientôt à des ruptures de ban. Déjà en Grèce, en décembre 2008, les émeutes mettent à mal le gouvernement de Kóstas Karamanlís. À partir de décembre 2010, le « printemps arabe » remet profondément en cause le système économique mondial et les régimes politiques autoritaires qu’il protège dans une majorité de pays du Sud global. À terme, les régimes tunisien, libyen (par une intervention impérialiste d’un opportunisme criminel) et égyptien (avant le retour de la dictature en 2013) sont renversés, et des manifestations de très longue haleine remettent en cause plusieurs gouvernements, de l’Algérie au Liban.

Dans ce même contexte de contestation de l’ordre capitaliste et de remise en cause des régimes autoritaires, les étudiant.es du Chili manifestent durant pratiquement toute l’année 2011 pour dénoncer l’augmentation des coûts du transport public et la gestion néolibérale de leur pays, héritière du pinochisme. À compter de mai 2011, le Mouvement des indigné.es remet en cause l’économie de marché en Espagne, avant d’être récupéré dans les urnes par le parti Podemos. De plus, les occupations dénonçant la finance mondiale se multiplient dans le monde en 2011 et 2012, au sein du mouvement décentralisé « Occupy », né à New York. À la jonction de l’altermondialisme et de la séquence de luttes post-2008, le contre-sommet de Toronto (2010) sera aussi marquant pour bien des militant.es québécois.es, qui affrontent alors la violence de l’État (financée au coût de près d’un milliard de dollars), qui se traduit par plus d’un millier d’arrestations et de nombreux emprisonnements dans des conditions arbitraires. Ce contre-sommet est aussi l’occasion de préparer un discours radical qui sera repris en 2012. La grève étudiante québécoise s’inscrit très clairement dans cette seconde séquence de luttes, alors que le mouvement dénonce d’abord l’augmentation des frais de scolarité et la « marchandisation de l’enseignement », deux mesures néolibérales, avant d’élargir son horizon à une contestation du gouvernement, des politiques d’austérité et même du régime capitaliste. Ce récapitulatif en deux temps des mouvements de révolte mondiaux et occidentaux est important afin de comprendre tant les racines idéologiques de la grève étudiante de 2012 que son inscription dans un mouvement mondial d’opposition à l’ordre néolibéral. Il sera aussi intéressant de noter la convergence entre différentes pratiques internationales et québécoises, telle la pratique de la mobilisation horizontale arrimée aux réseaux sociaux, permettant une action rapide et étendue, mais qui implique souvent un mouvement plus décousu, poreux à la division ou incapable de proposer des projets clairs.

Le mouvement étudiant québécois : vers la grève générale

Au Québec, les années 1990 donnent lieu à une reconfiguration du mouvement syndical étudiant. La disparition en 1994 de l’Association des étudiants et étudiantes du Québec (ANEEQ), un syndicat revendicatif aux horizons politiques de gauche, laisse le champ libre à des organisations nettement plus corporatistes. Ainsi, la Fédération étudiante universitaire du Québec (FEUQ, 1989-2015) et la Fédération étudiante collégiale du Québec (FECQ, créée en 1990) deviennent les principaux acteurs du mouvement étudiant. La FEUQ obtient par exemple la reconnaissance officielle du gouvernement en 1993, alors que l’organisation rassemble 125 000 membres dès l’année scolaire 1994-1995. Les éléments combatifs du mouvement ne sont pourtant pas disparus ; dans le contexte de remise en cause du néolibéralisme naît une nouvelle organisation radicale, le Mouvement pour le droit à l’éducation (MDE, 1995-2000). Se réclamant directement de l’influence zapatiste, cette organisation compte animer un mouvement d’opposition au néolibéralisme et au capitalisme. Déchirée entre ses obligations syndicales et sa volonté de mener une lutte politique, l’organisation se dissout à l’automne 2000, tout en ayant mis la table pour la création d’une organisation étudiante large et radicale, que sera l’Association pour une solidarité syndicale étudiante (ASSÉ, 2001-2019).

Cette nouvelle association désire poursuivre les objectifs du MDE, mais cherche d’abord à se concentrer sur le milieu étudiant. On veut ainsi former une organisation étudiante large, capable de mobiliser et de lutter dans les cégeps et les universités, mais aussi porteuse d’un discours s’opposant au libéralisme et au capitalisme. En somme, l’ASSÉ assume son assise étudiante tout en gardant la porte ouverte à une lutte élargie, consciente que les problèmes en éducation découlent des problèmes sociaux. Par contre, l’ASSÉ n’est pas aux prises, comme l’a été le MDE, avec la tentation de se substituer aux organisations politiques. Dans la mouvance de l’altermondialisme qui se poursuit et des luttes post-2008, se distinguant des deux fédérations corporatives, l’ASSÉ se fortifie tout au long des années 2000. Seule à occuper une position nettement à gauche dans le mouvement étudiant, elle joue un rôle important durant les grèves de 2005 et 2007-2008. Durant la grève de 2005, c’est d’ailleurs elle qui met le plus clairement la pression sur le gouvernement, avant d’être exclue des négociations (sous prétexte de son radicalisme), ce qui mène à une entente au rabais entre les libéraux de Jean Charest et les deux fédérations étudiantes. À partir de 2010, l’ASSÉ est aussi l’organisation qui menace le plus directement le gouvernement libéral d’une grève générale et d’autres actions si celui-ci s’entête à vouloir augmenter les frais de scolarité de 1625 $ sur 5 ans. En 2011 est créée une Coalition large de l’ASSÉ (CLASSE) qui rallie de nombreuses associations étudiantes désireuses de lutter plus ardemment contre la hausse annoncée et qui se joignent momentanément à l’ASSÉ en vue du conflit.

L’ASSÉ, inspirée par le « syndicalisme de combat » ainsi que par les idées anticapitalistes du MDE, se montre à la fois combative et très démocratique, ce qui séduit un grand nombre d’étudiant.es de gauche. Après son exclusion des négociations en 2005, l’ASSÉ réussit le tour de force de devenir l’élément moteur de la grève de 2012 et ce sont ses membres qui instaurent un réel rapport de force avec le gouvernement, menant celui-ci à plier à divers moments. La FEUQ et la FECQ, bien qu’actives en 2012, ne sont plus capables de jouer le rôle de leadership qu’elles voudraient s’attribuer. L’ASSÉ mène le bal, quoiqu’elle soit elle-même souvent dépassée par des éléments d’extrême gauche (notamment anarchistes) qui, par des actions nombreuses et variées, maintiennent la pression sur le gouvernement durant toutes les négociations en vue de l’annulation de la hausse des frais de scolarité et d’une réforme du système d’éducation. L’ASSÉ sera le théâtre de tensions quant aux actions « acceptables » ou non et quant à l’élargissement de la grève à la société. Au final, l’ASSÉ, assumant son ancrage étudiant, s’en tiendra surtout à négocier de meilleures conditions d’études supérieures, sans pourtant dénoncer les différentes tactiques offensives employées par certains groupes, tout en arrimant ses demandes réformistes à un horizon post-capitaliste.

2012 : une lutte étudiante pour changer la société

En février 2010, le gouvernement libéral de Jean Charest, qui dirige le Québec depuis 2003, décide d’imposer une augmentation des frais de scolarité, qu’il chiffre subséquemment à 1625 $ sur cinq ans pour l’université, afin de porter ces frais à 3 793 $ par année en 2017. Cette annonce mobilise rapidement les milieux post-secondaires puisqu’elle attaque directement les étudiant.es, et vise à ancrer l’éducation supérieure dans un modèle néolibéral où les étudiant.es paient pour obtenir un diplôme, selon un modèle de la dette et de la rentabilité en contradiction avec un modèle d’éducation « universel et désintéressé ». En réponse, des actions ont lieu dès le mois de mars 2011 afin de contester la hausse annoncée et une manifestation rassemblant environ 30 000 personnes a lieu le 10 novembre suivant à Montréal. Afin d’organiser la riposte, la CLASSE est créée en décembre et rassemblera plus de 100 000 étudiant.es le temps de la grève. En janvier, c’est justement un débrayage illimité qui est proposé par la CLASSE et considéré par la FEUQ et la FECQ. Au début de février 2012, les votes de grève dans les cégeps et les universités se multiplient et le conflit commence officiellement[1]. Intransigeant, le gouvernement demande dès le 17 février aux administrations de ne pas respecter les votes de grève. Afin de nier le droit de grève acquis des étudiant.es au Québec depuis les années 1960, le gouvernement troque le terme de « grève » pour celui de « boycottage » afin de décrédibiliser le mouvement : une véritable guerre sémantique se met en marche entre le gouvernement et les grévistes, qui continuera tout au long du conflit. Les votes et les débrayages se poursuivent malgré tout, portant le nombre de grévistes à plus de 310 000 le 22 mars 2012, sur un total d’environ 450 000 personnes inscrites aux études supérieures.

À cette même date, une première manifestation d’envergure – qui doit être le point d’orgue du mouvement pour l’ASSÉ, subséquemment dépassée par sa propre base – rassemble plus de 150 000 personnes à Montréal. Cet élan est souligné dans les médias internationaux, créant le sentiment chez les étudiant.es québécois.es de participer à un mouvement mondial de dénonciation de l’idéologie et des pratiques néolibérales. De très nombreuses associations étudiantes, en grève limitée, tombent alors en grève générale illimitée. Le gouvernement cherche encore à nier l’ampleur du mouvement et privilégie la répression au dialogue alors que la contestation s’élargit, notamment grâce à un mouvement d’enseignant.es appuyant les étudiant.es dès la fin du mois de mars. Les actions directes commencent aussi à se multiplier, organisées par la CLASSE ou par des groupes autonomes, dont des blocages de routes, de ponts, du métro et d’immeubles gouvernementaux – Loto-Québec[2], la SAQ, des bureaux de ministres, etc. – ainsi que des manifestations parfois violentes, comme celle du 15 mars (jour de la manifestation annuelle contre la brutalité policière)[3]. C’est aussi une période marquée par la répression juridique, notamment en raison de l’octroi par les tribunaux d’injonctions forçant le maintien des cours, ce qui entraîne des affrontements entre grévistes et policiers tentant de faire respecter « la loi »[4].

Le 20 avril, au Palais des congrès de Montréal, a lieu une rencontre entre businessmans visant à amplifier l’exploitation du territoire, dans le cadre du projet de Plan Nord du gouvernement Charest. Face à cette rencontre du gouvernement avec les capitalistes de toute la province, une grande manifestation est appelée. Le matin même, le Palais des congrès est entouré par des milliers de militant.es, dont une partie pénètre dans le lieu et perturbe l’évènement. Repoussé.es par la police anti-émeute, les contestataires assiègent l’endroit de l’extérieur durant toute la journée, donnant lieu à des affrontements avec la police. Rebelote le lendemain alors que l’évènement se poursuit : nouveaux affrontements et nouvelles perturbations, nouvelles violences policières et arrestations. Suivant les votes de grève massifs et le mépris du gouvernement, la tension commence à monter sérieusement en avril 2012. À ce moment, le gouvernement décide d’entamer des négociations avec les associations étudiantes, tout en voulant exclure la CLASSE sous prétexte qu’elle n’a pas suffisamment condamné les violences des 20 et 21 avril. Cette décision vise clairement à diviser le mouvement étudiant : heureusement, les deux associations corporatives (FEUQ et FECQ), poussées par leur base, comprennent la manœuvre et refusent de s’asseoir à la table des négociations sans la présence de l’organisation de gauche, comme cela avait été le cas en 2005. L’action du gouvernement n’empêche pas la tenue, le 22 avril, de l’une des plus grandes manifestations de l’histoire du Québec, qui rassemble à Montréal environ 250 000 personnes, ni l’organisation de trois grandes manifestations nocturnes (24, 25 et 26 avril) appelées par des étudiant.es autonomes des grandes associations[5].

Le lendemain, Jean Charest fait une offre aux étudiant.es, soit d’étaler la hausse prévue sur sept ans plutôt que cinq ans. Cette proposition est perçue comme une insulte par le mouvement, qui intensifie dorénavant ses actions directes, ses manifestations de jour organisées par les centrales syndicales étudiantes et ses manifestations nocturnes, qui rassemblent des milliers de personnes chaque soir à Montréal (puis à Québec notamment) et qui sont l’occasion récurrente d’affrontements avec la police. Les étudiant.es plus radicaux répondent aussi au gouvernement par milliers lors du 1er mai anticapitaliste (organisé par la Convergence des luttes anticapitalistes, CLAC) où les échauffourées sont nombreuses. Le gouvernement, après plusieurs mois de conflit, maintient son attitude intransigeante et sa politique de répression. Dans ce contexte, le Parti libéral du Québec décide de tenir son congrès général à Victoriaville, pour s’éviter une rencontre houleuse avec les manifestant.es, comme cela fut le cas au Palais des congrès de Montréal. Les étudiant.es se présentent pourtant nombreuses et nombreux à Victoriaville le 4 mai et affrontent dès le début de la journée les escouades anti-émeutes de la Sûreté du Québec (SQ), qui protègent le rassemblement libéral. Des scènes de confrontation ont lieu toute la journée alors que la violence policière atteint son comble et que plusieurs manifestant.es sont grièvement blessé.es. En parallèle, le gouvernement appelle les représentant.es des organisations syndicales étudiantes à négocier à Québec. Une entente de principe est signée le 5 mai, mais elle sera rejetée par toutes les associations étudiantes en grève, alors même que les directions syndicales reconnaissent plus ou moins s’être fait mener en bateau. Cette entente maintenait en effet la hausse des frais de scolarité. Suite au rejet unanime par la base de cette entente inacceptable, la ministre de l’Éducation, Line Beauchamp, démissionne de la vie politique le 14 mai 2012.

Face à un mouvement étudiant très vigoureux, la ville de Montréal se met aussi à la répression, interdisant le port du masque en manifestation à compter du 18 mai. La même journée, l’inique loi 12 du gouvernement Charest entre en vigueur, visant à forcer la tenue des cours et à interdire les rassemblements publics de plus de 50 personnes sans en avertir la police. En somme, le gouvernement Charest cherche à mettre fin au mouvement par cette loi spéciale, puisqu’elle interdit de facto la grève étudiante et les manifestations impromptues, les deux moyens d’action qui permettent aux étudiant.es d’établir un rapport de force avec le gouvernement. C’est dans ce même contexte que le futur premier ministre François Legault, qui vient de créer la Coalition avenir Québec (CAQ), déclare que « la prochaine étape va être de le faire avec des policiers, d’une façon un peu forcée »[6]. Une grande manifestation de soir a lieu la journée même pour dénoncer le règlement de la ville et la loi provinciale. Le 20 mai, il y aura plus de 300 arrestations lors de la manifestation nocturne, laissant présager un durcissement de la répression et de la judiciarisation du conflit. Le 22 mai 2012, le mouvement réplique en ce 100e jour de grève : des manifestations sont organisées partout au Québec, sans respecter la loi 12, alors que le cortège montréalais rassemble 250 000 personnes. La manifestation de soir est quant à elle violemment réprimée, en guise de punition pour les succès de la journée. La fin du mois de mai voit se multiplier les arrestations de masse[7], souvent de plusieurs centaines de personnes, à Montréal comme à Québec. Ces arrestations aveugles ainsi que la « loi spéciale » sont dénoncées par une partie grandissante de la population, qui commence à faire entendre des bruits de casserole quotidiennement, et seront à terme dénoncées par la Ligue des droits et libertés et par Amnistie Internationale.

En juin et juillet, le mouvement se poursuit, notamment sous la forme des manifestations nocturnes à Montréal, Québec et ailleurs, et dénonce de plus en plus clairement le gouvernement libéral dans son ensemble, les politiques austéritaires et même le capitalisme. Le mouvement étudiant devient peu à peu un mouvement social opposé au gouvernement Charest et à la gestion néolibérale, en écho aux mouvements mondiaux de contestation post-2008. C’est aussi le moment choisi par la CLASSE pour diffuser son message auprès de la population et pour essayer d’élargir la lutte en faveur d’une démocratie directe et d’une société équitable dans le cadre d’une tournée estivale de mobilisation. Une nouvelle grande manifestation a lieu le 22 juillet, rassemblant possiblement 80 000 personnes. Le conflit, toujours bloqué, trouve un nouveau développement le 1er août[8] : le premier ministre annonce la tenue d’élections anticipées pour le 4 septembre 2012. Peu importe les camps et les tendances, tout le monde comprend que le conflit est maintenant pleinement politique. Les fédérations corporatistes ainsi que la CLASSE savent que le conflit est devenu social, qu’elles veuillent le régler dans les urnes ou dans la rue. C’est aussi le cas des factions radicales et anticapitalistes, qui rejettent les élections, mais assument pleinement le caractère politique de la situation. Dans ce contexte électoral, la FECQ, la plus aplaventriste des organisations étudiantes, met fin à sa grève. La CLASSE, quant à elle, poursuit le combat, avec notamment une énième grande manifestation le 22 août. L’été est aussi marqué par un mouvement populaire, avec des organisations de travailleur.euses appuyant les étudiant.es, de l’organisation de quartier et des manifestations locales, ainsi que le fameux mouvement des casseroles[9]. En effet, depuis mai et jusqu’en août, des bruits de casseroles se font entendre tous les soirs dans les quartiers de Montréal et d’ailleurs pour dénoncer la loi 12 et le gouvernement, et en appui aux étudiant.es.

En vue des élections, la FEUQ et la FECQ encouragent les étudiant.es à aller voter pour faire entendre leur voix, appuyant officieusement le Parti québécois (PQ), l’opposition officielle. Ce parti est pourtant celui qui avait le premier remis en cause le gel des frais de scolarité à l’époque du gouvernement de Lucien Bouchard (1996-2001), alors que Pauline Marois, la cheffe du PQ en 2012, était… ministre de l’Éducation (1996-1998). Ne semblant guère se soucier des contradictions, les manigances de la FEUQ et de la FECQ participent à l’élection du PQ à la tête du Québec en 2012[10]. La CLASSE ne se mêle pas de la campagne électorale, attendant de voir quel sera son prochain adversaire. Dès son élection en tant que gouvernement minoritaire, le Parti québécois, en guise de remerciement pour l’appui des fédérations, et pour s’éviter un nouveau conflit social qui vient de coûter le gouvernement au PLQ, annule par décret la hausse des frais de scolarité à l’origine du mouvement de 2012 ainsi que la « loi spéciale » (loi 12). La grève étudiante prend fin de facto, au grand bonheur des deux fédérations et d’une partie de la CLASSE, mais au dam du noyau traditionnel et des radicaux de l’ASSÉ, ainsi que des groupes anticapitalistes qui souhaitaient voir s’approfondir le conflit entre militant.es et néolibéralisme. Ces derniers ont bien raison d’être amers : le gouvernement Marois agit de 2012 à 2014 comme n’importe quel gouvernement néolibéral et impose une hausse des frais de scolarité lors du Sommet sur l’éducation post-secondaire (février 2013), d’ailleurs boycotté par l’ASSÉ pour cette raison.

2012 et après ?

Entre l’épuisement des troupes, l’élection surprise déclenchée par Jean Charest, la servilité de la FEUQ et de la FECQ à l’endroit du PQ et la récupération politique opérée par ce parti, le « printemps érable », nom fameux donné à la grève étudiante de 2012 en référence au « printemps arabe », se termine abruptement. C’est par ailleurs la fin d’un front commun historique entre fédérations étudiantes, syndicat étudiant de gauche (ASSÉ) et différents groupes politiques et sociaux radicaux. Le rêve d’un élargissement du mouvement à l’ensemble de la société, afin de voir émerger une remise en cause globale du système, est aussi enterré. L’ASSÉ sort par contre assez triomphante du printemps 2012 : elle est passée du rôle d’une organisation de taille moyenne, méprisée par les fédérations étudiantes, les grandes centrales syndicales et le gouvernement, à celui de premier acteur du mouvement étudiant. C’est désormais le syndicat le plus connu et le plus populaire dans les milieux post-secondaires. Cette aura perdure dans les années suivantes, jusqu’en 2015 environ. À ce moment, en effet, des militant.es de la gauche radicale se proposent d’organiser un nouveau mouvement de grève, plus ouvertement politique et social. Des comités de grève sont formés dans les milieux étudiants et dans divers milieux de travail, réussissant effectivement à lancer un mouvement de débrayage de mars à mai 2015. L’ASSÉ, supportant mal cette initiative de la base, non centrée sur le mouvement étudiant, tolère pour un temps les votes de ses membres. Mais après six semaines de grève, sans prévenir les militant.es des différents comités, le syndicat étudiant appelle avec succès à mettre fin à la grève. Cette action non coordonnée et en contradiction avec un mouvement de grève étudiant et social dérange grandement les militant.es de gauche et d’extrême gauche qui forment la base traditionnelle de l’ASSÉ. Après cette trahison, la glorieuse organisation périclite jusqu’à sa disparition en 2019.

La grève de 2012 laisse certainement d’autres traces, dont la capacité de mobiliser très largement, la possibilité de créer une jonction entre mouvement étudiant et mouvement social, l’élargissement du discours anti-néolibéral et anticapitaliste (qui peut expliquer en partie la montée continuelle du vote pour le parti de gauche Québec solidaire depuis 2012), le respect chez plus de personnes de la « diversité des tactiques », une suspicion accrue envers les corps policiers et le gouvernement, la diffusion de tactiques diverses de lutte, etc. Une génération a été formée aux idées et pratiques radicales, qui animent encore différents groupes réformistes ou révolutionnaires. Le mouvement présente aussi plusieurs apories. Alors qu’il contestait la gouvernance néolibérale et l’exploitation des ressources naturelles (notamment lors des émeutes contre le Plan Nord), il n’a pas su se lier aux luttes des peuples autochtones contre l’État et l’extractivisme. Le mouvement de 2012 a oscillé entre le dirigisme des fédérations étudiantes, qui nivelaient vers le bas les demandes et pratiques du mouvement, et l’horizontalisme extra-associatif, qui se montrait combatif, mais disparate, n’arrivant pas à offrir un horizon révolutionnaire viable. Entre les deux, l’ASSÉ est finalement restée trop réformiste et trop centrée sur le monde étudiant, deux tares qui ont contribué à l’échec du mouvement de 2015. Le mouvement n’a pas su non plus rendre pérenne l’élargissement du mouvement à la contestation politique ni radicaliser plus largement la population. Enfin, les liens organiques entre une partie du mouvement, surtout les corporatistes, et le mouvement nationaliste québécois, ont entraîné diverses confusions et problématiques, détournant souvent le mouvement des enjeux économiques et de classes sociales[11]. Si nous visons à revisiter plusieurs aspects intéressants de la grève de 2012 dans des articles à venir, dont la grève en région, la présence queer dans le mouvement, la question de la violence ou celle de l’image, nous reviendrons aussi sur les apories de ce conflit étudiant. Non tant pour critiquer, mais bien pour réfléchir à des manières révolutionnaires de composer avec ces contradictions et ces écueils lors de prochaines luttes. En tant que militant.es d’extrême gauche, nous aurons encore à intervenir dans des mouvements sociaux : à nous de réfléchir comment les radicaliser pour les porter plus loin, i.e. vers des fins révolutionnaires.

Pour en connaître plus sur les origines et le déroulement de la grève étudiante de 2012 au Québec, la meilleure référence reste l’ouvrage « engagé » Printemps de force (Arnaud Theurillat-Cloutier, Lux, 2017). Si le livre étudie le mouvement étudiant de 1958 à 2013, il offre une place de choix à la grève de 2012 dans la perspective d’un « asséiste pragmatique ». Pour une lecture de la grève dans une perspective anarchiste, on lira On s’en câlisse (Collectif de Débrayage, Sabotard / Entremonde, 2013). Pour un portrait documentaire de la grève dans son ensemble, favorable aux étudiant.es et à l’ASSÉ, on écoutera Carré rouge sur fond noir (Santiago Bertolino, 2013, 110 minutes). Enfin, pour une expérience immersive au cœur des manifestations et des émeutes, là où le conflit s’est joué, on regardera Insurgence (Collectif Épopée, 2013, 136 minutes).


[1] L’Association étudiante du cégep de Valleyfield (AGÉCoV) est la première à se donner un mandat de grève illimitée le 7 février ; la grève commence officiellement le 13 février.

[2] La tour de Loto-Québec a notamment été bloquée le 7 mars, entraînant une violente répression policière et le premier blessé grave du conflit, un étudiant ayant perdu son œil.

[3] Cette manifestation, à laquelle la CLASSE a appelé ses membres à participer, a rassemblé environ 5000 personnes et s’est soldée par une émeute.

[4] Les affrontements durent du 16 au 19 avril à l’Université du Québec en Outaouais (UQO) et entraînent plus de 330 arrestations… mais les grévistes tiennent bon et les cours restent suspendus.

[5] La manifestation du 25 avril rassemble au moins 10 000 personnes, tourne à l’émeute en soirée et se poursuit durant la nuit.

[6] Cité par Michel David, « Place aux muscles », Le Devoir, 15 mai 2012.

[7] Plus de 270 arrestations le 20 mai, plus d’une centaine le 22 et plus de 500 le 23, seulement à Montréal.

[8] Qui est aussi la date de la 100e manifestation nocturne à Montréal, évènement qui rassemble plusieurs milliers de militant.es.

[9] Le parti progressiste Québec solidaire (QS) participait à l’effort d’élargissement social du mouvement, alors que les grandes centrales syndicales (CSN et FTQ) se sont contentées d’appuyer les étudiant.es en évitant soigneusement d’elles-mêmes se mettre en jeu ou de profiter du contexte pour menacer le gouvernement néolibéral, par essence opposé aux intérêts des travailleuses et des travailleurs.

[10] Les liens organiques entre les centrales corporatistes (FEUQ et FECQ) et le PQ sont patents ; la présidente de la FEUQ de 2011 à 2013, Martine Desjardins, est candidate aux élections de 2014 pour le PQ, alors que le président de la FECQ de 2010 à 2012, Léo Bureau-Blouin, n’attend pas et se présente pour le PQ dès 2012, devenant député pour le parti nationaliste de 2012 à 2014.

[11] Le mouvement de grève de 2012 a aussi été marqué par l’entrée en grève illimitée, pour la première fois, d’associations étudiantes des universités anglophones McGill et Concordia, qui ne vouaient certainement pas leurs actions à servir le mouvement nationaliste québécois.

Invitation : 22.02.2022 – Vers la fin des mondes binaires – Réponse solidaire à la crise sanitaire

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Fév 042022
 

Soumission anonyme à MTL Contre-info

Actions partout au Québec

Nous ne voulons pas de retour à la normale, nous voulons un vrai changement social !

Considérant qu’après presque deux ans de pandémie, plusieurs solutions proposées par les gouvernements sont superficielles et autoritaires :

… Ils démonisent les personnes non-vaccinées;

… Ils considèrent les gens individuellement responsables de la pandémie et de ses conséquences;

… Ils mettent en place le passeport vaccinal qui contrôle nos corps et nos déplacements;

… Ils obligent le code QR qui nous habitue à la surveillance informatisée;

… Ils favorisent l’enrichissement des compagnies pharmaceutiques par la protection des brevets sur les vaccins;

… Ils s’accaparent des doses de vaccin plutôt que de proposer une distribution égalitaire dans le monde;

… Ils adoptent un couvre-feu qui vulnérabilise les personnes déjà marginalisées et qui accroît les pouvoirs policiers;

… Ils défendent le mode de vie des familles nucléaires hétéro, cis-centristes et aisées pour qui l’impact du couvre-feu est minime.

Considérant que les problèmes sociaux qui étaient déjà là ont été exacerbés par la crise sanitaire :

…changements et injustices climatiques

…crise du logement, inflation et augmentation des écarts entre les riches et pauvres

…violence conjugale et de genre

…anxiété généralisée et troubles chroniques de santé mentale

… racisme systémique et colonialisme

(À vous de compléter la liste…)

Considérant que les politiques néolibérales ont sérieusement fragilisé notre système de santé.

Considérant que l’extrême-droite profite de la situation pour faire avancer son agenda pro-pipeline, raciste et misogyne.

Considérant que la gestion de la crise sanitaire se base et encourage des binarités dont nous ne voulons plus : homme-femme bien-mal riche-pauvre malade-sain valide-invalide civilisé-primitif – (et bien d’autres)

Considérant qu’on cherche le trouble et le plaisir.

Mobilisons-nous pour :

• Abolir le capitalisme et le colonialisme

• Mettre fin aux binarités

• Transformer et se réapproprier le système de santé

• Refuser la société de surveillance

• Stopper l’écocide

• Solidariser nos communautés

Nous appelons à une multiplicité d’actions pour le 22 février 2022.

Notre objectif : reprendre la place publique de toutes les manières – soyons visibles!

Chant – Théâtre invisible – Memes – Vidéos – Murales – Bannières – Casseroles – Manifestation ET TOUTES LES ACTIONS AUXQUELLES VOUS PENSEZ!

Révolution tranquille, luttes étudiantes et réaction conservatrice

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Jan 312022
 

De Archives révolutionnaires

Guérilla académique dans les cégeps et les universités, décapitations et dynamitages de statues, sabotages et incendies pour dénoncer l’impunité d’un professeur accusé de racisme, pressions pour abolir un centre de recherche, émeutes entraînant l’annulation du défilé de la Saint-Jean-Baptiste pour plusieurs années. Ces différents événements ne se sont pas déroulés dans les dernières années sous l’impulsion d’un militantisme woke : ils ont plutôt été au cœur des tumultes ayant caractérisé la Révolution tranquille. La culture de l’annulation et le wokisme, hommes de paille des néoconservateurs, sont-ils réellement un phénomène nouveau, et surtout, une menace particulière à l’ordre social ? Afin de répondre à cette question, nous vous proposons un tour d’horizon historique des mouvements qui ont agité les universités et la société québécoise à la fin de la décennie 1960. Nous verrons que ces actions, bien que plus sulfureuses que celles d’aujourd’hui, n’ont pas renversé l’ordre établi. Ce retour sur l’histoire des mouvements étudiants nous permettra d’illustrer comment les actions actuelles des wokes, beaucoup moins véhémentes, sont maintenant montées en épingle par la droite afin de justifier ses politiques répressives, censées répondre à cet « ennemi intérieur ».

L’université doit changer : vers « le pouvoir étudiant »

Le manifeste Université ou fabrique de ronds-de-cuir, publié en février 1968 par une dizaine d’étudiant.es de l’Université de Montréal, dont Louise Harel et Roméo Bouchard, est au fondement d’un mouvement étudiant combatif qui marque les universités québécoises jusqu’à aujourd’hui. Ce manifeste constitue une violente charge contre l’université, l’enseignement et les professeur.es. Le texte décrit l’université comme « une usine où les notables se reproduisent en série », assujettie aux « mêmes patrons que la société » et dénonce « l’enseignement imbécile par des imbéciles », un « enseignement à transmission de recettes abrutissantes et nécessaires à l’étudiant pour qu’il prenne sa place dans un rouage du système ». Les professeur.es n’échappent pas à la critique, alors que le manifeste souligne la défiance de la nouvelle génération (née après la Deuxième Guerre mondiale) envers eux : « Autrefois les vieux disaient : « le professeur, c’est le meilleur ». Ils avaient un peu tort. Aujourd’hui les jeunes disent : « à bas les professeurs ». Ils ont raison. » Au-delà de la dénonciation, le manifeste propose de passer à l’action : « On ne s’attaque pas au pouvoir en le discutant. On fesse dedans. » S’inspirant explicitement des mouvements pour la liberté d’expression[1] sur les campus américains – notamment celui de l’Université Berkeley –, le manifeste suggère de mettre sur pied un « système mobile de guérilla académique » et appelle à la tenue de sit-ins, au recyclage des professeur.es par des cours de pédagogie, voire à l’expulsion de ceux-ci à l’aide de tomates et d’œufs pourris.

Cet appel à l’action sera mis en pratique dès le printemps 1968 par des mouvements qui touchent plusieurs départements de l’Université de Montréal (philosophie, sciences sociales et lettres notamment). Les revendications mises de l’avant par les étudiant.es concernent notamment « la participation réelle des étudiants à l’orientation académique et pédagogique », dénonçant une conception verticale de l’enseignement universitaire. Les tensions sont importantes au département de philosophie où, dès le printemps 1968, des enseignants se font interrompre dans leurs cours par des étudiant.es contestataires. À l’automne 1968, cette contestation qui touchait jusque-là principalement des départements de lettres et de sciences humaines à l’Université de Montréal s’élargit au réseau collégial et à d’autres universités.

Un important mouvement d’occupation essaime à partir du mois d’octobre 1968 dans les différentes institutions d’enseignement post-secondaire du Québec. Les occupant.es des cégeps exigent la gratuité scolaire, le pré-salaire étudiant, l’ouverture d’une seconde université francophone à Montréal et plus fondamentalement le « pouvoir étudiant » et l’autogestion des établissements. L’occupation de l’École des beaux-arts est un des symboles forts de ce mouvement. Les étudiant.es y prennent le contrôle de l’établissement, expulsent l’ensemble des enseignant.es et employé.es, excepté le responsable de la chaufferie, et occupent l’école durant plus d’un mois. Le lieu est renommé « La république des Beaux-Arts ». Les occupant.es remettent en question l’ensemble des traditions, érigeant un cimetière sur la rue Sherbrooke afin d’y enterrer les valeurs du passé. Ce désir de rupture avec la tradition se révèle à la fin de l’occupation lorsqu’un étudiant profane une momie exposée dans l’école en la brisant à coup de barre de fer. Un communiqué de l’Université libre des arts du quotidien (ULAQ) fait de cette profanation un symbole de la lutte contre une culture et une société pétrifiées et exige que la momie soit remise à l’Égypte.

Les étudiant.es ébranlent Sir-George-Williams, McGill et l’UQAM

En février 1969, un nouveau conflit éclate à l’Université Sir-George-Williams (aujourd’hui l’Université Concordia), cette fois en raison du racisme d’un professeur à l’égard d’étudiant.es noir.es et d’origine caribéenne. Face à l’inaction de l’administration dans ce cas de racisme, des étudiant.es caribéen.nes de l’université et des étudiant.es francophones ayant participé au mouvement d’octobre 1968 organisent une occupation du local informatique de Sir-George-Williams. Cette occupation dure deux semaines durant lesquelles plus de deux cents militant.es appuient les étudiant.es subissant le racisme de cet enseignant. En réponse à l’occupation, l’administration appelle l’escouade antiémeute pour déloger les étudiant.es qui se barricadent et lancent les fiches informatiques à partir des fenêtres du neuvième étage. L’occupation se conclut par un incendie et l’arrestation d’une centaine de personnes, dont certaines sont condamnées à purger des peines en prison. Plus largement, cet épisode témoigne du racisme systémique à l’œuvre dans les universités québécoises, dénoncé par les étudiant.es noir.es de Sir-George-Williams, mais aussi par les étudiant.es des cégeps et universités francophones venu.es en solidarité. Après cet événement, l’administration de l’université revoit le traitement des plaintes de racisme, crée un bureau de l’ombudsman et intègre des membres étudiant.es au processus décisionnel de l’université.

Un mois plus tard, c’est l’Université McGill qui se retrouve au cœur de la tourmente. Une coalition de groupes étudiants, indépendantistes et socialistes décide d’organiser une manifestation le 28 mars 1969 afin d’exiger que McGill devienne une université francophone et populaire : la fameuse « Opération McGill ». Les organisateurs et organisatrices de la manifestation déclinent leurs revendications en sept points. Si la question linguistique et la question des frais de scolarité sont présentes dans ces demandes, les militant.es critiquent aussi l’orientation de la recherche à McGill en exigeant l’abolition du centre d’études canadiennes-françaises et la redirection des fonds de recherche vers les « intérêts nationaux ». Dans l’espace public, certains journalistes conservateurs s’évertuent à dénoncer un « nouveau dogmatisme » ainsi qu’un « terrorisme intellectuel ». De son côté, Wilder Penfield, chercheur à McGill, compare Stanley Gray, un des organisateurs de la manifestation, à Hitler et brandit la menace d’une « fin de la civilisation ». Alors que la panique et la peur d’une irrépressible violence s’emparent de plusieurs personnalités publiques, la manifestation, bien que la plus importante au Québec depuis la Seconde Guerre mondiale, se déroule sans accrocs majeurs. Quelques vitrines volent en éclats et des feux de poubelles sont allumés sur Sainte-Catherine à la suite de la dispersion de la manifestation, toutefois la bataille rangée attendue par les conservateurs n’entraîne pas, comme ils le craignaient, la fin de la civilisation.

La critique de l’enseignement et du contenu des cours se poursuit à l’automne 1969 au moment de la fondation de l’Université du Québec à Montréal (UQAM). Le département de philosophie est, lors de la première année d’existence de l’université, un lieu de conflit entre les étudiant.es gauchistes, de nouveaux enseignants modernisateurs et un vieux corps professoral jésuite et thomiste issu du Collège Sainte-Marie. Les étudiant.es du module de philosophie multiplient les coups d’éclat contre les vieux professeurs dans ce qu’un des acteurs appellera postérieurement une « guerre civile lettrée » : perturbations de cours, grandes affiches murales dénonciatrices et « procès populaires » des professeurs réactionnaires sont à l’ordre du jour. L’assemblée du module de philosophie, à laquelle participent les étudiant.es, adopte une réforme du programme qui intègre les contenus critiques désirés par les étudiant.es et abolit les examens et les travaux comme forme d’évaluation. Cette première année agitée au département de philosophie de l’UQAM se conclut avec le non-renouvellement du contrat de plusieurs professeurs, dont neuf issus de la tradition thomiste, et par la mise sous tutelle du module par l’université qui tente d’en reprendre le contrôle.

« Annuler la Saint-Jean »

En parallèle de ces importants remous dans les universités, l’effervescence de la contestation touche de larges pans de la société québécoise qui s’attaquent aux reliques du passé. Les événements entourant la fête de la Saint-Jean-Baptiste des 24 juin 1968 et 1969 sont emblématiques d’une « culture de l’annulation » portée par une jeunesse désirant dynamiter la fédération canadienne, mais aussi la tradition d’inféodation canadienne-française héritée de la « grande noirceur ». La Société Saint-Jean-Baptiste invite, en 1968, Pierre Elliot Trudeau à assister à son défilé à Montréal, rituel annuel du clérico-nationalisme avec lequel la jeunesse est en rupture. Le soir du défilé, une importante émeute éclate et la police réprime violemment les contestataires. Cette soirée a reçu, a posteriori, le nom de « lundi de la matraque ».

Toutefois, la défiance à l’égard du défilé de la Saint-Jean-Baptiste va connaître une nouvelle escalade en 1969. Les militant.es étudiant.es, socialistes et indépendantistes ayant organisé l’Opération McGill, réuni.es au sein du Mouvement syndical et politique (MSP) et du Front de libération populaire (FLP), appellent à la perturbation pour une seconde année consécutive du défilé de la Saint-Jean-Baptiste. Pour les jeunes contestataires, le défilé de la Saint-Jean est un rituel traditionaliste et bourgeois qui met en scène la soumission du peuple à l’élite. Ceux-ci suivent donc, lors d’une marche de perturbation bruyante, les chars allégoriques avant de terminer leur journée en décapitant le monument de Jean le Baptiste et en se servant de sa tête comme ballon de football[2]. À la suite de cette deuxième émeute consécutive, le défilé de la Saint-Jean-Baptiste de Montréal est annulé pour une vingtaine d’années, avant d’être réhabilité de manière régulière au début des années 1990.

« Moment 68 » : un héritage en péril

Depuis 2020, les cégeps et universités ont à nouveau défrayé la chronique. La polémique qui a touché une chargée de cours à l’Université d’Ottawa a enflammé l’opinion de droite, qui dit craindre une menace historique à la liberté académique. À la suite de cette affaire, les chroniqueurs et journalistes néoconservateurs cherchent à exposer l’ampleur de la menace qui pèserait sur les universités québécoises en publiant une série d’articles à ce propos. On y parle d’étudiant.es qui auraient laissé des tracts sur le bureau d’une enseignante, qui auraient fait circuler une pétition auprès de leurs collègues ou ayant exprimé leur opinion critique sur les réseaux sociaux. Le tour d’horizon historique que nous avons effectué nous indique toutefois que les mouvements actuels sont bien moins agités que ceux de la Révolution tranquille, et que la peur et la panique actuelles soi-disant causées par les actions étudiantes sont surtout une excuse de la droite conservatrice pour vilipender toute forme de contestation étudiante, dans le but (à terme) de pouvoir empêcher l’organisation politique étudiante. Peu importe ce que l’on pense des actions associées au wokisme, force est de constater que le mouvement n’est pas un véritable danger pour la société bourgeoise, dont les représentant.es montent en épingle la menace afin de servir leur propre agenda politique.

Le gouvernement réactionnaire de la CAQ a néanmoins profité de ces polémiques pour tenir une commission sur « la reconnaissance de la liberté académique dans le milieu universitaire ». Les conclusions de la commission, dévoilées le 14 décembre 2021, sont à sens unique : les seul.es bénéficiaires de la liberté académique sont les enseignant.es, chargé.es de cours, chercheur.es et auxiliaires de recherche et d’enseignement. Les étudiant.es y ont pour seule liberté celle d’apprendre, c’est-à-dire choisir leurs cours et leur programme et participer aux échanges en classe. Le rapport Cloutier représente un recul majeur dans le projet de démocratisation de l’enseignement supérieur qui avait notamment pour objectif de donner plus de pouvoir aux étudiant.es dans l’orientation du contenu des cours et de l’enseignement. Cette conception asymétrique de la liberté académique réhabilite ainsi la tradition paternaliste et autoritaire de l’université où l’étudiant.e est considéré.e comme une cruche à remplir, conception archaïque de la pédagogie que l’on pensait éteinte avec le duplessisme. En effet, même si les projets de réformes portés par les étudiant.es des années 1960 n’étaient pas nécessairement révolutionnaires, ils tendaient vers un enseignement et une gestion moins autoritaire, que la droite politique actuelle tente d’effacer, soi-disant en réponse à la menace woke qu’elle construit de toute pièce.

Plus fondamentalement, un projet de loi issu de ces recommandations risque d’accomplir le programme réactionnaire d’enterrer l’héritage contestataire du « moment 68 ». En effet, puisque les grèves étudiantes ne sont ni légales ni illégales au Québec, l’adoption d’une loi qui imposerait des sanctions aux perturbations de l’enseignement aurait pour conséquence d’interdire de facto les grèves étudiantes. Ainsi, au-delà des polémiques entre étudiant.es et professeur.es, c’est la possibilité même de contester le pouvoir à partir de l’université qui est menacée. On ne s’étonne pas qu’un Mathieu Bock-Côté se fasse le porte-étendard de ce programme, lui qui dénonce les « techniques pédagogiques débiles » héritées des années 1960 et plus généralement les mouvements féministes, homosexuels, étudiants et antiracistes qui auraient participé au basculement de notre civilisation. Il est toutefois plus décevant de voir des syndicats (FNEEQ-CSN et FQPPU) et des enseignant.es se revendiquant de l’héritage subversif de la Révolution tranquille se faire les porte-voix de ce discours réactionnaire. Il semble que pour plusieurs, la contestation ne soit acceptable qu’au passé et que la jeunesse actuelle doive être privée de son droit à la contestation, notamment son droit acquis au débrayage.

Si le mouvement étudiant des années 1960 n’a pas achevé son programme révolutionnaire de renversement de l’institution scolaire, il a tout de même apporté certains gains objectifs (droit de grève, droit de regard sur l’élaboration des programmes d’étude et sur les plans de cours) aux étudiant.es. Alors que le mouvement woke est beaucoup moins subversif et dangereux (notamment parce qu’il a généralement des visées réformistes plutôt que de transformations structurelles, donc révolutionnaires), il est évident qu’il est monté en épingle par la droite réactionnaire afin qu’elle puisse « réagir » à cette menace et supprimer les acquis des années 1960. Le meilleur moyen de résister à cette attaque de la droite est certainement de ne pas faire son jeu (qui oppose wokisme et droite bien-pensante), mais de renouer avec un programme radical de remise en question de l’école, de l’ordre établi et de la société capitaliste, afin de nous offrir collectivement un horizon révolutionnaire et de vraies possibilités de rapport de force avec l’État. Si le wokisme sert de faire-valoir à la droite, déjouons le plan de celle-ci et répondons-lui par un programme révolutionnaire qui viendra ébranler ses fondements.

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Pour en savoir plus sur l’histoire des luttes étudiantes au Québec, et plus largement sur la subversion populaire des années 1960, nous vous suggérons les quelques titres suivants :

Nous vous recommandons finalement l’écoute du film Neuvième étage (Mina Shum, 2015, 81 minutes), disponible sur le site de l’ONF.


[1] À l’époque, ces mouvements pour la liberté d’expression ont pour objectif de permettre aux étudiant.es d’exprimer un discours critique sur leurs campus. Dernièrement, le néoconservatisme a réussi à inverser le sens de ce concept, comme il l’a fait avec la laïcité, pour en faire un mouvement contre l’expression critique des étudiant.es en milieu universitaire.

[2] Les monuments et statues symbolisent le poids du passé sur le présent et ont été régulièrement la cible des contestataires, notamment des militant.es du Front de libération du Québec (FLQ), qui vandalisent et dynamitent une dizaine de statues et monuments durant la décennie 1960.

COVID : les vrais complots

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Nov 222021
 

Soumission anonyme à MTL Contre-info

Cette contribution anonyme est une analyse anarchiste radicale du mouvement international “antivax” et des théories du complot qu’il propage. Elle liste également quelques-unes des authentiques conspirations que la pandémie a favorisées.

Lire la version originale en anglais sur It’s Going Down


En préambule, il me faut préciser que je n’ai pas une confiance aveugle en “la science” telle qu’elle existe actuellement. Le discours scientifique a été utilisé de nombreuses fois dans l’histoire pour justifier et rationaliser l’existence de systèmes de domination allant jusqu’au génocide. Je ne suis pas non plus nécessairement en faveur des mesures d’obligation vaccinale concernant le coronavirus.

Cela étant dit : le seul argument que je puisse entendre concernant l’hésitation à se faire vacciner, c’est la peur de l’inconnu. Tout ce qui est nouveau est potentiellement effrayant, y compris la pandémie prise dans son ensemble. Je comprends parfaitement cette peur, que je partage ; ce que je veux critiquer ici, ce sont les théories du complot qui animent l’aile la plus réactionnaire du mouvement antivax international, ainsi que les utilisations opportunistes de cet affect de peur par des groupes réactionnaires et fascistes.

Cette pandémie a permis aux Etats et aux grandes entreprises de conduire de nombreuses actions qu’on pourrait qualifier de “complots”, partout dans le monde. J’en décrirais certaines dans cet article. Mais curieusement, au lieu de dénoncer ces actions (tragiquement prévisibles au vu les dynamiques de pouvoir déjà en place), nombre de militants réactionnaires préfèrent échafauder des théories absurdes pour défendre le capitalisme, nier le fait que certaines communautés sont plus durement touchées que d’autres par la pandémie, et répandre des thèses conspirationnistes qui promeuvent une idéologie raciste et/ou antisémite.

Lorsqu’on observe la réaction de ces militants aux mesures d’obligation (notamment vaccinales) prises pour contrer la pandémie, on peut analyser les ressorts de leur discours et en comprendre la popularité, en particulier chez les fondamentalistes religieux, la police et les personnes sensibles aux discours *New Age*.

Certaines théories évoquent Bill Gates et de mystérieuses “nano-puces”, d’autres parlent de testicules et de tétons, et de nombreuses autres de Georges Soros. Vous en connaissez certainement d’autres encore plus farfelues.

Le point commun de ces théories absurdes, c’est qu’elles jouent sur la peur de l’inconnu. Toutes, en outre, évitent soigneusement de mettre en cause les institutions et les systèmes qui sont responsables de l’irruption de cette pandémie dans notre système mondialisé, et qui l’ont utilisé pour consolider les domination de classe et (aussi impossible que cela puisse paraître) augmenter les fortunes déjà obscènes des plus riches.

Les fascistes, les fondamentalistes religieux et les amateurs de *New Age* se retrouvent autour de ces théories. Ce sont des groupes qui, au moins en Occident, ont en général des existences assez privilégiées, ou du moins la possibilité d’accéder à une forme de contentement personnel dans une société profondément injuste. Il est donc assez peu surprenant qu’ils tombent d’accord pour s’opposer à l’obligation vaccinale.

Le mouvement antivax se renforce partout dans le monde depuis maintenant plusieurs années, mais il est intéressant de constater qu’il a acquis une assise beaucoup plus large aux USA au moment où Trump a réalisé que le virus allait affecter plus particulièrement les pauvres et les personnes racisées, des populations pour qui l’accès aux soins est plus difficile et dont les conditions de vie rendent l’application des gestes barrières complexe, voire impossible. On peut à mon sens dater cette montée en puissance du mois d’avril 2020, lorsque Trump a demandé à Fauci si il n’était pas possible de “laisser faire le virus”.

Ce mouvement est en fait un avatar de l’absurde “guerre culturelle” qui fait rage aux USA et s’étends au reste du monde. Il a un côté très américain : revendicatif et violent, mais sans aucune épaisseur politique. Il s’inscrit dans une tradition historique très protestante, destinée à s’assurer que les citoyens se battent entre eux sans jamais lever la tête pour critiquer ceux qui profitent grassement de leur souffrance. Mais l’extrême droite antivax ne s’intéresse pas à ce genre de considérations, sauf quand il s’agit d’accuser les Juifs.

“attention mon pote, cet étranger veut ton cookie “

Ce qui est très clair, c’est que le mouvement antivax est sous-tendu par une vision du monde qui cherche à défendre le marché à tout prix, quel que soit le nombre de morts, et que ses principaux porte-paroles refusent catégoriquement de prendre en compte les notions d’oppression systémique ou ciblée. Ce qui est clair aussi, c’est que même si cela peut parfois nous faire ricaner, ce n’est pas une putain de blague.

Pour revenir aux théories du complot : avec un opportunisme évident, les gouvernements et les grandes entreprises utilisent cette pandémie pour consolider leur pouvoir et modifier les institutions à leur profit, provoquant des tragédies partout dans le monde. Plutôt que de faire ce constat, les antivax préfèrent échafauder des fictions absurdes. Pourquoi ?

Je pense tout simplement que ces personnes refusent d’admettre que le système qu’elles défendent voit la pandémie comme une opportunité pour préserver le *statu quo*, accroître encore la fortune des plus riches et consolider les structures de dominations existantes, au beau milieu d’une crise globale d’une rare intensité. C’est une lecture de la situation qui exige une forme d’introspection et une authentique critique sociale matérialiste, deux traits totalement étrangers à la pensée réactionnaire qui profite de la confusion actuelle pour recruter de nouveaux adeptes. Cette pensée est engagée dans la défense de cette société profondément injuste, considérée comme “le meilleur système possible”.

La version conservatrice de la “liberté de disposer de son corps” ne s’applique qu’à certaines personnes, et est truffée de contradiction obscènes. La majorité de ces pourritures n’a aucun problème avec l’idée qu’une femme meure des suites d’un avortement clandestin, par exemple. De la même manière, les flics qui refusent d’appliquer les amendes pour non-respect du confinement n’hésiteraient pas un instant à traquer, voire à tuer quelqu’un qui volerait de la nourriture pour ne pas crever de faim.

Qu’on ne se trompe pas : j’ai un vrai putain de problème avec l’idée que le gouvernement m’impose quoi que ce soit. C’est un élément majeur de ma vision du monde. Mais à chaque fois que je sors d’un magasin avec moins de fric dans ma poche que quand j’y suis entré, c’est parce que le gouvernement m’impose de le faire sous peine d’aller en taule. Même si je suis affamé, je suis contraint de respecter ce contrat non écrit : pas d’argent, pas de bouffe.

Le gouvernement m’interdit, sous peine de prison, de faire tout un tas de choses dont je pourrais avoir envie. S’opposer d’un coup à cet état de fait, mais uniquement sur quelque chose comme un vaccin (alors que presque tout le monde en a reçu plusieurs dans l’enfance), c’est tout de même se braquer sur un point extrêmement limité et superficiel.

Pour répondre aux soucis un peu *New Age* concernant le vaccin, on peut faire le parallèle avec le cancer (la maladie, pas le signe astrologique). Le cancer, tout comme le coronavirus, est un produit de notre société industrielle. Il tue bien plus que le COVID : c’est la maladie la plus meurtrière dans le monde après les pathologies cardiaques. L’un des seuls traitements efficaces est la chimiothérapie, produite par la même science et la même société qui a produit la maladie. De la même façon que nous sommes contraints d’utiliser des brosses à dent en plastique, produites à la chaîne par des ouvriers sous-payés (aux USA, souvent des personnes incarcérées), pour évacuer de nos bouches les débris de la nourriture merdique que nous sommes contraints d’avaler, nous devons comprendre que cette société est, dans certains cas, à la fois coupable de nos maux et la seule source possible des moyens d’y survivre.

Je l’ai dit, j’ai de l’empathie pour celles et ceux qui se battent contre la peur de l’inconnu. Les personnes souffrant de troubles anxieux, notamment, ont toute ma compréhension, y compris lorsqu’elles hésitent à se faire vacciner. Je n’étais moi-même pas très tranquille lorsque j’ai été faire ma première injection.

Mais si vous regardez les photos des manifestations, par exemple aux Pays-Bas ou en Italie, vous verrez des militants portant l’étoile jaune que les Nazis ont imposés aux Juifs pendant la Shoah.

Ils comparent directement la prétendue “souffrance des non-vaccinés” à celle des personnes visées par un génocide. Pour moi, c’est une ligne rouge. Cette comparaison est insupportable. C’est évidemment une grossière exagération, mais c’est surtout une approche qui permet aux réactionnaires de se poser en victimes opprimées sans avoir à reconnaître l’existence des oppressions bien réelles (racisme, sexisme, homophobie, etc.) inhérente à la société qu’ils et elles veulent défendre. Elle porte, à mon sens, une tentative de décrédibiliser les luttes de celles et ceux qui sont réellement opprimées, dans la lignée des révisionnistes qui nient l’existence de la Shoah ou l’importance de l’esclavage dans l’histoire américaine.

Tout ceci ne suffit pas à faire le tour de la question, et j’ai probablement oublié des éléments essentiels, mais je voudrais à présent lister quelques théories du complot qui ne sont pas des putains de théorie, mais de réelles conséquences de la pandémie.

J’ai trouvé deux définitions de “complot” sur Internet : “plan secret élaboré par un groupe de personnes dans le but de nuire ou de causer du dommage à d’autres”, et “fait de conspirer, d’élaborer secrètement des plans”. Les théories du complot, elles, sont “la croyance qu’une organisation secrète et très influente est responsable d’un événement donné”.

On pourrait discuter de ces définitions, mais je veux m’en servir pour illustrer quelques événements liés au COVID qui, pour des raisons que j’ignore, n’ont pas retenu l’attention des réactionnaires antivax. Je le fais à la fois pour attirer l’attention sur ces événements et pour montrer à quel point ce mouvement préfère inventer des complots imaginaires plutôt que de s’intéresser aux conséquences bien réelles de la pandémie. La question que je voudrais poser à travers ces exemples est la suivante : pourquoi le mouvement “antivax”, dans son ensemble, ne s’intéresse-t-il pas à ces conspirations bien réelles, plutôt qu’à des complots dont il n’existe pas la moindre preuve ?


Les milliardaires

La pandémie a suscité une crise économique sans précédent qui continue de prendre de l’ampleur et affecte à présent une bonne partie de la population mondiale. Partout, la précarité et la pauvreté se normalisent et s’aggravent, et le coût de la vie continue d’augmenter. Les banques centrales ont, à ce jour, injecté environ 7 000 milliards de dollars dans l’économie pour éviter le krach, promettant une inflation haute et de nouvelles mesures d’austérité dans les années à venir.

Dans le même temps, la fortune cumulée des milliardaires n’a fait qu’augmenter, passant en 2019 de 5 000 à 13 000 milliards de dollars, et 700 personnes supplémentaires ont rejoint leurs rangs. Ces deux chiffres sont inédits dans l’histoire économique globale, et ils s’inscrivent dans l’une des crises économiques les plus profondes que nous ayons vu de notre vivant. On peut donc se demander si ces banques ont injecté cet argent dans l’économie d’abord pour rassurer les super-riches sur leurs futurs hôtels de luxe dans l’espace, ou si c’est simplement que même en pleine crise, le système capitalisme fait tout son possible pour préserver le statu quo et enrichir ceux qui en bénéficient le plus.

La surveillance

D’Israël à la Corée du Sud, de la Grèce à la Chine, le *contact tracing*, les systèmes de pass sanitaires, et diverses autres méthodes innovantes de surveillance ont été normalisées dans le but de “gérer l’épidémie”. L’utilisation d’une crise pour faire passer ce qui serait vu en temps normal comme une ingérence insupportable de l’Etat dans la vie des gens, un classique en politique (souvenons-nous du *Patriot Act* en 2001), joue à plein dans de nombreux pays du monde. Pour quitter notre domicile, on peut nous imposer de dévoiler des informations médicales personnelles. Dans un pays comme la Grèce, ou les investissements en sécurité (police, armée, technologies de surveillance) dépassent de loin les dépenses de santé, on peut voir ces mesures comme une tentative d’installer un véritable appareil de surveillance à la Big Brother, camouflé en un protocole d’urgence à court terme.

Il est probable que certaines de ces techniques se normalisent, ouvrant ainsi la porte à de nouvelles formes de surveillance plus invasives qui étaient jusqu’ici mal vues (voir illégales) en Europe. Cette utilisation opportuniste de la pandémie pour augmenter et normaliser les techniques de surveillance peut être vue comme les prémisses d’un monde encore plus contrôlé.

Pourquoi le COVID, et pas le cancer ou les maladies cardiovasculaires ?

Au niveau mondial, le COVID n’est que la troisième maladie la plus meurtrière, loin derrière les pathologies cardiaques et le cancer. Comment se fait-il alors que les gouvernements ne subventionnent pas une alimentation plus saine ? Pourquoi laisse-t-on encore des entreprises minières et chimiques relâcher des toxines cancérigènes dans l’air et l’eau potable ? Si les gouvernements mondiaux sont capables de mettre en place des mesures aussi lourdes et coûteuses pour lutter contre le COVID, pourquoi ne pas le faire également contre ces maladies bien plus meurtrières ?

Une explication possible, c’est que le cancer et les cardiopathies provoquent des morts lentes et affectent majoritairement les pauvres, qui n’ont pas la possibilité d’accéder à une alimentation saine ni à des lieux de vie exempts de contaminants cancérigènes. Crucialement, ces pathologies insidieuses n’empêchent pas immédiatement leurs victimes de travailler, et dans la plupart des cas, ne les emportent que lorsqu’elles ont déjà un certain âge et ont donc donné l’essentiel de leurs capacités de travail. Les gouvernements ne seraient-ils pas plus préoccupés par une diminution de la main-d’oeuvre disponible, occasionnée par la mort rapide qui accompagne le COVID sévère, que par la santé et la sécurité de l’humanité ?

Le “nationalisme” vaccinal

La campagne globale de vaccination peut être elle-même considérée comme un complot visant à éliminer les pauvres et les habitants du “tiers-monde”. Le “nationalisme vaccinal”, c’est à dire en pratique la priorité donnée aux personnes et aux nations plus riches dans l’accès à la vaccination, constitue un véritable génocide passif. Les antivax occidentaux, aveuglés par leurs privilèges, sont incapables de percevoir cette réalité. Lorsqu’on examine la situation vaccinale en Inde, à Haïti ou sur la majorité du continent africain, on ne peut s’empêcher de se questionner : les obstacles bureaucratiques qui ont empêché tout transfert de connaissances concernant les vaccins sont-ils une conspiration visant à réduire drastiquement la population des pays “sous-développés” ? Peut-on parler ici de conspiration, ou est-ce simplement une description de la situation ?

Un exemple à plus petite échelle est celui du début de la vaccination en Israël. Alors que cet Etat affichait le plus haut taux de vaccination au monde, l’accès des Palestiniens au vaccin a été délibérément réduit. Ce déséquilibre dans l’accès à la vaccination constitue une agression ciblée, utilisant les outils de la médecine, de la part de l’Etat israélien sur la communauté palestinienne.

Le Brésil, sous la coupe du dirigeant fasciste Bolsonaro, est dans une situation analogue : de nombreuses communautés indigènes accusent l’Etat brésilien de génocide, et certains ont même porté ces accusations devant la justice. Dès l’arrivée au pouvoir de Bolsonaro, les barons de l’agriculture et de l’élevage ont immédiatement commencé à s’accaparer de larges pans de la forêt amazonienne, menant une véritable guerre contre les populations autochtones et les défenseurs de la nature. Cherchant à raser la forêt pour installer des pâtures, ils ont simultanément eu recours à la violence physique et à l’incendie criminel. L’arrivée du COVID a donc été une opportunité pour Bolsonaro, qui s’est très vite aperçu que les populations indigènes seraient plus vulnérables à cette maladie, d’autant qu’elles n’ont que rarement accès à la médecine conventionnelle.

Tout comme Trump, son frère en esprit, Bolsonaro a rapidement réalisé que le virus allait affecter beaucoup plus largement les communautés les plus exclues et marginalisées. Restreindre l’accès au vaccin et empêcher l’extension des infrastructures médicales en Amazonie est, jusqu’à aujourd’hui, l’une des armes de Bolsonaro dans sa guerre contre les communautés indigènes et la forêt amazonienne. La tactique est ancienne : les puissances coloniales européennes ont par exemple sciemment répandu leurs maladies parmi les peuples amérindiens lors de leur conquête des Amériques. Plutôt que de pleurer sur le vaccin lui-même, comme le font les antivax, on peut considérer que le défaut d’accès au vaccin est le véritable complot.

Maintenir l’ordre

La Thaïlande et la Grèce, parmi d’autres, ont utilisé la pandémie pour restreindre la liberté d’association et le droit à manifester. L’utilisation de la pandémie par l’Etat grec pour attaquer le mouvement social et maintenir l’ordre public est à présent bien documentée. La Thaïlande, quant à elle, est l’un des pays qui présente le plus de disparités entre pauvres et riches, et a connu ces dernières années des mouvements étudiants massifs contre le *statu quo* et la monarchie. Le gouvernement Thaï, comme d’autres un peu partout dans le monde, s’est empressé d’utiliser la pandémie pour restreindre et criminaliser les réunions publiques, arguant de l’urgence sanitaire. C’est une astuce connue et qui est utilisée par de nombreux régimes autoritaires. Les antivax tendent à se focaliser sur la fermeture des restaurants ou des salles de sport, mais il est tout à fait exact que de nombreux gouvernements ont sauté sur l’occasion d’utiliser le virus pour masquer la répression de leurs opposants politiques.

La quatrième révolution industrielle

Des milliards d’humains ont dû rester chez eux sans pouvoir travailler, et pourtant, nos sociétés industrielles automatisées ont pu continuer à nourrir leurs populations. Cela a-t-il pu montrer aux industriels, aux capitalistes et aux technocrates les possibilités d’une automatisation encore plus grande ? Ce processus sera-t-il accéléré par la crise sanitaire, déprimant encore un peu plus le marché du travail et ouvrant la voie à un future dystopique et féodal ?

Deux secteurs ont largement profité de la crise : la livraison de nourriture à domicile assistée par algorithme et les services de streaming vidéo qui recyclent les vieilles sitcoms. Le monde est devenu encore plus isolé, plus aliéné…mais il continue de tourner. Ceux qui en sont les maîtres ont-ils découverts de nouveaux seuils dans ce que les humains sont capables de supporter ? Le coronavirus a-t-il produit un abaissement des attentes collectives sur nos conditions de vie ? Historiquement, les épidémies globales ont été l’occasion de nouveaux développements dans l’industrialisation : qu’en est-il aujourd’hui ?


Cinq complots, donc, qui ne sont qu’une petite sélection des manipulations opérées avec la bénédiction des Etats capitalistes depuis le début de la pandémie. Et pourtant, les antivax (qu’ils soient du genre *new age*, intégristes religieux ou carrément fascistes) préfèrent se complaire dans la dénonciation des “Illuminati” qui n’existent que dans les mèmes plutôt que de mettre en cause l’élite bien réelle qui tient les rênes du pouvoir.

Nous avons cité plus haut une définition des théories du complot qui implique des “organisations secrètes et très influentes”. Plutôt que de cibler quelques individus, ou une hypothétique “cabale juive”, on pourrait appliquer ce descriptif à l’ensemble du système capitaliste (Etats et grandes entreprises), qui est institutionnalisé, en place et systémique. Les réactionnaires vont s’obnubiler sur un visage en particulier, ignorant le cœur pour préserver l’intégrité du corps tout entier. Leur mouvement antivax est aussi superficiel qu’il est raciste, et est tout simplement incapable d’intégrer le fait que les authentiques complots liés à la pandémie font en fait partie du fonctionnement normal du modèle de société qu’ils défendent. Ils vont utiliser l’origine chinoise du virus pour étaler leur racisme, tout en ignorant totalement des sujets comme la surexploitation humaine des terres ou l’élevage industriel, qui sont les causes premières de la présente crise.

Les réponses anarchistes à la pandémie ont été multiples : grèves des loyers, créations de groupes d’entraides mutuelle pour amortir les chocs liés à la crise économique, projets de santé mentale pour se soutenir mutuellement dans cette période angoissante et contrer la tendance globale à l’isolement social. Nous nous sommes également opposés à certaines mesures qui n’avaient aucun sens sanitaire, comme les diktats pris par les gouvernements grecs, israéliens ou hongrois.

Le mouvement anarchiste a dû se positionner politiquement en trouvant un équilibre entre la nécessaire protection des plus vulnérables et la critique des mesures sécuritaires prises par les Etats durant la pandémie.

Pendant ce temps, les réactionnaires s’en prennent physiquement à des médecins, des enseignants ou des hôtesses de l’air. L’establishment “de gauche” jette l’opprobre sur quiconque ose exprimer sa frustration devant les mesures sanitaires, sans prendre en compte une seule seconde la manière dont elles affectent différemment les gens selon leur classe sociale ou leur degré de privilège. Nous, anarchistes, rejetons tout autant cette abjecte soumission aux mesures autoritaires que son pendant d’extrême droite, véritable culte de la mort aux relents raciste. Trouver cet équilibre en tant que mouvement est essentiel, car ce “moment pandémique” risque de s’installer durablement.

La crise a mis à nu les conflits de classe, et la totale déconnexion entre revenu et utilité sociale. Elle a été l’occasion de soulèvements partout dans le monde, des Etats-Unis à la Thaïlande, révélant au plus grand nombre l’absurdité fondamentale de nos sociétés stratifiées. En tant qu’anarchistes, notre riposte doit se fonder d’abord sur le soutien et l’entraide, à la fois matérielle et émotionnelle. Les gouvernements du monde entier vont continuer d’utiliser la pandémie comme prétexte pour augmenter le niveau de contrôle social, tout en tentant de réécrire l’histoire pour passer leurs erreurs sous silence. Nous devons continuer d’identifier et de dénoncer ces tentatives, et empêcher les réactionnaires, les pseudo-hippies *new age* et les intégristes religieux de détourner la colère légitime du peuple vers d’autres cibles.

Nous devons rejeter tout ce théâtre politique, aussi bien le soutien aveugle à toute les mesures liberticides de la gauche libérale que l’abject opportunisme de la droite réactionnaire.

RBC Fucks Around, RBC Finds Out

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Nov 012021
 

Soumission anonyme à MTL Contre-info

Le pipeline Coastal GasLink est financé par la RBC. La nuit du 26 octobre, des anarchistes à Montréal ont coordonné des actions de solidarité avec les défenseur.es de la terre Wet’suwet’en. Nous avons cassé les vitres, ou utilisé un extincteur de fumée rempli de peinture pour vandaliser la façade de 6 différentes branches RBC à travers la ville.

Lors des jeux olympiques de 2010 sur les terres volées de soi-disant Vancouver, des rebelles avaient multiplié ainsi des attaques envers le commanditaire RBC. Plus d’une décennie plus tard, il est temps de recréer cette inspirante coordination diffuse.

Si RBC veut faire chier, RBC va en subir les conséquences. Les institutions, compagnies et individus responsables de l’industrie écocidaire ont des noms et des adresses. Les branches RBC, les guichets, et les membres de CA ne sont pas des exceptions.

C’est facile: Une équipe bien masquée émerge d’une ruelle avoisinante, jette un regard pour s’assurer que la voie soit libre, et dédie moins de 30 secondes au lancer de roches vers les fenêtres, avant de disparaître.

Pour plus de conseils, lisez:

Le système d’opération Tails a été utilisé pour faire cette vidéo, soumise anonymement.

R.I.P. Matt Cicero

Ce texte qu’il a écrit est toujours pertinent : 6 Reasons I Support Arson (As a Tool for Social Justice)

Blocage de la plateforme de transbordement de Ray-Mont Logistiques

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Sep 232021
 

Soumission anonyme à MTL Contre-info

À deux jours d’une grande manifestation pour le climat à Montréal, une quinzaine de manifestantEs ont bloqué l’accès des camions à la plateforme de transbordement actuelle de Ray-Mont Logistiques, à Pointe-Saint-Charles. L’action a forcé l’interruption des activités sur les lieux de l’infrastructure que Ray-Mont projette de déplacer à Hochelaga-Maisonneuve, dans le cadre d’une immense ré-industrialisation du secteur. L’action de perturbation fait suite au blocage de mercredi dernier du chantier situé à l’est de Viau et à une manifestation rassemblant plusieurs centaines de personnes samedi dernier dans Hochelaga.

Vendredi, encore une fois, des milliers de personnes vont marcher pour demander aux gouvernements d’agir face à la crise climatique et environnementale. Cependant tout ce que les personnes au pouvoir peuvent nous offrir est trop peu, trop tard, les actions qui sont posées ne faisant que renforcer le pouvoir de l’économie sur le vivant. Civile ou non, la désobéissance et l’action directe nous permettent d’affronter ensemble la destruction des écosystèmes dont nous faisons parti et le vol des terres autochtones qui continue à ce jour que ce soit par la construction d’un pipeline, la déforestation, la construction d’une mine desservant une industrie dite « verte » ou la transformation d’un fleuve en « autoroute des marchandises » telle que propose la stratégie maritime de la CAQ, dans laquelle s’inscrit le projet de plateforme de transbordement de Ray-Mont Logistique. Il est plus que temps de nous poser concrètement en obstacle aux projets de développement, de renforcer les liens entre nous qui permettent d’agir sans recours à la politique — et d’inviter tout le monde qui refusent la domination capitaliste et coloniale à se retrouver et à s’organiser.

Les clients de Ray-Mont Logistiques ne font pas un choix avisé en continuant de se fier aux services de l’entreprise, car les perturbations vont se multiplier.

Le terrain vague restera vague !

Blocage des travaux de Ray-Mont Logistiques

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Sep 172021
 

Soumission anonyme à MTL Contre-info

Près de 50 personnes ont forcé hier matin l’interruption des travaux sur le terrain où l’entreprise Ray-Mont Logistiques projette de construire une immense plateforme de transbordement, en s’installant au milieu de la machinerie pour y établir un campement de fortune.

Situé à l’est de l’avenue Viau, ce terrain abandonné par les industries depuis plusieurs années est maintenant habité de toutes sortes de façons par les gens du quartier, revigoré par une flore et une faune qui contrastent avec le bitume et béton qui l’entourent. Alors que la CAQ voudrait y voir advenir une zone industrialo-portuaire et une augmentation du transport de marchandises, nous nous opposons à la destruction de l’un des derniers espaces non marchandisés et verts de l’Est de l’île. Que ce soit pour y construire une bretelle d’autoroute, un poste d’Hydro-Québec ou une plateforme de transbordement. Ce terrain vague, qui était un lieu de vie pour de nombreuses personnes marginalisées jusqu’à leur violente expulsion au printemps dernier, est pour beaucoup d’entre nous un endroit qui nous permet de nous extraire de la ville le temps d’une promenade, un lieu où on arrive encore à respirer en pleine canicule, un espace où on arrive à imaginer la suite du monde au-delà des autoroutes et des usines.

S’inscrivant dans la stratégie maritime de la CAQ « Avantage Saint-Laurent », la plateforme de transbordement proposée par Ray-Mont Logistique s’aligne avec de nombreux projets visant à faire du fleuve Saint-Laurent une « autoroute de marchandises », permettant d’augmenter davantage le commerce international, et par le fait même, contribuer à accélérer l’exploitation et la destruction du territoire. On peut penser au projet d’agrandissement du port de Montréal dans la ville de Contrecoeur, au projet de GNL Québec au soi-disant Saguenay–Lac-Saint-Jean, au projet Laurentia, maintenant abandonné en raison d’importantes contestations, à la « Zone d’innovation littorale Est » à Québec, et bien plus encore. Ces projets ont en commun de réduire le territoire et les cours d’eau qui le traversent à sa valeur marchande, dans un contexte où la crise climatique et environnementale nous somme de faire autrement.

Que le projet de Ray-Mont Logistiques ait l’aval du gouvernement et de la municipalité ou non, nous continuerons d’occuper cet espace, nous continuerons de nous poser en obstacle à sa destruction et nous continuerons de nuire, par tous les moyens à notre portée, au saccage des écosystèmes et des territoires que nous habitons.

À celles et ceux qui en ont assez de laisser le béton et les machineries dicter la poursuite effrenée d’un monde qui court à sa perte, ceci est un appel à s’organiser et à se rejoindre pour opposer la solidarité, le commun et la lutte à la dévastation capitaliste et coloniale.

LE TERRAIN VAGUE RESTERA VAGUE

Appel à un contingent anticapitaliste lors de la manif pour le climat du 24 septembre

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Sep 162021
 

De la Convergence des luttes anticapitalistes (CLAC)

Une autre grosse manif pour le climat, pourquoi faire ?

C’est sûr que ça serait bien qu’il y ait autant de monde qu’en 2019, mais au final, même Greta a pas pu faire changer les politiques de nos gouvernements. Bon, ok, ça tombe quelques jours après les élections, donc on peut espérer que ça mette un peu de pression sur les éluEs … Sauf que nous on sait que ça ne changera rien : Peu importe qui sera au pouvoir après les élections, rien de significatif ne sera fait, rien de significatif n’a jamais été fait au soit-disant Canada. Depuis le début de la colonisation, on vole, on exploite et on détruit le territoire sur lequel on se trouve, celui qui, ironiquement, assure notre survie.

Parce qu’il est important de noter que plusieurs partis ont mis leurs cartes clairement sur la table : ces partis vont continuer à investir dans des pipelines et d’autres projets écocidaires, et ce jusqu’à ce que mort s’ensuive. Et ces partis qui veulent notre mort devraient obtenir la majorité, la très grande majorité des votes. Au Québec, à la date de l’écriture de ce texte, plus de 80% des intentions de vote vont vers des partis ayant une feuille de route désastreuse en environnement.

On peut chialer envers les politicailleries inutiles du parlement, mais on voit que le problème va plus loin que ça. La majorité de la population ne veut pas changer, et veut perpétuer un style de vie insoutenable pour la planète.

Et pourquoi les blâmer ? Le capitalisme continue de vendre ce style de vie, à travers ses pubs de marde qui pousse l’achat de cochonneries dont on n’a pas besoin, son cinéma répétitif qui glorifie constamment les riches et les puissantEs, son système d’éducation mercantiliste qui vend des formations sur la base du salaire attendu … Et l’État suit la cadence, promettant par exemple aux jeunes qu’ielles pourront s’acheter une maison. On sait pourtant très bien que les jeunes ne pourront jamais s’acheter une maison ! Et honnêtement, faudrait pas que ça arrive si on veut avoir une chance de limiter l’étalement urbain et la culture du char …

Mais bon, c’est le style de vie qu’on nous martèle constamment dans notre vie quotidienne, le rêve américain que le système essaie de nous entrer dans la gorge. Sauf que ce style de vie vendu par le Capital, c’est la mort de la Terre, et donc éventuellement notre mort à touTEs. Et donc, si le Capital veut continuer à nous emmerder avec ce style de vie insoutenable, et bien tant pis, nous nous passerons du Capital !

Et tant pis si nous ne sommes qu’une petite minorité qui s’inquiète encore de son avenir. Tant pis si la majorité du monde rêve toujours de gros ostie de chars, de grosses osties de maisons, pis de grosses osties de vacances toutes payées dans le sud. Nous n’allons pas rester assis sur notre cul alors que le monde brûle ! Nous n’allons pas rester les bras croisés alors que le capitalisme achève de vendre les derniers morceaux du monde !

LE CAPITAL DÉTRUIT LA TERRE ? GUERRE AU CAPITAL !

On se voit dans le contingent anticapitaliste !

Vendredi 24 septembre, 13h, en face de la statue de George-Étienne-Cartier.

Affiche