Montréal Contre-information
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Le verger au complet : La police dans les communautés autochtones

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Avr 132022
 

De la Convergence des luttes anticapitalistes

Le Verger au complet lance son troisième épisode de la deuxième saison. Ce mois-ci, le podcast aborde les enjeux qui entourent la police dans les territoires autochtones, qu’elle soit dirigée par des autochtones ou des colons.

Dans cet épisode on discute avec l’une des fondatrices du camp d’apprentissage linguistique de Kanien’kéha à Akwesasne et de la relation de cette communauté avec les forces policières.

Musique
  • Jason camp & The Posers – « Indian Act (Kill the Indian, Save the Child) », from the album « First Contact », 2019 https://jasoncampandtheposers.bandcamp.com
  • Q052 – « High Horse », from the eponymous single album, 2020, https://q052.bandcamp.com
Références

Pour en savoir plus sur le camp: https://newsinteractives.cbc.ca/longform/reclaiming-land-language

Transcription

RBC : Désinvestissez de CGL

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Avr 122022
 

Soumission anonyme à MTL Contre-info

Lundi le 11 avril
Tiohtià:ke/Montréal

En début d’après-midi, un petit groupe d’anarchistes s’est faufilé à l’intèrieur des bureaux de la RBC a la Place Ville-Marie. Armé.es de tracts, de collants et de cannes de peinture, iels ont laissé un message à la banque: DÉSINVESTISSEZ DE CGL. Depuis l’automne 2021, les Wet’suwet’en mènent campagne pour que RBC cesse de financier la destruction de leur territoire, mais RBC continuer d’ignorer leurs demandes.

Tant et aussi longtemps que RBC financera des projets extractifs, elle nous trouvera sur sa route.

– des anarchistes en criss

Réflexions sur la solidarité anticoloniale actuelle

Menace imminente: Coastal Gaslink (CGL) est décidé à forer sous le Wedzin Kwa ce printemps 2022. Tout du peuple Wet’suwet’en: les personnes, la langue, la culture et la terre ainsi que les animaux vivant sur ce territoire sont confrontés à l’anéantissement de leur mode de vie. Si vous avez entendu l’appel à l’action, cette année à venir sera cruciale pour l’autodétermination et la souveraineté des Wet’Suwet’en.

Les actions de solidarité visibilisent le combat des Gidimt’en et protègent les personnes en première ligne de la repression policière et du harcelement de CGL. (https://twitter.com/Gidimten/status/1450808498833473549) Rien qu’au cours du dernier mois, la GRC a effectué 54 visites au point de contrôle de Gidimt’en, réveillant les aînés à toute heure de la nuit et les menaçant d’arrestation. Ces actes continus d’intimidation et de répression policière font partie d’une stratégie plus large de l’État canadien visant à utiliser les resources légales et les systèmes juridiques pour continuer à nier la souveraineté des Wet’suwet’en, malgré le fait que le système judiciaire canadien a reconnu la souveraineté des Wet’suwet’en dans la décision Delgamuukw c. Colombie-Britannique.

Lutte à long terme: L’engagement est un souffle long constamment menacé d’épuisement. Cette lutte contre la CGL comprend plusieurs dimensions : décoloniale, environnementale, anticapitaliste et féministe. Les nombreux « camps d’hommes » qui envahissent le Yintah intensifient et facilitent la capacité des hommes d’enlever, de violer et d’assassiner des femmes, des filles et des personnes bispirituelles autochtones (voir le rapport final de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, p. 593). Tant que CGL et la GRC demeurent sur le territoire, il en va de même pour les niveaux accrus de violence sexiste coloniale.

Nous continuons d’appuyer la position des Gidimt’en au point de controle face à Coastal GasLink et les entreprises extractives parce que la lutte pour l’autodétermination autochtone est une lutte longue et ardue. L’organisation solidaire est plus efficace lorsqu’elle est cohérente et stratégique. Nos efforts continus contribuent à la force et à la visibilité de leur lutte pour l’autodétermination, la souveraineté et la liberté.

Imaginez la force et la capacité du travail de solidarité si les personnes qui s’engagent dans ce type d’organisation avaient des enjeux personnels et collectifs dans le conflit? Par exemple, de nombreux Autochtones se battent à travers l’île de la Tortue pour se libérer de l’État colonisateur et pour être libres de se gouverner eux-mêmes comme ils le jugent selon leurs propres méthodes. Il y a aussi beaucoup de non-Autochtones qui se battent pour être aussi libres que possible de l’institutionnalisation et de la reglémentation de leur corps, de leurs relations et de leurs communautés. Ces expériences et histoires de lutte variées fournissent une base pour des points de connexion profonds.

L’imagination est un atout si elle permet de visiliser ce combat de différentes façons. Adaptez les tactiques et les stratégies d’organisation à vos capacités et à vos ressources. Plus important encore, agissez. Il est temps.

Hamilton : Des filiales de RBC attaquées

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Avr 122022
 

Soumission anonyme à North Shore Counter-Info, traduction de Attaque

Nous avons perdu le compte des filiales de la Royal Bank of Canada qui ont été la cible d’attaques et de perturbations, cette semaine, dans le sud de l’Ontario et du Québec (nous pensons qu’elle sont plus d’une dizaine). Dans les villes auto-nommées Toronto, Hamilton, Montréal… des ami.e.s aussi dans des endroits si petits qu’Orillia [ville de 33000 habitant.e.s, à quelques 130 km au nord de Toronto ; NdAtt.] et si éloignés que Nanaimo [ville de l’île de Vancouver, en Colombie-Britannique, sur la côte pacifique ; NdAtt.]. Ces actions répondent au besoin de prendre pour cible les investisseurs du projet de gazoduc Coastal Gaslink – qui est actuellement en retard grâce à l’attaque directe qui a eu lieu en février et aux campagnes, couronnées de succès, qui ont été menées jusqu’à présent par le clan Gidimt’en pour bloquer le projet – mais qui est toujours en cours de construction à un rythme rapide sur le territoire non cédé de la population Wet’suwet’en.

La RBC est l’un de ses plus importants partenaires financières et, pendant la semaine dernière et les mois précédents, elle a fait l’objet de tactiques de pression allant de l’action directe contre ses filiales, à la pression exercée sur les élites/ses clients pour qu’ils retirent leur argent des comptes de la RBC, à la perturbation de l’assemblée générale annuelle de la RBC, à Toronto. Le message est clair : la Royal Bank of Canada doit se retirer immédiatement des investissements dans le CGL.

A Hamilton, d’où nous écrivons, des filiales de la banque ont été vandalisées, ont eu leurs serrures collées et les distributeurs automatiques de billets endommagés. Nous avons choisi ces méthodes pour interférer directement avec les opérations de la banque, lui faire du tort financièrement et au niveau de son image auprès du grand public, ainsi que pour contribuer à la propagation d’actions anonymes facilement reproductibles.

RBC était la cible centrale cette semaine, mais elle n’est pas la seule à être complice de ce perojet. Nous pouvons également porter notre attention sur d’autres grandes banques, sur TC Energy, sur de nombreux entrepreneurs et promoteurs liés au projet, sur la Gendarmerie Royale du Canada et l’État qui s’auto-nomme Canada.

Cela ne fera qu’empirer. CGL et ses alliés financiers, comme la RBC, prolongent la situation en poursuivant leurs projets d’exploitation et leurs attaques violentes sur le territoire Wet’suwet’en. Le Wedzin Kwa [un des territoires habités par la population Wet’suwet’ene, dans la province canadienne de Colombie-Britannique ; NdAtt.] reste sous la menace imminente d’être détruit pour effectuer des forages. Les anciens, les matriarches, les soutiens, les camarades et les défenseur.euse.s de la terre font face à des agressions quotidiennes. Nous devons tou.te.s nous préparer à plus, à répondre avec plus d’audace, à faire plus de dégâts. S’ils insistent, alors nous insisterons en retour, mais plus fort. Avec seulement un peu de planification et de courage, nous pouvons agir de manière à nourrir nos esprits et à maintenir en vie la lutte. Restez en sécurité – et nous avons hâte de voir votre travail, quelque part, dans les jours à venir.

[Grève étudiante de 2012] Il y a 10 ans débutait une longue série d’actions dérangeantes à Chicoutimi

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Avr 072022
 

Du Collectif Emma Goldman

De nombreux ouvrages ont été publiés dans les mois qui ont suivi la grève étudiante de 2012. Toutefois, de notre côté, rien n’a été écrit outre les quelques entrées de blogue publiées dans le feu de l’action et une brochure. Nous, le collectif Emma Goldman, trouvons important de retracer et de garder bien vivante la mémoire de nos luttes. Nous avons donc réalisé une série d’entrevues que nous publierons sur le blogue dans les prochains jours et semaines.

À l’UQAC, il y avait plusieurs étudiants et étudiantes qui s’organisaient de manière autonome en dehors du MAGE-UQAC, l’association centrale. Il y a eu le comité pour la gratuité scolaire vers 2007 et 2008, par la suite le CAPAÉ (1) qui se mobilisait afin de contrer les frais afférents. Après cela, il y a eu le comité autonome d’action de l’UQAC qui lui luttait principalement contre la hausse des frais de scolarité. Ça toujours été une nécessité de s’organiser de façon autonome, voyant que le MAGE-UQAC ne bougeait pas. Aussi, il y a toute cette pesanteur qui est liée avec le MAGE-UQAC, les associations étudiantes et le rectorat. Alors, qu’est-ce que l’on respecte? Qu’est-ce que l’on ne respecte pas? 

Il y avait une branche des étudiant.e.s qui trouvait que c’était intéressant de faire des actions par eux et elles-mêmes sans que ça passe nécessairement par les canaux réguliers. Au final, il faut dire que même les associations étudiantes qui ont voté la grève étaient occupées à 99% du temps à simplement essayer de faire respecter les lignes de piquetage. Ça prenait vraiment beaucoup d’énergie se rappelle Steeve. Mais via ce comité autonome d’action durant la grève étudiante, ce qui était intéressant, c’est qu’il en a découlé des actions que l’on disait dérangeantes et qui sortaient le mouvement de grève des murs de l’université. La manière de faire était assez horizontale. Évidemment, c’était un peu en apprentissage mais ça demeurait très horizontal. De semaine en semaine on essayait de changer le/la porte-parole pour pas que ça soit une seule figure qui se retrouve au front et qui prenne tous les trucs et de l’autre côté on ne voulait pas créer un symbole avec cette personne-là. Après coup, en voyant ce que les  principaux porte-parole au niveau national ont fait de leur capital de sympathie obtenu de cette lutte, je crois que c’était une bonne chose. À chaque semaine, on essayait de trouver une thématique pour accrocher et amener une critique. Par ces thématiques, on tentait de parler d’un sujet qui avait rapport avec la lutte aux frais de scolarité, mais aussi à la gestion qui avait à ce moment-là à l’UQAC. Donc, ça pouvait aussi être au niveau du rectorat et la manière assez autoritaire de gérer l’université . 

Le comité avait-il des liens avec le comité de mobilisation de l’UQAC ou le MAGE-UQAC?

Le comité autonome n’avait pas d’argent, il n’y avait rien, c’était complètement autonome. Des gens pouvaient participer au comité de mobilisation du MAGE-UQAC et après aller dans le comité autonome à titre individuel. Les deux pouvaient faire du sens pour les gens à ce moment. Pour ma part, aller au comité de mobilisation me permettait de voir ce qui se passait, c’est quoi les possibilités d’actions, les alliances, s’il y avait des complicités possibles ou simplement des bouts de chemin qu’on pouvait faire ensemble. C’est sur que ces deux comités étaient différents dans leur composition, leur fonctionnement, leur radicalité et leur autonomie par rapport aux institutions établies. 

Quels étaient les objectifs des actions dérangeantes?

À la base, c’était de faire bouger les trucs ou du moins d’essayer qu’il se passe quelque chose parce que c’était assez amorphe à l’UQAC. Comment on pouvait s’organiser et reprendre du pouvoir sur nos vies mais aussi dans ce mouvement en tant qu’étudiant et étudiante? On se demandait si ça allait bouger à l’UQAC. On n’était pas certain du résultat du vote de grève sur l’ensemble du campus en raison de l’immense structure que représente le MAGE-UQAC, de l’historique au niveau de la démocratie étudiante, du côté autoritaire de l’administration et du rectorat, etc. C’était un peu difficile parce que tout passe par le rectorat, les conseils centraux et l’association générale. Même si le MAGE-UQAC se vote des positions en AG, elles étaient plus ou moins respectées. C’était donc une manière de dire « Bon, si on est dans une grève étudiante, il va falloir bouger, il ne faut pas juste rester là à ne rien faire ». Et une bonne manière de se faire entendre, bien c’est par des actions autonomes. Faire des manifestations qui vont aussi être en rupture avec ce qu’on pouvait voir à l’UQAC et au Cégep à ce moment-là. Des manifestations qui sont tranquilles et gentillettes où l’on donne systématiquement notre itinéraire et fournit le point départ et le point d’arrivée à la police.

Il y avait toute une réflexion et une façon de faire qu’on voulait apporter dans cette grève dont la remise en question des itinéraires, les limites du respectable, les limites de la légalité et jusqu’où on peut aller. Il y avait cette vision-là. Il faut dire que c’était principalement organisé par un groupe d’extrême gauche et des gens de gauche. Oui, on a le droit de manifester, mais est-ce qu’on peut faire ceci? Est-ce qu’on peut faire cela ? Ce n’est pas juste de dire « nous on est contre la hausse des frais de scolarité » mais aussi de réaffirmer que le droit de manifester ne comprend pas nécessairement de coopérer avec la police en leur donnant notre itinéraire. C’était un enjeu qui se parlait beaucoup à cette époque.

Quel a été l’un moment marquant de cette lutte?

C’est clair que la première action dérangeante demeure pour moi assez marquante. Nous étions au milieu du mois de mars, ça reste quand même épique… Tout ça dans sa portée évidemment. Pour la première action dérangeante on ne savait pas trop à quoi s’attendre. Il faut dire que le comité autonome à ce moment-là, c’était un peu le collectif Emma Goldman, du moins c’était ses militant.e.s qui lançaient ça. Je me rappelle de discussions à la Tour à bières où on se demandait comment on pouvait apporter notre grain de sel en tant que groupe d’extrême gauche dans cette grève. À ce moment, on croyait qu’il serait difficile d’organiser des actions sur nos propres bases. En créant un comité autonome, ça nous permettait d’amener notre grain de sel, mais en mettant aussi un peu d’eau dans notre vin pour que tout le monde puisse avoir le goût de venir. Parce que lorsque c’est un groupe d’extrême gauche qui lance la patente, tu peux te demander parfois à quoi il faut s’attendre. 

Ça avait assez bien commencé. Je me rappelle qu’il y avait des gens de l’ASSÉ qui était à cette première manif. Ils étaient venu aider à organiser l’action. Le point de rencontre pour la manif était à l’UQAC. On attendait des gens de St-fé qui réalisaient une action à La Baie. Deux autobus devaient donc venir rejoindre la manif à Chicoutimi. Nous sommes dehors et il fait frette. Rappelons qu’on est quand même en mars et dans la région du Saguenay. On se fait venter comme le Christ, on décide alors d’entrer à l’intérieur pour attendre. Sauf que là, les petits gardiens de l’UQAC qui sont sur les dents ne trouvaient pas ça drôle. Ils ont donc essayé de nous barrer le chemin. Évidemment, il y a eu un peu de brasse camarade!

Il n’y avait pas juste des agents de l’UQAC, mais aussi un flic qui s’est fait particulièrement brasser en essayant de contenir les gens à l’extérieur ajoute Steven.

On a fini par entrer poursuit Steeve. C’était juste pour se réchauffer en attendant. Notre intention n’était pas de faire une manif dans l’UQAC. Finalement, Saint-Félicien arrive et on part en manif sans itinéraire et sans savoir où l’on va. On ne savait pas trop combien on allait être puisque c’est un groupe autonome sans moyens qui avait appelé à la manifestation. Ce n’est pas comme une association étudiante qui a de l’argent et des milliers d’étudiant.e.s relié.e.s à elle. Au final, on dépassait facilement la centaine voire plusieurs centaines de personnes. C’était un peu le bordel avec la neige, le vent et les 17 chars de flics… Donc on y va comme on le sens.  On croise une banque sur la Racine, on fait une petite occupation d’une dizaine de minutes de la Banque Nationale avec des discours anticapitalistes.

Dans le papier publié sur le blogue, on écrivait : « Après un énergique jeu de chat et de souris dans les portes, toutes et tous purent toutefois entrer dans le pavillon principal où près d’une dizaine de policiers étaient déjà présents. À noter que durant la matinée, des policiers étaient venus faire des rondes dans l’UQAC pour interroger des militant-e-s étudiant-e-s sur l’action prévue et les agents de sécurité se préparaient de façon très visible.  

Escortée par 17 voitures de police, la manifestation descendit par la suite vers la rue Racine, où la Banque nationale fut occupée pendant une dizaine de minutes, pour y dénoncer symboliquement les profiteurs de l’endettement des classes moyennes et moins nanti-e-s, prises au cou par les mesures d’austérité. Une critique sociale qui fut bien comprise des étudiant-e-s, en colère contre les coupures à l’accessibilité aux études. La manifestation est par la suite rapidement remontée vers le Cégep de Chicoutimi, dans laquelle celle-ci entra. En se dirigeant vers le centre social du Cégep, une partie des manifestant-e-s se sont retrouvé-e-s coincé-e-s dans une cage d’escalier – le personnel de sécurité et la police ayant brusquement refermé une porte au milieu de ceux et celles-ci. De longues minutes pour réclamer la « libération » des collègues pri-se-s de l’autre côté de la porte furent nécessaires pour que les agents de sécurité entendent raison et les laissent finalement passer. »

C’était la première action dérangeante avec des centaines de personnes d’un peu partout dans la région  où l’on ne dit pas notre itinéraire. Moi, à ce moment-là j’étais le porte-parole, le petit hautain lance alors Steevette en riant.

Oui, je me suis fait un peu ramasser sur les ondes de Radio X par l’ancien animateur Carl Monette  poursuit Steeve.

Je me disais : waouh (!) il va falloir que justifie ça tantôt à tous ceux qui vont m’appeler (rire). Évidemment, il y a eu beaucoup d’appels mais ça c’est bien passer. On savait pourquoi on était là, il y avait les frais de scolarité, le droit de manifester, mais aussi bien de la détermination car si on veut que les choses se passent, il faut aussi monter le ton des fois. Mais, c’est sûr que ce fut une grosse action marquante. 

On prend le pont! 

Il y a aussi la première fois qu’on a pris le pont avec ce qui est devenu le classique « libérez son papa » dans le milieu militant à Saguenay! C’est ça qui était intéressant avec les actions dérangeantes, des fois il y en avait qui étaient plus organisées comme « on va viser telle personne » (ex : la maison du recteur), il va y avoir tel truc machin, des fois c’était juste on y va selon le senti des gens qui sont là. Elle où on a été sur le pont pour la première fois c’était un peu ça. Au début, les participants et participantes décident d’aller en descendant vers le boulevard St- Paul, tout simplement parce qu’on n’avait jamais été dans cette direction. C’est à ce moment que des flics décident d’arrêter une personne qui est dans la manifestation pour avoir jeté quelque chose sur la chaussée (il paraîtrait). Est-ce qu’il dépassait la ligne jaune ou il voulait pogner cette personne pour x raison? Chose certaine, la personne qui est arrêtée cette journée-là ce n’était pas n’importe qui, c’était le candidat investi de Québec solidaire dans le comté de Chicoutimi. Après cette manif, les apparatchiks du parti dans la région lui ont fait un beau travail en se dissociant par communiqué et en lui retirant l’investiture. Mais ça c’est une autre histoire… C’est sûr que dans un premier temps, des gens essaient d’empêcher l’arrestation. Finalement, la personne se fait arrêter. Après, ça monte et l’adrénaline est au plafond. Les gens sont fâchés et ils et elles sont en tabarnak alors les participants et participantes commencent à crier: « On prend le pont! ». On va quand même pas les en empêcher, pas plus cave qu’un autre!

Car il faut dire que prendre le pont Dubuc, ça demeurait jusqu’à ce moment un fantasme un peu impossible. Après on y allait tout le temps enchéri Steven (rires). 

Pour être dérangeant, il n’y a pas plus dérangeant ajoute Steevette.

C’est un gros symbole le pont Dubuc. Ça souille du monde c’est clair poursuivi Steeve, car c’est la plus grosse artère qui relie Chicoutimi et Chicoutimi-Nord. C’est imposant, tu es en manif autonome non sécurisée. Les flics sont là, mais ils sont plus dangereux qu’autre chose. On sait donc dirigé sur le boulevard St-Paul et on a réussi à bloquer la circulation. En entrant sur le pont, on ne voulait pas sauter de l’autre côté et prendre les quatre voies parce que ce n’était pas bloqué et on allait juste se faire faucher avec les gens qui descendent en trompe le boulevard Ste-Geneviève. On prend donc le pont dans une seule direction. Bref, on suit la circulation mais à pied. On emprunte la bretelle pour sortir à Chicoutimi-Nord et on retourne sur la rue Roussel pour reprendre la bretelle et remonter sur le pont .  

Au retour, on s’est fait jeter un café bien brûlant par une mère en BMW qui était avec son jeune fils… un très bon exemple pour son enfant.

Ensuite, on voulait aller attendre le camarade au poste de police. En se dirigeant vers le poste, on a  retrouvé notre camarade qui marchait pour nous rejoindre et nous avons retourné à l’UQAC pour terminer la manif. 

(1) Comité autonome pour l’accessibilité aux études

2012. La lutte des grévistes en région

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Avr 072022
 

De Archives révolutionnaires

Durant la grève étudiante de 2012, des groupes militants locaux ont émergé un peu partout sur le territoire du soi-disant Québec, développant peu à peu des pratiques combatives. Alors que le récit des actions d’éclat à Montréal, notamment les grandes manifestations et les affrontements de rue propres à un espace densément peuplé, a été largement diffusé, les luttes en région restent nettement moins connues. C’est d’elles dont nous voulons rendre compte ici.

En dehors de l’espace montréalais, la grève a pris différentes formes qui n’ont pas manqué de combativité. L’inscription dans un mouvement large ainsi que les traditions militantes locales ont permis l’élaboration d’un répertoire d’actions confrontationnelles sur les campus de nombreuses villes partout au Québec. Le présent article désire souligner la radicalité qui a émergé en région, afin de contrebalancer une certaine historiographie nationale ou montréalocentrée. Sans prétendre à l’exhaustivité, nous verrons comment diverses initiatives ont pris place en parallèle des structures associatives et comment, dans plusieurs cas, elles ont dépassé les desseins des exécutifs locaux et nationaux. Les militant.e.s des cégeps et des universités en dehors de Montréal et de Québec ont développé des pratiques corrélatives à leur degré d’excentricité géographique, en fonction des contraintes locales et de la force des réseaux politiques préexistants. Il faut donc tenir compte, d’une part, de l’histoire de la mobilisation en région, et d’autre part, des pratiques émergeant durant la lutte. Pour ce faire, nous adopterons une approche à la fois chronologique et géographique, rendant le récit fluide sans gommer les traits spécifiques à chaque espace.

Cet article n’aurait pas été possible sans les précieuses entrevues faites avec une vingtaine de militant.es : nous tenons à remercier chaleureusement les camarades d’Alma, de Chicoutimi, de Drummondville, de Gatineau, de Québec, de Rimouski, de Saint-Félicien, de Saint-Jérôme, de Sainte-Thérèse, de Sherbrooke et de Valleyfield qui nous ont offert leur temps et leur sollicitude pour que nous puissions réaliser ce texte.

Le mouvement étudiant (2005-2012)

Avant la grève étudiante de 2005, l’Association pour une solidarité syndicale étudiante (ASSÉ) est déjà implantée en dehors de Montréal via plusieurs associations cégépiennes, dont celles de Sherbrooke, de Drummondville, de Matane et de Lionel-Groulx, situé à Sainte-Thérèse. Ancrée à gauche, l’ASSÉ s’intéresse à des enjeux politiques comme scolaires. Elle incarne la tendance « radicale » lors de la grève étudiante de 2005, en créant la Coalition de l’ASSÉ élargie (CASSÉE). Trahie par la Fédération étudiante universitaire du Québec (FEUQ) et la Fédération étudiante collégiale du Québec (FECQ), l’ASSÉ sort tout de même du conflit avec une réputation combative, ce qui entraîne l’augmentation de son membrariat. Les cégeps de Saint-Jérôme, de Lanaudière à Joliette et François-Xavier-Garneau à Québec, ainsi que de petites associations modulaires de l’Université Laval, aussi à Québec, et de l’Université du Québec en Outaouais (UQO), se joignent à l’association nationale à partir de 2005. Après la tentative ratée de grève de 2007, largement perçue comme un échec, les associations de Joliette et de François-Xavier-Garneau se désaffilient ce qui a pour effet d’augmenter le poids des associations montréalaises dans l’ASSÉ. La tendance sociale-démocrate au sein de son exécutif s’affermit au même moment, profitant de l’échec des tendances plus offensives à mener la grève en 2007. En 2010, l’ASSÉ met sur pied une campagne d’opposition à la hausse des frais de scolarité annoncée et mobilise ses membres un peu partout au Québec, avant de créer en 2011 la Coalition large de l’ASSÉ, (CLASSE), en reprenant sensiblement le modèle de 2005.

Toutes les activités asséistes qui préparent la lutte de 2012 – la mobilisation, les congrès et les camps de formations – offrent un terreau à partir duquel la grève générale illimitée peut être envisagée. Ce cadre fournit aux associations en dehors de Montréal et de Québec les conditions de possibilité d’une lutte à venir et permet de former des militant.e.s, surtout des membres de conseils exécutifs locaux, qui participeront à la grève. Alors que les occupations se multiplient dans le monde – du mouvement « Occupy » au Printemps arabe – l’appropriation de l’espace public et la démocratie directe viennent aussi influencer les luttes ici. À l’occupation des bâtiments, une tactique ayant marquée la grève de 2005, succède l’occupation des rues et des places publiques en 2012. L’intolérance des administrations envers les occupations de cégeps et d’universités ne fait qu’encourager cette translation des bâtisses aux rues. Si une entente est trouvée entre l’administration et les grévistes au cégep de Saint-Laurent (Montréal), les étudiant.e.s qui essaient d’occuper le cégep du Vieux-Montréal en février en sont violemment expulsé.e.s. Résultat : il n’y aura pas d’autre occupation combative d’un cégep en 2012.

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À gauche, manifestation pendant la grève de 2005. Au centre, occupation au Cégep du Vieux-Montréal, le 17 février 2012. À droite, manifestation appelée par l’ASSÉ.

Trois tendances régionales

À ces dispositions nationales et internationales s’ajoutent des déterminations qui influencent plus directement, au niveau de la base, le dynamisme local : la tradition de lutte de l’association étudiante locale et les liens entretenus avec des réseaux militants plus ou moins formalisés. Entre 2007 et 2012, on remarque trois tendances principales en région : la continuité ou l’apparition d’une tradition militante dans un lieu d’enseignement, la démobilisation des militant.es ou, enfin, la coordination régionale des étudiant.es. Ces trois tendances sont réparties respectivement dans les régions du sud-ouest du Québec (notamment autour de Montréal), dans le centre du Québec (les environs de la capitale nationale) et dans les régions excentrées de l’est de la province.

Dans les Basses-Laurentides et à Sherbrooke, on voit une continuité de la tradition militante. Au Collège Lionel-Groulx, les actions fréquentes contre les entreprises privées du campus, notamment par la violation délibérée des clauses de non-concurrence par la distribution de nourriture et de breuvages gratuits, la destruction systématique du matériel publicitaire ainsi que les incursions dans les locaux loués, amènent certaines victoires locales et contribuent à développer un antagonisme entre militant.e.s étudiant.e.s et administration qui donnera le ton pour les années suivantes. En 2008, les étudiant.e.s veulent organiser l’occupation politique d’un espace disponible en soirée afin de commémorer les occupations spontanées qui avaient eu lieu à Sainte-Thérèse, quarante plus tôt en 1968 : l’administration ferme littéralement le Collège pour toute la journée, craignant les liens entre l’association étudiante et le Parti communiste révolutionnaire (PCR). À Saint-Jérôme, la tradition militante est aussi persistante : l’association entretient des liens avec d’autres cégeps affiliés à l’ASSÉ, dont Lionel-Groulx, géographiquement proche, tout en orchestrant une mobilisation en 2011 afin de protester contre le renvoi d’un membre du conseil exécutif. Au cégep de Sherbrooke, les activités militantes sont dynamiques entre 2007 et 2012 : une campagne contre les entreprises privées sur le campus est menée en 2009 menant à l’obtention d’un café coopératif. À l’UQO, la mobilisation se fait sentir depuis la grève de 2005, avec notamment la mobilisation contre la fermeture du café-bar étudiant coopératif en 2009 : le lieu est pris de force dans une perspective d’autogestion, alors que l’inventaire est distribué aux occupant.e.s lors d’une campagne qui dure plusieurs semaines. Toujours à l’UQO, une campagne est menée pour désaffilier l’association générale des étudiant.es de la FEUQ, alors que quelques modules de sciences sociales veulent s’affilier à l’ASSÉ. Finalement, au cégep de Valleyfield, qui était peu mobilisé avant 2011, des membres montréalais de l’ASSÉ développent des rapports directs avec le nouvel exécutif dans les mois précédant la grève, permettant un mentorat militant juste à temps pour 2012. L’imaginaire d’une tradition ouvrière combative dans la région, qui ne s’incarne pas dans une transmission réellement structurée, a tout de même amené plusieurs étudiant.e.s à vouloir s’impliquer à leur tour dans un mouvement social.

À l’inverse, dans la région de Québec, la mobilisation diminue au tournant de 2010, corrélativement à la montée de la droite radicale dans la capitale, un mouvement réactionnaire qui rejoint certains jeunes et séduit particulièrement les groupes de garçons[1]. Cette influence mène à la désaffiliation du cégep François-Xavier-Garneau de l’ASSÉ et rend difficiles les votes de grève dans les cégeps de Limoilou et de Sainte-Foy. À l’Université Laval, certaines associations modulaires se rallient à l’ASSÉ, mais elles restent minoritaires. Du côté de Drummondville, le changement de génération et le déménagement de militant.es à Montréal provoquent aussi un ressac des activités.

Dans les régions de l’est du Québec, les militant.e.s étudiant.e.s privilégient les coordinations régionales, plus indépendantes – l’affiliation nationale restant secondaire. Au Saguenay-Lac-Saint-Jean, différents groupes étudiants et militants s’organisent régionalement et préparent la grève en planifiant des manifestations communes dès 2010 ; ils invitent aussi des membres de l’ASSÉ à faire des camps de formation, sans nécessairement s’y affilier, privilégiant souvent la participation dans les coalitions larges. Cette dynamique saguenéenne se caractérise de plus par les liens entre étudiant.e.s, syndicats et militant.e.s écologistes, visibles lors du mouvement de solidarité avec les « lock-outés » de l’usine d’Alcan à Alma (2012) et dans les luttes contre le projet d’agrandissement du terminal maritime de Grande-Anse. On remarque aussi une implication directe du collectif anarchiste Emma Goldman qui participe à la création d’un comité autonome de grève à l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC). En Gaspésie et dans le Bas-Saint-Laurent, une « zone de mobilisation » se crée, marquée par diverses manifestations, dès 2010, de Trois-Pistoles à Gaspé. Cette tendance au regroupement régional ne fonctionne pas sur la Côte-Nord ni en Abitibi-Témiscamingue, où l’excentricité géographique semble favoriser une certaine déconnexion, autant entre les individus et les villes qu’avec les réseaux nationaux. Les Hautes-Laurentides, représentées par les centres collégiaux de Mont-Tremblant et de Mont-Laurier, de petite taille, connaissent une baisse relative de la mobilisation, ne parvenant pas à former une coordination régionale forte avec les militant.es plus mobilisé.es de Sainte-Thérèse et de Saint-Jérôme qui se lient plutôt avec les associations montréalaises, malgré certaines tentatives pour faire une coordination régionale.

Ces trois tendances sont déterminantes localement dans l’émergence et le déroulement de la grève de 2012 en dehors de Montréal. Comme nous le verrons, les pratiques radicales se concentrent dans la grande région entourant Montréal (Saint-Jérôme, Sainte-Thérèse, Gatineau, Valleyfield, Sherbrooke), au Saguenay-Lac-Saint-Jean (Saint-Félicien, Alma, Chicoutimi) et dans le Bas-Saint-Laurent et en Gaspésie (Rimouski, Matane, Gaspé). Les zones touchées par la démobilisation – le centre du Québec notamment – verront certes quelques actions, mais n’auront pas un dynamisme régional aussi grand que dans les autres régions.

À gauche, manifestation contre les radios poubelles à Québec. Au centre, occupation du café étudiant à l’UQO.À droite, participation du collectif Emma Goldman à la marche mondiale des femmes en 2010.

Constitution d’une base militante (13 février au 22 mars)

La grève commence le 13 février 2012 et trouve un premier sommet lors de la manifestation nationale de la CLASSE du 22 mars, qui devait selon l’organisation conclure la mobilisation. Sur certains campus, le débrayage débute avec des négociations tendues pour obtenir une entente de grève avec l’administration, mais les étudiant.e.s parviennent assez rapidement à faire respecter leur droit. Après les premiers jours, les associations s’organisent pour assurer le maintien et l’élargissement du mouvement en appelant à des activités très diverses. Dans l’ensemble des régions, des manifestations se déroulent régulièrement de façon plus ou moins spontanée. Elles sont souvent suggérées lors des votes de grève ou se déroulent simplement en après-midi, après le piquetage et la levée des cours. Les grévistes organisent également des ateliers-discussions, des débats, des expositions ou encore des prestations artistiques, qui mobilisent et occupent les grévistes tout en augmentant la visibilité du mouvement et la diffusion de son message. Le piquetage des cours, la préparation d’assemblées hebdomadaires pour reconduire la grève, l’effort de mobilisation sur place, dans la région et dans les autres établissements, restent les tâches principales des grévistes, qui participent également à des actions en dehors de leur campus, à Montréal et dans leur zone régionale. Cette première séquence, assez classique pour une grève étudiante, sera suivie d’une semaine de perturbation économique du 26 au 30 mars, importante dans le développement de la base militante pour plusieurs régions, ainsi que pour la radicalisation du mouvement.

La violence politique et policière touche très tôt les militant.es de la grande région de Montréal, notamment à Saint-Jérôme et à Sainte-Thérèse. En grève depuis le 3 mars, les étudiant.e.s de Saint-Jérôme se déplacent à Montréal pour diverses actions. Le 7 mars, ils et elles se joignent à un blocage des bureaux de Loto-Québec et de la CRÉPUQ. Alors qu’une foule se regroupe devant l’édifice, le Service de police de la ville de Montréal (SPVM) entame une opération violente de dispersion, à coups de matraque, de poivre de cayenne, de gaz lacrymogènes et de grenades assourdissantes. Les étudiant.e.s, majoritairement pacifistes, sont sous le choc. Le SPVM blesse et mutile deux militant.es de Saint-Jérôme : Julie Perreault-Paiement qui est brûlée à l’épaule et au visage par l’explosion d’une grenade et Francis Grenier qui perd la vue d’un oeil en raison de l’éclat d’une grenade[2].

Le soir, une vigile est organisée à la place Émilie-Gamelin et des étudiant.e.s, chandelle à la main, sont à nouveau poivré.e.s et matraqué.e.s par le SPVM. Le lendemain, une manifestation d’une centaine de personnes est organisée à Saint-Jérôme contre la brutalité policière. La violence de l’intervention du 7 mars pousse les grévistes des établissements de Saint-Jérôme, de Lionel-Groulx et de Valleyfield à participer massivement, en envoyant chacun plusieurs autobus bien remplis, à la manifestation montréalaise contre la brutalité policière du 15 mars[3], qui rassemble pour la première fois de son histoire plus de 5000 personnes. Les manifestations des 7 et 15 mars et la participation régulière aux actions montréalaises favorisent le dynamisme militant dans ces villes de la grande couronne montréalaise, quoiqu’on remarque l’émergence d’une distinction entre celles et ceux qui privilégient les actions locales et les militant.es cherchant principalement à appuyer les actions montréalaises, plus spectaculaires et offensives.

À gauche, intervention brutale du SPVM. Au centre, manifestation de soutien à Saint-Jérôme le 8 mars.À droite, manifestation spontanée à Sainte-Thérèse, le 6 avril 2012.

Tous les moyens sont bons pour perturber l’économie (26 mars au 6 avril)

Après la manifestation du 22 mars, qui n’a pas mené à une négociation avec le gouvernement, la CLASSE lance un appel à une semaine de perturbation économique du 26 au 30 mars. Les cibles sont nombreuses : on s’attaque aux bureaux gouvernementaux, aux compagnies d’État, aux groupes ayant des liens avec le Parti libéral du Québec (PLQ) ou bénéficiant de la marchandisation du savoir. C’est au cours de cette semaine et de la suivante que se cristallisent des regroupements militants autonomes à Gatineau, Sherbrooke et Rimouski. Ces groupes agissent localement, en parallèle des structures associatives ; ils possèdent une flexibilité offensive, hors des cadres légaux et réglementaires, et rendent possible l’implication de personnes non étudiantes. La semaine de perturbation contribue aussi à l’élargissement de la base militante à Valleyfield, Sainte-Thérèse et Saint-Jérôme.

À Sherbrooke, entre le 26 et le 30 mars, les actions déboulent : les étudiant.es peinturent des monuments publics et bloquent pour la première fois la route 410, une autoroute régionale essentielle. La Sûreté du Québec (SQ) remet à ce moment 60 contraventions de 494 $ chacune, pour entrave au Code de la route (Règlement 500.1). Il s’agit de la deuxième utilisation de ce règlement en 2012, qui sera appliqué une dizaine de fois au cours du conflit afin de démoraliser les manifestant.es. Dans les semaines qui suivent, les occupations à Sherbrooke ciblent les institutions gouvernementales et les groupes d’intérêt économique proches du Parti libéral, comme la chambre de commerce régionale. Au cégep, ces actions contribuent à former un noyau militant particulièrement offensif, qui ne rompt pourtant pas avec l’exécutif local ni avec les grévistes moins « radicaux ».

Cette même semaine, à Gatineau, les énergies se concentrent dans les assemblées générales de grève. Comme dans la quasi-totalité des universités au Québec (à l’exception de celle de Rimouski), ce n’est pas l’ensemble des étudiant.e.s de l’université qui sont en grève, mais bien des associations facultaires ou départementales. Certain.e.s militant.e.s de la base veulent changer cet état de fait. On appelle à un vote de grève auprès de l’Association générale étudiante de l’UQO (AGE-UQO). Réussite : le 28 mars, tout le campus tombe en grève. Fort.es de cette mobilisation victorieuse, les militant.es prévoient des actions la semaine suivante, et décident de s’attaquer prioritairement à des cibles liées à la consommation et aux loisirs. Le 3 avril, les activités du Casino du Lac-Leamy sont perturbées par une centaine de personnes qui occupent le lieu. Le lendemain, des blocages du Palais de justice et d’un bureau du ministère de l’Éducation, des Loisirs et des Sports sont organisés, puis les succursales de la SAQ de Gatineau et de Hull sont ciblées juste avant le congé pascal. Cette dynamique renforce la combativité des militant.e.s, et favorise la création d’un comité autonome de grève distinct de l’exécutif de l’AGE-UQO, adoptant une stratégie plus combative et plus démocratique.

La Bas-Saint-Laurent et la Gaspésie font courir la SQ (16 février au 23 mai)

À Rimouski et en Gaspésie, la dynamique régionale prime sur les affiliations nationales (fédératives ou asséiste), ce qui n’empêche pas certaines associations d’entrer très tôt en grève, comme le cégep de Matane qui débraie dès le 16 février. À Rimouski, l’ensemble des étudiant.e.s de l’université – une première au Québec en 2012 – tombe en grève le 27 février. Le lendemain, les grévistes érigent une barrière de neige et font une ligne de piquetage dure devant l’université, empêchant notamment le traitement des payes : en une journée, l’Université du Québec à Rimouski (UQAR) reconnaît la grève. Le mouvement est subséquemment ponctué de journées de mobilisation et de manifestations, dont celle du 15 mars qui rassemble plus de 500 personnes à Rimouski, dépassant les attentes des personnes organisatrices.

Dans le cadre de la semaine de perturbation économique, les militant.e.s réalisent de nombreuses actions locales et régionales. Le 26 mars, un édifice gouvernemental et le bureau du maire de Rimouski sont ciblés ; le 27 mars, un bâtiment d’Hydro-Québec est bloqué et 150 employé.es sont empêché.e.s de rentrer au travail ; le 28 mars a lieu un nouveau blocage, cette fois on cible le bureau du ministère du Revenu, etc. Au fil du temps, les blocages se poursuivent et essaiment à Trois-Pistoles et à Gaspé et les militant.es prévoient plusieurs occupations dans une même journée afin de confondre la SQ, qui réagit de plus en plus promptement et prépare des avis d’éviction avant même les actions.

Cette stratégie atteint un sommet le 30 mars 2012 alors qu’une manifestation est organisée contre la venue de Jean Charest à Gaspé. Sachant que la SQ y serait largement déployée et que la police serait en sous-effectif en Gaspésie et dans le Bas-Saint-Laurent, les militant.e.s des différents campus se coordonnent pour que les forces de l’ordre soient débordées. Un premier groupe de grévistes part le bal en bloquant un bureau du ministère de l’Éducation à Rimouski. Au moment où la SQ arrive sur les lieux, des militant.es de Matane bloquent la route 132, empêchant toute circulation terrestre entre la Gaspésie et le reste du Québec. Le convoi policier, arrivé à Rimouski, est redéployé d’urgence afin de déloger les étudiant.es de Matane. Arrivé à Matane, il fait face à un (troisième !) problème : des étudiant.es occupent le bureau du député libéral de Trois-Pistoles. C’est la panique dans les rangs de la SQ : le bureau du député se situe dans le même bâtiment que leur poste régional, actuellement sans effectif. Les militant.e.s laissent planer la menace d’une occupation du poste de police. Peu à peu, la SQ déloge les différentes occupations, mais il s’agit certainement là une des plus importantes perturbations de la grève qu’elle vient d’affronter.

Bien que les cégeps de Matane et de Rimouski cessent la grève au début du mois d’avril, les actions et les manifestations se poursuivent dans les semaines suivantes, avant de s’essouffler vers le mois de mai, notamment en raison de l’épuisement des militant.es. Le retour en classe des étudiant.e.s gaspésien.ne.s se fait le 30 avril, puis celui des étudiant.e.s de l’UQAR, le 23 mai, peu après l’entrée en vigueur de la Loi 12. C’est la fin du mouvement dans le Bas-Saint-Laurent et en Gaspésie, qui évitera les affrontements judiciaires découlant de la nouvelle législation.

À gauche, manifestation à Carleton-sur-Mer. Au centre, blocage du campus de Gaspé. À droite, barricade de neige à l’UQAR.

Feux croisés au Saguenay-Lac-Saint-Jean (13 mars au 5 avril)

Au Saguenay-Lac-Saint-Jean, on observe une déferlante d’actions en mars et au début d’avril. Depuis 2010, les militant.e.s étudiant.e.s de la région organisent, à l’image de celles et ceux de Rimouski, des manifestations régionales. Fort.e.s de cette expérience, les grévistes lancent assez tôt des actions dérangeantes en 2012. Dès le 20 février, le cégep de Saint-Félicien tombe en grève générale illimitée, suivi par plusieurs associations modulaires de l’UQAC puis du cégep d’Alma, le 19 mars. Le comité autonome d’action de l’UQAC, composé de membres de l’association générale de l’université (MAGE-UQAC) ainsi que de militant.e.s anarchistes proches du collectif Emma Goldman, organise une première action le 13 mars : une manifestation à Chicoutimi suivie de l’occupation d’une banque afin de dénoncer « les profiteurs de l’endettement généralisé ». Dans le même sens, le 15 mars, une manifestation à Saint-Félicien s’arrête à l’intérieur de plusieurs institutions financières. Le 18 mars, une manifestation de la CLASSE est organisée à Alma afin de mobiliser en vue du vote de grève prévu le lendemain. Le 19 mars, c’est le bureau du ministère de l’Éducation de Jonquière qui est occupé.

Durant la semaine du 26 au 30 mars, la répression se durcit. Le 29 mars, à l’UQAC, la direction de l’université appelle la police afin de déloger les étudiant.e.s qui bloquent l’accès aux cours : ces dernier.e.s réagissent en occupant les bureaux de l’administration. La police arrête alors plusieurs militant.e.s et les amène au poste, qui est rapidement entouré par une foule outrée. Les militant.e.s de l’UQAC sont rejoint.e.s par des grévistes de Saint-Félicien et d’Alma qui viennent de terminer une action de blocage au bureau du député libéral de Chicoutimi. La foule scande des slogans et demande la libération de leurs camarades. Soudainement, voyant une porte entrouverte, quelques militant.e.s se lancent, en vue d’occuper le poste. Un policier parvient in extremis à repousser les manifestant.e.s grâce à du poivre de Cayenne. Cet épisode et les nombreuses actions dérangeantes auront rendu visible la faiblesse du corps policier local, si bien qu’après 2012, le service de police de Saguenay se dotera d’une escouade antiémeute. Toute cette agitation du 29 mars n’empêche pas la tenue d’une manifestation de solidarité de près de 5000 personnes avec les travailleur.euse.s en lock-out de l’usine Alcan, située à Alma, le lendemain.

Au moment où les étudiant.e.s du cégep d’Alma s’apprêtent à débuter leur troisième semaine de grève, il.les affrontent une première injonction forçant le retour en classe, accordée par la Cour supérieure du Québec sous prétexte de non-respect des règlements de l’association étudiante entourant les votes de grève[4]. Les grévistes d’Alma sont largement mobilisé.e.s, car, depuis le début de la grève, un règlement suranné de leur association les oblige à être au moins 260 étudiant.e.s chaque jour sur les lignes de piquetage afin d’obtenir la levée des cours. En sus de cette obligation qui force la mobilisation, l’affrontement avec le grand nombre d’inscrit.e.s en techniques policières (25 % de l’effectif du cégep) encourage aussi l’esprit de corps des grévistes, en opposition à ce groupe naturellement marqué à droite. La menace de l’injonction provoque une hésitation chez les grévistes qui décident de ne pas appeler au blocage du cégep, tout en cherchant une solution pour poursuivre le mouvement. Afin de ne pas se mettre à risque juridiquement, l’association étudiante ne tient pas de nouveau vote de grève, mais une action est prévue pour le 2 avril : tôt le matin, les grévistes retirent les chaises et les bureaux de toutes les classes, qu’ils amoncellent sur le terrain, plus ou moins en forme de barricades. Les cours sont levés pour cette fois. Le lendemain, des militant.e.s vêtu.e.s de noir courent dans le cégep pour attirer l’attention des agents de sécurité pendant que d’autres grévistes, habillé.e.s normalement, mettent des bombes puantes dans les plafonds des classes : les cours sont à nouveau levés. La troisième journée, des étudiant.e.s du secondaire manifestent devant le palais de justice, perturbant la ville et offrant une dernière victoire aux grévistes du cégep d’Alma.

Cette première lutte contre les injonctions ne réussit malheureusement pas à empêcher le retour en classe voté en assemblée le 5 avril. Sans permission de l’administration pour tenir leur assemblée de reconduction de grève au cégep, l’association décide de l’organiser dans une église le 5 avril. Six voitures de police attendent les étudiant.es à la sortie pour  les intimider. Alors qu’Alma était entrée en grève contre vents et marées, avec quelques voix séparant les « pour » des « contre », l’assemblée se prononce pour le retour en classe.

Les semaines suivantes, les manifestations continuent à Chicoutimi et à Saint-Félicien, avec notamment une occupation du pont Dubuc, mais on observe une baisse de la mobilisation régionale suite à la défaite des grévistes d’Alma. Le cégep de Jonquière et celui de Chicoutimi n’étant pas en grève générale illimitée, la situation y reste précaire. Pourtant, le mouvement étudiant dans la région du Saguenay-Lac-Saint-Jean retrouvera sa vigueur au moment de la Loi 12 durant le mois de mai.

À gauche, grève au campus de Mont-Laurier. Au centre, action d’éclat à l’UQAC. À droite, manifestation régionale au Saguenay-Lac-St-Jean.

Luttes contre les injonctions dans le sud du Québec (13 avril au 15 mai)

Après le cas d’Alma, les injonctions deviendront une stratégie des réactionnaires allié.e.s aux administrations locales pour casser le mouvement et pour apeurer les étudiant.e.s afin de mousser le vote contre la grève. À partir du 16 avril, cette manœuvre sera un échec à chaque fois où elle sera tentée et elle aura finalement pour effet de relocaliser la lutte et parfois de remobiliser la base militante.

À Valleyfield, l’administration du cégep menace les étudiant.es d’un retour forcé en classe si la grève ne se termine pas à la mi-avril. Pour riposter à cette exigence, moins contraignant légalement qu’une injonction, l’exécutif de l’association locale, grâce à ses liens avec l’exécutif national de la CLASSE, parvient à faire converger un grand nombre de militant.e.s de Montréal et des Basses-Laurentides vers la ville du Suroît. Tôt le 13 avril, dix autobus pleins arrivent à Valleyfield et les militant.e.s tiennent tête à l’administration du cégep, alors que les policiers ne peuvent pas intervenir faute d’ordre de la cour. L’enseignement est suspendu, ainsi que le lendemain, jusqu’à ce qu’une entente soit arrachée à l’administration, qui promet de respecter la grève et de ne plus ordonner le retour en classe sans l’accord de l’association.

La semaine suivante, les grévistes de l’UQO font face à une première injonction imposant le retour en classe : l’administration entend la faire appliquer manu militari. Le comité autonome de grève de l’université, en coordination avec les étudiant.e,s du cégep, organise la résistance à partir du lundi 16 avril. L’université est occupée dès le matin et des barricades sont montées devant les portes, alors que les policiers bouclent rapidement le périmètre, empêchant toute circulation, y compris de nourriture, entre l’extérieur et l’intérieur. En fin d’après-midi, les occupant.e.s et l’administration trouvent une entente : les barricades comme les cours sont levés et personne n’est arrêté. Le lendemain, les grévistes libèrent des criquets dans l’université et glissent du poisson bien odorant dans les plafonds des classes, afin de perturber les activités académiques et de faire à nouveau lever les cours. Ces actions sont suivies d’une manifestation interne. La journée de mercredi voit une montée en tension, alors que nombre de grévistes débarquent d’autres villes pour supporter leurs camarades de Gatineau et que la police antiémeute est présente. Une manifestation de perturbation tourne au vinaigre : plus de cent personnes sont arrêtées et reçoivent des amendes d’environ 500 $ chacune en vertu du Règlement routier 500.1.

La pression policière s’amplifie durant cette semaine. Dès mardi, on voit plusieurs cas de profilage : les personnes portant un carré rouge, un symbole d’appui à la grève qui était apparu un peu avant la grève de 2005, sont escortées par les forces policières en dehors du campus, professeur.e.s compris.es. Le jeudi, une manifestation de perturbation est organisée au centre-ville de Gatineau avant de se diriger vers l’université, où un grand nombre de militant.e.s réussit à s’introduire par une porte qui semble sans surveillance… Malheureusement, il s’agit d’un stratagème policier : en quelques minutes, la police arrête plus de 150 manifestant.es coincé.es dans la cafétéria, en plus de brutaliser plusieurs personnes à l’extérieur et à l’intérieur, dont un homme âgé qui est détenu avec une grave blessure crânienne. Les arrêté.e.s sont amené.e.s au poste de police et détenu.e.s – sans soins, sans nourriture et sans accès à des toilettes – jusqu’à tard dans la nuit[5]. La brutalité de la répression et sa large médiatisation mettent finalement la direction du cégep sur la sellette : l’application de l’injonction n’est pas reconduite la semaine suivante et la grève peut se poursuivre, mais au prix d’une judiciarisation de nombreux.ses militant.es, dont plusieurs ne peuvent plus, par ordre de la cour, s’approcher de l’UQO ou du centre-ville de Gatineau.

Au cégep de Sherbrooke, une injonction oblige le retour en classe à partir du 30 avril. Craignant une répression semblable à celle vécue à l’UQO, les cégépien.ne.s cherchent une stratégie pour effrayer la direction afin que celle-ci refuse de faire appliquer l’injonction. Au matin, les grévistes masqué.e.s bloquent toutes les portes du cégep et affrontent quelques étudiant.e.s réactionnaires qui tentent de rentrer par tous les moyens. L’administration, qui craint elle aussi une violence comme celle vécue à l’UQO, lève tout de suite les cours et décide de ne plus appliquer l’injonction. Dans l’enthousiasme de cette victoire, les étudiant.e.s partent en manifestation. Quelques minutes plus tard, une camionnette blanche s’arrête à côté du convoi : un groupe d’hommes surgit du véhicule et enlève un manifestant, traumatisant les personnes présentes. Cette attaque, qui se révèle être une forme particulière d’opération policière, marque profondément les militant.es sherbrookois.es, avec comme conséquence une opposition plus farouche envers la police.

Au Collège Lionel-Groulx de Sainte-Thérèse, la tension est forte le vendredi 11 mai et le lundi 14 mai. Des militant.e.s, largement masqué.e.s et préparé.e.s, aidé.e.s par plusieurs enseignant.e.s forment une ligne de piquetage dure et des barricades sont érigées, alors que la présence policière se fait lourdement sentir bien qu’elle n’intervienne pas. La directrice du cégep, liée au Parti libéral, décide de porter plainte contre la police locale pour sa soi-disant inaction contre les grévistes et demande l’intervention de la police provinciale. Le 15 mai, une centaine de policiers antiémeutes de la SQ arrive au cégep, faisant face à des centaines d’étudiant.e.s, d’enseignant.e.s et de citoyen.ne.s solidaires, notamment des parents. La police ouvre les hostilités à coups de matraque et de gaz lacrymogène, sous les applaudissements des étudiant.e.s opposé.e.s à la grève. Les entrées sont finalement dégagées, mais aucun cours n’est donné : le syndicat des enseignant.e.s refuse le travail dans un tel contexte de violence étatique.

À gauche, confrontation avec des étudiants réactionnaires à Valleyfield. Au centre, mobilisation contre l’injonction à Sherbrooke. À droite, confrontations violentes et organisées à Ste-Thérèse.

La grève est populaire : manifestations nocturnes et loi spéciale (25 avril au 22 mai)

Le 25 avril, les négociations sont rompues entre les trois associations étudiantes nationales (FEUQ, FECQ et CLASSE) et le gouvernement libéral, en conséquence de quoi a lieu une « Ostie de grosse manif de soir » à Montréal visant à dénoncer la fourberie des dirigeant.es. Un grand nombre de militant.es des cégeps Lionel-Groulx, de Saint-Jérôme et de Valleyfield y participent, alors que des grévistes de Sherbrooke, de Gatineau et de Rimouski organisent des manifestations nocturnes spontanées dans leur ville. On constate, à partir de ce moment, une concentration de l’activité des militant.e.s venant des villes périphériques à Montréal dans la métropole, avec un relatif abandon des actions locales : seule exception, une tentative de former une assemblée citoyenne jérômienne. Des rencontres sont organisées à la Place de la Gare, mais sans arriver à se pérenniser. À Gatineau, une nouvelle manifestation nocturne a lieu le 27 avril, une pratique reprise régulièrement durant le mois de mai, caractérisée par une forte opposition à la répression policière qui a marqué les grévistes à la mi-avril. Alors que la grève avait été relativement paisible à Trois-Rivières, deux grandes manifestations nocturnes sont organisées, le 27 avril et le 3 mai, dans un climat d’« écœurantite » face au mépris gouvernemental. Dans ce contexte de colère, le 4 mai, le congrès du Parti libéral à Victoriaville est attaqué par des étudiant.es venu.es des quatre coins de la province : la violence policière déployée à ce moment-là marque d’ailleurs les esprits, principalement des gens de Victoriaville et de Montréal, qui connaissent plusieurs blessé.es graves.
Des manifestations nocturnes contre la « loi spéciale » (Loi 12) sont organisées régulièrement tout au long du mois de mai à Sherbrooke, mais aussi à Jonquière et à Chicoutimi.

À partir du 19 mai, des manifestations de casseroles, animées par des citoyen.nes appuyant le mouvement étudiant et dénonçant la répression antidémocratique de l’État, émergent un peu partout au Québec. Initialement prévues comme un mouvement où l’ensemble de la population cogne sur ses instruments de cuisine du haut de son balcon, le mouvement des casseroles en vient de plus en plus à adopter le modus operandi des manifestations nocturnes, à savoir un rassemblement chaque jour au même endroit, suivi d’une longue déambulation sans itinéraire préétabli. À l’orée de l’été, le mouvement, tant étudiant que populaire, montréalais comme régional, commence à s’essouffler. Si la CLASSE lance une campagne estivale afin d’élargir le mouvement de grève en mouvement populaire, l’annonce d’élections provinciales pour le 4 septembre sonne le glas du mouvement. La grande majorité des grévistes et des contestataires reportent leurs activités et leurs espoirs sur l’électoralisme bourgeois. Mal leur en pris, puisque le Parti québécois élu, bien qu’il ait suspendu la Loi 12 et l’augmentation des frais de scolarité pour quelques mois, a dirigé le Québec de manière néolibérale de 2012 à 2014… coupant dans les crédits d’impôt et imposant une nouvelle hausse des frais de scolarité dès février 2013, la cause même du mouvement de débrayage de 2012 !

À gauche, manifestation de soir à Montréal. Au centre, participation opportuniste de Pauline Marois, Gilles Duceppe et autres figures des mouvances indépendantistes. À droite, manifestation de soir à Chicoutimi.

À la suite de 2012

La réduction du mouvement aux enjeux électoraux puis le retour en classe provoque de grandes déceptions chez les militant.e.s en région. La grève n’a pas mené pas à la création d’organisations politiques comme plusieurs l’auraient souhaité. Beaucoup de militant.e.s déménagent à Montréal ou cessent leurs implications. Un éphémère collectif anarchiste, Le Pavé, voit le jour à Sherbrooke alors que le collectif Emma Goldman retrouve un nouveau souffle après cette grève, mais sans plus. Dans le mouvement étudiant, la grève de 2012 a permis la création d’une tradition militante à l’UQO, surtout dans les modules de travail social et de soins infirmiers, qui explique le dynamisme de la grève des stages (2016-2019) en Outaouais.

À Valleyfield, la grève a fait du cégep un haut lieu de l’organisation asséiste (jusqu’à la disparition de celle-ci en 2019), tandis qu’à Rimouski et au Saguenay-Lac-Saint-Jean, elle a mené l’UQAR à se désaffilier de la FEUQ et le cégep de Saint-Félicien à joindre l’ASSÉ, dans un mouvement de « gauchisation » des associations de cette région.

Pour les militant.e.s, la fin abrupte de la grève reste difficile à comprendre dix ans plus tard. La tournée de la CLASSE à l’été 2012 semble avoir eu un effet mitigé et, plutôt que de renforcer les bases locales, elle aurait créé un attentisme envers la direction nationale, qu’on ne voyait pas plus tôt, en mars, avril ou mai. Le récit de la grève proposé à l’été, mettant à l’avant-plan l’organisation nationale et « le peuple » négociant avec l’État et le forçant à déclencher des élections, ne semble pas avoir trouvé un écho auprès des militant.e.s de région, notamment chez les plus radicaux. Ce récit unitaire s’est fait au détriment de la mise en récit et de la prise de conscience de l’auto-organisation réelle, des soulèvements combatifs et des solidarités locales qui ont essaimés durant la grève. En 2012, les bases locales sont devenues sujets de la lutte. Elles se sont données leurs propres mandats. Elles n’étaient pas « à venir », mais déjà là.

Notes

[1] La forte répression policière caractérisée par des violences sexistes, l’idéologie masculiniste omniprésente dans les radios-poubelles et la montée de la droite structurée autour de « gangs de gars » sur les campus pourraient expliquer pourquoi la grève de 2012 dans la région de Québec est marquée par un nombre important d’actions féministes, ainsi que par le leadership des femmes : la lutte contre la droite conservatrice et patriarcale trouve alors un lieu d’expression.

[2] Ce premier mutilé de grève inspirera une chanson de Mise en demeure : https://www.youtube.com/watch?v=u5fayzWu0HU

[3] Durant cette manifestation, les policiers débutent leur opération de dispersion en lançant des grenades assourdissantes, encore une fois au niveau de la tête, au moment où les manifestant.es passent devant les bureaux de Loto-Québec…

[4] Cette première injonction à Alma est aussi la première accordée au Québec durant la grève étudiante de 2012.

[5] Un arbitraire et une violence policière qui rappelle, pour les militant.es plus âgé.es, les sévices subis lors du contre-somment de Toronto en 2010. Un procès en dommages-intérêts est d’ailleurs toujours en cours contre le Service de police de la ville de Gatineau pour ces faits d’avril 2012

À Montréal tout le monde déteste encore la police

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Mar 202022
 

De subMedia

Tôt dans la soirée du mardi 15 mars, anarchistes et anti-autoritaires ont convergé dans le quartier ouvrier historique de St-Henri, à Montréal, pour la 26e Journée internationale annuelle contre la brutalité policière. Cette année, en plus d’exprimer la haine du SPVM (service de police de la ville Montréal), un des thèmes central de la marche était la répression coloniale, à laquelle sont confronté.e.s les défenseur.e.s des terres Wet’suwet’en et leurs allié.e.s, aux mains de la GRC.

#ACAB #1312 #FTP

15 mars 2022 – 26e manifestation annuelle pour la Journée internationale contre la brutalité policière

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Mar 172022
 

Du Collectif opposé à la brutalité policière

Le soir du 15 mars se tenait la 26e édition de la manifestation annuelle contre la brutalité policière. 26 ans de marche, 26 ans de répression systématique à son endroit, comme une tradition annuelle de mauvais goût. Les manifestant-e-s ont décidés de garder le contrôle des trottoirs plutôt que de se faire chasser de la voie publique par des policiers violents et méprisant, et ont attaqué des entreprises nuisibles du quartier: Dollarama et la Banque Nationale. Rappelons que si Dollarama est une épicerie de dernier recours pour les pauvres, ça reste qu’ils vendent de l’ostie de marde pas bonne pour la santé et que l’entreprise est une des pires entreprises au Québec pour les abus envers ses travailleur-euse-s. Et de son côté, la Banque Nationale investit à coup de milliards dans plusieurs projets pétroliers importants. Face à cette autodéfense des pauvres face à leurs oppresseurs, les policiers se sont attaqués violemment à la manifestation: matraques, gaz et coups étaient au rendez-vous.

Nous avons manifesté dans St-Henri, un quartier pauvre, ouvrier, et massacré de plus en plus par la gentrification, comme plusieurs autres à travers la ville. L’arrivée de nouveau commerces de bobos a chassé les vieux espaces abordables, et les loyers montent maintenant en flèche. Mais St-Henri, c’est aussi ce haut lieu du colonialisme, à proximité des voies de chemin de fer, du canal Lachine … bref de tout ce qui sert à piller le territoire autochtone. Les ouvrièr-e-s de St-Henri le savent bien, elleux qui ont travaillé très longtemps dans les « sweatshops » du secteur pour transformer ce pillage en cochonneries trop chères pour elleux. Et si la plupart des « sweatshops » sont parties, le pillage a toujours lieu, que ce soit à travers la construction de condos en territoire Kanien’kehá:ka ou, la construction d’un pipeline en territoire Wet’suwet’en, où la coupe de bois en territoire Pacheedaht.

La police c’est colon en crisse, effectivement. C’est colon, parce que c’est à ça que la police sert, défendre les colons. C’est le bras armé de l’état israélien qui défend les colons en Palestine. C’est le bras armé de l’arabie saoudite qui envahi le yémen. Et c’est le bras armé de la russie qui a envahi l’ukraine. Et si le canada supporte l’ukraine — et c’est tant mieux — il n’hésite pas en même temps à armer le bras de la répression, autant en israël qu’en arabie saoudite. Et le canada arme sa GRC, sa police coloniale, pour intervenir en territoire autochtone, que ce soit chez les Wet’suwet’en ou chez les Pacheedaht.

Nous n’avons rien à perdre que nos chaînes. Toutes les attaques envers l’État et le Capital sont justifiés.

Pour terminer, nous faisons un appel à témoins : si vous avez été arrêté·e, brutalisé·e ou si vous avez été témoin d’une arrestation ou d’un cas de brutalité policière, svp communiquez avec le COBP à : cobp@riseup.net
Nous vous rappelons également de faire attention à ce que vous publierez comme photos et vidéos sur les médias sociaux.

* Nous remercions André Querry pour les photos

LE COBP

Le verger au complet : Le féminisme anticarcéral

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Mar 142022
 

De la Convergence des luttes anticapitalistes

Ce deuxième épisode de la seconde saison du Verger au complet porte sur le féminisme anticarcéral et prend la forme d’une entrevue avec Lux, qui est juriste et féministe antiraciste.

MUSIQUE

*Samuele – « La Sortie », tiré de l’album « Les filles sages vont au paradis, les autres vont où elles veulent », 2017, https://samuele.bandcamp.com/, utilisé avec la permission du groupe.

*Tribade – « Las Desheredadas », tiré de l’album « Las Desheredadas », 2019, https://www.tribaderap.com, utilisé avec la permission du groupe.

Ressources complémentaires

Pour elles toutes – Gwenola Ricordeau

Beyond Survival – Ejeris Dixon et Leah Lakshmi Piepzna-Samarasinha (à l’édition)

Becoming Abolitionists – Derecka Purnell (voir le chapitre Sex, love & violence et la conclusion)

Alternatives au 911


Transcription

La covid, les conspis et nous

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Mar 062022
 

Soumission anonyme à MTL Contre-info

Ce texte se veut une réaction à une tendance visible dans certains milieux d’extrême gauche ces derniers temps, c’est-à-dire un soutien aux mouvements contre les mesures sanitaire, fortement ancrées dans les discours conspirationnistes. Cette tendance est notamment visible dans quelques textes récemment publiés sur la plateforme Contrepoints.média, qui a entre autres publié un texte du Cercle de lecture camarade reprenant un chapitre complet du « Manifeste conspirationniste », publié anonymement en France, et partagé sur des plateformes d’extrême droite, dont une plateforme proche d’Alain Soral. On pense également au récent texte « Le pass n’était qu’un exercice », qui soulève des enjeux très importants, mais qui joue le jeu de la droite en invisibilisant complètement la composition du soi-disant Convoi de la liberté. Ce qui surprend encore plus de la part de Contrepoints média, une plateforme se présentant comme « une invitation à investir l’hétérogénéité et la diversité des inclinaisons actuelles dans la lutte », c’est que l’article soit précédé d’une prise de position dans un commentaire éditorial, qualifiant le soi-disant convoi de la liberté de « mouvement qui se bat contre le contrôle numérique des identités, et plus largement contre le contrôle des comportements », une interprétation qui est très loin de faire l’unanimité au sein de nos milieux. Qu’une plateforme qui se veut rassembleuse et diversifiée prenne position de manière aussi claire sur un enjeu aussi polarisant que le « convoi de la liberté » nous dérange énormément. En publiant ce texte ici, on espère ainsi arriver à contre-balancer une tendance à l’homogénéisation des positions diffusées sur Contrepoints depuis un certain moment.

Ce texte s’inscrit finalement dans une réflexion née des nombreux débats et discussions qu’a suscité le « convoi de la liberté » dans nos milieux, et de la difficulté à se forger une compréhension commune de ce que représente ce mouvement pour nous, en tant que gauche radicale. Si des tensions émergeaient déjà de nos différentes attitudes face à la pandémie, le convoi semble les avoir cristallisées. Nous espérons que ce texte contribuera à pallier à ces difficultés, et nous aidera à dépasser la polarisation qui entoure actuellement ces enjeux dans nos milieux. On aurait aimé ouvrir un espace de discussion sur ces questions là plus tôt dans la pandémie, mais bref, nous voilà.

Tout d’abord, mettons certaines choses au clair: la formulation d’une critique de l’État par rapport à ses agissements sécuritaires et ses dérives de plus en plus autoritaires depuis le début de la pandémie est un point qui doit être mis de l’avant. La surveillance de plus en plus sévère et insidieuse de plus en plus de personnes par des moyens nouveaux est dangereuse et problématique en soi. La création du pass sanitaire et de son régime de droit différent, créant une nouvelle catégorie de personnes auxquelles des droits sont retirés est aussi une aberration qui mérite d’être dénoncée. Rajoutons à ça l’amplification du discours sur les non-vaccinés comme étant le problème numéro 1 en contexte de covid et on a une recette d’hypocrisie assez monumentale considérant la gestion purement capitaliste de cette pandémie par notre gouvernement. Nous encourageons la critique de cette gestion économique dans un objectif de rendement, peu importent les coûts humains, les coûts sur la santé physique et mentale, la priorisation des milieux de travail et la volonté de développement d’une société encore plus néolibérale et surveillée.

Ces textes et discours nous semblent aussi chercher à créer des ponts avec des groupes sociaux qui ne seraient pas habituellement des groupes avec lesquels on s’organise, et on a envie de nommer qu’on trouve ça important de diversifier la base militante et de chercher de nouvelles alliances. C’est malheureusement trop vrai que la gauche (et l’extrême gauche) battent de l’aile et qu’on a un besoin flagrant d’aller recruter dans de nouvelles sphères de la société, considérant l’intensification des discours de droite et d’extrême droite ici et ailleurs. Élargir la gauche n’est pas un luxe dans le climat politique actuel, il s’agit d’une nécessité. Il faut que nous devenions une force sociale d’envergure pour faire barrage à la droite et proposer un monde dont nous pourrons être fier.es.

Sur « Le pass sanitaire n’était qu’un exercice »

Nous avons cru comprendre, à la lecture du pamphlet distribué à Québec, que son objectif était d’éveiller les manifestant.es du convoi à la menace que représentent les projets de zones d’innovations un peu partout sur le territoire soi-disant québécois. Bien que nous partageons ces critiques concernant l’avancement d’un capitalisme de surveillance, nous considérons que c’est un choix stratégique au mieux naïf, au pire dangereux. En effet, n’importe qui s’intéresse au convoi peut constater que les revendications visaient principalement à un retour à la vie normale, la vie d’avant la covid. Ce constat à lui seul témoigne du fossé qui nous sépare de ce mouvement. Est-ce qu’on n’a pas passé toute la pandémie à crier « pas de retour à la normale » ? Le monde allait déjà très mal avant la Covid pour beaucoup de monde. En outre, les personnes itinérantes, racisées, les travailleuses du sexe, les personnes migrantes et les militant·es autochtones étaient déjà soumises à une surveillance et à un contrôle inhumain, et ce, bien avant l’apparition du passeport sanitaire.

Bien que nous soyons conscient·es que les personnes ayant participé à la manifestation de Québec sont toutes différentes, et qu’elles n’appartiennent certainement pas toutes à l’extrême droite, il demeure intéressant de noter que le pamphlet joue sur les mêmes codes que la droite, probablement dans l’espoir de mieux résonner dans une crowd qui ne se reconnait pas dans nos habituels discours. C’est ainsi qu’on voit apparaître dans un texte publié sur une plateforme d’extrême gauche des phrases telles que « Ni de gauche ni de droite » ou encore « rejoignant les réfugiés, les non-vaccinés deviennent des ennemis publics », une phrase qui résonne très bien avec les discours victimisant de la droite comparant les mesures sanitaires aux politiques de l’Allemagne nazie. On s’entend, être obligé de se faire vacciner, bien que ce soit critiquable, ne peut en aucun cas être comparé aux chambres à gaz, ou encore aux prisons pour migrant·es qui enferment chaque année des personnes pas assez blanches, ou avec pas assez de documents officiels pour satisfaire notre État colonial. Nous croyons qu’une opposition aux mesures sanitaires autoritaires est nécessaire, mais celle-ci ne peut faire l’économie d’une analyse antiraciste, anticapitaliste et féministe.

Nous savons que nos milieux sont très homogènes, très blancs, très scolarisés, et souvent encore très empreints de nombreuses dynamiques de pouvoir, et nous croyons sincèrement que ce n’est pas en allant faire des alliances avec des personnes en très grande majorité blanches et nationalistes (en témoigne le nombre de drapeaux canadiens qui étaient visibles dans les rassemblements) que nous arriverons à rendre nos milieux plus accessibles pour les personnes les plus marginalisées de notre société. Nous pensons au contraire que nous aurions intérêt à redoubler d’efforts pour nous solidariser avec les luttes pour l’abolition de la police, les luttes pour l’autodétermination des peuples autochtones, les luttes des communautés LGBTQ et spécifiquement des femmes trans, avant d’aller chercher dans les bastions de la droite pour recruter. Malheureusement, en tant que personnes issues de groupes privilégiés, c’est beaucoup plus difficile de se solidariser avec des communautés marginalisées que de profiter de l’opportunité d’un soulèvement financé par l’extrême droite pour faire avancer nos propres agendas. Il nous semble que certaines personnes plus proches de nos idéaux fondamentaux auraient davantage de potentiel de solidarisation avec nos luttes, comme les travailleur·euses du communautaire, les travailleur·euses de la santé, les étudiant·es cassé·es, les écolos désabusé·es.

Ce qui nous inquiète de cette stratégie, c’est qu’elle tend à dépolitiser les enjeux. Nous craignons que de prôner la révolte en soi sans se demander ce que les gens vont en faire et quel sera leur état d’esprit, leurs désirs et leurs idéaux, ça manque de vision long-terme. Participer à intensifier un mouvement dirigé par l’extrême droite, c’est potentiellement contribuer à un monde bien pire que le nôtre. Au contraire du Rojava pendant le Printemps arabe, où il y avait des bases militantes de gauche larges et fortes et où un nouveau système a pu voir le jour, nous risquons de nous retrouver avec une extrême droite boostée aux stéroïdes. Chercher une révolte sans organisation en arrière pour la soutenir vers une société révolutionnaire, c’est encourager un vide de pouvoir qui sera comblé par les gens avec les plus gros guns et/ou le plus de soutien populaire. Nous ne sommes pas ces gens-là en ce moment.

Il nous semble aussi important de rappeler comment la droite grossit ses rangs en maniant particulièrement l’outil de la peur. Ils nous rabâchent constamment que les immigrants viennent voler des jobs, que les musulmans sont tous des terroristes, que les femmes trans cherchent à violer d’autres femmes dans les toilettes, etc. C’est une stratégie de mobilisation efficace pour des mouvements qui veulent promouvoir la haine contre certains groupes sociaux, mais il est bon de se demander s’il s’agit vraiment d’une voie que nous souhaitons prendre. Est-ce bien utile d’aller jouer dans cette émotion-là pour mobiliser, de dire qu’on devrait avoir peur de la ZILE, du contrôle, de la surveillance ? Alors que la droite peut brandir la peur de choses qui sont soit irréelles, soit déformées au point de n’être plus reconnaissables, les choses que nous dénonçons sont, elles, déjà effrayantes et ont des impacts réels sur nos vies. Dans un contexte où les grands médias capitalistes nous donnent déjà suffisamment de raisons d’avoir peur — et c’est encore pire lorsque l’on appartient à un groupe social qui fait l’objet de violences systémiques — il nous semble important d’essayer d’invoquer d’autres sentiments pour nous aider à nous mobiliser, et d’essayer plutôt de bâtir un monde basé sur l’entraide, la compassion, la solidarité, la responsabilité et la rage légitime.

Sur le « Manifeste conspirationniste »

Aller jouer sur les plantes-bandes conspirationnistes est une stratégie particulièrement dangereuse. Et malgré ce que ce manifeste voudrait nous faire croire, le conspirationnisme est une nébuleuse résolument située à droite. On pourrait revenir sur les origines ouvertement antisémites des théories du complot, leur glorification de figures comme Donald Trump, le choix récurrent de « la gauche » comme bouc émissaire, ou leur rôle dans la création de fantasmes néfastes comme celui du Grand Remplacement, mais d’autres le font mieux que nous (Conspiracy Watch, Mtl Antifasciste). Ce qu’il faut retenir, c’est que les théories conspirationnistes sont traversées de patterns antisémites, xénophobes, sexistes et ouvertement anti-gauche. Ce n’est pas pour rien que la défense du complotisme est un enjeu cher à des personnalités comme Maxime Bernier (qui soutient le convoi) ou Éric Zemmour, qui écrit « complotisme : ce mot des “élites” pour disqualifier toute critique ». Voir de telles personnalités propager des théories du complot et défendre le complotisme devrait suffire à nous convaincre de refuser tout engagement avec cette sphère.

Pourtant, on voit certaines personnes de gauche radicale qui persistent à fricoter avec cette tendance, ou qui semblent suggérer que l’on pourrait se réapproprier une identité complotiste. On reste perplexes devant cette idée : pourquoi vouloir réhabiliter un concept si marqué à droite, si ancré dans des positions oppressives ? On partage avec les libertariens une haine du gouvernement, mais on a jamais pensé qu’il serait utile de reprendre leur terminologie, alors pourquoi le faire avec le mot complotiste ? Le seul effet est de brouiller les pistes et paver la voie pour l’expansion d’idéologies fascisantes. Car vouloir détourner un terme qui recouvre une réalité d’extrême-droite, c’est participer à la diffusion de discours confusionnistes. Le confusionnisme, « c’est le développement d’interférences, d’analogies et d’hybridations entre des discours d’extrême droite, de droite, de gauche modérée et de gauche radicale » (Philippe Corcuff). C’est ce qu’il se passe quand certaines personnalités reprennent des critiques sociales avec un vernis antisystème, pour ensuite guider les gens qui les écoutent vers des réponses toutes faites formulées par l’extrême droite. Car c’est l’extrême droite qui est en ce moment en mesure de récupérer des individus en criss contre la société en validant leur colère et en désignant des responsables individuels (une poignée d’élites), flous (le « lobby féministe ») ou carrément inventés (la « gauche » qui serait pour certain·es derrière le coronavirus1). En effet, l’avantage des théories du complot pour la droite, c’est qu’au lieu de cibler des structures sociales et d’offrir des possibilités d’émancipation collective, on propose une poignée de responsables qui tirent les ficelles derrières les rideaux : débarassons-nous de ces quelques individus, et le problème est réglé. Pas besoin de changer quoi que ce soit à nos vies ou de nous remettre en question, pas besoin de s’organiser collectivement sur du long terme, pas besoin de lutter.

Il est impensable, dans une perspective d’extrême gauche, de nier la réalité de la pandémie, et des vies qui ont été perdues à cause de la négligence criminelle de l’État. Rappellons le, les morts sont en grande majorité des personnes âgées, des personnes immunodéprimées, des personnes racisées, des personnes autochtones, des personnes pauvres, des personnes incarcéré.es qui n’ont eu d’autre choix que de s’exposer depuis deux ans au virus, alors que la classe moyenne et ses dirigeants étaient confortablement à l’abri et continuaient de travailler du confort de leurs maisons de banlieue. Nier la réalité de la pandémie, c’est défendre un monde eugéniste, où les plus forts (lire les mieux nantis) s’en sortent, alors que la plèbe en crève, passeport sanitaire ou pas, couvre-feu ou pas. À nos yeux, nos milieux devraient, plutôt que de chercher à mobiliser dans les rangs de la droite, chercher à consolider des initiatives d’aide mutuelle afin de contribuer à la mise en place de stratégies de prise en charge collectives de notre santé, et de manières d’assurer notre sécurité qui ne dépendent pas de l’intervention de l’État et de ses mesures autoritaires.

Pour une autodéfense sanitaire collective

On ne peut s’empêcher de déceler dans l’intérêt que suscite le convoi chez certain·es camarades de gauche des relents mascu de glorification de la révolte et d’invisibilisation de formes de luttes traditionnellement prises en charge par les femmes. Aller aider des vieux à faire leur épicerie ou des mères monoparentales à se tenir face à leur proprio, c’est moins sexy et badass que de soutenir des gens qui bloquent des routes. On entend l’argument « au moins des gens se lèvent et font quelque chose, même si c’est pas parfait il faut se saisir de cette opportunité ! », comme si le convoi était la seule réaction indépendante de l’État qui avait eu lieu depuis le début de la pandémie. Pourtant, de l’organisation collective autonome en réaction à la covid-19 il y en a eu dans les deux dernières années, mais elle s’est plutôt située sur le terrain du care. Et bien que plusieurs anarchistes se soient mobilisé·es dans des mouvements d’entraide, on n’a pas vu fuser les articles qui nous invitaient à investir ces espaces-là dans une lutte combinée pour s’entraider, mobiliser les communautés et se protéger de la covid. On se demande si ce n’est pas aussi parce que beaucoup de gens dans nos communautés ont eu le luxe de ne pas se soucier de la covid-19 dans les deux dernières années. On a été tellement outré·es par la gestion autoritaire du gouvernement qu’on en est venu·es à oublier que derrière ces mesures en grande partie inutiles et répressives, il y a un vrai virus qui tue des vraies personnes. Et dans une réaction tristement binaire, certain·es ont préféré chercher des alliances avec des gens en criss contre le gouvernement quitte à minimiser ou ignorer leurs politiques réactionnaires, plutôt que de développer des positions capables de critiquer l’état d’une part, et de créer des stratégies d’autodéfense sanitaires de l’autre.

On trouve pourtant à travers l’histoire et le monde des exemples d’organisation solidaire indépendante de l’État en contexte de crise sanitaire. C’était le cas des cliniques médicales gratuites des Black Panthers, de la mobilisation des lesbiennes pendant la crise du VIH/sida, ou plus récemment des multiples initiatives d’entraide qui ont vu le jour dans les deux dernières années. Privilégiant une posture de prévention, on a vu des groupes tels que le Common Humanity Collective en Californie se mettre à fabriquer leurs propres masques et purificateurs d’air (aussi utilisés pour faire face aux feux de forêt) et profiter de la distribution pour créer des liens avec les habitant·es et les mobiliser autour d’enjeux sociaux à travers de l’éducation populaire. Des membres du collectif décrivent dans un podcast comment des rencontres sur zoom ont pu mettre en contact des gens d’horizons politiques différents, et créer un sentiment de communauté. À Paris, un bar lesbien a mis en place des mesures sanitaires de prévention début 2020 avant le gouvernement, et est devenu un lieu de ressource pour les personnes isolées et précarisées par la pandémie.

Jouer le jeu des conspirationnistes et de celleux qui manifestent pour un retour à la normale est une erreur politique, éthique et stratégique. ​​​​​La libération collective doit primer sur les libertés individuelles à la sauce libertarienne. Nous croyons qu’il est possible d’élargir nos réseaux et de développer de nouvelles alliances politiques en maintenant des pratiques plus sécuritaires et en restant solidaires avec les personnes à risque. Faire de l’éducation populaire, des ateliers d’autodéfense sanitaire (fabrication de masques et de purificateurs d’air), maintenir les gestes barrière, réclamer la levée des brevets sur les vaccins, lutter pour le droit au logement aux côtés de celles et ceux qui ont été précarisé·es par la pandémie, sont autant de pistes d’organisation politique pour reprendre en main une situation négligée et aggravée par un État criminel, en continuant à faire communauté.

– des gouines anar blanches un peu en criss


1 : c’est la théorie de Eric Trump​​​​​​​, mais aussi celle du « Great Reset », à l’origine un énième sommet économique de merde, devenu rapidement une théorie conspirationniste qui voudrait entre autres que des socialistes aient inventé le coronavirus pour imposer des restrictions économiques, et en profiter pour prendre le pouvoir et instaurer un ordre socialiste mondial.

Pour aller plus loin

Sur le covidonégationnisme et l’autodéfense sanitaire : https://www.jefklak.org/face-a-la-pandemie-le-camp-des-luttes-doit-sortir-du-deni/

Sur la nécessité de dénoncer les mesures autoritaires, sans pour autant nier la réalité de la pandémie et ses impacts (voir la publication épinglée) : https://www.facebook.com/feministesraciseEs.

Sur l’autodéfense sanitaire : https://acta.zone/seul-le-peuple-sauve-le-peuple/

Sur le validisme et la solidarité avec les personnes handicapées : https://leavingevidence.wordpress.com/2022/01/16/you-are-not-entitled-to-our-deaths-covid-abled-supremacy-interdependence/

Sur le confusionnisme et le rôle de la gauche radicale (on peut se créer un compte gratuitement pour lire l’article) : https://aoc.media/opinion/2021/10/06/prendre-au-serieux-le-confusionnisme-politique/