Dans la rue. À bloquer les ponts, les ports, les autoroutes, les quartiers des affaires, les terminaux de carburant et même à prendre d’assaut le complex de TC Energy. On fonçait sur des immeubles de bureaux, on pendait des banderoles, harcelait des politiciens, la police et les tribuneaux. On sensibilisait, engageait, incitait. Des réunions se tenaient sans doûte tard le soir et nos rêves nous gardaient éveillé·e·s. On développait des stratégies. Nous étions en colère, passioné·e·s et déterminé·e·s. C’était tellement beau! Ça nous a inspiré, nous a donné de l’espoir.
Qu’est-ce qui s’est passé?
Pas possible que ce soit fini, car tout continue! La force n’est pas le consentiment. La GRC — les mêmes commandants qui se sont octroyé le droit de tuer — sont encore implantés dans le territoire Wet’suwet’en à harceler les gens. Leur audace est telle qu’ils ont établi un poste de surveillance dans un lieu où ils n’ont pas affaire et où ils n’ont aucune juridiction.
Le poste 9A fonctionne déjà au dela de la zone autour de Unist’ot’en et CGL anticipe d’en construire un autre plus important, dans les environs du printemps prochain. Une centaine de personnes liées à l’industrie sont installées à 9A et d’autres arrivent tous les jours par camion, tandis que d’autres prennent des hélicos qui polluent par leur bruit et particule.
CGL et ses sous-traitants détruisent la terre tous les jours avec des coups-à-blanc et en faisant sauter les montagnes avec de la dynamite tout au long du droit de passage de l’oléoduc. Cette activité stresse les animaux sauvages et les poussent vers de nouvelles zones et sur les routes, où la circulation ne cesse de croître.
Rien de cela ne devrait arriver.
Ces terres sont des terres autochtones non cedées.
Pour tout le monde qui y a mit pied, il est facile de vouloir défendre le yintah, facile d’en tirer de l’inspiration.
On peut boire directement des sources des rivières Skeena et Bulkley, lieux de reproduction pour 30% des saumons. Dans le silence des journées d’hiver, les pins imposants laissent tomber de leurs branches tout en douceur des couches de neige et les corbeaux sautent d’arbre en arbre. En août, les sommets des montagnes glaciales restent enneigés, l’eau du Wedzin Kwah coule froid et turquoise et les fleurs magentas de l’épilobe s’ouvrent comme des taches de peinture sur le paysage tandis que les aigles parcourent la longueur de la rivière.
C’est pittoresque — et il faut que chaque détail soit maintenu tel quel pour permettre au Wet’suwet’en de survivre et prospérer. Et à cette heure, à ce moment même, il nous est possible de les aider à rendre ceci possible. Et ils nous demandent de les appuyer, ils n’ont jamais cesser de le demander. C’est nous qui avons arrêté·e·s.
Pourquoi?
Si vous avez arrêté parce que vous n’étiez pas sûr·e·s quel camp soutenir, soutenez-les tous.
S’il n’est pas clair ce qui est voulu:
Ils ont besoin de gens sur place, surtout à long terme (il y a de l’argent dispo pour aider des personnes autochtones à s’y rendre);
Des actions respectant le droit naturel et avec les accords d’allié en place (ce qui ne veut pas forcement dire de demander la permission);
Les camps ont aussi publié des listes de souhaits sur leurs sites web;
Si vous ne savez pas par où commencer, commencez ici (les liens sont tous en anglais):
L’alternatif à essayer (ce qui n’est pas la même que l’abilité) c’est la complicité. Nous sommes nombreux·euses à profiter de nos vies et des privilèges qui vont avec, tel la possibilité de voyager, avancer sa carrière, aller en classe ou avoir du temps de loisir.
Ceci n’est pas un argument à se culpabiliser et « tout sacrifier pour la révolution » — c’est un argument à faire de cette lutte une priorité et d’y accorder autant d’importance que les autres élèments de sa vie: carrière, études, sociabilité, aventures, voyages… C’est un argument à prendre ceci au sérieux, car ce l’est, et il faut qu’on se prenne donc nous-même au sérieux; on parle de la survie des gens et de leur culture. On parle de souverainté et guérison autochtones. Cette lutte est anticoloniale, mais elle est aussi anticapitaliste et antiétatique, avec de la place pour plein d’actions différentes.
Considérez ce texte donc comme un appel à l’action.
Considérez-le un encouragement ponctuel à construire des réseaux et un momentum capable de s’adapter, prendre des risques et ainsi capturer l’énergie.
Retrouvez-vous entre proches et discutez:
Qu’est-ce qui vous permet de prendre des risques? Comment peut-on mettre ces choses en place? Comment peut-on incorporer plus d’énergie et de capacité dans nos actions sans se compromettre au niveau de la sécurité? Quelles pratiques et cultures voulons-nous développer pour nous permettre de procéder? Qu’est-ce qui a bien marché ici ou ailleurs? Si ailleurs, quelles leçons sont pertinentes à en tirer?
Qu’est-ce que l’État? Quels sont ses composants, aux niveaux physiques et symboliques? Quels sont les autres éléments et participants dans cette lutte? Si c’est le capital qui pousse ce projet vers l’avant, comment peut-on entraver soit les capitaux, soit les profits?
Dormez bien les ami·e·s et rêvez en grand. Une autre fin est possible.
Du MARDI le 7 JANVIER 2020 (date anniversaire de la descente de la GRC et de CGL) au DIMANCHE le 12 JANVIER 2020
Nous appelons toutes les communautés qui défendent la souveraineté autochtone et qui reconnaissent l’urgence de freiner les projets extractivistes menaçant la vie des générations futures à entreprendre des actions de solidarité.
Le territoire souverain et non cédé des Wet’suwet’en est sous attaque. Le 31 décembre 2019, la juge Marguerite Church de la Cour suprême de la Colombie-Britannique a accordé une injonction contre les membres de la nation Wet’suwet’en, laquelle assume l’intendance et la protection de ses territoires traditionnels contre de multiples pipelines destructeurs, dont celui de Coastal GasLink (CGL), qui transporte du gaz naturel liquéfié (GNL). Les chefs héréditaires des cinq clans Wet’suwet’en rejettent la décision de Church, qui criminalise les Anuk’nu’at’en (loi Wet’suwet’en) ; en ce sens, ils ont émis et appliqué une ordonnance d’expulsion des travailleurs de CGL du territoire. Le dernier entrepreneur de CGL a été escorté hors du territoire par les chefs Wet’suwet’en le samedi 4 janvier 2020.
En janvier 2019, lorsque la GRC a fait une violente descente sur nos territoires et nous a criminalisés pour avoir assumé nos responsabilités envers nos terres, nous avons vu des communautés du Canada et du monde entier se soulever en solidarité avec nous. Aujourd’hui, notre force d’action découle du fait que nous savons que nos alliés du Canada et du monde entier se lèveront à nouveau avec nous, comme ils l’ont fait pour Oka, Gustafsen Lake et Elsipogtog, en fermant des lignes de chemin de fer, des ports et des infrastructures industrielles et en faisant pression sur les représentants élus du gouvernement pour qu’ils respectent la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. L’État doit cesser d’imposer sa violence en soutenant les membres du 1 %, qui volent nos ressources et condamnent nos enfants à un monde rendu inhabitable par les changements climatiques.
À l’heure où la GRC se prépare à commettre de nouveaux actes de violence coloniale contre le peuple Wet’suwet’en, allumez vos feux sacrés et venez à notre aide.
Nous demandons que toutes les actions entreprises en solidarité avec nous soient menées de façon pacifique et dans le respect des lois de la ou des nations autochtones du territoire en question.
Le volume 18 de La Mauvaise Herbe (décembre 2019) vient de paraître.
Sommaire des articles:
– 2019, l’année où la merde a pogné dans l’ventilo
– L’intelligence artificielle; Quand des entrepreneurs essaient de nous faire avaler des couleuvres
– Book review; Race Traitor, by Elisa Hategan
– Ctrl-Alt-Del
Vous pouvez le télécharger sur le lien ci-dessous:
Commentaires fermés sur Spectacle lumineux du Nouvel An pour les DétenuEs du Centre de Détention de Québec
Jan042020
Soumission anonyme à MTL Contre-info
31 decembre 2019
Vers 19h00, un groupe de personnes s’est rassemblé dans les boisés en périphérie du Centre de Détention de Québec dans le but d’afficher leur support aux personnes détenues. L’établissement accueille des détenuEs qui purgent des sentences de moins de deux ans et des prévenus en attente de leurs procès. L’établissement peut accueillir plus de 710 détenus masculins, il est le deuxième plus grand établissement de détention provinciale au Québec, après la Prison de Bordeaux. La prison comporte également une section féminine qui comporte 56 places régulières. Au moment de la visite nocturne, une quinzaine de prisonniers se trouvaient dans la cour extérieure lorsque des feux d’artifice et des fusées de détresse ont été allumés, leur offrant un lumineux message de bonne année. Des souhaits et des cris enthousiastes furent échangés de part et d’autre des grillages avant que la sécurité ne tente de prendre la situation en charge. L’action s’est conclue sans arrestations.
Parce que nous vivons toujours dans un contexte colonial et raciste où les Premiers Peuples sont incarcérés par le gouvernement Canadien de façon disproportionné comparé au reste de la population, nous voulons réaffirmer notre solidarité en dénoncant la juridiction du “Canada’’ sur ces terres et sa main mise sur la vie et la détermination des peuples qui y vivent.
On ne peut plus nier l’impact du colonialisme !
Nous voulons aussi saluer le courage de Shanet Pilot, une autochtone guerrière, qui est toujours incarcérée 3 heures par semaines à la prison de Québec pour avoir défendu son territoire, le Nitassinan, et s’être opposée à un développement hydroélectrique d’Hydro-Québec. Depuis 2012 que le Gouvernement la fait payer par la prison le prix de ses dettes, quand en ce moment même, Hydro-Québec ne paie que des miettes en retour pour le vol de ses territoires. SOLIDARITÉ AVEC SHANET PILOT!
La pratique de mettre des détenu.es dans le « trou » de façons excessives est une pratique récurrente, qui se passe ici même au centre de détention de Québec et qui doit être abolie tout comme les prisons. Le rappeur Souldia raconte son expérience du « trou » alors qu’il avait 24 ans: « On m’a emmené au trou pour 21 jours. Ça sent les restants de nourriture de la veille, ça sent la pisse, ça sent la marde. Les murs sont sales. Y a du sang séché, de la bave. En moins de 10 jours, tu délires. »
La prison de Québec a aussi reçu l’indice « E » de la part de la société québécoises des infrastructures du Québec, ce qui signifie qu’elle a eu la note la plus basse et qu’elle est en très mauvaise état.
Un recours collectif est intenté contre le gouvernement du Québec pour dénoncer les préjudices vécus par les détenus vivent dans cette prison. La requête qui est mené par Samuel Cozak, un ancien détenu, révèle une mesure nommé le « camping » où les détenus doivent dormir à même le sol dans la cellule d’une autre personne incarcérée et ce à moins de 20 centimètres d’une toilette. M. Cozak dénonce aussi la sous-alimentation des détenus, l’insalubrité des cuisines et les interventions des agent.es qui sont teintées d’intimidation, d’utilisation de la peur et de mise en isolement excessive. On déplore aussi qu’un seul médecin soit présent par semaine pour répondre aux problèmes de santé de quelque 800 détenus incluant les services de santés mentales.
Un autre recours collectif est en cours en lien avec le suicide de Gaétan Laurion qui était incarcéré dans le secteur de l’infirmerie de la prison sous surveillance accrue après plusieurs tentatives de s’enlever la vie. Au moment de son décès, le gardien avait travaillé 45 heures dans les trois jours précèdent et dormait au poste de surveillance. La famille réclame réparation pour négligence.
Les prisons au Québec sont en général surpeuplées, il est estimé que le taux d’occupation de la prison de Québec est de 104%. Cette situation crée beaucoup de répercussions sur la vie des personnes criminalisées et se traduit notamment par d’importants transferts de détenuEs, soit l’équivalent d’une prison entière déplacée par jour dans la province.
Finalement, nous tenons à affirmer notre solidarité avec les personnes trans et la communauté LGBTQIA2 qui vivent d’autant plus de discriminations dans le milieu carcéral genré et qui font face aussi à des humiliations quand vient le temps de devoir se plier à des fouilles à nues. Un réseau est en place et se développe de plus en plus pour soutenir ces personnes en prison par l’entremise de correspondances écrites qui servent à créer des liens et même créer une certaine sécurité pour ces détenu.es, nous vous invitons donc à contacter le Prisoner Correspondance Project pour plus d’infos.
ENCORE UNE FOIS BONNE ANNÉE ET SOLIDARITÉ!
LE POING EN L’AIR PARCE QU’ON EST TOUS ET TOUTES NÉES POUR ÊTRE LIBRE!
NI PRISONS! NI ÉTATS! NI QUÉBEC! NI CANADA!
Voici le troisième textes d’une série de trois traitants de la piraterie.
« Des expériences de l’entre-deux-guerres, je retiendrais plutôt la folle république de Fiume […] C’était d’une certaine manière la dernière des utopies pirates (ou le seul exemple moderne) – et peut-être même la toute première TAZ moderne. » – Hakim Bey
L’histoire rocambolesque de Fiume
Lors du traité de Versailles de 1919, les vainqueurs refusent à l’Italie l’annexion de la ville de Fiume (aujourd’hui Rijeka en Croatie) et de la Dalmatie pourtant promises en 1915 pour que le royaume se range au côté de la Triple-Entente (Royaume-Uni, France, Russie). Le président américain Woodrow Wilson propose plutôt de faire de Fiume un État indépendant afin d’abriter le siège de la future Société des Nations.
Le poète et aventurier italien Gabriele D’Annunzio parle alors de « victoire mutilée ». En avril 1919, il crée la « Ligue de Fiume » destinée à « défendre contre la Société des Nations, tous les esprits aspirant à la liberté, tous les peuples tourmentés par l’injustice et l’oppression ». (1)
Le 12 septembre 1919, D’Annunzio se lance à l’assaut de Fiume à la tête d’environ 2 600 Arditi, nationalistes ou anciens combattants. Les troupes d’occupation américaines, anglaises et françaises se retirent sans avoir échangé un seul coup de feu. Toutefois, le gouvernement italien se désolidarise de cette initiative. Le poète lance alors un appel à la solidarité du peuple italien. Aussitôt, le futur Duce (Benito Mussolini, militant socialiste convertit au nationalisme et fondateur du fascisme) se charge d’organiser une levée de fonds pour permettre aux insurgés de mener à bien leur projet, réussissant finalement à récolter près de 3 millions de lires. (2)
Après l’échec des négociations avec le gouvernement italien, D’Annunzio proclame le 12 août 1920 la Régence italienne du Carnaro, reprenant le nom du golfe qui borde la cité balnéaire. L’URSS est le seul pays à reconnaître le nouvel « État ».
Lors d’une correspondance échangée avec l’anarchiste Randolfo Vella, D’Annunzio explique qu’il est pour « un communisme sans dictature » et que son intention est de faire de cette cité « une île spirituelle d’où puisse rayonner une action, éminemment communiste, en direction de toutes les nations opprimées ». (1) De son côté, l’écrivain anarchiste Hakim Bey mentionne dans TAZ, Zone Autonome Temporaire, que Fiume devient vite un refuge: « Artistes, bohémiens, aventuriers, anarchistes, fugitifs et réfugiés apatrides, homosexuels […] arrivèrent en foule à Fiume. La fête ne s’arrêtait jamais. Chaque matin D’Annunzio lisait des poèmes et chaque soir avait lieu un concert, puis des feux d’artifices. » (p.67)
La « Charte du Carnaro »
Le 27 août 1920, la « Charte du Carnaro », écrite par le syndicaliste révolutionnaire Alceste De Ambris en collaboration avec D’Annunzio, est promulguée. Elle reconnaît « la souveraineté de tous les citoyens sans distinction de sexe, de race, de langue, de classe, de religion… ». De plus, « seuls les producteurs assidus de la richesse commune et les créateurs de la puissance commune sont les citoyens à plein titre ».
Au niveau militaire, la « Charte du Carnaro » prévoit que « en temps de paix et de sécurité, la Régence ne maintient pas l’armée mobilisée; mais toute la nation reste armée » (1) et ce indépendamment du genre. La Régence prend exemple sur les Arditi, figures héroïques italiennes de la Première Guerre mondiale. Ils étaient composés de soldats libres et d’aventuriers. Une armée d’hommes et de femmes libres qui rompt avec la discipline et la hiérarchie des armées traditionnelles. Le commandement est exercé par un conseil, à l’instar des « conseils de soldats » durant la révolution allemande de 1918 et des soviets en Russie (avant la trahison des Bolchéviques).
Une économie pirate…
L’argent de la Régence italienne du Carnaro ne provient pas d’impôts ou de taxes mais des vols accomplis par les Uscochi ainsi que des dons de partisans et de donateurs. Hakim Bey souligne que: « La marine (constituée de déserteurs et de marins unionistes anarchistes milanais) prit le nom d’Uscochi, d’après le nom des pirates disparus qui vécurent sur des îles au large de la côte locale […] Les Uscochi modernes réussirent quelques coups fumants: de riches navires marchands italiens offrirent soudain un avenir à la république… ». (p.66)
L’armée régulière italienne met fin à la « fête permanente »
D’Annunzio refuse de reconnaître le traité de Rapallo (qui érige Fiume en État libre et fixe les frontières entre les royaumes de Yougoslavie et d’Italie). Le gouvernement italien lance un ultimatum à D’Annunzio et l’exhorte de quitter la ville avec ses partisans avant le 24 décembre 1920. Le poète maintient ses positions et l’Italie bombarde la ville. Cet évènement est connu en Italie comme la « Natale di sangue » ou le Noël sanglant.
D’Annunzio, précurseur du fascisme ?
À cette époque, l’Italie est en proie à la frustration et au désir d’un changement radical. Le fascisme naissant sème la confusion chez de nombreux militants révolutionnaires sincères. « Il ne faut pas oublier ou nier que nombre de militants antifascistes des Arditi del Popolo et des formations d’autodéfense prolétariennes, en Italie, ont d’abord été proche du fascisme dit « diciannovista » et « sansepolcrismo », ayant les caractéristiques d’un mouvement de gauche et progressiste dans le contexte italien, avant que celui-ci ne se transforme en mouvement impérialiste et dictatorial sous Mussolini. » (1)
Mussolini reprend à son compte de nombreuses idées D’Annunzio dont le corporatisme, l’uniforme noir et les techniques oratoires de mobilisation des foules. En fait, comme le souligne Hakim Bey: « Mussolini séduit lui même le poète. Quand D’Annunzio comprit son erreur, il était déjà trop tard. » (p.67)
Les temps sont turbulents. On voit d’ors et déjà, des barrages , des manifestations , des émeutes et des affrontements se produire régulièrement. Il est temps d’organiser les bouleversements qui se préparent.
Mais s’organiser ne signifie pas se joindre à une institution préexistante et recevoir des ordres. Cela ne devrait pas signifier que votre pouvoir et votre perspicacité personnels soient perdus pour devenir un rouage dans une machine. D’un point de vue anarchiste, la structure organisationnelle doit maximiser à la fois la liberté et la coordination volontaire à tous les niveaux, du plus petit groupe à la société dans son ensemble.
Vous et vos ami.e.s formez déjà un groupe affinitaire, la pierre angulaire de ce modèle. Un groupe affinitaire est un cercle d’amis qui se comprennent comme une force politique autonome. L’idée est que les personnes qui se connaissent déjà et se font confiance devraient travailler ensemble pour réagir immédiatement, intelligemment et avec souplesse aux situations qui apparaissent.
Ce format sans chef.fe s’est avéré efficace pour toute sortes d’activités de guérilla, ainsi que pour ce que la RAND Corporation appelle une tactique «fourmillante» dans laquelle de nombreux groupes autonomes imprévisibles submergent un adversaire centralisé. Vous devriez participer à chaque manifestation dans un groupe affinitaire, avec une acceptation partagée de vos objectifs et de vos capacités. Si vous appartenez à un groupe affinitaire qui a déjà agi ensemble, vous serez mieux préparé à faire face aux situations d’urgence et à tirer le meilleur parti des opportunités inattendues.
Par rapport à leur petite taille, les groupes affinitaire peuvent avoir un impact disproportionné. Contrairement aux structures traditionnelles hiérarchique, ils sont libres de s’adapter à toutes les situations, ils n’ont pas besoin de faire passer leurs décisions au travers d’un processus bureaucratique compliqué, et tou.te.s les participant.e.s peuvent agir et réagir instantanément sans attendre d’ordres, mais avec une idée claire. de ce à quoi s’attendre les un.e.s des autres. L’admiration mutuelle et l’inspiration sur lesquelles ils sont fondés les rendent très difficiles à démoraliser. Contrairement aux structures capitalistes, fascistes et socialistes, ils fonctionnent sans aucun besoin de hiérarchie ni de contrainte. Participer à un groupe affinitaire peut être gratifiant, amusant et efficace.
Par dessus tout, les groupes affinitaire sont motivés par le désir et la loyauté partagés, plutôt que par le profit, le devoir, ou toute autre compensation ou abstraction. Il n’est pas étonnant que des groupes affinitaire aient fait reculés de unités entière de police anti-émeute en ayant pour seul arme les munitions de gaz lacrymogène que celleux-ci leur avaient tirées dessus .
Le groupe affinitaire est un modèle flexible
Certains groupes affinitaire sont formels et immersifs: les participant.e.s vivent ensemble, partagent tout en commun. Mais un groupe affinitaire ne doit pas nécessairement être un arrangement permanent. Il peut servir de structure de commodité, assemblée à partir de personnes intéressées et de confiance pour la durée d’un projet donné.
Une équipe particulière peut agir ensemble en tant que groupe affinitaire, mais les membres peuvent également se diviser en groupes affinitaire plus petits, participer à d’autres groupes affinitaire ou agir en dehors de la structure du groupe affinitaire. La liberté de s’associer et de s’organiser à la convenance de chacun.e est un principe anarchiste fondamental; cela favorise la redondance, de sorte qu’aucune personne ou aucun groupe n’est essentiel au fonctionnement de l’ensemble et que les différents groupes peuvent se reconfigurer selon les besoins.
Choisissez l’échelle qui vous convient
Un groupe affinitaire peut aller de deux à peut-être jusqu’à quinze personnes, en fonction de vos objectifs. Cependant, aucun groupe ne devrait être d’une taille si importante qu’une conversation informelle sur des questions urgentes en devient impossible. Vous pouvez toujours vous séparer en deux groupes ou plus si besoin est. Dans les actions qui nécessitent de conduire, le système le plus simple consiste souvent à avoir un groupe affinitaire pour chaque véhicule.
Apprendre à se connaître intimement
Apprenez les forces, les vulnérabilités et les antécédents de chacun.e pour savoir en quoi vous pouvez compter les un.e.s sur les autres. Discutez de vos analyses de chaque situation dans laquelle vous vous trouvez et de ce qui vaut la peine d’être accompli: identifiez leur correspondance, leur complémentarité et leur différence, afin que vous soyez prêt à prendre des décisions à la fraction de seconde.
L’un des moyens de développer une intimité politique consiste à lire et à discuter des textes ensemble, mais rien ne vaut l’expérience sur le terrain. Commencez lentement afin d’éviter d’en faire trop d’un coup. Une fois que vous avez défini un langage commun et une dynamique interne saine, vous êtes prêt à identifier les objectifs que vous souhaitez atteindre, à préparer un plan et à passer à l’action.
Décidez du niveau de sécurité approprié
Les groupes affinitaire résistent à l’infiltration car tou.te.s les membres partagent une histoire et une intimité entre elleux, et personne en dehors du groupe n’a besoin d’être informé de leurs projets ou activités.
Une fois réunis, un groupe affinitaire devrait établir un ensemble commun de pratiques de sécurité et s’y tenir. Dans certains cas, vous pouvez vous permettre d’être public et transparent sur vos activités. dans d’autres cas, il ne faudra jamais parler de ce qui se passe au sein du groupe, même après que toutes ses activités aient été menées à terme. Dans certains cas, personne excepté les participant.e.s du groupe ne devrait savoir qu’il existe. Vous et vos camarades pouvez discuter et vous préparer à des actions sans faire connaitre à des gens extérieur que vous constituez un groupe affinitaire. N’oubliez pas qu’il est plus facile de passer d’un protocole de haute sécurité à un protocole de basse sécurité que l’inverse.
Prendre des décisions ensemble
Les groupes affinitaires fonctionnent généralement par consensus, les décisions étant prises collectivement en fonction des besoins et des désirs de chaque personne impliqué.e.s. Le vote démocratique, dans lequel la majorité obtient ce qu’elle souhaite et où la minorité doit tenir sa langue, est un anathème pour les groupes affinitaire – car si un groupe doit fonctionner sans heurts et rester soudé en cas de stress, chaque personne impliquée doit être satisfaite du fonctionnement. Avant toute action, les membres d’un groupe doivent définir ensemble leurs objectifs personnels et collectifs, les risques qu’iels sont à l’aise de prendre et leurs attentes les un.e.s envers les autres. Une fois ces questions réglées, iels peuvent mettre au point un plan.
Étant donné que les situations d’action sont toujours imprévisibles et que les plans ne se concrétisent que rarement, il peut être utile de recourir à une double approche de la préparation. D’une part, vous pouvez planifier différents scénarios: Si A se produit, nous nous informerons par X et nous passerons au plan B; si X moyen de communication est impossible, nous nous réunirons de nouveau sur le site Z à 14 heures. D’autre part, vous pouvez mettre en place des structures qui seront utiles même si ce qui se passe ne ressemble à aucun des scénarios que vous avez imaginés. Cela peut impliquer la préparation de ressources (bannières, fournitures médicales ou équipement offensif), la division des rôles internes (par exemple, repérage, communications, médecin, liaison avec les médias), la mise en place de systèmes de communication (tels que les téléphones prépayés ou des phrases codées pouvant être crier pour transmettre des informations en toute sécurité), élaborer des stratégies générales (pour garder un oeil les un.e.s sur les autres dans des environnements confus, par exemple), définir des itinéraires d’évacuation d’urgence ou préparer un soutien juridique au cas où une personne serait arrêtée.
Après une action, un groupe affinitaire astucieux se réunira (si nécessaire, dans un endroit sûr et dépourvu d’électronique) pour discuter de ce qui s’est bien passé, de ce qui aurait pu mieux se passer et de ce qui vient après.
Tact et tactiques
Un groupe affinitaire ne répond qu’à lui-même, c’est l’une de ses forces. Les groupes affinitaire ne sont pas gênés par le protocole procédural d’autres organisations, les difficultés à parvenir à un accord avec des personnes extérieurs ou les limites imposées par un organisme qui ne participe pas immédiatement à l’action.
En même temps, tout comme les membres d’un groupe affinitaire s’efforcent de parvenir à un consensus, chaque groupe affinitaire devrait s’efforcer de créer une relation similaire avec les autres individus et groupes, ou du moins de compléter les approches des autres, même si les autres ne reconnaissent pas la valeur de cette contribution. Idéalement, la plupart des gens devraient être heureu.x.ses de la participation ou de l’intervention de votre groupe affinitaire dans une situation donnée, plutôt que d’avoir des ressentiments envers vous ou d’avoir peur de vous. Iels devraient en venir à reconnaître la valeur du modèle de groupe affinitaire et être pousser à l’utiliser, après l’avoir vu réussir et tirer profit de ce modèle.
S’organiser avec d’autres groupes affinitaires
Un groupe affinitaire peut travailler avec d’autres groupes dans ce qu’on appelle parfois une grappe. La formation de grappes permet à un plus grand nombre d’individus d’agir avec les mêmes avantages qu’un groupe affinitaire unique. Si la rapidité ou la sécurité est requise, des représentant.e.s de chaque groupe peuvent se réunir à l’avance, plutôt que l’ensemble des groupes; si la coordination est essentielle, les groupes ou les représentant.e.s peuvent organiser des méthodes de communication dans le feu de l’action. Au fil des années de collaboration, différents groupes affinitaire peuvent se connaître aussi bien entre groupe qu’iels se connaissent à l’intérieur de leur propre groupe, devenant de ce fait plus fonctionnels et plus efficaces ensemble.
Lorsque plusieurs groupes de groupes affinitaire doivent coordonner des actions particulièrement massives, avant une grande manifestation, par exemple, ils peuvent organiser une réunion-débat au cours de laquelle différents groupes affinitaires et grappes peuvent s’informer mutuellement de leurs intentions. Les conférences produisent rarement un consensus parfaite, mais elles peuvent informer les participant.e.s des divers désirs et perspectives en jeu. L’indépendance et la spontanéité offertes par la décentralisation sont généralement nos plus grands avantages pour combattre un adversaire mieux équipé.
Synthétiser
Pour que les groupes affinitaire et les grandes structures fondées sur le consensus et la coopération fonctionnent, il est essentiel que toutes les personnes impliquées puissent compter les unes sur les autres pour concrétiser leurs engagements. Lorsqu’un plan est approuvé, chaque personne d’un groupe et chaque groupe d’une grappe doivent choisir un ou plusieurs aspects critiques de la préparation et de l’exécution du plan et proposer de les résumer. Faire la synthèse de l’approvisionnement d’une ressource ou de la réalisation d’un projet, c’est garantir que cela sera accompli d’une manière ou d’une autre, quoi qu’il en soit. Si vous faites une légal team téléphonique pour votre groupe pendant une manifestation, vous devez lui répondre, même si vous tombez malade; si votre groupe promet de fournir des banderoles pour une action, assurez-vous qu’elles soient prêtes, même si cela signifie rester debout toute la nuit la veille car le reste de votre groupe affinitaire ne pouvaient être présent.e.s. Au fil du temps, vous apprendrez à gérer les crises et sur qui vous pourrez compter sur les autres, tout comme iels apprendront à quel point iels peuvent compter sur vous.
Aller en action
Arrêtez de vous demander ce qui va se passer ou pourquoi rien ne se passe. Rassemblez-vous avec vos amis et commencez à décider de ce qui va se passer. Ne traversez pas la vie en mode spectateur passif, à attendre qu’on vous dise quoi faire. Prenez l’habitude de discuter de ce que vous voulez qui se passe et concrétiser ces idées.
Sans une structure qui encourage les idées à passer à l’action, sans les camarades avec qui se prendre en charge, s’enflammer et prendre de l’élan, vous risquez d’être paralysé.e, coupé.e de votre potentiel. Avec elleux, votre potentiel peut être multiplié par dix ou mille. « Ne doutez jamais qu’un petit groupe de personnes réfléchies et engagées puisse changer le monde », a écrit Margaret Mead: « C’est la seule chose qui ait jamais existé. » Elle faisait allusion, qu’elle le sache ou non, à des groupes affinitaires. Si chaque personne dans chaque action contre l’État et le statu quo participait en tant que membre d’un groupe affinitaire très uni, la révolution serait accomplie en quelques années à peine. (NdT: vision peut-être un peu trop optimiste)
Un groupe affinitaire peut être un cercle de couture ou un collectif de réparation de vélo; il peut se réunir dans le but de servir des repas sur une occupations ou de contraindre une multinationale à la faillite par le biais d’un programme de sabotage soigneusement orchestré. Des groupes affinitaire ont planté et défendu des jardins communautaires, construit, occupé et incendié des bâtiments, organisé des programmes de garde d’enfants dans les quartiers, organisé des grèves sauvages; Des groupes affinitaire individuels initient régulièrement des révolutions dans les arts visuels et la musique populaire. Votre groupe préféré était un groupe affinitaire. Un groupe affinitaire a inventé l’avion. Un autre maintient ce site.
Que cinq personnes se rencontrent, résolues à faire face à la foudre de l’action plutôt qu’à l’agonie de la survie – à partir de ce moment, le désespoir prend fin et la tactique commence.
Le thème de la 24e Journée internationale contre la brutalité policière de cette année est « Police partout, justice nulle part : Solidarité internationale ! »
Le capitalisme s’effondre. Le néolibéralisme est en train de mourir. Ceux qui sont au pouvoir s’accrochent à leur autorité alors que leur avidité nous précipite vers une catastrophe environnementale, ils font la guerre à la solidarité et deviennent de plus en plus monstrueux chaque jour qui passe.
Comme ils l’ont fait lors de la sanglante naissance coloniale de cet État et de tous ses semblables, les détenteurs du pouvoir se tournent vers la police, la gendarmerie, les chiens de garde du capital pour garantir leurs gains mal acquis.
Nos continents deviennent des forteresses, ceux qui cherchent refuge sont emprisonnés, les pauvres et travaillent dur et meurent, les riches s’enrichissent, les cochons reçoivent leur salaire en nous fracassant le crâne.
Ce qu’ils ne savent pas, cependant, c’est que nous allons gagner.
La lutte contre la brutalité policière consiste à enlever les crocs d’une bête enragée, qui se promène dans nos communautés comme les épouvantails qu’ils sont. Ici pour nous faire peur, nous empêcher de nous fâcher, nous garder petits. De Ferguson à la Palestine, de Montréal à Rio de Janeiro. De Winnipeg à La Paz, de Port-au-Prince à Santiago.
Alors que nous luttons pour bâtir un monde meilleur, la police, sous toutes ses formes dégoûtantes, nous barrent la route.
Pour que nous puissions avancer, nous devons s’en débarrasser.
Comme c’est le cas depuis plus de 20 ans, le Collectif Opposé à la Brutalité Policière (C.O.B.P.) a commencé son travail consciencieux en organisant la journée internationale contre la brutalité policière, le 15 mars prochain.
Comme nous l’avons fait depuis notre création, nous imprimerons et diffuserons notre journal annuel « L’État Policier ».
Cette année, nous nous tournons vers nos camarades, alliéEs et collègues militantEs contre l’État policier pour obtenir des articles, BD, desseins, poèmes, des articles d’opinion ou tout autre contribution à ajouter dans notre journal annuel.
Si vous souhaitez soumettre un article à notre journal, envoyez-le à l’adresse suivante : cobp@riseup.net
Les textes devront contenir un maximum de deux pages et peuvent être écrits en français, en anglais ou en espagnol. Les auteurs-E-s qui tiennent à ce que leurs textes soient traduits doivent nous le mentionner dans un délai raisonnable afin qu’on puisse trouver des gens pour la traduction.
Aussi, nous vous invitons à nous envoyer des images à jumeler avec votre texte si vous le désirez. Les images feront toutefois partie des deux pages.
La date de tombée finale pour le contenu du journal est le 15 février 2020.
Solidarité internationale à tous ceux et celles qui combattent, luttent contre l’État et son bras armé, la police et fuient la répression policière.
Voici le deuxième texte d’une série de trois traitants de la piraterie.
Les scénaristes de la saga Pirate des Caraïbes ont abondamment pigé dans les vieilles légendes racontées dans les villes portuaires européennes du XVIIIe siècle. Toutefois, à l’exception de la fille fictive de barbe noire (Edward Teach), cette série de films laisse bien peu de place aux femmes pirates. Pourtant, dès le début du XVIIIe siècle, les femmes naviguant sous le drapeau noir sont célébrées dans des ballades, des opéras et des pièces de théâtre. Mais contrairement à la légende du Hollandais volant, les femmes pirates sont un fait historique bien que la navigation à l’époque soit perçue comme un univers exclusivement masculin. En effet, comme le souligne Marcus Rediker et Peter Linebaugh dans L’hydre aux mille têtes L’histoire cachée de l’Atlantique révolutionnaire: « Au XVIIIe siècle, les femmes étaient cependant rares sur les navires, quels qu’ils fussent; mais étaient suffisamment présentes pour avoir inspiré des ballades, devenues très populaires parmi les travailleurs de l’Atlantique, sur des guerrières habillées en hommes. » (p.250)
Les femmes sous le Jolly Roger (1)
En 1720, le capitaine Barnet, un traqueur de pirates des Caraïbes, capture Calico Jack Rackam et son équipage. Ces derniers, surpris en pleine beuverie, ne montrent que bien peu de combativité: « […] De tout l’équipage, seuls trois pirates opposèrent une ferme résistance aux chasseurs de primes, et deux de ces forbans étaient des femmes: Mary Read et Anne Bonny ». (Femmes et Pirates, p.9)
Si ces noms sont passés aujourd’hui à la postérité, c’est sans aucun doute grâce au livre L’Histoire générale des plus fameux pirates (2) publié à Londres de 1724 à 1728. Cet ouvrage est attribué au capitaine Charles Johnson, pseudonyme utilisé par nul autre que Daniel Defoe, l’auteur de Robinson Crusoé (1719). Pour écrire La vie de Mary Read et La vie d’Anne Bonny, Defoe s’est basé sur les minutes d’un procès qui s’est tenu en Jamaïque en 1720. Lors de ce procès, Anne Bonny déclare: « Je suis désolé de le voir ainsi, mais s’il s’était battu comme un homme [Calico Jack Rackam], il ne serait pas pendu comme un chien ». (p.181)
L’Histoire générale des plus fameux pirates n’est pas le seul document où les noms de ces deux femmes pirates sont cités. Ils sont également mentionnés dans une proclamation datée du 5 septembre 1720 écrite par Woods Roger, un ancien corsaire devenu gouverneur des Bahamas. À la même époque, le gouverneur Nicholas Lawe écrit au conseil du commerce et des plantations: « qu’il est prouvé que ces femmes, vieilles filles de l’île de Providence, ont pris part active dans la piraterie. » (p.182) De plus, de nombreux articles de journaux parus dans l’American Weekly Mercury et la Boston New-Letter évoquent sans les nommer les deux femmes de l’équipage de Rackam.
Il est difficile d’établir avec précision le nombre de femmes pirates. Toutefois, les archives judiciaires mentionnent au moins deux autres situations où des femmes ont fait face à des accusations de piraterie.
Les pirates et les femmes
Bien que les bateaux pirates offrent plus d’espace aux femmes que les navires marchands ou les vaisseaux de guerre, leur présence demeure relativement faible. Sur de nombreux vaisseaux pirates, les femmes sont interdites. Mais une chose est certaine, les principes qui guident les équipages pirates ne correspondent pas vraiment à l’image de monstres sans foi ni loi que cherche à dépeindre la presse du XVIIIe siècle : « Il y a une règle parmi les pirates, celle de ne pas permettre aux femmes de monter à bord des bateaux quand ils sont au port. S’ils font une prise en mer, et qu’une femme est capturée, personne ne doit la contraindre, sous peine de mort ». (p.186) La charte établie par Bartholemew Roberts précise elle aussi qu’aucune femme n’est autorisée à bord et il y est écrit que: « Si une passagère est retenue prisonnière. Ils mettent immédiatement une sentinelle pour la protéger et prévenir les mauvaises conséquences d’un si dangereux instrument de division et de querelle. » (p.186) Pour l’équipage de John Philipps « […] celui qui voudra se mêler de ses affaires sans son consentement sera puni de mort immédiate.» (p.186)
Voici le premier texte d’une série de trois traitants de la piraterie.
En général, lorsque l’on fait référence à la piraterie, certains clichés comme les drapeaux noirs à la tête de mort (Jolly Roger), les trésors et les mutilations physiques nous viennent rapidement en tête. Le pirate prend aussi les formes contemporaines du pêcheur somalien convertit à la piraterie, de l’informaticien ou des radios-pirates. Mais d’un néonazi, vraiment?
Boucanier, flibustier, pirate ou corsaire?
La piraterie, parfois aussi appelée la flibuste (1), est un phénomène ancien qui a longtemps servi les états avant qu’elle permette à des marins de se libérer pour un temps de l’oppression des empires et de la brutalité de leur monde. À leur âge d’or (1715-1725), ces entreprises ont provoqué une crise dans le lucratif système commercial de l’Atlantique et perturbé grandement le commerce des esclaves.
Loin de se considérer comme de vulgaires voleurs, ces parias de toutes les nations se voient comme des hommes sans patrie qui ont déclaré la guerre au monde. Comme le souligne Marcus Rediker, l’auteur du livre Pirates de tous les pays: « Les pirates s’opposent à l’élite et aux puissances de l’époque. Par leurs actions, ils deviennent des « scélérats » de toutes les nations […] plus les pirates construisent et profitent de leur existence autonome, plus les autorités sont déterminées à les détruire. » (p. 274)
Jusqu’à présent, nous sommes bien loin des théories racistes promues par les skinheads néonazis.
Les corsaires ou la guerre de course
Durant la Deuxième Guerre mondiale en Allemagne, un réseau de jeunes antifascistes, qui a déclaré la guerre aux jeunesses hitlériennes, s’est revendiqué comme étant les pirates de l’Edelweiss. Alors aujourd’hui, comment les fascistes d’Atalante peuvent-ils se revendiquer d’un esprit corsaire? Tout simplement parce que le corsaire n’est pas un pirate mais un mercenaire accrédité au service d’un roi. Les corsaires, armés avec des capitaux privés, étaient munis d’une lettre de course délivrée par l’État qui les autorisait à faire la guerre. Comme Woods Roger, un corsaire britannique qui est devenu par la suite gouverneur général des Bahamas (1728-1732) ou encore le corsaire français Jean-François de La Rocque de Roberval dit le sieur de Roberval qui a été lieutenant-gouverneur au Canada.
La discipline de Jamaïque
Les boucaniers (1650-1680), qui adoptent entre eux l’expression des frères de la côte, tirent leur nom du boucan, une technique de fumage qu’ils tiennent des Arawak. À l’origine, les boucaniers provenaient principalement d’Angleterre, de France et des Pays-Bas. Mais ils ont rapidement été rejoints par des Amérindien.ne.s et des Africain.ne.s. Ils et elles squattaient des terres sur la grande île d’Hispaniola et leurs activités tournaient autour de la chasse aux cochons sauvages et de la collecte de l’or du roi d’Espagne.
Dans la mouvance libertaire, les boucaniers et les pirates des XVIe et XVIIe siècles sont souvent considérés comme des proto-anarchistes (2) en raison de leur organisation sociale horizontale. Le mode d’organisation de ces marins est appelé la discipline de Jamaïque et prévoit des contrôles démocratiques de l’autorité ainsi que des provisions pour les blessés: « En élaborant leur propre ordre social, les boucaniers (3) tentent de calquer l’utopie paysanne appelée pays de cocagne (4) où le travail est aboli, la propriété redistribuée, les différences sociales nivelées, la santé restaurée et la nourriture produite en abondance. » (p. 116)
On admettra bien volontiers, que nous sommes à mille lieues du Reich de mille ans.
De corsaire à pirate
L’explosion de la piraterie fait suite à la fin de la guerre de succession d’Espagne. Des capitaines comme Benjamin Hornigold, John Jenning et John Cockram continuent à attaquer leurs ennemis traditionnels: « on pillait pour les autres, on pille désormais pour soi-même ». (p. 88)
Ces pirates font le choix d’un mode de vie qui défient les traditions d’une société qu’ils et elles rejettent. Ils et elles s’appuient sur les traditions des boucaniers: « Chaque vaisseau fonctionne selon les termes d’un contrat court approuvé par l’équipage, établi au début d’un voyage ou à l’occasion de l’élection d’un nouveau capitaine. » (p. 120)
Encore aujourd’hui, les pirates continuent de fasciner et d’inspirer ceux et celles qui résistent aux puissants. Par exemple, les écologistes de l’organisation fondée par Paul Watson, Sea Shepherd. Watson est même surnommé le pirate écologiste. Il y a aussi les zadistes de Notre-Dame-des-Landes qui se réclament de l’esprit de révolte de la flibuste.
Le prochain texte de la série: Femmes et pirates
(1) Le terme est utilisé aux XVIe et XVIIe siècles pour désigner le métier et les activités des pirates des Caraïbes (flibustiers, boucaniers, corsaires)
(2) Hakim Bey, Zone d’autonomie temporaire
(3) L’une des références qui sous-tend la culture des boucaniers est la révolution anglaise.
(4) Larousse:Pays imaginaire où l’on a tout en abondance et sans peine.