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Podcast: Le verger au complet Ep. 2 – Pourquoi abolir la police

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Mar 172021
 

De la Convergence des luttes anti-capitalistes

La Convergence des luttes anticapitalistes (CLAC) publie aujourd’hui le deuxième épisode d’une série de podcasts nommée Le Verger au complet. Le Verger au complet vise la diffusion d’information relative à l’abolition de la police et des prisons, mais proposera aussi des épisodes portant sur des thématiques plus précises telles que la justice transformatrice, les prisons de migrant.e.s, la criminalisation de la dissidence et plusieurs autres.

Dans ce deuxième épisode, on vous partage une entrevue avec une personne impliquée avec le Collectif opposé à la brutalité policière (COBP), collectif notamment à l’origine de la manifestation annuelle du 15 mars — qui arrive à grands pas!!! — ayant cette année comme thème l’abolition de la police. Depuis 25 ans cette année, le COBP offre un soutient aux victimes de brutalité policière, informe sur les droits des personnes face à la police et dénonce toutes les formes de violence policière. Voici où le trouver : https://www.clac-montreal.net/fr/node/769. La version qui s’y trouve est en format mp3.

Vous aimez ce deuxième épisode du Verger au complet et souhaitez le partager? Toute diffusion sera extrêmement appréciée!

Si vous l’avez manqué, on vous suggère aussi d’écouter notre premier épisode: HIS-1312 – Introduction et histoire de la police (https://www.clac-montreal.net/fr/node/763).

En grève du travail du sexe contre les violences

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Mar 142021
 

De la revue Ouvrage

Entretien avec Cari Mitchell du English Collective of Prostitutes

Par CATS – Comité autonome du travail du sexe à Montréal, un projet d’organisation politique autonome de travailleuse·eur·s du sexe basé à Montréal ayant pour but de revendiquer la décriminalisation du travail du sexe et plus largement, de meilleures conditions de travail dans l’industrie du sexe.

Cari Mitchell est une ancienne travailleuse du sexe et membre de l’English Collective of Prostitutes (ECP), un réseau de travailleuses du sexe au Royaume-Uni qui travaillent autant dans la rue que derrière des portes closes et qui revendiquent la décriminalisation de leur travail et une plus grande sécurité.

En l’an 2000, l’English Collective of Prostitutes (ECP) a organisé une grève du travail du sexe qui s’inscrivait dans le cadre de la grève mondiale des femmes à l’occasion de la Journée internationale des femmes. La Global Women’s Strike est une campagne internationale destinée aux organisations qui souhaitent mettre en avant le travail essentiel effectué par les femmes, qu’il soit non rémunéré ou sous-payé. Une grève du travail du sexe a été organisée à nouveau le 8 mars en 2014 et 2019 avec d’autres organisations de travailleuses du sexe. Les militantes du CATS (Comité autonome du travail du sexe à Montréal) ont demandé à Cari Mitchell de partager son expérience en tant que coorganisatrice de la grève.

CATS: Votre collectif existe depuis de nombreuses années et a adopté plusieurs stratégies politiques pour obtenir des droits pour les travailleuses du sexe. Comment la grève est-elle apparue comme une tactique pour obtenir la décriminalisation du travail du sexe ?

C.M.: Le collectif a commencé ses activités en 1975 et a été créé par des travailleuses du sexe immigrantes. Dès le début, nous avons demandé l’abolition des lois sur la prostitution et que de l’argent du gouvernement soit remis directement aux femmes pour que nous puissions arrêter le travail du sexe, si et quand nous le voulions. C’était et c’est encore surtout des femmes qui font le travail du sexe, surtout des mères et particulièrement des mères monoparentales qui font de leur mieux pour soutenir leur famille. Dans le ECP, nous nous battons également dans des affaires juridiques contre des charges comme le flânage, la sollicitation et la tenue de maisons closes. Peu importe ce pour quoi les gens viennent nous voir, nous les aidons. Nous sommes une organisation de différentes nationalités, races, âges, orientation sexuelle et genre.

Nous nous organisons également avec d’autres organisations. Nous faisons également partie de la Global Women’s Strike et de la campagne «Care Income Now». Comme les autres femmes, nous voulons que le travail de donner naissance et d’élever la prochaine génération soit pris en compte, valorisé et rémunéré. En tant que travailleuses du sexe, nous savons qu’avec cet argent pour le travail que nous faisons déjà, la plupart d’entre nous n’auraient jamais eu à se lancer dans le travail du sexe. Nous souhaitons que les personnes dénonçant le nombre de femmes qui se prostituent à cause de la pauvreté et du manque d’alternatives économiques fassent plutôt pression sur le gouvernement pour que celles-ci obtiennent de l’argent.

Nous sommes basées au Crossroads Women’s Centre à Londres et nous travaillons de près avec Women Against Rape, une organisation anti-raciste et contre les violences faites aux femmes. Nous travaillons aussi avec des organisations pour les personnes en situation de handicap – un certain nombre de femmes dans notre organisation ont un handicap ou ont un enfant ayant un handicap; elles travaillent pour couvrir les coûts associés à celui-ci. La Queer Strike, qui fait partie du mouvement LGBTQ au Royaume-Uni, est également une alliée, tout comme Support, Not Separation qui se bat pour que les enfants ne soient plus enlevés de leur mère – ce qui arrive dans une proportion effrayante, l’excuse étant de retirer les enfants de situations de pauvreté ou de violence conjugale. C’est très choquant. Nous connaissons plusieurs travailleuses du sexe qui ont commencé ce travail seulement pour nourrir leurs enfants, et qui après se les sont fait retirés par les services sociaux sous prétexte qu’elles n’étaient pas aptes à être mères.

Nous disposons également d’un réseau international, nous apprenons donc de toutes les expériences de ces groupes. Nous avons une organisation sœur à San Francisco, US PROS (The US PROStitutes Collective), ainsi qu’en Thaïlande, EMPOWER, qui est actuellement engagée dans une lutte massive pour la justice dans ce pays.

Nous faisons campagne pour la décriminalisation comme cela a été fait en Nouvelle-Zélande en 2003, un modèle qui a démontré pouvoir améliorer la santé et la sécurité des travailleuses du sexe. Cette loi enlève le sexe consentant du Code criminel ce qui veut dire que la police doit prioriser la sécurité plutôt que la poursuite criminelle.

Il y a une longue histoire de femmes qui se mettent en grève pour demander la reconnaissance de leur travail gratuit et sous-payé. En 1975, les femmes d’Islande se sont mises en grève et tout le pays était complètement paralysé. C’était fantastique! Il y a des photos de milliers de femmes dans la rue. Alors que les femmes étaient en grève, les présentateurs de nouvelles devaient avoir leurs enfants avec eux en studio. Ils devaient s’occuper de leurs enfants pendant qu’ils présentaient les nouvelles sur les femmes en grève!

Ainsi, nous avons toujours su que l’arrêt de notre travail est une façon d’attirer l’attention, de soulever les enjeux qui doivent être soulevés. Lors de la Journée internationale des femmes en 2000, la Global Women’s Strike organisait une grève des femmes dans plusieurs pays pour demander aux gouvernements de reconnaître et valoriser tout le travail gratuit que les femmes font. Les statistiques de l’ONU à l’époque montraient que les femmes faisaient les deux tiers du travail contre seulement 5% du revenu et 1% des avoirs totaux. À cette époque, nous travaillions déjà depuis quelque temps avec des travailleuses du sexe à Soho, quartier de Londres, qui est l’une des zones de red light les plus connues du pays. Les travailleuses du sexe qui y travaillent faisaient partie de notre réseau depuis plusieurs décennies et nous avons fait plusieurs campagnes avec elles contre le conseil local de Westminster qui fermait les appartements où les femmes travaillaient pour gentrifier le quartier. Les nombreuses travailleuses du sexe migrantes dans ce secteur étaient ciblées par la police qui les évinçaient, les arrêtaient et les déportaient, en utilisant l’excuse de les sauver du trafic sexuel. En discutant avec elles, les travailleuses du sexe de Soho nous ont exprimé l’intérêt de se joindre à la grève à l’occasion de la Journée internationale des femmes. À cette époque, les femmes travaillaient surtout dans des appartements, où les clients viennent frapper à la porte et attendent pour rentrer. Le jour de la grève, ces appartements étaient fermés, et les travailleuses du sexe de Soho se sont jointes à celles de plusieurs autres endroits, qui travaillaient de différentes façons. Nous nous sommes toutes jointes à la Global Women’s Strike.

Les femmes portaient des masques afin de ne pas être identifiées. Nous avons donc toutes porté des masques, alors personne ne pouvait dire qui était une travailleuse du sexe et qui n’en était pas une, et ce fut un succès fantastique. Nous avons reçu beaucoup de visibilité.

Une autre chose que nous faisons avec l’ECP est de faire connaître les réalités du travail du sexe – qui nous sommes et pourquoi nous le faisons, afin que les gens comprennent mieux de quoi il s’agit. Nous parlons des effets de la criminalisation sur notre sécurité et du fait que nous sommes des travailleuses comme les autres, pour la plupart des mères monoparentales qui font vivre leur famille, non seulement au Royaume-Uni, mais aussi dans d’autres pays. Bon nombre de travailleuses du sexe migrantes envoient de l’argent chez elles, partout dans le monde. Cette grève a donc été un grand pas en avant.

Nous avons continué à travailler avec les travailleuses du sexe de Soho, alors que le conseil municipal de Westminster continuait de les talonner. L’une des choses terribles provoquées par leurs décisions a été la fermeture d’appartements, les amenant à travailler dans la rue. Tragiquement, une femme a été assassinée en 2000, peu après cette grève. Elle était très connue au sein de notre réseau. Nous savions tout d’elle: elle s’appelait Lizzie et elle a été assassinée parce qu’elle faisait le trottoir après avoir été évincée d’un appartement de Soho. Aucune travailleuse du sexe n’a jamais été assassinée quand elle travaillait dans un appartement de Soho. Il est 10 fois plus dangereux de travailler dans la rue que de travailler à l’intérieur avec d’autres.

Les lois sur la prostitution, qui font en sorte qu’il est illégal de travailler à plusieurs pour la sécurité, rendent invisible l’industrie et nous rendent toutes vulnérables. En vertu de ces lois sur le flânage et la sollicitation – soit le simple fait d’attendre sur le trottoir et de parler à un client – les travailleuses du sexe peuvent être jugées coupables avec comme seule preuve les paroles d’un policier. Quand vous êtes déclarées coupables, vous avez un dossier criminel, et il est presque impossible de vous en sortir et de vous trouver un autre emploi. Alors, vous êtes coincées! La police utilise maintenant l’ordre public pour forcer les femmes hors des endroits où il y a des familles vers des endroits isolés. Si vous travaillez en groupe pour la compagnie et la sécurité, vos collègues peuvent prendre la plaque d’immatriculation de votre client quand vous partez et vous pouvez le lui faire savoir. Cela n’est pas possible si vous devez travailler dans des endroits isolés pour éviter l’attention de la police. Là où il y a de la répression policière, la violence et les meurtres de travailleuses du sexe augmentent.

À l’intérieur, il n’est pas illégal d’échanger de l’argent contre des services sexuels, mais tout ce qui doit être fait pour le faire de façon sécuritaire est contraire à la loi. L’aménagement et la gestion d’un appartement, la publicité et le paiement du loyer sont tous des actes illégaux. En d’autres mots, il est illégal de travailler en sécurité dans ce pays! Travailler ensemble veut aussi dire que vous pouvez vous assurez de la sécurité des unes et des autres et apprendre de vos collègues, non seulement sur comment assurer votre sécurité en travaillant, mais aussi comment avoir l’argent en premier, comment interagir avec les clients et comment faire le travail le plus vite possible. Un des problèmes de la répression policière est que nous sommes forcées de travailler seules.

Les pensées ont évolué – la presse, qui nous décrivait autrefois comme des filles de joie, n’ose plus le faire. On a beaucoup plus de respect pour les travailleuses du sexe. Le public est beaucoup plus conscient de qui sont les travailleuses du sexe. Il sait que plusieurs d’entre nous sont des mères, des migrantes, des personnes trans, des femmes racisées; il sait que nous sommes toutes des femmes vulnérables qui n’ont guère d’autres choix que le travail du sexe. La grève a donc été vraiment efficace pour susciter ces changements.

Les dernières grèves dans le cadre de la Journée internationale des femmes ont été organisées par d’autres organisations de travailleuses du sexe, mais nous avons été très présentes, en particulier pour celles de 2014 et 2019. Nous nous sommes organisées pour faire sortir les travailleuses dans la rue. Ce fut donc un grand succès. Les choses avancent. On n’en a pas toujours l’impression, mais les choses avancent.

CATS: Votre mouvement est en faveur de la décriminalisation et non de la légalisation. Pouvez-vous expliquer pourquoi vous pensez que ce modèle est la meilleure option pour les travailleuses du sexe ?

C.M.: Tout d’abord, la décriminalisation, gagnée en Nouvelle-Zélande en 2003, a eu un succès retentissant. Elle a été intégrée à la législation sur la santé et la sécurité. Les travailleuses du sexe affirment qu’elles ont plus de droits et une plus grande protection, et que leurs signalements à la police ne seront pas utilisés contre elles. Ce contexte favorise une réduction des actes violents, car les hommes savent qu’ils peuvent être dénoncés à la police et être poursuivis. Cela fait une énorme différence sur la sécurité des travailleuses du sexe et nous pensons que cela devrait être la norme partout.

La légalisation est une situation complètement différente. C’est de la prostitution gérée par l’État. Il devient nécessaire de s’inscrire auprès des autorités pour travailler légalement et la plupart ne peuvent pas faire cela. Cela crée un système à deux paliers: si vous pouvez vous permettre de vous identifier comme travailleuse du sexe, vous pouvez travailler dans les secteurs légalisés, mais la plupart d’entre nous ne peuvent pas être identifiées. Qui sait ce qui peut arriver si l’école de votre enfant, une travailleuse sociale ou les autorités sanitaires l’apprennent. Ce n’est tout simplement pas quelque chose que la plupart d’entre nous peuvent faire. D’ailleurs, dans les pays où il existe une légalisation, la plupart des travailleuses du sexe ne s’enregistrent pas et continuent à travailler illégalement. Dans les zones des Pays-Bas où il est connu que les personnes travaillent à l’extérieur, une personne qui entre dans la zone peut être identifiée comme une travailleuse du sexe. Au niveau international, les travailleuses du sexe ne font pas campagne pour la légalisation, nous faisons campagne pour la décriminalisation. Nous ne voulons pas être contrôlées par l’État, ni que notre façon de travailler le soit, ou encore l’endroit où nous travaillons.

CATS: Votre grève s’inscrivait dans le cadre d’une grève plus large des femmes au Royaume-Uni et à l’échelle internationale à l’occasion de la Journée internationale des femmes, afin d’attirer l’attention sur l’exploitation du travail des femmes dans tous les aspects de leur vie. Comment pensez-vous que le fait d’être une travailleuse du sexe peut se comparer à d’autres travaux féminisés ou non rémunérés comme les soins et le ménage?

C.M.: À bien des égards, c’est le même travail. Les clients viennent nous voir non seulement parce qu’ils veulent du sexe, mais aussi parce qu’ils veulent une personne qui leur soit sympathique, qui les écoute. Ça peut être pour un quart d’heure, pour une demi-heure, pour une heure, ou pour plus longtemps. Ils recherchent de l’intimité et veulent sentir qu’on s’occupe d’eux, qu’ils sont au centre de l’attention de quelqu’un pour un moment.

En fait, une des femmes de notre réseau faisait du travail sexuel avec un client, et agissait comme aide-soignante auprès de lui, c’était deux métiers qu’elle exerçait avec la même personne. Elle nous rapportait trouver beaucoup plus exigeant le travail d’aide-soignante que le travail du sexe.

En 2017, nous avons réalisé une enquête et nous avons constaté que beaucoup d’autres emplois étaient décrits par les femmes comme de l’exploitation et comme étant dangereux1. Le travail du sexe est l’un des emplois les plus dangereux, uniquement parce que les hommes violents savent qu’ils peuvent s’en tirer en étant violents envers nous. Ils savent que nous n’allons pas porter plainte aux autorités pour ne pas être poursuivies. C’est comme ça.

Donc, cette enquête était vraiment éclairante. Nous sommes allées à la Chambre des communes pour en faire le lancement. Il nous a été très utile de démontrer que beaucoup d’autres emplois sont décrits comme des emplois d’exploitation et dangereux. Le travail du sexe n’est pas unique en son genre.

Dans le travail du sexe, il est possible de gagner un peu plus d’argent en un peu moins de temps. C’est très important, surtout si vous êtes une mère ou si vous exercez un autre travail, par exemple en travaillant dans une banque ou ailleurs, et que le travail du sexe sert à compléter votre faible salaire. Plusieurs se retrouvent dans cette situation. De plus, l’accès aux emplois dans ce pays est tout autre pour les personnes migrantes. Plusieurs d’entre elles n’ont pas le droit de chercher un emploi. Sans oublier tou·te·s ceux et celles vivant dans la pauvreté et affecté·e·s par les discriminations, ce qui est le cas des personnes trans et des femmes racisées constamment confrontées au racisme sur le marché du travail. C’est pourquoi autant de personnes sont poussées vers l’industrie du sexe.

CATS: Comment organise-t-on concrètement une grève du travail du sexe? Comment faire en sorte que tout le monde puisse y participer, même les plus précaires? La whorearchy (la hiérarchisation des différents types de travail du sexe, certains étant plus respectables comme le strip-tease ou la webcam que le travail du sexe incluant un service complet2, en particulier celles qui travaillent dans la rue) est l’un des facteurs qui influencent le degré de criminalisation dont une personne fera l’objet. Cela a-t-il été un problème lors de l’organisation de la grève et comment pouvez-vous y remédier?

C.M.: Nous sommes actives depuis longtemps, nous avons un très grand réseau dans tout le pays, comme à l’international. Nous nous organisons avec des personnes qui travaillent de différentes manières, à l’intérieur et à l’extérieur, et tout le monde était invité à se joindre à la grève de l’année 2000. Les rencontres d’organisation réunissaient des personnes qui travaillaient non seulement à Soho, mais aussi à d’autres endroits. Nous nous sommes assurées que tout le monde puisse faire des suggestions. Nous avons également veillé à assurer la possibilité de demeurer méconnaissable, et qu’il serait possible de participer sans devoir s’identifier comme travailleuse du sexe et compromettre sa sécurité. La sécurité des femmes ne serait pas compromise puisque tout le monde porterait des masques.

Sans égard à leur façon de travailler, les strip-teaseuses comme les personnes travaillant en ligne ont pris part à la grève. Nous étions vraiment déterminées à ne pas être divisées selon nos façons de travailler. Nous sommes toutes affectées d’une certaine manière par les lois, peu importe comment nous travaillons, mais pour nous c’était très important de mettre à l’avant-plan la situation des personnes qui travaillent dans la rue, qui sont les plus confrontées aux lois, les plus stigmatisées et les plus vulnérables vis-à-vis de la police et d’autres violences. C’est donc ainsi qu’on nous connaît; on ne tolérera pas de reproches sur la façon dont les gens travaillent, ce n’est tout simplement pas à l’ordre du jour. Nous travaillons toutes pour l’argent parce que nous en avons besoin et nous choisissons de travailler de différentes manières, selon ce qui convient le mieux à notre vie. Je pense que c’est l’une des raisons pour lesquelles nous avons réussi à organiser la grève de 2000 et celles qui ont suivi. Parce qu’elles savaient que nous ne serions pas divisées les unes contre les autres.

CATS: Ici, à Montréal et dans le reste du Canada, la plupart des syndicats et des organisations féministes traditionnelles sont toujours en faveur du modèle nordique3. Comment était-ce d’organiser une grève du travail du sexe au sein d’un mouvement féministe plus large? Comment avez-vous fait pour développer une alliance avec la gauche et le mouvement féministe?

C.M.: Les féministes condamnant la prostitution ont toujours été là, mais à l’époque, en 2000, elles n’étaient pas vraiment intéressées à se dresser contre nous, et les syndicats non plus. Depuis, le modèle nordique est devenu un enjeu à traiter. Nous saisissons toutes les occasions pour l’aborder, par exemple en allant à des conférences syndicales, en nous exprimant lors d’entrevues avec des féministes dans les médias. Il est évident que la criminalisation des client·e·s ne nous aidera pas, mais qu’elle poussera tout le monde dans la clandestinité et augmentera la stigmatisation. Tous les pays où le modèle nordique a été implanté ont connu une augmentation de la violence contre les travailleuses du sexe. Ces femmes qui se proclament féministes sont en fait le plus grand obstacle à la décriminalisation. Si elles allaient plutôt voir le gouvernement pour lui dire : «Eh bien, nous ne pensons pas que les femmes devraient se prostituer, mais nous pensons que les femmes devraient avoir suffisamment d’argent pour ne pas avoir à le faire», ce serait formidable! Mais ce n’est pas ce qu’elles font; elles adoptent un point de vue moral pour dénoncer la prostitution et en font leur carrière en s’y opposant comme politiciennes, journalistes ou académiciennes. Lors de la grève internationale des femmes en 2000, il y avait des milliers et des milliers de femmes qui marchaient dans les rues. Il y avait des groupes de féministes qui se tenaient sur le bord de la rue avec des pancartes bizarres, mais elles n’ont jamais été en mesure de contrer ce que les travailleuses du sexe affirmaient publiquement.

La sécurité des femmes est un sujet que le gouvernement ne devrait pas pouvoir argumenter. Nous avons ici un prestigieux comité gouvernemental qui a passé un an à faire une vaste recherche sur la prostitution et qui a recommandé en 2016 sa décriminalisation, tant à l’extérieur qu’à l’intérieur. Aussi, que les dossiers criminels pour prostitution soient effacés afin que les travailleuses du sexe puissent trouver un autre emploi. Il a aussi été recommandé que la prostitution ne soit pas confondue avec la traite humaine. Mais ces recommandations n’ont pas été prises en compte; le gouvernement a déclaré qu’il fallait faire plus de recherches ce qui signifie juste plus d’argent entre les mains de certain·e·s universitaires. Mais même les universitaires qui ont fait plus de recherches n’ont pas été capables de présenter le genre de contre-rapport qu’ils et elles voulaient tant produire.

Les lois doivent changer et elles changeront. Avant, une femme divorcée était considérée comme une traînée, mais plus maintenant, les choses ont changé, il y a eu un mouvement de femmes. La décriminalisation aura lieu parce que les travailleuses du sexe sont un élément clé du mouvement international de femmes.

CATS: La critique des frontières et la façon dont elles sont presque toujours exclues du discours sur la traite des êtres humains semblent constituer une grande partie de votre campagne. Pouvez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet ?

C.M.: Nous avons beaucoup de femmes migrantes dans notre réseau et beaucoup d’entre elles demandent l’asile, fuyant d’autres pays et essaient de survivre. Selon la législation du Royaume-Uni, les demandeur·se·s d’asile sont censé·e·s vivre avec 37 £ par semaine; c’est une somme dérisoire! Donc, pour survivre et peut-être pour envoyer de l’argent chez elles, le travail du sexe est l’une des options qui s’offrent à ces femmes.

Nous savons également de notre expérience, non seulement à Soho, mais aussi dans d’autres villes du pays, que la police cible les femmes migrantes sous prétexte de sauver les femmes des trafiquants. Nous en avons fait une priorité de contrer ce discours. Par exemple, à Soho, les femmes disent : «écoutez, on ne nous force pas, nous travaillons ici parce que nous devons travailler et envoyer de l’argent à notre famille. Chaque centime que nous gagnons, nous l’envoyons à notre famille». La seule contrainte à laquelle nous sommes soumises est celle de ne pas avoir assez d’argent sans faire le travail du sexe.

Les meilleures recherches ont montré que moins de 6 % des travailleuses du sexe migrantes sont victimes de la traite. C’est pourquoi, lorsque nous nous exprimons publiquement, nous nous assurons de contredire la publicité que la police reçoit lorsqu’elle effectue des descentes. Il est clair que ces descentes n’ont rien à voir avec le sauvetage des femmes de la traite, mais plutôt avec le programme d’immigration du gouvernement, qui consiste à expulser le plus grand nombre possible de personnes migrantes. Les femmes qui sont arrêtées sont souvent envoyées dans les centres de détention pour personnes migrantes et souvent expulsées contre leur volonté. C’est terrible.

CATS: Selon vous, quelles sont les prochaines étapes du mouvement des travailleuses du sexe au Royaume-Uni ? Quel est l’impact de la COVID sur la façon dont vous vous mobilisez ?

C.M.: Je suis sûr que c’est la même chose dans votre pays, mais la COVID n’a fait qu’exacerber tous les enjeux. Tout d’abord, tout le monde a essayé d’arrêter de travailler. Les gens étaient et sont toujours dans cet horrible dilemme : soit vous arrêtez de travailler pour ne pas rendre votre famille vulnérable au virus, soit vous n’avez pas d’argent pour les nourrir. Et vous ne pouvez pas payer votre propriétaire si vous travaillez à l’intérieur. Ou vous pouvez aussi décider de continuer à travailler et avoir un peu d’argent, mais vous devez alors être très très prudentes avec les clients et la police qui peut vous poursuivre.

Les personnes qui ont continué à travailler ont pris des précautions très strictes avec les clients. Pendant le confinement, plusieurs ont pratiquement arrêté parce qu’elles craignaient que leurs voisins, la police ou autres autorités ne les attrapent d’une manière ou d’une autre et d’avoir des ennuis avec la justice, puis d’avoir une autre situation à gérer. De manière horrible, la répression policière s’est poursuivie dans plusieurs zones, ce qui est scandaleux.

Certaines organisations de travailleuses du sexe ont fait un excellent travail pour collecter des fonds pour celles qui ne pouvaient pas continuer à travailler, et nous avons aidé à distribuer cet argent aux personnes de notre réseau qui en avaient besoin. Mais nous avons décidé, pendant que ce travail de qualité se poursuivait, que nous nous concentrerions à faire pression sur le gouvernement pour qu’il reconnaisse le travail des travailleuses du sexe, qu’il accorde une amnistie aux arrestations et pour que les travailleuses du sexe puissent facilement avoir accès à tous les types de revenus d’urgence. Mais le gouvernement n’a pas mis de l’avant la moindre mesure pour permettre aux travailleuses du sexe d’obtenir cet argent. Nous nous sommes assurées, dans notre campagne publique, que ce point soit visible et cela a, en fait, réuni quelques membres du parlement. Nous avons demandé à tout le monde sur notre liste de diffusion d’écrire à leur député local et de faire pression sur ceux-ci pour qu’ils soulèvent ces questions au parlement, et certains l’ont fait. Le gouvernement nous est revenu en disant : «les gens peuvent avoir accès à une prestation appelée Crédit universel», qui est très difficile à obtenir, qui prend du temps à se rendre jusqu’à vous et qui ne suffit pas pour vivre. Aujourd’hui, les gens sont bien plus au courant que ces prestations sont très faibles, car de nombreuses personnes dans ce pays doivent y recourir d’une manière ou d’une autre pour survivre pendant cette période de COVID.

La COVID a rendu clairs beaucoup d’enjeux, à commencer par la quantité de travail de soin que font les femmes, en s’assurant que les personnes dans les communautés aient suffisamment de nourriture, que tout le monde aille bien. Elle a également clarifié la brutalité du gouvernement. Par exemple, dans les résidences de soins4, les personnes âgées n’étaient pas du tout protégées contre le virus. On envoyait les personnes dépistées positives des hôpitaux vers les résidences de soins, et bien sûr, des centaines et des milliers de personnes âgées sont mortes. Mais le gouvernement en est très heureux; il n’a pas eu à payer leurs pensions! Le gouvernement vient d’annoncer que des milliards de Livres sterling iront à l’armée, donc nous savons qu’il y a de l’argent. Il a dû organiser tout un système de permission pour que les gens reçoivent 80% de leurs salaires s’ils sont temporairement licenciés. Nous savons donc que l’argent est là et nous savons qu’ils nous ont menti quand ils nous ont dit qu’il n’y avait pas d’argent. Il est très clair qu’ils ne se sont pas organisés pour s’ assurer que les travailleur·euse·s des hôpitaux et des résidences de soins bénéficient de toute la protection dont iels avaient besoin. C’est la même chose avec les travailleuses du sexe, ils ne se soucient pas vraiment de savoir si nous vivons ou mourons. Je pense que les gens sont encore plus sceptiques qu’avant à l’égard du gouvernement.

Quand on parle du travail du sexe, il est clair que la criminalisation sert à nous diviser : il y a les bonnes et les mauvaises filles. Les bonnes filles travaillent dans un supermarché et les mauvaises filles font du travail du sexe. On continue de nous criminaliser parce que sinon, nous serions dans une position où nous pensons que plus d’argent nous est dû de la part du gouvernement. Nous ne nous laisserons pas diviser ainsi, de la même manière que nous ne nous laissons pas diviser par la façon dont nous travaillons. En Nouvelle-Zélande, la décriminalisation n’a pas entraîné une augmentation énorme du nombre de personnes qui s’adonnent au travail du sexe, car cela dépend plutôt de la situation financière du pays. C’est seulement que vous n’êtes pas criminalisées pour avoir gagné de l’argent de cette façon. Les gouvernements doivent soutenir le mouvement international des travailleuses du sexe et si on appuie notre lutte sur notre sécurité et nos droits, nous allons gagner!

1 Le rapport «What’s A Nice Girl Doing In A Job Like This: a comparison between sex work and other jobs commonly done by women» peut être retrouvé en ligne.

2 Dans le jargon, un service complet est un service qui inclut une pénétration.

3 Essentiellement, la criminalisation des clients et des tiers partis.

4 Traduction libre de ‘’care home’’

As-tu peur de la police ?

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Mar 082021
 

Du COBP

Quand la police s’attaque aux personnes blanches …

Le rôle de la police est de faire peur. Nos éluEs ne s’en cachent pas : quand ils prescrivent un couvre-feu avec des amendes allant jusqu’à 6000$, ielles parlent de « traitement choc », de « passer un signal », et dans ce travail ielles considèrent les policièrEs comme leurs « alliéEs ».

Le travail de la police, c’est le travail de la répression, de l’imposition de force de lois décrétées par un gouvernement qui ne représente qu’une minorité de la population, élu par moins de 25% des personnes ayant le droit de voter. Il ne faut pas se méprendre : le virus est réel et dangereux, et des mesures sanitaires sont nécessaires. Mais plus le temps passe, et plus on se rend compte que les mesures choisies se basent sur les pressions des lobbyistes [1] et vont en contradiction avec tous les avis scientifiques, qu’ils viennent d’ici ou d’ailleurs [2].

… comme elle le fait pour les personnes racisées

Peu importe la validité scientifique des mesures, les flics s’en donnent à coeur joie, et ne se cachent même plus pour faire du stalking de certains groupes, comme par exemple les juifs hassidiques d’Outremont. Peu importe que mononc’ Gontran fait des party à chaque fin de semaine à Longueuil, il faut des flics pour compter le nombre de juifs qui entrent et qui sortent de chaque synagogue d’Outremont.

Parce qu’autant qu’on s’insurge contre les mesures qui nous sont actuellement imposées, autant qu’on les qualifient de liberticides et d’injustifiées scientifiquement, de sans coeur pour les personnes vulnérables … ces mesures sont le business as usual pour les communautés racisées de Montréal.

Prenons un exemple, la lutte contre les gangs de rue. Qui connait le travail de l’escouade Eclipse ? Qui a déjà vu leurs voitures passer dans ses rues, stationnées sur le bord d’un parc durant les fêtes de son quartier ? Si vous habitez en-dehors de Montréal Nord, la réponse est fort probablement pas. Et si vous habitez Montréal Nord, il est impossible de l’ignorer, car elle est partout.

Et alors que la gentrification pousse les personnes plus pauvres, souvent racisées, en périphérie de Montréal, la police les suit. Un quartier noir est en émergence à Laval, qui fait face à un service de police uniformément blanc et ouvertement raciste [3]. La réaction de la ville de Laval ? Créer sa propre escouade Eclipse [4].

On va en laisser une au SPVM : on ne peut pas les blâmer de faire du profilage racial quand l’esprit des lois est essentiellement raciste. Une brigade anti-gang de rue ne va pas sévir à Brossard. Il y a des gang de rue formés de jeunes blancHEs, mais ce n’est pas l’image qu’en font les médias. Ce n’est pas l’image propagée par la police. Ce n’est pas l’image que s’en font les covidiots qui vont faire la fête avec mononc’ Gontran. Alors, faut pas se le cacher, quand l’assemblée nationale passe une loi antigang, c’est essentiellement d’une loi anti-jeunes noirEs qu’on parle.

Quand le gouvernement passe un couvre-feu, il sait que ça ne fera pas mal à sa base qui vote pour lui, parce qu’ielles ont touTEs une maison, une cour arrière. Pis leur chalet dans le nord est toujours accessible, vu que les trajets entre les régions sont toujours possibles. Le gouvernement sait que ça fera mal aux douze personnes immigrantes de Parc-Ex, entasséEs dans le même deux et demi pas de galerie miteux de Parc-Ex. Mais il s’en fout, ces personnes ne votent pas pour lui, quand on leur laisse le droit de voter.

L’ « affaire » Camara

Parlant de Parc-Ex, l’affaire Camara n’est pas la goutte qui a fait déborder le vase pour les communautés racisées. Loin de là ! Le vase déborde depuis longtemps :
• Depuis la mort d’Anthony Griffin en 1987, tué alors qu’il était sans armes et qu’il obéissait aux ordres du policier Allan Gosset. Le policier n’a pas été blâmé pour ce meurtre, même s’il avait déjà une réputation de battre ses suspects.
• Depuis le meutre de Freddy Villanueva en 2008, ce qui n’a pas nuit à la carrière du policier Jean-Loup Lapointe, qui a été promu par la suite.
• Depuis l’assassinat de Bony Jean-Pierre en 2016. Le policier Christian Gilbert a été innocenté, même s’il est entré dans l’espace confiné d’un appartement en sachant très bien qu’il avait dans ses mains une arme potentiellement létale à moins de cent mètres.
• Depuis le meurtre de Nicolas Gibb en 2018, tué alors qu’il était en détresse et qu’il marchait en s’éloignant des policièrEs.
• Depuis le meurtre de Sheffield Matthews en 2020, tué alors qu’il était lui aussi en détresse.

Le traitement infligé à Camara n’est donc pas une surprise. Le rôle de la police est de faire peur, celle-ci ne peut pas accepter que quiconque lève la main sur elle. La police doit maintenir le monopole sur la peur, et pour ce faire elle se fait elle-même vengeance pour tout tort qu’elle pense avoir subi, peut importe ce que les lois spécifient.

Le passage à tabac de Camara, son incarcération pendant six jours, le saccage de son appartement, le traitement infligé à sa femme et à ses enfants … tout ça entre dans le programme de peur de la police. Peu importe que ces actions soient illégales : le rôle de la police n’est pas d’appliquer la loi, mais de faire peur, et il faut que les communautés racisées aient peur de la police. Et s’il y a des pots cassés, des vies brisées, ce n’est jamais le policier pris en faute qui paye.

Parce que si les personnes cessent d’avoir peur de la police, c’est tout le statu quo qui est menacé. La peur pourrait alors changer de camp : quel scandale ce serait si les boss avaient peur de leurs employéEs ! Si c’était les slum lords qui craindraient leurs locataires, les racistes qui auraient peur des personnes racisées ! Quel serait le scandale si c’est tout le Système qui aurait peur !

Le mot en « s »

Ah, le fameux mot en « s », « s » pour systémique pour reprendre l’expression de Boucar Diouf [5]. On va en donner une à mononc’ Legault, parce qu’il faut lui donner ça. Son refus de reconnaître le racisme systémique au Québec a motivé la publication d’une infinité de témoignagnes. Ces témoignages dépassent la sphère policière : discrimination à l’embauche, discrimination pour l’accès au logement, racisme en éducation, racisme en milieu hospitalier, et on en passe.

Le refus de reconnaître le racisme systémique est l’expression la plus pure du maintien du statu quo actuel. Du statu quo qui s’assure que les personnes racisées auront toujours les emplois de marde, les appartements de slum lords, les écoles pourries, et pas de pension parce qu’ielles mourront jeunes d’une maladie non-diagnostiquée.

Les lois mises en place visent à maintenir ce statu quo, qui assure que les personnes blanches auront en majorité le haut du pavé : les bons emplois, de bonnes maisons, de bonnes écoles, de bons hôpitaux, et surtout, un siège confortable à l’Assemblée nationale. Tsé, quand un chef de parti politique cite à répétition les mensonges de Rebel News et que c’est une personne qui dit que ça serait bien qu’on soit juste un peu moins raciste qui se fait rentrer dedans, tu sais tout ce qu’il y a à savoir sur le « système » québécois [6].

Le rôle de la police

Oui, il y a du profilage racial dans la police, oui il y a des flics racistes. Mais au final, la police n’est que la partie émergée de la répression envers les personnes racisées. La partie cachée de la répression, c’est la personne noire qui se fait sous-évaluer sa maison [7]. C’est la personne autochtone qui se faire refuser son assurance [8]. C’est la personne immigrante qui se fait refuser un prêt à la banque [9]. C’est Joyce Echaquan qui se fait tuer dans un hôpital. C’est Raphael André qui meurt dans une toilette chimique. C’est le genou qui t’écrase la gorge depuis ta naissance, et que tu ne peux pas vraiment connaître si tu n’es pas né avec.

Et toute cette répression qui assure que les personnes blanches se trouvent en haut, et les autres en bas, n’est possible que parce que le rôle de la police est de faire peur. Alors, on peut bien chiâler que les mesures sanitaires actuelles sont liberticides et sans raison, ce qui est vrai. Mais il faut se souvenir que cette répression policière, c’est le quotidien de toutes les personnes non-blanches à Montréal.

Parce que c’est ça, le rôle de la police, c’est de faire peur. C’est seulement plus évident pour nous, personne blanches, maintenant que les lois s’attaquent à notre liberté. C’est seulement plus visibles, maintenant que la police nous suit, maintenant qu’elle s’intéresse à nous.

Et quand il s’agit de faire peur, il n’y a qu’une chose de vraie : la police au Québec fait très bien son travail.

[1] On donne un « fuck you » tout spécial au lobbyiste anti-choix Vincenzo Guzzo.
[2] En voici deux : https://www.cbc.ca/news/politics/herd-immunity-should-not-be-supported-t… et https://www.ctvnews.ca/health/coronavirus/tam-urges-provinces-not-to-loo…
[3] Voir notamment : https://www.journaldemontreal.com/2020/08/12/plaque-au-sol-pour-une-video
[4] Sur l’escouade Eclipse à Laval : https://www.lapresse.ca/actualites/justice-et-affaires-criminelles/affai…
[5] Sur le mot en « s » : https://www.lapresse.ca/debats/opinions/2021-02-20/le-mot-en-s-pour-syst…
[6] Sur les propos du chef du bloc : https://www.ledevoir.com/politique/canada/593277/politique-federale-le-b… Et sur la personne racisée qui se fait censurer : https://www.ledevoir.com/opinion/chroniques/595416/la-censure-ordinaire
[7] Oui, c’est un exemple américain. Mais si tu penses que ça n’arrive pas au Québec, j’ai un pont à te vendre : https://thehill.com/policy/finance/housing/513770-florida-couple-says-ho…
[8] Au sujet des assurances : https://www.lapresse.ca/actualites/enquetes/2020-12-11/compagnies-d-assu…
[9] Voir : https://www.reuters.com/article/us-wells-fargo-immigration-idUSKBN1AK1VK

Déclaration des détenu-e-s du Centre de détention de Laval

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Mar 052021
 

De Solidarité sans frontières

Sept détenu-e-s de la prison pour migrant-e-s de Laval continuent la grève de la faim débutée le 1er mars 2021. Les grévistes ont préparé une déclaration pour annoncer leur grève, dénoncer leur situation et exiger leur libération.

Déclaration des détenu-e-s du Centre de détention de Laval

Nous sommes un groupe de migrant-e-s détenu-e-s au Centre de détention de Laval.

Par cette présente lettre nous voulons d’une part dénoncer les conditions dans lesquelles nous sommes détenu-e-s au Centre. Depuis un certain temps, le virus du COVID s’est introduit dans la prison. Les mesures sanitaires prises par les agents de l’immigration sont nettement insuffisantes.

Certains des détenus ont déjà contracté le COVID. D’autres se plaignent de douleurs s’apparentant aux symptômes du COVID mais ne reçoivent que des Tylenol. Nous souffrons beaucoup.

Nous avions aussi été confinés dans des chambres séparées sans recevoir aucune assistance psychologique. Nous sommes désemparés et avons très peur pour notre santé.

Selon nous, utiliser la détention comme politique d’immigration est en tout temps une mesure inhumaine et injuste, avec ou sans COVID.

D’autre part, nous annonçons que nous avons commencé une grève de la faim à durée indéterminée à partir du 1er mars pour contester le traitement dont nous faisons l’objet.

Nous demandons à être libérés du Centre de détention de Laval car c’est un espace propice à la propagation du virus et ce n’est qu’une question de temps avant que nous tous ne soyons contaminés.

Ceci est un appel à l’aide. Nous voulons être traités avec dignité et surtout nous voulons bénéficier d’une protection en cette période de pandémie comme tout citoyen canadien.

Signatures : Marlon, Carlos Martín, Rafael, Mehdi, Alan, Karim, Freddy

Pour plus d’info: https://www.solidarityacrossborders.org/fr/act-now-second-group-of-detainees-on-hunger-strike-at-the-laval-migrant-prison

Lutter pour mettre fin à la criminalisation des corps des travailleuses du sexe depuis 1995

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Mar 032021
 

Du COBP

Stella, l’amie de Maimie : Lutter pour mettre fin à la criminalisation des corps des travailleuses du sexe depuis 1995

Les corps des personnes qui travaillent dans l’industrie du sexe sont criminalisés, surveillés, stigmatisés et discriminés quotidiennement. Certaines personnes respectent et vénèrent nos corps comme travailleuses du sexe, tandis que d’autres nous dénigrent et nous réduisent à des parties de corps. Les prohibitionnistes anti-travail du sexe et les forces de l’ordre tentent de nous contrôler parce qu’on utilise nos corps pour le plaisir, l’empowerment économique, et l’avancement dans la société. Même si nos corps ne sont que l’un des nombreux outils de travail que nous utilisons dans le contexte de notre travail du sexe, la stigmatisation autour du travail du sexe mène au contrôle social et à la criminalisation de notre travail et de nos vies. Ceci résulte à des services de santé, publics, juridiques et sociaux discriminatoires pour les travailleuses du sexe, ce qui compromet notre santé et notre sécurité.

La criminalisation – et la prohibition ultime des travailleuses du sexe, des clients, tierces personnes, et de la publicité – introduite par le biais de la Loi sur la protection des collectivités et des personnes victimes d’exploitation (née Loi C-36) entrée en vigueur en décembre 2014, touche d’abord et avant tout les travailleuses du sexe – elle déplace les travailleuses du sexe de lieux de travail habituels nous forçant à travailler dans des lieux inconnus et sans mécanismes de sécurité; elle criminalise la communication nécessaire au consentement dans le travail du sexe; et favorise la peur d’arrestation chez les clients ce qui fait qu’ils ne partagent pas des informations importantes aux travailleuses du sexe. Ces modèles de « mettre fin à la demande » sont souvent décris comme étant la « décriminalisation des travailleuses du sexe et la criminalisation des clients » – c’est un mensonge. Une compréhension limitée des modèles « mettre fin à la demande » signifie que leurs partisans ne sont pas conscients de la manière dont ce régime criminalise encore les travailleuses du sexe et nous mettent à risque.

Depuis 1995, les travailleuses du sexe à Montréal se battent pour la réforme des lois sur le travail du sexe – enlever les lois criminelles et d’immigration contre le travail du sexe, comme une première étape du respect des droits des travailleuses du sexe. La décriminalisation des travailleuses du sexe, des clients et des personnes avec lesquelles nous vivons et travaillons est primordiale pour respecter les droits à la sureté et à la sécurité des travailleuses du sexe qui sont garantis par la Charte. Cela fait écho non seulement à la décision Bedford de la Cour suprême, mais aussi à d’importantes recherches internationales sur les droits humains par Amnistie internationale, ONUSIDA, Human Rights Watch et l’Organisation mondiale de la santé qui font tous appel pour la décriminalisation totale du travail du sexe. La décriminalisation n’est qu’une première étape : les membres de notre communauté qui occupent l’espace public – particulièrement celles qui sont autochtones, noires, trans, qui consomment des drogues, qui vivent de l’itinérance – continueront d’être harcelées, surveillées et contrôlées. On attend depuis longtemps la fin aux visites non désirées et non sollicitées de la police dans nos vies.

Nous continuons notre lutte pour mettre fin à la surveillance de nos vies et de notre travail, et nous sommes solidaires avec les communautés pour le définancement de la police pour se rendre vers une société sans police.

Nous invitons les travailleuses du sexe qui travaillent à nous contacter pour des conseils et de l’appui sans jugement, et pour des moyens de vous protéger durant une période de surveillance accrue, de répression policière et sentiments généraux de prohibition.

http://www.chezstella.org

Jugement contre dis son nom: un violent backlash

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Mar 022021
 

De Mettre fin au silence

Aujourd’hui, le jugement de la juge Katheryne A. Desfossés exigeant le dévoilement de l’identité des administratrices de la page Dis son nom ainsi que de la personne ayant dénoncé l’agresseur Jean-François Marquis est d’une telle violence que les mots nous manquent pour la nommer: seuls nos hurlements de rage semblent adéquats.

On veut d’abord envoyer toutes notre solidarité aux personnes affectées par le jugement et les actions de Marquis: la personne survivante, les administratrices de la page Dis son nom et toutes les autres personnes survivantes dont les échanges avec Dis son nom seront mises entre les mains d’un agresseur et de son avocat. On espère tellement que toutes ces conversations se retrouvent malencontreusement perdues ou magiquement effacées. Se faire désapproprier de sa propre démarche de dénonciation, c’est extrêmement violent.

Ce travail collectif qui a été fait l’été passé, mais aussi au fil des ans pour trouver des manières de libérer nos paroles et pour faire changer la peur de camp se voit grandement ébranlé par les événements d’aujourd’hui.

Généralement, le système et ses acteurices répondent avec une violence proportionnelle au danger que nos ripostes présentent pour l’ordre établi. C’est tellement légitime d’avoir peur devant une violence aussi inouïe. D’avoir envie de perdre espoir. Même si l’heure n’est crissement pas à la fête, on a le goût de dire qu’on peut quand même se féliciter: on leur a fait tellement peur aux agresseur.e.s et à leurs complices qu’a émergé le besoin de réagir avec virulence pour essayer de nous faire taire. À nos yeux, ça veut quand même dire qu’on a un esti de beau pouvoir collectif quand on s’y met.

Pour nous, les événements d’aujourd’hui illustrent avec encore plus d’évidence la nécessité de l’anonymat, de plate-formes sécuritaires et d’alternatives à ce système judiciaire pourri qui protège l’ordre oppressif, les agresseur.e.s, le pouvoir établi. La nécessité de continuer à dénoncer ces estie de vidanges qui nous pourissent individuellement et collectivement la vie.

Plutôt que de susciter la peur, c’est sur les braises de notre colère que ce jugement souffle avec force. Pour notre collectif, il est hors de question de plier devant la violence du système, devant les menaces de représailles.

Notre plate-forme restera active, prête pour la suite. S’il y a des personnes pour qui ça a déclenché comme nous une envie de dénoncer et de foutre la marde. S’il y a des personne qui, malgré la peur, ont ce besoin de témoigner. En nommant leur.s agresseur.e.s ou non. Maintenant ou plus tard. On sera là. On vous fucking croit.

1er mars: Action contre l’extractivisme effréné des forêts

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Mar 012021
 

Soumission anonyme à MTL Contre-info

Les défenseur.es de la terre Atikamekws et Innu.es sont sur le Nitaskinan aujourd’hui, accompagné.es de leurs allié.es allochtones, pour s’opposer à l’extractivisme.

Ni le gouvernement colonial ni le conseil de bande n’ont la légitimité sur ces territories non cédés, ils préfèrent s’entendre ensemble pour les saccager.

Les forêts sont livrées aux machines destructrices des compagnies forestières, entraînant inondations et perte d’habitat pour la faune. Le bouleau blanc, essentiel à la culture Atikamekw, est en train de disparaître.

Les lois de la terre et de l’univers dominent l’expansion illimitée de l’homme avide. Comme nos ancêtres, protégeons la vie pour les générations futures!

Autodétermination et veto pour les premiers peuples !

La solidarité de tous et toutes pourra stopper l’écocide !

Venez nous appuyer lundi 1er mars à partir de 10h au 16e km sur le chemin de la Manawan .

EKONI ACI !
ASKI MAMO !

Solidarité avec les défenseur.es de 1492LBL

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Fév 282021
 

Soumission anonyme à MTL Contre-info

Depuis juillet 2020, les défenseur.es des terre haudenochauni.e.s de Six Nations ont bloqué un projet résidentiel appelé Mackenzie Meadows, qui était prévu sur le territoire de Six Nations, près de la communauté de colon.es nommé Caledonia en Ontario. Les défenseur.es des terres refusant de voir leurs terres détruites davantage pour des intérêts coloniaux ont occupé le site de construction l’été dernier, le rebaptisant 1492 Land Back Lane. Suite à la réoccupation de leur territoire, une injonction a été accordée à Mackenzie Meadows et appliquée par l’OPP en août. Les défenseur.es des terres ont lutté contre l’expulsion violente de l’OPP, en se retirant temporairement du site. Peu après le raid, les défenseur.es des terres, soutenus par la communauté des Six Nations, ont bloqué la route Argyle et l’autoroute 6, et ont repris Land Back Lane à l’osti de police. En octobre de l’année dernière, la police a tenté d’arrêter un certain nombre de défenseur.es des terres, en tirant sur certain.es avec des projectiles « non mortels ». La police a finalement été chassé par des défenseur.es des terres déterminés, dont certaines de leurs voiture ont été défoncés en sortant. Cette dernière attaque violente de l’OPP a conduit les défenseur.es des terres et les membres de la communauté des Six Nations à déchirer la route d’Argyle, à perturber les lignes ferroviaires du CN qui traversent leurs terres, et à ériger des barricades afin de se défendre contre de nouvelles attaques policières.

Le 15 février, les défenseur.es des terres 1492 Land Back Lane ont achevé le démantèlement de diverses barricades afin de permettre aux membres de la communauté des Six Nations d’accéder à l’autoroute. Bien que les barricades routières aient été retirées, les défenseur.es des terres restent fidèles à leurs objectifs, vigilants face à la répression violente de l’OPP, et conscients qu’ils sont maintenant dans une position plus vulnérable.
L’automne dernier, les anarchistes et leurs complices ont répondu aux appels à la solidarité des défenseur.es de la terre de 1492 Land Back Lane par des actions contre les infrastructures essentielles à l’économie canadienne.

Nous continuons à être solidaires avec 1492 Land Back Lane, et nous invitons tous celleux qui envisagent un monde sans domination coloniale à se tenir au courant de la situation sur le terrain et à continuer à soutenir les défenseur.es des terres. Si l’OPP tente de profiter de la vulnérabilité accrue des défenseur.es des terres pour apporter de la violence à 1492 Land Back Lane, la réponse doit être rapide et étendue. En prévision de cette éventualité, nous recomandons avec insistance aux complices et allié.es anticoloniaux de prévoir des actions contre l’État et le capital, en tirant les leçons du mouvement #ShutDownCanada de l’hiver dernier.

En solidarité avec les défenseur.es de 1492 Land Back Lane! Fuck le Canada, Fuck l’OPP!

– anarchistes

Contre la suprématie blanche, la dignité ou la mort

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Fév 232021
 

Soumission anonyme à MTL Contre-info

La neutralité n’existe pas, il s’agit de la subjectivité blanche.
Je pose donc mon cadre d’énonciation. Je ne suis pas blanche, je suis algérienne avec le privilège acquis par la violence coloniale, d’avoir un passeport français. Je n’ai pas fait de grandes études. Déjà au lycée je désertais. J’ai osé m’immerger à 35 ans « dans la gueule du loup» pensant avoir les reins assez solides.

Me voilà à ma seconde immigration, cette fois avec un visa précaire. Je pensais l’université québécoise plus ouverte que la française, mais j’y découvre une institution blanche et coloniale. Le terrain est abrupt, violent. C’est bien évidemment un terrain de lutte avec des règles bien précises, qu’on ne maitrise pas d’avance. Un jour sur deux, l’envie d’abandonner les études me taraude, car rares sont les enseignants qui prennent compte du récit de l’opprimé dans le cadre des récits nationaux. Rares sont ceux qui prennent en compte les oppressions raciales dans leur analyse, et rares aussi sont ceux qui gardent leur rigueur scientifique lorsqu’ils pensent d’autres territoires que l’occident. En d’autres termes : la qualité de l’enseignement est majoritairement exclusive. L’erreur est humaine, ne pas savoir aussi. Cependant, il serait indiqué de laisser la place à la contradiction, la mesure et que tous soyons soumis aux mêmes règles et aux mêmes exigences. Pour le pluralisme libéral, on repassera. Les paradigmes blancs occidentaux sont maintenus avec force et se sentent menacés par toute tentative de relativiser. La violence est donc d’abord épistémologique puis s’y ajoute les vocables des prétendus « Maîtres ». Pour des jeunes étudiants blancs, c’est déjà un environnement stressant avec des obligations de réussite ainsi que des problèmes de sexisme. Mais pour les non-blancs on peut ajouter un contenu plus stressant du fait d’un solipsisme blanc qui est bien une pathologie de l’humanité blanche et pour les étudiants étrangers c’est encore plus stressant dans la mesure où ils sont obligés de suivre les cours avec régularité, sous peine de se retrouver en situation irrégulière. L’éloge de la fuite ne peut s’appliquer qu’avec plus de créativité et de travail.

Maintenant que vous savez d’où je parle, je vais prendre position sur la création d’un « problème de société », d’un prétendu « ennemi intérieur ».
Alors que nous vivons une séquence extraordinairement violente sur plusieurs plans. Pour certains d’entre nous, le pouvoir coercitif se déchaine.

J’entends des voix bien réelles s’élever contre des crimes policiers et des mises à morts dans le cadre de soins, des voix s’indignant devant les morts dehors dans le froid et la solitude, les morts en prison … Ces derniers mois, la mort touchant les autochtones est plus qu’alarmante : c’est l’hécatombe. Les traitements indignes infligés à ces populations dépassent l’entendement. Les hommes noirs ne sont pas épargnés par les crimes policiers et les musulmans sont méprisés lors de la commémoration de la fusillade terroriste de la mosquée de Québec, sans parler de la loi 21. Le premier ministre ne reconnaît pas formellement l’existence de « l’islamophobie ». Les musulmans sont ici des citoyens de seconde zone.

Nous sommes étouffés par la mort sociale qui plane sur nous : il n’y a qu’à voir les discours disqualifiants les victimes de crimes policiers. Il n’y a qu’à écouter Dany Turcotte tentant de salir Camara Mamadi, victime de violence policière, battu, humilié, emprisonné, traumatisé puis innocenté. N’est-ce pas le salir que de demander si la victime va à nouveau conduire le cellulaire à la main, et justifier le traitement inhumain subit par ce dernier, le tout emballé dans une tentative humoristique ?

L’heure est grave ! nous n’entendons pourtant pas Legault défendre les droits humains de Camara Mamadi, son droit à la vie, et à la dignité. Legault nous parle de protéger la « liberté d’expression », la « liberté académique » mais qu’en est-il de la liberté d’enseigner de Monsieur Camara Mamadi qui est mise en danger par le drame qu’il a subi, les traumatismes psychiques qui en découle, sans oublier les problèmes administratifs auxquels il doit faire face ?

Dans le contexte du COVID l’assignation à résidence se renforce. En fonction de notre race, de notre classe et de notre genre. Il y a ceux qui charbonnent mais doivent endurer des couvre-feux et sont plus sujets aux contrôles policiers du fait de profilage racial. Ils et elles sont les travailleurs essentiels. Leur santé et mise en danger ainsi que celle de leur proche et ce pour servir le capitalisme racial. Ils sont là pour soigner, laver, nourrir et livrer les plus privilégiés. Cela, inévitablement, les soumet à une surveillance plus soutenue, à une biopolitique et une identifications au service de la sécurisation belle et bien coloniale.

Un peu naïve, je pensais fuir le climat français, amusée par l’expression québécoise « Maudits Français ! » visant l’arrogance de ces derniers qui prétendent tout savoir. Malheureusement, Legault me fait déchanter. Il nous dit la chose suivante au sujet des luttes d’émancipation : « Ce problème-là est parti de nos universités, et je pense que c’est là qu’on va devoir le régler en premier. La ministre de l’Enseignement supérieur, Danielle McCann, est en train de se pencher là-dessus avec les milieux universitaires pour agir rapidement. » Cette déclaration suit de très près celle de Macron d’après qui « le monde universitaire a été coupable. Il a encouragé l’ethnicisation de la question sociale en pensant que c’était un bon filon. Or, le débouché ne peut être que sécessionniste. Cela revient à casser la République en deux. » Il envoie donc sa ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation en croisade.

En pleine gestion politique antisociale de l’épidémie produisant des relations au monde désincarnées, une jeunesse tente de poursuivre une « instruction » reconnue sur le marché du travail, ils essayent d’apercevoir un horizon. Il y a donc des étudiants et une toute petite minorité d’étudiants non-blancs qui tentent de suivre un enseignement universitaire à distance, dans les meilleures conditions possibles, mais n’acceptent pas de se soumettre à tout et n’importe quoi. Nous évoluons dans une société Québécoise ultra libérale où les étudiants sont des clients. Il ne devrait alors n’y avoir aucun étonnement à ce que le service donné soit discuté. Ce n’est pourtant pas évident pour le grand patron gestionnaire qu’est le premier ministre ni pour sa petite cour. Les étudiants remettant en cause l’enseignement qu’il payent sont considérés comme censeurs par le pouvoir.

La réalité est toute autre, on subit bien la « cancel culture » des dominants

Legault grand intellectuel et grand progressiste est en pleine croisade. Le Premier ministre du Québec instrumentalise la liberté d’expression et académique pour justifier des propos discriminants, excluants et surtout une politique oppressive. L’énonciation de mots de concepts, les actes de paroles ne renvoient pas à des réalités alternatives, ils peuvent produire et reproduire des réalités politiques. La liberté d’expression n’est pas un concept théorique abstrait, elle s’inscrit dans le réel, dans un espace, dans le temps, dans des rapports sociaux politiques, bien matériels, bien concrets. Legault nous dit, à nous, non-blancs, de rester à notre place et de ne pas faire de vagues. Etant donné les discriminations limitant notre accès à l’éducation, on devrait dire « merci patron, oui patron, merci de bien vouloir nous tolérer dans ces institutions ».

La réalité sociale, la véritable intimidation est en fait l’inaccessibilité à l’éducation supérieure aux personnes racialisées, et les violences quotidiennes qu’elles y vivent ne sont pas les préoccupations de Legault. Encore faut-il survivre au racisme à l’école de la part du corps enseignant comme des élèves pour arriver à ce niveau d’exclusion. Pourtant, d’après le Premier ministre, pas de racisme systémique au Québec et il se met à nous parler d’émotions, lesquelles fondent sa politique.

Il nous raconte le sentiment d’intimidation que certains enseignants vivraient, mais pas un mot sur les violences que les étudiants subissent de la part du corps enseignant, de l’administration ou des autres étudiants blancs.

Les médias, un autre outil du pouvoir

Legault nous répète ce que nous savons déjà et qui fait les choux gras de la presse : Certaines pleurnichent dans des tribunes, racontant qu’après avoir employé des mots racistes « Le stress monte à un point où on n’est plus maître de soi-même, que c’est vraiment les pires minutes de leur vie. », elles nous parlent de leurs « état d’âme »… Une sacrée belle âme : « Son cœur lui disait de résister. Mais il y avait l’affaire Lieutenant-Duval qui déchaînait les passions au Québec. Et puis, il y a eu l’affaire Joyce Echaquan à Joliette. « Le contexte était explosif. Évidemment, on a envie de se plier et d’être du côté de la vertu. »

Alors, elle l’a fait. « Elle a plié. ». En tous cas, elle le prétend, mais semble confondre le bien et le bon et oublier que la vertu est du côté de la justice. Par un habile subterfuge, elle devient la victime d’une jeunesse qui ose quitter un cours sur zoom pour lutter contre la mort. Car la race se reproduit et elle tue! Il suffirait pourtant à ces enseignantes de suivre un peu l’actualité pour réaliser la matérialité derrière le mot qui leur est interdit. En réalité cette enseignante est bien informée car Joyce Echaquam hante son esprit. Le problème c’est que la liberté ne s’obtient qu’au prix d’une discipline mentale, travail qu’elle semble peu disposer à effectuer car il est plus simple de se laisser gouverner par ses émotions lorsqu’on est dans une position de pouvoir. La position des professeurs au sein de l’université est importante au Québec, ces derniers sont bien rémunérés, les étudiants ont du mal à se payer une instruction et pèse déjà sur leurs épaules le poids de la dette. Ils n’ont finalement pas grande liberté d’expression dans la mesure où le temps et l’espace ne sont pas aménagés à cet effet, sans oublier le pouvoir que confère le jugement et la notion de leurs enseignants. Quand il y a désaccord, la situation peut devenir écrasante pour une personne non-blanche qui apporte la contradiction. Je vous laisse le soin d’évaluer l’ampleur que peut prendre une attitude irresponsable qui cadre mal les échanges entre étudiants par une enseignante qui n’a pas défini clairement son projet pédagogique en proposant de traiter d’enjeux se rapportant à des problématiques de domination raciale.

Etrangement, alors que la « subjectivité » et une prétendue « charge émotionnelle » sont les premiers outils de disqualification des étudiants non-blancs dans le cadre de leurs travaux , ce sont majoritairement des enseignantes blanches qui rapportent leur ressenti à la presse et non les étudiants qui font éclater le scandale. Les médias deviennent un espace propice aux confidences psy, un divan où elles se vautrent pour se noyer dans leur narcissisme. Elles y racontent leurs émotions et les faits sont inexistants, mais pas un mot sur le ressenti de leurs élèves. Elles sont pourtant responsables de leur transmettre des connaissances, de cultiver leur esprit critique et elles ont un pouvoir hiérarchique sur eux. Aucun article ne donne à lire un mot expliquant leur projet pédagogique qui justifierait l’emploi de mots racistes, violents et insultants, et c’est effarant pour des enseignants! Mais le plus ironique dans tout cela, est que le premier ministre lui-même décide de « cancel » des élèves sur base d’émotions partagées avec ces femmes fragiles, qu’il faudra protéger ! De toute évidence, la compassion n’est possible qu’avec ses semblables (c’est-à-dire d’une certaine race et d’une certaine classe sociale).

La cancel culture, un produit importé ?

Cette pratique est née il y a plus de 400 ans aux États-Unis ou la culture de la délation est très présente. Je me souviens très bien des affiches « wanted » dans les westerns que nous regardions avec esprit critique. Dans la conquête de l’Ouest, on ne s’embarrassait pas de justice : sans procès, sans défense, on était vite pendu haut et court. L’histoire du Canada est liée à l’histoire des États-Unis. Ce réflexe n’a pas disparu dans le pays, d’ailleurs il appartient aussi à la culture québécoise, car Legault n’a pas manqué d’encourager le « call-out » (la délation) depuis le début de l’épidémie. Robyn Maynard dans Noires sous surveillance : esclavage, répression, violence d’État au Canada [title format this book title] nous rappelle que l’État construit et déconstruit les récits à travers les institutions et qu’on se garde de nous apprendre à l’université l’histoire occultée du Canada des populations noires, autochtones et des populations immigrées. Elle le fait avec statistiques et exemples à l’appui, son travail est scientifique et rigoureux ! Au Canada, on se vante les mérites de John Graves Simcoe et l’Act Against Slavery, qui mène à l’abolition de l’esclavagisme au Haut-Canada dès 1810. Cependant, il n’a pas libéré les individus mis en situation d’esclavage ni leurs enfants qui devaient attendre l’âge de 25 ans. La libération avait un coût qui devait être acquitté par les propriétaires. On comprendra aisément la réticence de certains et les fondements racistes que nous connaissons. Dans l’idée : des individus noirs fraichement « libérés » devenaient de potentiels criminels car ne possédant rien : il fallait donc les surveiller. Ils le furent y compris les citoyens ne représentant pas l’ordre publique mais représentant bien un certain ordre colonial racial : c’est la naissance du profilage. C’est ce passé qui ne passe pas ! c’est la cancel culture d’Etat qui condamne les non-blancs sans procès, comme peut en témoigner Monsieur Camara.

Ce qui inquiète le détendeur du pouvoir exécutif, seraient des « radicaux qui veulent censurer, museler, intimider et brimer notre liberté de parole. » Mais qui seraient-ils ?
Mathieu Bock-Côté , jouis à la lecture du statut Facebook de François Legault qui en recommande la lecture et se positionne contre une certaine “gauche woke”. Elle serait partout, y compris dans les universités, mais en réalité, c’est avec #metoo qu’on découvre les « safe space », la « cancel culture » la « wokeness », le « call-out ». Ce sont des pratiques militantes d’opprimées et elles n’ont ni le pouvoir, ni les mêmes effets que celles d’un Premier ministre. De plus, cette tendance n’a pas grand-chose à voir avec la gauche blanche où elle ne fait pas consensus pas plus que dans toutes les approches féministes…

Une critique décoloniale de ces pratiques me semble alors pertinente

Aujourd’hui, la « cancel culture » est essentiellement pratiquée dans des milieux non-mixtes de « concernées » par des oppressions systémiques. Ils essaient de construire des « safe space » mais les rapports de pouvoirs sont partout. Les « cancelled » sont la plupart du temps des opprimés qui ont pu commettre une comportementale, des erreurs d’appréciation ou dire quelque chose d’inapproprié voire des agressions sexuelles ou non.
Une fois ce cadre posé, la pratique s’intensifie. On considère qu’une fois la bêtise prononcée ou un comportement problématique effectué, rien ne pourra l’effacer, l’auteur devient un « problème » à gérer, il est « cancelled ».

Le processus se poursuit, car être problématique est semble-t-il contagieux et il faut donc mettre le coupable en quarantaine et il en sera de même pour ceux qui le fréquentent.

Ces pratiques me semblent dangereuses car elles se font sans prendre en compte le statut politique de la personne « called out ». Les sentiments et émotions ne sont pas de mon point de vue questionnable, ils sont subjectifs et appartiennent à la personne qui les partage. Cependant, des faits rapportés m’apparaissent nécessairement discutables, à évaluer et à contextualiser avant de mener à une quelconque action punitive. L’idée de justice que présente ce cadre est discutable. En effet, ici, les rapports de force politiques sont occultés, on arriverait à faire d’une femme noire un oppresseur si elle a eu un comportement problématique. On confondra les connards avec les opprimés. A la sauce postmoderne, la différence devient indifférente et l’on arrive à produire des relations dépolitisées perdant de vue leur objectif. Les pratiques peuvent être lourdes de conséquences car on verra s’organiser la mise à mort sociale de la personne jugée pas « safe ». La répression s’organisera sans discussion préalable sur ce qui a amené au faux pas car il faut croire la victime sur parole sans même demander du contexte. Toute interrogation deviendra suspecte et la personne qui interroge sera tout aussi coupable que le « cancelled ». On devient juge, juré et bourreau, sans procès. Et on prend le risque de mettre en place des excommunications arbitraires à l’encontre de personnes en situation déjà très précaire… Par ailleurs, il est difficile de mon point de vue de se réjouir de la punition d’un individu dans le cadre de discriminations globales et je ne suis pas certaine de l’efficacité de ce genre de pratique.

On notera, par ailleurs, qu’on a rarement vu des dominants blancs, riches et coupables souffrir de ce genre d’approche punitive. Un Legault ne devrait pas avoir voix au chapitre, pas plus que les grands professeurs blancs qui devraient remettre en question leurs capacités réflectives et de transmission. En revanche, on ne peut en dire autant pour des personnes non-blanches parfois accusées à tort et dont la vie a été réduite à néant. #metoo nous a même démontré que la pratique pouvait se retourner contre la victime qui « call-out ». Les puissants ayant les moyens d’être proactifs et d’attaquer en diffamation avant même que la victime ait pu mettre en place une procédure légale à l’encontre de l’agresseur présumé.

« La dignité ou la mort »

Cela étant dit, il est inacceptable de confondre ces pratiques (non condamnables, mais discutables) avec des réactions légitimes et saines, des manifestations de dignité bien politiques lorsque des mots produits de la haine raciale sont prononcés par le corps des puissants, celui des « maitres »:
Ma mère est née en 47, on n’est pas noires, mais « sauvages ». Elle m’a inculqué très jeune l’interdit de prononcer le N Word dont elle m’a très simplement expliqué l’histoire et la violence ! Elle m’a aussi insufflé assez de dignité pour que je n’accepte pas de subir les qualificatifs racistes « de bougnoule » ou de « sauvage » par les puissants.

Il n’y a pas de nouveau phénomène. Refuser l’emploi de ces mots par les détenteurs du pouvoir n’a rien à voir avec de soi-disant nouvelles tendances. L’angélisme blanc feignant la découverte de ces interdits est satanique ! Il en va de même pour le terme « sauvage », n’importe quel colonisé en connait la charge et l’outil colonial qu’il représente ! On peut à la fois être dans une colère légitime ou s’amuser de l’impudence de Denise Bombardier qui a annoncé renoncer à mener des entrevues lors du Salon du livre de Québec alors qu’elle avait décrit la culture autochtone comme étant « mortifère » et « anti-scientifique ». Elle se permit aussi des insinuations racistes et dangereuses durant le blocus ferroviaire en 2020. Pour elle, les Mohawks, « Ce sont les Autochtones les plus tonitruants. Parmi eux se terrent des truands qui imposent leurs lois et affectionnent les armes à feu « spéciales ». Non pas celles qui permettent à tout chasseur de tirer le chevreuil, l’orignal ou l’ours, mais des armes de guerre automatiques. Celles qui se retrouvent dans les mains des militaires, des terroristes et trop souvent des meurtriers de masse. ». Elle considère les réserves comme « lieux inhumains à l’écart de toute civilisation ». En ce qui me concerne, je préfère être une « sauvage » car nous sommes nombreux à savoir l’indignité et l’inhumanité des prétendus « civilisés » civilisateurs dans leurs rapports à l’altérité. La civilisation génocidaire, capitaliste occidentale de Denise semble être aux origines de la fin du monde, pas de quoi s’en vanter ! Je m’amuse donc de la mémoire de poisson rouge de Bombardier qui n’a pas pensé une seconde qu’elle devrait assumer ses propos suprémacistes et méprisants. C’est avec une joie décoloniale que j’accueille la victoire politique des résistants autochtones , qui ont poussé la journaleuse à se retirer !

En somme, il est vieux comme le monde de dénoncer des constitutions, des lois, des tendances politiques, des idéologies, des médias, des auteurs, des personnes de pouvoir, des organisations politiques, des associations, des institutions moribondes y compris l’Etat. Les mouvements de luttes dans les universités n’ont rien de nouveau et ont bénéficié à l’enrichissement des savoirs.

Ces luttes impliquent toujours d’écrire, d’organiser collectivement des manifestations, de se mobiliser autour de certaines problématiques en vue de construire un rapport de force favorable aux revendications politiques portées collectivement afin d’abolir les traitements indignes auxquels on essaie de nous soumettre.

Il ne s’agit donc pas de mettre en œuvre une visibilité sauce libérale ou que sais-je. Nous n’avons pas envie d’être vus ou aimés, nous voulons être entendus, et que nos revendications politiques aboutissent, pour une vie plus juste et meilleure. Alors, à cette jeunesse qui ne peut se rencontrer, débattre, s’énerver, crier, discuter, échanger, mettre en place des réunions, s’organiser collectivement, bloquer des universités, se mettre en grève et peser dans le rapport de force, je souhaite bon courage, bon usage des nouveaux médias et de nos erreurs pour signaler leurs désaccords, défendre leurs positions politiques et leurs revendications pour se construire un monde décent et digne de leur humanité !

Le verger au complet : Une série de podcasts sur l’abolition de la police et des prisons

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Fév 222021
 

De la Convergence des luttes anti-capitalistes

La Convergence des luttes anticapitalistes (CLAC) publie aujourd’hui le premier épisode d’une série de podcasts sous forme d’entrevues nommée Le Verger au complet. Le Verger au complet vise la diffusion d’information relative à l’abolition de la police et des prisons et à la justice, en abordant des thématiques telles que l’emprisonnement des migrant.e.s, la criminalisation de la dissidence et la justice transformatrice. Le premier épisode introduit l’idée derrière le projet et propose un survol historique de la police en Amérique colonisée et plus spécifiquement au soi-disant « Québec ».

Alors que les discours libéraux présentent les violences policières comme l’affaire de quelques pommes pourries dans le panier nous proposons plutôt une analyse critique de la police et des institutions punitives: on ne réforme pas un système pourri, on l’abolit! Attaquons-nous au verger au complet!

Si nos imaginaires radicaux sont aussi les vôtres et que vous souhaitez partager notre contenu encore tout chaud du four, toute diffusion publique et/ou à vos membres serait extrêmement appréciée! Le podcast peut être trouvé sur la plupart des plateformes de diffusions de podcasts.

Vous pouvez écouter notre premier épisode, HIS-1312 – Introduction et histoire de la police, ici :

L’épisode vise à retracer le développement des différents services de police dans le nord de l’Île de la tortue, pour mettre en évidence son importance pour le développement du racisme et du capitalisme qui continuent jusqu’à nos jours.

Produit par la CLAC, 2021. Diffusé sous license Creative Common – Attribution – Pas d’Utilisation Commerciale – Partage dans les Mêmes Conditions 3.0 France (https://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/3.0/fr/)

Musique

* « Caché icitte » des Goules, tirée de l’album « Les Animaux », https://lesgoules.bandcamp.com/album/les-animaux , utilisé avec la permission du groupe.
* « Black Sheep » de Backxwash, tirée de l’album « God Has Nothing To Do With This Leave Him Out Of It », https://backxwash.bandcamp.com/, utilisé avec la permission de l’artiste.

Références

BRODEUR, Jean-Paul, 1984, La délinquance de l’ordre, enquête sur les commissions d’enquêtes (http://classiques.uqac.ca/contemporains/brodeur_jean_paul/delinquance_de…)
GAUTHIER, Carl, 2005, La sûreté du Québec un professionalisme en voie de développement, Mémoire de maîtrise, Université Laval (https://corpus.ulaval.ca/jspui/handle/20.500.11794/18395)
MAYNARD, Robyn, 2017, Policing black lives, Fernwood Publishing.
WILLIAMS, Kristian, 2008, Our ennemies in blue, South End Press.
ZINN, Howard, 2015, A people’s history of the USA, Harper Perennial Modern Classics, p.173-177.
La commission Viens: https://www.bibliotheque.assnat.qc.ca/DepotNumerique_v2/AffichageFichier…
La commission Keable: https://www.bibliotheque.assnat.qc.ca/DepotNumerique_v2/AffichageFichier…

Transcription

La police et les prisons sont des institutions violentes et racistes, issues d’un héritage colonial qui ne servent qu’à reproduire les injustices du système capitaliste. Tous les jours, même quand c’est la soi-disant paix sociale, la police violente, harcèle et incarcère les personnes les plus démunies et les plus opprimées. Et quand elles se soulèvent, c’est encore la police et la prison.

Le problème, ce n’est pas seulement les dérapes violentes de la police, mais l’institution policière elle-même, qui constitue une forme de violence tout comme les tribunaux, les lois et les prisons. Peut-on vraiment parler de pommes pourries quand l’institution entière existe pour réprimer et opprimer?  Le verger au complet, c’est une série de podcast sous forme d’entrevues touchant à différents thèmes liés à la police, aux prisons et à la justice, mise sur pied par la CLAC, la Convergence des luttes anticapitalistes, un groupe basé à Tiohtià:ke/Montreal, en terres Autochtones non-cédées habitées entre-autres par la nation Kanienkeha:ka. Nous vous proposons une analyse critique qui s’oppose à la vision libérale préférant cibler les pommes pourries dans le panier plutôt que de s’attaquer aux systèmes d’oppression. Ne leur laissons pas cette chance: On ne réforme pas un système aux fondations pourries, on les démolit! Attaquons-nous au verger au complet!

Derrière l’idée de ce podcast, il y a une volonté de partager les connaissances, les expériences et les imaginaires radicaux, afin de mieux comprendre qui sont et comment fonctionnent nos ennemis. Il peut être difficile d’y voir clair à travers la supposée neutralité du système juridique et les discours de légitimation de la police. Comment faire la part entre bavures individuelles et discriminations institutionnalisées? Qu’est ce qui explique la sur-représentation de certains groupes dans les prisons? Comment ces structures nous mettent à mal en prétendant vouloir nous protéger et nous servir? Comment la catégorie de « criminel » est-elle construite? Ne sert-elle pas seulement à nous faire avoir peur les unes et les uns des autres? En quoi le définancement de la police est-il insuffisant et son abolition nécessaire? Comment repenser la justice au sein d’un État qui perpétue le génocide des peuples Autochtones? Quels type de justice alternatives pourraient remplacer les systèmes répressif et punitif actuels? Quelle forme prendraient une justice transformatrice dans une société post-révolutionnaire? Et dans la société actuelle? C’est entre autres ce que nous nous proposons d’explorer au fil de ces épisodes.

Dans cet épisode, on va traiter de l’histoire de la police sur l’île de la Tortue. On va d’abord discuter des fondements de la police comme outils de protection de la propriété privée et comme groupe organisé et rémunéré visant à l’application de règles des autorités établies. On discutera ensuite du développement de forces policières dans l’Amérique colonisée en brossant un portrait de l’histoire de la police au soi-disant Canada, au soi-disant Québec, puis aux soi-disant États-Unis. Tout ça pour mettre en évidence les différentes motivations qui ont amené l’implantation de ces organisations, exposant leur caractère profondément raciste et capitaliste.

Q : À partir d’où tracerais-tu les débuts de la police comme on la connaît?

R : C’est un gros débat académique de savoir à quand date l’apparition de la police. En fait, des forces militaires, des groupes armés, des gardes du corps, des mercenaires ont existé depuis des temps immémoriaux. Pour ce qui est d’une définition de la police moderne, elle comprend différents aspects: 
• une force permanente et salariée,
• ayant un responsabilité 24 heures par jour sur une ville ou un territoire
• et dont le personnel est principalement occupé à l’application des lois et au contrôle
Pour revenir à son origine, les forces policières se renforcent au fur et à mesure de l’implantation du capitalisme. Les premières forces policières organisées telles que nous les concevons de nos jours sont apparues en Angleterre au 18ème siècle. Avec le mouvement d’appropriation des terres et d’expulsion des paysans et paysannes qui a commencé deux siècles plus tôt, phénomène qu’on associe à la naissance du capitalisme moderne, les plus riches propriétaires terriens craignent les soulèvements des paysans et paysannes expropriés. En plus d’enclôturer leurs terres afin d’empêcher l’accès au territoire, d’où le terme « enclosures », les seigneurs vont utiliser leurs ressources pour former des milices armées et protéger leur propriété. Précisons que depuis l’Antiquité jusqu’à la Renaissance, la royauté et les seigneurs recourent à leurs armées afin de réprimer violemment les révoltes des populations pauvres. Mais c’est avec l’émergence de l’État moderne qu’on voit une démarcation claire entre armée et police, pour la fonction de répression interne de la population.

Q : D’ailleurs, le déplacement vers les villes s’accompagne de plusieurs pratiques disciplinaires qui marquent les populations pauvres dans ce qui sera appelé « le grand enfermement ». Depuis le 15ème siècle, des mesures sont mises en place pour empêcher les gens qui sont capables de travailler de bénéficier de l’assistance sociale. Puis, la chasse aux sorcières s’en prendra aux femmes seules ou sans enfant et forcera plusieurs femmes vers la mise en famille. Le grand renfermement et l’apparition des asiles survenues au 17ème siècle a déplacé les personnes considérés inaptes à travailler dans des institutions. Ensuite, l’apparition des prisons au début du 18ème siècle a écarté une autre grande partie de la population. Par exemple, les nombreuses lois contre les vagabonds visent directement les personnes qui vivent du glanage, c’est-à-dire de la chasse illégale dans les forêts communes ou de la cueillette. De quelle façon la répression interne dont tu parlais a contribué à la stratification socio-économique pendant l’émergence capitalisme moderne?

R : C’est vrai que l’exode forcée des paysans et paysannes sans terres vers les villes causé par les situations que tu as nommées coïncide avec la première vague d’industrialisation et la consolidation de la bourgeoisie en tant que classe dominante. Cette bourgeoisie, propriétaire d’usines, bénéficie alors du travail bon marché des nouveaux et nouvelles citadins et citadines. Les villes deviennent des espaces où se côtoient la richesse la plus extravagante et la pauvreté la plus trash. Avec la création des premiers syndicats ouvriers et des grèves, la classe dirigeante craint une Révolution. C’est essentiellement pour contrôler ces nouveaux foyers de luttes, organisées ou non, que le premier corps policier moderne a été créée à Londres en 1829. À noter que cette réforme à été mise en place par le conservateur Robert Peel, qui, en passant, possède une rue à son nom à soi-disant Montréal. En fait, la plupart des services de police en occident sont créés en parallèle à des mouvements de grèves dans les usines. Supposément pour prévenir les émeutes, la police réprime les réunions syndicales, emprisonne les leaders syndicaux et utilise la violence pour écraser les manifestations. Lorsqu’elle n’est pas utilisée pour le contrôle des foules, on la charge de patrouiller les quartiers pauvres et d’assurer la tranquillité des quartiers riches. Derrière la création des forces policières se trouve l’idée qu’en contrôlant les soi-disantes « classes dangereuses », on diminuera les crimes. Voilà qui résume la double fonction de la police moderne: d’une part, la surveillance et l’intimidation au nom de la lutte à la criminalité et, d’autre part, la répression et le contrôle des grèves, émeutes et grandes manifestations.

Q : Fait intéressant: Les marchants riches engagent depuis longtemps des brutes ou des mercenaires pour protéger leur biens contre d’éventuels voleurs, mais avec la prise de contrôle graduelle des pouvoirs étatiques par la bourgeoisie, ils utilisent la création de services de police comme une manière de financer publiquement cette protection. Ils évitent donc d’avoir à payer eux-mêmes des agents de sécurité privés et renvoient les coûts à la société toute entière. Bref, la police moderne remplace la milice privée et le mercenariat, mais sa fonction première reste la même: protéger la propriété des mieux nantis et le système politique qui les avantage.

R : Et en prime, ce sont maintenant les opprimés qui paient!

Q : Donc là, on a parlé surtout du rôle de la police dans le contrôle des classes sociales chez ses propres citoyennes et citoyens. Maintenant, peux-tu parler du rôle de la police chez les peuples colonisés du soi-disant Canada?

R : Évidemment, la création de la Confédération canadienne en 1867 n’a pas mis un frein aux politiques colonialistes qui prévalaient à l’époque. Au contraire, tout au long de son histoire et jusqu’à aujourd’hui, le Canada reste un État colonial et ses forces policières sont utilisées pour imposer ses décisions politiques au détriment des populations autochtones. Malgré le mythe tenace selon lequel la Canada est un pays moins violent, aux méthodes plus humaines que son voisin du sud, l’histoire de la police, particulièrement la GRC, mais aussi la SQ au Québec, nous démontre que sous son masque bienveillant le Canada n’a rien a envier aux violences et à la barbarie des autres États coloniaux. Le Canada reste le territoire d’une compagnie, la compagnie de la baie d’Hudson, transformé en pays.

C’est à partir d’une force militaire formée expressément pour mater les rébellions Métis que la Police montée du Nord-Ouest, l’ancêtre de la GRC, va voir le jour au nord de l’actuel soi-disant Manitoba. Un convoi militaire d’un millier de soldats  est envoyé pour réprimer la Rébellion de la Rivière Rouge, à laquelle participent Louis Riel et ses alliées.Puis, il est établi comme force permanente sur ce territoire pour être finalement transformé en Police Montée en 1873. L’organisation participe à l’écrasement de nombreuses révoltes autochtones et Métis tout au long du 19e siècle. C’est après la grève insurrectionnelle de Winnipeg en 1919, que la Police montée du Nord-Ouest devient officiellement la Gendarmerie royale du Canada.

Q : C’est pas surprenant quand on voit ce qu’elle fait aujourd’hui.

R : En effet, le rôle de la GRC c’est d’être le bras armée dans la continuité des politiques colonialistes canadiennes. L’État se doit d’avoir plein contrôle sur l’ensemble du territoire qu’il définit comme « le sien ». Les souverainetés autochtones sont tolérées dans la mesures où elles n’entrent pas en contradiction avec les intérêts corporatifs du régime ou des compagnies qu’il protège. La GRC est alors déployée comme une armée d’occupation en territoire ennemi pour faire respecter les lois et les décrets votés par le parlement canadien… ou les projets privés cautionnés par le gouvernement. 

Q : On peut penser à certains projets extractivistes qui ont fait l’objet d’une résistance Autochtone importante dans les dernières années, comme par exemple le pipeline Coastal GasLink, le pipeline TransMountain ou le projet Alton Gas. 

R : Exactement, c’est difficile de dénombrer les projets coloniaux qui nécessitent une répression policière des protectrices et protecteurs du territoire au soi-disant Canada parce c’est simplement une réalité constante et omniprésente de l’occupation Canadienne.

Q : Quand on regarde l’histoire des luttes Autochtones au soi-disant Québec et les disputes territoriales actuelles, on se rend compte que c’est plutôt la Sureté du Québec, la SQ, qui incarne la menace de violence envers les Autochtones qui défendent leur territoire traditionnel. La force de police au soi-disant Québec, ça a débuté comment?

R : On peut remonter au rapport Durham de 1839 qui recommande la ré-implantation d’une police au Bas-Canada. Le rapport dit que la police a toujours été dysfonctionnelle sur le territoire et que ses six agents n’avaient aucun compte à rendre. C’est donc après la rébellion des patriotes que le premier service de police moderne voit le jour au Canada, avec comme objectif explicite de surveiller les activités politiques des populations rebelles. Les services de polices de Montréal et de la ville de Québec sont quant à eux crées en 1843 chacun composés d’une cinquantaine d’hommes. La police provinciale est officialisée par l’Acte de police du Québec en 1870, abolie par les libéraux en 1878 et ré-établie par les conservateurs en 1883. En 1937, le gouvernement ultra-conservateur de Maurice Duplessis réorganise la police provinciale en quatre services distincts: la police judiciaire, la gendarmerie, la police de la route et la police des liqueurs. La même année, la Loi du cadenas a été adoptée. Cette loi mène à des perquisitions et à la fermeture des établissements soupçonnés d’héberger des activités subversives, notamment des journaux communistes de l’époque, mais aussi des activités syndicales. La SQ est née suite à l’implémentation des recommandations du rapport Cannon de 1944, qui, et je cite: « se penche sur le véritable rôle de la Sûreté provinciale, notant que, dans l’opinion publique, la Sûreté était depuis des années critiquée pour l’inefficacité de son travail et le résultat négatif de ses activités ». Il semble déjà y avoir une constante, la police est inefficace.

Q : Effectivement. Puis là, si je comprend bien, l’organisation des différentes forces de police sur le territoire, c’est pas une histoire tout a fait linéaire?

R : Non en effet, et l’importance relative de la SQ en comparaison aux polices locales et municipales va continuer de changer entre l’époque de Duplessis et aujourd’hui. En général, dans les années 70s, et depuis l’implantation de leur centre opérationnel sur la rue Parthenais à Montréal, les policiers vont développer plus de niveaux hiérarchiques, implanter différentes spécialités, et s’équiper de gestionnaires pour encadrer le tout. Depuis 1960, les services de police municipaux tendent de plus en plus à disparaître pour laisser place à la SQ. C’est comme ça qu’entre 1960 et 1980, la SQ est passée de 1500 à 4500 agents, en plus d’ajouter 1000 employés civils. En 1977, la commission Keable sur l’infiltration du FLQ par la police, rapporte que les opérations étaient dépourvues de légitimité et estime que les corps policiers ne sont soumis à aucun contrôle satisfaisant. La même année, la commission Mcdonald blâme sévèrement la GRC pour diverse pratiques illégales (écoute électronique sans mandat, vols, fabrication de faux documents) et ses recommandations mènent à la séparation du service de police fédéral et de sa branche de contre-espionnage, qui devient le Service canadien de renseignement et de sécurité, le SCRS, en 1984.

Q : 1984, bel adon! Après ça, le prochain événement d’importance pour la police provinciale, vous l’aurez deviné, c’est l’intervention de la SQ lors du blocage d’une route par les Mohawks/Kanienkeha:ka de Kanesatake, le 11 juillet 1990. Un assaut manqué qui a coûté la vie à un agent, le caporal Lemay. Au fur et à mesure du déroulement de la crise d’Oka, les propos désobligeants envers les autochtones tenus par le représentant de l’Association des policiers provinciaux du Québec (le syndicat des agents de la SQ) pis les responsable de la SQ eux-mêmes, renforçaient l’image négative de la SQ. Voici un extrait du journal La Presse qui dénonce racisme de la SQ et son manque de nuance dans ses communiqués de presse: 
« Ce communiqué, où l’on n’a même pas la décence de faire la distinction entre les Warriors armés et l’ensemble de la communauté Mohawk, donne l’image d’une police raciste, aux yeux de laquelle tout Mohawk est un criminel en puissance ». 

Un rapport du coroner sera produit à ce moment, le rapport Gilbert, qui montre que la SQ a décidé d’intervenir seule, sans l’autorisation explicite du ministre. Le rapport Gilbert nous dira, ouvrer les guillemets:
« Lorsque l’ordre social et la sécurité publique sont menacés, le problème en est un qui doit être pris en main par le gouvernement et non laissé à la décision isolée de la police. » Fermer les guillemets.

Donc, même si les différentes commissions d’enquête qui se succèdent ont des mandats et des contextes différents, il reste que les services policiers continuent d’agir sans nécessairement devoir répondre à qui que ce soit. Après Oka, de nombreux efforts sont mis en place pour encadrer le corps de police provincial et le rendre plus transparent aux yeux du public. Mais malgré les efforts pour camoufler leurs bavures et leur incompétence, les rapports qui suivent continuent de pointer les mêmes problématiques.

R : Oui et c’est pas tout, avec l’obligation de toutes les municipalités du Québec de plus de 5000 habitant-e-s d’avoir un service de police, mise en place depuis 1992, plusieurs petites villes et communautés rurales ont eu à transférer leurs activités à la SQ. C’est le cas par exemple du service de police de Joliette, qui est passé au contrôle de la SQ en 2008, de celui de Val-d’Or en 2002 et tout récemment, celui de Mont-Tremblant. C’est le cadre qui va mener à la commission Viens sur les relations entre les communautés autochtones et certains services publics, dont la SQ de Val-d’Or, suite aux témoignages d’une dizaine de femmes autochtones rapportant des abus physiques et sexuels, de la négligence et du mépris entre 2002 et 2015. Ce rapport nous dit aussi que, et je cite:
« Entre le 1er janvier 2012 et le 31 août 2017, 4 270 constats d’infractions ont été remis à Val-d’Or. 75,1% de ces personnes étaient d’origine autochtone ».
Les motifs de ces interventions, selon la police sont les nombreuses infractions à la réglementation municipale, dont flâner, se trouver en état d’ébriété dans un endroit public ou troubler la paix. Encore une fois, les policiers, responsables de l’ordre public, agissent en fonction de priorités qu’ils définissent eux-mêmes. Ce sont les mêmes reproches que dans le rapport sur la crise d’Oka. La soi-disante transparence n’a aucunement augmenté et le racisme n’a pas été remis en cause. C’est presque grotesque que malgré plusieurs rapports pointant les mêmes violences et les mêmes lacunes, rien ne change réellement sur le terrain et l’histoire semble se répéter sans cesse.

Q : On parle de rapports et de commissions d’enquête, pourtant la seul tendance qu’on semble constater chez la SQ ou le SPVM, c’est l’accroissement de leur budget et de leur capacité technologique, mais leur rôle et leur façon d’agir restent sensiblement les mêmes. Peut-être qu’on peut essayer de synthétiser tout ça; j’aimerais que tu parles justement de la façon dont l’État présente la police à la population.

R : On s’entend, depuis trois quart de siècle, la police est inefficace, contre-productive et agit en cavalier seul. Même si les rapports des commissions présentent une relation houleuse entre l’État et sa police, on doit se demander: est-ce vraiment le cas? Une institution dysfonctionnelle, qui est rabrouée tout les 10 ans sans jamais rien changer me semble un signe indéniable que: son rôle informel est en fait son rôle formel. Sur papier, l’État a les compétences pour « faire le ménage » au sein des corps policiers en termes de transparence et d’imputabilité. Mais le simple fait que rien n’est mis en place depuis toutes ces années souligne très bien qu’on a affaire à plus qu’une pomme pourrie, mais bien un verger au complet, et ce tant du côté de l’État qui profite de la situation que de la police. 

Pensons par exemple à certaines manifestations du 1er mai, en réponses aux assassinats de la police ou au Printemps 2012 et 2015. Comment le ministre de la sécurité publique peut-il tolérer que des centaines de policiers armés attaquent violemment des manifestantes et manifestants à proximité de zones résidentielles? En fait, il y a deux hypothèses. La première c’est que la classe politique ne veut pas savoir les détails, pour éviter d’être tenue responsable. La seconde, plus plausible, est que ses ordres proviennent directement des éluEs, mais que ces ententes sont gardés secrètes. Dans un cas comme dans l’autre, la responsabilité des agissements de la police n’est pas assumée par les pouvoirs politiques, mais tout de même supportée tacitement. La répression, la violence et les agressions envers les plus vulnérables, qui sont au centre des agissements que la police, aurait pu diminuer en implantant les mesures d’un rapport ou d’un autre, si la volonté du gouvernement existait. Mais l’État se soucie peu de l’application des mesures, sinon que des apparences qui facilitent son acceptation sociale. La police provinciale a été mise en place à la suite de soulèvement populaires et contribue au maintient du colonialisme, du racisme et du capitalisme. C’est son rôle officieux, parfois exposé, mais jamais sanctionné. On est loin d’une quelconque garantie de justice ou d’impartialité qui garantirait le respect de la loi, comme on aime nous le dire. 

C : En d’autres mots, les services de police ne sont que les chiens de garde de l’État, jamais dociles, jamais contrôlables, même si l’État s’achète une bonne conscience et tente d’embellir son image en les critiquant de temps à autre.

Q : Pour mieux comprendre les manifestations contre la police et le mouvement Black Lives Matter aux États-Unis, peux-tu nous parler des origines de leur police?

R : La police aux États-Unis est une continuité de l’esclavagisme. Selon Howard Zinn, au 19e siècle, comme les populations esclaves américaines étaient moins nombreuses et moins denses que dans les Caraïbes, l’évasion était plus réaliste que l’insurrection armée. Les propriétaires d’esclaves mettent alors sur pied des dispositifs pour surveiller les esclaves sur leurs terres, les overseers, mais également pour retrouver les esclaves en fuite, les slave patrols, les patrouilles d’esclaves. Ces patrouilleurs agissent avec une cruauté inqualifiable envers les esclaves récalcitrantes et récalcitrants, allant jusqu’à la torture et l’assassinat légalisé. Ils utilisent des chiens de chasse pour traquer les personnes fugitives et les mutiler. Les peines pour les personnes blanches aidant des esclaves à s’enfuir sont aussi rehaussées avec le Fugitive Slave Act de 1850, qui sera appliqué dans les États du Nord, où l’esclavage est pourtant interdit. C’est entre autre aussi dans le but de décourager la solidarité de classe entre personnes noires et personnes blanches que les autorités du Sud, comme du Nord, mettent en place une ségrégation raciale de plus en plus stricte. Les overseers, engagés pour réprimer les esclaves, sont souvent des immigrants irlandais eux-mêmes très pauvres, ce qui accentue la division raciale au profit de l’élite propriétaire.

Les slave patrols servent une autre fonction, essentiellement contre-insurectionnelle: leur présence et leur méthodes brutales agissent de manière préventive, qu’on pourrait qualifier de terroriste, pour décourager tout soulèvement de la part de populations noires.

Q : Et après la guerre civile?

R : Après la Guerre Civile et l’abolition de l’esclavage, la tradition esclavagiste se poursuit dans les États du Sud. Les esclaves nouvellement libérés demeurent liés à leurs anciens maîtres à travers des dettes ou des conditions de vie misérables pour les rendre dépendantes et dépendants du nouveau système économique importé du Nord. Mais pour pouvoir exploiter leur force de travail dans les usines, il faut les autoriser à circuler librement, au grand regret de la population blanche, qui vit dans la peur constante d’une insurrection. C’est devant cette menace perçue que sont créée les premières polices modernes dans les villes. Dans certains cas, les soulèvements populaires appréhendés se sont bel et bien produits. Au Nord, entre 1801 et 1832, les noirs de New-York, par exemple, ont déclenché pas moins de quatre émeutes pour tenter d’empêcher les esclaves affranchis d’être renvoyés à leurs anciens maîtres. Ces efforts ont généralement échoué: la garde a répondu violemment et les participantes et participants ont reçu des peines particulièrement sévères. Mais malgré la désapprobation de l’élite et la répression, les classes populaires ont continué de se révolter, parfois même en transgressant les barrières raciales. 

Q : Donc gros spoiler, l’abolition de l’esclavage, c’est plutôt une transformation des mécanismes d’exploitation, c’est bien ça?

R : Exact, comme je disais, après la guerre, plusieurs états du Sud créent de nouveaux codes de lois qui reproduisent leurs lois esclavagistes, et qui régissent les déplacements et à peu près toutes les sphères de la vie des esclaves libérés. On les appelle les Black Codes ou Black Laws. Par exemple, selon les vagrancy laws, qu’on pourrait traduire comme lois sur le vagabondage, on retrouve l’obligation de trouver un travail, sans quoi on peut se faire arrêter et emprisonner pour n’avoir que marché dehors sans preuve d’avoir un travail. Ça donne le pouvoir aux employeurs et ça fait que les gens sont obligés de prendre n’importe quelle job de marde. C’est carrément de l’esclavage à peine salarié.

Q : Donc l’esclavage est soi-disant aboli… mais le fait d’exister sans travailler est criminalisé. Puis en prison, c’est le travail forcé!

R : Oui, et même si les overseers et les slaves patrols sont abolies, dans les faits, les forces policières qui les remplacent vont en conserver plusieurs éléments, dont faire respecter les couvres-feu, la surveillance des quartiers et, bien sûr, un racisme insidieux. Dès sa naissance, par exemple, le Ku Klux Klan jouit d’une immunité face à ses crimes, alors que les prisons que l’on bâtit par centaines au pays se remplissent majoritairement de détenus noirs. Ce n’est pas surprenant quand on sait que les membres du Klan sont souvent eux-mêmes des policiers ou des sheriffs. Avec une telle histoire, on comprend mieux pourquoi le profilage racial est autant enraciné dans les structures policières actuelles; c’est l’essence même de sa fondation. Aux États-Unis comme au Canada, les personnes Noires et Autochtones sont sur-représentées dans les prisons, et le racisme des services de police, qui se combine avec celui des systèmes de justices contribue fortement à cette situation. En ce moment, aux États-Unis, 40% des personnes incarcérées, tous niveaux confondus, sont Noires, alors qu’elles représentent 13% de la population. Il y a des États, comme la Louisianne et l’Oklahoma, où plus d’un pourcent de la population est actuellement incarcérée.

C : Des pendaisons publiques aux détachements militaires dans les villages, les démonstrations publiques de cruauté ont toujours visé a susciter la peur chez celleux dont l’existence est jugée un affront. Il faudrait qu’on accepte l’ordre social et qu’on abandonne notre pouvoir collectif à un vote aux quatre ans…

Tant qu’un segment de la population exercera un pouvoir disproportionné sur le reste d’entre-nous et sur les ressources dont on a besoin pour survivre, la police existera pour réguler, discipliner et maintenir ce contrôle. La violence policière n’est pas un accident – c’est une menace quotidienne – qui ne peut être séparée du contexte socio-politique dans lequel elle existe. Les mesures d’austérité s’accroissent, les mécanismes d’exploitation néocoloniale se modernisent, et les technologies de surveillance se normalisent dans nos quartiers en gentrification.

Dans le prochain épisode, on interview une militante du Collectif Opposé à la Brutalité Policière (le COBP) pour une discussion introductive sur l’abolition de la police. Ce sera l’ occasion d’explorer et d’avoir des réponses aux questions fréquemment posées sur la transition vers un monde sans police et de repenser sur quoi est basé notre sentiment de sécurité.

D’ailleurs, on en profite pour vous inviter à la 25e Manifestation Internationale contre la brutalité policière du 15 mars, organisée par le COBP. Restez à l’affût pour les détails.