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Droit au logement : quand les évictions engendrent la mort

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Juin 072022
 
Le 3615, rue Bélanger, à Montréal, où Clément Robitaille occupait un logement

Du Collectif Emma Goldman

La crise du logement frappe un peu partout au Québec. Entre des taux d’inoccupation très bas ou des prix exorbitants demandés par des propriétaires exploiteurs pour leurs taudis/appartements, il devient de plus en plus difficile, voire impossible, de se trouver un logement abordable et de qualité. Comme si le portrait n’était déjà pas assez sombre, il faut ajouter à cela les appartements transformés en Airbnb et les rénovictions qui poussent les locataires à quitter par la force leur domicile devant la hausse vertigineuse du prix de leur loyer. Ainsi des gens, qui bien souvent habitent leur appartement depuis plusieurs décennies (!), se font mettre à la rue. Il est évident que cela entraîne des drames humains pour ces gens qui devront quitter leur chez-soi puisque leur propriétaire veut augmenter ses profits en exploitant des personnes dans l’un de leurs besoins les plus primaires, celui d’avoir un toit sur la tête.

Ce drame, Clément Robitaille l’a payé de sa vie. Celui qui a été mis à la porte de son logement où il habitait depuis 30 ans a été retrouvé mort sur la banquette de son véhicule qui lui servait d’appartement… Paul Girouard, ami et ancien voisin de M. Robitaille a déclaré au journal La Presse: « Les propriétaires allaient l’achaler souvent. Ils mettaient de la pression. Ils l’ont quand même harcelé jusqu’à ce qu’il signe. ». Il ajouta : « Quand [M. Robitaille] a signé, c’est là que sa vie a changé. Il était devenu dépressif, tu voyais que ça ne marchait plus, son affaire. J’allais le voir, il ne parlait même plus, je voyais qu’il était dérangé, dépassé par les évènements. ». Évincé puisque son logement était jugé insalubre et impropre à l’habitation. Au lieu de faire les rénovations et de relocaliser temporairement M. Robitaille, la juge administrative Sylvie Lambert a accepté la demande d’éviction faites par les propriétaires du bâtiment.

À ce moment, Clément Robitaille payait 400$ pour son logement qui aujourd’hui est loué 1 400$ au nouveau locataire (!), soit 1000$ de plus! Avec la crise du logement et le faible revenu de Clément, il lui fut impossible de retrouver un logement au même prix que celui qu’il habitait auparavant. « Il voyait que c’était bien plus cher », explique M. Girouard. « Quand il allait voir des logements, c’était comme 800 $-900 $. Il disait : “ Ça a pas de bon sens. ” ». Parti avec son camion et le peu d’effets personnels qu’il possédait, Clément Robitaille a été perdu dans la brume, tellement que ses proches ont lancé un avis de recherche avant que M. Girouard finisse par le retrouver. Mais finalement, le pire est arrivé. Comme le déclare le rapport du coroner : « M. Robitaille est vraisemblablement décédé le 16 juillet 2021 d’un malaise cardiaque, après s’être déshydraté [à la suite d’] un séjour prolongé dans son véhicule, sans ventilation ni climatisation, alors que les températures extérieures étaient élevées ». Cette personne de 71 ans sans problème de santé s’est laissée mourir : « C’est parce qu’ils l’ont mis dehors qu’il s’est laissé mourir », affirme M. Girouard, une formule reprise dans les autres témoignages. « Quand tu restes à la même place [aussi longtemps], puis que tu es obligé de changer de place, tu es perdu. » (3) Tout cela alors que le Code civil du Québec interdit d’évincer une personne de 70 ans et plus qui habite le même endroit depuis 10 ans et qui gagne égal ou en dessous du revenu maximal qui lui permettrait d’être admissible à un loyer modique, c’est-à-dire 31 000$ par année pour une personne seule à Montréal (en 2020). Clément Robitaille répondait à tous ces critères selon son ami Girouard… Il a quand même été foutu à la rue au prix de sa vie. La justice québécoise et les propriétaires du bloc appartements ont du sang sur les mains. Une vie sacrifiée au nom du profit et de la propriété privée.


1. Selon Statistique Québec : « À l’automne 2021, le taux d’inoccupation des logements locatifs pour l’ensemble des centres de 10 000 habitants et plus au Québec est de 2,5 %. ». Cependant, dans certaines villes, le taux d’inoccupation est encore plus critique comme c’est le cas à Saguenay où il se situe à 1,7% (!) pour 2021 et de 2,8% en 2020. Pendant ce temps, les loyers ont subi une hausse de 7%. Pire encore, dans certaines villes comme Sherbrooke, Granby, Terrebonne et Gatineau, les taux d’inoccupation frôlent 0%! Résultat : il est presque impossible de se trouver un logement et les hausses de loyer sont extrêmement élevées. En banlieue de Montréal, le taux est de 1,1% et à Laval, en seulement quelques années, de 2019 à 2022, le prix des loyers a explosé de 37%! L’Abitibi est aussi durement touché avec des taux de 0,3% à Rouyn-Noranda, 1,1% à Amos et 2,2% à Val-d’Or. 

2. Une rénoviction survient lorsqu’un propriétaire veut mettre à la porte le locataire sous prétexte de rénovations à venir. Bien souvent, soit les rénovations ne se font pas ou bien quand elles surviennent, les propriétaires profitent de cela pour augmenter de manière démesurée le prix du loyer dans le but de faire plus de profit. L’ancien locataire n’est donc plus capable de payer le montant du loyer rendu trop élevé et les prochains vont payer un prix beaucoup trop cher. Sans registre public des loyers où serait inscrit le prix payé par le locataire antérieur, il est souvent très difficile de savoir combien payait l’ancien locataire pour une personne qui loue par la suite le même appartement. Avec le registre et en connaissant les prix, il serait possible de desceller les hausses abusives. 

3. Frédérik-Xavier Duhamel, La Presse : « C’est parce qu’ils l’ont mis dehors qu’il s’est laissé mourir »

Une semaine mouvementée : trois actions contre RAY-MONT

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Mai 152022
 

Soumission anonyme à MTL Contre-info

Salut Charles,

Je me demande comment tu te sens après cette semaine haute en émotions. Je suis allé prendre une marche au terrain vague et je me suis aperçu que quelqu’un avait scié le poteau avec la caméra! Ça a dû pas mal affecter ton moral de voir ça. Tu avais mis tant d’efforts à installer cette caméra dans l’espoir vain de surveiller ceux qui habitent et défendent le lieu que tu veux détruire.

Et puis, la facade de ton bâtiment sur Wellington qui a été barbouillée et tagguée avec l’inscription “Ray-Mont, tu détruis nos vies”… Quel dommage !

Sans parler de la maison de ton bras droit, le vice-président de Ray-Mont Logistics, Luke Mireault, qui a été ciblée par des vandales ! D’ailleurs, une petite pensée pour toi, Luke, ça doit être assez inquiétant de savoir que les gens qui luttent contre votre compagnie connaissent maintenant ton adresse à St-Bruno.

Charles, tu sais déjà depuis longtemps que les personnes qui défendent le terrain vague sont nombreuses et déterminées. Tu dois commencer à comprendre que ces dernières n’arrêteront jamais de te mettre des bâtons dans les roues et que leurs actions ne feront que gagner en intensité. Ça doit être stressant de s’apercevoir que la police ne peut pas te protéger.

J’espère vraiment qu’ils vont te laisser tranquille désormais, mais si j’étais toi, je ne compterais pas trop là-dessus. Si je peux te donner un conseil d’ami, tu devrais vraiment abandonner ce projet voué à l’échec, alors qu’il en est encore temps.

À bientôt,
Bises

Un ami qui te veut du bien

[Grève étudiante de 2012] La mobilisation dans les écoles secondaires au Saguenay

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Mai 102022
 

Du Collectif Emma Goldman

De nombreux ouvrages ont été publiés dans les mois qui ont suivi la grève étudiante de 2012. Toutefois, de notre côté, rien n’a été écrit outre les quelques entrées de blogue publiées dans le feu de l’action et une brochure. Nous, le collectif Emma Goldman, trouvons important de retracer et de garder bien vivante la mémoire de nos luttes. Nous avons donc réalisé une série d’entrevues que nous publierons sur le blogue dans les prochains jours et semaines.

J’étais en secondaire 5 en 2012. Ma première mobilisation a eu lieu avec le mouvement « Occupy » en 2011. J’avais déjà réseauté avec des ami.e.s militant.e.s. On avait vaguement participé à « Occupons Saguenay » et le parc de la solidarité. Cela a été mon premier contact avec le monde militant et nous nous sommes réseautés avec des ami.e.s qui étaient prêt.e.s à bouger un petit peu au secondaire. De ces ami.e.s, il y en a quelques-un.e.s qui sont partis au Cégep l’année où il y a eu la grève. Donc on avait un peu des contacts au Cégep de Chicoutimi et un peu à Jonquière aussi. Quand cela a commencé, on suivait ça avec quelques ami.e.s militant.e.s qui étaient aussi au secondaire et beaucoup à travers nos ami.e.s qui étaient au Cégep. Souvent, on allait dans les manifs. Moi mes parents motivaient mes absences, j’avais la chance d’avoir des parents qui étaient prêts à venir me chercher au poste de police (sourire). Ils me disaient que ce n’était pas grave mais de ne pas faire trop de grosses niaiseries. On nous avait donc accordé un peu de liberté pour pouvoir participer aux mobilisations malgré le fait que les profs et les institutions du secondaire étaient plus ou moins down pour ces affaires-là. Moi j’étais en  XXXX  avec un autre ami qui participait souvent aux manifs avec moi. J’avais des profs qui motivaient eux-mêmes nos absences. S’ils savaient qu’on était à une manif, ils écrivaient simplement qu’on n’était pas là… c’est quand même cool. 

Sinon, il y a un moment où on a commencé un peu plus à vouloir s’organiser pour faire des affaires. Quand on a vu arriver le 22 mars, là on a commencé à vouloir y aller. Il y a eu des gens qui sont venus nous porter des journaux. On avait d’autres ami.e.s, la sœur et le frère de militants à Montréal qui avaient été capables de nous obtenir des journaux écrits pour le secondaire par la CLASSE. On leur avait dit de nous en envoyer un peu et là ils nous ont envoyé des ballots et des ballots… genre 3000 journaux. On s’est dit :« qu’est-ce qu’on va faire avec ça? ». On a commencé à les distribuer à tout le monde. On arrivait le matin plus tôt à notre école et on les distribuait aux gens un à un. Même à la directrice, en mains propres lorsqu’elle est arrivée en lui souhaitant :  «bonne journée! ». Après ça, la journée même on s’est fait rencontrer par la direction. Elle nous disait : « ouais mais là, il faudrait premièrement arrêter de distribuer ça! Parce que ce n’est pas tout vrai ce qui est écrit là-dedans! Tout ce qui est hausse des frais de scolarité c’est correct. Mais c’est écrit que vous avez le droit de faire la grève, ça ce n’est pas vrai !». Le midi même ou la journée d’après, des gens de l’UQAC (sans doute les personnes du comité autonome) ont distribué des journaux à mon école et ça encore tombé sur notre faute, comme si l’on avait continué à distribuer les journaux nous-mêmes. Mais ce n’était pas nous, on s’est quand même fait chialer (rires). 

On était motivé, on a essayé de faire la grève pour le 22 mars. Finalement, la direction nous a renvoyé à notre gouvernement étudiant qui était plus ou moins chaud à l’idée. La direction a fini par dire : « tout ce qu’on va autoriser pour cette journée-là, ça va être un débat sur les frais de scolarité ». Moi j’étais comme ok, je vais aller pour le contre, ça ne me dérange pas de le faire, mais elle (la directrice) nous a dit : « non, on veut que ce soit quelqu’un d’impartial qui vienne vous donner des informations. » Leur suggestion,  c’était d’inviter Stéphane Bédard (député du Parti québécois à l’époque) pour qu’il vienne nous parler. On s’est dit : « franchement on ne passera pas par Stéphane Bédard ». Finalement, on a fait une mobilisation, on est sortie durant une pause et on a grévé pendant une heure de cours. On est sortie en avant de l’école pendant que les gens étaient en manif à Montréal. On a grimpé sur la grande statue devant l’école et on lui a mis un carré rouge. Sinon, c’était plus à titre individuel que l’on rejoignait les manifs lorsqu’elles passaient devant l’école. Les gardiens de sécurité nous disaient: « vous ne pourrez pas revenir! », mais on réussissait toujours à rentrer dans l’école d’une manière ou d’une autre. 

À lire :

[Grève étudiante de 2012] Il y a 10 ans débutait une longue série d’actions dérangeantes à Chicoutimi

[Grève étudiante de 2012] Il y a 10 ans, l’occupation du rectorat de l’UQAC

Colonial et écocidaire : le capitalisme c’est la guerre!

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Mai 022022
 

De la Convergence des luttes anticapitalistes (CLAC)

Le 1er mai 2022, suite à l’appel de la Convergence des lutte anticapitalistes (CLAC), plus d’un demi-millier de personnes ont pris la rue pour la journée des travailleuses et des travailleurs. Le thème mis de l’avant cette année était : « Colonial et écocidaire, le capitalisme c’est la guerre ! ». La manifestation a débuté à 17h30 à la Place du Canada, dans le centre-ville, après plusieurs discours de militantes autochtones Anishnabées/Ojibwe et Kanyen’kehà:ka.

Sans surprise, le Service de police de la ville de Montréal (SPVM) a déployé sa pourriture pour venir réprimer, battre et empêcher les militant-e-s d’exprimer leur haine envers un système colonial nous menant tout droit vers le précipice écologique. Le dispositif policier inutilement disproportionné nous a empêchés de terminer notre trajet, générant colère et indignation. Des symboles du capitalisme et du colonialisme ont été légitimement pris pour cibles par des manifestant-e-s, comme Google, le Palais des congrès et plusieurs banques. Ensemble, nous leur avons prouvé que la peur doit changer de camp. Nous on se bat pour l’avenir, pour mettre fin aux systèmes d’exploitation qui plongent toujours les mêmes dans la misère et on se butte à des poivres, des gaz et des coups de matraques. C’est vraiment signe que le système est pourri et qu’il le sait.

Les bureaux de Google

Cette année, les militant-e-s anticapitalistes ont envoyé un message clair : il n’y aura jamais assez de flics, assez de lois crasses ni assez de prisons pour cacher les crimes commis au nom de l’économie capitaliste suprémaciste blanche. Nous continuerons de nous battre et de solidifier notre solidarité avec les communautés autochtones des environs. Comme le disait plus tôt cette année Sleydo, militante wet’suwet’en luttant pour la protection du Yintah contre le forage du pipeline de Coastal GasLink : « There is a huge opportunity here, this relationship & allyship between indigenous warriors and anarchists. Combining those two groups particularly is a really powerful move against the State and a really powerful voice that we can have together ».

Fuck le capitalisme, fuck le Canada, land back osti !!!

Le Palais des congrès

Airbnb détruit le centre-ville de Chicoutimi

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Avr 262022
 

Du Collectif Emma Goldman

Lors de la dernière action du Collectif Emma Goldman, celle en solidarité avec les évincé-e-s du squat de l’autogare de Chicoutimi, un mal-logé du centre-ville me témoignait de la situation de rénoviction qu’il vivait dans son logement. Pour lui, la situation de crise du logement abordable au Saguenay avait des sources multiples, dont l’embourgeoisement, les Airbnb et une forme de mépris des propriétaires envers les moins nanti-e-s. Je l’écoutais attentivement même si je me disais que c’est le genre d’analyse que le Collectif diffuse depuis plusieurs années, une analyse qui témoigne de la réalité crue vécue dans le centre-ville. Bien sûr, on est loin des discours d’élu-e-s comme Mireille Jean selon lesquels, s’il faut les croire, les pouvoirs publics multiplieraient constamment les initiatives pour venir en aide aux mal-logé-e-s… Sur le terrain, le mépris de la ville pour les moins nanti-e-s se vit pourtant à tous les niveaux et au quotidien. Lorsque leurs logements gênent, on les détruit malgré leur statut patrimonial pour les remplacer par quelques places de stationnement en plus. Lorsque leurs présences dans les commerces et sur les rues commerciales gênent, on envoie systématiquement la police pour les harceler et les taxer avec de nouveaux tickets – ça a d’ailleurs été l’une des raisons du déménagement du poste de police. Lorsque leur désespoir et leur détresse gênent, on installe de nouvelles caméras et on augmente les patrouilles policières plutôt que de renforcer le filet social. Les pauvres gênent une certaine classe de privilégié-e-s à Saguenay et l’embourgeoisement devient synonyme de chasse aux pauvres. Dans ce texte, j’aimerais explorer la problématique des Airbnb dans l’embourgeoisement du centre-ville de Chicoutimi.

En dépit d’un encadrement règlementaire plutôt récent, les lieux pouvant être loués sur Airbnb autour de la ville de Saguenay se comptent par centaines selon le site Web de la plateforme. Une recherche très rapide m’a permis d’en trouver plusieurs dizaines dans le seul quartier du centre-ville de Chicoutimi. C’est dire que dans le contexte d’une crise du logement abordable, des propriétaires et des promoteurs immobiliers empirent la situation en préférant louer pour de courtes durées à des touristes qui paieront plus cher plutôt qu’aux habitants et habitantes du quartier. La ville accorde certes des permis aux propriétaires effectuant de telles transactions via la plateforme de la multinationale dont le chiffre d’affaires atteint plusieurs milliards de $, mais elle ne fait rien pour empêcher le processus de détérioration de la situation du logement dans la ville qu’engendre les Airbnb. Avec ou sans permis octroyé par la ville, les problèmes causés par les Airbnb restent les mêmes.

En plus de retirer des logements du parc locatif (au profit du parc touristique), les Airbnb stimulent l’augmentation du coût des logements. Plus les logements disponibles se font rares, plus la tension se fait ressentir sur le marché locatif. Les proprios reçoivent de plus en plus de demandes pour leurs logements et ont de plus en plus de marge de manœuvre pour faire monter les prix des logements, faire accepter des logements dans des conditions exécrables et effectuer une sélection discriminatoire de leurs locataires (comme cela demeure répandu au Saguenay). De plus, les Airbnb stimulent une transformation à moyen et long terme des quartiers par des changements dans l’offre commerciale pour convenir aux touristes qui ont plus d’argent à dépenser. C’est aussi cela l’embourgeoisement. Des commerces « huppés » apparaissent dans des quartiers populaires où la majorité du monde qui y habite n’a même pas le moyen de se procurer les articles les moins dispendieux. Au final, c’est la satisfaction des besoins élémentaires des gens qui est attaquée avec la formation de déserts alimentaires, ainsi que le tissu et la vie sociale de la communauté résidant dans les quartiers.

Que veulent alors, me direz-vous, les mal-logé-e-s du quartier? En toute humilité, c’est bien dur à dire, mais dans les grandes lignes… Nous voulons un quartier pour nouer des liens de solidarité et d’entraide avec les gens qui nous entourent, un quartier pour voir s’épanouir en sécurité et dans la convivialité les enfants, les adultes et les personnes âgées, un quartier pour vivre et défendre la vie. Nous ne voulons pas d’un quartier où la circulation de transit des employé-e-s pressé-e-s domine les rues, d’un quartier muséifié par la touristification où la fausse image est plus importante que l’humain, d’un quartier où l’argent est maître et où, dans l’indifférence, on laisse croupir des personnes exploitées et opprimées dans la misère et l’isolement.

Fuck Airbnb!

N. Hervé

Retour sur l’action de solidarité avec les évincéEs du squat de l’auto-gare

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Avr 122022
 

Du Collectif Emma Goldman

Samedi dernier, 9 avril, le Colletcif anarchiste Emma Goldman a réalisé une action de solidarité avec la trentaine de personnes qui ont été évincées du squat de l’auto-gare au centre-ville de Chicoutimi. En plus de la soupe et du pain gratuits, des tracts ont été distribués aux passant.e.s afin de discuter de la situation des plus démunis dans ce secteur de Chicoutimi. Nous avons aussi installé un lit, des couvertures et un canapé dans l’ancien squat, une action symbolique qui vise à mettre de l’avant l’entraide et la solidarité plutôt que la répression et la stigmatisation. Les agents répressifs vont sûrement jeter cette installation dans les plus brefs délais puisque des gardes de  » sécurité  » guettent les lieux 24 heures sur 24 afin de s’assurer que personne ne revienne s’y réfugier. Des milliers de dollars d’argent public pour financer la répression des plus vulnérables. Un portait loin d’être reluisant pour la nouvelle administration municipale qui continue dans la même lignée que ses prédécesseurs. 

Mireille Jean, nouvelle conseillère du district 8 dont fait partie le centre-ville, martèle le discours sécuritaire. La sécurité pour qui? Les commerçants et leur clientèle? Mais que fait-on de la sécurité des personnes itinérantes qui se font jeter dehors par temps froid? Elle veut assurer la sécurité des gens qui sont que de passage au centre-ville. Celles qui viennent consommer dans les restaurants et les boutiques ou y travailler pour ensuite retourner dans leurs quartiers périphériques. La sécurité dont les gens à la mairie parlent n’inclue pas les plus démunis qui eux vivent dans ce quartier, mais sont effacés. Entre le quartier  » des affaires  » devenu le quartier  » numérique  » et l’augmentation de la répression, il ne fait pas bon vivre au centre-ville pour les pauvres. Les politiciens et politiciennes qui siègent à la mairie veulent un quartier lissé où règnent les commerces, les restaurants et les compagnies du numérique à la sauce Ubisoft alors que les pauvres sont repoussés dans les quartiers limitrophes, comme s’ils allaient disparaître. La pauvreté va seulement changer de place mais elle sera encore bien existante. 

Pour terminer, voici le texte du tract qui a été distribué lors de l’événement: 

« S’il y a des miséreux dans la société, des gens sans asile, sans vêtements et sans pain, c’est que la société dans laquelle nous vivons est mal organisée. On ne peut pas admettre qu’il y ait encore des gens qui crèvent la faim quand d’autres ont des millions à dépenser en turpitudes. C’est cette pensée qui me révolte! » – L’anarchiste Louise Michel (1830-1905) 

C’est bien beau les places à l’européenne et les bateaux de croisière développés à grands frais par les administrations qui se sont succédé à Ville Saguenay, mais derrière ces idées de grandeur, il se cache une triste réalité. Une réalité peut reluisante où l’administration municipale, un palier de gouvernement supposément de proximité, n’est même pas en mesure de fournir les besoins élémentaires de toutes les personnes qui vivent sur son territoire. En effet, la ville peine à assurer que tous et toutes aient un toît et des installations sanitaires disponibles peu importe les moyens ou les conditions des gens. Pire, elle détourne le regard lorsqu’elle est confrontée au problème, voire l’amplifie. 

Il ne faut donc pas s’étonner lorsque les ressources sont insuffisantes ou ne répondent pas aux besoins des individus, que des personnes décident de s’organiser et de prendre ce qu’elles trouvent à proximité. C’est une chose que tous et toutes envisageraient de faire dans la même situation. L’occupation de la cage d’escalier de l’auto-gare du Havre par une trentaine de squatteurs et de squatteuses venait donc combler un besoin d’hébergement près des différents services au centre-ville (soupe populaire, groupes communautaires, la Maison des sans abri, etc). Rappelons que les femmes n’ont pas accès à la Maison des sans-abri. Elles doivent alors être hébergées dans les maisons pour femmes victimes de violence conjugale. Toutefois, ces dernières n’acceptent pas les femmes sous les effets de la consommation (drogues, alcool, etc.), donc plusieurs se retrouvent à la rue sans ressource. Cependant, la ville préfère détourner le regard et faire dévier le débat sur la question sécuritaire. 

Vil Saguenay: cachez ses itinérants et ses itinérantes que je ne saurais voir 

Si la ville n’a toujours pas débloqué les fonds pour repeinturer l’endroit, elle a  cependant rapidement trouvé le budget pour l’embauche d’une agence privée de sécurité afin d’empêcher le retour des squatteurs et squatteuses. Un petit détail que la nouvelle  administration Dufour a omis de mentionner au public lors de son opération de communication. Par le fait même, elle avoue que le problème de l’itinérance demeure entier et que la ville n’envisage pas d’y remédier en d’aucune manière à l’exception de la chasse au pauvre qu’elle effectue au centre-ville. Mission accomplie selon la mairie! Ils ont rassuré les commerçants et les consommateurs et consommatrices félicitent sans doute les bureaucrates municipaux confortablement assis derrière leur bureaux ainsi que leur bras armé, la police de Saguenay. 

Ne nous méprenons pas, ce n’est pas une fatalité, encore moins une question de moyen, car rappelons qu’au plus fort de la pandémie de COVID-19, la ville avait ouvert les portes de ses installations au vieux-port de Chicoutimi pour accueillir des personnes en situation d’itinérance. La ressource a fermé, mais les besoins demeurent toujours aussi criants. Notons l’immense besoin de logements de qualité et abordables. Est-ce qu’il faudra attendre la grande guignolée des médias ou les grands froids de l’hiver pour se pencher sur la question de l’itinérance et trouver des solutions? C’est maintenant que la ville doit s’y pencher afin de trouver une solution durable pour que personne ne soit laissé en reste. 

Cela pourrait commencer par l’ouverture de haltes chaleurs l’hiver et l’investissement massif dans le développement d’habitations de qualité à coût modique.

[Grève étudiante de 2012] Il y a 10 ans débutait une longue série d’actions dérangeantes à Chicoutimi

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Avr 072022
 

Du Collectif Emma Goldman

De nombreux ouvrages ont été publiés dans les mois qui ont suivi la grève étudiante de 2012. Toutefois, de notre côté, rien n’a été écrit outre les quelques entrées de blogue publiées dans le feu de l’action et une brochure. Nous, le collectif Emma Goldman, trouvons important de retracer et de garder bien vivante la mémoire de nos luttes. Nous avons donc réalisé une série d’entrevues que nous publierons sur le blogue dans les prochains jours et semaines.

À l’UQAC, il y avait plusieurs étudiants et étudiantes qui s’organisaient de manière autonome en dehors du MAGE-UQAC, l’association centrale. Il y a eu le comité pour la gratuité scolaire vers 2007 et 2008, par la suite le CAPAÉ (1) qui se mobilisait afin de contrer les frais afférents. Après cela, il y a eu le comité autonome d’action de l’UQAC qui lui luttait principalement contre la hausse des frais de scolarité. Ça toujours été une nécessité de s’organiser de façon autonome, voyant que le MAGE-UQAC ne bougeait pas. Aussi, il y a toute cette pesanteur qui est liée avec le MAGE-UQAC, les associations étudiantes et le rectorat. Alors, qu’est-ce que l’on respecte? Qu’est-ce que l’on ne respecte pas? 

Il y avait une branche des étudiant.e.s qui trouvait que c’était intéressant de faire des actions par eux et elles-mêmes sans que ça passe nécessairement par les canaux réguliers. Au final, il faut dire que même les associations étudiantes qui ont voté la grève étaient occupées à 99% du temps à simplement essayer de faire respecter les lignes de piquetage. Ça prenait vraiment beaucoup d’énergie se rappelle Steeve. Mais via ce comité autonome d’action durant la grève étudiante, ce qui était intéressant, c’est qu’il en a découlé des actions que l’on disait dérangeantes et qui sortaient le mouvement de grève des murs de l’université. La manière de faire était assez horizontale. Évidemment, c’était un peu en apprentissage mais ça demeurait très horizontal. De semaine en semaine on essayait de changer le/la porte-parole pour pas que ça soit une seule figure qui se retrouve au front et qui prenne tous les trucs et de l’autre côté on ne voulait pas créer un symbole avec cette personne-là. Après coup, en voyant ce que les  principaux porte-parole au niveau national ont fait de leur capital de sympathie obtenu de cette lutte, je crois que c’était une bonne chose. À chaque semaine, on essayait de trouver une thématique pour accrocher et amener une critique. Par ces thématiques, on tentait de parler d’un sujet qui avait rapport avec la lutte aux frais de scolarité, mais aussi à la gestion qui avait à ce moment-là à l’UQAC. Donc, ça pouvait aussi être au niveau du rectorat et la manière assez autoritaire de gérer l’université . 

Le comité avait-il des liens avec le comité de mobilisation de l’UQAC ou le MAGE-UQAC?

Le comité autonome n’avait pas d’argent, il n’y avait rien, c’était complètement autonome. Des gens pouvaient participer au comité de mobilisation du MAGE-UQAC et après aller dans le comité autonome à titre individuel. Les deux pouvaient faire du sens pour les gens à ce moment. Pour ma part, aller au comité de mobilisation me permettait de voir ce qui se passait, c’est quoi les possibilités d’actions, les alliances, s’il y avait des complicités possibles ou simplement des bouts de chemin qu’on pouvait faire ensemble. C’est sur que ces deux comités étaient différents dans leur composition, leur fonctionnement, leur radicalité et leur autonomie par rapport aux institutions établies. 

Quels étaient les objectifs des actions dérangeantes?

À la base, c’était de faire bouger les trucs ou du moins d’essayer qu’il se passe quelque chose parce que c’était assez amorphe à l’UQAC. Comment on pouvait s’organiser et reprendre du pouvoir sur nos vies mais aussi dans ce mouvement en tant qu’étudiant et étudiante? On se demandait si ça allait bouger à l’UQAC. On n’était pas certain du résultat du vote de grève sur l’ensemble du campus en raison de l’immense structure que représente le MAGE-UQAC, de l’historique au niveau de la démocratie étudiante, du côté autoritaire de l’administration et du rectorat, etc. C’était un peu difficile parce que tout passe par le rectorat, les conseils centraux et l’association générale. Même si le MAGE-UQAC se vote des positions en AG, elles étaient plus ou moins respectées. C’était donc une manière de dire « Bon, si on est dans une grève étudiante, il va falloir bouger, il ne faut pas juste rester là à ne rien faire ». Et une bonne manière de se faire entendre, bien c’est par des actions autonomes. Faire des manifestations qui vont aussi être en rupture avec ce qu’on pouvait voir à l’UQAC et au Cégep à ce moment-là. Des manifestations qui sont tranquilles et gentillettes où l’on donne systématiquement notre itinéraire et fournit le point départ et le point d’arrivée à la police.

Il y avait toute une réflexion et une façon de faire qu’on voulait apporter dans cette grève dont la remise en question des itinéraires, les limites du respectable, les limites de la légalité et jusqu’où on peut aller. Il y avait cette vision-là. Il faut dire que c’était principalement organisé par un groupe d’extrême gauche et des gens de gauche. Oui, on a le droit de manifester, mais est-ce qu’on peut faire ceci? Est-ce qu’on peut faire cela ? Ce n’est pas juste de dire « nous on est contre la hausse des frais de scolarité » mais aussi de réaffirmer que le droit de manifester ne comprend pas nécessairement de coopérer avec la police en leur donnant notre itinéraire. C’était un enjeu qui se parlait beaucoup à cette époque.

Quel a été l’un moment marquant de cette lutte?

C’est clair que la première action dérangeante demeure pour moi assez marquante. Nous étions au milieu du mois de mars, ça reste quand même épique… Tout ça dans sa portée évidemment. Pour la première action dérangeante on ne savait pas trop à quoi s’attendre. Il faut dire que le comité autonome à ce moment-là, c’était un peu le collectif Emma Goldman, du moins c’était ses militant.e.s qui lançaient ça. Je me rappelle de discussions à la Tour à bières où on se demandait comment on pouvait apporter notre grain de sel en tant que groupe d’extrême gauche dans cette grève. À ce moment, on croyait qu’il serait difficile d’organiser des actions sur nos propres bases. En créant un comité autonome, ça nous permettait d’amener notre grain de sel, mais en mettant aussi un peu d’eau dans notre vin pour que tout le monde puisse avoir le goût de venir. Parce que lorsque c’est un groupe d’extrême gauche qui lance la patente, tu peux te demander parfois à quoi il faut s’attendre. 

Ça avait assez bien commencé. Je me rappelle qu’il y avait des gens de l’ASSÉ qui était à cette première manif. Ils étaient venu aider à organiser l’action. Le point de rencontre pour la manif était à l’UQAC. On attendait des gens de St-fé qui réalisaient une action à La Baie. Deux autobus devaient donc venir rejoindre la manif à Chicoutimi. Nous sommes dehors et il fait frette. Rappelons qu’on est quand même en mars et dans la région du Saguenay. On se fait venter comme le Christ, on décide alors d’entrer à l’intérieur pour attendre. Sauf que là, les petits gardiens de l’UQAC qui sont sur les dents ne trouvaient pas ça drôle. Ils ont donc essayé de nous barrer le chemin. Évidemment, il y a eu un peu de brasse camarade!

Il n’y avait pas juste des agents de l’UQAC, mais aussi un flic qui s’est fait particulièrement brasser en essayant de contenir les gens à l’extérieur ajoute Steven.

On a fini par entrer poursuit Steeve. C’était juste pour se réchauffer en attendant. Notre intention n’était pas de faire une manif dans l’UQAC. Finalement, Saint-Félicien arrive et on part en manif sans itinéraire et sans savoir où l’on va. On ne savait pas trop combien on allait être puisque c’est un groupe autonome sans moyens qui avait appelé à la manifestation. Ce n’est pas comme une association étudiante qui a de l’argent et des milliers d’étudiant.e.s relié.e.s à elle. Au final, on dépassait facilement la centaine voire plusieurs centaines de personnes. C’était un peu le bordel avec la neige, le vent et les 17 chars de flics… Donc on y va comme on le sens.  On croise une banque sur la Racine, on fait une petite occupation d’une dizaine de minutes de la Banque Nationale avec des discours anticapitalistes.

Dans le papier publié sur le blogue, on écrivait : « Après un énergique jeu de chat et de souris dans les portes, toutes et tous purent toutefois entrer dans le pavillon principal où près d’une dizaine de policiers étaient déjà présents. À noter que durant la matinée, des policiers étaient venus faire des rondes dans l’UQAC pour interroger des militant-e-s étudiant-e-s sur l’action prévue et les agents de sécurité se préparaient de façon très visible.  

Escortée par 17 voitures de police, la manifestation descendit par la suite vers la rue Racine, où la Banque nationale fut occupée pendant une dizaine de minutes, pour y dénoncer symboliquement les profiteurs de l’endettement des classes moyennes et moins nanti-e-s, prises au cou par les mesures d’austérité. Une critique sociale qui fut bien comprise des étudiant-e-s, en colère contre les coupures à l’accessibilité aux études. La manifestation est par la suite rapidement remontée vers le Cégep de Chicoutimi, dans laquelle celle-ci entra. En se dirigeant vers le centre social du Cégep, une partie des manifestant-e-s se sont retrouvé-e-s coincé-e-s dans une cage d’escalier – le personnel de sécurité et la police ayant brusquement refermé une porte au milieu de ceux et celles-ci. De longues minutes pour réclamer la « libération » des collègues pri-se-s de l’autre côté de la porte furent nécessaires pour que les agents de sécurité entendent raison et les laissent finalement passer. »

C’était la première action dérangeante avec des centaines de personnes d’un peu partout dans la région  où l’on ne dit pas notre itinéraire. Moi, à ce moment-là j’étais le porte-parole, le petit hautain lance alors Steevette en riant.

Oui, je me suis fait un peu ramasser sur les ondes de Radio X par l’ancien animateur Carl Monette  poursuit Steeve.

Je me disais : waouh (!) il va falloir que justifie ça tantôt à tous ceux qui vont m’appeler (rire). Évidemment, il y a eu beaucoup d’appels mais ça c’est bien passer. On savait pourquoi on était là, il y avait les frais de scolarité, le droit de manifester, mais aussi bien de la détermination car si on veut que les choses se passent, il faut aussi monter le ton des fois. Mais, c’est sûr que ce fut une grosse action marquante. 

On prend le pont! 

Il y a aussi la première fois qu’on a pris le pont avec ce qui est devenu le classique « libérez son papa » dans le milieu militant à Saguenay! C’est ça qui était intéressant avec les actions dérangeantes, des fois il y en avait qui étaient plus organisées comme « on va viser telle personne » (ex : la maison du recteur), il va y avoir tel truc machin, des fois c’était juste on y va selon le senti des gens qui sont là. Elle où on a été sur le pont pour la première fois c’était un peu ça. Au début, les participants et participantes décident d’aller en descendant vers le boulevard St- Paul, tout simplement parce qu’on n’avait jamais été dans cette direction. C’est à ce moment que des flics décident d’arrêter une personne qui est dans la manifestation pour avoir jeté quelque chose sur la chaussée (il paraîtrait). Est-ce qu’il dépassait la ligne jaune ou il voulait pogner cette personne pour x raison? Chose certaine, la personne qui est arrêtée cette journée-là ce n’était pas n’importe qui, c’était le candidat investi de Québec solidaire dans le comté de Chicoutimi. Après cette manif, les apparatchiks du parti dans la région lui ont fait un beau travail en se dissociant par communiqué et en lui retirant l’investiture. Mais ça c’est une autre histoire… C’est sûr que dans un premier temps, des gens essaient d’empêcher l’arrestation. Finalement, la personne se fait arrêter. Après, ça monte et l’adrénaline est au plafond. Les gens sont fâchés et ils et elles sont en tabarnak alors les participants et participantes commencent à crier: « On prend le pont! ». On va quand même pas les en empêcher, pas plus cave qu’un autre!

Car il faut dire que prendre le pont Dubuc, ça demeurait jusqu’à ce moment un fantasme un peu impossible. Après on y allait tout le temps enchéri Steven (rires). 

Pour être dérangeant, il n’y a pas plus dérangeant ajoute Steevette.

C’est un gros symbole le pont Dubuc. Ça souille du monde c’est clair poursuivi Steeve, car c’est la plus grosse artère qui relie Chicoutimi et Chicoutimi-Nord. C’est imposant, tu es en manif autonome non sécurisée. Les flics sont là, mais ils sont plus dangereux qu’autre chose. On sait donc dirigé sur le boulevard St-Paul et on a réussi à bloquer la circulation. En entrant sur le pont, on ne voulait pas sauter de l’autre côté et prendre les quatre voies parce que ce n’était pas bloqué et on allait juste se faire faucher avec les gens qui descendent en trompe le boulevard Ste-Geneviève. On prend donc le pont dans une seule direction. Bref, on suit la circulation mais à pied. On emprunte la bretelle pour sortir à Chicoutimi-Nord et on retourne sur la rue Roussel pour reprendre la bretelle et remonter sur le pont .  

Au retour, on s’est fait jeter un café bien brûlant par une mère en BMW qui était avec son jeune fils… un très bon exemple pour son enfant.

Ensuite, on voulait aller attendre le camarade au poste de police. En se dirigeant vers le poste, on a  retrouvé notre camarade qui marchait pour nous rejoindre et nous avons retourné à l’UQAC pour terminer la manif. 

(1) Comité autonome pour l’accessibilité aux études

2012. La lutte des grévistes en région

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Avr 072022
 

De Archives révolutionnaires

Durant la grève étudiante de 2012, des groupes militants locaux ont émergé un peu partout sur le territoire du soi-disant Québec, développant peu à peu des pratiques combatives. Alors que le récit des actions d’éclat à Montréal, notamment les grandes manifestations et les affrontements de rue propres à un espace densément peuplé, a été largement diffusé, les luttes en région restent nettement moins connues. C’est d’elles dont nous voulons rendre compte ici.

En dehors de l’espace montréalais, la grève a pris différentes formes qui n’ont pas manqué de combativité. L’inscription dans un mouvement large ainsi que les traditions militantes locales ont permis l’élaboration d’un répertoire d’actions confrontationnelles sur les campus de nombreuses villes partout au Québec. Le présent article désire souligner la radicalité qui a émergé en région, afin de contrebalancer une certaine historiographie nationale ou montréalocentrée. Sans prétendre à l’exhaustivité, nous verrons comment diverses initiatives ont pris place en parallèle des structures associatives et comment, dans plusieurs cas, elles ont dépassé les desseins des exécutifs locaux et nationaux. Les militant.e.s des cégeps et des universités en dehors de Montréal et de Québec ont développé des pratiques corrélatives à leur degré d’excentricité géographique, en fonction des contraintes locales et de la force des réseaux politiques préexistants. Il faut donc tenir compte, d’une part, de l’histoire de la mobilisation en région, et d’autre part, des pratiques émergeant durant la lutte. Pour ce faire, nous adopterons une approche à la fois chronologique et géographique, rendant le récit fluide sans gommer les traits spécifiques à chaque espace.

Cet article n’aurait pas été possible sans les précieuses entrevues faites avec une vingtaine de militant.es : nous tenons à remercier chaleureusement les camarades d’Alma, de Chicoutimi, de Drummondville, de Gatineau, de Québec, de Rimouski, de Saint-Félicien, de Saint-Jérôme, de Sainte-Thérèse, de Sherbrooke et de Valleyfield qui nous ont offert leur temps et leur sollicitude pour que nous puissions réaliser ce texte.

Le mouvement étudiant (2005-2012)

Avant la grève étudiante de 2005, l’Association pour une solidarité syndicale étudiante (ASSÉ) est déjà implantée en dehors de Montréal via plusieurs associations cégépiennes, dont celles de Sherbrooke, de Drummondville, de Matane et de Lionel-Groulx, situé à Sainte-Thérèse. Ancrée à gauche, l’ASSÉ s’intéresse à des enjeux politiques comme scolaires. Elle incarne la tendance « radicale » lors de la grève étudiante de 2005, en créant la Coalition de l’ASSÉ élargie (CASSÉE). Trahie par la Fédération étudiante universitaire du Québec (FEUQ) et la Fédération étudiante collégiale du Québec (FECQ), l’ASSÉ sort tout de même du conflit avec une réputation combative, ce qui entraîne l’augmentation de son membrariat. Les cégeps de Saint-Jérôme, de Lanaudière à Joliette et François-Xavier-Garneau à Québec, ainsi que de petites associations modulaires de l’Université Laval, aussi à Québec, et de l’Université du Québec en Outaouais (UQO), se joignent à l’association nationale à partir de 2005. Après la tentative ratée de grève de 2007, largement perçue comme un échec, les associations de Joliette et de François-Xavier-Garneau se désaffilient ce qui a pour effet d’augmenter le poids des associations montréalaises dans l’ASSÉ. La tendance sociale-démocrate au sein de son exécutif s’affermit au même moment, profitant de l’échec des tendances plus offensives à mener la grève en 2007. En 2010, l’ASSÉ met sur pied une campagne d’opposition à la hausse des frais de scolarité annoncée et mobilise ses membres un peu partout au Québec, avant de créer en 2011 la Coalition large de l’ASSÉ, (CLASSE), en reprenant sensiblement le modèle de 2005.

Toutes les activités asséistes qui préparent la lutte de 2012 – la mobilisation, les congrès et les camps de formations – offrent un terreau à partir duquel la grève générale illimitée peut être envisagée. Ce cadre fournit aux associations en dehors de Montréal et de Québec les conditions de possibilité d’une lutte à venir et permet de former des militant.e.s, surtout des membres de conseils exécutifs locaux, qui participeront à la grève. Alors que les occupations se multiplient dans le monde – du mouvement « Occupy » au Printemps arabe – l’appropriation de l’espace public et la démocratie directe viennent aussi influencer les luttes ici. À l’occupation des bâtiments, une tactique ayant marquée la grève de 2005, succède l’occupation des rues et des places publiques en 2012. L’intolérance des administrations envers les occupations de cégeps et d’universités ne fait qu’encourager cette translation des bâtisses aux rues. Si une entente est trouvée entre l’administration et les grévistes au cégep de Saint-Laurent (Montréal), les étudiant.e.s qui essaient d’occuper le cégep du Vieux-Montréal en février en sont violemment expulsé.e.s. Résultat : il n’y aura pas d’autre occupation combative d’un cégep en 2012.

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À gauche, manifestation pendant la grève de 2005. Au centre, occupation au Cégep du Vieux-Montréal, le 17 février 2012. À droite, manifestation appelée par l’ASSÉ.

Trois tendances régionales

À ces dispositions nationales et internationales s’ajoutent des déterminations qui influencent plus directement, au niveau de la base, le dynamisme local : la tradition de lutte de l’association étudiante locale et les liens entretenus avec des réseaux militants plus ou moins formalisés. Entre 2007 et 2012, on remarque trois tendances principales en région : la continuité ou l’apparition d’une tradition militante dans un lieu d’enseignement, la démobilisation des militant.es ou, enfin, la coordination régionale des étudiant.es. Ces trois tendances sont réparties respectivement dans les régions du sud-ouest du Québec (notamment autour de Montréal), dans le centre du Québec (les environs de la capitale nationale) et dans les régions excentrées de l’est de la province.

Dans les Basses-Laurentides et à Sherbrooke, on voit une continuité de la tradition militante. Au Collège Lionel-Groulx, les actions fréquentes contre les entreprises privées du campus, notamment par la violation délibérée des clauses de non-concurrence par la distribution de nourriture et de breuvages gratuits, la destruction systématique du matériel publicitaire ainsi que les incursions dans les locaux loués, amènent certaines victoires locales et contribuent à développer un antagonisme entre militant.e.s étudiant.e.s et administration qui donnera le ton pour les années suivantes. En 2008, les étudiant.e.s veulent organiser l’occupation politique d’un espace disponible en soirée afin de commémorer les occupations spontanées qui avaient eu lieu à Sainte-Thérèse, quarante plus tôt en 1968 : l’administration ferme littéralement le Collège pour toute la journée, craignant les liens entre l’association étudiante et le Parti communiste révolutionnaire (PCR). À Saint-Jérôme, la tradition militante est aussi persistante : l’association entretient des liens avec d’autres cégeps affiliés à l’ASSÉ, dont Lionel-Groulx, géographiquement proche, tout en orchestrant une mobilisation en 2011 afin de protester contre le renvoi d’un membre du conseil exécutif. Au cégep de Sherbrooke, les activités militantes sont dynamiques entre 2007 et 2012 : une campagne contre les entreprises privées sur le campus est menée en 2009 menant à l’obtention d’un café coopératif. À l’UQO, la mobilisation se fait sentir depuis la grève de 2005, avec notamment la mobilisation contre la fermeture du café-bar étudiant coopératif en 2009 : le lieu est pris de force dans une perspective d’autogestion, alors que l’inventaire est distribué aux occupant.e.s lors d’une campagne qui dure plusieurs semaines. Toujours à l’UQO, une campagne est menée pour désaffilier l’association générale des étudiant.es de la FEUQ, alors que quelques modules de sciences sociales veulent s’affilier à l’ASSÉ. Finalement, au cégep de Valleyfield, qui était peu mobilisé avant 2011, des membres montréalais de l’ASSÉ développent des rapports directs avec le nouvel exécutif dans les mois précédant la grève, permettant un mentorat militant juste à temps pour 2012. L’imaginaire d’une tradition ouvrière combative dans la région, qui ne s’incarne pas dans une transmission réellement structurée, a tout de même amené plusieurs étudiant.e.s à vouloir s’impliquer à leur tour dans un mouvement social.

À l’inverse, dans la région de Québec, la mobilisation diminue au tournant de 2010, corrélativement à la montée de la droite radicale dans la capitale, un mouvement réactionnaire qui rejoint certains jeunes et séduit particulièrement les groupes de garçons[1]. Cette influence mène à la désaffiliation du cégep François-Xavier-Garneau de l’ASSÉ et rend difficiles les votes de grève dans les cégeps de Limoilou et de Sainte-Foy. À l’Université Laval, certaines associations modulaires se rallient à l’ASSÉ, mais elles restent minoritaires. Du côté de Drummondville, le changement de génération et le déménagement de militant.es à Montréal provoquent aussi un ressac des activités.

Dans les régions de l’est du Québec, les militant.e.s étudiant.e.s privilégient les coordinations régionales, plus indépendantes – l’affiliation nationale restant secondaire. Au Saguenay-Lac-Saint-Jean, différents groupes étudiants et militants s’organisent régionalement et préparent la grève en planifiant des manifestations communes dès 2010 ; ils invitent aussi des membres de l’ASSÉ à faire des camps de formation, sans nécessairement s’y affilier, privilégiant souvent la participation dans les coalitions larges. Cette dynamique saguenéenne se caractérise de plus par les liens entre étudiant.e.s, syndicats et militant.e.s écologistes, visibles lors du mouvement de solidarité avec les « lock-outés » de l’usine d’Alcan à Alma (2012) et dans les luttes contre le projet d’agrandissement du terminal maritime de Grande-Anse. On remarque aussi une implication directe du collectif anarchiste Emma Goldman qui participe à la création d’un comité autonome de grève à l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC). En Gaspésie et dans le Bas-Saint-Laurent, une « zone de mobilisation » se crée, marquée par diverses manifestations, dès 2010, de Trois-Pistoles à Gaspé. Cette tendance au regroupement régional ne fonctionne pas sur la Côte-Nord ni en Abitibi-Témiscamingue, où l’excentricité géographique semble favoriser une certaine déconnexion, autant entre les individus et les villes qu’avec les réseaux nationaux. Les Hautes-Laurentides, représentées par les centres collégiaux de Mont-Tremblant et de Mont-Laurier, de petite taille, connaissent une baisse relative de la mobilisation, ne parvenant pas à former une coordination régionale forte avec les militant.es plus mobilisé.es de Sainte-Thérèse et de Saint-Jérôme qui se lient plutôt avec les associations montréalaises, malgré certaines tentatives pour faire une coordination régionale.

Ces trois tendances sont déterminantes localement dans l’émergence et le déroulement de la grève de 2012 en dehors de Montréal. Comme nous le verrons, les pratiques radicales se concentrent dans la grande région entourant Montréal (Saint-Jérôme, Sainte-Thérèse, Gatineau, Valleyfield, Sherbrooke), au Saguenay-Lac-Saint-Jean (Saint-Félicien, Alma, Chicoutimi) et dans le Bas-Saint-Laurent et en Gaspésie (Rimouski, Matane, Gaspé). Les zones touchées par la démobilisation – le centre du Québec notamment – verront certes quelques actions, mais n’auront pas un dynamisme régional aussi grand que dans les autres régions.

À gauche, manifestation contre les radios poubelles à Québec. Au centre, occupation du café étudiant à l’UQO.À droite, participation du collectif Emma Goldman à la marche mondiale des femmes en 2010.

Constitution d’une base militante (13 février au 22 mars)

La grève commence le 13 février 2012 et trouve un premier sommet lors de la manifestation nationale de la CLASSE du 22 mars, qui devait selon l’organisation conclure la mobilisation. Sur certains campus, le débrayage débute avec des négociations tendues pour obtenir une entente de grève avec l’administration, mais les étudiant.e.s parviennent assez rapidement à faire respecter leur droit. Après les premiers jours, les associations s’organisent pour assurer le maintien et l’élargissement du mouvement en appelant à des activités très diverses. Dans l’ensemble des régions, des manifestations se déroulent régulièrement de façon plus ou moins spontanée. Elles sont souvent suggérées lors des votes de grève ou se déroulent simplement en après-midi, après le piquetage et la levée des cours. Les grévistes organisent également des ateliers-discussions, des débats, des expositions ou encore des prestations artistiques, qui mobilisent et occupent les grévistes tout en augmentant la visibilité du mouvement et la diffusion de son message. Le piquetage des cours, la préparation d’assemblées hebdomadaires pour reconduire la grève, l’effort de mobilisation sur place, dans la région et dans les autres établissements, restent les tâches principales des grévistes, qui participent également à des actions en dehors de leur campus, à Montréal et dans leur zone régionale. Cette première séquence, assez classique pour une grève étudiante, sera suivie d’une semaine de perturbation économique du 26 au 30 mars, importante dans le développement de la base militante pour plusieurs régions, ainsi que pour la radicalisation du mouvement.

La violence politique et policière touche très tôt les militant.es de la grande région de Montréal, notamment à Saint-Jérôme et à Sainte-Thérèse. En grève depuis le 3 mars, les étudiant.e.s de Saint-Jérôme se déplacent à Montréal pour diverses actions. Le 7 mars, ils et elles se joignent à un blocage des bureaux de Loto-Québec et de la CRÉPUQ. Alors qu’une foule se regroupe devant l’édifice, le Service de police de la ville de Montréal (SPVM) entame une opération violente de dispersion, à coups de matraque, de poivre de cayenne, de gaz lacrymogènes et de grenades assourdissantes. Les étudiant.e.s, majoritairement pacifistes, sont sous le choc. Le SPVM blesse et mutile deux militant.es de Saint-Jérôme : Julie Perreault-Paiement qui est brûlée à l’épaule et au visage par l’explosion d’une grenade et Francis Grenier qui perd la vue d’un oeil en raison de l’éclat d’une grenade[2].

Le soir, une vigile est organisée à la place Émilie-Gamelin et des étudiant.e.s, chandelle à la main, sont à nouveau poivré.e.s et matraqué.e.s par le SPVM. Le lendemain, une manifestation d’une centaine de personnes est organisée à Saint-Jérôme contre la brutalité policière. La violence de l’intervention du 7 mars pousse les grévistes des établissements de Saint-Jérôme, de Lionel-Groulx et de Valleyfield à participer massivement, en envoyant chacun plusieurs autobus bien remplis, à la manifestation montréalaise contre la brutalité policière du 15 mars[3], qui rassemble pour la première fois de son histoire plus de 5000 personnes. Les manifestations des 7 et 15 mars et la participation régulière aux actions montréalaises favorisent le dynamisme militant dans ces villes de la grande couronne montréalaise, quoiqu’on remarque l’émergence d’une distinction entre celles et ceux qui privilégient les actions locales et les militant.es cherchant principalement à appuyer les actions montréalaises, plus spectaculaires et offensives.

À gauche, intervention brutale du SPVM. Au centre, manifestation de soutien à Saint-Jérôme le 8 mars.À droite, manifestation spontanée à Sainte-Thérèse, le 6 avril 2012.

Tous les moyens sont bons pour perturber l’économie (26 mars au 6 avril)

Après la manifestation du 22 mars, qui n’a pas mené à une négociation avec le gouvernement, la CLASSE lance un appel à une semaine de perturbation économique du 26 au 30 mars. Les cibles sont nombreuses : on s’attaque aux bureaux gouvernementaux, aux compagnies d’État, aux groupes ayant des liens avec le Parti libéral du Québec (PLQ) ou bénéficiant de la marchandisation du savoir. C’est au cours de cette semaine et de la suivante que se cristallisent des regroupements militants autonomes à Gatineau, Sherbrooke et Rimouski. Ces groupes agissent localement, en parallèle des structures associatives ; ils possèdent une flexibilité offensive, hors des cadres légaux et réglementaires, et rendent possible l’implication de personnes non étudiantes. La semaine de perturbation contribue aussi à l’élargissement de la base militante à Valleyfield, Sainte-Thérèse et Saint-Jérôme.

À Sherbrooke, entre le 26 et le 30 mars, les actions déboulent : les étudiant.es peinturent des monuments publics et bloquent pour la première fois la route 410, une autoroute régionale essentielle. La Sûreté du Québec (SQ) remet à ce moment 60 contraventions de 494 $ chacune, pour entrave au Code de la route (Règlement 500.1). Il s’agit de la deuxième utilisation de ce règlement en 2012, qui sera appliqué une dizaine de fois au cours du conflit afin de démoraliser les manifestant.es. Dans les semaines qui suivent, les occupations à Sherbrooke ciblent les institutions gouvernementales et les groupes d’intérêt économique proches du Parti libéral, comme la chambre de commerce régionale. Au cégep, ces actions contribuent à former un noyau militant particulièrement offensif, qui ne rompt pourtant pas avec l’exécutif local ni avec les grévistes moins « radicaux ».

Cette même semaine, à Gatineau, les énergies se concentrent dans les assemblées générales de grève. Comme dans la quasi-totalité des universités au Québec (à l’exception de celle de Rimouski), ce n’est pas l’ensemble des étudiant.e.s de l’université qui sont en grève, mais bien des associations facultaires ou départementales. Certain.e.s militant.e.s de la base veulent changer cet état de fait. On appelle à un vote de grève auprès de l’Association générale étudiante de l’UQO (AGE-UQO). Réussite : le 28 mars, tout le campus tombe en grève. Fort.es de cette mobilisation victorieuse, les militant.es prévoient des actions la semaine suivante, et décident de s’attaquer prioritairement à des cibles liées à la consommation et aux loisirs. Le 3 avril, les activités du Casino du Lac-Leamy sont perturbées par une centaine de personnes qui occupent le lieu. Le lendemain, des blocages du Palais de justice et d’un bureau du ministère de l’Éducation, des Loisirs et des Sports sont organisés, puis les succursales de la SAQ de Gatineau et de Hull sont ciblées juste avant le congé pascal. Cette dynamique renforce la combativité des militant.e.s, et favorise la création d’un comité autonome de grève distinct de l’exécutif de l’AGE-UQO, adoptant une stratégie plus combative et plus démocratique.

La Bas-Saint-Laurent et la Gaspésie font courir la SQ (16 février au 23 mai)

À Rimouski et en Gaspésie, la dynamique régionale prime sur les affiliations nationales (fédératives ou asséiste), ce qui n’empêche pas certaines associations d’entrer très tôt en grève, comme le cégep de Matane qui débraie dès le 16 février. À Rimouski, l’ensemble des étudiant.e.s de l’université – une première au Québec en 2012 – tombe en grève le 27 février. Le lendemain, les grévistes érigent une barrière de neige et font une ligne de piquetage dure devant l’université, empêchant notamment le traitement des payes : en une journée, l’Université du Québec à Rimouski (UQAR) reconnaît la grève. Le mouvement est subséquemment ponctué de journées de mobilisation et de manifestations, dont celle du 15 mars qui rassemble plus de 500 personnes à Rimouski, dépassant les attentes des personnes organisatrices.

Dans le cadre de la semaine de perturbation économique, les militant.e.s réalisent de nombreuses actions locales et régionales. Le 26 mars, un édifice gouvernemental et le bureau du maire de Rimouski sont ciblés ; le 27 mars, un bâtiment d’Hydro-Québec est bloqué et 150 employé.es sont empêché.e.s de rentrer au travail ; le 28 mars a lieu un nouveau blocage, cette fois on cible le bureau du ministère du Revenu, etc. Au fil du temps, les blocages se poursuivent et essaiment à Trois-Pistoles et à Gaspé et les militant.es prévoient plusieurs occupations dans une même journée afin de confondre la SQ, qui réagit de plus en plus promptement et prépare des avis d’éviction avant même les actions.

Cette stratégie atteint un sommet le 30 mars 2012 alors qu’une manifestation est organisée contre la venue de Jean Charest à Gaspé. Sachant que la SQ y serait largement déployée et que la police serait en sous-effectif en Gaspésie et dans le Bas-Saint-Laurent, les militant.e.s des différents campus se coordonnent pour que les forces de l’ordre soient débordées. Un premier groupe de grévistes part le bal en bloquant un bureau du ministère de l’Éducation à Rimouski. Au moment où la SQ arrive sur les lieux, des militant.es de Matane bloquent la route 132, empêchant toute circulation terrestre entre la Gaspésie et le reste du Québec. Le convoi policier, arrivé à Rimouski, est redéployé d’urgence afin de déloger les étudiant.es de Matane. Arrivé à Matane, il fait face à un (troisième !) problème : des étudiant.es occupent le bureau du député libéral de Trois-Pistoles. C’est la panique dans les rangs de la SQ : le bureau du député se situe dans le même bâtiment que leur poste régional, actuellement sans effectif. Les militant.e.s laissent planer la menace d’une occupation du poste de police. Peu à peu, la SQ déloge les différentes occupations, mais il s’agit certainement là une des plus importantes perturbations de la grève qu’elle vient d’affronter.

Bien que les cégeps de Matane et de Rimouski cessent la grève au début du mois d’avril, les actions et les manifestations se poursuivent dans les semaines suivantes, avant de s’essouffler vers le mois de mai, notamment en raison de l’épuisement des militant.es. Le retour en classe des étudiant.e.s gaspésien.ne.s se fait le 30 avril, puis celui des étudiant.e.s de l’UQAR, le 23 mai, peu après l’entrée en vigueur de la Loi 12. C’est la fin du mouvement dans le Bas-Saint-Laurent et en Gaspésie, qui évitera les affrontements judiciaires découlant de la nouvelle législation.

À gauche, manifestation à Carleton-sur-Mer. Au centre, blocage du campus de Gaspé. À droite, barricade de neige à l’UQAR.

Feux croisés au Saguenay-Lac-Saint-Jean (13 mars au 5 avril)

Au Saguenay-Lac-Saint-Jean, on observe une déferlante d’actions en mars et au début d’avril. Depuis 2010, les militant.e.s étudiant.e.s de la région organisent, à l’image de celles et ceux de Rimouski, des manifestations régionales. Fort.e.s de cette expérience, les grévistes lancent assez tôt des actions dérangeantes en 2012. Dès le 20 février, le cégep de Saint-Félicien tombe en grève générale illimitée, suivi par plusieurs associations modulaires de l’UQAC puis du cégep d’Alma, le 19 mars. Le comité autonome d’action de l’UQAC, composé de membres de l’association générale de l’université (MAGE-UQAC) ainsi que de militant.e.s anarchistes proches du collectif Emma Goldman, organise une première action le 13 mars : une manifestation à Chicoutimi suivie de l’occupation d’une banque afin de dénoncer « les profiteurs de l’endettement généralisé ». Dans le même sens, le 15 mars, une manifestation à Saint-Félicien s’arrête à l’intérieur de plusieurs institutions financières. Le 18 mars, une manifestation de la CLASSE est organisée à Alma afin de mobiliser en vue du vote de grève prévu le lendemain. Le 19 mars, c’est le bureau du ministère de l’Éducation de Jonquière qui est occupé.

Durant la semaine du 26 au 30 mars, la répression se durcit. Le 29 mars, à l’UQAC, la direction de l’université appelle la police afin de déloger les étudiant.e.s qui bloquent l’accès aux cours : ces dernier.e.s réagissent en occupant les bureaux de l’administration. La police arrête alors plusieurs militant.e.s et les amène au poste, qui est rapidement entouré par une foule outrée. Les militant.e.s de l’UQAC sont rejoint.e.s par des grévistes de Saint-Félicien et d’Alma qui viennent de terminer une action de blocage au bureau du député libéral de Chicoutimi. La foule scande des slogans et demande la libération de leurs camarades. Soudainement, voyant une porte entrouverte, quelques militant.e.s se lancent, en vue d’occuper le poste. Un policier parvient in extremis à repousser les manifestant.e.s grâce à du poivre de Cayenne. Cet épisode et les nombreuses actions dérangeantes auront rendu visible la faiblesse du corps policier local, si bien qu’après 2012, le service de police de Saguenay se dotera d’une escouade antiémeute. Toute cette agitation du 29 mars n’empêche pas la tenue d’une manifestation de solidarité de près de 5000 personnes avec les travailleur.euse.s en lock-out de l’usine Alcan, située à Alma, le lendemain.

Au moment où les étudiant.e.s du cégep d’Alma s’apprêtent à débuter leur troisième semaine de grève, il.les affrontent une première injonction forçant le retour en classe, accordée par la Cour supérieure du Québec sous prétexte de non-respect des règlements de l’association étudiante entourant les votes de grève[4]. Les grévistes d’Alma sont largement mobilisé.e.s, car, depuis le début de la grève, un règlement suranné de leur association les oblige à être au moins 260 étudiant.e.s chaque jour sur les lignes de piquetage afin d’obtenir la levée des cours. En sus de cette obligation qui force la mobilisation, l’affrontement avec le grand nombre d’inscrit.e.s en techniques policières (25 % de l’effectif du cégep) encourage aussi l’esprit de corps des grévistes, en opposition à ce groupe naturellement marqué à droite. La menace de l’injonction provoque une hésitation chez les grévistes qui décident de ne pas appeler au blocage du cégep, tout en cherchant une solution pour poursuivre le mouvement. Afin de ne pas se mettre à risque juridiquement, l’association étudiante ne tient pas de nouveau vote de grève, mais une action est prévue pour le 2 avril : tôt le matin, les grévistes retirent les chaises et les bureaux de toutes les classes, qu’ils amoncellent sur le terrain, plus ou moins en forme de barricades. Les cours sont levés pour cette fois. Le lendemain, des militant.e.s vêtu.e.s de noir courent dans le cégep pour attirer l’attention des agents de sécurité pendant que d’autres grévistes, habillé.e.s normalement, mettent des bombes puantes dans les plafonds des classes : les cours sont à nouveau levés. La troisième journée, des étudiant.e.s du secondaire manifestent devant le palais de justice, perturbant la ville et offrant une dernière victoire aux grévistes du cégep d’Alma.

Cette première lutte contre les injonctions ne réussit malheureusement pas à empêcher le retour en classe voté en assemblée le 5 avril. Sans permission de l’administration pour tenir leur assemblée de reconduction de grève au cégep, l’association décide de l’organiser dans une église le 5 avril. Six voitures de police attendent les étudiant.es à la sortie pour  les intimider. Alors qu’Alma était entrée en grève contre vents et marées, avec quelques voix séparant les « pour » des « contre », l’assemblée se prononce pour le retour en classe.

Les semaines suivantes, les manifestations continuent à Chicoutimi et à Saint-Félicien, avec notamment une occupation du pont Dubuc, mais on observe une baisse de la mobilisation régionale suite à la défaite des grévistes d’Alma. Le cégep de Jonquière et celui de Chicoutimi n’étant pas en grève générale illimitée, la situation y reste précaire. Pourtant, le mouvement étudiant dans la région du Saguenay-Lac-Saint-Jean retrouvera sa vigueur au moment de la Loi 12 durant le mois de mai.

À gauche, grève au campus de Mont-Laurier. Au centre, action d’éclat à l’UQAC. À droite, manifestation régionale au Saguenay-Lac-St-Jean.

Luttes contre les injonctions dans le sud du Québec (13 avril au 15 mai)

Après le cas d’Alma, les injonctions deviendront une stratégie des réactionnaires allié.e.s aux administrations locales pour casser le mouvement et pour apeurer les étudiant.e.s afin de mousser le vote contre la grève. À partir du 16 avril, cette manœuvre sera un échec à chaque fois où elle sera tentée et elle aura finalement pour effet de relocaliser la lutte et parfois de remobiliser la base militante.

À Valleyfield, l’administration du cégep menace les étudiant.es d’un retour forcé en classe si la grève ne se termine pas à la mi-avril. Pour riposter à cette exigence, moins contraignant légalement qu’une injonction, l’exécutif de l’association locale, grâce à ses liens avec l’exécutif national de la CLASSE, parvient à faire converger un grand nombre de militant.e.s de Montréal et des Basses-Laurentides vers la ville du Suroît. Tôt le 13 avril, dix autobus pleins arrivent à Valleyfield et les militant.e.s tiennent tête à l’administration du cégep, alors que les policiers ne peuvent pas intervenir faute d’ordre de la cour. L’enseignement est suspendu, ainsi que le lendemain, jusqu’à ce qu’une entente soit arrachée à l’administration, qui promet de respecter la grève et de ne plus ordonner le retour en classe sans l’accord de l’association.

La semaine suivante, les grévistes de l’UQO font face à une première injonction imposant le retour en classe : l’administration entend la faire appliquer manu militari. Le comité autonome de grève de l’université, en coordination avec les étudiant.e,s du cégep, organise la résistance à partir du lundi 16 avril. L’université est occupée dès le matin et des barricades sont montées devant les portes, alors que les policiers bouclent rapidement le périmètre, empêchant toute circulation, y compris de nourriture, entre l’extérieur et l’intérieur. En fin d’après-midi, les occupant.e.s et l’administration trouvent une entente : les barricades comme les cours sont levés et personne n’est arrêté. Le lendemain, les grévistes libèrent des criquets dans l’université et glissent du poisson bien odorant dans les plafonds des classes, afin de perturber les activités académiques et de faire à nouveau lever les cours. Ces actions sont suivies d’une manifestation interne. La journée de mercredi voit une montée en tension, alors que nombre de grévistes débarquent d’autres villes pour supporter leurs camarades de Gatineau et que la police antiémeute est présente. Une manifestation de perturbation tourne au vinaigre : plus de cent personnes sont arrêtées et reçoivent des amendes d’environ 500 $ chacune en vertu du Règlement routier 500.1.

La pression policière s’amplifie durant cette semaine. Dès mardi, on voit plusieurs cas de profilage : les personnes portant un carré rouge, un symbole d’appui à la grève qui était apparu un peu avant la grève de 2005, sont escortées par les forces policières en dehors du campus, professeur.e.s compris.es. Le jeudi, une manifestation de perturbation est organisée au centre-ville de Gatineau avant de se diriger vers l’université, où un grand nombre de militant.e.s réussit à s’introduire par une porte qui semble sans surveillance… Malheureusement, il s’agit d’un stratagème policier : en quelques minutes, la police arrête plus de 150 manifestant.es coincé.es dans la cafétéria, en plus de brutaliser plusieurs personnes à l’extérieur et à l’intérieur, dont un homme âgé qui est détenu avec une grave blessure crânienne. Les arrêté.e.s sont amené.e.s au poste de police et détenu.e.s – sans soins, sans nourriture et sans accès à des toilettes – jusqu’à tard dans la nuit[5]. La brutalité de la répression et sa large médiatisation mettent finalement la direction du cégep sur la sellette : l’application de l’injonction n’est pas reconduite la semaine suivante et la grève peut se poursuivre, mais au prix d’une judiciarisation de nombreux.ses militant.es, dont plusieurs ne peuvent plus, par ordre de la cour, s’approcher de l’UQO ou du centre-ville de Gatineau.

Au cégep de Sherbrooke, une injonction oblige le retour en classe à partir du 30 avril. Craignant une répression semblable à celle vécue à l’UQO, les cégépien.ne.s cherchent une stratégie pour effrayer la direction afin que celle-ci refuse de faire appliquer l’injonction. Au matin, les grévistes masqué.e.s bloquent toutes les portes du cégep et affrontent quelques étudiant.e.s réactionnaires qui tentent de rentrer par tous les moyens. L’administration, qui craint elle aussi une violence comme celle vécue à l’UQO, lève tout de suite les cours et décide de ne plus appliquer l’injonction. Dans l’enthousiasme de cette victoire, les étudiant.e.s partent en manifestation. Quelques minutes plus tard, une camionnette blanche s’arrête à côté du convoi : un groupe d’hommes surgit du véhicule et enlève un manifestant, traumatisant les personnes présentes. Cette attaque, qui se révèle être une forme particulière d’opération policière, marque profondément les militant.es sherbrookois.es, avec comme conséquence une opposition plus farouche envers la police.

Au Collège Lionel-Groulx de Sainte-Thérèse, la tension est forte le vendredi 11 mai et le lundi 14 mai. Des militant.e.s, largement masqué.e.s et préparé.e.s, aidé.e.s par plusieurs enseignant.e.s forment une ligne de piquetage dure et des barricades sont érigées, alors que la présence policière se fait lourdement sentir bien qu’elle n’intervienne pas. La directrice du cégep, liée au Parti libéral, décide de porter plainte contre la police locale pour sa soi-disant inaction contre les grévistes et demande l’intervention de la police provinciale. Le 15 mai, une centaine de policiers antiémeutes de la SQ arrive au cégep, faisant face à des centaines d’étudiant.e.s, d’enseignant.e.s et de citoyen.ne.s solidaires, notamment des parents. La police ouvre les hostilités à coups de matraque et de gaz lacrymogène, sous les applaudissements des étudiant.e.s opposé.e.s à la grève. Les entrées sont finalement dégagées, mais aucun cours n’est donné : le syndicat des enseignant.e.s refuse le travail dans un tel contexte de violence étatique.

À gauche, confrontation avec des étudiants réactionnaires à Valleyfield. Au centre, mobilisation contre l’injonction à Sherbrooke. À droite, confrontations violentes et organisées à Ste-Thérèse.

La grève est populaire : manifestations nocturnes et loi spéciale (25 avril au 22 mai)

Le 25 avril, les négociations sont rompues entre les trois associations étudiantes nationales (FEUQ, FECQ et CLASSE) et le gouvernement libéral, en conséquence de quoi a lieu une « Ostie de grosse manif de soir » à Montréal visant à dénoncer la fourberie des dirigeant.es. Un grand nombre de militant.es des cégeps Lionel-Groulx, de Saint-Jérôme et de Valleyfield y participent, alors que des grévistes de Sherbrooke, de Gatineau et de Rimouski organisent des manifestations nocturnes spontanées dans leur ville. On constate, à partir de ce moment, une concentration de l’activité des militant.e.s venant des villes périphériques à Montréal dans la métropole, avec un relatif abandon des actions locales : seule exception, une tentative de former une assemblée citoyenne jérômienne. Des rencontres sont organisées à la Place de la Gare, mais sans arriver à se pérenniser. À Gatineau, une nouvelle manifestation nocturne a lieu le 27 avril, une pratique reprise régulièrement durant le mois de mai, caractérisée par une forte opposition à la répression policière qui a marqué les grévistes à la mi-avril. Alors que la grève avait été relativement paisible à Trois-Rivières, deux grandes manifestations nocturnes sont organisées, le 27 avril et le 3 mai, dans un climat d’« écœurantite » face au mépris gouvernemental. Dans ce contexte de colère, le 4 mai, le congrès du Parti libéral à Victoriaville est attaqué par des étudiant.es venu.es des quatre coins de la province : la violence policière déployée à ce moment-là marque d’ailleurs les esprits, principalement des gens de Victoriaville et de Montréal, qui connaissent plusieurs blessé.es graves.
Des manifestations nocturnes contre la « loi spéciale » (Loi 12) sont organisées régulièrement tout au long du mois de mai à Sherbrooke, mais aussi à Jonquière et à Chicoutimi.

À partir du 19 mai, des manifestations de casseroles, animées par des citoyen.nes appuyant le mouvement étudiant et dénonçant la répression antidémocratique de l’État, émergent un peu partout au Québec. Initialement prévues comme un mouvement où l’ensemble de la population cogne sur ses instruments de cuisine du haut de son balcon, le mouvement des casseroles en vient de plus en plus à adopter le modus operandi des manifestations nocturnes, à savoir un rassemblement chaque jour au même endroit, suivi d’une longue déambulation sans itinéraire préétabli. À l’orée de l’été, le mouvement, tant étudiant que populaire, montréalais comme régional, commence à s’essouffler. Si la CLASSE lance une campagne estivale afin d’élargir le mouvement de grève en mouvement populaire, l’annonce d’élections provinciales pour le 4 septembre sonne le glas du mouvement. La grande majorité des grévistes et des contestataires reportent leurs activités et leurs espoirs sur l’électoralisme bourgeois. Mal leur en pris, puisque le Parti québécois élu, bien qu’il ait suspendu la Loi 12 et l’augmentation des frais de scolarité pour quelques mois, a dirigé le Québec de manière néolibérale de 2012 à 2014… coupant dans les crédits d’impôt et imposant une nouvelle hausse des frais de scolarité dès février 2013, la cause même du mouvement de débrayage de 2012 !

À gauche, manifestation de soir à Montréal. Au centre, participation opportuniste de Pauline Marois, Gilles Duceppe et autres figures des mouvances indépendantistes. À droite, manifestation de soir à Chicoutimi.

À la suite de 2012

La réduction du mouvement aux enjeux électoraux puis le retour en classe provoque de grandes déceptions chez les militant.e.s en région. La grève n’a pas mené pas à la création d’organisations politiques comme plusieurs l’auraient souhaité. Beaucoup de militant.e.s déménagent à Montréal ou cessent leurs implications. Un éphémère collectif anarchiste, Le Pavé, voit le jour à Sherbrooke alors que le collectif Emma Goldman retrouve un nouveau souffle après cette grève, mais sans plus. Dans le mouvement étudiant, la grève de 2012 a permis la création d’une tradition militante à l’UQO, surtout dans les modules de travail social et de soins infirmiers, qui explique le dynamisme de la grève des stages (2016-2019) en Outaouais.

À Valleyfield, la grève a fait du cégep un haut lieu de l’organisation asséiste (jusqu’à la disparition de celle-ci en 2019), tandis qu’à Rimouski et au Saguenay-Lac-Saint-Jean, elle a mené l’UQAR à se désaffilier de la FEUQ et le cégep de Saint-Félicien à joindre l’ASSÉ, dans un mouvement de « gauchisation » des associations de cette région.

Pour les militant.e.s, la fin abrupte de la grève reste difficile à comprendre dix ans plus tard. La tournée de la CLASSE à l’été 2012 semble avoir eu un effet mitigé et, plutôt que de renforcer les bases locales, elle aurait créé un attentisme envers la direction nationale, qu’on ne voyait pas plus tôt, en mars, avril ou mai. Le récit de la grève proposé à l’été, mettant à l’avant-plan l’organisation nationale et « le peuple » négociant avec l’État et le forçant à déclencher des élections, ne semble pas avoir trouvé un écho auprès des militant.e.s de région, notamment chez les plus radicaux. Ce récit unitaire s’est fait au détriment de la mise en récit et de la prise de conscience de l’auto-organisation réelle, des soulèvements combatifs et des solidarités locales qui ont essaimés durant la grève. En 2012, les bases locales sont devenues sujets de la lutte. Elles se sont données leurs propres mandats. Elles n’étaient pas « à venir », mais déjà là.

Notes

[1] La forte répression policière caractérisée par des violences sexistes, l’idéologie masculiniste omniprésente dans les radios-poubelles et la montée de la droite structurée autour de « gangs de gars » sur les campus pourraient expliquer pourquoi la grève de 2012 dans la région de Québec est marquée par un nombre important d’actions féministes, ainsi que par le leadership des femmes : la lutte contre la droite conservatrice et patriarcale trouve alors un lieu d’expression.

[2] Ce premier mutilé de grève inspirera une chanson de Mise en demeure : https://www.youtube.com/watch?v=u5fayzWu0HU

[3] Durant cette manifestation, les policiers débutent leur opération de dispersion en lançant des grenades assourdissantes, encore une fois au niveau de la tête, au moment où les manifestant.es passent devant les bureaux de Loto-Québec…

[4] Cette première injonction à Alma est aussi la première accordée au Québec durant la grève étudiante de 2012.

[5] Un arbitraire et une violence policière qui rappelle, pour les militant.es plus âgé.es, les sévices subis lors du contre-somment de Toronto en 2010. Un procès en dommages-intérêts est d’ailleurs toujours en cours contre le Service de police de la ville de Gatineau pour ces faits d’avril 2012

Putes contre les prisons : ce que l’abolitionnisme pénal peut apporter au mouvement des travailleuses du sexe

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Mar 032022
 

Du Comité autonome du travail du sexe (CATS)

Par Adore Goldman et Melina May

«Si le travail du sexe était décriminalisé, nous pourrions plus facilement dénoncer les violences que nous vivons!»; «La criminalisation fait en sorte que les travailleus.eur.s du sexe (TDS) ne peuvent pas aller à la police!»; «Il existe déjà des lois pour criminaliser les violences que nous vivons sans reposer sur la criminalisation du travail du sexe

Ces phrases se retrouvent souvent dans la bouche des activistes qui militent pour la décriminalisation du travail du sexe. C’est qu’il faut convaincre nos adversaires du bien fondé de nos revendications et que nous avons à cœur la sécurité des femmes. Pourtant, on sait bien que ce ne sont que des demi-vérités; que même avec la décriminalisation, bien des TDS ne pourront jamais aller voir la police parce qu’elles sont à l’intersection d’autres oppressions; parce que la réponse des institutions judiciaires est souvent insatisfaisante en matière de violence sexuelle et genrée; parce que l’État trouvera toujours d’autres outils pour nous criminaliser et nous stigmatiser, surtout les plus précaires d’entre nous.

Alors que des théoriciennes noires comme Angela Davis remmettent en question le rôle du système pénal dans les cas de violences faites aux femmes depuis des décennies, le mouvement féministe blanc et mainstream commence à peine à se poser ces questions. Dans le cas du travail du sexe, nous considérons que ces questionnements pourraient apporter des réflexions fructueuses et importantes pour la lutte contre les violences faites aux TDS et plus largement aux femmes. Qui plus est, la criminalisation du travail du sexe repose depuis toujours sur des présupposés racistes et un effort à contrôler la migration des femmes racisées.

Face à des cas de violences, plusieurs choisiront de porter plainte à la police et de recourir au système judiciaire parce que c’est le seul moyen d’assurer leur sécurité. Nous ne posons aucun jugement sur ces situations individuelles. Nous pensons que le recours au système pénal n’est jamais un échec individuel. En revanche, nous pensons qu’il s’agit d’un échec collectif quand l’emprisonnement et la punition constituent les seules réponses à la violence. 

Les théories qui entourent l’abolition de la prison et plus largement, du système pénal dans son entièreté, peuvent servir à penser la décriminalisation de notre travail en tenant compte des besoins et des réalités plurielles qui traversent nos histoires en tant que TDS, au travail comme ailleurs.

Brève histoire politique des abolitionnismes

L’abolitionnisme pénal regroupe différentes analyses théoriques inspirées par une vaste pratique militante. Gwenola Ricordeau, chercheuse des critiques féministes contemporaines du système pénal, décline l’abolition en trois  champs : le crime, la peine et la prison.1 Elle présente le crime comme une réalité sociale, construite par l’État et définie par le Code criminel dont l’évolution historique et politique reflète les mentalités de l’époque. La peine consiste en l’ensemble des moyens pris par l’État pour punir et sanctionner une personne jugée criminelle, allant du ticketing à l’emprisonnement. Dans ses travaux, Ricordeau propose de questionner les catégories pénales telles qu’elles sont imposées par l’État qui, selon elle, détournent notre attention des pires préjudices perpétrés par les plus puissants et majoritairement liés aux rapports de domination et d’inégalités structurelles; pensons à la suprématie blanche, à la destruction de l’environnement, et aux crimes d’État.

Plusieurs activistes et écrivain.e.s font l’analyse du continuum entre le système esclavagiste et la prison contemporaine. Robyn Maynard, féministe noire et activiste canadienne pour l’abolition du système pénal, nous rappelle le rôle important des esclaves dans l’abolition officielle de l’institution de l’esclavage et aujourd’hui, celui des activistes dans la lutte contre l’incarcération massive et la surveillance des personnes noires.2 Après l’abolition de la traite des esclaves aux États-Unis en 1865, l’adoption du 13e amendement de la Constitution interdit l’esclavage, mais autorise explicitement le travail forcé des personnes condamnées. Le « complexe carcéro-industriel »3 devient alors un moyen d’organiser socialement la ségrégation raciale et « l’incarcération de masse est, métaphoriquement, le nouveau Jim Crow »4, comme l’affirme Michelle Alexander5. Le terme « abolitionniste » est donc repris dans la lutte à l’abolition du système carcéral par les activistes afro-américain.e.s pour faire écho à la lutte pour l’abolition de l’esclavage.

L’utilisation du terme « abolitionnisme » est également revendiquée par certains courants féministes pour désigner leur position à l’égard de la prostitution. Depuis les années 1980,  les campagnes et les organisations contre la traite des femmes se multiplient et sont massivement financées. Jo Doezema s’est intéressée à étudier les précédents historiques des mouvements abolitionnistes actuels dans les campagnes contre la « traite des blanches » survenues à la fin du 19e siècle.6 Elle fait l’analyse de la construction mythique à cette époque du paradigme de la victime blanche, innocente et pure et celui du trafiquant diabolique et « étranger ». Ce serait avec le début de l’immigration massive et de la circulation des femmes que serait née la panique autour de la femme européenne recrutée et exploitée à des fins sexuelles dans les colonies. L’existence de ce phénomène n’a toutefois jamais été prouvée. Cette panique, mêlée aux croisades morales et de santé publique visant à mettre fin à la prostitution, a donné l’impulsion nécessaire à la tenue de conventions et de proposition de lois internationales au début du 20e siècle pour adresser le problème de l’« esclavage des femmes blanches ». Les protocoles qui étaient alors mis en place internationalement se fondaient sur des conceptions paternalistes, sexistes et racistes; la mobilité des femmes était considérée comme dangereuse et destructrice pour l’ordre social. 

Dans un récent rapport de recherche supporté par Réseau juridique VIH et Butterfly, qui intervient auprès de s travailleuses du sexe migrantes asiatiques, on apprenait que les politiques d’immigration canadiennes ont historiquement fermé les frontières aux travailleuses du sexe en introduisant plusieurs catégories de personnes interdites dans la Loi sur l’immigration.7 Par exemple, la catégorie « les femmes et les filles qui viennent au Canada pour des “raisons immorales” »8 est introduite en 1910. Cette catégorie a été maintenue et élargie en 1976 pour inclure « les prostituées, les homosexuels ou les personnes vivant des produits de la prostitution ou de l’homosexualité, les proxénètes ou les personnes venant au Canada à ces fins ou à toute autre fin immorale »9. Si les critères de rejet qui régulent actuellement la migration ne sont plus autant explicitement basés sur des critères de normativités sexuelles et sur la désirabilité morale, ils sont surtout formulés dans le langage de la sécurité publique10. Reste que les figures racialisées du proxénète et de la femme trafiquée restent dans l’imaginaire collectif blanc et continue d’influencer les politiques en matière de travail du sexe.

Aujourd’hui, les ambassadeur.rice.s contre l’exploitation humaine se servent du narratif raciste lié à l’esclavage transatlantique dans leur appel à plus de criminalisation des clients et des proxénètes. Comme l’affirme Maynard, ces groupes 

s’approprient les horreurs de l’esclavage pour justifier les pratiques racistes de l’État et créent des conditions qui maintiennent les femmes noires en général et les travailleuse.eur.s du sexe noir.e.s en particulier vulnérables au harcèlement, au profilage, aux arrestations et à la violence.11  

Dissimulé derrière les discours antitraite se trouve également le mythe raciste de l’homme noir violeur et trafiquant. Dénoncé par Angela Davis dans son livre Femmes, race et classe12, ce mythe demeure bien présent aujourd’hui. En témoigne notamment le taux de condamnation abusif, et la surreprésentation des hommes noirs judiciarisés. Au Canada, les personnes noires ne représentent que 3% de la population, mais représentent plus de 9% de personnes détenues au sein des établissements fédéraux.13 Même si les prisons provinciales ne divulguent pas leurs statistiques raciales, les données accessibles montrent des taux similaires au fédéral, et même souvent pire.14 On retrouve également ce stéréotype dans la figure racialisée du proxénète. En reprenant les comparaisons malhonnêtes avec l’esclavage, les défenseurs anti-prostitution détournent la discussion sur les conditions de travail pour faire entendre leurs préoccupations morales sur le sexe, la race et la migration. Ce sont des millions de dollars qui sont investis dans ces organisations15 et ce sont également ces groupes qui sont invités sur les tables de discussion lorsque l’on parle de la criminalisation de notre travail.  

Nous criminaliser pour nous protéger

L’amalgame entre traite sexuelle et travail du sexe met en danger les TDS. Au Canada, ce qui en découle est un ensemble de lois fédérales, provinciales et municipales qui visent à cibler et à éliminer l’exploitation sexuelle. Les supposés objectifs de cette approche pénale et répressive sont de protéger les femmes vulnérables, en leur interdisant de travailler dans l’industrie du sexe et en réduisant la demande par la criminalisation. Concrètement, il existe très peu de preuves qui confirment que ces lois protègent les victimes de traite. Bien au contraire, plusieurs études démontrent que la criminalisation a des impacts négatifs notoires sur la qualité de vie des personnes que ses défenseurs prétendent « sauver ».16

Au Canada, le code criminel inclut spécifiquement une catégorie pénale et des infractions qui interdisent la traite des personnes. Selon un rapport de Statistique Canada, entre 2009 et 2018, sur 1708 incidents de traite humaine, 97% des victimes sont des femmes et filles avec une grande prévalence de cas d’exploitation sexuelle.17 De telles statistiques résultent d’une définition très limitée du trafic et très peu de réponses en ce qui à trait aux abus dans d’autres secteurs de travail non-sexuels comme le travail domestique ou encore l’agriculture.

En plus, le code criminel comprend des infractions spécifiques à la prostitution. Sous la Loi sur la protection des collectivités et personnes victimes d’exploitation, il est interdit de communiquer dans certains lieux publics18 pour offrir ses services sexuels, de se procurer des services sexuels, de profiter matériellement du travail du sexe et de promouvoir ces services. Du même rapport, on apprend que 63% des rapports de police sur la traite comportaient des infractions secondaires impliquant une infraction liée à des services sexuels. Cette statistique démontre bien comment ces lois sont profondément liées aux récits qui ancrent le travail du sexe comme étant naturellement abusif et que très souvent, la criminalisation de la traite des personnes sert avant tout à cibler les TDS. 

L’industrie du sexe est également surveillée et criminalisée par les projets et plans d’action de sauvetage des victimes mis en place par les forces de l’ordre des provinces. En Ontario, l’Opération Northern Spotlight coordonnée par la Gendarmerie Royale du Canada et la police provinciale de l’Ontario a été vivement critiquée par les groupes de travailleuses du sexe.19 Sous prétexte de lutter contre l’exploitation, les policiers, se faisant passer pour des clients, s’introduisaient dans les salons de massage et les hôtels pour piéger les travailleuses du sexe, les intimider, faire des fouilles injustifiées et les détenir de façon arbitraire. Non seulement, ces opérations traumatisent et rendent les TDS d’autant plus méfiant.e.s à l’égard de la police, mais elles n’aident également en rien les supposées victimes d’exploitation. L’opération Projet Crediton, une initiative menée par l’équipe de lutte contre la traite des personnes de la police d’Ontario en 2020, n’a pas donné lieu à une seule accusation de traite humaine, alors que 7 personnes ont été arrêtées et poursuivies pour 32 infractions liées au travail du sexe.20

En addition aux lois fédérales et aux politiques provinciales, les municipalités font de plus en plus l’usage des règlements en termes de zonage et de licence pour cibler et fermer les salons de massage. À Toronto, plusieurs travailleuses ont dénoncé l’utilisation abusive des règlements municipaux par les forces de l’ordre. Par exemple, certaines travailleuses ont témoigné avoir reçu un ticket pour avoir barré la porte de leur salle de travail puisque plusieurs règlements municipaux interdisent de barrer toute porte dans les salons de massage.21 Pour les personnes qui reçoivent dans leur appartement ou dans un salon de massage, barrer la porte est un moyen important pour assurer leur sécurité et « screener » les clients qui se présentent à leur porte. Certains salons de massage à Toronto ont également été soumis aux exigences de zonage les plus strictes, les autorisant à s’établir seulement dans les « zones industrielles d’emploi », qui sont habituellement réservées aux entreprises de fabrication, d’entreposage et d’expédition. Des tactiques similaires ont été utilisées à Laval en 2018 pour faire fermer les stripclubs, les sex-shops et les salons de massages des grandes artères et les reléguer dans des zones industrielles.22 Ces zones sont extrêmement isolées, peu populeuses et peu éclairées, laissant les travailleuses particulièrement vulnérables aux vols et aux violences.  

Celleux qui travaillent dans la rue sont également ciblées par les agents de police comme le témoigne cette personne : 

« Ils sont sortis de nulle part et m’ont arrêté parce qu’ils ont dit que je traversais à un feu rouge. C’était l’hiver, et personne n’était dans la rue, mais ils m’ont donné une contravention. Ils étaient très durs, très très insistants pour se débarrasser de nous dans la rue à l’époque »23

Les agents de la loi utilisent une variété d’outils pour cibler les communautés criminalisées, racisées et marginalisées, ce qui peut les empêcher d’accéder au système de justice : 

si elles vendent de la drogue ou vivent avec des personnes qui le font, elles peuvent craindre le risque d’accusation de trafic; si elles ont été victimes d’abus dans le cadre du travail du sexe et qu’elles sont séropositives, elles peuvent craindre le risque d’accusation d’aggression sexuelle aggravée pour ne pas avoir divulgué leur statut sérologique; si elles ont un statut d’immigration précaire, elles peuvent craindre de perdre leur statut et d’être déportées. 24

Ainsi, les TDS en situation d’itinérance qui utilisent et vendent des drogues ou qui sont séropositives ont toutes plus de chance d’avoir des mauvaises expériences avec les corps policiers – qu’elles soient directement en lien avec le travail du sexe ou non –  et ainsi, de ne pas porter plaintes en cas d’agressions. C’est particulièrement le cas pour nos collègues migrantes qui sont exposées à la répression policière, sous couvert de les sauver.  

Borders, what’s up with that ? 25
Trafic sexuel et contrôle de la migration des femmes

Par tous les moyens possibles, les forces de l’ordre font des pieds et des mains pour judiciariser les travailleuses du sexe. À travers la constellation de lois, la criminalisation des travailleuses migrantes peut résulter en des pénalités importantes : sous l’article 36 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, toute personne, y compris celles qui ont leur résidence permanente, déclarée coupable d’une infraction punissable par les lois fédérales peut se voir emprisonnée jusqu’à 10 ans et déportée. En 2012, le gouvernement conservateur a réformé la loi sur l’immigration afin d’interdire aux personnes migrantes qui se voient délivrer un permis de travail le droit de travailler dans l’industrie du sexe, même dans les secteurs légaux comme les salons de massage licenciés et les stripclubs et ce, même si ce sont des emplois sans services sexuels (cuisinier, concierge, barmaid, etc). L’Agence de services frontaliers du Canada joue également un rôle important dans le contrôle de l’immigration des TDS. Effectivement, il a été largement documenté que les agents frontaliers font usage de leur pouvoir discrétionnaire pour refuser l’entrée au pays à des personnes jugées comme engagées dans l’industrie du sexe, notamment les femmes migrant de l’Europe de l’Est ou d’Asie de l’Est, souvent profilées comme vulnérables et passives. 26

Si le discours anti-prostitution prend racine dans la xénophobie et le racisme autour de la traite des blanches, il n’est pas étonnant que les lois encadrant le travail du sexe, encore aujourd’hui, servent particulièrement à réprimer les TDS migrantes.27 En 2001, le gouvernement canadien introduit des pénalités spécifiques pour la traite dans la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. Contrairement à ce qu’elles prétendent – protéger les victimes de l’exploitation – ces lois servent plutôt à protéger les citoyen.ne.s canadien.ne.s des personnes migrantes vues comme indésirables. 

En 2000, alors que les préoccupations internationales sur le trafic humain prennaient de l’ampleur, l’Assemblée générale des Nations Unies adoptait le Protocole visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants.28Si ce protocole fournit un cadre qui permet aux États signataires de mettre en œuvre leur propre système de lois en terme d’exploitation humaine, il reste flou quant à la définition du travail du sexe. En 2012, le gouvernement fédéral annonçait la mise en place d’un Plan d’action national de lutte contre la traite de personnes. La plus récente formule, la Stratégie nationale de lutte contre la traite des personnes alloue un budget de 75 millions pour la période de 2019 à 2024.29 Malgré toutes les ressources et l’argent investi dans la lutte contre le trafic humain, on apprend qu’entre le 1er janvier 2006 et le 13 juillet 2020, l’Agence des services frontaliers du Canada enregistrait un total de 8 accusations portées en matière de traite de la personne et aucune condamnation.30 Les enquêtes, le profilage et les descentes de police en matière de lutte contre la traite des personnes ne permettent que rarement, voire jamais, de découvrir des « trafiquants ». Il ne fait aucun doute que ces pratiques et politiques répressives servent surtout à maintenir un climat de peur parmi les personnes en contexte de migration.

Nous aussi: les victimes de la criminalisation

Le modèle légal canadien en matière de prostitution est généralement justifié sous le couvert d’aider les victimes d’exploitation sexuelle et d’éradiquer l’industrie du sexe, décrite comme la parfaite illustration du patriarcat et de l’exploitation des femmes. Défendu également par plusieurs groupes de féministes carcérales, le préambule de ces lois présente les TDS comme des victimes qu’il faudrait à tout prix sauver des proxénètes et des clients, qui encouragent cette exploitation. 

Il est impossible de nier que les travailleuses du sexe vivent des violences dans leur travail. Plus encore, il faut reconnaître que ces violences ont un caractère genré, racialisé et de classe: les TDS pauvres, racisées, migrantes, autochtones, trans et qui travaillent dans la rue sont plus susceptibles de subir cette violence et de subir des formes plus graves de violences.31 32 Toutefois, rarement questionne-t-on les réelles capacités du modèle carcéral et pénal à protéger les TDS.

C’est une vérité de la Palice de dire que le système de justice est inefficace pour traiter des violences genrées: au Canada, on estime que 3 agressions sexuelles sur 1000 se soldent par une condamnation. Avec un taux de 5% de déclarations à la police, il s’agit du crime le moins rapporté. Il s’agit également du seul crime violent dont la proportion n’a pas diminué depuis 1999. 33

De telles statistiques sont évidemment révoltantes. Devant ces chiffres, différentes tendances du mouvement féministe revendiquent davantage de justice, de nouvelles lois, une reconnaissance du féminicide comme catégorie juridique, un tribunal spécial, des peines plus sévères… Mais la capacité du système de justice à traiter de ces violences est rarement interrogée dans son ensemble.

Dans ses travaux, Gwenola Ricordeau montre que non seulement les victimes sont souvent revictimisées34 devant les tribunaux, mais que la forme du procès est en elle-même contraire aux besoins des victimes. En effet, en se soumettant au système de justice, les victimes subissent en quelque sorte un « vol de leur préjudice ».35 Ainsi, elles seront remises en question, interrogées sur la véracité des actes qu’elles allèguent, et l’accusé aura tout avantage à ne pas reconnaître le préjudice causé pour ne pas être reconnu coupable. Cette façon de faire va le plus souvent à l’encontre du besoin de reconnaissance des souffrances des victimes. Plus encore, il est attendu qu’elles remplissent le rôle de la victime parfaite. Ainsi, les femmes les plus pauvres, les femmes racisées, les travailleuses du sexe et celles qui utilisent des drogues sont moins susceptibles de voir leur agresseur puni. 36

Même lorsqu’une condamnation est prononcée, cela ne veut pas dire que les TDS sont protégées. En 2020, à Québec, Marylène Lévèsque, travailleuse du sexe, fût assassinée par son client. Ce dernier était en liberté conditionnelle après avoir purgée une peine d’emprisonnement pour le meurtre de sa conjointe. Son agente de libération conditionnelle savait qu’il fréquentait des travailleuses du sexe et trouvait normal et sain que ce dernier obtienne de la sexualité de cette façon, malgré son passé extrêmement violent et les taux importants de victimisation des TDS. Cette intervention a été défendue par le syndicat des agents de libération conditionnelle.37 Le rapport du coroner, sorti en novembre 2021, recommande le port du bracelet électronique, mais n’interroge nullement les conditions de travail des TDS et l’impact de la criminalisation sur celles-ci.38 Ainsi, le contexte de criminalisation n’empêche pas les hommes dangereux et violents d’accéder aux services des TDS – c’est même ce qui a été encouragé dans ce cas et défendu par l’institution carcérale! C’est que les TDS sont perçu.e.s comme des victimes collatérales, censé.e.s protéger les autres femmes des hommes violents en leur servant de défouloir. 

L’autodéfense des femmes est également criminalisée lorsqu’elles ripostent à des actes de violence. Parce qu’évidemment, les femmes ne demeurent pas passives. Une étude américaine estimait en 2005 que 67% des femmes incarcérées pour l’homicide d’un proche avaient d’abord été victimes de ce dernier.39 Pour les TDS, la légitime défense est souvent un motif de criminalisation et d’emprisonnement. Le cas de Cynthoia Brown est particulièrement révélateur à ce sujet. Mineure au moment des faits et forcée à vendre du sexe par un partenaire abusif, elle a été condamnée à une peine de 52 ans pour avoir tiré sur un client qui l’avait menacé et agressé.40 Après avoir passé quinze ans derrière les barreaux, Cynthoia a été libérée, après que le travail acharné de militant.e.s de Black Lives Matters ait porté son cas devant les médias, puis soit partagé par Kim Kardashian et Rihanna. Si l’accusée a réussi à obtenir la clémence, la majorité des TDS qui utilisent la légitime défense ne bénéficie pas de ce traitement médiatique, entre autres parce qu’elles sont adultes ou sont dans l’industrie de leur propre gré. En juillet 2021, Nichole Hover, une travailleuse du sexe d’Ottawa, a plaidé coupable à un chef d’accusation d’homicide involontaire, après avoir été accusée de meurtre au deuxième degré.41 Elle était avec un client qui a refusé de la payer, prétextant qu’il n’avait pas pu atteindre l’orgasme. Un conflit a éclaté et le client d’Hover est devenu violent. Elle a été condamnée à sept ans de prison. Bien qu’on ignore pourquoi Hover ait choisi de ne pas aller en procès et si elle a eu accès à de la représentation légale, l’issue de cette affaire ne devrait pas nous étonner: au Canada, on estime que 90% des personnes accusées déposent un plaidoyer de culpabilité.42 Les personnes détenues avant procès sont également plus susceptibles de plaider coupable que celles libérées sous caution. Le fait de détenir les personnes avant procès a été qualifié de « stratégie pour arracher un plaidoyer de culpabilité »43 dans certaines recherches. En effet, « [l]es gens vulnérables ayant des problèmes de toxicomanie ou de santé mentale, de déficience cognitive, de pauvreté ou d’itinérance peuvent subir des pressions accrues en faveur d’un plaidoyer de culpabilité. »44

Plus encore, la violence contre les TDS est souvent utilisée pour pousser des lois qui les criminalisent elles-mêmes. Les dernières tueries dans des salons de massage à Toronto en 2020 et à Atlanta en 2021 en sont des exemples. Dans le premier cas, le présumé tueur de Ashley Noelle-Arzaga a été accusé de terrorisme après que la police ait découvert les motifs misogynes et violents associés aux « incels45 ».46 Ces charges peuvent avoir l’air progressistes à première vue; ce n’est pas tous les jours qu’un homme blanc est accusé de terrorrisme. Toutefois, ce n’est pas ainsi qu’elles ont été perçues par la communauté visée par l’attentat. Selon Elene Lam, la fondatrice de l’organisme Butterfly, « les forces de l’ordre sont les plus grands terroristes [pour les TDS ] ».47 Selon un sondage produit par l’organisme, la moitié des répondantes ont déclaré qu’un agent de la paix avait été abusif, oppressant ou humiliant envers elles.48 Plutôt que des charges de terrorisme, les TDS préféreraient plutôt la décriminalisation de leur travail et l’accès à des droits du travail.49 Même son de cloche du côté de Red Canary Song, organisme New Yorkais intervenant auprès des TDS asiatiques et migrantes, suite à la fusillade dans un salon de massage d’Atlanta qui a mené à la mort de 8 femmes:

Nous rejetons l’appel à davantage de police en réponse à cette tragédie. L’impulsion à appeler à davantage de répression est encore plus grande en milieu de toute cette violence anti-asiatique qui appelle à encore plus de peines carcérales. […] La police n’a jamais eu une réponse adéquate à la violence parce qu’[elle] est un agent de la suprématie blanche. La police n’a jamais gardé en sécurité les travailleuses du sexe ou les employées des salons de massage ou les immigrant.e.s. La criminalisation et la démonisation des travailleuses du sexe a blessé et tué un nombre incalculable de personnes – plusieurs aux mains de la police, à la fois directement et indirectement. À cause de la perception raciste et sexiste des femmes asiatiques, particulièrement celles engagées dans des travaux vulnérables et mal-payés, la criminalisation du travail du sexe porte préjudice aux travailleuses des salons de massage, peu importe si elles en font elle-mêmes. La décriminalisation du travail du sexe est la seule façon qu’ont les travailleuses du sexe, les femmes travaillant dans des salons de massage, les survivantes de traffic ou n’importe qui criminalisé pour ses stratégies de (sur)vie d’être en sécurité.50

Puisque c’est le même appareil qui les criminalise, faire appel à la police ou à l’ensemble du système carcéral ne fait donc aucun sens pour ces femmes, particulièrement les femmes migrantes qui vivent avec la menace constante d’être déportées si leur travail est découvert. 

Un argument souvent utilisé pour défendre la décriminalisation du travail du sexe est que les clients et les proxénètes abusifs pourraient être plus facilement dénoncés à la police. Quand on pense à la façon dont la police et tout l’appareil pénal traite les victimes de violences genrées, on peut questionner l’utilisation de cet argument. Alors si ce n’est pas pour aller à la police, qu’est-ce que la décriminalisation apporterait aux TDS?

Criminaliser la pauvreté, pas les prostituées!

En 2020, suite à l’assassinat de l’homme afro-américain George Flyod aux mains du policier Derek Chauvin, des militant.e.s d’un peu partout en Amérique du Nord se sont mis à réclamer le définancement – voire même l’abolition – de la police.⁵¹ Ces militant.e.s revendiquent du même coup que le budget de la police, et plus largement de l’ensemble du système pénal, soit réinvesti dans les ressources sociales et communautaires. Nous pensons que cette proposition est intéressante pour réfléchir la décriminalisation du travail du sexe. Car ce dont ont réellement besoin les TDS, ce n’est pas d’une meilleure criminalisation, mais bien de droits et de ressources.

La décriminalisation du travail du sexe permettrait entre autre que les TDS aient accès aux droits du travail. Nous pensons que l’accès à ces régulations occasionnerait plusieurs améliorations dans nos conditions de travail. Pensons à la capacité d’exiger que les employeurs garantissent un environnement de travail sécuritaire et bannissent les clients problématiques, à un accès facilité à la dénonciation du harcèlement et de la violence au travail et à la capacité d’obtenir des compensations dans ces cas ou encore, à la capacité de dénoncer la discrimination raciale à l’embauche. Les situations de violences pourraient également être davantage prévenues si les clients n’avaient plus peur de la criminalisation, car cela faciliterait l’utilisation de méthodes de screening.

Les lois pour réguler le travail du sexe prenant racine dans le contrôle de la migration, nous pensons qu’il est également essentiel de porter une attention particulière aux conditions des TDS migrantes dans nos revendications pour la décriminalisation. Même en Nouvelle-Zélande, pays souvent vu comme l’exemple en terme de décriminalisation du travail du sexe, les TDS migrantes n’ont toujours pas le droit de travailler légalement près de 20 ans après le changement de lois. La lutte au trafic sexuel est directement reliée aux efforts des pays occidentaux de limiter la migration. Nous pensons que la seule solution pour remédier aux abus des personnes migrantes dans l’industrie du sexe est d’abolir la détention et les déportations, d’ouvrir les frontières et d’accorder un statut pour tout.e.s. Cela permettrait aux personnes migrantes qui travaillent dans l’industrie du sexe, ou dans toute autre industrie qui contourne les droits du travail, d’accèder à des protections sociales.

Toutefois, les réformes légales ne sauraient à elles seules lutter contre les violences structurelles desquelles les TDS sont souvent aux intersections. Les femmes, les personnes migrantes, racisées, trans et hadicapées sont toutes surreprésentées dans le travail du sexe et parmis les personnes victimisées. Les barrières aux emplois traditionnels, les difficultés d’accès au logement à un prix décent et de taille adéquate, les difficultés d’accès grandissantes à des soins de santé gratuits et universels, à la garde d’enfants, et plus largement, la pauvreté structurelle et les inégalités croissantes, sont tous des facteurs d’augmentation de la violence. Ces obstacles structurels font qu’une personne peut être obligée de rester dans une situation de violence, que ce soit la violence d’un conjoint, d’un proxénète ou d’un employeur. La prison, la criminalisation, la stigmatisation et la répression sont des facteurs d’accroissement de ces inégalités et non pas des solutions! Si nous voulons lutter contre la violence envers les TDS, les femmes et les personnes opprimées par le genre, il faudra réclamer davantage de ressources, de l’argent dans nos poches et un toit pour tout.e.s. Nous irons chercher cet argent à même le budget qui nous criminalise!

Cet article est paru dans la deuxième édition du zine CATS Attaque ! Pour consulter le zine au complet, visitez le site du CATS.