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Sur l’insurrection aux États-Unis : une interview avec des anarchistes / abolitionnistes par RadioFragmata

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Juin 242020
 

Soumission anonyme à MTL Contre-info

Les banques engendrent les « braqueurs »,
les prisons créent les « terroristes »,
la solitude crée les « marginaux »,
les produits créent les « besoins »,
et les frontières créent les armées.

La propriété engendre toutes ces choses.
La violence engendre la violence.
Ne demandez pas. Ne cherchez pas à m’arrêter.
Il nous revient désormais de faire de la justice
l’acte ultime.
Tirons un poème de la vie.
Faisons d’elle une action.

-Katerina Gogou

L’interview suivante se destine à un lectorat international et révolutionnaire. Elle contient des questions se rapportant à l’insurrection contre la suprématie blanche qui se déroule actuellement aux Etats-Unis, posées par le projet radiophonique anarchiste grec RadioFragmata à des membres du RAM (Mouvement Abolitioniste Révolutionnaire) et à des anarchistes américains qui ont souhaité rester anonymes. Cette interview a vocation à faciliter la compréhension des circonstances et des évènements qui se trament aux États-Unis.

« Puisque je ne suis moi-même qu’un vieux garçon de la ferme, je n’ai jamais souffert de ce que l’on récolte ce que l’on avait semé; au contraire, cela m’a toujours rempli de joie ». Malcolm X

Que se passe-t-il actuellement aux Etats-Unis, et en quoi est-ce différent d’autres soulèvements ayant émergé en réponse aux violences policières, comme celui qui avait surgi à Ferguson en 2014 ? Et qu’en est-il du ressenti, à l’échelle de la rue ? Est-ce le même ?

Ce soulèvement se distingue principalement par son ampleur et le niveau de fureur qu’il déploie. D’autres moments, comme Ferguson ou les émeutes de Los Angeles en 1992, ont été significatifs et ont préparé le terrain pour cette situation; mais ce à quoi nous assistons aujourd’hui relève d’un mouvement radicalement différent, de plusieurs façons.

Dans la rue, les jeunes témoignent d’une connaissance profonde des politiques abolitionnistes. Ielles ont laissé de côté toute patience et tout espoir de réforme, ne se concentrant que sur l’action directe et immédiate. Cette fois-ci, il semblerait qu’on soit bien plus nombreux.ses à avoir conscience de l’impasse du réformisme. Le degré d’intensité est incroyablement révélateur. Jamais auparavant nous n’avions vu des gens incendier un commissariat, comme à Minneapolis, avant de contraindre les policiers à sauver leurs peaux en prenant la fuite, et ne rien lâcher alors même que l’armée était sommée d’intervenir. L’autre fait important, c’est que la majeure partie de la population a applaudi l’incendie du commissariat et que la peste du pacifisme a perdu sa mainmise sur la lutte. Cela a remodelé en profondeur le genre de dialogue auquel nous sommes habitué.es aux Etats-Unis. Que l’insurrection et les émeutes reçoivent le soutien de groupes et d’individus inattendus, cela nous paraît parfois carrément choquant ! Les prédateurs abonnés au « Ni … Ni … » sont, de fait, contraints à abandonner leur zone de confort et à choisir leur camp, à décider s’ils font partie des racistes, ou des anti-racistes.

L’intensité de la révolte qui a démarré cette fois à Minneapolis s’est depuis répandue comme une trainée de poudre à travers le pays. Le caractère massif de cette révolte généralisée, l’intensité de la résistance qui s’y déploie, et la disparition complète de la foi en les réformes ou en la patience vis-à-vis du system ne ressemblent à rien que j’ai pu observer de mon vivant.

Comment les anarchistes et/ou les anti-fascistes états-unien.nes font-ielles démonstration de solidarité dans le cadre de cette insurrection ? Et quelles suggestions addresseriez-vous aux anarchistes et/ou aux antifascistes de par le monde, pour qu’ielles puissent exprimer leur solidarité depuis là où ielles se trouvent ?

Les anarchistes et les antifascistes ont participé à ces rébellions depuis leur début. Voilà dèjà longtemps que le mouvement accorde une attention particulière aux questions liées à la police, à la prison et à leurs appendices; c’est donc un moment très spécial pour nous.

Mais nous nous devons d’être clair.es: le soulèvement n’a pas été initié par les anarchistes. La rébellion est portée par une jeunesse noire qui ne peut plus supporter d’être déshumanisée et assassinée. La violence contre les noir.es et la suprématie blanche forment la pierre angulaire de la vie politique, économique et sociale des Etats-Unis. Elles sont si profondément enracinées qu’elles rendent la réforme inconcevable. En tant qu’anarchistes, voilà longtemps que nous portons ce discours, et que nous combattons en vue de réduire en miettes cette situation; mais ne nous sommes que l’une des nombreuses tendances politiques qui ont donné corps à cette insurrection.

De par le monde, les principales recommandations que nous pouvons adresser aux anarchistes est de contribuer à intensifier la pression politique et économique sur les Etats-Unis, et de participer aux luttes locales de résistance vis-à-vis de la police. Ciblez tous les leviers qui accroissent la puissance des Etats-Unis et qui leur permettent de fonctionner, en généralisant et en renforçant le mécontentement qui est à l’origine du soulèvement; ciblez le racisme à votre échelle, la police, et tout autre appendice de la domination et de l’exploitation. Les Etats-Unis sont actuellement incroyablement faibles; et plus ils s’affaiblissent, plus la vie devient respirable pour nous, ici, et pour les gens de par le monde. En outre, tout acte de solidarité apporte de la force à ceux qui tiennent la rue. La solidarité n’est jamais plus forte que lors d’attaques communes, qui ne connaissent pas de frontières !

Comment expliquer que certaines personnes affirment soutenir la rébellion états-uniennes, avant de revenir sur leurs propos du fait de sa prétendue « violence » ?

Le concept de « non-violence », incarné par la pratique de Martin Luther King Jr., jouit d’un réel prestige aux Etats-Unis. Il est même célébré, retrospectivement, comme l’expression parfaite de l’activisme. Par extension, les mouvements de protestation sont également assimilés à des expressions d’activisme. Dès lors, toute protestation légitime et supposément « efficace » se doit de s’inscrire dans ces principes de protestation non-violente qui ont permis à eux seuls, selon l’historiographie en vigueur, de garantir l’accès aux droits civiques en Amérique. Dans les faits, la situation d’alors était bien plus complexe, et des insurrections fréquentes dans certaines des plus grandes villes du pays ont également joué un rôle crucial dans la décision prise par l’état d’introduire de nouvelles lois abolissant la ségrégation légale et formelle dans le sud des Etats-Unis (via les lois Jim Crow, et seulement pour instaurer dans un second temps de nouvelles méthodes d’oppression). Néanmoins, la doctrine officielle ne retient que le rôle des activistes non-violents dans cette séquence. Par ailleurs, ce discours postule que chaque mouvement de protestation doit viser à promouvoir une cause légaliste, et non pas une dynamique révolutionnaire. Parfois, c’est une rhétorique aux accents révolutionnaires qui est utilisée pour discuter des modifications de législation or la conquête d’autres réformes basiques: on peut ici penser au cas de Killer Mike du groupe Run The Jewels, dans lequel ce soutien affiché du parti démocrate et fils d’un officier de police utilise un langage trompeur pour dénoncer les manifestants qui ont participé aux attaques sur les bureaux de CNN et sur les forces de police. Sur le sol américain, toute action de rue violente ou véritablement révolutionnaire est généralement considérée illégitime, à cause de ces croyances très ancrées culturellement qui définissent ce à quoi doit ressembler une lutte légitime. C’est là une autre raison de considérer les évènements récents comme très inspirants: ils ont totalement rejeté cette logique et ce discours. La manière dont le soulèvement a pu se répandre dans des villes tellement diverses illustre l’insatisfaction que génère désormais partout ce discours historique. Une explication incomplète pourrait consister à montrer que les gens ont agi avant que des leaders officiels n’aient eu l’occasion de chercher à s’autoproclamer représentants du mouvement. La nature réellement organique du mouvement a fait sa force depuis le premier jour, et lui a permis de s’affranchir d’un cadre de protestation soigneusement orchestré par des activistes professionnels et des politicien.nes. Les gens sont conditionnés depuis l’enfance à chercher la foi dans le théâtre de la démocratie politicienne. La violence est la négation d’une telle foi. La violence est une démonstration d’auto-détermination, la démonstration d’une volonté d’aller chercher un monde qui soit au-delà du présent.

On nous apprend que nous avons des droits, mais ces droits sont des choix dont on peut nous priver, puisqu’ils sont institués par un contrat social maintenu par l’autorité. Les droits sont des options absurdes et trompeuses utilisées pour propager la peur qui fonde le socle de la paix sociale contemporaine. Vous avez vos droits, vos libertés, et si vous vous comportez conformément aux lois de la boîte qui contient ces choix, vous n’irez pas en prison. Les droits sont imaginaires, et d’ordinaire seulement crédités de la moindre validité par les personnes incluses et bénéficaires au sein d’une société stratifiée. Il est important de garder ce dernier point en tête lorsqu’on cherche à évaluer la parole d’un.e allié.e déclaré.e qui s’élève contre la violence ou l’auto-défense politique.

La violence et la révolte physique reconnaissent que le terrain de jeu est fondamentalement truqué. Elles démontrent un désir de s’en émanciper, un désir que ne saurait controler un système qui peut à tout moment priver des personnes de leurs droits. Les voix qu’on entend dénoncer la violence parlent le langage de la foi en la justice et en les politiques de ce même système qui est responsable d’avoir inspiré la violence révolutionnaire en premier lieu. Ces voix vous encourageront à supplier, à attendre, et à espérer.

Les activistes, les liberals et les prétendu.es allié.es qui applaudissent depuis les gradins sont prompt.es à dénoncer la violence parce qu’ielles ont foi en les options que le théâtre politique actuel leur présente en guise de changement. Ielles souhaitent se réapproprier les pouvoirs existants, plutôt que les démolir. Dans certains cas, ielles connaissent également la peur, et plutôt que de reconnaître humblement leur peur d’être puni.es pour des prises de risque courageuses et pour leur résistance, ils se terrent lâchement derrière diverses critiques de la violence.

En même temps, on peut se demander pourquoi on nous apprend tant sur Martin Luther King et sur Gandhi, et si peu sur d’autres figures historiques des mêmes espaces-temps comme Malcolm X ou Bhagat Singh. La droite, les puissants, ou les méthodes systématiques et calculées d’auto-préservation de la société capitaliste dénonceront toujours la violence révolutionnaire et l’insurrection, tout simplement parce que ce type de résistance leur fait peur, parce que ce type de résistance menace leur statut et le système qui le maintient.

La violence est un sujet neutre. Deux personnes peuvent avoir un pistolet à la main, et les situations n’en seraient pas moins complètement différentes. Une personne (Patrick Crusius) peut tenir un pistolet afin d’assassiner des migrants et des personnes de couleur au hasard à El Paso, au Texas, tandis qu’une autre personne (Chrystul Kizer) peut tenir un pistolet pour tuer l’homme qui les avait violé.es et en avait fait le commerce.

On pourrait affirmer que nous parlons de George Floyd seulement parce qu’il a eu la chance d’avoir son lynchage enregistré et capturé à l’écran. Toutefois, ce n’est pas la raison pour laquelle nous parlons encore de George Floyd. Des personnes sont torturées et assassinées chaque jour, aux Etats-Unis. Et bien souvent, ces scènes sont filmées. La véritable raison qui explique que l’on parle encore de George Floyd après sa mort tient à ce que cet incident particulier a déclenché une révolte généralisée pleine de ce que j’appellerais un type positif de violence, et que la police n’a pas su contrôler.

L’épidémie de coronavirus a-t-elle joué un rôle dans l’insurrection en cours ?

Il est clair que le coronavirus a joué un rôle dans cette rébellion. Il y a beaucoup de facteurs importants, dans cette question. La débâcle économique a laissé des millions de personnes sans emploi. Nous sommes des millions à ne plus avoir de boulot, ici aux Etats-Unis. Mais avoir un travail ne suffit pas pour autant à échapper à la pauvreté. Le taux de chômage ne reflète pas adéquatement le pourcentage de personnes qui doivent lutter pour survivre; celles et ceux qui travaillent sans pour autant pouvoir s’acquitter de leurs frais quotidiens sont comptabilisé.es comme des travailleur.euses. On fait face à un niveau de précarité énorme. Rajoutez à cela un peuple entier coincé chez soi, et sur les nerfs, en particulier en ce qui concerne la jeunesse.

Le ratio de mort.es chez les américain.es noir.es est trois fois supérieur au même ratio pour les américain.es blanc.hes, en raison de problèmes systématiques d’accès à des soins de qualité. Dans les communautés pauvres, le manque de tests a été considérable, mais cela était intentionnel. Les gens ont un accès limité aux services de soins en règle générale, et l’assistance médicale de qualité est réservée à des communautés plus prospères. Les habitant.es des quartiers populaires ont continué à se rendre au travail et à emprunter les transports publics tout au long de l’épidémie, pour subvenir à leurs besoins. Cela a encouragé une propagation encore aggravée du virus, notamment au sein des communautés marginalisées.

La quarantaine a également mis en relief les lignes de fracture et les privilèges qui sous-tendent notre société. Les riches ont pu s’extirper des villes les plus denses et s’isoler dans le confort. Les travailleur.euses ont perdu leurs emplois et se sont fait offrir des miettes par le gouvernement alors même que d’énormes compagnies et leurs patrons se voyaient adresser des fonds de renflouement sans commune mesure dans l’Histoire. L’échantillon le plus fortuné de la population a vu son capital s’accroître de plus de 500 milliards de dollars, alors que le reste d’entre nous demeurions chez nous à nous creuser la tête à propos de la semaine à venir, de la prochaine facture, ou du prochain repas.

Les personnes pauvres, noires et non-blanches, les peuples natifs et toutes les catégories de population exclues des Etats-Unis ont particulièrement souffert du virus. Il n’était plus question de se mentir à propos du poids de la survie de chacun.e alors même que l’Etat confinait des populations opprimées dans des prisons et des centres de rétention infectés – autant de zones de mort acceptable habitées par les personnes dont le capitalisme peut se passer. En outre, les travailleur.euses jugé.es « essentiel.les » au maintien du bon fonctionnement de la société en temps d’épidémie constituaient précisément les pôles les plus exploités de la séquence précédente (les infirmie.res, les travailleur.euses agricoles, les épicier.es, et ainsi de suite). Cela a facilité une prise de conscience populaire quand à la logique absurde du capitalisme, et a poussé les gens à se poser des questions inouïes jusque lors pour nombre d’américain.es. Plutôt que des augmentations de salaire ou des garanties de sécurité, ces travailleur.euses n’ont reçu que l’approbation condescendante des riches et des puissant.es qui les peignaient en « héro.ïne.s » – alors qu’il va de soi que cette reconnaissance mesquine est franchement insultante pour qui met en danger sa propre vie et la santé de ses proches. Les yeux des gens se sont ouvert, à tel point qu’aucun des mensonges du prétendu rêve américain n’a pu masquer le cauchemar qui constitue le quotidien de la plupart des américain.es.

Quand l’administration Trump est également devenue consciente que les populations non-blanches et prolétaires étaient beaucoup plus affectées par le coronavirus que son électorat presque exclusivement blanc, elle s’est empressée de mettre son appareil médiatique derrière un appel ouvertement raciste à réouvrir l’économie. Pour citer Trump lui même: « let the virus wash through », « que le virus déferle et purifie ».

En raison de ces causes systémiques et structurelles, la communauté noire a été l’une des plus touchées par le coronavirus dans le pays. Et par dessus le marché, quand l’Etat a demandé aux gens de pratiquer la distanciation sociale la police a immédiatement commencé à terroriser les communautés noires pour non-respect de ces consignes. Alors même que le pays était à l’arrêt, la police a trouvé le moyen de continuer à tuer à la même fréquence qu’au cours de ces dernières années. Et avec le confinement, les gens ne manquaient pas de temps pour visionner des vidéos d’assassinats policiers ou de scènes de torture dans les rues, alors même que ces scènes se déroulaient.

Le coronavirus est ainsi devenu la formule qui a fait du pays un baril de poudre.

La question raciale est-elle la seule problématique qui nourrit cette révolte ?

L’insurrection répond avant tout aux ravages du suprématisme blanc et des systèmes policier et carcéral (le documentaire 13th apporte un éclairage de qualité sur ce sujet-ci). Le meurtre odieux de jeunes noirs constitue la norme, aux Etats-Unis: et les gens en ont enfin eu assez.

La classe joue également un rôle fondamentale dans ce soulèvement, comme c’est le cas partout dans les sociétés capitalistes. Toutefois, ce soulèvement a totalement été initié par le prolétariat noir, qui ne partage pas les caractéristiques du mouvement activiste américain, lequel regroupe surtout des personnes issues d’origines bourgeoises qui envisagent la politique comme un hobby plutôt que comme une lutte indispensable. Malgré cette réalité, le soulèvement a été à ses origines relativement ouvert à quiconque souhaitait y participer et agissait sans peur d’être jugé par la moralité raciste du status quo.

On ne devrait pas non plus être surpris.es de ce que les gens rendent désormais la monnaie de sa pièce au système au place au moment même où le taux de chômage est propulsé à un niveau que nous n’avions pas connu depuis la Grande Dépression. Si le mouvement conserve cette férocité et cette fluidité prolétariennes, l’hypothèse d’un changement révolutionnaire est plus crédible qu’elle ne l’a jamais été de notre vivant.

Quelles sont les origines du suprématisme blanc aux Etats-Unis ?

Les origines du suprématisme blanc aux Etats-Unis correspondent aux origines du pays lui-même. Les Etats-Unis ont explicitement été fondés en tant que projet de la suprématie blanche. Bâtis sur les dos des peuples africains réduits en esclavage et sur le génocide des peuples indigènes, les Etats-Unis se sont positionné en pays-modèle pour le pouvoir des blancs. Dans d’anciens textes de lois, il était stipulé qu’une personne noire ne représentait que les trois-cinquièmes d’une personne humaine, et les noir.es ont été considéré.es comme de la marchandise jusqu’en 1865 – après quoi le gouvernement fit tout ce qui était en son pouvoir afin de garantir que les piliers de l’esclavage demeurent intacts, en transposant le processus de la plantation vers le complexe carcéral-industriel.

Toutefois ce processus avait démarré plus tôt encore, avec les premières expansions européennes de par le monde. Les Etats-Unis sont de fait un projet qui découle de la pensée et des politiques européennes. Ces deux continents sont historiquement empêtrés dans des régimes raciaux extrêmes, des massacres de masse et des génocides. De surcroit, le statut du pouvoir économique et politique qui se maintient sur ces deux continents a pour corollaire le coût du colonialisme historique qui a fini par définir la carte du monde contemporain, avec son 1er et son tiers mondes.

Que signifie s’opposer au suprématisme blanc ? Trouve-t-on des éléments de « racisme inversé » dans ce combat ?

Pour commencer, le « racisme inversé » n’existe pas. C’est même un oxymore.

Le racisme ne désigne pas simplement le fait de discriminer, mais bien un système d’oppression. Puisqu’il n’existe pas de système d’oppression fondé sur la race auquel des blanc.hes seraient asujetti.es, ielles ne peuvent pas être les victimes du racisme.

« Blanc.he », aux Etats-Unis, dénote un segment de la popluation qui jouit d’avantages préexistants en tant que tel. Ainsi, bien que de nombreuses personnes blanches souffrent de la pauvreté aux Etats-Unis, il n’en est pas moins vrai qu’il y a des avantages inhérents à être blanc.he. Un exemple éloquent de cela serait la capacité à sortir faire un footing nocturne sans qu’on ne soit accusé.e de fuir une scène de crime.

A travers l’Histoire, la classe dominante a déterminé un niveau calculé de souffrance à déléguer à ses inférieur.es présumée.s. La notion de « sauvage », l’infériorité des populations non-gentilles ou aux peaux foncées établies par les conquêtes européennes fondent la matrice des choix de populations destinées à souffrir de par le monde jusqu’aujourd’hui. Les tactiques et la sémantique utilisées par les groupes dominants/opprimants ont été modernisées et adaptées, mais le socle en demeure le même. « Blanc.he » signifie être inclus.e, jouir d’une meilleure place dans les gradins, inconditionnellement.

Bien que les noir.es américain.es ont 250% de chances en plus d’être tué.es par la police (si l’on se fie aux chiffres officiels; le véritable écart est probablement encore plus grand, et fluctue selon les régions et les niveaux de diversité), de nombreux.ses victimes de ces meutres sont issu.es du prolétariat blanc. La classe dirigeante n’épargne pas la population blanche marginalisée, et apporter une critique du suprématisme blanc ne suppose pas de nier la réalité des personnes blanches qui souffrent dans le système capitaliste. Mais il essentiel de reconnaître qu’un mépris de la blanchité dénote une frustration vis-à-vis de la race qui a été choisie par ce système en tant que race incluse et défendue. Les personnes blanches sont incluses et défendues, au détriment de, et contre, les populations non-blanches prétendument inférieures. Alors que les oublieux ou les racistes crient au « racisme inversé », d’autres ont reconnu dans ces mêmes gestes de frustration à l’envers du suprématisme blanc un mépris logique.

Il existe des groupes Noirs séparatistes, mais leurs appels à la séparation dérivent du désespoir d’échapper à la misère impitoyable qui découle non pas d’une société hétérogène en tant que telle, mais d’une société hétérogène stratifiée selon des critères de race et d’ethnicité. Un tel appel désespéré en faveur d’un pouvoir noir par la ségrégation ne peut venir que de l’expérience empirique d’une société hétérogène qui a désigné une seule race pour régner sans partage.

Malgré des disparités locales, et en dépit des proclamations mensongères de droits civiques, les Etats-Unis demeurent ancrés dans un modèle de ségrégation brutale. Que les lignes de fractures soient raciales ou de classe, le pays donne à voir l’un des exemples de ségrégation de proximité les plus intenses au monde. Prenons l’exemple de New York City, où certaines des zones les plus pauvres du pays côtoient des quartiers parmi les plus riches au monde, séparés par la bête policière et son système judiciaire. Dans de nombreuses communautés non-blanches, les interactions quotidiennes avec des personnes blanches se limitent à voir la police blanche envahir le quartier afin de mieux y maintenir le niveau de pauvreté. En aucun cas ne voulons-nous invisibiliser les souffrances du prolétariat blanc; mais l’écart entre ces deux situations est tel qu’il devrait suffire à coudre les lèvres racistes qui s’exclament que « toutes les vies comptent ». On compte deux millions et demi de prisonniers aux Etats-Unis, dont de nombreux innocents, de nombreux pauvres, et de nombreux blancs. Nous n’oublions d’aucune manière le prolétariat blanc, mais dans un pays qui compte environ 13% de noir.es dans sa population civile et 40% de noir.es dans sa population carcérale, les efforts de manipulation psychologique qu’on retrouve derrière les dénonciations d’un prétendu « racisme inversé » ou du fameux « all lives matter » sont systématiquement invalidés par les chiffres.

Ce qu’on appelle à tort « racisme inversé » est en réalité une frustration légitime à l’égard d’un segment de la population qui détient le pouvoir en vertu de la souffrance d’un autre groupe. Rien n’empêche d’être blanc.he et de mépriser ce que signifie la blanchité dans le monde actuel.

Dans des situations émeutières antérieures, comme à Los Angeles en 1992, on avait pu voir des personnes blanches être attaquées simplement parce qu’elles étaient blanches. Bien qu’elles furent minoritaires et entourées d’évènements autrement plus inspirants, ces attaques constituaient une issue regrettable à une situation explosive. De tels faits n’ont pas été observés dans le soulèvement actuel. Ce dernier a été remarquablement hétérogène depuis le premier jour dans toutes ses modalités d’expressions, et malgré le fait qu’il ait rassemblé des millions de personnes il n’a donné lieu à aucune occurrence sérieuse de violence interraciale. Au contraire, et malgré des désaccords individuels portant sur la stratégie, les tactiques ou les cadres de référence politique, on a pu observer un sens phénoménal d’unité parmi les militant.es – du moins jusqu’à ce que les faux leaders ne s’en mêlent. Les objections sérieuses aux pillages et à la violence ont émané quasi-exclusivement de personnes qui n’avaient pas été dans la rue, et parfois d’une frange des manifestant.es pacifiques qui remplissent désormais les rues, épris d’un discours propagé par les médias qui prétend définir le caractère d’un mouvement de protestation « légitime ». Parmi ces manifestant.es pacifiques, nombre font désormais les frais d’une violence policière généralisée, et on peut espérer que nombre se radicalisent en réaction à ces attaques. Ainsi, le système fait d’une certaine manière le travail de pédagogie qui s’impose vis-à-vis de ces personnes plus pacifiques qui rejoignent désormais les manifestations.

* De nombreuses personnes, en Europe, semblent en certaines occasions fétichiser tout ce qui ressemble de près ou de loin au Black Panther Party des origines, et particulièrement via la diffusion d’images présentant le New Black Panther Party prenant la pose en armes afin de proclamer leur solidarité vis-à-vis des luttes de la population noire. Il est important de bien noter que le New Black Panther Party n’a rien à voir avec l’ancien Black Panther Party, ni avec la Black Liberation Army. Il a été rejeté par presque tou.tes les survivant.es du Black Panther Party des origines et de la Black Liberation Army, y compris celles et ceux qui sont encore incarcéré.es pour leurs actions. Le New Black Panther Party est une organisation vicieusement autoritaire, antisémite, ségrégationniste, et homophobe. Ses membres arborent des armes qui ont toutes été achetées légalement aux Etats-Unis.

Comment les anarchistes américains trouvent-ils de la solidarité auprès de personnes qui ne sont pas formellement anarchistes elles-même ?

Nous ne sommes pas assez nombreux.ses pour fonctionner de manière autarcique. Par ailleurs, la sincérité de la rage et la passion pour liberté qui découlent de l’expérience peuvent peser bien plus lourd que la prétendue « lumière » dérivée de la compréhension théorique. En outre, nous vivons dans une société intensément hétérogène, et nous devons faire l’effort de nous émanciper de la pensée insulaire qui caractérise l’organisation anarchiste classique.

Aux Etats-Unis, il nous est nécessaire de nous adapter aux circonstances et de nous forcer à nous concentrer sur des éléments plus profonds de tension et de mécontentement qui outrepassent les identités politiques superficielles.

La solidarité, nous la trouvons en nous dressant horizontalement au côté de l’expérience du mécontentement. Quand la résistance s’embrase dans les rues, nous cherchons à en faire partie. Les anarchistes américains cherchent une solidarité qui s’organise autour d’un ennemi commun et de frustrations communes. Peut-être que celles et ceux aux côtés de qui nous cherchons à combattre ne récitent pas la même rhétorique ou ne se réclament pas de la même idéologie; mais notre priorité, c’est de tendre la main aux personnes qui partagent notre fureur vis-à-vis de ce système, et qui agissent en conséquence.

 

Les pillages sont-ils perçus comme des actes révolutionnaires ? Vous-même, les défendez-vous politiquement ? Que pensez-vous des prises de positions libérales quant à la question éthique qui sous-tend ces pillages ?

Je n’ai aucun problème avec les pillages; et je n’ai aucun respect pour la « moralité » qui constitue le socle de la société capitaliste. Prendre position contre les pillages implique d’être en paix avec le status quo, lequel permet de se procurer des produits de manière « appropriée ».

Permettez-moi cette analogie: les New-Yorkais.es fortuné.es ont pillé les magasins de la ville entière afin d’être préparé.es au confinement et à la quarantaine à l’approche de l’épidémie de coronavirus. En règle générale, on ne trouvait plus les biens requis pour pouvoir endurer la quarantaine que de manière aléatoire dans les petites boutiques des quartiers les plus pauvres. La plupart des prolétaires sont incapables d’acheter en gros, puisqu’ielles vivent en permanence dans l’attente du prochain salaire et que la notion d’investissement, même à très court terme, est hors de question au vu de leur situation financière.

Les magasins new-yorkais ont été vidés de leurs stocks de papier toilette, de désinfectant, d’équipement de protection personnelle, de nourriture, et de tout ce que les riches ont pu se procurer. Les riches ont pillé les magasins en toute légalité, et ils ont accaparé la sécurité. Ils l’ont fait selon leurs règles propres: ces mêmes règles qui définissent le pouvoir d’achat dans le capitalisme. Les règles qui calculent et qui délèguent la souffrance.

Le pillage est un acte qui défie ces règles. C’est un acte qui révèle leur fragilité, alors que la police et le système judiciaire existent pour les maintenir et les faire appliquer.

Aucun des produits que l’on pourrait mettre au crédit du capitalisme mondial ne pèse bien lourd quand on le compare avec la souffrance quotidienne dont les racines remontent à l’esclavage institutionnalisé. Dénoncer les pillages dans le contexte d’une insurrection sociale, c’est louer la notion de l’achat telle que l’a définie la moralité putride de la classe dirigeante.

Dans le contexte d’un soulèvement social, le pillage menace dans la plupart des cas la réification de l’achat « sacré », brisant en profondeur les barrières qu’on nous a conditionné à nous représenter entre la pauvreté et la vie. Toutefois, les pillages et la violence sociale d’une insurrection ne sont pas toujours irréprochables. A Minneapolis par exemple, on a pu voir incendier des petits commerces qui n’étaient clairement pas des cibles aussi prioritaires que d’autres. Comme l’a écrit Alfredo Bonanno, l’insurrection est « un coup de patte de tigre, qui déchire et ne distingue rien. Il est évident qu’une minorité organisée n’est pas le peuple insurgé. Alors, elle distingue. Il est nécessaire qu’elle distingue ».

Pour moi, prendre position contre les pillages (particulièrement si ceux-ci ciblent des grandes enseignes et des biens de consommation exclusifs), c’est défendre le concept d’achat. C’est une voix qui émane d’une position de privilège – le privilège de n’être pas désespéré. Elle émane également d’une position soucieuse du jugement des inclus.es et des profiteur.euses de cette société.

Les pillages peuvent être beaux et tristes, tout à la fois. J’entends également les préoccupations de certain.es quant à la part matérialiste de certaines formes de pillage, mais je ne pense pas que cela suffise à désamorcer les implications révolutionnaires plus larges de cet acte. Cela m’attriste de voir un petit commerce appartenant à une famille en galère être aspiré dans le vortex rageur qu’est une émeute, mais je prends plaisir à voir des personnes pauvres afficher les symboles esthétiques des riches et faire leur course chez Wal-Mart sans portefeuille.

En tant qu’anarchiste, je dispose d’une voix qui a un champ limité dans le monde de la politique, et je refuse d’envisager ne serait-ce qu’une seconde de l’utiliser à dénoncer un soulèvement parce qu’il générerait des pillages.

Il existe de nombreuses voix, à droite et dans les sphères du pouvoir, qui croient en la sacralité de l’achat et qui utilisent une telle croyance pour démoniser, diviser et fragiliser une insurrection. Il existe des voix grassement rémunérées préservées par notre société afin de soutenir cette même normalité génocidaire contre laquelle les insurgé.es d’aujourd’hui s’élèvent. Si vous utilisez votre voix pour fragiliser ou salir des gestes de rébellion ou d’autodétermination, vous ne pouvez en aucun cas affirmer sincèrement être complice d’un soulèvement. Les puissant.es qui protègent le status quo vont utiliser leur appareil médiatique pour diaboliser ou diviser l’insurrection – quiconque prétend participer à l’insurrection ne devrait en aucun cas faire de telles choses.

Si le pillage vous pose un problème moral, il est peut-être urgent que vous interrogiez votre propre affirmation de soutien à un soulèvement qui s’oppose au suprématisme blanc, au capitalisme, et à l’état; parce que vous défendez une logique qui récompense le pillage institutionnel, la domination et l’exploitation, et qui entend punir ou se prévenir contre tout effort de vengeance ou d’auto-préservation émanant des classes populaires.

Dès 1965, une défense éloquente des pillages dans le contexte d’un soulèvement noir avait été énoncée par les situationnistes. Elle demeure d’une actualité intacte:

 » Le pillage du quartier de Watts fût la matérialisation la plus directe de ce principe déformé: « à chacun selon ses faux besoins » – des besoins déterminés et produits par le système économique auquel s’oppose justement l’acte de piller en tant que tel. Mais dès lors que l’abondance tant vantée est prise pour argent comptant et saisie directement plutôt que d’être poursuivie sans relâche dans la course de hamsters du travail aliéné et des besoins sociaux en hausse permanente, les désirs réels commencent à s’exprimer dans le cadre d’une célébration festive, d’une affirmation de soi joueuse, de la frénésie destructrice.

Le pillage est une réaction naturelle à la société artificielle et inhumaine de l’abondance des marchandises. Cette réaction déconstruit la valeur de la marchandise en tant que tel, et expose du même coup ce que les marchandises supposent en dernier recours: l’armée, la police et les autres détachements du monopole étatique de la violence armée. Qu’est-ce qu’un policier ? Rien d’autre qu’un serviteur actif des marchandises, un homme totalement soumis aux marchandises, dont l’emploi consiste à garantir qu’un produit donné du travail humain ne reste qu’une marchandise, dotée de la propriété magique de devoir être achetée, plutôt que de n’être qu’un simple frigidaire ou un simple fusil – un objet passif, inanimé, asujetti à quiconque vient s’en servir. En faisant fi de l’humiliation d’être asujetti à la police, les noir.es rejettent du même l’humiliation qui les asujettit à la marchandise ».

– L’Internationale Situationniste, « Le Déclin et la Chute de l’Economie Spectaculaire Marchande », 1965.

Pourquoi entend-on tellement de théories complotistes portant sur cette mobilisation, ainsi que la dénonciation récurrente de prétendues « agitateurs extérieurs » ?

Les Etats-Unis sont un pays étrange. La prévalence des théories complotistes y est alarmante. Des gens qui sont en outre bien souvent en faveur du status quo croient dur comme fer à des théories vraiment impensables, ici. On peut y voir un indicateur du déclin brutal des Etats-Unis en tant que puissance. La population est désormais si phénoménalement mal-informée qu’elle ignore bien souvent les faits les plus basiques. On y trouve par exemple un nombre considérable (et en pleine croissance) de personnes qui pensent que le réchauffement climatique est un mythe, que les antifascistes sont financé.es par George Soros, et que la Terre est plate.

Par ailleurs, les gens sont tellement aliénés par leur rapport obsessif à leurs appareils électroniques qu’ielles ont du mal croire sincèrement en une quelconque réalité. Dès qu’il se produit quelque chose, iells sont pléthores à crier au trucage. L’Etat comprend bien comment profiter de cette situation. Des manifestations ont eu lieu dans plus de 150 villes; et pourtant, le gouvernement a pu prétendre que des agitateurs extérieurs ont été à l’origine des révoltes partout, bien que cela soit complètement incohérent. C’est la ligne de conduite historique de l’Etat face aux mouvements de libération afro-américains. Il y a un fondement raciste, là-dedans: l’Etat veut faire croire que la communauté noire est incapable d’accomplir quoi que ce soit sans l’assistance des blanc.hes. D’autre part, accuser des éléments « étrangers » permet à l’Etat de contester la légitimité d’un mouvement.

A l’issue des deux guerres mondiales, le FBI a mené des campagnes de terreur sans merci visant à éradiquer la gauche, les anarchistes, et tout ceux qui s’opposaient à l’ordre établi. Les générations suivantes ont donc été massivement apolitiques, avec un spectre politique bipolaire qui allait du parti démocrate au parti républicain. Les périodes de renouveau politique sont apparues de manière sporadique au cours de cette séquence, avec le mouvement anti-guerre dans les années 60, les groupuscules de lutte armée dans les années 70, le mouvement anti-mondialisation dans les années 90, et ainsi de suite: mais la plupart des américain.es ne sont pas éduqué.es à la politique comme on peut l’être dans le reste du monde. En règle générale, on nous apprend à nous positionner parmi différentes nuances de droite, avec une marge de manoeuvre sur le plan culturel, où l’on retrouve une frange « libérale » ou progressiste et une frange conservatrice. Pour l’essentiel, les gens se laissent aspirer par des discours politiques livrés clés-en-main et qui ne remettent pas en question grand chose. Dans cette perspective, on ne peut pas vraiment s’étonner de la fascination que suscitent les thèses complotistes, lesquelles participent malheureusement à maintenir les individu.es dans des situations d’isolation et de distraction, trop occupé.es à observer les arbres qui cachent la forêt.

En Europe, ce genre de manifestations émeutières ont souvent lieu dans des contextes marqués par des grèves massives. Existe-t-il des syndicats assez puissants en ce moment pour déclencher de telles grèves ?

Les syndicats américains ont généralement été dévoyés par une mentalité de droite qui leur a fait perdre toute ressemblance avec les organisations radicales qu’ils ont été. Bien sûr, des grèves sauvages dans le secteur des transports pourrait sérieusement fragiliser le pouvoir en place; mais il ne faut pas oublier que le pays était déjà dans une sorte de veille assez irréelle du fait de la quarantaine. Très peu d’employé.es se rendaient sur leurs lieux de travail, et n’était mobilisée que les segments essentiels de l’infrastructure nationale.

On a bien pu assister à des gestes de solidarité, à l’image de ces chauffeur.euses de bus qui ont refusé tout net de conduire les manifestant.es arrêté.es en prison. Mais dans l’ensemble, il faut avoir à l’esprit que les syndicats et les grèves sauvages sont des phénomènes isolés aux Etats-Unis. Dans une économie de consommation où la plupart des industries ont été automatisées, les quelques tâches manuelles restantes sont généralement effectuées par les immigré.es les plus violemment exploité.es; et dans le cas où elles seraient encore effectuées par des travailleur.euses syndiqué.es, elles seraient sûrement en passe de se voir délocaliser vers un pays dans lequel le coût du travail est plus bas. En revanche, il s’est passé une chose remarquable dans la séquence qui a précédé cette insurrection: une grève massive et coordonnée des loyers, en réponse à l’explosion du nombre de chômeur.euses, au cours de laquelle se sont développés des réseaux d’aide mutuelle gigantesques à travers tout le pays. Dans le paysage économique complexe des Etats-Unis, les grèves se construisent plus efficacement au niveau social et interpersonnel que par l’action syndicale bureaucratique.

Les déclarations de Trump qui annoncent la requalification policière des groupes anti-fascistes et anarchistes en tant qu’organisations « terroristes » vont-elles générer une aggravation de la répression ? De quelles formes de soutien pourriez-vous avoir besoin dès aujourd’hui ou dans un futur proche ?

Il est probable que la menace de définir les antifas et les anarchistes comme des terroristes s’accompagne d’un durcissement de la répression. De bien des manières, c’est un aveu de faiblesse politique, et de désespoir. Trump, Barr et toute leur clique de clowns ne s’imaginent pas sincèrement que les anarchistes seraient les seul.es responsables de ces révoltes. Mais ils ne vont pas déclarer: « nous avons assassiné et détruit les communautés afro-américaines depuis des décennies, et elles se sont justement soulevées contre l’injustice ». Dès lors, il leur faut un bouc émissaire.

L’Etat et les médias cherchent désespérément à reprendre le contrôle sur la production du récit du soulèvement, et à en détourner le sens afin de jouer sur l’opinion. Mais il s’avère très difficile de « récupérer » une insurrection décentralisée, spontanée et organique sans mettre en scène un épouvantail imaginaire qu’on pourrait charger de tous les maux. Cette réaction ne nous étonne pas outre mesure; d’ailleurs, ce n’est pas la première fois que les anarchistes sont élevés au rang d’ennemis prioritaires, dans ce pays.

Il est dès lors très probable que le mouvement soit pris pour cible. Mais nous n’avons pas peur, et personne n’est surpris. Nous avons tous.tes pris conscience de ce que les Etats-Unis sont faibles, et ne tiennent que par la terreur d’Etat. L’emprise d’un régime s’amoindrit quand les gens cessent de le craindre. La plus grande solidarité que nous pourrions demander consisterait à ce que les attaques contre les Etats-Unis ne cessent nulle part. Continuez à attaquer, jusqu’à ce que cet empire en lambeaux ne soit plus qu’un mauvais souvenir.

On sait avec certitude que plus de dix mille arrestations ont déjà eu lieu. On sait également que sont actuellement déployés non seulement les forces de police locales, mais aussi des agent.es du FBI, de l’ICE (Service des Douanes et de l’Immigration) et d’autres agences étatiques; et que tou.tes participent à la surveillance, à la traque et aux interrogatoires des manifestant.es interpellé.es. Certaines personnes sont d’ores et déjà sous le coup de longues peines de prison ferme pour avoir balancé des cocktails molotovs mal préparés: ielles ont été inculpé.es pour tentative d’homicide. Même avant que tout cela ne commence, on avait déjà vu un camarade prendre plus de dix ans de taule pour avoir lancé un cocktail dysfonctionnel sur un bâtiment fédéral.

La réaction de Trump qui se targue de restaurer « la loi et l’ordre » annonce une campagne de répression étatique contre-révolutionnaire aussi inouïe dans ses proportions que l’insurrection qui a embrasé les rues américaines. Malheureusement, les médias et les activistes sociaux-démocrates ont participé à cette campagne de désinformation ciblant les anarchistes et les antifascistes, en prétendant par exemple que la violence avait été le fait de provocateurs.rices blanc.hes. Parmi les choses les plus répugnantes qu’on a pu observer depuis l’apparition des groupes réformistes qui cherchent à s’accaparer la situation, on peut notamment citer les cas d’activistes dénonçant des émeutier.es présumé.es sur les réseaux sociaux ou allant même jusqu’à restreindre physiquement des « casseur.euses » pour les remettre à la police.

Plutôt que de voir de la solidarité dans les actes des anarchistes et des antifascistes qui participent de manière décentralisée aux émeutes, de nombreuses voix s’élèvent pour remettre en question la légitimité des affrontements avec la police en évoquant « l’opportunisme politique des agitateur.rices blanc.hes ». Parmi elles, on entend notamment les défenseur.euses privilégié.es du politiquement correct, ainsi que les « leaders » sociaux-démocrates afro-américains qui cherchent à s’attirer les faveurs de la majorité blanche. Non seulement ces accusations absurdes font écho à d’autres thèses complotistes émanant de ces groupes sociaux, mais de surcroît il est évident que les anarchistes et les antifascistes ont joué un rôle considérablement moindre dans ce front de résistance violente par rapport à d’autres populations non-blanches et prolétaires politisées de manière plus informelle mais qui ne pouvaient plus composer avec la misère quotidenne qu’on trouve aux Etats-Unis. En tant qu’anarchistes, nous rejetons en revanche tout discours nous accusant d’avoir tenté de faire de la « récupération » vis-à-vis des luttes afro-américaines. Nous serons systématiquement les complices de toute insurrection visant à mettre à mal le suprématisme blanc, plutôt que des « allié.es » qui « font leur part » bien au chaud devant leurs écrans ou dans les isoloirs.

Il se passe tellement de choses, ces jours-ci, et cela donne si peu l’impression que cela va s’arrêter, qu’il serait aisé de se laisser submerger par ce trop-plein d’information. Nous avons donc choisi d’inclure, avec ce texte, une liste de caisses de soutien, de groupes d’anti-répression, et de médias fiables racontant l’insurrection au jour le jour.

 

Bail Funds – Compilation de caisses de soutien pour les inculpé.es et de groupes d’entraide créés dans le cadre de l’insurrection actuelle.

Abolition Media Worldwide

Revolutionary Abolitionist Movement (RAM)

NYC Anarchist Black Cross

It’s Going Down

Le monument raciste de John A. Macdonald vandalisé avec de la peinture

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Juin 172020
 

Soumission anonyme à MTL Contre-info

À Montréal, le 15 juin 2020. – Hier soir, lors d’une action post-fête de la Reine et avant la fête du Canada, le monument Macdonald de la Place du Canada a été aspergé de peinture mauve par des vandales anticoloniaux.

Des photos de la statue vandalisée sont disponibles ici https://postimg.cc/gallery/XY4WtR4

Les vandales anticoloniaux ont pratiqué la distanciation physique en portant des masques et en se lavant les mains avant et après l’action.

Selon Seamus Grewal, l’un des vandales : « Le monument Macdonald est l’équivalent canadien d’une statue de confédérés aux États-Unis. Il représente un symbole fort du colonialisme et de l’assujettissement des peuples autochtones. Cette statue célèbre un individu dont les politiques sont directement responsables du génocide des peuples autochtones au Canada et de la célébration de la suprématie blanche en général. »

Grewal ajoute: « Le monument Macdonald doit être immédiatement retiré et placé dans un musée où l’on y explique le contexte historique approprié en ce qui concerne le racisme et le colonialisme sous-jacent. Il ne faut en aucun cas que ce monument continue de célébrer ce personnage dans un espace public majeur de Montréal ».

L’attaque de la nuit dernière contre le monument de Macdonald (1895) est, au moins, la quinzième attaque de peinture contre la statue au cours des trois dernières années. Cette plus récente action se produit alors que de nombreuses statues coloniales et racistes sont ciblées par du vandalisme ou encore tout simplement déboulonnées dans le monde entier. En continuité du mouvement Black Lives Matter, des statues racistes et coloniales ont été renversées, décapitées et autrement attaquées au cours des deux dernières semaines partout aux États-Unis et ailleurs dans le monde. Au-delà de ces actions directes fortes inspirantes, de nombreux élu.es ont aussi ordonné de manière proactive le retrait des statues de nature raciste à l’intérieur de leur juridiction.

Pendant ce temps à Montréal, la Mairesse Valérie Plante refuse de retirer la statue raciste. Du moins, c’est ce qu’elle a affirmé lors d’une allocution publique la semaine dernière en voulant répondre à une pétition de plus de 15 000 signataires exigeant son retrait.

En réaction à la Mairesse Plante, Siobhan Dosanjh, une autre vandale, répond: « En comparaison à d’autres autorités publiques à travers l’Amérique du Nord, la Mairesse Plante se compromet souvent face aux questions qui concernent le racisme et le colonialisme. Lorsqu’il est temps de s’attaquer collectivement au racisme en proposant des changements structurels significatifs, la Mairesse, quant à elle, s’improvise antiraciste et utilise des discours creux pour détourner l’attention du réel travail qui doit se faire ».

Dosanjh ajoute : « De son opposition pour réduire le financement de la police, à ses réponses apathiques envers l’islamophobie, à son refus de soutenir le retrait d’un monument offensant pour les peuples autochtones ainsi que pour le Montréalais non-blancs, la Mairesse Plante n’a jamais manqué une occasion d’échouer à s’engager de façon significative contre le racisme. »

La Mairesse Plante a proposé d’installer une plaque près du monument pour contextualiser la statue de Macdonald. Le groupe #MacdonaldMustFall à Montréal suggère la formulation suivante : « John A. Macdonald était un suprémaciste blanc. Il a directement contribué au génocide des peuples autochtones avec la création du système brutal des pensionnats ainsi que d’autres mesures destinées à détruire les cultures autochtones. Il était raciste et hostile envers les groupes minoritaires non blancs au Canada et il promouvait ouvertement la préservation d’un soi-disant Canada « aryen ». Il a adopté des lois pour exclure les personnes d’origine chinoise. Il est également responsable de la pendaison du martyr métis Louis Riel. »

Seamus Grewal de #MacdonaldMustFall déclare : « Rien n’empêche la Mairesse Plante et la Ville de Montréal d’ériger une plaque contextuelle, ce qu’elle aurait dû faire il y a des années. Mais, cette mention de plaque survient au moment où un fort mouvement antiraciste ciblant les symboles du racisme et du colonialisme font rage aux États-Unis et ailleurs dans le monde. Cette annonce de la Mairesse est une stratégie pour nous distraire du vrai enjeu et c’est un lâche compromis face à ce qui devrait être un retrait complet de l’espace publique. En attendant, la peinture que nous avons pulvérisée aujourd’hui ne devrait pas être enlevée, car si c’est le cas, la statue sera presque certainement attaquée de nouveau. »

PS: Chapeau aux autres vandales anti-coloniaux qui ont récemment peint « La GRC tue des femmes et des hommes autochtones » sur le monument Macdonald.

Source : #MacdonaldMustFall Montréal

Contact : MacdonaldMustFall@riseup.net

Des Montréalais.e.s reclament le definancement de la police, de decarceration des prisons

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Juin 152020
 

Du Groupe anti-carcéral

13 Juin, Montréal. – Aujourd’hui, à midi, des centaines de Montréalais se sont rassemblés devant la prison Bordeaux pour demander le définancement de la police et la désincarcération les prisons. Des activistes noir.e.s se sont adressé.e.s à la foule au sujet des violences infligées à leur communauté par les prisons et la police. La foule affichait des bannières avec des slogans comme « La prison tue », « Black lives matter » et « Définançons la police ». Les personnes présentes ont fait du bruit afin d’exprimer leur solidaridé avec les prisonniers dans la prison de Bordeaux.

Le soulèvement créé par l’assassinat de George Floyd par la police à Minneapolis a apporté une attention nouvelle sur la violence policière au sud de la frontière coloniale (aux États-Unis). Les activistes américains ont aussi attiré l’attention du public sur l’assassinat des personnes noires dans les prisons, dont celui de Jamel Floyd, un homme noir de 35 ans qui est mort après avoir été poivré dans sa cellule dans une prison fédérale à Brooklyn.

Au “Canada”, de grandes manifestations à Toronto, à Halifax, à Montréal et dans d’autres villes ont déclenché des prises de conscience sur la longue histoire de violence et racisme au travers du complexe carcéral des prisons et de la police. Cette histoire locale était un des principaux thèmes de la manifestation à la prison de Bordeaux. Amanda Thompson, une co-organisatrice noire de manifestation expliquait: « Il y a une longue histoire de profilage contre les personnes noires à Montréal, y compris une lomgue série d’assassinats policiers de personnes noires, mais aussi de la surveillance quotidienne, du harcèlement et de l’abus contre nos communautés ».

La police de Montréal a été critiquée pour profilage racial et violences depuis des décénnies. Une série d’assassinats policiers entre 1987 et 1993 a provoqué une série de préoccupations quant à l’impunité policière, mais peu de choses ont changé dans les pratiques de la police. À l’automne 2019, une rapport a démontré que les personnes noires et autochtones à Montréal sont quatre fois plus enclines à êtres interpelées par la police que les personnes blanches. Entre 2014 et 2019, la police a assassiné cinq hommes noirs: Alain Maglore, René Gallant, Jean-Pierre Bony, Pierre Coriolan et Nicholas Gibbs.

Le racisme de la police est un des facteurs qui explique l’incarcération disproportionnée des personnes noires au Canada. Alors que les personnes noires représentent 3,5% de la population canadienne, elles constituent 7,5% des prisonniers fédéraux. Au Québec, l’information quant aux origines de prisonniers provinciaux est gardée secrète, mais les prisonniers de Bordeaux estiment que 20% des prisonniers sont noirs.

Le soulèvement mondial contre la police continue, une variété de propositions de réformes de la police sont discutées, telles qu’une meilleure formation policière et des caméras corporelles. Le message de la manifestation d’aujourd’hui, toutefois, est que les prisons et la police sont fondamentalement racistes et violentes et qu’aucune réforme à la pièce ne réussira à les transformer. Comme l’expliquait Amanda Thompson: « Quand la police tue une personne noire, ce n’est pas une erreur. C’est le système qui fonctionne comme prévu. Nous ne voulons pas de petits changements à une institution raciste, nous appelons à un définancement de la police, à la désincarcération des prisons et à un réinvestissement de ces sommes dans les communautés ».

Le bruit effectué par les manifestant.e.s était clairement entendu par les prisonnier.ères. À un certain moment, les manifestant.e.s et les prisonniers.ères se relayaient des slogans et chaque groupe faisait autant de bruit qu’il le pouvait. Afin de respecter la santé publique, les manifestant.e.s portaient des masques – des masques, de la nourriture et de l’eau étaient également distribués par les organisateurs.trices à qui en avait besoin.

Des photos de l’événement sont disponibles ici: https://bit.ly/30G467C

Les Inuit dissidents – Inuit Tungavingat Nunamini

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Juin 112020
 

De Archives Révolutionnaires

Au début des années 1970, dans la continuité du projet de « modernisation » du Québec entamé par le gouvernement de Jean Lesage, le gouvernement de Robert Bourassa veut développer de grands projets énergétiques dans le Nord du Québec. Afin de développer le potentiel hydroélectrique des grands cours d’eau qui traversent le territoire, il compte installer une série de barrages sur la Grande Rivière (qui se jette dans la Baie-James) et sur plusieurs autres rivières du Nord. La phase I du « projet de la Baie-James » prévoit la construction de trois centrales sur la Grande Rivière. Le projet nécessitera la dérivation des rivières Eastmain, Opinaca et Caniapiscau, une réduction importante du débit de dizaines de cours d’eau ainsi que la création de plusieurs réservoirs. En d’autres mots, ce projet entraînera l’inondation d’immenses territoires et la modification en profondeur de tout le Nord du Québec.

Déversoir du barrage Robert Bourassa, autrefois appelé La Grande-2.

Or, le projet, qui doit offrir un « développement économique sans précédent » aux Québécois.es, prendra place sur les territoires non-cédés des peuples Cris et Inuit notamment, ce dont le gouvernement ne semble pas se soucier. Et si techniquement le gouvernement du Québec ne peut pas développer de projets sur ces territoires sans avoir obtenu l’accord préalable des principaux concernés, les travaux débutent pourtant en 1972.

Les travaux sont interrompus dès novembre 1973, suite au jugement Malouf, fruit d’une longue procédure judiciaire de l’Association des Indiens du Québec contre le gouvernement québécois. Le jugement note que les conséquences des travaux de la Baie-James seraient fortement ressenties par les Cris, et ordonne en ce sens « de cesser, de se désister et de s’abstenir immédiatement de poursuivre les travaux, opérations et projets dans le territoire […] incluant la construction de routes, barrages, digues et des travaux connexes » ainsi que « de s’abstenir de s’ingérer de quelque façon que ce soit dans les droits des requérants, de violer leurs droits de propriété et de causer des dommages à l’environnement et aux ressources naturelles dudit territoire ». Ce n’est que partie remise et le jugement est immédiatement renversé par la Cours d’appel du Québec (jugement plus politique que juridique), ce qui entraîne la reprise des travaux.

« C’est pour leur avenir que travaillent les dissidents ». Photo : Gérald McKenzie.

Les Autochtones, Cris et Inuits, qui s’organisent de plus en plus contre le projet forcent pourtant le gouvernement à entreprendre des « négociations » avec eux. C’est de là que naîtra la Convention de la Baie James et du Nord Québécois. Mais le gouvernement entend bien mener ces négociations à sa façon. Tout d’abord, il n’accepte de négocier qu’avec deux organisations peu représentatives des peuples concernés : le Grand Council of the Crees et le Northern Quebec Inuit Association. Cette seconde organisation, en particulier, a été créée par le gouvernement fédéral dans le but de mener ces négociations. Elle désinforme les Inuits, et 30 % des Inuits se dissocient officiellement d’elle au début de 1975.

Ce sont les deux tiers de la superficie totale (approximativement les terres concernées par l’Acte d’Extension des Frontières de 1912, ci-dessous) de la province du Québec qui doivent être couverts par la Convention de la Baie James et du Nord Québécois et par celle du Nord-Est (qui sera signée en 1978 avec les Naskapis). Elle recouvrira le territoire des Inuits, celui des Cris de la Baie-James et celui des Naskapis du Nord-Est. De plus, ces conventions éteindront les titres putatifs des tiers, c’est-à-dire des groupes autochtones ayant des droits sur ces territoires mais n’ayant pas été conviés aux négociations. Il s’agit des Montagnais, des Attikameks et des Algonquins, ainsi que du groupe des Inuits dissidents de la Convention.

Les magouilles et les mensonges des gouvernements du Canada et du Québec, ainsi que de chefs autochtones et inuits peu scrupuleux, mèneront à la signature de la Convention le 11 novembre 1975. En plus d’imposer l’extinction des droits autochtones sur les territoires concernés, la Convention, qui prétend poser les fondements d’un « nouveau » contrat social entre les Blanc.hes et les autochtones du Nord, entérine la folklorisation des activités traditionnelles et la création de bureaucraties calquées sur celles de l’État colonial, mais « dirigées » par des autochtones. Cette négociation « de nation à nation » propose, en bref, la spoliation des terres autochtones, leur destruction à des fins économiques et… un « gouvernement » autochtone, dans les faits contrôlé par les colonisateur.trices.

« En considération des droits et avantages accordés aux présentes aux Cris de la Baie James et aux Inuit du Québec, les Cris de la Baie James et les Inuit du Québec cèdent, renoncent, abandonnent et transportent par les présentes toutes leurs revendications, droits, titres et intérêts autochtones, quels qu’ils soient, aux terres et dans les terres du territoire et du Québec, et le Québec et le Canada acceptent cette cession »

Dispositions générales de la Convention de la Baie James et du Nord Québécois, 2.1 « Remise des droits »

Pourtant, un groupe de dissident.es inuits bien organisé décide de mener la fronde contre les gouvernements et leur inacceptable Convention. Il.les refusent notamment catégoriquement l’extinction de leurs droits ancestraux ainsi que l’extinction comme base préalable à une négociation. L’Inuit Tungavingat Nunamini (ITN) ne met pas en place les mesures convenues dans la Convention, valorise les formes d’organisation autonomes comme les coopératives (notamment dans les villages Povungnituk, Ivujivik et Sugluk) et lance des poursuites contre tous les signataires de la Convention, y compris contre les représentants autochtones. Il.les sont appuyé.es dans leurs démarches par l’Association des Indiens du Québec et par des membres influents des peuples ignorés par les négociations.

Quelques représentants de l’ITN. Photo : Gérald McKenzie.

L’association Inuit Tungavingat Nunamini a aussi comme objectif la création d’un gouvernement réellement autonome pour les Inuits, qui garantirait les droits des Inuits, le respect et le maintien des traditions et du mode de vie inuit et dont la langue de fonctionnement officielle serait l’inuktitut. Malheureusement, ni les actions des Inuits sur le terrain ou en cours, ni les alliances entres divers peuples ne viendront à bout de la Convention de la Baie-James et du Nord Québécois. Pire, un autre traité infâme sera imposé aux Autochtones en 2002, la « Paix des Braves », nouvelle politique d’extinction des droits autochtones et d’accaparement de leurs territoires.

Nous présentons ici une déclaration de Tamusi Qumak, leader inuit de l’ITN. Cette déclaration, qui explique la lutte des Inuits dissident.es de la Baie-James apparaît dans la brochure Les Inuit dissidents à l’entente de la Baie James publiée par l’Inuit Tunganvigat Nunamini en 1982. La brochure présente les raisons du refus de l’ITN de signer la Convention et analyse comment, malgré les oppositions autochtones, le gouvernement a réussi à imposer la réalisation de son projet pharaonique. On y trouve aussi une critique virulente de la Northern Quebec Inuit Association, qui signa la Convention au nom de tous les Inuits, sans tenir compte des dissident.es ni réellement informer les Inuits du contenu de la Convention. L’entièreté de la revue de l’ITN est maintenant disponible en ligne.

1979. Les dissident.es à la Convention décident aussi de boycotter la commission scolaire Kativik, formant leurs propres écoles « volontaires ». Photo : Gérald McKenzie.

On lira avec attention l’article Mouvements politiques des Inuit, où Lisa Koperqualuk revient sur les résistances menées par les Inuit contre la Convention mais aussi pour l’autodétermination du Nunavik. Notons aussi l’excellent film Debout sur leur terre (1983), réalisé par Maurice Bulbulian en collaboration avec les militants de l’Inuit Tunganvigat Nunamini. On consultera aussi le livre critique Electric Rivers : The Story of the James Bay Project de Sean McCutcheon publié chez Black Rose Books en 1991. Surtout, on consultera le témoignage remarquable de Tamusi Qumak (1914-1993) sur l’ensemble de sa vie et sur sa lutte au sein de l’ITN : Je veux que les Inuit soient libres de nouveau. Le colonialisme du Nord y est décrit, de l’arrivé des premiers Blancs à l’assassinat des chiens de traîneaux par la SQ dans les années 1950 et à la sédentarisation forcée des Inuits, ainsi qu’à leur acculturation (partiellement réussie seulement).

« Sous l’influence d’ITN, les villages de Puvirnituq et d’Ivujivik refusèrent de reconnaître les institutions issues de la Convention (qui fut quand même signée) et obtinrent l’établissement de leurs propres écoles et services de santé. Leur dissidence ouvrit en bonne partie la voie aux négociations qui menèrent à la signature d’un accord de principe sur l’autonomie du Nunavik, en 2007. »

Louis-Jacques Dorais, préface au livre de T. Qumak

Tamusi Qumak, un des leaders d’ITN, et quelques membres de sa famille a Povungnituk. Photo : Gérald McKenzie.

 

Des piles de briques et d’autres choses pas rapport : 11 arguments contre les conspirations de manifs

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Juin 082020
 

De North Shore Counter-Info

Sur les réseaux sociaux, beaucoup de gens n’hésitent pas à propager des rumeurs et relayer des théories de complot sur le soulèvement qui se déroule actuellement au sud de la frontière. Il peut s’agir d’infos sur d’éventuelles attaques et interventions de suprémacistes blancs, ou de conspirations comme quoi les flics seraient responsables des violences perpétrées par les manifestants. Ce type de comportement en ligne est préjudiciable et sape les mouvements que vous essayez probablement de soutenir. On s’est proposé de prendre une minute pour analyser les raisons pour lesquelles nous devons collectivement repousser cette tendance.

1) Les émeutes, qui comprennent des activités telles que le lancement de briques et d’autres choses qui pourraient être qualifiées de violentes, font et ont fait partie historiquement de l’incitation au changement social. Pour le meilleur ou pour le pire, il existe une longue histoire d’émeutes aux États-Unis (et ailleurs). Parmi les exemples américains les plus populaires, citons les émeutes de Watts, celle de la cafétéria de Compton, puis Stonewall, Rodney King, et plus récemment des événements comme le soulèvement de Ferguson. Les émeutes se produisent pour de nombreuses raisons et dans des circonstances diverses, mais elles arrivent généralement (au moins en partie) lorsque rien d’autre n’a marché, quand les gens ont été ignorés et poussés à un point de rupture. Parfois, elles sont à la fois inévitables et nécessaires, et ont un rôle important à jouer dans la lutte.

2) Les émeutes, les jets de briques et autres violences ne délégitiment pas un mouvement et ne doivent pas le faire. Souvent, de tels événements sont la seule chose qui fasse en sorte que les gens moins affectés y prêtent attention – la police tue des Noirs et d’autres personnes, tout le temps, et sans qu’on y prête l’attention qu’il faudrait. Aux États-Unis, la police a tué plusieurs personnes noires depuis que la crise COVID a éclaté, comme Breonna Taylor, entre autres, et tout a continué comme si de rien n’était. Maintenant, s’il y a tant de gens qui y font attention, c’est grâce à la réaction des gens à la mort de George Floyd et à la manière dont cette réaction s’est répandue. Cette attention nouvelle est la preuve de l’efficacité de ces tactiques.

3) En lien avec les deux premiers points, la manifestation violente peut en fait aider et travailler en tandem avec la manifestation pacifique plutôt que l’amoindrir. Bien des exemples les plus courants de résistance pacifique et de leurs succès associés n’ont pas été accomplis seuls et dans le vide. Au contraire, les mouvements non violents se sont déroulés aux côtés d’autres mouvements plus militants poursuivant des objectifs similaires mais avec des stratégies et des tactiques différentes. Par exemple, on ne peut pas regarder les mouvements des droits civiques aux États-Unis et des personnalités comme Martin Luther King, sans considérer également les Black Panthers et d’autres groupes armés. Il arrive fréquemment que l’existence de groupes/événements plus militants crée un contexte dans lequel les personnes au pouvoir sont forcées de pourparler avec d’autres groupes qui semblent plus modérés en comparaison. Ce n’est pas nécessairement souhaitable et la cooptation existe réellement, mais cela fait partie de la compréhension de la lutte et de la façon dont la société évolue au fil du temps.

4) Il y a plein de théories conspirationnistes axées sur le fait qu’on retrouve des briques sur le site des manifestations, comme si c’était la seule chose à l’origine de la violence. Mais les gens utilisent toute une série de tactiques depuis le début, dont beaucoup sont beaucoup plus violentes que des simples jets de briques. Il y a des gens armés qui tirent sur la police, d’autres qui allument des incendies criminels et brûlent des bâtiments, qui font du vandalisme, du pillage et bien d’autres choses. Et la violence ne vient certainement pas seulement des manifestants antiracistes, au contraire, elle vient en grande majorité d’ailleurs. La suprématie blanche règne largement : des flics racistes tuent en toute impunité, il y a des suprémacistes blancs au pouvoir et des millions de Noirs sont enfermés derrière les barreaux, sans parler de l’intense inégalité socio-économique. Face à cette réalité, tous les moyens par lesquels ceux qui sont attaqués décident de réagir sont à la fois justes et légitimes, et il est essentiel de les soutenir plutôt que de les critiquer.

5) L’argument selon lequel les manifestations violentes et/ou conflictuelles font diminuer la violence et la répression de l’État est problématique à plusieurs égards. Déjà, il est tout simplement faux. De nombreux facteurs déterminent la réaction de l’État à une manifestation, et ce n’est pas seulement lié au fait qu’elle soit pacifique ou non. Il y a par exemple l’identité ou la situation sociale des personnes impliquées, le niveau de menace perçu pour le statu quo, le potentiel de propagation, etc. Il existe de nombreux exemples de réactions violentes de l’État à des manifestations totalement pacifiques, et ce n’est pas quelque chose qui relève du contrôle de ceux qui ripostent. La capacité de l’État à recourir à la violence est une réalité politique : ce mouvement a bénéficié d’un large soutien, et cela a eu plus d’impact sur la retenue de la police que les tactiques choisies par les manifestants. Soutenir les manifestants, plutôt que de délégitimer la résistance, contribue davantage à assurer la sécurité des gens.

6) En outre, l’argument selon lequel les manifestations conflictuelles provoquent une violence étatique transfère le blâme des responsables et de ceux qui devraient rendre des comptes (à savoir ceux qui agissent pour réprimer violemment un mouvement) aux personnes qui, dans ce cas, luttent pour leur survie face à une violence structurelle intense et quotidienne. En d’autres termes, si une femme se trouvant dans une relation de violence physique décidait un jour de se défendre, et était sévèrement battue ou tuée par son partenaire, c’est bien celui-ci, et non la femme, qui devrait être tenu pour responsable. Il en va de même ici : c’est l’État et la suprématie blanche qu’il faut blâmer, et non celles et ceux qui se défendent.

7) Les agents provocateurs, les agents infiltrés et les autres agents de l’État existent bien, mais là n’est pas la question. Mettre l’accent sur cela détourne l’attention d’autres choses plus importantes et crée différents problèmes. Cela contribue à soutenir et à promouvoir des théories du complot qui dépouillent les Noirs de leur agentivité, éradiquent leurs expériences et leurs actions et donnent beaucoup trop d’espace et de crédit à la police. Bien sûr, les agents de l’État peuvent inciter à la violence et peut-être apporter et/ou ramasser des projectiles, les flics font toutes sortes de trucs bizarres et essaient toujours de piéger les gens. Mais cela n’a pas vraiment d’importance, car la grande majorité de celles et ceux qui lancent des briques et se livrent à d’autres activités de confrontation ne sont pas des policiers. La police ne déclenche pas d’émeutes et elle ne les entretient certainement pas, ce sont les gens le font et pour de bonnes raisons.

8) Sur la base de ce qui précède, non seulement il est faux d’attribuer ce type d’activités exclusivement à des agents de l’État, mais cela est également préjudiciable et potentiellement dangereux. Cela peut faire croire que seuls les flics sont capables de faire des choses violentes ou de confronter les gens, de sorte que ceux qui le font pour leurs propres raisons sont considérés comme faisant le travail de l’État ou comme nuisant à la cause. Cela contribue à perpétuer le conflit entre les bons et les mauvais manifestants, dans lequel les activités des uns sont considérées comme intrinsèquement légitimes et celles des autres comme intrinsèquement illégitimes. Au lieu de laisser la place à une diversité de tactiques et d’approches, et de créer des opportunités pour la création de coalitions, d’actions solidaires et de travail complémentaire, cela sème des graines de la méfiance, crée des divisions et génère des conflits. C’est ce que veut l’État, et c’est l’une des stratégies centrales par laquelle il tente de perturber, de discréditer et d’entraver la résistance (COINTELPRO n’est qu’un exemple bien connu parmi d’autres). L’État ne veut pas d’émeutes, il veut que les gens se battent entre eux.

9) Au-delà de son caractère préjudiciable, il est en fait dangereux d’attribuer la violence exclusivement à des fonctionnaires de l’État. Cela met en péril la sécurité des gens d’au moins deux manières différentes. Dans le premier cas, cela peut créer une situation où des manifestants en attaquent certains des leurs, présumant (à tort) que ce sont des policiers ou qu’ils travaillent pour la police. Ainsi, si on entend une rumeur comme quoi la police incite à la violence et lance des briques, des personnes n’ayant rien à voir avec la police mais choisissant de faire de telles actions peuvent être prises pour cible et attaquées dans le feu de l’action par une foule se prenant elle-même pour la police. Faire courir ce genre de fausses rumeurs peut entraîner des blessures graves.

10) Dans le second cas, si l’on estime que quiconque s’engage dans certaines activités (qu’il s’agisse ou non d’agents de l’État) fait obstacle ou nuit à un mouvement, certaines personnes trop zélées peuvent se charger de gérer une manifestation (comme un gestionnaire de plancher) ou même de faire la police auprès d’autres manifestants. Dans de tels cas, la « police de la paix » peut tenter activement d’arrêter les actions de certaines personnes (généralement par la contrainte physique) ou, dans le pire des cas, essayer de procéder à une « arrestation citoyenne » d’un camarade manifestant et de le remettre aux flics (auquel cas il risque d’être confronté à la violence). Une vidéo particulièrement horrible a récemment circulé, dans laquelle un manifestant brisait des morceaux d’asphalte de la rue, vraisemblablement pour s’en servir comme projectiles, lorsqu’un autre groupe de manifestants l’a encerclé, l’a plaqué au sol et l’a traîné vers une file de policiers anti-émeutes.

11) La lutte pour le changement est brouillonne, compliquée, contradictoire, et parfois, oui, violente. Cela a été vrai tout au long de l’histoire des mouvements sociaux et cela le reste aujourd’hui. La violence peut donner de la puissance, elle peut être transformative, et parfois les gens n’ont pas d’autre choix. Il arrive que le monde doive brûler pour que quelque chose de nouveau puisse être construit à sa place, et il est essentiel de respecter l’autonomie des Noirs qui résistent. La lutte prend toutes sortes de formes, se présente sous de nombreux aspects différents, et implique une grande diversité d’activités. À l’heure actuelle, au lieu de spéculer ou de répandre des rumeurs, nous devrions nous concentrer sur la manière dont nous pouvons nous engager, prendre des risques et soutenir ce qui se passe, de manière réelle et matérielle, et pas seulement sur les réseaux sociaux (qui causent beaucoup plus de mal que de bien).

Perspectives d’anarchistes NoirEs et raciséEs sur la manifestation du 31 mai : 9 propositions pour la suite

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Juin 072020
 

De Contrepoints

1. Rien ne justifie la violence policière; qu’on fasse un jogging matinal, qu’on falsifie un billet de vingt ou qu’on brise les vitrines d’une bijouterie. Ce que l’état colonial détermine comme des crimes sont souvent des tentatives d’échapper à la pauvreté et aux violences systémiques ou alors le résultat de ces dernières. Nous prônons une justice réparatrice centrée sur les besoins et l’expérience des victimes, pas une justice punitive centrée sur des besoins commerciaux et étatiques. Celleux qui participent aux manifestations en reproduisant le discours de la classe dominante et en jouant à la police font le travail des oppresseurs.

2. Nous prônons la destitution de la police, car même quand elle n’assassine pas des personnes Noires et Autochtones en plein jour, elle maintient l’ordre social du capitalisme et de la suprématie blanche. Ce sont les policiers qui empêchent les personnes sans logement de dormir dans des condos vides, qui jettent à la rue les familles qui ne peuvent pas payer leur loyer exorbitant ou qui matraquent des migrantEs affaméEs cherchant un repas gratuit dans une chaîne d’épicerie possédée par des milliardaires.

3. C’est à nous et à nos communautés de développer des modes d’entraide autonomes qui rendraient la police obsolète. Ceci commence notamment par parler à nos voisinEs pour leur proposer notre assistance s’iels en ont besoin ou par apprendre et s’enseigner comment réagir quand nos proches sont aux prises avec une crise de santé mentale.

4. Le vandalisme politique gagne à être compris et la violence contre la propriété privée et matérielle est moralement justifiée face aux violences du pouvoir. Chaque vitrine représente une barrière entre nous et un monde qui nous est inaccessible. Elles représentent un paysage urbain construit pour subvenir aux besoins d’une économie qui nous empêche de nous loger et de nous nourrir décemment sans passer la majeure partie de nos journées à travailler. Les graffitis et les voitures de luxe qui brûlent marquent une interruption nécessaire de la violence normalisée et invisible du quotidien.

5. À celleux qui disent que les personnes Noires et racisées payent le prix de la révolte violente, nous répondons que nous payons le prix de chaque journée sans révolte violente. Une analyse historique des mouvements de libération témoigne de la nécessité d’un revirement de la balance de pouvoir, incarnée par la menace d’une insurrection permanente. Si nos pleurs suffisaient à ce que nos oppresseurs nous laissent vivre, nous ne sentirions plus la pression de leur genou sur notre gorge depuis bien longtemps.

6. L’écoute et l’amplification sélective des discours des personnes Noires modérées, dépolitisées ou bourgeoises est une forme de racisme insidieuse permettant aux personnes non-NoirEs de performer un role d’alliéE confortable sans mettre en péril leurs privilèges. Les personnes blanches qui se préoccupent réellement de nos vies gagneraient à lire les révolutionnaires NoirEs et à s’informer sur les idéologies anarchistes et décoloniales radicales.

7. Le discours médiatique et policier voulant que le vandalisme de dimanche soir était une aventure séparée du reste de la manifestation docile n’est pas basé dans la connaissance de nos motifs. C’est un discours stratégique visant à affaiblir nos mouvements. Leur plus grande peur, c’est de nous voir réaliser que l’insurrection n’est pas l’objet de quelques groupes spécialisés mais plutôt la manifestation d’une colère populaire — puis qu’on se sache capables de recréer le 31 mai n’importe où, n’importe quand et avec n’importe qui.

8. Le discours voulant que seuls les « anarchistes blancs » ont participé à la révolte de dimanche est insultant aux manifestantEs NoirEs, Autochtones, et raciséEs qui ont tout risqué. Quiconque a affirmé cela ne nous a probablement pas accompagné dans la rue très longtemps passés les premiers coups de feu policiers. Après les deuxièmes et troisièmes rondes de lacrymogènes, la plupart des personnes blanchEs étaient parties en laissant derrière elles une foule de manifestantEs majoritairement NoirEs à l’est et à l’ouest de Saint-Urbain. De toute façon, les complices qui se battent à nos côtés sont touTEs appréciéEs, bien plus que celleux d’entre nous qui reproduisent des comportements policiers ou qui ne cherchent qu’à keep up with the Joneses dans le monde blanc — un monde qui nous étouffe. Leur réussite est un gage de persévérance individuelle mais jamais une victoire collective. Nous nous battons pour un monde entièrement différent.

9. Finalement, quand on crie « no justice, no peace », on le pense vraiment. On veut que les personnes qui peuvent habituellement se permettre d’exister dans l’ignorance de nos souffrances soient importunées. La nuit de dimanche dernier, alors qu’on courrait au son rythmé des éclats de vitrines et des matériaux de constructions rebondissants sur l’asphalte, on a eu l’impression pour un moment qu’on n’allait pas être ignoréEs. Pas de justice? Donc pas de paix.

L’insurrection chez nous

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Juin 022020
 

Soumission anonyme à MTL Contre-info

Pour soutenir le soulèvement lié au meurtre de George Floyd par la police qui se répand dans toute l’Amérique, il faut le ramener chez nous. C’est précisément ce dont nous avons eu un aperçu dimanche à Montréal, lorsque pour la première fois depuis des années, la police a perdu le contrôle du centre-ville pendant une longue période.

Après la fin de la manifestation, une foule jeune et multiraciale a combattu la police devant le quartier général du SPVM, répliquant aux gaz lacrymogènes par des roches et des bouteilles. Les gens ont dressé des barricades et parti des feux pour ralentir les mouvements de la police. Dans les heures qui ont suivi, des centaines de manifestant.e.s ont continué à tenir la rue, tandis que des devantures de magasins volaient en éclats et qu’on réquisitionnait des marchandises de part et d’autre de Sainte-Catherine, notamment chez Birks, une bijouterie haut de gamme également attaquée au cocktail molotov.

On évitera de faire le compte-rendu détaillé de la soirée, pour répondre à une dynamique qui, selon nous, pourrait limiter notre capacité à résister et à avancer. Si la journée de dimanche a prouvé qu’un large éventail de personnes sont prêtes à se battre contre un système fondé sur le génocide et la violence permanente de la domination racialisée, il y a eu des voix parmi les plus fortes pendant et après l’action dans les rues pour s’accrocher à la «  manifestation pacifique «  comme seule forme légitime de résistance.

S’appuyant sur des rumeurs et de fausses informations, l’idée qu’il s’agit d' »agitateurs extérieurs » blancs provient de la propagande de la suprématie blanche et annihile l’agentivité des Noirs qui résistent courageusement à l’oppression par tous les moyens nécessaires. C’est un récit qui vise à diviser les mouvements et à délégitimer notre colère et notre détermination communes. Comme l’a écrit récemment un groupe d’anarchistes racisé.e.s aux États-Unis :

Les dirigeants autoproclamés ont essayé d’insinuer que ceux qui souhaitaient entrer en conflit avec la police après le meurtre de George Floyd à Minneapolis étaient « des Blancs [qui] n’avaient pas le droit d’utiliser la douleur des Noirs pour justifier leurs fantasmes d’émeute ». Comme si le vrai fantasme blanc n’était pas que des gens de couleur contrôlent leur propre comportement afin de sauver la société suprémaciste blanche de la destruction. C’est une vieille ruse qu’il faut encore une fois mettre en lumière.

Face à ces récits qui permettent à la police de garder plus facilement le contrôle et de continuer à tuer, n’hésitons pas à dire clairement que ce ne sont pas des critères de légalité ou de respectabilité sociale qui détermineront nos moyens de lutte.

Il est légitime de s’attaquer à la police, cette institution conçue et dédiée à la suppression violente de la liberté des Noirs, au vol des terres autochtones et à la défense de ceux qui s’enrichissent en nous exploitant. En agissant ainsi, et en acquérant la confiance et la capacité tactique de gagner de l’espace et du temps, nous montrons que nous n’avons pas besoin d’accepter leur emprise sur nos vies.

Il est légitime de barricader les rues et d’allumer des feux – de transformer un environnement urbain construit pour le maintien de l’ordre en quelque chose qui pourrait nous donner une chance de succès.

Il est légitime de piller les magasins, parce que tout le monde devrait avoir de belles choses, et un monde qui privilégie la propriété commerciale à la vie des Noirs continue de mettre des gens comme George Floyd et Regis Korchinski-Paquet en grave danger de mort prématurée.

Ces éléments devraient constituer le point de départ de toutes les conversations sur la manière de s’engager dans une diversité de tactiques dans les rues, conversations qui doivent également aborder les effets de nos actions sur celles et ceux avec qui nous partageons les rues, la manière de se protéger les un.e.s les autres, et l’objectif de développer une capacité de conflit en comprenant que nous ne sommes pas tou.te.s confronté.e.s au même niveau de risque.

Nombre de ceux qui surveillent les actions des autres manifestant.e.s vont jusqu’à les photographier ou les filmer en train d’attaquer la police ou des biens matériels, puis publient ces informations sur Internet pour tenter d’identifier et de remettre davantage de gens entre les mains de la police. Pour résister à cette tendance, nous voulons rappeler à toutes les personnes présentes d’intervenir directement si vous voyez du monde filmer pendant les émeutes ; dites-leur d’arrêter et, si nécessaire, empêchez-les de le faire. Et aux courageux.ses qui brisent des vitres et allument des incendies, rappelez-vous mutuellement de garder vos visages couverts.

Il y a une véritable insurrection en cours au sud de la frontière. Si le caractère unique de l’héritage sanglant du racisme aux États-Unis donne à la rage qui y bouillonne un certain ancrage géographique, l’antagonisme envers la police est indéniablement universel, et le racisme anti-Noirs est profondément ancré dans l’histoire du Québec et du Canada. Allons-nous faire face à ce moment historique pour trouver des moyens significatifs de nous engager et de propager la révolte, ou nous réduirons-nous à des manifestations scénarisées de « solidarité » superficielle ? Le temps est venu de ramener le soulèvement chez nous.

États-Unis: Un commissariat de police incendié à Minneapolis alors que des bâtiments gouvernementaux sont pris d’assaut et que des émeutes se propagent en solidarité avec le soulèvement

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Mai 292020
 

Manifestation de solidarité à Montréal
Dimanche le 31 mai à 17h
Quartier général du SPVM (1441 St-Urbain)
Évènement Facebook

De It’s Going Down

Au cours des deux derniers jours, les émeutes, les pillages et les affrontements avec la police se sont intensifiés à Minneapolis, à la suite du meurtre de George Lloyd par la police lundi dernier. Mercredi, un manifestant a été tué par balle. Jeudi après-midi, les procureurs du comté ont déclaré qu’ils ne poursuivraient pas l’inculpation des officiers impliqués dans sa mort pour le moment, ce qui ne fait qu’ajouter à la colère croissante dans les rues.

Les émeutes et les pillages ont continué à se répandre comme la veille – dans des quartiers éloignés de l’épicentre initial, puis dans le quartier voisin de Saint-Paul. Jeudi, alors que la fumée s’élevait encore des magasins brûlés de la société Target, des milliers de personnes sont descendues dans les rues du centre-ville de Minneapolis en solidarité avec George Floyd, alors que de nouveaux affrontements ont éclaté avec la police et que d’autres magasins ont été pillés. Des messages sur les médias sociaux montrent également que des marchandises libérées ont été distribuées dans le parking de Target, près du 3e commissariat de police, qui est devenu de facto l’épicentre des émeutes.

Au cours de l’après-midi, les gens se sont rassemblés à l’extérieur du commissariat, tandis que les affrontements avec la police se poursuivaient. Ces batailles de rue se sont intensifiées lorsque des émeutiers ont fait irruption dans le bâtiment, forçant finalement la police à s’enfuir dans leurs véhicules. Une fois le bâtiment vide, les gens ont commencé à le piller puis à y mettre le feu. Il s’en est suivi une atmosphère de fête pendant plusieurs heures alors que le quartier brûlait.

Cette victoire sur la police, remportée par des milliers de personnes qui mènent quotidiennement une action soutenue face aux violences policières massives, principalement des jeunes zoomers et des milléniaux, représente un moment historique. Comme l’expriment les heures d’entrevues menées par Unicorn Riot sur le terrain en plein soulèvement, la révolte ne vient pas de la gauche militante, ni des « progressistes » ou des « libéraux », mais plutôt de la base locale de la jeunesse prolétarienne de Minneapolis. Bien que le soulèvement ait eu un caractère très multiracial, il est généralement admis que l’ensemble du système de capitalisme racialisé anti-noir doit être détruit.

Au fur et à mesure que la nuit avançait, des manifestations de solidarité ont été lancées à travers les soi-disant États-Unis. Les anarchistes ont organisé des manifestations et des marches de solidarité à Portland et Olympia, tandis que les étudiants d’Oakland bloquaient l’entrée d’une autoroute. À Sacramento, des marches de rue ont eu lieu, tandis que des émeutes ont éclaté à Fontana, où les fenêtres de l’hôtel de ville ont été brisées. Pendant ce temps, à Los Angeles, deux jours de manifestations ont été organisés. Mercredi, des personnes ont bloqué l’autoroute 101, brisant les vitres d’une voiture de police qui a tenté de foncer sur les manifestants. Enfin, à Phoenix, les marches de rue bruyantes ont fait place à des émeutes, les gens lançant des pierres sur le département de police de Phoenix.

D’autres émeutes et affrontements avec la police ont continué à Denver, où les gens se sont battus avec la police et ont bloqué une autoroute, tandis qu’à Columbus, les émeutes dans la rue ont rapidement conduit à un vandalisme de masse du Statehouse. Des combats de rue ont également eu lieu à Louisville, au Kentucky, tandis qu’à New York, des affrontements avec la police ont donné lieu à de multiples arrestations. Dans la soirée, Trump s’est servi de Twitter pour traiter les manifestants de « voyous » et a annoncé l’arrivée de plusieurs centaines de soldats de la Garde nationale dans les rues de Minneapolis, qui, selon lui, pourraient ouvrir le feu sur des pillards.

Continuez la lecture sur It’s Going Down [en anglais] pour un compte-rendu plus complet des manifestations de solidarité et d’émeutes à travers les soi-disant États-Unis. Pour une liste des manifestations à venir, cliquez ici.